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Researches 91-100 |
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91 - Les imitateurs de Nostradamus |
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92 - Nouvelles réflexions sur l’épitre à Henri II et le « second
» volet des centuries |
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93 - La cuisine centurique |
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94 - Antoine Crespin, le second Nostradamus |
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95 - Nostradamus et le seiziémisme en échec. |
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96 - Les deux volets de prophéties- quatrains : almanachs et
centuries. |
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97 - Les deux frères Nostradamus : Michel (le Jeune) et César |
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98 - Du testament de Nostradamus à la Préface à César (1566) |
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99 - Les éditions pseudo-rigaldiennes 1566- 1568 et sans date des
XVIIe et XVIIIe siècles |
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100 - La production de Nostradamus pour l’an 1555 |
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Researches 91-100
91 - Les imitateurs de
Nostradamus
Par Jacques Halbronn
Dans un article paru sur son site et repris, sur papier
tel quel, en annexe de son « Historique des éditions des
Prophéties de Nostradamus (1555-1615)[1] », intitulé «
Florent de Crox, le plus doué des imitateurs de
Nostradamus » - Patrice Guinard écrit : « Alors que la
plupart des autres imitateurs et imposteurs ne
parviennent qu’à recopier les quatrains du Provençal ou
à en fabriquer de nouveaux qui ne respectent pas les
règles prosodiques de l’auteur des Prophéties, ceux de
Florent de Crox les imitent assez bien » Ce passage
mérite un commentaire puisque nous savons que selon
Guinard les quatrains centuriques sont bel et bien de
Nostradamus. A la limite, l’on pourrait se demander si
ce n’est pas dans ce cas Florent de Crox qui s’imiterait
lui-même et qui serait l’auteur d’une grande part des
dits quatrains centuriques puisqu’il ne semble pas que
Guinard renvoie ici aux
quatrains présages, sans d’ailleurs prendre la peine de
le préciser, comme si
cela allait de soi qu’il ne pouvait être question des
quatrains issus des
almanachs. En l’occurrence, comment Florent de Crox
aurait-il pu
« imiter » des quatrains qui n’existaient pas encore ou
en tout cas
n’étaient pas encore « nostradamisés » si l’on admet que
les seuls quatrains que
l’on ait considérés avant les années 1580 comme de
Nostradamus étaient
précisément ceux de ses almanachs ? On pourrait
évidemment soutenir que si
Florent de Crox produit des quatrains, en se prétendant
disciple de Nostradamus,
et que les dits quatrains ressemblent à ceux des
quatrains centuriques, ne
serait-ce pas justement la « preuve » que Nostradamus
avait déjà
publié de tels quatrains ou que ceux-ci l’avaient été
par exemple en 1568, à sa
mort ? D’ailleurs Crox se présente,
en 1569-1570 comme « disciple de deffunct M. Michel de
Nostradamus» il
n’est pas le seul et le phénoméne n’a d’ailleurs pas
attendu la mort de
Nostradamus en 1566.
Cela dit, il est probable que soit parue en 1568, la
collection
de tous les quatrains des almanachs de Nostradamus, chez
Benoist Rigaud, ce qui
permettait à chacun d’en prendre connaissance alors que
les almanachs eux-mêmes
devaient être devenus assez introuvables. Qui en 1569
pouvait avoir directement
accès à un almanach pour 1557, par exemple ? Dans tous
les cas de figure,
il fallait bien qu’un ensemble de quatrains ait été
disponible et accessible
pour susciter des disciples en matière de quatrains. On
ne sait si l’épître de
Jean de Chevigny à Mgr Larcher est ou non authentique
(Lyon, Jove) mais elle
témoigne, en tout cas, de ce qu’en 1570
les quatrains de Nostradamus, dans le meilleur des cas,
circulaient sous le
manteau ou à l’état de manuscrits, puisque le dit
Chevigny offre à son correspondant un seul de
ces quatrains centuriques, celui qui est
en rapport avec la naissance d’un monstre androgyne, ce
qui ne ferait pas sens
si une édition d’ensemble avait existé à cette date. .
Certes, cette impression d’un recueil des quatrains-
présages des almanachs de Nostradamus n’a-t-elle pas été
conservée mais Du Verdier en signale l’existence, en
1585,
dans une des notices de sa Bibliothèque (Lyon, B.
Honorat) : « dix
livres de quatrains ». D’aucuns ont voulu y voir la
preuve de la publication
en 1568 chez Rigaud des quatrains centuriques et cela
leur semblait d’autant
plus évident qu’ils avaient sous les yeux une telle
édition mais celle là
controuvée et datant en réalité du xVIIe siècle (voir
nos précédentes HR),
étant évident que l’idée était de substituer un recueil
de quatrains à un autre
étant bel et bien paru, à la mort de Nostradamus, non
point de quatrains
jusqu’alors inconnus mais dispersés sur une longue
période de temps, année
après année. Il est également possible que ce Recueil
–le vrai- ait comporté un
« Brief Discours de la Vie de Nostradamus » sous une
forme quelque
peu différente, surtout à la fin, de celle que l’on
connait dans la Jani Gallici Facies Prior (1594) ainsi
que des commentaires des dits quatrains qui pourraient
être dus justement au dit Jean de Chevigny, commentaires
qui devaient asseoir la stature « prophétique » du dit
Nostradamus.
Selon nous, en effet, ce Recueil de 1568
est le précurseur du Janus François, dont l’édition à
titre français est d’ailleurs antérieure à .celle à
titre
latin. Si l’on n’a pas conservé cette première édition
Benoist Rigaud 1568, on
dispose en revanche du Recueil des
Présages Prosaïques, avec la mention
Grenoble 1589, qui en était le pendant, pour la partie
en prose du travail de
Nostradamus, probablement de loin la plus importante à
ses yeux, le dit Recueil
ayant été constitué, selon la page de titre du manuscrit
qui nous est parvenu
par Jean Aimé de Chavigny, nom sous lequel par la suite
le dit Jean de Chevigny
souhaitera se faire connaitre, vingt ans plus tard.
C’est dire que selon nous, pour en revenir à Florent de
Crox (à
rapprocher de Salon de Craux), qu’il est clair que ce «
disciple »,
s’il imite des quatrains, imitent ceux figurant dans le
Recueil Rigaud 1568 de
quatrains-présages. Or, il ne semble pas que Patrice
Guinard pense aux dits
quatrains dans son éloge de Florent de Crox, les
quatrains des almanachs, il
est vrai, n’étant pas nécessairement de la meilleure
facture et d’ailleurs peut
être l’œuvre, en partie du moins, de Jean de Chevigny,
en sa position de
secrétaire de Nostradamus. . Mais, ici, visiblement, le
disciple dépasse le
maître, ce qui n’a rien de spécialement étonnant.
D’ailleurs, à plus d’un
titre, même la prose des disciples de Nostradamus, y
compris celle de leurs
épitres, n’aura vraiment rien à envier à
celle du médecin de Salon. Ce qui vient, comme nous
disions plus haut,
compliquer les choses, c’est que par la suite, quand il
s’est agi de fabriquer
par centaines de nouveaux quatrains non datés car la
thèse de Chavigny selon
laquelle des quatrains d’almanachs pouvaient resservir
pour d’autres années ne
rencontra qu’un succès mitigé, la meilleure solution qui
se présenta semble
avoir été de récupérer toutes sortes de textes émanant
de cette mouvance
« néo-nostradamique », ce qui,
en l’occurrence, car Guinard n’aurait eu cesse de nous
le signaler- ne fut pas
le cas de la production du dit Florent de Croix mais à
en croire Guinard, cela
aurait bien mérité de l’être. Un Antoine Crespin, très
productif dans les années
1570, dut porter ombrage à Florent et
c’est son «dossier » qui emportera les suffrages et l’on
retrouve la trace
de Crespin dans bon nombre de quatrains. Même une épitre
à Henri II, datée de juin 1558, et probablement
contrefaite et se calquant peu ou prou sur celle
figurant en tête des Présages Merveilleux pour 1557,
signalée
par Crespin mais dont on n’a pas la teneur, dut servir
pour réaliser ou en tout
cas inspirer l’épitre qui finira en tête du second volet
des centuries. [2].
Le problème qui allait se poser, c’est que les
faussaires des
années 1580-1590 ne seraient pas toujours en mesure de
distinguer ce qui était
de Nostradamus et ce qui appartenait à ses imitateurs et
lorsque l’idée leur
vint de renoncer à la thèse posthume
pour fabriquer des contrefaçons censés parues du vivant
de Nostradamus, ils ne
purent éviter de commettre un certain nombre d’erreurs
qui auraient du
disqualifier leur production. L’étonnant, c’est que
notamment pour ce qui est
de Patrice Guinard ce ne fut pas le cas.
On pense notamment au choix de vignettes de couverture
qui ne correspondaient
pas à celles dont se servait Nostradamus
et qui étaient notamment reprises des faux almanachs
parisiens de Nostradamus, chez Barbe Regnault er
d’autres
– dès le début des années 1560- ou des
prédictions d’un Michel Nostradamus le Jeune, dont le
buste sera utilisée par
les libraires troyens du XVIIE siècle (notamment sous le
nom de Pierre Du Ruau)
pour illustrer la page de titre d’une édition Benoist
Rigaud 1569 des
centuries. Si l’on s’en tient à la fortune de ces quatrains-présages
rassemblés en 1568, et repris dans le Janus Gallicus, un
quart de siècle plus
tard, on note que ceux de l’almanach pour 1561 furent, à
un certain stade, utilisés pour constituer un semblant
de
centurie VII à moins qu’il ne se soit agi d’un
complément d’une centurie VI
arrêtée à 71 quatrains. Mais qui avait tiré ces
quatrains présages de l’oubli
en 1588 ? D’aucuns diront que ces quatrains pour 1561
venaient juste de
paraitre dans ces éditions comportant une addition pour
cette même année mais
cette fois sans indication ni de mois ni d’année. De
deux choses l’une, selon
nous, soit les faussaires de l’édition Paris 1588, Vve
Roffet, disposaient du
Recueil des présages en vers paru en 1568 dans leur
bibliothèque, soit ils
avaient accés au Recueil des Présages Prosaïques qui, en
dépit de son nom, les
comportait également et qui devait paraitre en 1589, si
l’on se fie aux
indications du manuscrit.
Un autre moment fort fut
la publication troyenne, dans les années 1640, non pas
de la totalité du recueil mais de tous les quatrains
commentés par
Chavigny, au nombre de 141. La supercherie des quatrains
de l’an 1561 ne fut
d’ailleurs pas détectée tout de suite et l’on continua à
les citer en annexe en
supprimant seulement ceux cités par Chavigny. C’est dire
qu’à l’époque- au
XVIIe siècle- on ne disposait plus du recueil complet
des quatrains présages
mais uniquement de la sélection du Janus François. Le
recueil réapparut au
début des années 1990 à la Bibliothèque de Lyon et c’est
Bernard Chevignard,
dont la famille est liée à celle de Chevigny-Chavigny –
Chevignard étant le nom
d’origine- qui s’occupa de son édition critique (Ed.
Seuil, 1999),
malheureusement inachevée et entachée par des
commentaires sur l’Histoire moderne, exercice auquel se
prêtera également, par la suite, Patrice Guinard dans
son « Nostradamus ou l’éclat des empires ».
Il est intéressant d’examiner quelle fut l’attitude de
Benoist
Rigaud à l’égard de ces imitateurs de Nostradamus. La
thèse selon laquelle il
aurait publié l’ensemble des 10 centuries de quatrains
non révolus, en 1568,
dont on a dit à quel point elle était fragile et de plus
en plus improbable, au
plein sens du terme, est par ailleurs battue en brèche
par le fait que Rigaud,
à part le fait qu’il ait publié le recueil des présages
en vers de Nostradamus,
ne vit jamais de problème à publier des « imitateurs ».
Il aida ainsi
Crespin à se faire connaitre. A partir de 1573, Rigaud
publie l’Epistre à la Royne Mère du Roy par M.
Chrespin Archidamus [3] ;
en 1578, il fait connaitre une Epistre (Au Roy) et aux
autheurs de
disputation sophistique de ce siecle sur la declaration
du présage &
effaicts de la Comette » (de 1577) :dans ce texte,
Crespin, note
Benazra, s’en prend nommément à
Nostradamus le Jeune et à Florent de
Crox ou encore à Jean Colony », ce
qui nous rappelle le jugement du libraire Nicolas du
Mont, en 1571, à la fin des Présages pour 13 ans à
propos des imitateurs : »L’un, pour se faire valoir
emprunte le
territoire de Nostradamus qui lui sert de Surnom (il
pense à Florent de Crox).
L’autre, pour estre mieux venu se dit disciple de
Nostradamus (…) Celuy là
natif de Paris renie sa patrie et se dit Provençal (c’est
Crespin) & cestuy se dit Nostradamus le Jeune » C’est
Crespin qui est visé à propos
de la Provence car le premier texte qu’on lui connaisse,
la Prognostication avec Présages pour 1571,
Paris, Robert Colombel, le campe comme « Anthoine
Crespin dict
Nostradamus, de Marseille en provence », référence qu’il
abandonnera par
la suite.
Dans les années 1580, Rigaud publiera notamment Himbert
de Billy,
de Claude Morel et Antoine Fabri, tous marqués par
l’empreinte de Nostradamus[4].
Antoine Fabri figurera encore chez Rigaud dans un
almanach pour 1596, à la
veille de la mort du libraire lyonnais. Or, le motif de
la production
Fabri était promis à une certaine
fortune puisqu’il sera repris dans l’édition des
Centuries Cahors Jaques
Rousseau puis servira à la composition du motif plus
complexe des éditions des
Centuries chez Benoist Rigaud 1594 et
chez ses «héritiers » et de ce fait aux contrefaçons
troyennes Benoist Rigaud 1568. Or, ce motif
on l’a dit n’est pas attesté avant les années 1580, dans
les publications Fabri,
cet Antoine Fabri succédant à un Claude Fabri actif dans
les années 1550. [5]. On trouve même dans la
Pronostication Nouvelle pour 1552
(conservée à la BNF), reléve Patrice Guinard, la
vignette représentant Atlas
portant le monde sur ses épaules qui servira de motif
pour le second volet des
éditions Héritiers Rigaud et par voie de conséquence-
selon nos récents travaux, au second volet des éditions
Benoist Rigaud 1568 produites à Troyes au
milieu du xVIIe siècle. C’est dire que les Fabri sont
importants pour la genèse
iconographique de la littérature nostradamique. On voit
que les emprunts
concernent aussi bien la question des quatrains que
celle des vignettes recyclés[6].
Concluons notre étude avec ces propos de P. Guinard qui
revient sur son argument stylistique qui
part du principe que l’on sait ce qui est ou n’est pas
de Nostradamus. Guinard ironise au sujet de la «
réécriture laborieuse des œuvres du
salonais que personne n'était en mesure d'imiter, et
certainement pas les
scribouillards et auteurs de billevesées du type Fabri,
"Mi. Nostradamus
dit le jeune" et autres Crespin dit Archidamus ». En
fait, si les Centuries ont quelque mérite tant
littéraire que prophétique, elles ne le doivent pas à
Nostradamus mais à
certains de ses imitateurs et
commentateurs – qui n’hésitèrent pas à retoucher
certains quatrains - qui
auront été récupérés et donc dépossédés par les ateliers
de fabrication des centuries, continuant par ailleurs
la tradition d’une translation de la prose vers les vers,
comme dans le cas de
la Guide des Chemins de France d’Henri Estienne, ce qui
donna certainement des quatrains d’une haute valeur
poétique du même ordre que des poèmes
composés à partir des pages de l’annuaire de téléphone.
On ne le répétera jamais assez : pour
Nostradamus, la poésie servait uniquement pour ses
traductions privées (-Hieroglyphica, Galien, pour
certains passages). Cette tradition des quatrains
mensuels existait déjà dans
le Kalendrier et Compost des Bergiers pour décrire
chaque mois. Ce fut probablement l’idée géniale de
quelque
libraire de vouloir placer des quatrains renouvelés
d’année en année et qui résumeraient
les développements en prose de Nostradamus. Alors que
les almanachs de
Nostradamus ne comportaient aucun quatrain sur leur page
de titre, on notera
que la pratique du quatrain placé sous le titre va se
généraliser chez les
«imitateurs » de Nostradamus.
Mais ce qu’il faut
souligner c’est que ces quatrains des almanachs de
Nostradamus étaient des miroirs déformants, transformant
le sens en non sens. Nous ne pensons pas
que Nostradamus se soit lui-même prêté à un tel exercice
a fortiori pas pour produire
des centaines de quatrains sans rapport avec une prose
bien cadrée, quitte à ce
que par la suite certaines interpolations aient été
directement et délibérément
en prise sur l’actualité du moment. C’est son entourage,
ses secrétaires, ses
libraires et bien entendu tous ceux qui se situaient
dans une certaine
filiation qui s’en chargèrent, tant pour le recueil des
quatrains à durée déterminée (QDD) que pour celui des
quatrains à durée
indéterminée.(QDI). La grande idée de Chavigny, qui fait
partie de toute cette
population entourant Nostradamus, de son vivant et
ensuite, fut de déclarer que
ces quatrains n’étaient pas morts avec Nostradamus mais
pouvaient aussi
éclairer l’avenir. Il fournissait ainsi une « première
face » du Janus qui
confirmerait à quel point Nostradamus
avait bien su annoncer chaque année à veni et promettait
une « seconde
face » en se servant des mêmes quatrains présages pour
baliser le futur.
Lorsque (re)paraitra le Janus Gallicus,
étrangement, alors que l’ouvrage comporte les deux «
faces »
puisqu’il couvre l’histoire de France jusqu’en 1589,
donc plus de vingt ans
après la mort de Nostradamus, il continue à intituler
son ouvrage de «Première
face ». La raison en est qu’il se réserve une nouvelle
Seconde Face pour
l’après 1589. En fait en 1589, Chavigny est dans la même
situation qu’en 1568
avec un passé expliqué et un futur qui n’est pas encore
clairement défini. Au vrai Chavigny ne semble guère à
son aise
dans l’exploration d’un futur lointaine. Il peut tout au
plus surfer sur
l’actualité immédiate pour prévoir ce qui est déjà en
cours, à savoir
l’avénement d’Henri IV. Il n’empêche
que selon nous c’est Chavigny qui aura su forger, dans
tous les sens du terme,
l’image, la légende dorée, d’un Nostradamus plus
qu’astrologue et prophéte
malgré lui, c'est-à-dire en fait dont les oracles en
prose étaient transfigurés
par l’inspiration de quelque translateur en vers et
c’est pourquoi Chavigny n’entendait
pas dissocier les vers de la prose. .
JHB
15. 08. 12
[1] In revue française d’histoire du livre, n°129, 2008,
pp. 261 et seq
[2] Cf nos Documents Inexploités sur le phénoméne
Nostradamus, Ed Ramkat, 2002
[3]Cf Benazra, RCN, p.105
[4]Cf Notre post doctorat sur Giffré de Rechac, sur
propheties.it
[5]CORPUS NOSTRADAMUS 24 -- par Patrice Guinard « La
Vraye Prognostication Nouvelle pour l'An 1552 de Claude
Fabri (Une parodie "antidatée" parue à la fin des années
50) «
[6]Voir notre étude « BENOIST RIGAUD ET LA PRODUCTION
PSEUDO-NOSTRADAMIQUE DU DÉBUT DES ANNÉES 1580 »
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92 - Nouvelles réflexions sur l’épitre à Henri
II et le « second » volet des centuries
Par Jacques Halbronn
Le décalage entre nos connaissances concernant ce que l’on appelle
généralement le second volet des Centuries et qui se réduit à peu de
choses et ce que nous savons au sujet du premier volet, qui est
considérable est assez frappant. Autant le premier volet d’entrée de
jeu fournit-il un nombre considérable de données, ce qui d’ailleurs
tend à en dérouter plus d’un, autant le second ne comporte-t-il qu’un
faible lot de variantes, est-ce parce que beaucoup de choses se sont
perdues ou parce que tout aurait été plus simple ? Si l’on excepte le
cas de l’édition Benoist Rigaud 1568 que nous considérons désormais
comme une contrefaçon troyenne des années 1650, il faut attendre 1590,
avec l’édition de Jaques Rousseau à Cahors – mais le second volet est
probablement plus tardif - puis les éditions Rigaud au début du règne
d’Henri IV pour que nous disposions des premières données
bibliographiques les concernant, si ce n’est dans le cas de l’Epitre à
Henri II, dont nous connaissons une première mouture au début des
Présages Merveilleux pour 1557 mais ouvrant sur un tout autre texte
que trois centuries de quatrains. Que donne la critique interne,
c'est-à-dire certaines disparités au sein des textes dont nous
disposons ?
Il serait vain de penser que nous disposons du premier état de ce «
volet » et de ce fait les éditions Benoist Rigaud 1568 comportent des
éléments qui donnent à penser que nous sommes en face d’une mouture
relativement tardive comparée par exemple à l’édition Rousseau de
Cahors.
Il convient de souligner ce qui distingue les deux Epîtres, à César et
à Henri II. L’une se situe au départ dans une dimension posthume, à
destination d’un enfant incapable de rien comprendre et l’autre est
censée s’adresser directement au Roi. Cela signifie que le document
accompagnant la préface à César ne sera délivré au plus tôt qu’à la
mort de Nostradamus- tout dépend de l’âge auquel celui-ci mourra. Si
César est alors encore trop jeune – et Nostradamus ne semble pas
connaitre son heure - cela devra encore attendre. En revanche, dans le
cas de ce qui accompagne la lettre au Roi, le message est censé avoir
été délivré sur le champ. On est dans un cas de figure plus classique
: une épitre qui parait chez quelque libraire, adressée à une
personnalité plus ou moins remarquable que l’on couvre volontiers de
louanges souvent assez exagérées, mais c’est la règle du genre. Encore
faudrait-il être certain de la nature du texte ainsi introduit
d’autant qu’une telle épitre au Roi de la part de Nostradamus est déjà
parue, on l’a dit, en tête de ses Présages Merveilleux. Pourquoi au
demeurant cette nouvelle épitre laquelle ne se réfère même pas à la
précédente et qui d’ailleurs ne fait guère sens si elle n’est pas la
première ? Tout se passe comme si le lecteur, en tout cas, était censé
tout ignorer de la première mais aussi comme si le Roi lui-même
n’avait pas déjà reçu celle-ci, ce qui nous conduit à penser que cette
nouvelle épitre n’était pas signée Nostradamus mais était
éventuellement imitée de son épitre de 1556. On rentre dans cette
logique que nous avons déjà décrite de récupération des imitations de
Nostradamus au service des nouvelles centuries, comme si tout ce qui
s’apparentait de près ou de loin à Nostradamus ne constituait, in
fine, qu’un seul et même ensemble.
Or, nous avons bel et bien trace d’une telle épitre de juin 1558
adressée à Henri II, l’année qui précède sa mort. [1], par le biais
d’Antoine Crespin dit Nostradamus, selon la terminologie initialement
employée par celui-ci avant de devenir Crespin Nostradamus puis
Crespin Archidamus. Ce type d’épitre peut changer de dédicataire et
peut aussi changer de texte complémentaire, au prix de quelques
retouches.
« & si tu ne veux croire à la dicte conjonction de Saturne à Jupiter,
que sera au dict an 1583. Regarde à une Prophetie qui est faicte le
XXVII. Iour de Iuin 1558 à Lyon, dédiée au feu Henry grand Roy &
Empereur de France, l’Autheur de laquelle Prophétie est mort & decédé
» . Benoist Rigaud avait publié en 1573 l’Epitre à la Reine Mère (..)
contenant la declaration d’un signe admirable d’une Comete, veue en la
cité de Bourdeaux etc, dans lequel cette référence se place (pp. 8 et
9) [2]. Il était donc au courant de l’existence d’une épitre à Henri
II, datée de juin 1558 et qui n’était selon nous pas de Nostradamus
mais éventuellement d’un de ses imitateurs.
On peut de surcroit « suivre » l’évolution et la fortune de la dite
épitre grâce à l’édition tardive d’Antoine Besson (c 1691) qui fournir
un texte sensiblement plus bref que celui figurant dans le « canon »
centurique, vers 1590, si l’on se fonde sur la date des éditions
marquées Jaques Rousseau, à Cahors dont il faudrait préciser les liens
avec les Rigaud, au vu de la vignette de la page de titre.[3], les
éditions Rigaud ce cette période, quant à elle, ne comportant pas de
date, pour aucun volet[4], ce qui exigerait quelque explication. La
seule information un peu tangible est la mention sur l’une de ces
éditions de « Héritiers de Benoit Rigaud », ce qui implique une
parution au plus tôt à la mort du dit libraire, survenue en 1597.
Quant à la mention seule « Benoist Rigaud », elle est très vague, vue
la durée d’activité de celui-ci. Cela fait contraste, en tout cas,
avec la série « Benoist Rigaud 1568 », où la date est clairement
signalée du moins au premier volet car le second, tout en
rementionnant le lieu d’édition ne donne plus aucune date, ce qui est
un étrange compromis qui contraste avec le cas Jaques Rousseau dont
les deux volets centuriques portent l’année 1590/ C’est d’ailleurs là
l’unique cas d’une édition du second volet, au lendemain de la période
réservée au seul premier volet (1588-1589), si l’on s’en tient aux
documents disponibles. Rappelons qu’en cette même année 1590
paraissait à Anvers, une édition qui ne comportait encore que 7
centuries dont la septième à 35 quatrains seulement alors que toujours
en 1590, nous avons un premier volet à 42 quatrains à la VII suivi
d’un second. On peur parler ici d’un certain hiatus chronologique. De
deux choses l’une, ou bien l’édition d’Anvers 1590 correspond à un
état ancien mais cela affecterait alors également l’édition de Rouen,
1589 qui n’en diffère vraisemblablement que de peu (la fin de
l’exemplaire restant étant tronquée) ou bien l’édition de Cahors est
antidatée, ce qui nous semble plus probable étant donné qu’elle
comporte, au second volet, un quatrain qui n’a pu, selon nous, revêtir
la forme qui est la sienne qu’en 1593-94, ce qui nous recoupe certains
documents relatif aux deux volets Benoist Rigaud en 1594 et 1596,
respectivement [5]. Cependant, il convient de préciser que l’édition
Cahors est antérieure à l’édition Rigaud de par un passage de l’Epitre
à Henri II qui a été retouché dans l’édition Rigaud concernant
l’échéance de 1585 avec juxtaposée une nouvelle échéance pour 1606.
Nous avons montré par ailleurs, dans une précédente étude, que la
neuvième centurie avait été refondue dans certaines éditions Rigaud
1568, ce qui ressort de sa mise en page[6], décalée par rapport à
celle des autres centuries. Guinard écrit à propos de l’édition
Rousseau :
« Cette édition ne reproduit pas "les éditions" de Benoist Rigaud
comme l'indique Ruzo, mais plus précisément la première édition Rigaud,
l'édition X (cf. CORPUS NOSTRADAMUS 71)[7]. L'édition Rousseau cherche
visiblement à restituer le texte authentique des éditions lyonnaises,
en réaction contre les éditions précédentes (1588-1590), tronquées des
trois dernières centuries » .Nous pensons au contraire que c’est
l’édition Rousseau qui est reprise par les éditions Rigaud, en ce qui
concerne le passage signalé plus haut. Rappelons notre récente thèse
selon laquelle les éditions Benoist Rigaud 1568 auraient été réalisées
à Troyes, dans les années 1650 sur la base des éditions Rigaud parues
antérieurement, en reprenant quasiment à l’identique les pages de
titre des deux volets. D’ailleurs, P. Guinard a bien du mal à
distinguer la mise en page 1568 de celle des éditions Rigaud non
datées.
« La composition des pages du deuxième livre est moins serrée que dans
les éditions Rigaud datées de 1568 : il en résulte que le texte se
termine à la page 78 (et non plus à la page 76). Cette mise en page
sera reprise par l'édition des héritiers Rigaud (c. 1598). »
Le seul argument, à notre avis, qui joue ici est celui de la
continuité rétroactive à partir de la mention » Héritiers Benoist
Rigaud » puis Pierre Rigaud, toujours non datées. Or, on remarque
qu’en ce qui concerne le second volet, tantôt c’est la vignette
Héritiers Rigaud qui est utilisée (avec un personnage soutenant un
globe, Atlas), tantôt la vignette Pierre Rigaud.(avec un personnage se
tenant debout sur un globe). C’est l’ensemble constitué de ces trois
éditions différentes réputées successives au niveau de l’indication du
libraire qui permet aux bibliographes de situer grosso modo celui-ci
autour de 1600. Si l’on ne disposait que de l’édition Benoist Rigaud
uniquement, la datation serait encore plus approximative. Mais
pourquoi donc une telle absence de dates sur ces éditions alors que
les éditions ligueuses étaient généralement datées, à l’’exception de
certaines éditions Pierre Mesnier pour le seul premier volet qui ne le
sont plus. ..
Patrice Guinard apporte la preuve que le quatrain VIII, 60 aurait été
connu début 1589. »
« Le quatrain VIII-60 est attesté dans un ouvrage ligueur écrit entre
l'assassinat du duc de Guise et celui de Henry III (entre déc. 1588 et
août 1589) : "Nostre nouveau Herode (un prescheur de Paris luy a faict
cest anagramme, Vilain Herode) adverti non par Mages, mais par des
Magiciens : fondez sur le quatrain lx de la huictiesme Centurie de
Nostradamus, que le Ciel menacoit le Duc de Guyse : & que s'il avoit
envie d'aspirer à la Coronne : il n'y eust jamais temps plus
favorable, pour l'en empescher, que les jours plus proches de Noel,
print cela pour chose bien certaine." (Contre les fausses allegations
que les plus qu'Achitofels, Conseillers Cabinalistes, proposent pour
excuser Henry le meurtrier de l'assassinat par luy perfidement commis
en la personne du tresillustre Duc de Guise, [Lyon], 1589, p.31).
