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Researches 71-80 |
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71 -
Nostradamus
et la versification des Hieroglyphica d’Horapollon |
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72 - Problèmes de chronologie centurique fictive |
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73 - Pour une réappréciation du rôle de Benoist Rigaud dans la
production nostradamique |
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74 - Le problème de la réunion des volets centuriques à la fin du
XVIe siècle |
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75 - Le classement chronologique des versions de la Préface à César |
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76 - Les deux traductions dues à Michel Nostradamus |
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77 - "Roy de Bloys en
Avignon regner"
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78 - De la question des sources des quatrains centuriques |
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79 - Nouvelles réflexions autour des vignettes des faux almanachs
de Nostradamus |
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80 - Nouvelles réflexions autour de la Première Face du Janus
François |
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Researches 71-80
71 -
Nostradamus
et la versification des Hieroglyphica d’Horapollon
par Jacques Halbronn
La récente
étude de Patrice Guinard1
consacrée aux rapports entre Michel de Nostredame et l’Orus
Apollo, est une excellente occasion pour examiner le
passage prose / vers qui a certainement présidé à la
composition des Centuries et permet d’apprécier la
teneur et l’ampleur de la valeur ainsi ajoutée par le
versificateur, lequel n’est guère responsable du fond
mais surtout de la forme. Tout comme Nostradamus ne
contribue que médiocrement à la Paraphrase de
Galien, ne méritant aucunement que “sa” vignette
agrémente son texte, de même son apport à l’Orus
Apollo est pour le moins modeste et si apport
vraiment il y a, il consiste éventuellement à glisser
quelque erreur comme dans cette affaire de 1095 (MLXXXXV)
devenu par inadvertance 1415 - “mille quatre vingt
quinze” étant devenu “mille quatre cent quinze” -
P. Guinard en faisant un peu vite ses choux gras :
“Nostradamus compte
1415, et insiste même : “bien compté” et “sans rien
mescompter”, pour trois années de 365 jours, alors que
toutes les éditions, antérieures et postérieures au
manuscrit, impriment évidemment 1095”
Edition 1543
Lire “Mille quatre vingt quinze”,
devenu par inadvertance dans le manuscrit “Mille quatre
cent quinze”
En réalité, le rimailleur
aura préféré au classique “nonante cinq” (attesté dans
la révision de 1553) le synonyme plus lourd, depuis
préféré en France, quatre vingt et quinze ; il ne
pouvait de toute façon garder les chiffres romains comme
dans l’édition de 1543, ce qui n’est concevable qu’en
prose ou si leur lecture est univoque. Notre
épigrammiste, à “Comment taciturnité”, à partir de
Quomodo taciturnitatem a même pris la liberté, dans
le même épigramme, d’écrire “trois cent /
soixante cinq” (3 x365 = 1095) à cheval sur deux vers
pour avoir la rime “centz” avec temps. Lucien de Luca,
cité par P. Guinard, et qui a publié divers articles sur
ce sujet 2,
signale
cette “dyslexie” mais n’envisage pas, à notre
connaissance, le remplacement de vingt par cent. Il est
d’ailleurs probable qu’à l’impression, cette coquille
eut été corrigée d’office. Mais il ne nous semble pas
inconcevable que la coquille vienne d’une erreur de
copie du scripteur du manuscrit, éventuellement
Nostradamus, et dans ce cas là celui-ci aurait utilisé
une traduction française manuscrite, différente des
traductions imprimées (cf. infra) dont nous verrons
qu’elle suit très servilement une certaine traduction
latine du grec. En effet, dans l’original latin, 1095
est donné en chiffres romains, ce qui exclue toute
erreur de copie pour passer à 1415. Ainsi ce 1415 rend
assez improbable que Nostradamus ait utilisé directement
un texte latin.3
On ne saurait d’ailleurs exclure que cette coquille ait
déjà figuré dans la traduction française éventuellement
utilisée par Nostradamus.