L'ouvrage aurait été imprimé par Jean Pillehotte dont on retrouve un
fleuron au frontispice (fleuron 8 de Pillehotte, in Baudrier 2, 1896,
p.275). (…) "Violant terax perdra le NORLARIS ", c'est-à-dire un
violent présage ou prodige (teras en grec) terrassera le (chef des)
Lorrains (selon l'anagramme Norlaris-Lorrains »
Les dates correspondraient peu ou prou avec l’édition Cahors 1590 ou à
une édition de peu antérieure. Comme on l’a dit plus haut, la
transition entre Anvers 1590 et Cahors 1590 fait probléme, comme le
reconnait d’ailleurs Guinard. « . Le fait que ce quatrain, pourtant
peu favorable à la cause de la maison de Lorraine, soit évoqué dans un
texte ligueur probablement imprimé au premier semestre de l'année
1589, prouve, s'il en était encore besoin, que le texte des Prophéties
est connu et diffusé à cette époque dans son intégralité (10
centuries), même si toutes les éditions ligueuses des années 1588-1589
n'en diffusent que quatre ou sept centuries, plus ou moins tronquées
d'un nombre fantaisiste de quatrains ! »
Encore une fois, on ne peut dire que les éditions ligueuses soient «
tronquées », sous prétexte qu’elles ne comportent pas encore certains
quatrains voire certaines centuries. On peut en revanche, considérer
que leur contenu ne date pas de 1589/1590 mais bien plutôt de 1588 et
qu’à partir de 1589 le second volet commence à circuler. Le fait que
le second volet soit divisé en centuries prenant la suite du premier
volet est le signe d’une concertation, d’une volonté de produire un
volet additionnel, l’Epitre à Henri II se référant d’ailleurs
explicitement à la Préface à César, d’où cette mention précise
concernant VIII 60 mais c’est Guinard qui signale de quel vers il
s’agit, avec l’anagramme transparent visant les Lorrains.
Il ne faudrait pas négliger la question des mots mis en majuscules qui
caractérise les éditions Benoist Rigaud 1568, Macé Bonhomme 1555 et
Antoine du Rosne 1557 Utrecht mais qui épargne seulement Antoine du
Rosne 1557 Budapest, qui n’a que 40 quatrains à la VII à la différence
des autres éditions à 7 centuries, associées d’ailleurs à un second
volet (l’exemplaire Utrecht est incomplet, il faut s’en tenir à la
page de titre du premier volet qui est celle des éditions à deux
volets).
Or, déjà dans Rousseau 1590, on trouve quelques mots en capitales,
dont « BRANCHES » dans les premiers quatrains de la première centurie
et au tout début de la VIIIe centurie, donc du premier volet. En
revanche, le procédé est plus fréquent dans les éditions Rigaud
successives. On sait qu’il est repris dans le Janus Gallicus, ce qui
atteste que Chavigny s’est servi de ces éditions, si tant est qu’il ne
soit intervenu dans la mise en œuvre du dit procédé qui s’étend chez
lui aux quatrains des almanachs.
Il convient, par ailleurs, de s’interroger sur la présence de ces mots
en capitales dans les éditions de la période 1550, en laissant de côté
le cas 1568 dont nous avons montré qu’il dérivait des éditions Rigaud
des années 1590 par le biais troyen du milieu du siècle suivant. Ces
éditions à majuscules n’auraient été éventuellement réalisées qu’à
partir des éditions de la décennie 1590, ce qui est flagrant pour du
Rosne Utrecht. L’édition Macé Bonhomme 1555 présente les mêmes «
stigmates ». L’explication qui nous parait désormais la plus probable
est troyenne. On voit mal produire dans les années 1590 une édition à
4 centuries. En revanche, dans les années 1650, si l’on admet la thèse
de la production des éditions 1568, on peut tout aussi bien penser que
les faussaires auront juger heureux de produire un état antérieur,
d’ailleurs signalé par les éditions parisiennes, qu’ils connaissaient
puisqu’ils en citent des extraits pour la centurie VII, les dites
éditions indiquant nettement à la centurie IV, une addition après le
53 e quatrain.
« Propheties de M. Mostradamus (sic) adioustée outre les précédentes
impressions » (Mesnier, 1589). Les libraires troyens auraient pu se
servir de l’édition Roffet 1588 dont la vignette est celle qui servira
pour Macé Bonhomme 1555. Mais dans ce cas, ils auraient aussi bien pu
produite Antoine du Rosne 1557 Utrecht à deux volets, qui comporte des
capitales et le même motif au titre que pour Macé Bonhomme, dans le
but de conférer à Rigaud 1568 le statut de réédition d’une publication
parue, comme celle de 1555, du vivant de Nostradamus. Nous sommes à
une époque où les faussaires abondent pour créer de fausses « lettres
de noblesse ». (cf la thèse de Droit de F.P. Blanc : L'origine des
familles provençales maintenues dans le second ordre sous le règne de
Louis XIV, Aix, 1971)
Reste le cas de l’édition Du Rosne 1557 Budapest, à laquelle R.
Benazra et G. Morisse ont consacré chacun une étude. Il convient de la
distinguer nettement de Du Rosne Utrecht.
D’une part, elle ne comporte pas, on l’a dit, de mots intégralement en
majuscules dans les quatrains. Ensuite, elle n’a que 40 quatrains à la
VII. Enfin, sa vignette diffère de Bonhomme 1555, Rosne Utrecht 1557.
Elle correspond à un état intermédiaire entre Anvers 1590 (avec 35
quatrains à la VII) et Rousseau 1590, (à 42 quatrains à la VII) Anvers
n’ayant pas non plus de majuscules à l’instar des éditions ligueuses.
Quant à la présentation de son titre, Rosne Budapest reprend la
formule Anvers 1590 sans la corriger- alors que ce sera fait chez
Rousseau- « Dont il en y a trois cents qui n’ont encores iamais est
imprimées ». Alors qu’Anvers se réfère à 1555, Du Rosne se réfère à
1557 selon une certaine logique qui veut que le passage de 4 à 7
centuries aurait demandé un certain temps. Il faudrait comparer avec l
»édition 1556/1557 Olivier de Harsy dont elle pourrait dériver mais
cette édition n’est pas conservée[8]. On notera que dans les éditions
du XVIIe siècle, dans la série des Vrayes Centuries et prophéties, on
prendra l’habitude en page de titre, à partir de 1649, de mentionner
des éditions de 1556 et 1558[9], ce qui vient confirme notre thèse
d’une prédilection de cette époque pour les références anciennes et la
production de documents afférant. Mais cette mode reprend celle qui
existait en 1590 avec des éditions se disant reprises de 1557 (Roffet
1588) ou de 1555 (Anvers). Mais il semble que l’on soit allé plus loin
en produisant des éditions attribuées à des libraires ayant exercé
dans les années 1550-1560 comme Barbe Regnault, qui avait publié des
almanachs au nom de Nostradamus, la Veuve Buffet ou Antoine du Rosne,
qui avait publié une pronostication de Sconners, en 1557. A contrario,
le choix de Macé Bonhomme pour une édition 1555 semble assez
malheureux car à notre connaissance Bonhomme n’avait pas publié de
textes astrologiques ; en revanche, il avait publié, dans les années
1550, des centuries de Guillaume de La Perrière, sans lien avec
l’astrologie mais cela avait du suffire pour justifier ce choix du
libraire lyonnais.
Selon nous, donc, la production Rosne 1557, est dans la ligne des
références que l’on trouve à Anvers 1590 et surtout à Paris Veuve N.
Roffet, 1588. Elle est la seule trace d’une édition qui a du exister
et qui s’intercala entre Anvers 1590 et Rousseau de la même année,
sans qu’il faille conférer à ces dates autre chose qu’une valeur
relative. Situation d’ailleurs assez inconcevable car s’il fallait
s’en tenir à une certaine logique bibliographique, on aurait eu la
même année, Anvers 1590, puis le pendant de Du Rosne Budapest et enfin
les deux volets de Rousseau, passant de 35 à 42 quatrains à la VII,
avec d’ailleurs dans les trois cas l’absence du quatrain 100 de la Vie
centurie ainsi que de l’avertissement latin (présent dans Du Rosne
Utrecht), lequel réapparait dans Rousseau, sous la forme fautive Legis
Cantio, qui se retrouve d’ailleurs, assez logiquement chez Rigaud tant
1568 que fin de siècle et chez Chevillot (cf 1651) mais qui sera
rectifiée dans les éditions Du Ruau (1643-44) en Legis Cautio, à
partir de sources non conservées mais utilisées au milieu du XVIIe
siècle.
D’autres points demandent de nouveaux éclairages. Notamment au regard
de l’épitre à Henri II. Pourquoi cette date de 1585 qui est avancée
dans une épitre qui par ailleurs privilégiée 1606 (les positions
planétaires fournies correspondent à cette année. Chez Rousseau, on a
les deux dates juxtaposées alors que chez Rigaud, on a « mesmes de
l’an 1585 & de l’année 1606 », ce qui fait moins désordre. Faut-il
conclure que l’Epitre – mais cela ne concerne pas nécessairement les
centuries dont l’annonce peut avoir été interpolée est antérieure à
1585. C’est ce qui semble découler du texte car un texte prophétique a
besoin de se donner des échéances à venir, ce qui est le cas par
l’addition de 1606, une fois le cap de 1585 dépassé.
Il convient de rapprocher cette date, qu’il faudrait peut être
corriger en 1583 du passage de Crespin déjà cité plus haut :
« & si tu ne veux croire à la dicte conjonction de Saturne à Jupiter,
que sera au dict an 1583. Regarde à une Prophetie qui est faicte le
XXVII. Iour de Iuin 1558 à Lyon, dédiée au feu Henry grand Roy &
Empereur de France, l’Autheur de laquelle Prophétie est mort & decédé
. On est là dans une construction astrologique classique, liée aux
grandes conjonctions se reproduisant tous les vingt ans. C’est là
l’horizon des astrologues des années 1570, une fois passé le cap de la
précédente conjonction des années 1560 qui intéressa Nostradamus.
L’Epitre à Henri II 1558 est une contrefaçon des années 1570 de
l’épitre de 1556, date de rédaction des textes de Crespin, On a gardé
ensuite la date de l’épitre mais on a rafraichi l’intérieur en
ajoutant 1606, ce qui nous situe à la fin des années 1580 ou au début
des années 1590 pour une échéance dans le courant de la première
décennie du siècle suivant. Et on aura associé cette épitre à un
ensemble de 3 centuries. (On ne parle plus de 300 prophéties comme
pour le premier volet) Rappelons aussi que nous disposons d’une
mouture antérieure sensiblement plus brève, toujours datée de 1558,
qui reparait très tardivement chez Antoine Besson de la dite épitre,
également associée aux centuries : celle-ci ne mentionne même pas ces
années 1585-1606. Une telle épitre (Besson) nous semble annoncer une
forme de pronostication de par la précision que son auteur revendique
: « correspondant aux mois, semaines, jours », ce qui n’est guère dans
le genre de ce néo-centurisme qui veut dépasser un tel carcan, à
l’exemple d’un Chavigny au regard des quatrains présages. Mais elle
n’en annonce pas moins les centuries, du fait selon nous d’une
interpolation lors de son insertion dans le contexte centurique. Il a
donc du exister une édition type Besson avant l’édition Du Ruau, ce
qui complique encore un peu les choses pour cette étrange année 1590
où tout semble se précipiter. Mais ce n’est probablement là qu’un
artefact, c'est-à-dire que l’on publie en 1590 des éditions
sensiblement plus anciennes, il faut probablement tout décaler de
quelques années. N’oublions pas, en effet, que le passage des éditions
parisiennes avec une centurie VI inachevée, sinon incomplète pour
parler comme Benaza ou Guinard, jusqu’à l’édition Anvers 1590 passe
par un certain nombre de chainons manquants : une édition à 6
centuries dont l’existence est confirmée par le titre même du premier
volet « dont il en y a trois cents qui n’ont encores jamais esté
imprimées » avec quatrain X, 100 et avertissement latin et de là on
serait passé à une édition à 7 centuries type Anvers mais sans le
quatrain X, 100 et l’avertissement latin, de façon à gommer le
processus additionnel qui devait être formulé comme au titre des
éditions parisiennes 1588-1589 : revues & additionnées (…) de trente
neuf articles à la dernière centurie », ce qui donne le profil d’une
édition à 7 centuries (6 +1) mais on notera que ni Anvers 1590 ni Du
Rosne Budapest à 7 centuries ne mentionnent une telle addition et sont
donc plus tardives pas plus qu’elles ne signalent l’addition à la
Centurie IV. En effet, notre principe est que les éditions sont
régulièrement toilettées et que l’on cherche à gommer les étapes
intermédiaires.
Quelques réflexions en conclusion ; d’une part, l’usage de cette
épitre à Henri II pose le problème ipso facto d’une édition parue à
cette date. Ce sera le propos de l’édition Rosne Utrecht d’y veiller
et nous avons dit que cela relevait du plan de publications troyen, ce
qui exclut ou contredit la thèse d’une parution posthume des centuries
en deux volets. Les éditions 1568 ne sont plus alors que des
rééditions de l’édition Rosne Utrecht, d’où l’absence de mention
nécrologique qui normalement s’imposerait. Faute de goût, cette
édition Antoine du Rosne ne prend même pas la peine d’indiquer « dédié
au Roy », et comme c’est absent de Rigaud 1568, au second volet, on
peut pense qu’il en était de même pour le volume disparu.
A-t-il existé une édition des 3 centuries VIII, IX, X en dehors du
cadre à 10 centuries ? Cela nous renvoie à la question de savoir si
ces centuries appartiennent ou non à un autre camp que celui qui
instrumentalise le premier volet. On pourrait le penser au vu des
annonces de victoire de la maison de Vendôme-Bourbon sur celle de
Guise-Lorraine, anagrammes à l’appui. Mais il peut s’être agi
d’interpolations ultérieures. Si l’on prend le cas du Janus Gallicus,
l’on observe un infléchissement du discours en faveur d’Henri IV, sur
le tard, notamment dans l’annexe sur son Avènement à la Couronne (épitre
à d’Ornano). Il est possible que l’on ait procédé de même avec les
dernières centuries pour être en phase avec l’évolution politique, ce
qui aura notamment conduit à la retouche du quatrain IX, 86 désormais
censé annoncer le couronnement en la cathédrale de Chartres (et non de
Reims comme il était de coutume de le faire). On comprend mieux dès
lors la mention de VIII, 60, signalée par P. Guinard, dans le camp
ligueur, fin 1588-début 1589. Mais cela exige que la fabrication de
300 quatrains ait été mené à marches forcées puisque l’on ne les
connait pas encore en 1588, cela expliquerait leur caractère bâclé –
quatrains incomplets, versets identiques en deux quatrains (Roy de
Bloys en Avignon régner) et recours à une versification de la Guide
des Chemins de France, ce qui était pousser le bouchon un peu loin. Il
est bon de comprendre que le centurisme est constitué de couches
successives dont certaines sont assez indigestes (à commencer par les
données asronomiques qui sont le socle des almanachs) et que l’on peut
pimenter, à peu de frais, de quelques ingrédients plus excitants pour
le goût
Il n’est pas impossible que cet infléchissement politique des
dernières centuries ait déplu à certains qui auront persisté à ne
vouloir publier que les sept premières. On voit à quel point la
réalité dépasse ici la fiction : les quelques éditions antidatées
1555, 1557, 1560, 1568 sont loin de pouvoir rivaliser avec
l’effervescence de la production centurique de la Ligue, même en ne
considérant que les éditions qui nous ont été conservées , d’autant
qu’une grande part de ces éditions antidatées (Macé Bonhomme, Du Rosne
Utrecht et Rigaud 1568) ne sera produite qu’au siècle suivant.
JHB
16. 08.12
JHB
16. 08.12
[1] Cf Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Ed Ramkat
2002
[2] Documents Inexploités (pp. 52-53).
[3] Certaines erreurs de localisation concernant Londres ont déjà été
reléves , commises par Chomarat, Bibliographie Nostradamus, p. 84 /
[4] CORPUS NOSTRADAMUS 70 -- par Patrice Guinard « Les éditions des
Prophéties à la fin du XVIe siècle «
[5] Cf Benazra, RCN, pp. 140-141
[6] Cf l’ exemplaire reproduit par M. Chomarat, lyon 2000, p. 192
[7] CORPUS NOSTRADAMUS 38 -- par Patrice Guinard « Première étude sur
les éditions Benoist Rigaud de 1568 (bibliographie)
[8] CORPUS NOSTRADAMUS 25 -- par Patrice Guinard « Les premières
éditions des Prophéties 1555-1563 (État actuel des recherches, repères
bibliographiques, et conjectures)
[9] Cf Benazra, RCN, p 206
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93 - La cuisine centurique
Par Jacques Halbronn
Pour éviter un certain nombre de malentendus et de fausses pistes, il
importe de comprendre que le centurisme est le résultat de plusieurs
niveaux et couches de sédimentation, à l’instar d’une pyramide ou
d’une ziggourat. Mais l’analogie la plus heuristique selon nous est
celle de la préparation culinaire sinon celle d’une alchimie et de
l’athanor.
Nous proposerons un modèle que nous avons déjà développé hors du champ
nostradamique et qui est celui des plats cuisinés, genre cassoulet,
choucroute et autres paella et couscous lesquels se caractérisent par
un matériau de base assez vil et en soi guère attractif (semoule, riz,
chou, haricots blancs etc.) et l’ajout d’un élément d’un ingrédient
qui va flatter ou tromper le goût et l’odorat, à base de sauces
notamment. Et plus généralement, la plupart des légumes- ce n’est pas
là leur moindre défaut - ne sont consommables qu’en salade « composée),
c’est à dire par adjonction d’huile, de vinaigre (vinaigrette), de sel,
de poivre, de mayonnaise etc. et ne se suffisent pas à eux-mêmes.
La comparaison avec ce qui se passe avec l’élaboration du « soufflé »
nostradamique va se révéler utile. Qu’on en juge : à la base des
textes pas vraiment excitants, un matériau assez indigeste mais qui va
être « transcendé » par quelque addition et additif, ce qui passe par
la mise en vers, le commentaire, la traduction et la retouche,
l’interpolation. C’est tout cela qui fait du corpus nostradamien un «
plat » qui a traversé les siècles à l’instar de nos spécialités
régionales, comme la bouillabaisse provençale...
Ce que nous entendons faire comprendre, c’est que le matériau de base
n’est peut être pas l’essentiel, qu’il n’a qu’une valeur relative, en
tant que premier étage de la fusée. C’est pourquoi, souvent, même les
nostradamologues les plus aguerris n’ont pas un attachement démesuré
pour la lettre du texte nostradamique, tant versifié qu’en prose,
d’ailleurs ce qui fait que certaines coquilles ou certaines lacunes
perdurent sans que nul ne s’en soucie. On pense notamment aux
premières phrases de la préface à César dont nous avons montré que la
version Besson (c 1691) rétablissait fort tardivement et vainement la
cohérence d’un discours devenu bancal.
Pour arriver au cœur de notre propos, nous dirons que si les quatrains
des almanachs dérivent, comme nous l’avons également montré ailleurs,
de la prose de Nostradamus, ce qui pourrait d’ailleurs les faire
considérer comme d’origine « prosaïque » mais à base astrologique, au
sens qu’ils transposent des développements que Nostradamus a consacré
aux positions astronomiques à certaines moments du cycle soli-lunaire
en particulier, en revanche, les quatrains « centuriques » (à durée
indéterminée quant à leur usage),peuvent fort bien émaner de sources
bien peu liées à l’astrologie et « ésotérisées » de par leur
intégration même dans le champ « prophétique », ce qui n’est pas
nécessairement rédhibitoire dans la mesure où le prophétisme traite du
monde sous tous ses angles. C’est ainsi qu’un passage banal de quelque
document peut se voir doté d’une qualité oraculaire remarquable du
simple fait qu’il est placé au sein d’un ensemble qualifié de «
prophétique », ce qui conduit d’emblée à le percevoir avec un autre
œil. Il ne faudra donc pas s’étonner de l’ampleur et du rythme de la
production centurique brute. On en est au stade de la matière « vile
», du « signifiant » si l’on veut qui se prête à devenir, le cas
échéant, tel ou tel signifié, selon le caprice du commentateur, de
l’interprète. C’est donc une question de valeur ajoutée, d’aval plus
que d’amont. /
Chavigny a été très loin dans cette direction puisqu’il affirme en
exergue du Janus Gallicus que les dates indiquées pour les quatrains
ne sont pas impératives, ni contraignantes, ce qui lui permet
d’associer allégrement tel quatrain de telle année avec un événement
d’une autre année. C’est là faire preuve d’une certaine désinvolture.
La leçon sera comprise et désormais le quatrain n’a plus à respecter
un quelconque étalon or, son cours devient flottant et c’est le self
service.
Qui sont les marmitons du « plat » nostradamique? On connait certes
les commentateurs qui se sont succédé depuis des siècles au chevet des
centuries. On connait beaucoup moins les versificateurs à moins,
évidemment, de décréter que c’est Nostradamus qui est l’auteur non
seulement des quatrains des almanachs mais de la « miliade » de
quatrains centuriques, comme il est dit dans l’épître à Henri II,
alors que Chavigny penchait plutôt pour 12 centuries, à la fin du
Brief Discours de la Vie de M. Michel de Nostredame. (Janus Gallicus).
On connait notre thèse à ce sujet, Nostradamus n’est l’auteur des
quatrains des almanachs que très indirectement dans la mesure où ce
sont ses textes dont les mots ont servi à composer des quatrains, sur
la base d’un mois d’almanach par quatrain. Au demeurant, un Chavigny
traduira en latin les dits quatrains présages, ce qui conduira à ce
que même les mots des quatrains ne soient plus les mêmes. En ce sens,
Chavigny donne l’exemple d’un traducteur abusif qui sous couvet de
traduction, modifie le quatrain pour l’ajuster sur tel événement qu’il
entend ainsi expliquer. Il y a là comme une sorte de renversement : le
quatrain évolue pour correspondre à un texte en prose, comme une
chronique ou une page de journal alors même que le quatrain est
extrait d’un autre texte en prose. Le quatrain est alors interface
entre deux textes en prose mais par le truchement du commentaire qui
constitue un troisième texte en prose, le dit quatrain, comme on l’a
dit, pouvant générer un autre quatrain par le biais d’une traduction
sous forme de quatrain, comme c’est le cas dans la traduction anglaise
de Garencières (Londres 1672) mais aussi de diverses traductions
anglaises des quatrains d’almanachs de Nostradamus ou de faux
almanachs mais avec de vrais quatrains appartenant à des années
antérieures.(chez Barbe Regnault)....
.La recherche des sources des quatrains permet de mettre en évidence
des retouches ultérieures. C’est ce qui s’est passé pour le quatrain
IX, 86 dont la source se trouve dans la Guide des Chemins de France
mais où on lit Chastres (actuellement Arpajon[1]) et non Chartres
comme dans les éditions centuriques connues. Doit-on supposer qu’il a
existé une édition centurique avec Chastres au lieu de Chartres ? Nous
le pensons, ce qui complique encore un peu plus la chronologie du
second volet (cf. notre étude HR 92). On peut certes, cependant,
soutenir que le texte a été choisi, au départ, justement parce que
l’on pouvait y introduire Chartres à la place de Chastres. Mais cette
thèse nous semble improbable. Ce n’est que dans un deuxième temps, que
ce substrat assez peu ragoutant, d’un point de vue prophétique, sera
transfiguré par le changement d’une seule lettre. C’est l’occasion de
rappeler à quel point un changement de chiffre peut aussi conférer à
une épitre un nouvel élan prophétique, comme dans l’Epitre à Henri II
où 1585 se voit rejoint- mais pas remplacé cependant- par 1606, ce qui
est quand même plus intéressant quand la date de 1585 a été dépassée.
C’est là de la cuisine prophétique ordinaire mais qui exige un certain
talent et de l’à propos.
On aura compris que le travail laborieux de l’astrologue Nostradamus,
faiseur d’almanachs à l’année et de pronostications saisonnières assez
sommaires sur toute une série d’années ne constitue qu’un matériau qui
certes a le mérite d’exister mais qui doit être complété. C’est
tellement vrai qu’à un certain stade, ce travail préalable de
Nostradamus n’a même plus été requis et que l’on a fait des quatrains
sans passer par ses textes ou que l’on s’ est permis de les utiliser
en dehors du cadre auquel ils étaient initialement liés, ce qui a
donné le millier de quatrains centuriques à durée indéterminée,
laissant à l’interprète la plus grande latitude d’application.
Parallèlement, c’est le personnage même de Nostradamus qui va être «
relooké » : d’astrologue, il devient prophète. Tel est précisément le
vœu d’un Jean de Chevigny alias Jean Aimé de Chavigny, qu’il
poursuivra pendant toute sa vie. Un prophète qui ne sait même pas
qu’il en est un car les épitres figurant dans les Centuries ne
sauraient être attribuées à Nostradamus qu’avec la plus grande
précaution. On aura joué par ailleurs sur le fait que le mot «
prophétie » est un terme ambigu qui peut être appréhendé sous un angle
religieux mais aussi laïc, tout comme le mot prédiction est utilisé
par les devins mais aussi par les scientifiques (notamment
anglo-saxons). Nostradamus se voit dès lors attribué plus d’un millier
de quatrains qui émergent petit à petit pour culminer avec les sixains
intégrés au canon centurique au milieu du XVIIe siècle. (Voir l’épitre
à Henri IV, d’un certain Vincent Séve, en date de 1605). Chavigny
n’hésitera pas à les translater en latin pour leur faire dire ce
qu’ils ne disent pas, comme de parler de Louis Ier de Bourbon Condé
alors que le quatrain emploie « loin » ou « Blois » ce qui est «
traduit », faute de mieux, par Lodoicus (pour Louis). Joli coup de
pouce !
Cette cuisine centurique posthume va bien entendu bénéficier de toutes
sortes d’additions par le biais de quatrains supplémentaires de
circonstance. Récapitulons : une première couche de quatrains
d’almanachs mais assaisonnés par un commentaire datant de 1568 qui en
montre la justesse pour le passé, de 1555 à 1567. Puis, une nouvelle
couche de plus de 300 carmes fabriqués on ne sait trop comment (on a
le chiffre de 349, d’après l’édition Rouen Petit Val 1588) – et quelle
importance ? - en empruntant à gauche et à droite, en plagiant, dans
la Préface à César Savonarole et Roussat, dans leurs textes
prophétiques. Soit plus du double des quatrains d’almanachs. Et puis,
de 349 on passe à 353 en pondant le quatrain IV, 46 qui évoque la «
prochaine ruine » de Tours. Quand Henri III quitte Paris, laissée au
pouvoir du duc de Guise, en mai 1588, il décide de faire de Tours la
nouvelle capitale du royaume. Il convoque, non loin de cette ville, à
Blois des Etats Généraux, à la fin de cette même année. Selon nous,
l’insertion de de IV 46 au milieu des 349 premiers quatrains doit
dater de peu après le mois de mai 1588, ce qui permet de fixer un
terminus pour toutes les éditions centuriques comportant ce quatrain,
ce qui inclut Macé Bonhomme 1555, Antoine du Rosne 1557, Benoist
Rigaud 1568. Les éditions parisiennes ont également ce quatrain et la
première est justement datée de 1588. Un autre terminus intéressant
est la mort de Catherine de Médicis, le 5 janvier 1589, ce qui
pourrait correspondre à la rédaction du quatrain VI, 100, avec le jeu
de mots sur « Fille de l’Aure », c'est-à-dire fille de Laurent de
Médicis- dont on sait qu’il ne figure dans aucune édition centurique
du XVIe siècle, conservée mais bel et bien dans le Janus Gallicus.
.Et puis, l’on passe à 600 en intégrant les 53 quatrains de la
centurie IV augmentée. Mais cela ne suffit toujours pas : une annexe à
la Vie et « dernière centurie » - ce qui exclue qu’il y ait alors 1000
quatrains comme d’aucuns le prétendent- va bientôt devenir la VIIe
centurie. Et puis l’on rajoute encore, pour faire bonne mesure encore
300 quatrains mais à notre avis, l’on était parti pour 900 quatrains
(3x 300) et c’est par erreur que l’on aura conféré le statut de
centurie VII à une trentaine de quatrains : on passera d’une petite
trentaine à 42. Notons que le nombre de 300 apparait sur les deux
volets des éditions Rigaud : pour le premier volet 300 « prophéties »
et pour le second « trois centuries », c’est dire que la centurie VII
est un simple appendice du premier volet. On fera d’ailleurs
disparaitre toute trace, dans les titres, d’une addition à la Vie
centurie, laquelle est toutefois mentionnée au titre des éditions
parisiennes ligueuses qui ont en outre le défaut de signaler une
addition en plein milieu de la Centurie IV et de rappeler que la
centurie VI n’atteignit les 100 quatrains que par étapes...