P. Guinard reproche à P.
Brind’amour de s’appuyer sur l’étude de Robert Aulotte4
et considère que “c’est Mercier qui suit, imparfaitement,
Nostradamus, et non l’inverse”. Au demeurant, le titre
du DNH ne se réfère pas à une traduction : “livres
deux (sic) mis en rithme par épigrammes, oeuvre (sic) de
increedible (sic) et admirable érudition et antiquité
par Michel Nostradamus de Saint Rémy en Provence”,
la mention de Nostradamus étant d’une autre écriture,
d’une autre encre, et selon nous d’une autre époque et
la référence à son lieu de naissance inhabituelle dans
la production nostradamique, ce qui signifierait que le
manuscrit serait antérieur à l’installation de
Nostradamus à Salon de Craux, ayant utilisé jusque là la
référence à son lieu de naissance. De même la fin du
premier Livre de l’Orus Apollo se conclut-elle sans
mention d’une quelconque traduction :
“Fin du premier livre
de Orus Apollo filz de Oziris Roy de Egipte des notes
hieroglyphiques des Aegiptiens mis en rithme par par (doublon,
sic) épigrammes par M. Michel Nostradmus (sic)
scelon un très ancien exemplaire grec des Druides.”5
On notera cependant cette
faute dans le nom même de Nostradamus. Il nous semble
tout à fait évident que ce passage en majuscules comme
d’ailleurs les autres du même type, n’est pas de la main
de Nostradamus.
On se réfère ici non pas à l’édition 1543, mais à un
très ancien exemplaire grec,
qui est la source de l’ORUS APOLLO, sautant ainsi les
chaînons intermédiaires,
de façon assez cavalière, si l’on prend en compte
l’ampleur de l’emprunt.
Noter le redoublement de PAR.
ADMIRABLE CONSIDERATION a remplacé ADMIRABLE
ERUDITION,
qui figure au titre du manuscrit.
TRADUICT semble être une interpolation.
Ce terme ne figure pas au titre ni à la fin du livre.
Ce n’est, en fait, qu’à
la fin du DNH (p. 38, brochure Maison de Nostradamus)
que l’on nous parle de “notes hieroglyphiques (...)
mises en ritme par épigrammes oeuvre de admirable
consideration et esmerveillable literature. Traduict
par Michel Nostradamus de Sainct Remy en Provence” On
notera le passage “admirable érudition” à “admirable
considération”, qui nous semble être une corruption.
Quant à la mention “traduict”, cela nous semble être une
interpolation, si on compare le texte à celui du début,
tant les deux textes de début et de fin nous semblent
jumeaux. Il est fâcheux pour ceux qui ont ainsi procédé
que l’interpolation n’ait pu se faire que dans un seul
cas. On notera que ces textes d’encadrement sont en
majuscules, ce qui donne une autre écriture.
Titre de l’édition de 1543 repris en partie dans le
manuscrit nostradamique.
Il n’est pas question ici de traduction mais de
mise en rimes.
Comparons les versions
françaises Kerver de 1543 6
et de 15537
avec le manuscrit de l’Orus Apollo, deux éditions
au demeurant très proches par ailleurs, puisque
reprenant les mêmes vignettes et la même adresse “Aux
lecteurs françays”, du fait qu’elles sont dues au
même libraire Jacques Kerver, les faisant imprimer par
Benoist Prevost. C’est le même Kerver qui publiera en
1557 l’almanach, la Pronostication et les
Présages Merveilleux pour 1557 de Michel de
Nostredame.8
En 1553, toutefois, l’adresse de l’éditeur sera écourtée
du passage suivant : “Si je congnois que ce myen labeur
vous soit agréable vous aurez bien tost le grec & le
latin de cette oeuvre & aultres choses ou vous prendres
(sic) plaisir”
La seule comparaison des
titres est en soi édifiante :
Ed. 1543 :
ORUS APOLLO DE AEGYPTE, de la signification
des notes Hieroglyphiques des Aegyptiens
etc.