Mais la cuisine centurique a d’autres exigences encore : il faut
fabriquer des contrefaçons antidatées – encore que cela se fera
surtout au milieu du XVIIe siècle, à partir de Troyes, une des grandes
villes d’édition d’une littérature merveilleuse (bibliothèque bleue de
colportage) - tout comme il faut faire disparaitre les traces de
certains ajustements et ajouts, ce qui donne comme résultat paradoxal
de produire de prétendues éditions anciennes plus modernes que celles
qui sont censées les suivre. L’édition Antoine du Rosne de la
Bibliothèque de Budapest datée de 1557 est plus achevée que l’édition
de 1560 dont la centurie VI est encore en chantier. Véritable
cauchemar pour les bibliographes !
Le corpus centurique est à n’en pas douter une œuvre, une entreprise
collective, transgénérationnelle dont le point de départ est Michel de
Nostredame et ses publications annuelles (voire pluri-annuelles),
débouchant sur des quatrains qui sont jugés obsolétes après la
parution du dernier almanach pour 1567 paru sous son égide. Après sa
mort, il va survivre au travers d’une nouvelle lecture des dits
quatrains, voulue par Jean de Chevigny (en 1568) mais cela ne suffit
plus et il faudra ajouter de nouveaux quatrains qui ne sont pas passés
par la même voie et qui feront oublier les premiers absents des
éditions Rigaud de la fin du siècle. Ces quatrains en fait seront en
partie dus à des émules de Nostradamus qui souvent en placeront un sur
la page de titre, à l’instar d’un Antoine Crespin (auteur aussi de
sixains) et un choix, un tri seront effectués parmi ces nombreux
quatrains pour constituer un nouveau corpus attribué à Michel de
Nostredame et dont il est tout au plus l’inspirateur. Car, il ne faut
pas se leurrer et faire la part des éditions antidatées. La vérité,
c’est qu’à la mort de Nostradamus, en 1566, les seuls quatrains qu’il
laisse derrière lui sont ceux tirés de ses almanachs. Chevigny
entreprend de les perpétuer en affirmant que ces quatrains peuvent
aussi nous éclairer sur l’avenir. Une position très économique qui
dispensait de produire de nouveaux quatrains pour l’avenir. Tel ne fut
pas l’avis de ses « disciples » qui, au contraire, mirent un point
d’honneur à composer de nouveaux vers prophétiques. Pendant une
vingtaine d’années il en fut ainsi jusqu’à ce que soit orchestré le
grand retour de Nostradamus, dans le cours des années 1580 et en
quelques années, un corpus d’un millier de quatrains fut constitué,
véritable succès de librairie avec comme pour les films des suites
(Guerre des Etoiles etc.), Nostradamus 1, 2, 3 etc. Si la Ligue et la
crise dynastique (exacerbé par la mort du duc d’Alençon en 1584)
furent le théâtre de ce premier revival, à Paris et à Rouen, à Anvers,
à Cahors et enfin à Lyon, la Fronde au siècle suivant, à Troyes, à
Amsterdam, à Londres, à Lyon, à Marseille, surfant sur la mort
inopinée de Richelieu et de Louis XIII.(en 1642-1643), fut le canal
d’une véritable Renaissance nostradamique dont on n’avait pas pris
jusque là toute la mesure, suscitant notamment la fabrication
d’éditions antidatées (1555, 1557 (Utrecht), 1568) et la recension de
tous les textes relatifs à Nostradamus qui pouvaient avoir été
conservés, y compris ceux de ses imitateurs et de ses adversaires,
posant ainsi les bases d’une science nostradamologique dont un Jacques
Mengau et un Giffré de Réchac furent, dans les années 1650, les
promoteurs.
Ce n’est ainsi qu’au milieu du XVIIe siècle que ces quatrains
d’almanach seront réintégrés avec d’autres documents qui avaient été
abandonnés, ce qui nous conduira en 1691 à l’édition du lyonnais
Antoine Besson qui remplace la préface à César corrompue par son
original réapparu mais non conservé.(déjà traduit cependant en anglais
en 1672). La plupart des interprètes des centuries ignorent désormais
à peu près tout des quatrains-présages. Cela ne fait pas partie de
leur culture et ne parlons pas de la prose de Nostradamus dont on ne
veut plus connaitre que les épitres centuriques. Même le projet de
réédition du Recueil de Présages Prosaïques dont se chargea, aux
éditions du Seuil, Bernard Chevignard, un arrière petit cousin de Jean
de Chevigny/Chavigny, ne parvint pas (en 1999) à publier la totalité
du manuscrit et dut s’arrêter aux années 1550. Le XXIe siècle, préparé
par les travaux d’exploration de Ruzo, Chomarat, Benazra, Brind’amour
et à leur suite Patrice Guinard, Mario Gregorio, devrait, selon nous,
être le temps d’une nouvelle renaissance nostradamique, cette fois
plus scientifique, restituant notamment la vraie chronologie des
textes et tout particulièrement –ce dont furent incapables les
artisans du renouveau du XVIIe siècle- il est vrai que l’œuvre de
Giffré de Réchac, à la suite de Mengau, dans les années 1659, lequel
envisagea de fonder ce que nous avons appelé une « critique
nostradamique » [2]- resta en grande partie manuscrite[3]- - en
rendant à Nostradamus ce qui est à Nostradamus[4].
JHB
16. 08 12
[1] Bernard Gineste : Corpus Littéraire Étampois, Pseudo-Nostradamus.
Quatrain IX, 87 sur le Ducd’Étampes 1568
[2] Voir notre post-doctorat, EPHE Ve section, 2007, sur propheties.it.
[3] , « Quelques documents inédits sur le P. Jean de Réchac », in
Archivum Fratrum Praedicatorum, 1932 pp. 403-414, L’Eclaircisssement
n’y est pas mentionne alors qu’il y est question (p. 413) d’un ouvrage
antérieur qui est considéré comme fâcheusement influencé par
Campanella, le De Regno temporali Christi. In Lettre de Thomas Turc à
Dominique Le Brun , datant du 5 février 1650. Vour aussi année 1933 de
la même revue.
[4]
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94 - Antoine Crespin, le second Nostradamus
Par Jacques Halbronn
Notre rapport à l’œuvre de Crespin a évolué sur une vingtaine d’années.
Au début des années 90 du siècle dernier, nous pensions avoir trouvé
en Crespin le témoignage d’une diffusion tardive des Centuries, à
savoir au lendemain de la mort de Michel de Nostredame. Certains
ouvrages de ce Crespin « dict Nostradamus »- selon la première
formulation que l’on trouve, dans les titres de ses impressions,
fourmillaient d’éléments qui se retrouvaient dans les Centuries[1]. Il
n’y a qu’à lire les bibliographies de Chomarat et de Benazra pour
remarquer à quel point de telles observations n’avaient pas encore été
faites dans les années 1989 -1990. On ne trouve pas davantage cette
information dans le Nostradamus astrophile de Pierre Brind’amour
(1993). Et puis, soudainement, quand parait, en 1996, l’édition
critique du chercheur québécois, qui venait de décéder, concernant les
Prophéties de M. Michel Nostradamus, Macé Bonhomme, 1555, les
Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation françoise
figurent dans le corpus de textes de P. Brind’amour. Il semble qu’il y
ait eu des « fuites » et que les mémoires que nous avions consacré à
Nostradamus, dans le cadre d’une thèse d’Etat dont la préparation
s’étala jusqu’en 1999, parvinrent à la connaissance de ce chercheur
que nous-mêmes fréquentions mais sans lui communiquer pour autant nos
travaux. Toutefois, nous l’avions incité à rechercher des preuves
extérieures aux éditions centuriques de leur circulation. Il est vrai
qu’à l’époque, personne ne se souciait d’apporter de telles preuves
dans la mesure où l’existence même des dites éditions faisait foi.
L’idée qu’il ait pu s’agir de contrefaçons n’allait pas au-delà du cas
de l’édition Pierre Rigaud datée de 1566 – et dont on savait qu’elle
avait été réalisée au début du XVIIIe siècle, l’erreur des faussaires
ayant été de confondre Pierre avec son père Benoist, lequel Pierre ne
pouvait exercer en 1566. L’erreur venait probablement de ces éditions
non datées parues à la fin du XVIe et au début du XVIIe que l’on
pouvait trouver dans les bibliothèques tantôt associées à Benoist,
tantôt à Pierre et les faussaires pensèrent probablement qu’ils
étaient frères et comme Benoist avait publié en 1568 une édition des
Centuries, pourquoi pas Pierre, dont les éditions étaient identiques,
en raison de la similitude extrême entre les éditions 1568 et celles
parues trente ans plus tard. Nous nous mettons ici, on l’aura compris,
dans la peau des faussaires eux-mêmes trompés par d’autres faussaires
du XVIIe siècle sans parler de ceux du XVIe.Il s’agit bien là d’une
tradition de contrefaçon nostradamique- avec les faux almanachs et les
fausses pronostications - d’abord, centurique ensuite.
Mais Crespin est-il un faussaire ? Nous ne le pensons pas. Le fait
qu’il reprenne le nom de Nostradamus ne trompe personne. On observe
une telle transmission de nom en Angleterre encore au XIXe siècle avec
la succession des Raphaels. Crespin ne se présente pas, en tout état
de cause avec le prénom Michel et l’on notera que c’est la forme «
Michel Nostradamus » qui fait référence dans les éditions centuriques,
le prénom ne disparaissant que dans des éditions modernes. Il serait
donc bon à l’avenir de ne jamais oublier le prénom pour ne pas
confondre avec Antoine Crespin Nostradamus, qui mérite vraiment le
titre de second Nostradamus que nous lui accordons. De fait, on notera
que sous le nom de Nostradamus, les bibliographes englobent tous les
auteurs qui se référent à ce nom et pas uniquement Michel Nostradamus.
Ce qui vient compliquer les choses, c’est que nous avons des centuries
de Michel Nostradamus qui rassemblent ses quatrains d’almanachs et des
centuries qui ne sont pas de sa plume et qui font appel à d’autres «
Nostradamus », comme Mi. De Nostradamus ou Nostradamus le Jeune sans
oublier, bien évidemment, Antoine Crespin-Nostradamus, même si
celui-ci employa par la suite le nom d’Archidamus, ce qui serait aussi
une façon de le distinguer. Mais, rétrospectivement, on comprend mieux
pourquoi dans les années 1580, on publie des Prophéties qui associent
le nom et le prénom, dans le but d’établir une distinction avec
d’autres Nostradamus. Mais dès lors, en précisant le prénom, on
bascule quelque part dans la contrefaçon, ce qui n’aurait pas été le
cas si l’on s’était contenté simplement de « Nostradamus » sans rien
ajouter de plus. Du vivant de Nostradamus, le problème ne se posait
pas encore puisqu’il était le premier de la lignée mais il n’en sera
plus de même par la suite. Il nous semble souhaitable, ou en tout cas
moins inadéquat, tant qu’à faire, de placer les « centuries » de
quatrains à durée non déterminée sous le nom d’Antoine Crespin
Nostradamus et ce d’autant que l’on n’est pas certain que Michel
Nostradamus mettait la dernière main à « ses » quatrains la
composition desquels lui échappait probablement en grande partie.
La légitimité de la filiation en quelque sorte professionnelle de M.
Nostradamus à A. C. Nostradamus nous semble confirmée par le fait que
sa vignette est la seule qui comporte en son sein son nom, à l’instar
de M. Nostradamus, dont le nom figure sur les vignettes de ses seules
pronostications ‘M. de Nostredame » : « AC Nostradamus, astrologue du
Roy ». Le prénom Michel est absent comme il se doit. Toutes les
épitres qui sont envoyées par Crespin à de hauts personnages
auraient-elles pu s’imprimer chez des libraires ayant pignon sur rue,
à commencer par Benoist Rigaud- si l’on était dans le domaine de
l’imposture ? Il faudrait en tout cas comprendre que l’imposture,
quand elle existe, a ses règles, ses codes et ses limites pour qu’elle
soit tolérée. C’est ainsi que Barbe Regnault publie des ouvrages sous
le nom de Nostradamus mais en utilisant des vignettes différentes qui,
elles, ne comportent pas son nom, en quelque sorte son sceau. Quant
aux quatrains mensuels qui finiront par y figurer, ils sont certes
repris de M. Nostradamus mais à partir d’almanachs d’années
antérieures, comme l’a bien montré Robert Benazra (RCN), ce qui les
déconnecte du texte en prose.
Mais venons en aux faits : à savoir que Crespin n’emprunte pas ses
textes à M. Nostradamus comme pourrait le faire croire une lecture
décalée qui était encore la notre en 2002[2], lorsque nous publiâmes
nos Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus.(aux éd. Ramkat,
dirigées par R. Benazra). A l’époque, nous nous contentions de ,nous
servir de Crespin pour situer la publication des Centuries après la
mort de M. Nostradamus, remettant donc en question toutes les
contrefaçons antidatées, censées être parues de son vivant. Par
contraste, l’on pouvait en effet noter qu’aucun phénoméne comparable
d’emprunt aux centuries « prophétiques », c'est-à-dire non fondées sur
un substrat astronomique n’avait pu être observé avant la mort de M.
Nostradamus. Nous avions d’ailleurs découvert le premier qu’il avait
fallu attendre 1570 pour trouver un quatrain centurique, dument
libellé, dans une épitre de Jean de Chevigny à Mgr Larcher –document
en l’occurrence contrefait. Nous avions également signalé la mention
dans les Significations de l’Eclipse de 1559 d’une « seconde centurie
», autre document contrefait. Bilan, en tout état de cause, bien
maigre pour une production centurique réputée, selon les biographes,
avoir rencontré un franc succès et qui contrastait justement avec
l’enseignement que nous pensions pouvoir tirer du phénoméne Crespin.
Nous n’avions pas compris, à l’époque, que ce qui se référait à 1568
n’était pas initialement du à une production posthume de ces fameuses
centuries mais à la parution (non conservée) du recueil de ses
quatrains d’almanachs, probablement augmenté d’une notice biographique
et de quelques commentaires, un matériau qui sera repris et complété
dans le Janus Gallicus, en parallèle avec le Recueil des Présages
Prosaïques (1589).
En 2005, nous donnâmes une communication au Congrès Mondial des Etudes
Juives au sujet de Crespin et des Juifs d’Avignon qui étaient un de
ses sujets de préoccupation, en utilisant un autre ouvrage de cet
auteur[3] Demonstracion de l’eclipce lamentable du Souleil, Paris,
Nicolas Dumont, 1571. A cette date, nous affirmions qu’il fallait lire
Crespin pour comprendre certains quatrains car le dit Crespin
accompagnait ses vers ou ses formules lapidaires de développements
fort copieux. On pouvait certes imaginer que Crespin soit allé prendre
des quatrains de M. Nostradamus pour illustrer son propos, ce qui en
aurait fait le tout premier commentateur des Centuries prophétiques...
Quelle était la position de Patrice Guinard face à nos travaux sur
Crespin[4] ? Pour lui, Crespin étant un « imposteur », son témoignage
ne valait pas grand-chose. En fait, ce serait un plagiaire qui non
content d’usurper un nom, s’emparait d’une œuvre. Etrange personnage
ce Crespin qui aurait repris des séries de quatrains, en ordre
dispersé, il est vrai, alors même que les Centuries étaient connues
d’un grand nombre ! Mais il est vrai que dans les années 1570, on a un
grand trou dans la série des éditions centuriques, que Guinard a tenté,
assez vainement, de combler en étalant les éditions Rigaud 1568 sur
toute la décennie alors que lesdites éditions furent réalisée au
milieu du XVIIe siècle, vraisemblablement à Troyes, tout comme
l’édition Pierre Rigaud 1566 le sera à Avignon au début du siècle
suivant... Crespin nous semble au contraire occuper le terrain
nostradamique pendant cette décennie 1570 et en fait prépare la
décennie suivante puisque c’est encore Crespin, mais cette fois
anonymement, qui sera mobilisé pour ressusciter M. de Nostradamus. Un
prêté pour un rendu.
Si l’on en croit nos sondages, réalisés avec la collaboration de
Robert Benazra, il y a une quantité considérable de textes parus dans
les ouvrages de Crespin que l’on retrouve dans les nouvelles
Centuries, à commencer par le premier quatrain de la première centurie.
Or, ce quatrain se retrouve également dans telle ou telle publication
de Nostradamus le Jeune, ce qui nous interpelle quant aux relations
entre ces deux personnages qui tous deux s’adressèrent au duc
d’Alençon, le dernier fils de Catherine de Médicis.
-Prognostication et prédictions des quatre temps pour l’an 1572 (…)
contemplé & calculé par M. Anhoine Crespin, Lyon, Melchior Arnoullet (à
rapprocher de François Arnoullet l’éditeur des Prophéties du même
Crespin) BNF.
-Présages pour treize ans continuant d’an en an iusques à celuy de mil
cinq cens quatre vingt trois, (mis) en lumière par M. de Nostradamus
le Jeune, Paris, Nicolas du Mont 1571 (Bib. Ste Geneviève).
En outre, le même libraire parisien, Nicolas Du Mont publie, on le
voit, les Présages pour 13 ans de M. Nostradamus le Jeune mais aussi
la Démonstracion de l’éclipce lamentable et l’Epitre démonstrative à
Elisabeth d’Autriche, de Crespin qui sortent chez ce libraire qui ne
s’en plaint pas moins, hypocritement, de tous ces imitateurs de
Nostradamus qui font marcher son commerce..
On peut se demander si ces deux personnages ne faisaient pas qu’un. Le
moins que l’on puisse dire est qu’ils se communiquaient leurs textes.
En 1578, dans une édition Rigaud, Crespin se plaint de toute une série
d’imposteurs dont d’ailleurs un Nostradamus le Jeune dont cependant on
ne connait plus d’édition depuis le début des années 1570. Il semble
que les éditions ultérieures de Crespin des années 1580 pourraient
être des reprises ou des recyclages de ses textes de la décennie
précédente, notamment la Prophétie Merveilleuse contenant au vraie les
choses plus mémorables qui sont à advenir depuis cette présente année
1590 iusques en l’année 1598, parue chez Pierre Ménier en 1590. Or ce
libraire est un des libraires parisiens qui publient les nouvelles
Centuries. On a une première édition de Ménier datée de 1589. Nous
avons montré, dans de précédents mémoires, que cette « Prophétie
Merveilleuse », datée du 20 mars 1589, au lendemain de l’assassinat
d’Henri III, censée avoir été dédiée au Roi choisi par la Ligue, un
autre Bourbon qui devient Charles X, reprenait des données
astrologiques parues sous le nom de Crespin et qui ne correspondaient
plus du tout à l’année 1590. C’est dire que le lien entre Crespin et
les « Prophéties de M. Michel Nostradamus », que le dit Crespin soit
ou non encore en vie, ce qui importe assez peu, nous semble avéré.
Il convient donc de réhabiliter Crespin dont les textes alimenteront
indifféremment les 10 centuries et qui constitue donc une source
privilégiée de ce corpus et non pas seulement un témoignage. Autrement
dit, s’il y a des différences entre le corpus centurique et le corpus
Crespin, ce n’est pas dû à quelque étourderie de Crespin mais à des
ajustements de la part de ceux qui l’utilisent.
Dès lors que les faussaires – au sens où ils veulent faire passer un
Nostradamus pour un autre- pouvaient puiser dans un ensemble de textes
dans le style Nostradamus – et ils ne parvinrent pas à l’épuiser comme
on peut le voir en notant que de nombreux textes parus alors et qui
auraient pu servir ne furent pas mobilisés – on ne s’étonnera plus de
la rapidité avec laquelle des centuries supplémentaires purent être
pettes dans des délais apparemment fort courts. Il ne restait plus en
effet qu’à procéder à quelques ajustements sut un matériau amplement
fourni.
JHB
17. 08. 12
[1] Fortune du prophétisme d’Antoine Crespin, in Analyse, Espace
Nostradamus.
[2] Nous avions déjà développé cette thèse dans notre doctorat d’Etat.
Le texte prophétique en France (cf site propheties.it)
[3] Voir le texte anglais de notre conférence sur nos HR.
[4] Voir de P. Guinard le récent CN 142- « Analyse critique des 22
opuscules connus mis au nom de Crespin (1570-1578, 1585-1604 »
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95 - Nostradamus et le seiziémisme en échec.
Par Jacques Halbronn
Nos travaux sont-ils bien perçus par les seiziémistes ? On peut en
douter et nos récentes découvertes n’ont pu qu’aggraver la situation.
Y voit-on là quelque trahison de notre part ? Ce qui est clair, c’est
que le domaine de ce qui touche à Nostradamus a longtemps été perçu,
selon une sorte de logique évidente, comme étant la chasse gardée des
seiziémistes, terme que revendique, d’ailleurs, un Patrice Guinard
dans l’article Wikipedia le concernant. Le colloque Nostradamus de
1985 qui se tint à Salon de Provence fut surtout une affaire de
Seiziémistes avec notamment Jean Dupébe, Jean Céard, Michel Simonin.
Il nous apparait, paradoxalement, que nos investigations contribuent à
renouveler certaines représentations relatives à ce siècle, dans la
mesure même où certains acquis se trouvent remis en question sous
l’angle d’un seiziéme siècle imaginaire ou instrumenté, fabriqué voire
contrefait par les deux siècles suivants. Longtemps, un argument aura
prévalu, selon lequel le XVIe siècle serait inimitable. Il l’aurait
été doublement, à la fois au niveau du style et à celui du papier.
C’est ainsi qu’un seiziémiste digne de ce nom serait tout à fait
capable, de par son expertise, de déceler une fausse édition, dans la
forme comme dans le fond, au regard de certains critères suffisamment
fiables. Or, nos travaux ont montré à quel point une telle assurance
était peu fondée, du moins pour les années 1550-1560 qui sont les plus
sinistrées quand on dresse un certain bilan des progrès de la
recherche nostradamologique des vingt dernières années. Récemment, un
seiziémiste comme Denis Crouzet qui a consacré un ouvrage à
Nostradamus s’est imprudemment exposé à la critique, sans avoir
conscience de tous les pièges qui menacent le chercheur dans ce
domaine. L’exercice de la biographie sans un fort travail préparatoire
au niveau bibliographique est casse-cou. D’ailleurs l’ Histoire
n’est-elle pas foncièrement tributaire de l’étude des textes, de la
textologie, des « monuments « avec toutes les contrefaçons qui
l’accompagnent ? Peut-on d’ailleurs être historien sans être formé à
la question des faux ? En outre, peut-on encore être historien sans
être capable de se mesurer à différentes hypothèses voire à des «
spéculations » qu’il faut comparer et soupeser en raison même de la
déperdition, de la corruption des documents dont on dépend
inévitablement ? En fait, les seiziémistes, dans leur ensemble,
semblent assez démunis et dépourvus dès qu’il s’agit de reconstituer
des éléments manquants ou de rejeter des facteurs douteux. Et la façon,
donc, dont ils se sont comportés dans le domaine Nostradamus depuis
deux ou trois décennies, ne les met pas vraiment à leur avantage
puisqu’ils n’ont pas su déceler les chausse trappes temporels
construits par l’édition nostradamiste depuis la mort de Nostradamus
en 1566.
Nous pourrions récapituler toutes les erreurs de jugement à mettre au
passif des seiziémistes bon teint, le bilan s’étant encore récemment
alourdi. Il est vrai qu’une première alerte avait été entendue au
siècle dernier – il y aura un siècle en mars 1913[1], quand l’édition
Pierre Rigaud fut dénoncée comme un faux datant du XVIIe puis, par la
suite, du XVIIIe siècle. Or, s’il n’y avait pas eu un anachronisme
flagrant, aurait-on pu aisément crié au faux ? Mais il s’agit ici de
contrefaçons grossières qui n’en sont d’ailleurs peut être même pas.
On pense en effet qu’il faudrait plutôt parler de reconstitutions
historiques, à prendre au second degré, comme lorsque un Corneille ou
un Racine écrivent, en plein XVIIe siècle, des pièces antiques.
A la décharge de ceux qui se sont investi dans cette galère du
nostradamisme, vient se rajouter la question même du prophétisme
lequel est censé se projeter dans le futur, ce qui rend la preuve de
l’anachronisme plus délicate à apporter, d’autant que les situations
se répètent d’une époque à l’autre. Paradoxalement, un document n’est
un faux que pour ceux qui ne se rendent pas compte que c’est un faux.
Ce qui fait que l’on peut, sans exagération, affirmer que certains
historiens sont des faussaires du fait qu’ils entérinent un document
auquel ils accordent une importance démesurée et qu’ils
l’instrumentalisent en faveur de leurs thèses.
On ne compte plus les documents contrefaits qui ont été pris pour
argent comptant par tel historien, tel bibliographe, tel biographe,
sans la démarche critique voulue. Mais une attitude frileuse souvent
prévaut : on s’en tiendra à la chronologie dictée par les pages de
titre des documents, la période d’activité des libraires et si tout «
colle », on n’ira pas chercher plus loin.
Dans le cas du dossier Nostradamus, les choses se compliquent du fait
que dans nombre de cas les pages de titre ne correspondent pas à leur
contenu tant et si bien que l’on a parfois l’impression que tout a été
mélangé, interverti. On entend alors tel nostradamologue nous
expliquer que dans telle édition, des éléments ont disparu puis sont
réapparus un peu plus tard dans telle autre. Le cas le plus énorme est
celui de cette édition à dix centuries censée parue en 1568 qui est
remplacée sous la Ligue par une édition à six centuries, vingt ans
après. Il y aurait ainsi des moments d’amnésie suivis d’une anamnése
où soudainement tout redevient comme avant et parfois l’on se demande
s’il n’y a pas des projections à l’œuvre.
Il faut bien avouer que les libraires du milieu du XVIIe siècle,
probablement à partir de Troyes en Champagne auront brouillé les
pistes en intervenant par des publications antidatées, de façon
quelque peu irresponsable, sur le terrain du siècle précédent, sans
réellement songer à ce qui se passerait dans la tête des historiens
des siècles suivants. Mais pensaient-ils à mal en produisant des
éditions des centuries datées 1568 ou une édition Macé Bonhomme datée
1555 ? Ils avaient pourtant annoncé la couleur. Les éditions « Pierre
du Ruau » ne cessaient de se référer à une édition Rigaud 1568 et à
force l’on en arriva à confectionner une telle édition en dupliquant
tout simplement les éditions Rigaud des années 1590. Et le tour était
joué. Le plus étrange est que ces éditions Rigaud 1590, quant à elles,
ne mentionnent pas une telle édition 1568. La connaissance de
l’existence d’une telle édition ne tenait qu’à une mention dans la
Bibliothèque de Du Verdier (Lyon, 1585) signalant des quatrains parus
en 1568 chez le dit Benoist Rigaud. En fait, le silence des Rigaud sur
cette édition, c’est qu’elle contenait tout autre chose que les
Prophéties parues à la fin des années 1580, à savoir les quatrains des
almanachs dont on notera que les éditions Rigaud sont totalement
dépourvues. Ce qui laisse entendre que les Rigaud ne suivaient pas
Jean Aimé de Chavigny dans sa démarche de réinterprétation des
quatrains des années 1555 à 1567, lequel Chavigny qui ne faisait qu’un
avec Chevigny – contrairement à ce qu’affirme Jean Dupèbe- avait
probablement contribué à la dite édition posthume de 1568 à ne pas
confondre évidement avec celle inventée au XVIIe siècle. Poussés par
une ambition reconstitutive, les mêmes libraires se décidèrent à
composer une généalogie d’éditions en trois épisodes : 1555 pour le
premier stade, attesté dans les éditions parisiennes de la Ligue, puis
1557 correspondant au deuxième stade à 7 centuries et enfin 1568 avec
le stade à 10 centuries. Et toute cette production rétrospective
devint rétroactive dans la tête des nostradamologues du XIX et du XXe
siècles, d’Anatole Lepeltier, sous le Second Empire, à Pierre
Brind’amour, à l’approche de l’An 2000. Les biographes ne se privèrent
pas de nourrir leurs travaux de cette manne et d’affirmer que la
réputation de Nostradamus avait surtout tenu à ces parutions bien plus
encore qu’à ses almanachs dont les quatrains n’avaient d’ailleurs pas
la même densité prophétique. En quelque sorte, la fausse monnaie
chassait la bonne et les nouveaux quatrains éclipsaient les anciens,
dans l’esprit, faut-il le préciser des seiziémistes. Ce qui nous
rappelle que le principal reproche que l’on adressait aux historiens
aux XVII et XVIIIe siècle était de donner crédit à des fables, ce qui
a toujours été leur talon d’Achille, Nostradamus étant visiblement le
maillon faible du seiziémisme universitaire.
Mais le pire était à venir car face à des travaux mettant en évidence
un certain nombre de ces contrefaçons, la réaction consista à adopter
des positions défensives, à crier au canular (expression employée par
Patrice Guinard) voire au sacrilège antinostradamique. On ironisait
sur les prétendues facultés des faussaires à fabriquer de toutes
pièces tout un lot d’éditions antidatées. Le tort de ceux qui tenaient
ces thèses jugées scandaleuses était de ne pas savoir situer la
période durant laquelle avait été programmée une telle entreprise. On
laissait entendre que cela s’était fait à la fin du XVIe siècle, on
n’osait pas franchir le cap du siècle suivant. Or, paradoxalement,
plus l’on s’éloignait du temps de Nostradamus et plus l’idée de
restaurer le dit temps ferait sens, selon une veine nostalgique mais
aussi quelque peu démiurgique : l’on pouvait, grâce à la technique de
l’impression, remonter le temps.
Certes, il y avait le précédent de l’édition Pierre Rigaud 1566, dont
la contrefaçon faisait consensus mais cela devait rester l’exception
qui confirme la règle et non le couronnement d’un processus déjà
engagé durant toute une partie du XVIIe siècle. Il fallait absolument
isoler le cas Rigaud 1566, que Benazra situait au début de la Régence
et l’œuvre de libraires avignonnais. Certes au début du XVIIe siècle,
un Du Ruau aurait tenu à rendre hommage à Rigaud mais on situait cela
dans les années 1630. Aucun lien entre Rigaud 1568 et Rigaud 1566
n’était surtout à établir. Benoist Rigaud n’avait –il pas bel et bien
exercé en 1568 et Macé Bonhomme en 1555, Antoine du Rosne en 1557 ?
Que demander de plus ?
En fait, tout se passe comme si la démarche critique d’un
Klinckowstroem était tombée dans le vide et que durant tout le reste
du siècle, la recherche nostradamologique avait stagné ou plutôt
s’était encore plus enfoncée. Qu’on en juge, on était parti à la
chasse aux anciennes éditions des Prophéties et l’on en avait rapporté
des exemplaires bien réels. En effet, jusqu’alors, les chercheurs
compulsaient des catalogues, reprenaient des descriptions de telle ou
telle édition mais finalement, on n’avait pas un accès tangible aux «
premières » éditions. Un club de chercheurs lyonnais- les Amis de
Michel Nostradamus - allait lancer une grande enquête auprès des
bibliothèques du monde entier afin de « localiser » les éditions et
cela déboucherait en 1989 et 1990 sur les bibliographies de Michel
Chomarat et Robert Benazra mais aussi sur la production de fac similes
des éditions 1555, 1557 ( Bib. Budapest), 1568. On notera que Daniel
Ruzo, un collectionneur péruvien installé au Mexique gardera par
devers lui jusqu’à sa mort et au-delà des pièces majeures de sa
bibliothèque, et notamment les éditions parues à Rouen en 1588 et
1589, la première, malheureusement actuellement indisponible même en
reproduction, correspondant à un état encore non centurisé des
quatrains. (349 au total, selon une description fournie par le dit
Ruzo (Le Testament de Nostradamus, trad. fr. 1982, Rocher) et qui aura
servi à constituer la première partie du premier volet, celui qui est
censé correspondre à Macé Bonhomme, ce qui ipso facto ne permettait
plus de considérer l’édition Macé Bonhomme comme la première, à moins
que Rouen 1588 n’ait récupéré un manuscrit.
Lisons quelques passages de ces présentations de fac similés exhumés.
Macé Bonhomme, 1555. Les Amis de Michel Nostradamus. 1984
« La Ière édition enfin retrouvée ! » Préface de R. Benazra.
« Les Prophéties de M. Michel Nostradamus ont été imprimées à Lyon
chez Macé Bonhomme ». Au lieu de signaler bibliographiquement
l’existence d’un tel exemplaire, l’on saute à une affirmation
biographique imprudente. L’auteur récite le scénario en trois parties
: 1555, 1557, 1568, en sautant l’étape 1560 relative à la VIIe partie,
édition d’autant plus embarrassante que l’édition 1557 a déjà la
centurie VII. Il ne comprend pas que plusieurs scénarios de
contrefaçon sont en concurrence ou se succèdent.
En 1996 parait l’édition critique par P. Brind’amour (décédé en
janvier 1995) de Macé Bonhomme 1555 (Les premières centuries ou
Prophéties, Genève, Droz, 1996). Le chercheur québécois s’arrête sur
le cas Crespin (pp. XXVI et se) dont il avait pris acte peu avant sa
mort : « Ce texte en ce qui concerne les 354 premiers quatrains n’est
pas celui de l’édition Macé Bonhomme de 1555 (…) De plus, l’auteur
pille abondamment les quatrains des centuries postérieures »
En fait, notre position actuelle est diamétralement opposée à la
lecture que Brind’amour donne de Crespin. C’est Crespin qui a été
pillé par ceux qui ont fabrique des Centuries et on peut dire que le
faux tient à ce que l’on ait voulu attribuer à Michel Nostradamus ce
qui était d’Antoine Crespin Nostradamus. Brind’amour signale (pp. LII
et seq) l’épitre de Jean de Chevigny à Larcher (de 1570) qui comporte
un quatrain de Nostradamus, avec sa référence précise au sein de la
centurie II. De tout cela il conclut que les Centuries étaient en
place au plus tard à la fin des années soixante. Pourtant Brind’amour
est un des premiers à prendre connaissance de la réapparition publique
d’un manuscrit majeur, le Recueil des Présages Prosaïques, qui se
présente comme la maquette d’une impression à venir, sous la direction
de Chavigny. B. Chevignard qui éditera en 1999 (Ed Seuil) les années
1550 du dit Recueil ne procéde pas à une relecture du Janus Gallicus
du même Chavigny qui aurait pu lui faire prendre conscience de la
vraie signification de la mention par Du Verdier dans sa Bibliothèque
d’une collection de quatrains parus en 1568 chez Benoist Rigaud.
Benazra note en tête de sa présentation du fac simile Du Rosne 1557
(Budapest) (Lyon,1993, Ed. M. Chomarat) : « Antoine du Rosne édite
pour la première fois la seconde partie des Centuries, (..) qui se
termine avec le quatrain XL de la VIIe Centurie ». Benazra note (p.
13) que dans cette édition, un seul mot est en capitales, AUGE (I, 16)
alors que l’édition 1555, précise-t-il, est caractérisée par ce
procédé.
Gérard Morisse (Budapest, 2004) présente lui aussi le même exemplaire
(« Nostradamus cet humaniste » qu’il peut comparer avec celui
découvert à la Bibliothèque d’Utrecht sans signaler que cette édition
annonce, en son titre deux additions donc deux volets, à la différence
de l’exemplaire de Budapest. En fait ces deux éditions 1557 ne sont
nullement contemporaines : l’une (Budapest) est la production des
années 1580-90, l’autre, inspirée de la première mais intégrant la
production Rigaud des années 1590, est le produit des années 1640-1650
(Utrecht). Utrecht est donc une contrefaçon de Budapest qui est
elle-même une contrefaçon antidatée de l’édition Chavigny- Rigaud de
1568, faisant passer une série de quatrains qui ne sont pas de
Nostradamus mais de ses « disciples » et notamment de Crespin
Nostradamus pour une autre constituée des quatrains des almanachs de
M. Nostradamus... Mais Crespin n’est pas responsable de cette
supercherie qui s’opère alors que vraisemblablement il n’est déjà plus
en activité (on ignore la date de sa mort mais en 1590, parait un
texte sous son nom (la Prophétie Merveilleuse, chez Pierre Mesnier un
des libraires parisiens qui publient les « Prophéties ») qui recycle
une de ses publications.
Quant à Morisse, il se fait l’écho de nos thèses sur les contrefaçons.
(pp. 37 et seq) qu’il résume ainsi : « les faussaires (..) n’ont fait
qu’imiter le matériel typographique de Macé Bonhomme et d’Antoine du
Rosne (…)Les éditions de 1555 et 1557 ne sont donc parues qu’un
certain nombre d’années plus tard, vers 1580 environ »
Passons à la présentation du fac simile d’un exemplaire de Benoist
Rigaud 1568 (Lyon, 2000, ed M. Chomarat) M. Chomarat (p. 17) se fait
l’écho de doutes au sujet de l’authenticité du second volet ; il
mentionne le probléme suivant : » Dans l’hypothèse d’une deuxième
partie des Prophéties qui serait fausse, un indice peut aller dans ce
sens, à savoir l chronologie biblique (…) de la Lettre à Henri II est
totalement différente, tant dans le calcul que dans l’énoncé,
lorsqu’on la compare à celle qui se trouve dans l’almanach pour 1566
». On note donc que Chomarat exprime ses doutes sur l’authenticité du
second volet (p. 20). Il ajoute : « Comment Nostradamus aurait-il pu
commencer la rédaction de la VIIIe Centurie et des suivantes, sans
avoir au préalable achevé la VIIe incomplète ? Approche que l’on peut
qualifier d’hypercritique (et qui conduira Bruno Petey- Giard, pour
l’édition Garnier, à ne pas inclure les centuries VIII-X, pour le cinq
centième anniversaire de la naissance de Nostradamus, en 2003). La
démarche de Chomarat introduit ainsi un étrange distinguo entre un
premier volet qui serait assurément authentique et un second volet qui
serait douteux. On sacrifie un volet pour sanctuariser un autre. En
réalité, on a bien affaire à un ensemble contrefait de dix centuries.
Cela dit, il est intéressant de s’arrêter sur le cas de la centurie
VII.
Il y a tout un débat autour de la mention dans les éditions
parisiennes d’une addition de 39 (Roffet, Roger, Mesnier) « articles »
à une « dernière » centurie. Pour Patrice Guinard, dans son Corpus
Nostradamus (Site Cura.free.fr) qui se déploie dans la première
décennie du XXIe siècle (voir son étude in Revue Française d’Histoire
du Livre, Droz,2008), ces 39 articles n’ont strictement rien à voir
avec la centurie VII. Une telle mention décrirait une particularité
des éditions parisiennes, concernant des quatrains redoublés et
quelque peu retouchés au nombre en effet de 39, ce qui n’épuise
nullement la question de l’addition à la dernière centurie. Tout
semble indiquer en effet que la dernière centurie ait été la centurie
VI se terminant par un avertissement en latin qui est d’ailleurs
supprimé dans les éditions à 7 centuries (Anvers, Du Rosne Budapest).
A cette date, on n’a pas encore produit les centuries VIII-X mais on
entend prolonger la centurie VI d’un appendice, d’où cette fiction
d’un Nostradamus décidant en 1560 d’ajouter encore quelques dizaines
de quatrains mais sans constituer une centurie VII. On en arrive à
produire une contrefaçon Barbe Regnault et Vve Buffet qui corresponde
à ce scénario. Comment dès lors expliquer que Budapest 1557 comprenne
déjà la centurie VII alors même que son titre suppose un ensemble de 3
centuries supplémentaires (IV complétée, V, VI) ? Il s’agit là très
vraisemblablement d’une contrefaçon retouchée d’une édition à six
centuries mais dont on n’aura pas voulu changer le titre. Un tel
procédé est amplement attesté puisque l’édition Anvers 1590 se réfère
carrément à l’édition 1555 à quatre centuries (ce qui est confirmé par
l’addition à la Ive centurie d’une addition, dans les éditions
parisiennes de la Ligue) tout en produisant un ensemble de sept
centuries. Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’une telle édition
dument datée 1555 (chez Pierre Roux, à Avignon, selon ce qui est
indiqué à Anvers 1590) ait été produite. En tout cas, elle a été
imaginée. On aura finalement préféré situer la production à six
centuries en 1557. Il est possible que l’édition disparue Olivier de
Harsy (ou Le Hardy) ait correspondu à la première version à 6
centuries et que l’on ait opté pour Antoine du Rosne pour la version
augmentée tout en gardant l’ancien titre. Pour compléter le tableau,
rappelons que les éditions parisiennes de la Ligue qui comportent
mention de cette addition de 39 quatrains ne comportent pas celle-ci,
ce qui explique les tentatives de P. Guinard pour neutraliser de
telles mentions. Cela dit, les doutes exprimés par Michel Chomarat
quant au statut de la centurie VII nous invitent à réfléchir sur la
jonction entre les deux volets centuriques, chacun introduit par une
épitre, l’une datée de 1555, l’autre de 1558. Pourquoi n’a-t-on pas
procédé comme pour la centurie IV en la complétant pour en faire le
départ d’un deuxiéme train de 300 quatrains ? Si ce n’est que les
choses ne se sont pas passés aussi simplement que cela, puisque les
éditions parisinnes de la Ligue attestent de l’état d’une centurie VI
encore incompléte, même en y intégrant les quatrains de la VII au
nombre de 12 (cf almanach pour 1561) et numérotés dans la continuité
du dernier quatrain de la VI, le 71e ? La centurie VIII n’aurait-elle
pas du commencer après le quatrain 40 ou 42 de la VII. Pourquoi le
procédé n’a-t-il pas resservi comme par le passé et pourquoi faire une
seconde épitre ? On notera que ce n’est probablement pas par hasard
qu’existe le nombre 58 dans la littérature centurique qui a pu
inspirer les 58 sixains de Morgard, lesquels seront d’ailleurs
introduits dans le canon centurique précédés d’une Epitre à Henri IV,
datée de 1605, mais sans lien avec la centurie VII. On peut penser
qu’un module de 58 quatrains a du exister qui n’aura pas été conservé.
En ce qui nous concerne, à partir des années 1980, nous avions mis en
œuvre le Catalogue Alphabétique des Textes Astrologique Français (CATAF),
qui aurait du paraitre aux Ed. Guy Trédaniel – mais à la place nous
avons publié, en 1990, le Répertoire Chronologique Nostradamique de
Robert Benazra, avec une préface de Jean Céard,- et qui finalement fut
accueilli sur le site du CURA de P. Guinard, en 1999 (à présent sur le
site grande-conjonction.org). Notre approche initiale n’était
nullement polarisée sur Nostradamus mais englobait un ensemble
considérablement plus large, en indiquant pour chaque ouvrage les
localisations en bibliothèque, dans le monde entier, en nous rendant
sur place. Notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France.
Formation et fortune, soutenue tardivement en 1999, sous la direction
de Jean Céard (avec dans le jury Olivier Millet, auteur d’un travail
sur Nostradamus), ne consacrait qu’un tiers à Nostradamus. Seul notre
post doctorat (EPHE V e section, 2007) – avec dans le jury notamment
Hervé Drévillon, Jean Dupébe et Bernard Chevignard, tous trois auteurs
de travaux sur Nostradamus- n’est voué qu’à ce dossier alors que les
autres bibliographes ont d’entrée de jeu abordé le terrain de la
bibliographie astrologique par le seul biais de ce qui touchait
Nostradamus ; Il y a là une différence de méthodologie qui n’est
probablement pas indifférente et qui nous a amené à resituer les
choses autrement, à la lumière d’une expérience sensiblement plus
vaste du champ astrologico-prophétique et des cas de figure pouvant se
présenter.. Le Corpus Nostradamus de P. Guinard est manifestement
influencé, dans sa présentation et dans son contenu, par le CATAF
numérisé, tout comme il le fut par le fonds de la Bibliotheca
Astrologica qui en était le pendant papier et dont il est devenu le
dépositaire depuis 2010.[2]
Pour en revenir au XVIIe siècle, celui-ci nous apparait comme un
siècle fortement intéressé par les sources, par les « lettres de
noblesse ». On prendra le cas du libraire Antoine Besson, qui publie,
au début des années 1690, une édition des centuries comportant des
variantes remarquables notamment au regard de la Préface à César,
variantes déjà rendues en 1672 par la première traduction anglaise des
Centuries (Théophile de Garencières). La réaction d’un Patrice Guinard
sera évidemment de considérer la version Besson comme l’œuvre d’un
faussaire, se permettant de modifier, à sa guise, le texte canonique
de la dite Préface mais il faudrait remonter au texte anglais de 1672
qui offre les mêmes particularités et dont on ne dispose pas de
l’original français, du moins avant celui qui reparaitra vingt ans
plus tard chez le dit Besson. Cette version est en effet bien plus
satisfaisante et met en évidence les carences du texte canonique de la
Préface, avec des phrases tronquées.
La mentalité des libraires du XVIIe siècle et de ceux qui travaillent
pour eux est marquée par une volonté à la fois de reconstituer les
éditions absentes, censées parues du vivant de Nostradamus et de
rassembler un maximum de données anciennes – on voit réapparaitre dans
les éditions « Pierre Du Ruau » (vers 1643-1644) et à leur suite dans
d’autres éditions à paraitre à Amsterdam et ailleurs, le quatrain VI
100 et l’avertissement latin corrigé (Legis Cautio), deux éléments
absents des éditions du Rosne Budapest et d’Anvers 1590, le dit
quatrain VI 100 ne figurant ni chez Rousseau 1590 ni dans aucune
édition Rigaud, y compris Du Rosne 1557 et Pierre Chevillot, alors que
l’avertissement latin mais sous une forme corrompue – s’y trouve. Il
serait bon d’apprendre à distinguer entre les contrefaçons du XVIe
siècle et celles du siècle suivant et de ne pas les considérer en bloc
comme étant toutes parues du vivant de Nostradamus ou au lendemain de
sa mort, ce qui ne fut en réalité le cas d’aucune. On peut être tenté
de placer à la suite l’une de l’autre les deux éditions du Rosne 1557.
(Budapest et Utrecht) mais chacune de ces éditions est marqué par un
environnement d’éditions centuriques bien différent.
Le cas des éditions Benoist Rigaud est emblématique : aucune édition
du XVIe siècle des Centuries ne mentionne l’an 1568, y compris les
éditions Rigaud. Ce sera l’affaire du XVIIe siècle, selon nous du fait
de la récupération d’une « bibliothèque » d’ouvrages, qui rappellera
qu’en 1568 était parue chez Rigaud une édition de quatrains (mentionnée
par Du Verdier en 1585), si ce n’est que ces quatrains étaient ceux
des almanachs de Nostradamus. Du Ruau va axer toute sa production,
autour de 1643-1644 sur cette année 1568 et dans la foulée il produira
carrément des éditions Rigaud ainsi datées. Mais à partir de cette
époque, la référence Rigaud n’appartient plus à cette famille ni à
Lyon, mais se décline à Troyes et à Avignon.
Le XVIIe siècle nostradamique offre ce double visage : à la fois, il
produit des éditions antidatées qui viendront renforcer celles du
siècle précédent et sans ce « renfort », le dossier des parutions dans
les années 1550-1560 serait bien maigre et à la fois il exhume des
documents authentiques qui avaient été pour quelque raison évacués. On
en donnera pour preuve supplémentaire le cas de la traduction anglaise
de 1672 qui restitue une version différente de celle de Chavigny, dans
le Janus Gallicus – et des éditions qui en dériveront - du « Brief
Discours sur la Vie de Maistre Michel de Nostredame. ». Il s’agit
notamment de la pierre tombale, par ailleurs reproduite identiquement
dans la pseudo édition Pierre Rigaud, réalisée à Avignon vers 1716.
« The inscription of his Epitaph (…) Anna Pontia Gemella ; conjugi
optimo ». Or, cette partie de l’épitaphe est absente de la version
Janus Gallicus. Elle ne peut donc lui avoir été empruntée et reprend
des éléments d’une version antérieure, probablement celle parue en
1568 en tête du recueil Rigaud 1568 du commentaire des quatrains des
almanachs. Mais comment se fait-il que Chavigny restitue en 1594 un
état aussi corrompu du texte ? En fait, Chavigny remanie
considérablement ce texte, ce qui ne signifie pas qu’il n’en ait pas
été l’auteur au départ. Ironiquement, les lecteurs anglophones de
l’édition Garencières 1672 auront bénéficié d’un ensemble de pièces
sensiblement différent des lecteurs francophones des éditions
centuriques, sans d’ailleurs, jusqu’à ce jour, en avoir pris
conscience.[1]
Epistémologiquement, nous dirons qu’il est éminemment souhaitable de
ne pas cantonner une recherche sur la seule période apparemment
concernée et d’aller explorer plusieurs décennies tant en amont qu’en
aval en évitant tout compartimentage a priori, une recherche devant
justement à réviser certaines perspectives. On voit, en l’occurrence,
l’utilité d’une telle démarche dans le cas Nostradamus. La période des
années 1550-1560 aura été doublement revisitée : d’abord sous la Ligue
et sous le règne d’Henri IV puis sous la Fronde et sous le régne de
Louis XIV. Ce faisant, cette période aura été « gonflée », »dopée »
d’éléments surajoutés qui, de surcroit, se seront surimposés aux
données authentiques. Il est, en vérité, impossible voire suicidaire
dans le champ nostradamique de ne pas prendre en compte les éditions
manquantes, la prudence ici devenant imprudence. C’est en fin de
compte les méthodes de la bibliographie qui sont amenés à changer,
elles exigent une certaine aptitude à conduire un raisonnement, à
formuler et à soupeser les arguments en présence et c’est ce qui
confèrera à la recherche bibliographique un véritable caractère
scientifique, susceptible d’attirer une nouvelle génération de
chercheurs d’une autre trempe.
JHB
20. 08. 12
[1] Nous consacrerons une étude nostradamienne entière à la version
garencières de la Vie de Nostradamus
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96 - Les deux volets de prophéties- quatrains :
almanachs et centuries.
Par Jacques Halbronn
Nous invitons à une relecture de la Préface à César, laquelle avait
été lue jusqu’à présent sans référence aux quatrains des almanachs. Or
cette série y est bel et bien désignée comme constituant un premier
train de prophéties.
Les trois épitres « centuriques » que nous connaissons comportent
toutes les trois une dimension de confidentialité qui contraste avec
le fait que des impressions existent qui se veulent contemporaines de
leur date affichée de rédaction.
C’est clair pour la Préface à César, datée de 1555, parfois de 1557 (éditions
parisiennes de la Ligue) où il est mentionné explicitement « après la
corporelle extinction de ton progéniteur »
Dans le cas de l’Epitre à Henri II, c’est moins évident mais cela le
devient davantage, rétroactivement, à la lecture de l’Epitre à Henri
IV, datée de 1605, mais calquée sur l’Epitre à Henri II, et
éventuellement sur celle de Chavigny datée de 1594, en tête du Janus
Gallicus, on lit « désireux que vostre Majesté en eust la cognoissance
premier que nul autre ». En outre, cette Epistre se présente comme
posthume et n’est pas censée être de la plume de « feu Michel
Nostradamus », ne serait-ce que par la date. Il est indiqué « par moy
tenues en secret », formule qui n’est pas sans évoque l’Epitre de Jean
de Chevigny à Larcher ou la fin du Brief Discours sur la vie de M.
Michel de Nostredame, concernant les centuries XI et XII. On notera la
mention récurrente concenant les éditions augmentées « non encores
iamais esté imprimées » (au titre du premier comme du second volet »,
procédé utilisé à deux reprises, lors du passage de 4 à 6/7 centuries
et de 7 à 10 centuries. Notons que la formule laisse entendre que ces
textes avaient pu circuler depuis quelque temps mais n’avaient pas
encore fait l’objet d’une impression s’adressant ipso facto à un
public plus large que la personne de son destinataire.
Mais revenons à l’epistre à Henri II. Si celle de 1556 était bien
vouée à parâtre immédiatement, en tête des Présages Merveilleux, le «
remake » de 1558 mentionne « ces trois centuries du restant de mes
Prophéties parachevant la miliade « , soit dix centuries. Nostradamus
ou du moins ce qu’on lui fait dire se réfère à sa « terrenne
extinction », comme dans la Préface à César. « Plus sera (compris) mon
escrit qu’à mon vivant »
Apparemment l’épitre à Henri II ne se situe pas dans une logique
posthume comme les deux autres. C’est la seule dont il serait justifié
de dire qu’elle était vouée à paraitre au lendemain de la date de la
rédaction, même si elle se présente comme « terminale » puisqu’elle «
parachève » la miliade. Cela dit la version atypique Besson (c 1691)
de l’épitre introduit un doute : « ces miennes premières prophéties et
divinations parachevant la miliade », le mot centurie n’étant pas ici
utilisé ni le nombre de quatrains. On retrouve le mot « premier »
comme dans l’Epitre à Henri IV, dans une phrase qui semble ne pas
faire grand sens : comment, donc, les dites « premières » prophéties
pourraient-elles « parachever » et pourquoi les centuries VIII-X qui
suivent pourraient-elles être appelées « premières » ? L’autre version
« ces trois centuries du restant de mes prophéties parachevant la
miliade » semble plus correcte ou en tout cas mieux ajustée. Mais on
ne peut exclure que cette épitre à Henri II ait pu initialement servir
pour introduire les premières centuries.
Abordons à présent la question des impressions des dites épitres en
commençant par la dernière. On peut penser que l’édition datée de 1605
sans mention de libraire, n’est pas la première à avoir été publiée
par l’atelier « Pierre Du Ruau » de Troyes. Nous avons proposé
1643-1644 pour les premières éditions de cette mouvance. Toujours
est-il qu’à un certain stade, les éditeurs ont été tentés de faire
paraitre une édition à la date de l’épitre à Henri IV, ce qui était en
contradiction avec cette intention de conférer la primeur au souverain
des dits sixains ou de tout texte d’accompagnement tant il est aisé de
remplacer l’annonce d’un texte par celle d’un autre. On notera que
l’édition Chevillot dérivée de l’édition du Ruau a tronqué un passage
de l’Epitre à Henri IV : « au Chasteau de Chantilly, maison de
Monseigneur le Connestable de Montmorency » est devenu « au Chasteau
de Chantilly, maison de Monseigneur le Connestable ».
C’est la même tentation qui aura conduit à se référer à une édition
datée de 1555 à Avignon, chez Pierre Roux dans la série des Grandes et
Merveilleuses Prédictions (1588 1590) puis plus tard, au milieu du
XVIIe siècle - à produire une édition censée parue à Lyon, chez Macé
Bonhomme.
Ce qui nous interpelle donc particulièrement c’est le cas de la
Préface à César et la perte de confidentialité manifeste qui s’est
produite en concevant l’idée d’une édition qui serait parue dès
1555..Qu’une telle évolution ait pu se produire, cela est attesté par
ailleurs, mais cela ne semble pas avoir pu, néanmoins, raisonnablement,
avoir été le cas de la toute première impression de la dite Préface
qui aurait du se présenter comme étant sinon posthume du moins décalée,
à l’instar de l’Epitre de 1605 qui ne serait parue que plus de trente
ans plus tard, d’où la mention par rapport à Chevillot de l’année
1611, au lendemain de l’assassinat d’Henri IV (qui fait pendant à la
mort de son fils Louis XIII, en 1643)
Nous disposons de la fausse édition Pierre Rigaud 1566, censée parue
au lendemain de la mort de Michel de Nostredame et de la non moins
fausse édition Benoist Rigaud 1568 mais ce sont là des éditions à 10
centuries et avec un premier volet à 7 centuries. Par ailleurs, on
dispose de l’édition Rouen Raphael du Petit Val 1588 comportant un
état non encore centurisé des premières centaines de quatrains,
laquelle édition est actuellement incommunicable, sous quelque forme
que ce soit. Mais l’on sait que la préface à César est probablement
conforme aux éditions Rouen 1589 et Anvers 1590. Mais au moment où
cette première édition paraissait, à notre avis, il ne devait pas
encore être question d’une édition Avignon 1555. Quand bien même cette
édition 1588 comporterait-elle quelque référence à une telle
impression du vivant de Nostradamus, l’on rappellera que le contenu ne
correspond pas au titre puisque le titre parle d’une division en «
quatre centuries », ce qui n’était pas le cas. En conséquence, nous
pensons qu’au départ, non seulement il n’y eut pas de contrefaçon
datée de 1555 mais même pas de référence à une telle édition, tout
comme la référence à une édition Benoist Rigaud de la « miliade »
n’existe pas avant la mort de Louis XIII, en 1643, étant totalement
absente des éditions Rigaud de la dernière décennie du XVIe siècle.
Comme dans le cas de l’épitre à Henri IV, datée de 1605 mais parue
vers 1643, soit à quarante ans de distance, il sera paru vers 1588,
une préface à César, datée de 1555 ou/et de 1557, soit à trente ans de
distance.
Le second volet précédé d’une épitre datée de 1558, adressée à Henri
II pouvait, en revanche, faire l’objet d’une contrefaçon datée de
cette même année. Paradoxalement, on n’a pas conservé une telle
édition mais elle a du très certainement existé, si l’on se base sur
la présentation du premier volet de l’édition datée de 1557, chez
Antoine du Rosne, calquée sur les éditions Benoist Rigaud des années
1590, sur lesquelles sont elles –mêmes calquées les éditions Rigaud
1568 et non l’inverse comme continue à l’affirmer Patrice Guinard.[1].
Le problème de cette édition à deux volets, c’est qu’elle comporte une
énorme bévue. Au lieu d’opter pour l’année 1558 pour les deux volets,
elle comporte un premier volet daté de 1557 qui annonce en son titre
le second volet et donc l’épitre à Henri II de juin 1558. Certes, les
faussaires troyens ont du prendre modèle sur un faux déjà paru un demi-siècle
plus tôt, sous l’égide du dit Antoine du Rosne en date de 1557 et dont
la vignette est remplacée par celle de la veuve Nicolas Roffet 1588,
Paris. Mais ce faisant, ils auraient du s’en tenir à l’intitulé Rosne
1557 Budapest à savoir « dont il en y a trois cents qui n’ont encores
iamais esté imprimées ». Or, au lieu de cela, ils reprennent à
l’identique la présentation Rigaud du premier volet, avec la
correction « dont il y en a » mais aussi avec la mention
supplémentaire « adioustées de nouveau par dict Autheur » qui ne fait
sens que si le second volet suit. Le premier volet Rosne Utrecht
s’autodétruit.
Dans nos Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus, paru il y
a dix ans, nous avions signalé (pp 158-159) que l’Epitre à Henri IV
datée de 1605 était à rapprocher d’un ouvrage intitulé « Les signes
merveilleux, apparus au Ciel un jour devant & un iour apres les
ceremonies de Monseigneur le Dauphin, celebrées à Fontainebleau, avec
l’exposition des plus grands Astrologues de ce temps & autres
propheties admirables’ » Paris, Estienne Collin, 1606, texte ignoré
des nostradamologues encore aujourd’hui comme d’ailleurs le recueil de
sixains de Morgard.