Manuscrit BNF, “Français 2594” :
ORUS APOLLO FILS DE OSIRIS ROY DE AEGYPTE
NILIACQUE. DES NOTES HIEROGLYPHIQUES etc.
Edition 1530
Dans l’édition Rollet, la suppression de “DES” devant
“NOTES”
masque le caractère incomplet du titre du manuscrit :
“DE LA SIGNIFICATION DES NOTES HIEROGLYPHIQUES”
(cf. édition de 1543, au titre)
Est-ce que “de la
signification” a sauté dans le DNH, avec cette forme
assez abrupte “Des notes hiéroglyphiques” mais en fait
le texte latin de l’édition latine parisienne, non
illustrée, de 1530, chez Robert Estienne (BNF), dans la
traduction de grec en latin de Bernardino Trebazio, ne
comporte que la formule Orus Apollo Niliacus. De
Hieroglyphicis notis.9
Signalons une édition bilingue (grec-latin), toujours
sans images, parue en 1521, chez C. Resch, Ori
Apollinis Niliaci Hieroglyphica.10
Pierre Rollet ne restitue pas, en 1968, le titre complet
du DNH en écrivant simplement “Notes hiéroglyphiques”11,
pas plus d’ailleurs qu’il ne conserve la numérotation
des Notes, terme qu’il ne reprend pas alors que chaque
pièce est ainsi nommée dans le manuscrit, en accord avec
le titre de l’ouvrage, se voulant un commentaire des
Notes Hiéroglyphiques. A se fonder sur le titre, il
ne s’agit pas de notes mais d’un travail sur les notes.
L’expression change au second livre dans l’édition de
1543 : “De l’interprétation des hieroglyphes ou
sainctes figures des Egyptiens” au lieu de “De la
signification des notes Hieroglyphiques des
Aegyptiens, c’est-à-dire des figures etc”. A ce propos,
il semble bien que le second livre reprenne certaines
questions abordées dans le premier ; ainsi est-ce le cas
pour “Comment ilz signifioient les moys” avec dans un
cas la Lune, dans le second une branche pour signifiants.
Il semble en fait qu’il s’agisse de deux séries
comportant des points communs et ne constituant pas un
ensemble cohérent entre elles ; on est en face d’une
oeuvre syncrétique.
Edition 1521
Le seul intitulé de
l’édition de 1553 montre à quel point, par contraste,
celui de 1543 est proche de celui du DNH : Les
Sculptures gravées ou graveures sacrées d’Orus Apollon
Niliaque, c’est-à-dire voysin du Nil lesquels il composa
luy mesme en sa langue égyptienne & Philippe les mit en
grec. Nouvellement traduit de latin en françois &
imprimé avec les figures etc.
En réalité, cette
nouvelle édition n’est pas vraiment une nouvelle
traduction mais un réécriture partielle de l’édition de
1543 : on varie quelques verbes, on change un mot par ci
par là et parfois on garde tout simplement le texte
antérieur. Disons que c’est une édition un peu plus
sophistiquée, ne serait-ce que par son titre que l’on
retrouve dans certaine édition latine (Rome, 1597),
Insculptae imagines.
En réalité, ce qui fait
tout l’intérêt du DNH, c’est justement que l’on en
connaisse la source ou du moins pour une part importante
(cf. infra). Le véritable enjeu concerne la façon dont
on est passé d’un texte en prose à un texte versifié, ce
qui est très probablement ce qui s’est passé pour la
composition des Centuries. Nous pensons même que
l’existence d’un tel manuscrit constitué d’épigrammes a
pu donner l’idée d’attribuer à Michel de Nostredame tout
un recueil de quatrains, en suivant d’ailleurs la même
méthode, à savoir changer de la prose en vers. Nous ne
croyons guère que les Centuries ont pu être élaborées en
allant rechercher un document ici, un autre là, comme
semble le croire Peter Lemesurier qui n’hésite pas à
supposer que Nostradamus a travaillé des années durant à
son “chef d’oeuvre”, ayant même accès à des manuscrits,
accomplissant ainsi un véritable travail d’orfèvre,
pièce après pièce. Si un tel travail a été effectué,
c’est en amont mais ce travail une fois accompli, il
aura été récupéré et versifié, sans qu’il ait été dès
lors besoin d’aller fouiller dans les bibliothèques.