La confidentialité marque ce document « Ie finiray seulement par ceste
autre qu’on a trouvée dans les propheties de Nostradamus non encore
imprimées mais presentées à sa Majeste tres-Chrestiene par un sien
parent ». La parenté avec l’Epitre de 1605 ne fait guère de doute si
ce n’est qu’au lieu d’y annoncer des sixains, on fournit un quatrain
qui appartient à une série restée totalement inconnue : « Diane aura
de quoy pleurer sa perte etc ». Il nous semble que c’est par erreur
que l’Epitre en tête des sixains est datée de 1605 ; 1606 aurait mieux
convenu, qui correspondait au baptéme du futur Louis XIII, à l’âge de
cinq ans.. On note la substitution d’un texte à un autre lors du
recyclage d’une épitre..
On s’est demandé si dans le cas de la Préface à César, il n’y avait
pas eu départ l’annonce d’un autre texte que celui des pemiers
quatrains hors almanachs. Estt ce que ces quatrains correpondent au «
mémoire » que Nostradamus, selon la fiction suivie, est censé avoir
souhaité transmettre, le moment venu, à son fils, si tardivement
arrivé.
« toy delaisser mémoire » qui est rendu d’autres versions « toy
délaisser un mémoire »- en anglais « leave a Memorial » (1672)
versions non prises en compte par Pierre Brind’amour dans son édition
critique posthume de 1996.
Il nous semble en effet bien improbable que cette épitre contrefaite
dédiée à César de Nostredame ait été initialement mise en chantier
pour introduire « trois à quatre cents carmes », telle est la loi du
recyclage.
Nous sommes conscients de ce que l’on ait ici affaire à des faux mais
même la production de faux ne peut échapper à une certaine exigence de
cohérence et de vraisemblance, du moins dans un premier temps. Si, par
la suite, le texte est réutilisé, les contraintes et les circonstances
ne seront plus les mêmes. .L’épitre à César est la plus ambitieuse des
trois. Les deux autres épitrent surfent sur le succés supposé des
premières centuries/
Etudions de plus près les quatre versions de la Préface à César dont
nous disposons : la « classique », celle de l’édition Du Rosne
Budapest, celle de l’édition anglaise (1672) et celle qui figure dans
l’édition Besson et que nous considérons comme plus correcte. On
retiendra ici la partie finale. Nostradamus y évoque sans donner
aucune mesure de quantité : » esperant à toy declarer chacune des
Prophéties & quatrains cy mis ». Aucune mention n’est faire des
quatrains des almanachs. C’est donc la mise en orbite d’un nouveau
train de quatrains, ce qui n’était nullement à l’ordre du jour à la
mort de Nostradamus, Chevigny caressant alors le projet de recycler
les dits quatrains d’almanachs, ce qu’il fera en les rééditant en
recueil en 1568, chez Benoist Rigaud..
On reléve les variantes suivantes :
« ainsi que plus à plein ay rédigé par escrit aux miennes Prophéties »
(Besson)
« as I have more fully at large declared in my other Prophecies » (Garencières)
« comme plus à plein j’ay rédigé par escript aux miennes autres
propheties » (Rigaud et Du Rosne Budapest)
La formule « autres prophéties » distinguait visiblement les «
anciennes « prophéties, c'est-à-dire les quatrains des almanachs et
les «autres « prophéties celles du nouveau train de quatrains (à
commencer par les 349 figurant dans l’édition Rouen du Petit Val
1588)/
Mais il existe un autre passage qui fait suite et qui se retrouve à
l’identique dans toutes les éditions sauf celle de Budapest dont la
fin de la Préface est considérée comme tronquée :
« espérant toy declarer une chacune prophetie des quatrains ici mis »
« hoping to expound to thee every Prophecy of these Stanza’s »
Il y aurait donc d’un côté les quatrains qui figurent à la suite de la
Préface et de l’autre des prophéties annoncées, qui sont signalées
mais absentes.
Par ailleurs, Nostradamus écrit « la miséricorde de Dieu ne sera point
dispergée (en) un temps, mon fils, que la plupart de mes Prophéties
seront accomplies & viendront estre par leur accomplissement revolues
».Nous pensons que Nostradamus est ici censé parler de ses prophéties
d’almanachs (en 12 livres, commençant justement en 1555, année de la
Préface, et s’étendant jusqu’ à 1567) qui sont supposées avoir été
écrites par avance et qui auront fait leur temps.
Il nous apparait que cette Préface traite des anciennes et des
nouvelles prophéties selon une dialectique qui est exposée par
Chavigny à la fin du « Brief Discours sur la Vie de M. Michel de
Nostredame » (pp. 6-7):
Nostradamus « a escrit XII Centuries de predictions comprises
brievement par quatrains, que du mot grec il a intitulé Propheties (…)
Nous avons de luy d’autres présages en prose faits depuis l’an 1550
iusques à 67 qui colligez par moy la plus part & redigez en XII livres
sont dignes d’estre recommandez à la postérité ». Chavigny poursuit sa
comparaison en commençant par la série 1550- 1567: « ceux-cy
comprennent nostre histoire d’environ 100 ans » faisant pendant aux «
Centuries » qui « s’estendent en beaucoup plus longs siecles dont nous
avons parlé plus amplement sur la vie de ce mesme Auteur, qui bien
tost verra la lumière »
Chavigny fait ici référence à la Première Face du Janus François qu’il
entraine jusqu’en 1589, et qui au départ ne devait reposer que sur la
série de présages allant de 1550 à 1567 », réservant la Seconde Face
aux « Centuries ». En fait, Chavigny n’a pas respecté ce plan
puisqu’il a finalement intégré, à côté des « présages », dans la
Première Face une certaine quantité de quatrains extraits des 10
centuries. Par ailleurs, c’est bien le schéma de la miliade de
quatrains- « parachevant la miliade » - qui s’est imposé et non celui
de 12 centuries comme le souhaitait Chavigny.
Par ailleurs, la série de quatrains présages ne sera pas désignée par
la suite sur la période 1550-1567 mais sur la période 1555-1567 comme
on peut le voir dans les éditions qui les incluront (Chevillot ne les
prend pas à la différence de Du Ruau), à partir des commentaires du
Janus Gallicus d’ailleurs :
« Présages tirez de ceux faits par Me Michel Nostradamus es années mil
cinq cens cinquante cinq & suivantes jusqu’en 1567’
Nous pensons que la date de la Préface à César est directement liée à
ce point de départ de 1555, qui est celui des Présages et c’est donc
bien ici des présages qu’il s’agit avec la dite Préface, tout en
annonçant un autre « train » de quatrains, pour couvrir au-delà de la
fin du XVIe siècle ; L’Epître à Henri IV datée de 1605 donne
d’ailleurs à ce sujet non pas 1589 mais 1597 mais il semble qu’il y
ait confusion dans le textes puisqu’il assigne ce terme au second
volet. « dont le dernier finit en l’an mil cinq cens nonante sept »
alors que les sixains sont censés traiter « de ce qui adviendra en ce
siècle ». Or Chavigny fixait à 1589 le temps couvert par la Première
Face du Janus François - « dès l’an de salut 1534 iusques à l’an 1589
»laquelle fait une large part aux quatrains présages ». Il apparait
donc que l’Epitre à Henri IV soit quelque peu décalée par rapport aux
positions de Chavigny mais rappelons qu’elle a été vraisemblablement
rédigée un demi-siècle plus tard.
Nous pensons donc que la Préface à César est liée au commentaire de la
série 1555-1567. Elle pourrait avoir figuré en tête d’une première
mouture de la Première Face du Janus François de Chevigny/Chavigny
sans référence à d’autres prophéties. Par la suite, quand on la plaça
en tête des « centuries », l’on modifia la Préface aux présages pour
leur apporter une légitimité et laisser entendre que Nostradamus avait
bel et bien par devers lui une autre série de quatrains. L’édition
Besson, qui ne comporte pas « autres « devant Prophéties restituerait
donc le premier état de la Préface avant l’interpolation. Les «
quatrains icy mis » dont il s’agit dans la Préface sont donc bel et
bien ceux des almanachs et il semble que l’on ait attribué à
Nostradamus lui-même le commentaire qui figurera par la suite dans la
Première Face du Janus François, lequel commentaire aurait donc été
complété par la suite par Chevigny/Chavigny. D’ailleurs si l’on
examine le sous titre de la dite Première Face- en français- il est
bien question des «centuries et autres commentaires de M. Michel de
Nostredame », alors qu’en 1596, on parle des « Commentaires du Sr de
Chavigny sur les Centuries et Prophéties de feu M. Michel Nostradamus
». Dans le Brief Discours, Chavigny fait explicitement référence à un
tel commentaire de Nostradamus, ce qui implique que ce commentaire ait
été publié en 1568 : « si vray est-ce que j’en ay trouvé en plusieurs
lieux des Commentaires de sondit père, notamment sur l’an 1559. & (es)
mois de juillet où je renvoie le lecteur ». On peut même penser que
l’ouvrage paru en 1568 portait bel et bien le nom de Commentaire –(Chavigny
utilise une majuscule) et aurait pu s’intituler grosso modo «
Commentaire de M. Michel Nostradamus sur ses quatrains de prophétie
depuis les années 1555 iusques à 67, disposés en dix centuries », ce
que Du Verdier aurait rendu en 1585, dans sa Bibliothèque (-Lyon, B.
Honorat) par « Dix Centuries de quatrains, Benoist Rigaud 1568 ». On
peut penser que Nostradamus ne commenta pas les deux dernières années
1566 et 1567, étant mort le 2 juillet 1566, ce qui donne dix années :
55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, si l’on exclue par
ailleurs l’année 1556 dont les quatrains sont absents du Recueil des
Présages Prosaïques. Cela dit, il nous parait très peu vraisemblable
que Nostradamus ait commenté des quatrains. Le commentaire est à notre
avis l’œuvre d’un autre, éventuellement le dit Chevigny qui en 1596
jettera le masque en changeant le titre du Janus Gallicus pour
Commentaires du Sieur de Chavigny sur les Centuries et
Prognostications de feu M/ Michel de Nostradamus. Il convient de
revenir, dès lors, sur un passage des Significations de l’ eclipse de
1559 qui fait dire à Nostradamus « comme plus amplement est déclaré à
l’interprétation de la seconde centurie de mes Propheties ». Il nous
semble que ce passage de ce texte renvoie bel et bien à un recueil de
« centuries » de commentaire de ses quatrains présages si ce n’est
qu’un tel recueil ne pouvait exister en 1558, les dites centuries
couvrant une période allant selon nous jusqu’en 1565 et n’étant parues
qu’en 1568. Cela confirme le fait que ces Significations sont une
contrefaçon, non point parce qu’elles se référent aux nouvelles et «
autres » prophéties mais parce qu’elles mentionnent un ouvrage qui
n’était pas encore paru en 1558. ..
On note qu’au titre de l’édition de 1594, il n’avait pas été précisé
que Nostradamus était mort. De même, on a supprimé le terme de 1589 et
on a remplacé dans la dite édition de 1596 par « jusques à présens »
Il nous apparait donc comme absurde de constituer un canon centurique
comportant la Préface à César sans au moins les quatrains présages- ce
que ne fera pas la famille Rigaud- voire sans les commentaires du
Janus François, au moins jusqu’en 1566, date de la mort de Nostradamus.
L’édition du Ruau en ce sens est plus satisfaisante puisqu’elle
intègre en son sein sinon la totalité des quatrains présages du moins
ceux commentés dans le Janus Gallicus mais sans les commentaires.
L’édition Besson procède de même. En revanche, l’édition anglaise ne
comporte pas les Présages mais elle accompagne les quatrains
centuriques d’un commentaire, non pas celui du Janus Gallicus mais
celui de l’Eclaircissement des véritables quatrains de Giffré de
Réchac (1656) ; Il semble que le dominicain ait emprunté aux deux
grandes sommes qui se complétaient peu ou prou. Autrement dit,
l’édition anglaise refuse d’associer la Préface à César aux quatrains
des almanachs et propose un commentaire des Centuries en faisant
croire que c’était bien de cela qu’il s’agissait dans la dite Préface.
On aura donc pu observer que les diverses épitres ont une histoire
initialement non centrée sur les Centuries et qu’elles auront été
remaniées pour annoncer les trois « livrets », comme le précise
l’Epitre à Henri IV, selon une stratégie de substitution et de
légitimation. La Préface à César ainsi remaniée n’était d’ailleurs pas
censée annoncer les 10 centuries mais les 4 premières, à la rigueur
les 7 premières. L’Epitre à Henri II était censée servir, avec la
bénédiction de Nostradamus, à accréditer les centuries VIII-X
‘parachevant la miliade » tandis que l’Epitre à Henri IV avait pour
objet de justifier l’intégration des 58 sixains, en se substituant à
un texte annonçant des quatrains, lequel texte a disparu et dont nous
ne connaissons qu’un seul quatrain. Dans le troisième cas, on aura
préféré carrément situer l’Epitre après la mort de Michel Nostradamus
mais en respectant le même scénario. « Ayant (il y a quelques années)
recouvert certaines Prophéties ou Pronostications, faictes par feu
Michel Nostradamus, des mains d’un nommé Henry Nostradamus, neveu du
dit Michel, qu’il me donna avant de mourir & par moy tenues en secret
iusques à présent (…) recogneu que j’ay la verité de plusieurs sixains
advenus de point en point comme vous pourrez veoir ». Cela dit, les
sixains ne sont accompagnés d’aucun commentaire ; on laisse au lecteur
le soin de faire les rapprochements appropriés. Initiative assez
étrange au demeurant que de déclarer que les quatrains sont dépassés
et qu’il faut faire la place pour des sixains, tout comme dans la
Préface à César remaniée, l’on fait passe à la trappe les quatrains
des almanachs pour ne plus considérer les centuries. Tout se passe
comme si le temps des centuries n’aurait duré que jusqu’à la fin du
XVIe siècle, en faisant abstraction des quatrains présages. En réalité,
de telles tentatives vont échouer : les Sixains ne parviendront pas au
XVIIe siècle à surpasser les Centuries et les Centuries, tout au long
du dit siècle, devront cohabiter avec les « Présages » des almanachs.
A la lumière de nos conclusions concernant l’évolution de la
destination de la Préface à César, il ressort que l’on est placé dans
l’hypothèse selon laquelle Nostradamus aurait publié par avance dès
1555, les quatrains des années à venir jusqu’en 1567 voire qu’il ait
déjà produit à cette date les Centuries, ses « autres » prophéties.
Une telle représentation des choses a fort bien pu être adoptée, à
tort, par les faussaires au vu de certaines déclarations de Chevigny/Chavigny.
Quand celui-ci écrit notamment qu’il existe un recueil de présages «
faits depuis l’an 1550 iusques à 67 », une lecture trop rapide peut
laisser croire que ce document avat été composé dès les années 1550
comme c’est le cas pour les prédictions (perpétuelles) pour 20 ans ou
13 ans qui ont circulé dans les années 1560-1570 sous divers noms de «
successeurs » de Nostradamus, comme Michel Nostradamus le Jeune ou
Antoine Crespin Nostradamus, alors qu’en réalité, il s’agit d’un
recueil qui aura du attendre la publication posthume de l’almanach
pour 1567 pour être cloturé. Il est vrai que Chavigny n’est pas assez
explicite à ce propos d’autant qu’il aborde en parallèle le cas de ces
centuries qui sont elles aussi des « recueils » de quatrains, le mot «
centurie » semblant d’ailleurs avoir pris parfois ce sens synonymique
de « recueil », sans considération du nombre de quatrains réunis.
Mais que dire de l’épitre à Henri II datée de 1558 et qui complète la
Préface à César en introduisant un nouveau volet de Centuries, ce qui
donnerait ainsi grosso modo 1000 quatrains ? Cette épitre suppose
précisément qu’un premier volet soit paru. Or, la Préface à César
n’indique à aucun moment que ce soit le cas, puisqu’elle se réfère à
d’autres prophéties tout en précisant que celles qu’elle introduit
sont les anciennes prophéties désormais « expliquées », « déclarées »
et encore Nostradamus ne dit-il pas qu’en 1555, il les a déjà
commentées, ce qui serait absurde puisque cela exige de les vérifier
au regard d’événements à venir comme cela ne sera le cas qu’en 1568,
une fois le dernier almanach (pour 1567) paru, année qui est le
terminus du Recueil des Présages Prosaïques, ouvrage qui ne comporte
pas de commentaires- sinon quelques notes en marge (de Chavigny) à
moins que par commentaires on entende l’interprétation que Nostradamus
donne des positions planétaires...Donc, l’Epitre à Henri II suppose,
en 1558, la parution préalable d’un premier volet de ces ‘ »autres
prophéties », laquelle épitre d’ailleurs, du moins dans la version
canonique, se réfère à la Préface à César..(on ne trouve pas cette
référence dans la version Besson qui ne s’en réfère pas moins à une
miliade). Initialement, on l’aura compris, cette Préface à César
présuppose l’existence dès 1555 d’une première série de quatrains-présages
(ceux qui paraitront année par année dans les almanachs mais qui
auraient pu déjà figurer dans un ensemble pluriannuel comme cela
semble avoir été le cas pour les Pronostications). Nostradamus
s’engage à commenter ces quatrains et à en laisser le commentaire à
son fils, « espérant toy déclarer une chacune prophétie des quatrains
». S’il « espère », c’est que cela n’est pas encore fait. Autrement
dit, cette Préface est supposée introduire les quatrains « secs » des
almanachs sans commentaire, le commentaire devant venir en temps et en
heure, sur la base d’une nouveau mémoire. Mais en attendant, Michel
Nostradamus lègue à son fils les dits quatrains qu’il ne publiera
qu’année après année. C’est en tout cas le scénario qui sous tend la
Préface à César, qui n’est jamais qu’un faux, lui-même retouché...Cela
dit, on peut supposer que lorsque les commentaires de Nostradamus sur
les dits quatrains présages furent publiés à sa mort, qu’il ait été ou
non l’auteur des dits commentaires –cette Préface à César a pu servir
sur la base des dernières lignes- « espérant toy déclarer etc » - qui
selon nous ont été rajoutées, d’où leur absence dans la version du
Rosne 1557 Budapest. En effet, après avoir terminé son exposé, la
dernière phrase de la Préface apporte une ultime information qui nous
semble bel et bien interpolée : « Faisant fin mon filz prends donc ce
don de ton père M. Nostradamus[espérant toy déclarer une chacune
prophétie de quatrains ici mis]. Priant au Dieu immortel etc » Nous
avons mis entre crochets l’interpolation que nous diagnostiquons et
qui ressort notamment de la comparaison entre le texte de la Préface
Du Rosne Budapest et celui de la Préface Du Rosne Utrecht. Ainsi,
l’Epitre à Henri II n’a pu être élaborée qu’une fois les sept
premières centuries parues, c'est-à-dire vers 1590. Elle se fonde sur
une certaine lecture de la Préface à César, telle qu’elle figure en
tête du premier volet de centuries. En fait, elle ne retient de cette
Préface que le fait qu’elle introduit le dit premier volet et ne se
soucie pas d’en cerner la véritable portée et ce faisant il apparait
que l’idée de faire précéder le second volet d’une nouvelle mouture de
l’Epitre à Henri II était une fausse bonne idée qui vient confirmer le
poids des contrefaçons dans le processus centurique.
JHB
20. 08. 12
[1] Cf son travail sur son cite repris dans la Revue Française
d’Histoire du Livre, 2008
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97 - Les deux frères Nostradamus : Michel (le
Jeune) et César
Par Jacques Halbronn
Dans la présente étude, nous entendons réhabiliter la mémoire de
Michel Nostradamus le Jeune dont certains éléments semblent indiquer
qu’il fut bel et bien le fils ainé de Michel de Nostredame.
Nous avons signalé, en effet, dans de précédents travaux[1], certaines
lacunes du « Brief Discours sur la Vie de M. Michel de Nostredame » (à
l’intérieur « Vie sommaire de l’auteur ») tel qu’il figure dans la
Première Face du Janus François de Jean-Aimé de Chavigny ou plutôt
dans l’édition de 1596, dont la version de la « Vie » fit référence.
On le sait parce que les dernières lignes figurant dans le Janus ne s’
y retrouvent pas et pas davantage dans les Vrayes Centuries et
Prophéties.(cf infra). Les lacunes sont assez flagrantes quand on
compare ce texte Besson qui est identique à toute la série parue
depuis 1596, avec Les commentaires du Sr de Chavigny à Paris, en
passant par Amsterdam 1668 ; avec la traduction anglaise de 1672
Garencières, qui reprend de longs passages de l’ »pologie pour Michel
Nostradamus avec l’Histoire de sa vie etc », in
Eclaircisssement des Véritables Quatrains (1656) de Jean Giffré de
Réchac alias Jean de Sainte Marie [2], dont il emprunte également les
commentaires de certains quatrains centuriques/
Le cas de la pierre tombale tronquée est emblématique avec la
disparition du nom de la seconde épouse et donc veuve de M.
Nostradamus, Anne Gemelle. En 1656, Giffré de Réchac rétablit
l’intégrité du texte dans son Eclaircissement.
Un des mérites de l’édition Pierre Rigaud 1566 aura été de reproduire
la pierre tombale de Michel de Nostredame et donc ce faisant de
corriger les carences du Brief Discours. Il est quand même étonnant
qu’il ait fallu attendre le début du XVIIIe siècle pour que figure le
texte intégral, hormis bien entendu la parution de l’imprimé repris
par Theophilus de Garencières- sans parler de l’Eclaircissement de
1656 et que Chavigny avait retouché à sa façon.
Nous comparerons ce texte avec celui paru chez Antoine Besson vers
1691, lequel Besson a notamment le mérite d’avoir publié le texte
français de la Préface à César qui avait été traduit 20 ans plus tôt
par Theophilus de Garencières. Mais dans le cas du Brief Discours, on
est loin du compte.
Mais auparavant, on notera qu’il semble de plus en plus évident que
Nostradamus avait publié- ou du moins c’est ainsi que cela se serait
présenté- une sorte d’autobiographie, associée à ses Commentaires de
ses Quatrains présages, issu des almanachs qui se sont succédé au
cours des années 1550-1560. ». Il est remarquable que ces supposés
Commentaires de Nostradamus sur ses quatrains d’almanachs,
probablement parus à Lyon chez Benoist Rigaud, avec la complicité d’un
Jean de Chevigny, ne soient pas pris en considération par les
nostradamologues. Il était pourtant logique que M. Nostradamus dressât
le bilan de ses prévisions depuis s les années 1550 et que le dit
bilan parût au lendemain de sa mort.
On trouve dans le même Discours une autre mention de cet ouvrage :
Besson « Dont vient que nostre Auteur en ses Commentaires dit avoir
receu comme de main en main la connoissance des Mathematiques de ses
antiques progéniteurs » Et il est rappelé un passage de « la préface
sur ses centuries » mais ce dernier passage est absent de l’édition
anglaise et aura été interpolé pour évoquer la Préface à César aux
centuries. On arrive au marriage avec Anne Ponce Gemelle, dont le nom
a été effacé chez Besson comme chez Chavigny/ « Il se maria en seconde
nopces » lit-on chez Besson au lieu de He married his second wife ;
Anne Ponce Gemelle by whom he had three Sons and one daughter, the
eldest was Michel Nostradamus who hath written some pieces of
Astrology printed in Paris in the year 1563 ». The second one was
Cesat Nostradamus etc “ On retrouve des elements de ce type chez
Besson mais à la fin du Discours: “De sa seconde femme il a laissé six
enfants, trios fils et trois filles. Le I. des masles ; nommé César
(…) en celui auquel il a dedié ses Centuries nous devons esperer de
grandes choses, si vray est ce que j’en ay trouvé en plusieurs des
Commentaires de son dict Père, notamment sur l’an 1559 ». Un tel
commentaire, on le voit est bien consacré aux quatrains des almanachs.
La référence aux Commentaires de Nostradamus est donc répétée./ On
trouve chez Garencières, dans le Brief Discours une référence au
Seigneur du Pavillon (probablement au sujet de ses Contreditz à
Nostradamus ‘(1560) et une autre à La Croix du Maine, dont la
Bibliothèque parut en 1584, autant d’éléments absents chez Besson.
Mais il doit cela à l’Eclaircissement de 1656 paru anonymement mais
œuvre du dominicain Giffré de Réchac.
En revanche, tout un développement concernat le diptyique
Quatrains/Centuries est absent chez Garencières qui cite quelques
ouvrages de Nostradamus –dont la Paraphrase qu’il signale comme parue
chez Antoine du Rosne, en 1557 mais point les Centuries.
On notera que le Brief Discours ne fut pas intégré dans les éditions
troyennes. Il n’apparait d’ailleurs qu’à partir de 1649, soit peu
après l’édition Du Ruau que nous situons autour de 1643 - dans la
série Vrayes Centuries et Prophéties, qui notamment sera imprimée, en
français à Amsterdam, en calquant le texte figurant non pas dans le
Janus Gallicus mais dans les Commentaires du Sr de Chavigny paru en
1596 et qui ne reprend pas la fin du Brief Discours ::
Passage supprimé :
« Ceux là, à scavoir les Centuries s’estendent en beaucoup plus longs
siècles dont nous avons parlé plus amplement en un autre discours sur
la vie de ce mesme Auteur, qui bientost verra la lumiere, où nous
remettons le Lecteur, ensemble au dialogue Latin qui cy apres sera
rapporté. »
Il est remplacé si l’on peut dire par ces quelques mots : « tant de
présent que de l’avenir » . Or, en coupant ce passage, l’on tronque le
texte, puisque l’on a d’abord « Ceux-cy » mais « ceux là » disparait.
Pour la réédition de 1596, Chavigny n’aura pas souhaité revenir sur un
projet mais en même temps, son exposé s’en trouve déséquilibré. Il est
clair que la Première Face du Janus Gallicus, à la lumière du Brief
Discours , s’articule sur les quatrains des almanachs – le titre
indique que l’on commence en 1534 jusqu’à nos jours (ou dans la
version 1594) jusqu’en 1589, alors que les Centuries, notamment dans
le passage supprimé, visent les temps à venir. Comme Chavigny utilise
déjà les Centuries dans sa partie rétrospective, il valait peut -être
mieux ne pas trop souligner l’opposition entre les deux séries de
quatrains.
Selon nous, Garencières bénéficie de sources tout à fait
exceptionnelles, comme on le savait déjà concernant sa version de la
Préface à César. Etonnamment, c’est en anglais que ce pactole est
passé à la postérité et est resté largement ignoré des chercheurs
francophones, sans d’ailleurs que cela ait suscité une connaissance
plus approfondie du domaine chez les chercheurs anglophones qui ne
connaissent pas la chance qui est la leur. Quant à Besson, s’il a bien
réceptionné une version atypique- mais selon nous plus authentique –
de la dite Préface à César, en revanche, cela ne fut pas le cas pour
le Brief Discours. Theophilus de Garencières qui emprunte largement à
l’Eclaircissement des véritables quatrains de Giffré de Réchac (1656),
un des fondateurs de la « critique nostradamique » contribue à fournir
des textes moins corrompus.
Sa version met, en tout cas, en évidence, le fait que la version
figurant dans la Première Face du Janus François, si elle s’appuie sur
un texte probablement très proche de celui traduit en anglais, n’en
présente pas moins un texte sensiblement interpolé avec à la fois de
additions et des omissions, comme ce nom de la veuve de Michel
Nostradamus : était-ce pour des raisons personnelles si Chevigny
n’avait pas gardé le meilleur souvenir de cette personne. On note que
Garencières et Chavigny ne fournissent pas la même description des en
enfants du couple. Pour Chavigny, César est l’ainé, pour la version
anglaise César est le deuxième fils de ce « lit ». Mais là encore n’y
a-t-il pas quelque règlement de compte avec un Michel Nostradamus le
Jeune, qui serait l’ainé et dont on connait bien l’œuvre encore qu’il
soit généralement considéré comme un « imposteur ».
Le texte anglais nous invite à réviser singulièrement notre jugement
sur l’ainé d’Anne Ponce Gemelle à moins d’imaginer que Garencières
véhicule une version favorable à ce Nostradamus junior. Ce qui est
clair en tout cas, c’est que d’une part le nom de la mère du dit
Michel qui porte le même prénom que son père, est occulté à deux
reprises et dans le cours du texte et sur la pierre tombale et que
d’autre part l’exposé sur la famille de Nostradamus est brusquement
interrompu après la mention du « mariage en secondes nopces » pour ne
reprendre que plusieurs pages plus tard et en fait presque à la fin «
De sa seconde femme il a laissé six enfants, trois fils & trois filles.
Le Ier. des masles nommé César » qui est mis singulièrement en valeur-
c’est d’ailleurs le seul enfant dont le nom est fourni. Il est dit de
lui qu’il est un « personnage fort gaillard & gentil esprit, en celui
auquel il (Nostradamus) a dédié ses Centuries premières duquel nous
devons espérer de grandes choses etc » et on laisse même entendre que
son père parle de lui dans ses « Commentaires » sur l’an 1559. Tout
cela tendrait plutôt à nous faire douter très sérieusement de
l’authenticité de la dite Préface à César dont nous avons plus haut
qu’elle avait fait l’objet d’une interpolation, absente du document
Garencières..
Revenons donc sur Michel de Nostradamus le Jeune qui serait mort en
1574 (et non 1570 comme on lit parfois) lors du siège de Le Pouzin. Il
aurait été exécuté pour avoir mis le feu à la ville afin que ses
prédictions se réalisent, selon un récit de Merle d’Aubigné (cf.
infra). Benazra, qui ne connait pas le texte anglais, ni celui de
l’Eclaircissement de Réchac, écrit à son sujet : » Nous avons vu que
cet imposteur s’intitulait dans ses premières publications « Mi. De
Nostradamus (1564-1568) D’ailleurs la signature est identique, dans le
graphisme, avec celle de « Nostradamus Le Jeune »[3]. Cette question
des divers noms utilisés n’est pas déterminante pour qualifier une
imposture.
.On a conservé notamment, à la Réserve de la BNF, des Prédictions pour
20 ans –(…) par Mi, de Nostradamus le Jeune, Rouen, Brenouzer, paru en
1568. Mais ces Prédictions valent jusqu’en 1583, ce qui les fait
paraitre, pour la première fois, vers 1563, date indiquée dans le
Brief Discours version Garencières. En fait, les Présages pour treize
ans qui paraitront en 1571, à Paris, chez N. Du Mont, sous le nom de
Michel Nostradamus le Jeune, sont extraites des Prédictions pour 20
ans et se terminent également en 1583. Signalons aussi en 1571, les
Prédictions des choses plus mémorables, Troyes, Claude Garnier,[4] qui
poussent jusqu’en 1585, à partir de 1571.Ce Nostradamus Le Jeune était
un adepte des prédictions pluriannuelles, et en quelque sorte des «
perpétuelles vaticinations » dont il est question dans la Préface à
César. On a son portrait associé d’ailleurs avec le premier quatrain
de la première centurie. Or, pour nous, ce n’est nullement quelque
emprunt à son père mais bien plutôt sa contribution, volontaire ou
non, aux Centuries. Pierre Du Ruau – ou ceux qui publient sous le nom
de ce libraire- au XVIIe siècle, adoptera d’ailleurs le dit portrait
sur la page de titre de certaines de ses éditions des Prophéties, ce
qui pourrait être soit une erreur, soit un clin d’œil
Ces observations ne débouchent nullement sur la mise en cause de
Chavigny comme étant aussi Chevigny. Au contraire, le fait qu’il
intervienne à ce point dans la représentation de la vie de Nostradamus
pourrait apporter un cachet d’authenticité à son histoire. Dans le
Brief Discours, Chavigny/ Chevigny se met en avant et parle à la
première personne et l’on pourrait dater la mouture anglaise du
Discours du milieu des années 1580 en ce qu’il cite – dans le texte
anglais- des données bibliographiques reprises de La Croix du Maine,
concernant le frère de Nostradamus, Jean, note d’ailleurs placée juste
après la reproduction du texte de la pierre tombale. Mais ailleurs, le
texte se réfère à Louis XIV et nous rapproche sensiblement de 1672. «
Louis the XIV now Reigning »
Or, si Chavigny est l’auteur de ce texte, pourquoi l’aurait-il par la
suite modifié ? On peut concevoir qu’il ait adopté de nouvelles
positions. De même ce n’est pas parce que Garencières ajoute des notes
se référant à des périodes plus tardives que son texte ne s’appuie pas
sur un état initial du Discours.
On relève le point de vue qui est donné dans ce Discours sur l’Epitre
à Henri II : « Having been so much honoured at Court, he went back
again to Salon where he made an end of his last Centuries, two years
after he dedicated them to the King Henry the II in the year 1557
(sic). Il voit dans cette Epitre des points qui concernent le destin
du Roi Soleil.
Mais retenons le récit des heures qui précédèrent la mort de Michel
Nostradamus, le Père.
Dans le texte anglais, il est question d’un témoin : »A friend of his
witnessed that at the end he had written with his own hand upon the
Ephemerides of John Stadius these Latin words Hic prope mors etc (..)
and the day before his death, that friend of his etc”
Or que donne le texte français ? ‘”Que le temps de son trespas lui fut
notoire, mesmes le jour voire l’heure, je le puis témoigner avec
vérité. Me souvenant très bien etc (…) & sur le tard prenant congé de
luy iusqu’au lendemain matin, il me dit ces paroles. Vous ne me verrez
pas en vie au Soleil levant »
La comparaison a de quoi nous laisser perplexe. Est-ce que Chavigny
n’aurait pas récupéré ce témoignage d’un ami (« friend ») ayant veillé
Michel Nostradamus sur son lit de mort ou bien est-ce l’auteur du
texte anglais qui aura préféré éviter la première personne du
singulier ?
Le texte anglais comporte un développement qui manque dans le texte
français : on y parle de faux almanachs que Michel Nostradamus aurait
produit pour s’amuser et qui touchaient juste néanmoins mais par
ailleurs des libraires, nous dit-on, firent paraitre de faux almanachs
à son nom. Et le texte de conclure « that was the cause that the Lord
Pavillon wrote against him » Il s agit des Contreditz à Nostradamus
(Paris, 1560), ouvrage qui en réalité, en dépit de son titre, n’est
nullement consacré à Nostradamus. Ce passage est en fait repris de
Giffré de Réchac dont il traduit notamment l’Apologie.(« Apology for
Nostradamus »), texte placé immédiatement à la suite de The Life of
Michael Nostradamus. Mais on notera l’accent mis sur les almanachs et
non sur les centuries dans le texte anglais alors que le texte
français associe le retour à Salon « il se mit à escrire ses Centuries
& autres présages commençant ainsi « D’Esprit divin l’âme présagé
atteinte etc. » lesquelles il garda longtemps sans les vouloir publier
» Et c’est ainsi que Nostradamus aurait été convié à la Cour en 1556.
Dans le texte anglais, l’arrivée à la Cour n’est pas associée à la
publication des Centuries.
Certes, il est bien clair que le texte anglais est lui-même composite,
Garencières y met certainement son grain de sel. Mais dans l’ensemble,
celui-ci devait avoir eu sous la main une version de départ du
Discours qu’il aura dans l’ensemble mieux restituée que le texte
français repris dans le Janus Gallicus et tout au long du XVIIe
siècle, dans toute une série d’éditions, les autres éditions se
dispensant carrément d’en faire état.
Pour en revenir à Michel Nostradamus le Jeune, nous considérerons
désormais qu’il peut fort bien s’agir du premier enfant du couple
d’Anne Ponsard ( veuve de Jean Beaulieu) et de Michel qui se marièrent,
au lendemain de la peste de 1546, le 11 novembre 1547. Cet épisode,
note Benazra, est relaté par Nostradamus dans son Traité des
fardements (et repris en allemand en 1572) : « Il est une épidémie
terrible dont Nostradamus nous a fait l’effrayant récit. C’est celle
qui s’est déclaré au printemps 1546, à Aix-en-Provence. Il sera engagé
par la ville d’Aix-en-Provence pour lutter contre la terrible maladie.
Il écrira plus tard dans son Traité des Fardements :
« ... & qu’il soit vray, l’an mil cinq cens quarante six, que je feus
esleu & stipendié de la cité d’Aix en Provence, ou par le Senat &
peuple je fus mis pour la conservation de la cité, où la peste etoit
tant grande, & tant espouventable, qui commença le dernier de may, &
dura neuf mois tous entier.»
Il existe une confirmation officielle de la présence de Nostradamus à
Aix dans les archives communales cette ville. Le trésorier de la cité
inscrivait une note de frais sur son registre comptable, dans le
courant du mois de juin 1546, à l'adresse de « Me Michel de Nostredame
». Nous sommes donc assuré de la présence de Michel à Aix-en-Provence
en juin 1546 ».
Dans le Brief Discours,, il est indiqué à ce propos que de Launay a
décrit cette peste « en son Théâtre du Monde, selon les vrais rapports
qui lui en furent faits par nostre Autheur »
Michel Nostradamus, le fils, aurait pu avoir 16 ans en 1563, quand il
publie certaines prédictions sur plusieurs années, probablement sous
la houlette de son père, son frère naissant, nous dit-on, à la fin de
1553. On ne voit donc pas pourquoi Nostradamus se serait spécialement
adressé à son jeune fils César en 1555 alors qu’il avait déjà un
premier fils, Michel, peut-être âgé de sept ou huit ans. On peut même
se demander si Nostradamus ne se serait pas justement adressé à Michel
et si le nom de Michel, comme dédicataire, n’aurait point été par la
suite remplacé par celui de César, notamment si le dit Michel était
mort en 1574.
On reprendra un récit trouvé sur le website de la ville de Le Pouzin,
en Vivarais, à propos de sa fin survenue lors du « siège soutenu par
la garnison protestante contre l'armée royale le (5)15 octobre 1574 .
Après avoir repoussé un violent assaut, les murailles s'étaient
écroulées, les assiégés quittèrent la place en pleine nuit dans une
ville déserte qui fut pillée, saccagée. C'est à l'occasion de ce siège
que périt le fils de Michel de Nostradamus dont l'histoire est
racontée par Merle d'Aubigné ( 1794-1812 ) dans l’Histoire de la
réforme au xvi ème siècle ( 1863 ) .
« Il y avait à l'armée catholique un jeune Nostradamus , fils de
Michel de Nostradamus .Un des chefs de l'armée , St Luc , lui
demandant ce que deviendrait Le Pouzin ( qu'ils allaient assiéger ) le
pronostiqueur après y avoir pensé profondément , répondit qu'il
périrait par le feu, et le même fut trouvé , comme on pillait la ville
, mettant le feu partout . Saint Luc le lendemain, le rencontrant, lui
demanda « Or ça, notre maître, ne vous voit il rien arriver
aujourd'hui d'accident ». Le devineur n'eut pas sitôt répondu non, que
l'autre lui donna de la baguette (épée) dans le ventre, et le cheval
sur qui il était, fait à cela, lui enfonça la rate d'un coup de pied,
paiement de sa méchanceté. Ainsi périt le fils de Nostradamus sur la
commune de Le Pouzin « .
Signalons que ce Nostradamus le Jeune se serait également chargé de la
réédition de certains ouvrages de son père ; Patrice Guinard a ainsi
recensé, dans son Corpus Nostradamus, le Bastiment de plusieurs
receptes, pour faire diverses Senteurs & lavemens pour
l'embellissement de la face & conservation du corps en son entier :
Aussi de plusieurs Confitures liquides, et aultres Receptes secretes
et desirées non encore veües.
(De l'imprimerie de Guillaume de Nyverd, Imprimeur ordinaire du Roy, &
Libraire à Paris, tenant sa boutique en la Court du Palais). Guinard
ajoute que cette édition « contient une épître de Nostradamus le Jeune
à madame Renée d'Espinay, Dame de Hugueville, et porte la signature de
Mi. de Nostradamus, un imposteur (sic) qui tente de se faire passer
pour le fils du salonais. Le portrait au titre du dit Nostradamus le
Jeune est celui apposé au titre des Predictions pour vingt ans du même
(Rouen, Pierre Hubault, vers 1569), dont La Croix du Maine (1584,
p.330) signale une édition parisienne chez Nyverd en 1567. Ce portrait
réapparaît sous une forme différente dans l'édition troyenne des
Prophéties de 1605. »
On dispose désormais par ailleurs (cf propheties.it) du Recueil de
révélations et Prophéties merveilleuses de Ste Brigide, St Cyrille et
autres saints et religieux personnages, par Nostra Damus le Jeune,
Venise, Castavino d'Alexandrie, 1575
Guinard signale encore de Mi. de Nostradamus, la parution à Paris,
chez la veuve Jean Bonfons, sd [1569] de L'Embellissement de la face
et conservation du corps en son entier. Ensemble pour faire divers
lavemens, farfuns et senteurs. Avec la maniere de faire toutes sortes
de confitures liquides & excellentes.(…). Recueillis des oeuvres de M.
Mi. de Nostradamus, par messieurs les Docteurs en la faculté de
medecine de la ville et cité de Basle, Dedié au peuple de France.
Commentaire de P. Guinard : « Une seconde contrefaçon de Mi. de
Nostradamus dit le Jeune, qui date son épître adressée "Au peuple de
la France" du 6 juillet 1569. «
Il estassez remarquable qu’au lieu de dénoncer les fausses éditions
des Centuries, d’aucuns crient à l’imposture, un peu vite, à
l’encontre d’un Michel Nostradamus le Jeune ou d’un Antoine Cespin
Nostradamus. Dans le cas du premier, l’on peut supposer que cela
tienne au fait que le dit Michel n’est pas signalé dans le Brief
Discours, version Chavigny. D’une certaine façon, nous aurions
tendance à penser que c’est César l’imposteur. Cette histoire entre
deux frères n’est pas sans évoquer Esaü et Jacob, avec le plat de
lentilles. /
Benazra signale[5] que Balthazar Guynaud, dans « La vie et l’apologie
de Nostradamus » in La Concordance des Prophéties de Nostradamus
(1693) avait contesté le texte biographique du Janus Gallicus : « quoi
qu'à la vérité il n'en eut jamais que quatre ; sçavoir trois garçons &
une fille. Le premier porta le nom de Michel Nostradamus, & se mêloit
aussi de pronostiquer comme son père ; mais ne réüssissant pas comme
lui, il abandonna cette Science, & se contenta de donner au public un
Traité d'Astrologie qu'il fit imprimer à Paris en l'année 1563. » (pp.
10 - 11)
Et Benazra de commenter : « En fait, c'est Jean-Aimé de Chavigny qui
avait raison (sic) : Nostradamus et son épouse Anne Ponsard eurent six
enfants, trois garçons et trois filles : Madeleine, César, Charles,
André, Anne et Diane. Il n'existe aucune trace dans les actes
officiels d'un premier-né de Nostradamus portant le prénom de son père.
Il paraît invraisemblable, ses parents s'étant mariés fin 1547, que ce
pseudo-Michel pût être l'auteur de pronostications vers l'âge de
treize ans, c'est-à-dire avant 1563, et d'un Traité d'Astrologie à
cette date. D'ailleurs, César nous a bien dit qu'à la visite de
Charles IX à Salon, les enfants étaient tout petits » . Le témoignage
de César vaut ce qu’il vaut. Si Michel Nostradamus s’est marié fin
1547, on ne voit pas pourquoi il aura attendu six ans, jusqu’à fin
1553, alors qu’il était déjà âgé, pour l’époque, avant d’avoir un fils.
Et que dire du manuscrit de la Bibliothèque Méjanes (Aix en Provence),
Abrégé de l’Histoire de Michel Nostradamus par M. Palamédes Tronc de
Coudoulet qui reprend la même version que celle de Réchac : « il eut
quatre fils & trois filles (….) appelé Michel mourut après avoir fait
imprimer l’an 1563 un traité d’Astrologie. Le second fut César (…)
Michel Nostradamus se mélait de parler de l’avenir comme Michel (…)
désirant succéder à son dict père » Suit l’épisode fatal de Le Pouzin.
Benazra en a donné une édition mais apparemment il n’a pas su ou voulu
tenir compte de telles informations.[6]
Le terme « traité d’astrologie » ne veut pas dire grand-chose non
plus, cela peut fort bien désigner des Prédictions comme celles qui
nous sont parvenues sous le nom de Michel Nostradamus le Jeune ou
toute autre variante. Quant au critère de l’âge, là encore, ce type
d’ouvrage n’était pas d’un très haut niveau. En revanche, on imagine
mal ce Nostradamus le Jeune publier cela sans l’accord de son père
lequel selon nous ne détestait pas déléguer. Il n’est pas impossible
qu’il ait demandé à son ainé, en une sorte de jeu, de composer des
quatrains à partir de ses textes en prose. En ce qui concerne la
Préface à César, il n’est quand même pas indiqué que César soit l’ainé.
On notera que Guynaud reprend, sur certains points textuellement le
texte Garencières mais il est également très proche de
l’Eclarcissement de 1656, mais dont Garencières également s’inspire.
En fait, force est de constater que Garencières traduit largement
Réchac, lequel, faut-il le préciser, est un historien aguerri, qui
s’illustrera par de nombreuses biographies de religieux et religieuses.
On a l’impression que les tenants de l’une ou l’autre thèse n’ont pour
appuyer leur dire que telle ou telle version du Brief Discours. Mais
apparemment, Benazra n’est pas au courant de l’existence de ces deux
moutures. Certes, le texte de Garencières emprunte-t-il à
l’Eclaircissement de Giffré de Réchac certains développements qu’il
place sous le titre de « The Life of Michael Nostradamus » et on
pourrait en effet, à tort, croire qu’il ne s’agit que d’une traduction
du Discours figurant dans le Janus Gallicus. Il nous semble que
Garencières suive en gros le plan du Brief Discours mais corrige son
contenu à la lumière de l’Eclaircissement. En fait, tout se passe
comme si c’était le dominicain qui avait disposé d’une meilleure
version, non corrompue, du Brief Discours. Nous n’excluons pas
l’hypothèse d’une transmission à un ordre religieux par Michel
Nostradamus et/ou par ses proches, ensuite, d’un certain nombre de
documents ce qui expliquerait que le dominicain Jean de Sainte Marie
(alias Giffré de Réchac) ait pu y avoir eu accés. Rappelons le sous
titre de l’édition Pierre Rigaud 1566, par delà le fait que c’est une
production du début du XVIIIe siècle : « imprimées par les soins du
Fr. Jean Vallier du Convent de Salon des Mineurs Conventuels de Saint
François. » C’est le Couvent des Cordeliers où fut gravé l’épitaphe
qui se trouve désormais dans la chapelle de la Vierge de la Collégiale
Saint-Laurent, à Salon-de-Provence. Cela expliquerait éventuellement
le fait que certaines pièces aient pu resurgir au XVIIe siècle.
Rappelons que l’on ne sait toujours pas d’où Theophile de Garencières
tenait l’original français de la Préface à César qu’il traduira en
anglais et qui paraitra en 1672, à Londres mais dont Antoine Besson,
20 ans plus tard, disposera – version ne comportant pas encore
l’emprunt au Compendium de Savonarole- ainsi d’ailleurs que d’une
version de l’Epitre à Henri II, dépourvue de diverses digressions
chronologiques.
JHB
21. 08. 12
[1] 2003 Contribution aux recherches biographiques sur Michel de
Nostredame, sur Espace Nostradamus
[2] Le dominicain a-t-il choisi ce nom de Sainte Marie en l’honneur de
la famille de Nostradamus dont une partie portait ce nom ?
[3] Cf RCN ; pp. 68, p. 80, 90
[4] Cf R Benazra ; RCN ; pp ; 97-98
[5] « Les imposteurs et pièces apocryphes sur Nostradamus », Espace
Nostradamus
[6] R. Benazra, Abrégé de la vie et de l'Histoire de Michel
Nostradamus, par Palamède Tronc du Coudoulet, Ed. Ramkat 2001)
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98 - Du testament de Nostradamus à la
Préface à César (1566)
Par Jacques Halbronn
Nos dernières recherches nous ont conduits à la quasi –certitude que
Nostradamus avait bel et bien commenté ses présages ou en tout cas que
des Commentaires étaient parus sous son nom. En tout état de cause, le
mot Commentaires est rarement associé au nom de Nostradamus du moins
lorsque c’est Michel Nostradamus qui en est non pas l’objet mais
l’auteur.
Pourtant, il subsiste un certain nombre de traces et d’indices qui
vont dans ce sens, notamment dans Le Brief Discours de la Vie de M.
Michel de Nostredame, dans la Première Face du Janus François, mais
aussi dans la Préface à César, dans les Commentaires du Sieur de
Chavigny, dans les Significations de l’Eclipse de 1559 et dans la
Bibliothèque d’Antoine Du Verdier (1585). Ajoutons qu’il est probable
que les dits Commentaires soient parus en 1568 chez Benoist Rigaud, à
Lyon.
En fait, le terme « commentaire » n’est pas spontanément associé avec
l’activité de Michel Nostradamus au point que l’on ne s’attend pas à
ce que le dit Michel ait pu commenter, après coup, ses propres
quatrains àl’instar de tous ceux qui les commenteront par la suite.
Le texte le plus marquant nous semble se trouver dans la biographie de
Nostradamus connue d’abord sous le nom de Brief Discours (cf supra).
Le terme y revient à deux reprises :
-au début :
« Dont vient que nostre Auteur en ses Commentaires dit avoir reçu (…)
la connaissance des Mathematiques de ses antiques progéniteurs »
Et à la fin :
« si vray est ce que j’en ay trouvé en plusieurs lieux des
Commentaires de sondit père, notamment sur l’an 1559 & mois de Juillet
où je renvoye le Lecteur »
La première partie est attestée dans toutes les versions du Brief
Discours alors que la seconde ne figure pas dans la traduction
anglaise de 1672.
Le lecteur du Brief Discours est donc invité –renvoyé- à la lecture
des Commentaires de Michel Nostradamus sur le quatrain de juillet de
l’almanach pour 1559.
Rien ne prouve donc que les Commentaires dont il s’agit soient
consacrés en quoi que ce soit aux Centuries ni même aux quatrains des
almanachs. Ces Commentaires, s’ils ont bien existé, traitaient
vraisemblablement de la prose des publications annuelles de Michel
Nostradamus, parues dans les années 1550-1560, et dont nous savons que
le Recueil des Présages Prosaïques en fait la recension. Les
Commentaires s’appliquaient à l’évidence au contenu du dit Recueil et
non spécialement aux quatrains. Il est possible qu’il faille plutôt
aller voir dans les Pléiades de Chavigny qui s’intéressent davantage à
la prose de Nostradamus pour se faire une idée de ce que pouvaient
être les commentaires du dit Nostradamus.
Dans cet ouvrage, dont la première édition est chez Pierre Rigaud,
fils de Benoist Rigaud, à Lyon, en 1603, dont on a un manuscrit daté
de 1594- Vaticination fort ancienne interprétée du tres chrestien
Henry IIII Roy de France et de Navarre et conférée avec les oracles et
présages de M. Michel de Nostradamus (Bib. Aix en Prov.), on trouve
également ce terme de Commentaires (p. 4) :
« Parquoy en ceste Première PLEIADE je delibere apporter une
conférence de tous les passages pris des Commentaires du premier
Voyant & du plus grand Prognostiqueur de nostre temps, Michel de
Nostredame » Ce sont bien les Commentaires dus à Nostradamus et non de
Nostradamus dont il est question ici. Mais que penser, quelques lignes
plus loin (p ;5) de la forme « qui se trouveront semés parmi nos
Commentaires » ? Commentaires de qui, ? Apparemment de Nostradamus.
Est-ce à dire que Chavigny cite les commentaires de Nostradamus sur
ses présages en prose ou seulement les présages en prose ?. Chavigny
commente-t-il un commentaire fait après coup ou un présage qui est en
fait le contraire d’un commentaire ? Or dans le Janus Gallicus, on est
bien dans une logique de commentaire rétrospectif, où le présage est
confronté aux chroniques de l’année, fais par des non astrologues - et
l’on peut penser que Nostradamus ait recouru à une telle méthode de
travail, chaque fois que telle source historique est mentionnée, non
pour les quatrains mais pour la prose mensuelle. D’ailleurs, la
Première Face du Janus François ne mentionne-t-elle pas en son titre
les dits Commentaires ? « Extraite et colligée des Centuries et autres
Commentaires de M. Michel de Nostredame » Et que contient cette
Première Face sinon en grande partie des quatrains des almanachs
dument « commentés » ?
Tout se passe comme si le Brief Discours renvoyait à la Première Face
alors même qu’il s’y trouve joint mais qu’il désigne- le contenu du
Janus, nous ne le pensons pas.. On aura compris que selon nous ce
Discours a du initialement paraitre en dehors de la dite Première Face
et d’ailleurs, il y semble comme surajouté. Ce n’’est qu’à la page 36
que débute réellement l’ouvrage dont le double titre, français et
latin, est repris avec quelques variantes, comme « tombeau » à la
place de « fin » de la « maison Valésienne ».Ce sera aussi le cas de
l’Epitre à Alphonse Dornano, en date du 19 février 1594, à la fin du
recueil dont il existe une édition séparée, datée de 1595 (Bib.
Mazarine)
Autrement dit, le Brief Discours signale l’existence des Commentaires
de Nostradamus avant qu’il n’y ait été intégré. Or, on ne connait pas
une telle édition sans le dit Discours. En revanche, en 1596, le Janus
reparaitra sous le titre de Commentaires du Sieur de Chavigny sur les
Centuries et pronostications de feu M. Michel de Nostradamus. Mais
cette édition est de mauvaise qualité. Les quatrains, certes, se
suivent dans le même ordre que dans la Première Face du Janus François
mais le découpage en années n’a pas été repris alors que dans la dire
Première Face, le texte est balisé année par année, voire mois par
mois. Rappelons que selon l’Avertissement au Lecteur (p. 35), on ne
doit plus tenir compte ici du mois et de l’année d’origine des dits
quatrains. Une telle incurie qui enlève de sa portée au commentaire
nous semble indiquer une édition pirate, d’où le choix d’un titre
différent.
On note le changement par rapport à l’édition de 1594 : « extraite et
colligée des Centuries et autres commentaires de M. Michel Nostradamus
iadis Conseiller etc ». Tout se passe comme si l’on avait à cette date
voulu nier ou en tout cas oublier que Nostradamus avait publié des
Commentaires ou encore comme si Chavigny alias Chevigny prenait les
dits Commentaires à son propre compte, ce qui correspondait
possiblement à une certaine vérité. L’effet de cette modification est
de gommer l’image d’un Nostradamus premier commentateur des quatrains.
Mais de quels quatrains sinon bien entendu de ceux des almanachs et
d’ailleurs le seul quatrain figurant dans le Brief Discours est
extrait d’un almanach. Faut-il conclure que l’édition antérieure des
Commentaires ne comprenait aucun des nouveaux quatrains ? D’ailleurs,
même l’édition que nous connaissons est centrée sur les anciens
quatrains (voir avertissement p. 35), ce qui montre qu’elle est en
grande partie la reprise de la précédente. Mais le Brief Discours nous
fournit une autre information à propos des dits Commentaires :
« Dont vient que nostre Auteur en ses Commentaires dit avoir reçu (…)
la connaissance des Mathematiques de ses antiques progéniteurs ».
Cela indique clairement, il nous semble, que cette édition antérieure
comportait une partie autobiographique qui aura été remplacée par ce
Brief Discours, avec une teneur vraisemblablement quelque peu
différente sur certains points de la vie de M. Michel Nostradamus.
Quant à la date de 1568, elle semble assez vraisemblable. On peut
aisément concevoir que Nostradamus ait laissé un tel « bilan » à sa
mort et l’on peut se demander si cela ne correspond pas au « mémoire »
qu’il entend laisser à son fils, dans sa Préface à César et auquel il
est fait allusion dans son testament conservé aux Archives
Départementales des Bouches du Rhône[1]?
« et aussy a prélégué et prélègue ledict Maistre Michel de Nostradamus
testateur toutz et ungs chescungs ses livres qu'il a à celluy de ses
filz qui proffitera plus à l'estude et qui aura plus beu de la fumée
de la lucerne, lesquels livres ensemble toutes les lectres missives
que se treuveront dans sa maison dudict testateur, ledict testateur
n'a vouleu aulcunement estre invantarizées ne mis par description ains
estre serrés en paquetz et banastes jusques ad ce que celluy qui les
doybt avoyr soyt de l'eaige de les prandre et mis et serrés dans ungne
chambre de la meyson dudict testateur ». [2]
Par ce passage du testament, en effet, se voir corroboré une certaine
lecture de la Préface qui ne justifie aucunement une parution
immédiate, c’est le moins que l’on puisse dire. Il y est question
notamment du volume de correspondance, qui sera édité par Jean
Dupèbe[3]: « jusqu’à ce que celluy qui les doybt avoyr soyt de l’eaige
de les prandre » et en attendant, tout cela sera conservé « dans ungne
chambre de la meyson ». Notre avis est que la Préface à César est
directement inspirée du testament et qu’elle en est comme une sorte de
paraphrase, et qu’il faut changer 1555 en 1566, ce qui rend évidemment
caduque toute édition des Centuries datée de 1555, quitte à supposer
par ailleurs que dans les papiers ainsi légués, ait pu figurer une
telle collection de quatrains inédits...
Rappelons une fois de plus ce passage de la Préface, dans la version
Besson qui est la plus complète :
« Ton tard avènement en ce monde terrien Cesar Nostradamus mon fils
m’a fait mettre mon long loisir à continuelles vigilations nocturnes
pour référer par écrit ² à toy delaisser un mémoire après la
corporelle extinction de ton progéniteur etc »
La publication en 1568 des Commentaires ne correspond pas
nécessairement au dit « Mémoire », César n’étant alors âgé que de 15
ans. Est-ce que ces Commentaires faisaient partie de ce qui devait
rester enfermé, « serré » ? Nous ne le pensons pas bien que dans la
Préface Nostradamus se dit « espérant à toy declarer une chacune des
Prophéties & quatrains cy mis ». En fait, nous pensons que la Préface
à César, reprenant les termes du testament, a du servir à introduire
les Commentaires et qu’elle peut être datée de 1566 à l’instar du
Testament. Nous pensons que ces Commentaires couvraient les années
1555 à 1565, à l’exception de 1556, soit dix « livres ». D’ailleurs,
dans la phrase qui précède, Nostradamus écrit : « que plus à plein ay
redigé par escrit aux miennes Prophéties » (entendez ici quatrains des
almanachs) mais il nous semble que la phrase est bancale :: manque
selon nous le mot « commentaire » et vraisemblablement en prose.
La lecture du testament nous montre que même en 1566, la Préface à
César faisait sens et qu’il n’était pas encore question pour
Nostradamus de transmettre certains documents. En fait, nous pensons
que cela a pu tenir à une erreur de lecture, confondant les six et les
cinq. Il est remarquable que cette préface ne figure pas d’ailleurs
dans le Janus Gallicus qui est le lieu qui lui correspond le mieux.