Notre propos, ici, à
partir d’un certain nombre d’exemples d’épigrammes de
montrer comment ceux-ci ont été réalisés, en adoptant un
système de rimes (le titre parle de “rythmes”),
généralement dans le cadre de dizains. On n’y trouve
guère de quatrains, au demeurant et le mot épigramme qui
est de mise dans le DNH ne figurera pas dans le canon
centurique.
Commençant par un premier
exemple pour bien nous faire entendre et nous rendre
compte que les convergences ne sauraient être fortuites,
comme le laisse entendre P. Guinard lequel passe ainsi à
côté de ce qui fait véritablement de l’Orus Apollo,
une clef des Centuries, une pièce maîtresse du
protocenturisme.
Commençons par un texte
reproduit en fac simile (p. 28) dans la brochure
de la Maison Nostradamus et qui correspond au tout début
du second Livre: on soulignera les mots communs, même si
en ordre différent, versification oblige :
1543 :
Quelle chose ilz voulloient signifier quant ilz
escripvoient une estoille Quant les Egyptiens
mettoient une estoille ils signifioient
aucuneffoys dieu autreffoys la nuict, autreffoys
le temps ou lame (sic, lire l’âme) d’um
(sic) homme masle
DNH (transcription Rollet, p. 93) :
Quelle chose vouloient ilz signifier quant ilz
escripvoient une estoille (Note 69)
En escripvant lestoille (sic) aulcune foys
Venoit noter de dieu signifiance
Ou bien la nuict démonstroit aultre foys
Aussi du temps pourtoit certifiance
De l’âme aussi quelque foys asseurance
Mesmement l’âme qu’estoit de l’homme masle
Venoit nouter en leur sacrée science
Parfoy noutée d’armoyrie royalle
Outre que le titre de
l’épigramme est strictement identique, on notera que
tous les mots de la source sont repris, éventuellement
sous forme de substantif, “signifioient” devenant “signifiance”.
L’épigramme ajoute “asseurance” pour rimer avec
“signifiance” et “certifiance”. “Autrefois” sont placés
en sorte de rimer avec “aucune fois”.
On notera l’agencement
des rimes : foys /signifiance / foys /certifiance /asseurance
/ masle / Science / royalle.
Mais le plus surprenant
tient au fait que les deux derniers vers, peut-être
rajoutés et qui s’adressent peut-être à la dédicataire
princière, ne correspondent pas au texte de l’Orus
Apollo, que ce soit dans les versions françaises ou
latines :
J. Kerver, 1553 :
Que c’est qu’ilz entendent en paignant une estoille
Une estoille entre eulx signifioit aucunes fois Dieu,
aucunes fois la nuyt, aucunes fois le temps & telle
fois estoit l’Ame d’un homme masle.
R. Estienne, 1530 :
Quid significent cum stellam scribunt.
Stellam scribentes aliquando deum significant,
aliquando noctem, aliquando tempus, aliquando animam
hominis masculi.
Prenons un autre cas :
1543 :
Comment ils signifient le monde
Il(sic) paignaient ung serpent mengeant
sa cueue diversifiée de plusieurs escailles
qui représentent les estoilles c’est une beste
pesante comme la terre coulant comme leau &
qui chascun an despoille sa vielesse
(sic) avec sa peau ainsi que le temps qui
chascun an se renouvelle & semble rajeunir.
Et pour ce que luy mesmes se dévore veullent
signifier que toutes choses produictes par le monde
sont par luy consumees.