Elle en aurait été exclue pour se placer en tète d’un premier (et au
départ unique) train de quatrains.(cf. Rouen, 1588)
En conclusion, nous dirons que ces Commentaires de Nostradamus sont
parus en 1568 chez Benoist Rigaud, avec la Préface à César datée de
1566. Est-ce à dire que Nostradamus aura commenté une série de
quatrains ? Nous pensons qu’il aura commenté le Recueil des Présages
Prosaïques, fait comme son nom l’indique de prose mais incluant les
quatrains. Autrement dit le Janus Gallicus ne correspond pas aux
Commentaires ou si l’on préfère il peut avoir gardé les commentaires
tout en les référant aux quatrains. Dans les années autour de 1588, la
Préface à César va resservir, avec un changement délibéré ou non de
1566 pour1555 pour annoncer cette fois un autre corpus, celui de
nouveaux quatrains censés avoir été « serrés » dans la chambre
désignée par le testament.
Revenons brièvement sur le cas de Michel Nostradamus le Jeune.
Palamédes Tronc de Coudoulet a –t-il produit un faux document dans son
Abrégé de l’histoire de M. Michel Nostradamus quand il fait de Michel
Nostradamus le Jeune l’aîné des fils de Nostradamus ? En tout cas,
force est de constater que le testament ne mentionne pas le fils en
question, testament par ailleurs repris, du moins en partie, dans le
dit Abrégé (Sommaire du testament de Nostradamus ») ? Ce premier fils
des secondes noces semble en tout cas avoir posé problème. On se
demande d’ailleurs pourquoi Nostradamus aurait entendu aussi longtemps
– six ans après s’être remarié- pour avoir des enfants. Ce fils qui
d’ailleurs en cette même année 1568 apparait comme auteur d’une série
de prédictions annuelles et qui aurait du être le plus apte à
apprécier le travail de son père à tel point qu’en parcourant le
testament nous pensions spontanément à Michel Nostradamus le Jeune,
avec cette formule assez étonnante « à celuy de ses filz qui
profittera plus à l’estude », avec notamment cette correspondance d’un
astrologue professionnelle qui a été réunie, mais la suite semble
indiquer que Nostradamus pense à un enfant qui n’est pas encore en âge.
« jusques ad ce que celluy qui les doybt avoyr soyt de l'eaige de les
prandre et mis et serrés dans ungne chambre de la meyson dudict
testateur » [4]. On a l’impression que Nostradamus a comme déshérité
son ainé pourtant précocement attiré par l’astrologie et décidé de
croire en son puiné[5] Mais de là à modifier sa biographie, il y a de
la marge. L’historien dominicain Jean Giffré de Réchac, dans son
Apologie de Nostradamus en tête de son Eclaircissement (1656) s’en
tient à la thèse d’un premier né, prénommé Michel.
Si l’on observe ce premier quatrain de la Centurie I, emprunté au dit
Michel Nostradamus le Jeune, on peut y voir la marque d’un penchant
pour la magie et l’on connait les sources des deux premiers quatrains,
chez Jamblique, Crinitus, Agrippa, ce qu’a bien montré Pierre
Brind’amour.
« Estant assis de nuict secret estude
Seul reposé sus la selle d’aerain
Flambe exigue sortant de solitude
Faict prosperer qui n’est à croire vain » etc
On peut supposer que Nostradamus ait réprouvé une telle orientation.
Or, paradoxalement et ce sera la revanche sinon la vengeance du dit
Nostradamus le Jeune, ce sont ces quatrains qui paraitront dans les
années 1580 attribués au père tant et si bien que l’on parlera du père
au travers des dits quatrains, ce qui aura fait retourner Michel de
Nostredame dans sa tombe. Raison de plus pour cesser d’attribuer à
Nostradamus ces Centuries. Mais César son fils, à l’évidence, aura été
complice d’une telle évolution puisqu’il laissera utiliser sa Préface
de 1566 pour annoncer un tel ensemble.
On se rappellera cette édition Pierre Rigaud 1566 du XVIIIe siècle qui
renoue avec l’année du testament de Nostradamus, en reproduisant
d’ailleurs, en tête, le texte de la pierre tombale qui s’y trouve
déterminé.
Pour en revenir aux Commentaires de Nostradamus sur son propre texte,
il est possible que certaines libertés d’interprétation que nous avons
reprochées à Chavigny seraient en fait dues à Michel Nostradamus
lui-même, notamment quant à la façon de voir dans tel mot assez banal
une allusion à Louis Ier de Bourbon qui meurt à peu près au moment où
aurait du s’arrêter le commentaire de Nostradamus, en 1564, plus
probablement 1565. Que savons-nous au vrai de la façon dont Michel de
Nostredame évaluait – notamment dans ses commentaires- son propre
travail ? Est- ce que les procédés d’interprétation pratiqués par
Chavigny correspondaient à ceux de son maître ? L’art du commentaire
est fort différent de celui du pronostic, comme on peut le voir pour
la prophétie du pseudo Saint Malachie et ses commentateurs[6]. Il
semble que l’on ait le plus grand mal à imaginer un Nostradamus
commentateur de sa propre production mais c’est là, nous semble-t-il,
un point aveugle. Inévitablement, Nostradamus ne pouvait que commenter
ses pronostics à l’instar de tout astrologue.
.
JHB
22. 08. 12
[1] Cf Ruzo, in Numéro spécial Nostradamus, Cahiers Astrologiques,
avril 1962
[2] La troisième et dernière Épître de Nostradamus: Son Testament
(avec le texte du Testament de Nostradamus et son Codicille) par
Patrice Guinard
[3] ( Lettres inédites, Droz, 1983
[4] La troisième et dernière Épître de Nostradamus: Son Testament
(avec le texte du Testament de Nostradamus et son Codicille) par
Patrice Guinard
[5] On notera que dans les Centuries, on trouve cette dialectique de
l’ainé et du puiné :
[6] Cf Papes et prophéties . Ed Axiome, 2005
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99 - Les éditions pseudo-rigaldiennes 1566- 1568
et sans date des XVIIe et XVIIIe siècles
Par Jacques Halbronn
Rien ne vaut la lecture des nostradamologues de la fin du XVIIe et du
début du XVIIIe siècle pour éviter certaines erreurs de chronologie.
C’est ainsi que l’auteur (« Un solitaire » de la Clef de Nostradamus
(…) avec la critique touchant les sentimens & interprétations de ceux
qui ont ci devant écrit sur cette matière, ouvrage de taille paru à
Paris, rue saint Jacques, chez Pierre Giffart, en juin 1710 (selon un
Avis) – dont on sait qu’il s’agissait de Jean Le Roux, ancien curé de
Louvicamp (diocése de Rouen)[1] , reflète fort bien le climat de
recherche de l’époque autour de l’ensemble nostradamique et centurique
et nous apparait comme le continuateur de l’école française de
critique nostradamique née dans les années 1650 avec Jacques Mengau –
dont Le Roux est le lecteur des Avertissemens, dont il ignore le nom
de l’auteur (cf p. XXIX de la Préface) et le dominicain Giffré de
Réchac – dont Le Roux ignore tout autant qu’il est l’auteur des
Eclaircissemens (sic) de 1656- il l’appelle « l’Auteur anonyme »
auquel nous avons consacré il y a cinq ans (2007) notre thèse de post
–doctorat. Quelques années plus tard, un nouvel essor centurique se
produira, probablement lié à la Succession d’Espagne qui produit un
changement dynastique de l’autre côté des Pyrénées au profit des
Bourbon et l’on sait à quel point les changements dynastiques excitent
l’imaginaire prophétique, comme cela avait été le cas avec la fin des
Valois, dont la Première Face du Janus François tient le plus grand
compte, en son titre de 1594.
Il est une date à laquelle notre Solitaire, entré en nostradamie en
1688, lecteur de la Concordance de B. Guynaud (1693) accorde quelque
importance, c’est l’an 1597, date évoquée dans l’Epitre à Henri IV en
tête des sixains. Il semble en fait qu’il s’agisse d’une coquille,
voulue ou non, et que l’année d’origine ait été 1567. En effet, Le
Roux évoque la question des Présages assez longuement. Il semble
ignorer tout à fait que la collection dont Chavigny parle à la fin du
« Brief Discours de la vie de M. Michel de Nostredame » (p. 7) est une
compilation d’almanachs qui ont été produits d’une année sur l’autre.
Le Roux semble croire que Nostradamus aurait publié dès les années
1550 un tel ensemble. Il est vrai qu’existe bel et bien un genre de
Prédictions de telle année à telle année, notamment sous le nom de
Michel Nostradamus le Jeune et d’Antoine Crespin Nostradamus. Il
connait les commentaires qui se trouvent de certains d’entre eux dans
ce qu’il appelle l’Histoire des guerres civiles de Janus Gallicus,
prenant ce Janus Gallicus pour l’auteur (Jani Gallici facies prior) et
négligeant le nom de Chavigny qui figure à la suite, sur la page de
titre.
.On a droit à tout un développement du curé sur la présence des
quatrains de l’an 1561 au sein de la centurie VII de certaines
éditions centuriques .
Le Roux écrit (pp. 311 et 314) « Il faut scavoir que cet Oracle de la
France ayant d’abord publié un Livre de Présages dès l’an 1550 pour
durer jusqu’en 1597 (sic), il nomma selon le témoignage que nous en
rend Janus Gallicus (sic) ces sortes de Prédictions de Présages
externes. Le Roux cite par ailleurs les éditions du xVIIe siècle
comportant la mention « Présages tirez de ceux faits par M,
Nostradamus es années 1555 & suivantes jusqu’en 1567 » sans se rendre
compte qu’il s’agit du même document que celui signalé dans le Janus
Gallicus, à savoir les présages issus des almanachs et pronostications
publiés par Nostradamus, à ce détail près que l’on aura préféré
finalement la date de 1555 à celle de 1550, laquelle date de 1555 aura
déterminé celle de la Préface à César, si l’on admettait qu’il
s’agissait d’un recueil paru en 1555 et comportant la dite Préface à
un enfant âgé de moins de deux ans. Le Roux suit Séve (p. 318-319),
dans l’Epitre à Henri IV, en cette date de 1597 qui est une
déformation, selon nous, du terme de 1567.
Puis Le Roux en arrive à l’affaire des présages de la centurie VII
(pp. 320 et seq) dans la série 1561-1588 : « Quand l’oracle donna au
Public pour l’année 1561 une douzaine de quatrains sous le nom de la
septième centurie, qui restoit alors encore à faire ». Le Roux montre
que l’on était tout à fait conscient en 1710 du problème : « de ces
douze quatrains le premier étoit tiré de la sixième, sept autres
étoient tirez du Livret de ces mêmes Présages ici en question, qui se
trouvent sur l’année 1561 (…) & les quatre autres parfournissoient le
nombre de douze, étoient à la vérité nouvellement faits par l’oracle
puisqu’ils n’avoient paru nulle part auparavant » . En quoi Le Roux se
trompe du fait qu’il n’a pas connaissance de l’almanach pour 1561 mais
ne connait cette série que par les commentaires du Janus Gallicus
alors même que ceux qui produisirent cette centurie VII connaissaient
forcément le contenu intégrale du dit almanach, du moins par le biais
du Recueil de Présages Prosaïques – en dépit de son nom [2]- ou par
quelque autre source, qui les aurait inclues. On notera que Le Roux ne
signale pas une édition parisienne de la Ligue mais se sert
vraisemblablement de l’édition Veuve Buffet, récemment exhumée[3], se
référant non pas à 39 mais à 38 articles. « Quoi qu’on fut averti au
frontispice de cette Edition, que la septiéme Centurie nouvellement
ajoutée en douze quatrains renfermoit en elle-même trente huit
articles (les copistes) en ont rejetté les huit qui se trouvoient
ailleurs dans les éditions qui avoient précédé » (pp. 321-322). Le
Roux n’envisage pas un instant que cette édition parisienne marquée
1561 puisse être une contrefaçon antidatée, du fait qu’il ne connait
pas la série des éditions parisiennes de la Ligue. D’une façon
générale, Le Roux connait beaucoup mieux les éditions datées entre
1555 et 1561, censées parues à Lyon et à Paris que les éditions parues
entre 1588 et 1590, à Paris, Rouen et Anvers. Quant à l’édition
Benoist Rigaud 1568, elle ne fait pas partie de son corpus si ce n’est
par le biais de Du Ruau qui s’y référe mais en produisant une fausse
édition assimilable à une mazarinade, avec des quatrains
supplémentaires à la VIIe centurie..
Notons aussi ce que Le Roux écrit de l’histoire des sixains (pp. 340
et 349) : il reprend un passage de l’Eclaircissement qui réfère selon
nous au cas de Morgard « condamné aux Galères »[4]. On se réfère à un
manuscrit des sixains en comportant plus de 58. Le Roux défend
âprement l’authenticité des Sixains contre Giffré de Réchac. Tout
l’argument de Le Roux concernant tant les centuries VIII-X et les
sixains dont la parution selon lui fut fort tardive, aurait tenu au
fait que ces textes composés de longue date par Nostradamus, mais
gardés secrets, annonçaient l’avènement des Bourbons, alors qu’il
vivait sous les Valois. Voilà pourquoi Le Roux ne croit pas à une
édition datée de 1568 et ne pense pas que l’épitre au Roi, de 1558,
soit jamais parvenue à son destinataire. « Cet Oracle avoit un grand &
notable interest de ne pas montrer sur-tout à la Cour, ni son Epistre
à Henri II , ni les Centuries qui la suivent (..) Dans lesquels
Quatrains l’Oracle parloit clairement de la maison de Vendosme ou de
Bourbon aussi-bien que de celle de Lorraine (..) Il valoit donc mieux
pour luy de supprimer toutes ces Prophéties là pour un temps & les
tenir secrétes (comme il fit) pendant le reste de ses jours, avec
ordre à ses amis de ne les publier qu’après sa mort, ainsi qu’il est
arrivé » (p. 269-270, 276-277)
Mais ce qui nous intéresse le plus chez Le Roux, c’est sa déclaration
concernant les éditions Benoist Rigaud 1568. Certes, reconnait-il
certains éditions mentionnent-elles, au XVIIe siècle, une telle
édition mais il n’en a jamais vu aucune et il a des doutes quant à sa
réalité.
Si Le Roux a connaissance d’une rare édition Valentin de Rouen (p ;
191), se disant prise sur une édition Pierre Roux d’Avignon, et une
autre de Pierre Du Ruau qu’il date de 1605 (p. 272), il n’en est pas
de même pour les dites éditions Rigaud : Du Ruau ‘assure à la teste de
son livre (…) que Benoist Rigaud de Lyon fût le premier qui les
imprima en 1568, Edition que je n’ay jamais vue & que je souhaiterais
voir avec passion pourvu qu’elle ne fût point contrefaite ; car il y
en a beaucoup de fausses, faites à Paris & ailleurs, comme si elles
étoient véritablement celle de Benoist Rigault de Lyon ». Un tel
propos nous conduit à réviser nos derniers textes à ce sujet quand
nous écrivions il y a peu que ces éditions avaient été produites dans
la seconde partie du XVIIe siècle et avaient en quelque sorte précédé
la publication de la fameuse édition Pierre Rigaud 1568 que l’on situe
au début de la Régence de Philippe d’Orléans.[5] , vers 1716, dont Le
Roux ne pouvait évidemment en 1710 avoir pris connaissance.
Selon nous, si la profusion d’éditions Benoist Rigaud, minutieusement
cataloguée par Patrice Guinard, était inconnue d’un spécialiste comme
Le Roux, cela fait quand même désordre et nous sommes conduits à
reporter ce flot d’éditions Benoist Rigaud 1568 sur la période de la
Régence, aux côté de l’édition avignonnaise Pierre Rigaud 1566.
Signalons en 1731, à Avignon, une édition qui reprend le titre de
l’édition Rigaud 1566, chez François Joseph Domergue.[6], à Avignon,
en territoire pontifical, ce qui permettra de rétablir la réalité des
faits. Il aura suivi la ligne de son oncle paternel, François Joseph
Domergue qui aurait lancé cette édition au titre décalé, confondant
Pierre et Benoist ou si l’on préféré inversant le père Benoist avec le
fils, Pierre.
.Notons que le début du XVIIIe siècle correspond à un regain de
l’intérêt pour Nostradamus. Réédition en 1709 (puis encore en 1712) de
la Concordance de Guynaud. En 1711, Pierre Joseph de Haitze publie une
Vie de Nostradamus, à Aix[7] sans parler des travaux biographiques de
Palémédes Tronc du Coudoulet, étudiés par R. Benazra en 2001, dont dès
1701, un Abrégé de la vie de Michel Nostradamus, paru égalemengt à Aix
(en Provence) [8] et qui situe comme l’ainé de César, un certain
Michel Nostradamus le Jeune.
Nous pensons donc que c’est dans les années qui suivirent la parution
de 1710 de la « Clef » que fut mise en chantier une série d’éditions
rigaldiennes, inspirées précisément par les réflexions de Jean Le Roux
sur l’absence d’éditions datées de 1568. On aurait donc eux deux
éditions : une première édition à 10 centuries puis sa réédition deux
ans plus tard. Pour quelque raison, il y eut une confusion à propos
des prénoms et l’on passa étrangement de Pierre à Benoist ; L’édition
Pierr e Rigaud fut épinglée au début du XXe siècle mais l’édition
Benoist Rigaud ne fut pas inquiétée et ne l’a pas été depuis, du moins
jusqu’à ces derniers temps.
En ne situant pas ces éditions 1568 dans la première moitié du XVIIIe
siècle, on se faisait une fausse idée de l’activité nostradamique de
l’époque et toute cette effervescence biographique semblerait avoir
tourné à vide. D’ailleurs, l’importance même de cette « Clef »,
comportant des analyses bibliographiques très pointues, témoigne de la
vitalité du nostradamisme vers 1710.
Force est de constater que la production nostradamique connait des
pics : celui de la Ligue, celui de la Fronde et celui de la Régence
mais aussi de la Succession Bourbon de Charles II d’Espagne, avec
entre ces temps forts des temps morts ou en tout cas sans nouvel élan.
Probablement ne pourrait-on expliquer l’importance du nostradamisme à
la fin du XVIIIe siècle sans une certaine diffusion des Centuries. On
pense à la parution en 1789 de la Vie et Testament de Michel
Nostradamus, Paris, Gattey, ainsi qu’à cette édition datée de 1791 se
référant à 1568 , se référant au Janus Gallicus[9]; « Les prophéties
de M. Michel Nostradamus en dix centuries. Nouvelle édition imprimée
d’après la copie de la première édition faite sous les yeux de César
Nostradame son fils en 1568, Avignon, Frères Garrigan[10]. Une autre
édition en paraitra, à Salon, au début du siècle suivant. C’est dire
que la référence à 1568 était bien présente, même si elle produit une
variante mettant en scène le jeune César, alors âgé d’une quinzaine
d’années, cas de figure d’ailleurs assez cohérent car une certaine
lecture de la Préface à César nous a conduit à situer la date de la
Préface en 1566, en parallèle avec la rédaction du Testament – 1555
étant, selon nous, une erreur de lecture. Mais cette édition de 1791
comporte la reproduction de la pierre tombale, ce qui n’est pas le cas
des éditions Benoist Rigaud 1568.
Un des grands mérites de Le Roux est la façon dont il conçoit la
genèse des centuries : « (p. 274) : « Nostradamus (..) Ne remplissoit
le nombre de sept centuries que peu à peu & de temps en temps, à
mesure qu’il falloit faire de nouvelles éditions, pour fournir au
grand débit ainsi qu’il parait par celles qui me sont tombées dans les
mains, dont les premières & plus anciennes sont toujours les moins
complètes, ce qui est bien digne de remarque (…) afin de distinguer
les Editions de fausse date d’avec celles qui sont d’une date
véritable ». Ailleurs Le Roux développe ainsi l’argument (p. 156) :
« Il faut scavoir que Nostradamus ayant fait faire différentes
éditions de ses premires Prophéties pour fournir au grand débit qui
s’en faisoit, il trouva bon de changer quelques mots & même des vers
entiers de ses quatrains, qu’il fit ensuite imprimer autrement qu’ils
n’étoient auparavant » . A propos de La Fronde, le curé de Louvicamp
dit, songeant aux éditions Pierre Du Ruau, que l’on fit « semblant de
distribuer au Public une ancienne Edition de 1568, par Benoist Rigaud,
quoiqu’elle fust toure fraîche » (p. 187)
Etrangement, Le Roux conçoit une formation très progressive, voire
tâtonnante du « premier volet »- mais la composition déjà achevée de
longue date de ce qui allait constituer le second (centuries VIII-X)
et le troisième volet (sixains) mais restant longtemps inédite jusqu’à
l’avènement des Bourbons (cf pp. 188-189), d’où sa relecture de
l’Epitre à Henri II, où il interprète le passage sur les années 1585
et 1606 comme devant être lu 1589 (mort d’Henri III ) et 1610 (mort
d’Henri IV). Nostradamus « avoit prédit contre toute apparence &
contre toute conjecture humaine que la Maison de Bourbon monteroit un
jour sur le Trône de France » (p. XXIV de la Préface).
Ce point de vue de Le Roux est assez proche du notre. L’idée d’un
premier volet déjà terminé dès 1557 et ensuite perturbé ne nous
convient pas, pas plus que la parution du second volet avant le temps
de la Ligue (1558- 1568) puis son éclipse avant de reparaitre dans les
années 1590 . Mais bien évidemment, il faut prendre nos propos au
second degré car nous n’adhèrons nullement à l’idée d’une élaboration
des centuries du vivant de Nostradamus mais nous n’en saluons pas
moins un certain sens historique chez l’ancien curé normand.
Malheureusement pour lui, en ce qui concerne les Présages, il partit
sur une fausse piste, à cause d’une mauvaise leçon du Brief Discours
d’un texte somme toute assez maladroit de Chavigny : « nous avons de
luy d’autres présages en prose, faits puis l’an 1550 iusques à 67 » (cf
Le Roux, p. 51) et qui laissa croire – notamment avec la variante
1555-1567 qui prévaudra- qu’était paru un tel ensemble dès les années
1550. Or, le genre des prédictions sur plusieurs années ne fonctionne
pas sur la base des 12 mois mais des 4 saisons, à l’instar des
Pronostications mais cela Le Roux l’ignorait.
Mais revenons sur la thèse d’une production de vraies fausses éditions
Benoist Rigaud 1568, par opposition aux contrefaçons grossières du
XVIIe siècle marquées par l’esprit des mazarinades et par le portrait
de Michel Nostradamus le Jeune. On note que Pierre Rigaud indiquait
son adresse sur les éditions qu’il publié au tournant du XVIe siècle
et que les fausses éditions 1566 reprennent cette mention. En revanche,
quelques années plus tôt, ni Benoist Rigaud, ni les «Héritiers de
Benoist Rigaud » ne fournissaient l’adresse de « la rue Mercière, au
coing de la rue Ferrandière ». Comme les diverses éditions Rigaud de
ces années 1590 et suivantes ne comportent pas de dates, l’on conçoit
que les libraires avignonnais n’aient pas su en établir correctement
la chronologie, faute de prendre la peine de s’informer davantage. R.
Benazra signale bel et bien des éditions Benoist Rigaud 1568[11],
elles pourraient avoir été produites autour de 1772. Anatole Le
Pelletier [12] la mentionne en sus de l’édition Pierre Rigaud 1566. Il
semble qu’il en ait existé avec diverses vignettes. La description
qu’il donne de la version qu’il décrit correspond à l’une des éditions
Benoist Rigaud 1568 décrites par Patrice Guinard, ave la vignette de
Jupiter et des deux signes zodiacaux dominés par la planète de ce nom,
avec cependant cette particularité que l’on ne retrouve pas dans les
éditions 1568, à savoir l’épitaphe latine (comme dans Pierre Rigaud
1566), tout à fait à sa place dans une édition posthume mais néanmoins
absente des exemplaires que nous connaissons.
Mais, que dire de ce brusque changement de style en quelques années
entre une édition non datée « Benoist Rigaud » sans adresse – les
éditions datées 1594-1596[13] sont introuvables selon P. Guinard[14] -
une édition non datée « Héritiers Benoist Rigaud » sans adresse et
puis une édition non datée « Pierre Rigaud » avec adresse, tout cela
sur un laps de temps que les bibliographes Chomarat et Benazra,
situent sur moins de dix ans ? Selon Chomarat[15], la mention Pierre
Rigaud n’apparait qu’à partir de 1600, celle des Héritiers Benoist
Rigaud à partir de la mort de Benoist, le 23 mars1597. En 1603, Pierre
Rigaud publie les Pléiades de Chavigny et son nom apparait suivi de
son adresse, celle qui va être reprise dans les éditions du XVIIIe
siècle. Mais le choix des libraires avignonnais n’est –il pas
révélateur de l’inexistence, des dites éditions Benoist Rigaud et
Héritiers Benoist Rigaud dans les années 1594-1600, celles-ci n’ayant
été produites qu’ultérieurement, dans le cours du dit siècle,
conjointement avec les éditions Benoist Rigaud 1568, pratique bien
connue consistant à publier parallélement une édition « moderne » et
une édition « ancienne », comme cela se pratiqua à Paris, sous la
Ligue, chez les libraires parisiens ? A notre avis, la seule édition
authentique des deux volets qui soit parue avant 1600 est celle de
Cahors, Jaques Rousseau, datée 1590, qui aura été utilisée dans la
Première Face du Janus François, laquelle édition de Cahors comporte
le quatrain IX, 86 associé au couronnement de Chartres, début 1594 et
qui sera reprise par Pierre Rigaud et d’autres libraires lyonnais
comme Jean Poyet et Jean Didier (dont le nom servira pour les fausses
éditions 1627, un produit totalement lyonnais[16]..En fait, le vrai
démarrage des éditions à deux volets devra attendre la mort de Louis
XIII, en 1643.
Pour revenir sur le dossier Michel Nostradamus le Jeune, dont nous
avons dit qu’il avait été repris, au début du XVIIIe siècle, par
Palamédes Tronc du Coudoulet, signalons une parution allemande de
1762[17] , à Leipzig chez Joh. Gab. Büschel : Neue Prophezeiungen und
Kalenderapraktik (…) aus einer Französischen Handschrift des berühmten
Michael Nostradamus gezogen und mit einer Vorrede begleitet von
Michael Nostradamus dem Jüngern ( Bibl Munich 3293) ; il s’agit de
prophéties pour cent ans de 1760 à 1860, tirées d’un manuscrit de
Michel Nostradamus, avec une préface de Michel Nostradamus le Jeune.
JHB
23.08. 12
[1] Cg Benazra, RCN, pp. 284 et seq
[2] Cf l’édition du manuscrit par B. Chevignard, Présages de
Nostradamus, Paris, Seuil , 1999
[3] Cf catalogue Thomas Scheler, intr. M. Scognamillo Paris, 2010
[4] Cf nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostrdamus, ed.
Ramkat 2002
[5] Cf Benazra, RCN, pp. 295 et seq/
[6] Cf R. Benazra, RCN, pp 302-303
[7] Cf Benazra, RCN, ; ^ 292 et seq
[8] Cf R. Benazra ; RCN, PP. 282-283
[9] Cf R. Benazra, RCN pp 329-330
[10] Cf RCN, p. 334.
[11] Cf RCN, ^pp. 320-321
[12] (Les Oracles, Paris, 1867, tome 1, pp. 43-44, pp ; 54-55 Ed Jean
de Bonnot, Paris 1976)
[13] Nous avions montré que la référence à la collection Harry Price
de Londres ne correspondait pas à des éditions Benoist Rigaud
1594-1596, ce qui aurait du être vérifié avant publication des
bibliographies Chomarat et Benazra.
[14] CORPUS NOSTRADAMUS 60 -Biblio-iconographie du Corpus Nostradamus
Bibliographical & Iconographical Documentation of the CORPUS
NOSTRADAMUS
[15] Bibliograpihie Nostradamus, p. 87
[16] Cf BEnazra, RCN, pp. 145 et seq et 187 et seq
[17] Cf Chomarat, Bibliographie Nostradamus p ; 189 n° 345 bis
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100 - La production de Nostradamus pour l’an
1555
Par Jacques Halbronn
L’on sait l’importance accordée à l’année 1555 dans la bibliographie
nostradamique, du fait notamment de cette « première » édition à 353
quatrains qui serait parue cette année là chez Macé Bonhomme à Lyon,
dont plusieurs exemplaires ont été retrouvés, depuis une trentaine
d’années. (à Albi, à Vienne, notamment). Le fait que l’on ait
apparemment constitué un recueil non conservé de la production
annuelle de 1555 à 1567 –signalé dans le Brief Discours de la Vie de
M. Michel de Nostredame, explique probablement l’engouement pour cet
an 1555 qui aura conduit à (re)dater la Préface à César pour cette
année là alors que la vraisemblance aurait voulu qu’elle le fut pour
1566 ou 1567.
Récemment, la Pronostication pour 1555 a été acquise par la
Bibliothèque de Lyon, du fait de la vente de la Collection Ruzo (Mexique).
On n’en connaissait jusque là que la page de titre, reproduite par le
dit Ruzo dans son Testament de Nostradamus [1] et dès 2007, P. Guinard
en avait eu communication. Par ailleurs, le Recueil des Présages
Prosaïques, resté à l’état de manuscrit [2] comporte plusieurs pages
consacrées à cette année 1555. Les éditions centuriques du XVIIe
siècle comportent, pour bon nombre d’entre elles, 141 présages issus
des almanachs mais par le truchement du Janus Gallicus. Patrice
Guinard [3] (Corpus Nostradamus 14) note é que cette pronostications «
ne comporte pas de présages mensuels « mais il ne faut pas entendre
par cette formule qu’il ne s’y trouve point de quatrains présages mais
bien d’une certaine prose oraculaire pour chaque mois, seules les
quatre saisons faisant l’objet d’un traitement divinatoire (Corpus
Nostradamus 56).Toutefois ; l’examen du dit Recueil des Présages
Prosaïques nous apprend que ces mêmes quatrains furent et bien
accompagnés d’un commentaire substantiel ne se trouvant pas dans la
Prognostication pour 1555.[1] Il importe donc de comparer les deux
séries et leurs contextes respectifs, dans le cadre d’un corpus
constitué de la dite Pronostication et du dit Recueil, faute de
disposer de l’Almanach de Nostradamus pour 1555[2]. en tant que tel
comme c’est le cas pour l’Almanach pour 1557[3]. Nous avons déjà
signalé le décalage constant entre le manuscrit d’origine et
l’impression qui en découle sous une forme augmentée.
C’est ainsi que le début de la Pronostication imprimée pour 1555
comporte ce développement sur le Printemps qui aura été interpolé par
rapport au manuscrit du Recueil des Présages Prosaïques.
Du Printemps. M. D. LV.
[Primtemps ceste annee 1555 commencera le 11 de Mars
le Soleil entrant au premier point de Aries 0 deg. 22 mi.
la Lune en l'escorp. 4 deg. 24 mi. Saturne en Aries 2 d. 29
mi. Iupiter en Scorp. 1 d. 40 m. Mars en Virgo 1 d. 46 mi.
Venus en Pisces 21 d. 45 m. Mercure en Pisces 21 d. 23 mi.
Lune par jour & par heu. que le tout accordé en son prin-cipe
obtiendra de qualitez contraires à sa nature & quali-
té : pour cause des vents insolites, qui regneront, faisans un
autre temps, combien qu'il sera chaut, humide, aiant quel-
que bien peu d'humidité refrigerante par petites pluyes de-
struites par vent, qui ne aura de chaleur : mais telles dispo-
sitions de temps se convertissant en humidité attrempee,
& sera maladif, abondant en pluresies, toux, mal de gorge,
squinances, gravelles, doleur de joinctures, mal de ventre,
de teste, & d'estomach, mille autres facheries au corps hu-
main, qui ne seront de guieres moins detriment que les guer-
res qui seront en plus grand pouvoir & vigueur que ne fu-
rent jamais, dans le revolu de ce moys sont comprinses plu-
sieurs confuses & aenigmatiques aventures, ensemble le
moys venant, que s'il est vray de ce que les astres nous me-
nassent, je ne cuyde point que nous ne soyons à la fin du
dernier periode du monde : car au point de son entree le
temps sera froit, la terre imbibee par les frequentes pluyes,
que aura plus de froideur & humidité que de chaleur &
[A2r]
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siccité : combien qu'il y aura plusieurs jours de fervente esté, &
non en temps oportun ne deu, tout le temps presque au
rebours du bien de la terre : vray est que les vents seront
propres aux navigans, mais leur bonté et prosperité doit
redonder à telle malice & juste captivité que seroit bon si
au createur estoit acceptable que le vent austral eusse te-
nu tout l'empire des mers de levant, pour le grand mal qui
s'appreste par tout le terme de ce primtemps : & non con-
tent de ce usurper ceste disgrace par coeurs envenimez,
une partie de l'esté]. O quelle fureur sera entre barbare
nation, telle que oncques fut du temps de Tamburlans. «
On a mis entre crochets le texte absent du Recueil et au-delà des
crochets, les deux textes sont identiques, si ce n’est que ne figure
pas dans le dit Recueil de développement sur les différents Etats.
En revanche, dans le Manuscrit existe un passage intercalaire qui
n’est pas repris dans la Pronostication imprimée. :
« Divers propos de guerres se tiendront à ce commencement du printemps.
Plusieurs pasquils seront objectés tant pour la louange royale que
pour soy garder de l’adversaire qui contrefait plus tost l’Annibal que
le premier César Dictateur. Et à luy mesmes tel sera présenté Gallia
Marte ferox, fraude timendus Afer Et par ce dit extemporanée d’une
part & d’autres aura d’affaires. «
En tout état de cause, les quatrains apparaissent à deux reprises pour
cette année 1555, en appendice de la Pronostication et quasiment sans
explication et au sein de l’Almanach mais avec des textes en prose
dont selon nous dérivent les dix quatrains. On notera que cette
pratique ne s’est pas perpétuée et que les quatrains à partir de
l’almanach pour 1557 n’ont plus débordé sur la Pronostication pour la
même année, ce qui fit peut- être l’objet d’un arrangement entre
libraires. On peut regretter d’ailleurs que Chevignard n’ait point
reproduit en fac simile un almanach alors qu’il reproduit deux
pronostications (pour 1557 et 1558), il est vrai qu’il en reste peu
pour les années 1550.[4]
La lecture du Recueil nous montre que le texte de l’almanach des 12
mois de 1555 fait immédiatement suite à celui de la Pronostication des
quatre saisons de la même année 1555.et ce sans aucune marque de
transition et sans le quatrain général pour l’an 1555.. On ne sait pas
si les quatrains figuraient dans le manuscrit de travail de
Nostradamus qui sert de base au Recueil ou s’ils y ont été, comme nous
le pensons, ajoutés par l’éditeur, au sens anglais du terme (Chevigny/Chavigny)
Manque ainsi le fameux quatrain, le seul figurant dans le Brief
Discours,
D’esprit divin l’âme présage atteinte
Trouble, famine, peste, guerre, courir
Eaux, siccité, terre & mer de sang teinte
Paix, tresve, à naistre, Prelats, Princes mourir
se trouve dans l’imprimé de la Pronostication mais point dans le
manuscrit et sous une forme décalée pour le premier verset ::
Presage en general.
L'ame presage d'esprit divin attainte,
Trouble, famine, peste, guerre courir,
Eaux, siccité, terre mer de sang tainte :
Paix, trefve, à naistre : Prelats, Princes mourir.
Le procédé consistant à modifier le début d’un quatrain pour brouiller
les pistes a été largement observé dans les faux almanachs Regnault
des années 1560, dans les éditions centuriques de la Ligue, dans le
corps du texte et dans la centurie VII, reprenant les quatrains de
l’almanach pour 1561..
En fait, le seul almanach qui nous soit connu, à ce jour du moins pour
cette décennie et dont nous avons une copie [5] est l’almanach pour
1557. En comparaison les pronostications sont moins rares (pour 1555,
depuis peu, et 1557 et 1558, cette dernière encore inconnue de
Chomarat et Benazra, en 1989-1990[6], comme déjà signalé. Quant au
Recueil des Présages Prosaïques, il n’avait refait son apparition
qu’au début des années 90 du siècle dernier quand il fut acquis par la
Bibliothèque de Lyon. Nous avons montré, à partir de ces éléments[7],
que vraisemblablement Nostradamus laissait à des collaborateurs le
soin de compléter ses textes au niveau technique, comme il le faisait
probablement aussi en ce qui concerne la composition assez fantaisiste
des quatrains de ses almanachs, que l’on peut qualifier de «
translation »..
Notre propos, dans cette étude, est de nous faire une idée aussi
précise que possible du contenu de cet almanach pour 1555 qui ne nous
est pas parvenu du moins directement mais par bribes- au niveau de ses
seuls quatrains et de quelques développements techniques véhiculés par
la Pronostication pour 1555. Un almanach dont on ne sait même pas à
qui il avait été dédié, à la différence de la Pronostication pour
cette même année 1555...
En principe, les almanachs débutaient par une « epistre liminaire »,
ce qui n’était pas le cas des Pronostications, genre plus superficiel
et rapide à réaliser, relevant de Livres de Prophéties Perpétuelles,
dont il semble qu’on les extrayait pour l’année considérée. Nous le
savons à l’examen des Prédictions pour 20 ans, notamment, dans une
édition posthume datée de 1568, parue à Rouen, chez Pierre Brenouzer (BNF
Réserve pV 715 (1) et qui sont dites avoir été retrouvées dans la
bibliothèque de Nostradamus, ouvrage portant le nom de plusieurs
auteurs. Mais il est possible que Nostradamus, par le passé ait
lui-même réalisé de tels travaux, impliquant le dressage de 4 thèmes
par an – en tout cas 4 sondages dans les éphémérides, au lieu de 52
pour un almanach, par quartier de lune. pour couvrir 20 ans de «
prédictions », il fallait moins de temps que pour réaliser deux
almanachs ! La seule différence, c’est que dans ces séries, chaque
année se voit attribuer une planète –selon l’ordre des jours de la
semaine- ce qui ne figure pas dans les pronostications pour l’année.
Cela dit, on notera que dans l’almanach pour 1557, l’épitre liminaire
figurant dans le manuscrit du Recueil des Présages Prosaïques n’a pas
été reprise dans l’imprimé qui en découle, du moins pas dans l’édition
de Jacques Kerver, à Paris, le privilège ayant été également accordé à
Jean Brotot, à Lyon, dont le travail n’a pas été conservé en ce qui
concerne l’almanach pour cet an 1557. En réalité, Nostradamus comme il
s’en explique ne s’est pas adonné à cette tâche : « Je trouve que
d’icy à l’an 1559, les astres font indication de tant & si divers
troubles que la charte (carte du ciel) ne serait pas suffisante pour
en recevoir les discours qui s’en peuvent faire mais ce sera pour un
autre temps » Toutefois, Nostradamus ajoute : « Outre la présente
année ces présages contiennent une partie de ceux qui appartiennent à
celle qui suit & encore quelque chose à de 1559 qui sera l’année de la
paix universelle par la grâce de celuy qui par son éternelle
providence fait mouvoir les astres. » Ce passage non plus n’aura pas
été retenu à l’arrivée. Or il est assez révélateur de ce que nous
disions plus haut, à savoir que Nostradamus a étudié une série
d’années – ce qui ne se fait pas pour la confection des almanachs. Il
parle d’ailleurs de « présages », terme utilisé dans le genre des
Prédictions pour 20 ans. (cf. l’édition parisienne de 1571, chez
Nicolas du Mont ; Présages pour 13 ans qui n’est autre qu’une
réduction des Prédictions pour 20 ans. Ce type de publication assez
primaire sur le plan technique et qui pouvait se réaliser sur tout une
série d’années- semble d’ailleurs avoir été délégué à son fils, Michel
(alias Michel Nostradamus le Jeune)) On notera que ces « prédictions »
ou ces « présages » sur 20 ans donnent lieu à des «prognostications »
annuelles. Les mots ont ici leur importance, d’où l’intérêt de voir
Nostradamus user du mot « présages » dans son introduction,
Or, il est à noter que l’on ne trouve pas non plus de quatrain en
rapport avec l’Epistre liminaire pour 1557, ce qui montre bien que ces
quatrains n’étaient composés que dans un deuxième temps. Mais le cas
est ici ambigu puisque cette épitre liminaire est réduite à la portion
congrue.
Mais, dans cet almanach pour 1557, on ne trouve pas non plus de
quatrain général comme il y en a un dans l’almanach pour 1555 si bien
que l’on débute, sans la moindre introduction sur le mois de janvier
1557.
Si l’on en revient, après ces préliminaires, à l’almanach pour 1555,
nous disposons, grâce à la Première Face du Janus François d’un
quatrain supplémentaire :
.
De l’épistre liminaire sur l’an 1555
La mer Tyrrhene, l’Océan par la garde
Du grand Neptun & ses tridens soldars
Provence seure par la main du grand Tende
Plus Mars Narbon l’heroiq de Vilars
Que s’est-il donc passé ? Pourquoi deux quatrains ont-ils disparu de
là où ils devraient être, dont le premier déplacé en tête du Recueil,
l’autre consacré à l’Epistre liminaire n’en figurant pas moins dans le
Janus Gallicus, sachant que Jean Aimé de Chavigny est le maître
d’œuvre des deux ensembles ? Ajoutons que ce ne sont pas tant les
supposés quatrains qui ont disparu mais leur réplique en prose
laquelle semble définitivement perdue, quant à elle si ce n’est au
travers des dits quatrains qui permettent d’en deviner peu ou prou le
contenu, si l’on admet qu’ils en dérivent. On s’en convaincra en
étudiant le Recueil des Présages Prosaïques, en ce qui concerne l’an
1558. On y trouve une très copieuse Epistre Liminaire de pas moins de
4 pages ( Chevignard, op. cit., pp.287-290) encore que l’on ne trouve
pas le quatrain de l’Epitre liminaire pour 1558.
Il est évident que s’il existe un quatrain relatif à l’Epistre
Liminaire pour 1555, il y a du exister une telle Epitre. C’est le cas
inverse que pour l’almanach pour 1558. Quid de l’almanach pour 1559 ?
Il y a un passage intitulé « De l’epistre liminaire » mais pas de
quatrain ad hoc. En revanche, il y a bien un quatrain sur l’an 1559 si
ce n’est qu’il y a une variante pour le premier vers, dans l’ordre des
mots :
« Poeur, glas, grand pille, passer mer, croistre regne » (Chevignard,
op. cit, P. 132) et Grand pille, poeur, passer mer, croistre regne (Chevignard,
op. cit. p 326), ce qui ne devait d’ailleurs pas changer grand-chose.
En fait, le seul quatrain pour une Epistre liminaire dont nous
disposions est celui de l’an 1555 mais sans son texte en prose
correspondant. Mais ce seul quatrain(en second dans la série des
présages des éditions centuriques) nous est d’un certain enseignement
en ce qu’il montre à quel point, chaque élément de l’almanach avait
droit à sa réduction en vers. Etait-ce là plus qu’une coquetterie ?
Probablement pas plus que cela, pensons-nous.
Ce quatrain « liminaire » comporte, on ne s’en étonnera pas des mots
qui figurent dans l’almanach : comme Tyrrhene, dans la prose pour
avril 1555, comme Neptune dans la prose pour le mois de juillet, pour
celui d’aout mais aussi d’octobre (d’où sa présence dans le quatrain
d’octobre)
Selon Patrice Guinard, on ne trouverait pas dans la Pronostication
pour 1555, qui se trouve conservée à Lyon le texte qui figure dans le
Recueil des Présages Prosaïques ?
Patrice Guinard écrit : »Le texte donné par Chavigny n'est pas celui
de l'exemplaire de la Pronostication récemment redécouvert ». Il n’y a
pas de quoi s’étonner. Nous avons indiqué dans notre post doctorat
(accessible sur propheties.it) que les textes figurant dans le Recueil
des Présage Prosaïques constituaient une maquette vouée à être
complétée. Ce Recueil nous restitue le travail de Nostradamus et n’est
aucunement une copie des imprimés. Par conséquent, il est tout à fait
normal que l’imprimé comporte des développements supplémentaires mais
aussi, comme on l’a vu, en évacue certains figurant au début du
manuscrit de l’almanach pour 1555. Il est même concevable que le
libraire de Lyon ayant reçu le manuscrit l’ait fait compléter
autrement que chez son confrère de Paris, ce qui explique que
l’almanach pour 1563 Barbe Regnault, libraire de Paris, qui récupère
certains passages de l’almanach pour 1559 en donne une autre version
que celle de l’impression lyonnaise dont on dispose désormais.
Il n’y a aucune raison pour supposer comme le fait Guinard que les
développements concernant les saisons pourraient appartenir à
l’almanach :
« Le calendrier de cet almanach Regnault est suivi d'une présentation
"des quatre saisons de l'Année" telle qu'elle figurait peut-être dans
l'Almanach pour l'an 1555. » Les almanachs ne comportaient pas de
considérations sur les saisons alors que les pronostications
comportaient, à la fin quelques développements sur les mois, repris
des almanachs de l’année, ce qui leur permettait d’apporter des
précisions qui n’étaient pas fournies dans la mouture d’origine, issue
de « ‘livres de prophéties » qui se transformaient en Pronostication
annuelle, au prix de quelques aménagements et ajustement. Cet
appendice sur les mois de l’année observé dans les Pronostications
explique d’ailleurs la présence des quatrains mensuels à la fin de la
Pronostication pour 1555 et l’on peut regretter que cette habitude ne
se soit pas perpétuée au-delà de la dite Pronostication. Il est vrai
que les quatrains ne faisaient réellement sens qu’en vis-à-vis des
présages en prose des almanachs. C’est ainsi qu’on intitulait ces
quelques pages mensuelles dans les Pronostications : » Des lunes
nouvelles, pleines & quartiers. » (Pronostication pour 1557) ou plus
brièvement « Des Lunes & quartiers « de tel mois sans titre global. (Pronostication
pour 1558)
On aura compris qu’il y a là tout un jeu terminologique rigoureusement
codifié ainsi qu’une certaine répartition des rôles entre l’auteur et,
plus en aval, des assistants stipendiés par les libraires, pouvant,
comme de nos jours, chez les éditeurs, jouer un rôle plus ou moins
déterminant par leurs interventions.
Ce sur quoi nous insisterons c’est sur cette succession de phases
allant du plus général au plus particulier. Tout en haut, l’on trouve
une sorte de balisage, de survol qui couvre toute une série d’années
et qui porte plusieurs dénominations : Prédictions, présages ou
prophéties– une vingtaine à la fois selon nous- et de là on fabrique
les Pronostications qui en sont des extraits, voués à être complétés,
ajustés, actualisés le moment venu. Mais le gros du travail c’est bien
évidemment l’almanach, qui ne peut être accompli qu’au coup par coup.
Qu’il y ait eu des tentatives de corrélation entre la pronostication
annuelle et l’almanach annuel, on peut le supposer mais jusqu’à quel
point ? Certes, la Pronostication qui commençait au printemps
pouvait-elle récupérer certaines données des almanachs mais cela ne
couvrait qu’un petit nombre de pages, comme on peut le voir pour les
pronostications qui nous sont parvenues pour 1557 et 1558. Mais on ne
serait pas surpris, à la suite d’un examen plus approfondi, de devoir
constater des hiatus entre la pronostication et l’almanach pour la
même année, vu que le texte de la pronostication pouvait dater de
plusieurs années en arrière, lors de la mise en chantier d’un lot de
20 prédictions. Mais peut être Nostradamus lui-même ou tel assistant
prenaient-ils la peine de veiller à supprimer toutes discordances
majeures ou en tout cas de faire en sorte qu’elles aient des points
communs. L’exercice avait certainement ses limites et il y aurait là
matière à parler d’une autre forme de contrefaçon dans cette
gymnastique d’harmonisation.
On nous objectera que le Recueil des Présages Prosaïques intègre bel
et bien à la suite les deux genres. Selon nous, on se contentait de
recopier l’année figurant dans les « livres de prophéties » dans le
manuscrit augmenté d’une année sur l’autre. Il n’est d’ailleurs pas
certain, on l’a dit plus haut, que le manuscrit du Recueil des
Présages Prosaïques qui est conservé à Lyon ne soit pas une copie d’un
autre manuscrit et n’a pas fait l’objet de remaniements, outre
certaines notes marginales probablement dues à Chavigny. Toujours
est-il que le manuscrit dont on dispose comporte des imperfections,
des lacunes, comme dans le cas de l’année 1555 où le texte de
l’Epistre liminaire a disparu dont le quatrain s’y référant témoigne
même si le principe d’un quatrain correspondant à la dite épître nous
parait douteux.
Mais nous ne saurions tout à fait conclure sans revenir sur la
question de l’origine des quatrains centuriques. D’où sortirent donc
ces quatrains ? En admettant qu’il y ait eu un premier train de «
trois ou quatre cent carmes » pour reprendre le commentaire des
Prophéties (antidatées) du Sgr du Pavillon, qui aurait pu avoir
récupéré des quatrains « enveloppant » les vaticinations perpétuelles,
pour reprendre la version Besson de la préface ad Caesarem Nostradamum,
où les aurait-on trouvés ? On peut certes supposer que ces « livres de
prophéties » comportaient un certain nombre de quatrains prolongeant
des textes en prose, comme c’était le cas pour les almanachs. Certains
quatrains centuriques ont un profil qui va dans ce sens. Les deux
premiers quatrains de la première centurie ressemblent fort à un
prologue réduit en vers. La question qui se pose est la suivante : à
quel moment ces quatrains auraient-ils été composés ? L’étaient-ils
déjà du vivant de Nostradamus ? On peut en douter puisque l’on n’en
trouve point trace dans toute la chaîne de production des années
durant. Videl dans sa Déclaration sur les « livres de prophéties »
n’évoque que des versets regroupés de quatre en quatre, des almanachs.
En définitive, un peu comme dans le cas de la Tétrabible de Ptolémée
réduite en cent sentences (le Centiloque) par Albumasar-( voir
l’ouvrage de Richard Lemay, Beyrouth 1972) au Xe siècle, on aura
réduit, les Livres de prophéties de Nostradamus en centaines de
quatrains. Ce travail a pu s’accomplir sur une certaine durée, non pas
d’ailleurs nécessairement sous la forme de quatrains mais de formules
lapidaires qui seront par la suite réunies en quatrains et à leur tour
les quatrains en centuries, ce qui va donner un ensemble
singulièrement hétéroclite, un même quatrain pouvant regrouper des
vers du fait de la seule rime. C’est un peu ce que l’on trouve dans
les Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation
française[8] de Crespin. (édition antidatée Lyon 1572).
Le Recueil des Présages Prosaïques débute avec un quatrain pris aux
quatrains de l’almanach pour 1555 soi disant pour l’année 1550, d’où
l’importance accordé à ce prétendu premier quatrain de toute une série
de quatrains. Ce faisant, le dit quatrain disparait de la place où il
devrait se trouver, pour l’année 1555, si bien que l’on commence
seulement, dans le Recueil, - à la suite du texte de la Pronostication
pour 1555, par le quatrain de janvier 1555 sans le quatrain général de
l’an 1555 et sans le quatrain de l’Epitre Liminaire qui, de toute
façon, ne correspond pas à une pratique habituelle mais que Chavigny
n’en présente pas moins dans la Première Face du Janus François...
Pour appréhender cet imprimé manquant qu’est l’Almanach pour 1555,
nous avons donc disposé des sources suivantes plus ou moins fiables et
qu’il convenait de recouper: les 13 quatrains figurant à la fin de la
Pronostication pour 1555, le Recueil des Présages Prosaïques, qui ne
dispose pas du « Présage en général » et la Première Face du Janus
François, qui nous propose un quatrain de l’Epistre Liminaire qui n’a
pas sa place au sein d’un almanach.
La Pronostication pour 1555 reproduit par ailleurs, outre les
quatrains de l’almanach pour 1555 des développements qui ne se
trouvent pas dans le Recueil des Présages Prosaïques mais qui
correspondent à des éléments techniques que l’on rajoutait, ce que
l’on peut observer si l’on compare l’Almanach pour 1557 et ce qui lui
correspond dans le Recueil de Présages Prosaïques. Mais en
l’occurrence, l’imprimé de l’almanach pour 1557 ne comporte pas de
Présage pour l’an 1557 en général. En revanche, il comporte une
Epistre Liminaire non traduite parallèlement sous forme de quatrain.
Des douze moys de l'an 1555.
Presage en general.
L'ame presage d'esprit divin attainte,
Trouble, famine, peste, guerre courir,
Eaux, siccité, terre mer de sang tainte :
Paix, trefve, à naistre : Prelats, Princes mourir.
Presage de Ianvier.
Le gros Erain, qui les heures ordonne,
Sus le trespas du tyran cassera
Pleurs, plainctz, & riz, eaux, glace pain ne donne.
V.S.C. paix. L'armee passera.
Ianvier sera pleine Lune le 7 à 8 heures 35 mi.
en Cancer, attrempé, puis pluyes, neiges, vents
glaces : mauvais temps. Dernier quart le 15 à
13 mi. en Libra, froit & sec, tendant à mauvais
temps du tout de froidure, gelees & pluyes. Nouvelle
lune le 22 à 14 h. 42 min. en Aquarius, pluvieuse passant
la queue du dragon. Premier quart le 29 à 6 chaut, humi-
de, peu attrempé, avecq brouillats espés, vents & neiges.
Notre étude ne serait pas achevée si nous ne revenions sur certains
décalages chronologiques. Pourquoi dans le Brief Discours, on parle
d’une collection allant de 1550 à 1567 et dans les éditions
centuriques troyennes (du Ruau) de Présages couvrant cette fois la
période s’étendant entre 1555 et 1567 ? Et pourquoi, dans ce cas, la
Première Face en son titre commence-t-elle en 1534 ?
De fait, le Recueil commence bien en 1550, ce qui correspond à la
description donnée dans le Brief Discours. La date de 1555 ne fait
sens qu’au regard des quatrains mais non au regard des présages en
prose. Le fait qu’un quatrain ouvre le Recueil ne change guère le fait
que les quatrains commencent avec l’année 1555, d’autant que le dit
quatrain n’est en fait que le « quatrain général » de l’an 1555 lequel
n’est plus à sa place en tête des quatrains pour 1555 du dit Recueil.
Le Livre premier, d’ailleurs, englobe les années 1550 à 1555, à
l’exception de 1551 que Chavigny regrette de ne pas posséder : « Je
suis à désirer les prédictions de l’Auteur sur l’an 1551 » Ce qui fait
que le Livre I correspond bel et bien à l’An 1555 ; le Livre II à l’an
1557 (mais englobe aussi 1556 dont on n’a pas les quatrains s’il y en
eut). Au total, cela donne 12 livres (ou centuries) de quatrains
d’almanachs, ce qui conduit Chavigny à vouloir qu’il y ait
parallèlement 12 livres ou centuries de quatrains, mais cette fois
chaque centurie englobera 100 quatrains, sauf celles déclarées
incomplètes (VII, XI, XII). On notera que dans le cas des éditions
parisiennes de 1588-89, on aura constitué la centurie VII avec les
quatrains d’une année- 1561- utilisant ainsi le mot centurie dans une
autre acception, celle précisément des quatrains d’almanachs, les
centuries d’almanachs étant beaucoup plus brèves, et se limitant en
fait à 12 ou 13 quatrains. Par ailleurs, la Première Face commence
bien avec l’an 1534, ce qui peut sembler étrange pour un commentaire
prophétique de quatrains se situant vingt ans plus tard et plus mais
cela tient au fait que Chavigny se veut aussi historien et doit s’en
tenir à des dates qui fassent sens au regard des événements et pas
seulement du point de vue de telle ou telle publication. Les deux
premiers quatrains commentés (dont le quatrain placé en tête du
Recueil et qui correspond au quatrain général de l’an 1555, ne sont
pas mis en rapport avec une année particulière, tout comme les deux
premiers quatrains de la première Centurie.
Ainsi l’importance accordée à l’an 1555 comme point de départ d’un
prophétisme s’exprimant par le biais de quatrains explique selon nous
tout le scénario lié à la date de 1555 pour la Préface à César et pour
la première édition des Prophéties. Mais cette fois, ce ne sont pas
les mêmes quatrains. Il semble que l’on ait voulu entretenir une
certaine confusion en basculant d’une série de centuries de quatrains
à une autre, les deux séries ne comportant pas les mêmes quatrains,
l’une constituée de centuries de 12/13 quatrains d’almanachs et
l’autre de centuries de cent quatrains. Mais en fait, il s’agirait
probablement davantage d’une confusion : on aura cru qu’en 1555,
Nostradamus avait composé un recueil de prédictions allant de 1555 à
1567. Or, il va de soi que si Commentaire des quatrains présages il y
eut, il ne put avoir lieu qu’après coup et non dès 1555. Ce que
Nostradamus écrit à son fils César en s’engageant à interpréter les
quatrains, ne l’a pas été en 1555 mais bien en 1566, en se calquant
sur le Testament du dit Michel de Nostredame de la même année. Et en
tout cas cela n’aurait pas été imprimé avant la mort de Nostradamus.
Et, en outre, une telle épitre ne visait pas le second type de
centuries mais bien le premier.
Il nous semble donc assez clair que dans le contexte des années 1550,
les es fameuses Centuries de 100 quatrains ne sont pas encore apparues.
Nous en sommes à leur préhistoire. Mais l’on comprend comment la
transition s’est faite autour de ce point de départ de 1555,
initialement considéré comme celui de la série des quatrains
d’almanachs avant de devenir la date clef d’une autre série de
quatrains, associée à une Préface à César qui serait parue
prématurément avec dix ans d’avance, un fils qui peut être en cache un
autre, prénommé Michel comme son père.tout comme des centuries qui en
occultent d’autres..
JHB
24. 08. 12
[1] (Rocher, 1982, pour l’édition française)
[2] transcrit en 1999 par B. Chevignard, Présages de Nostradamus, ed.
Seuil,)
[3] (dans une étude sur son site du CURA
[4] Il n’est même pas certain que Chevignard ait jamais vu d’almanach
de Nostradamus si ce n’est, si notre mêmoire est bonne, quand nous lui
avons montré notre exemplaire. En fait, Chevignard jusque là ignorait
dans quelle mesure le Recueil se distinguait des almanachs
correspondants
[5] (communiquée par Pierre Brind’amour, il y a une vingtaine d’années,
à partir de la collection Ruzo)
[6] (cette dernière ayant été découverte par nous à La Haye, au début
des années 1990)
[7] Cf notre post doctorat sur Le dominicain Giffré de Réchac, sur
propheties.it
[8] Cf nos Documents inexploités sur le phénoméne nostradamus, 2002
[1] Cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus, pp./ 208 et seq
[2] CORPUS NOSTRADAMUS 16 -- par Patrice Guinard Almanach pour l'an
1555
[3] Cf nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, 2002
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