Ms fr :
Comment (ils signifient) le munde (sic)12
Voulant le munde escripre et vénérer
Ung serpent paignent de diverses escailles
Distinct qui vient sa cueue dévorer
Figurant l’astre du monde par ses tailles
Cest animal a en soy de grandz failhe
Est fort poisant respect sa magnitude
Comme la terre, aussi lubrique et crude
Un chascun an changeant peau et vielhesse
Que par raison des ans change jeunesse
Ainsi le monde et quant ce que son corps
Vient dévorer la divine action
Du monde vient produyre foybles et fors
Aussi défailhent par son extinction
Version 1553 :
Comment ils représentent le monde
Ils paignent un serpent mordant sa queue
tavellé de plusieurs escailles par lesquelles
ils veulent couvertement donner à entendre les
estoiles dit le Ciel qui couvre le monde est orné.
Aussi à dire vray cest animal n’est pas moins
pesant que la terre & toutefois il est
merveilleusement agile & couslant comme l’eau.
Davantage ainsi que le serpent dépouille tous les ans
avec sa peau sa vieillesse en cas pareil il faict
l’année tournante, laquelle se produit par la
circumvolution du ciel & se renouvelle par changement,
comme s’elle (sic) rajeunissoit. Et quant à ce que le
dict serpent se repait de son corps en lieu de
substance, cela signifie toutes choses engendrées en
ce monde par la providence de Dieu retournant de
rechef en sa diversité si elles reçoivent certaine
diminution.
Ed R. Estienne, 1530 :
Quomodo Mundum
Mundum scribere volentes Serpentem pingunt, suam
ipsius caudam, distinctum variis squamis per
quas Mundi astra figurant. Et gravissimum quidem hoc
animal est pro magnitudine, quemadmodum
terra, est etiam lubricum & in hoc aquae
simile ac singulo quoque anno pellem cum senio exuit ;
Secundum quam rationem & in mundo annuum tempus
mutationem faciens iuvenescit. Quod vero pro cibo
corpore suo utitur, significat idquaecumque
divina providentia generantur in mundo, haec omnia
in eundem diminutionem pati.
Sondage des mots (soulignés)
repris du latin : Comment (ils signifient) le munde
(sic).
En fait la formule
sibylline - sans “ils signifient” - est l’exacte
réplique du latin mais la traduction littérale est ici
assez malheureuse : “Comment le munde”. On signalera
plus loin une autre maladresse commise dès le rendu
versifié du premier épigramme.
Quomodo Mundum.
Voulant le munde escripre et vénérer
Ung serpent paignent de diverses escailles
Distinct qui vient sa cueue dévorer
Figurant l’astre du monde par ses tailles
Cest animal a en soy de grandz failhe
Est fort poisant respect sa magnitude
Comme la terre, aussi lubrique et crude
Un chascun an changeant peau et vielhesse
Que par raison des ans change
jeunesse
Ainsi le monde et quant ce que son corps
Vient dévorer la divine action
Du monde vient produyre foybles et fors
Aussi défailhent par son extinction
Le texte du DNH ne
correspond pas aux traductions françaises susmentionnées,
il recoupe la version latine sur des points absents des
dites traductions. On l’a vu pour “Comment monde”, pour
le titre du manuscrit plus proche du latin que l’édition
de 1543 qui brode quelque peu.
C’est ainsi le cas de
mots comme magnitude, raison, lubrique, qui ne figurent
pas dans les versions françaises de 1543 et 1553.
Signalons que notre sondage s’en tient strictement aux
mots de même étymologie et qu’il faut aussi faire la
part à un certain pourcentage de synonymes que nous ne
comptabilisons pas pour la circonstance car cela ne
serait guère concluant.
Un exemple remarquable du
lien direct entre le manuscrit et le texte latin
apparaît dès le premier épigramme :
1530 :
Quomodo aevum significant
Aevum aliter scribere volentes
1543 :
Comment & par quelles figures ilz signifioient laage &
les ans du temps.
Pour ce quilz sont la reigle de compter & discerner le
temps
DNH :
Comment ils signifioient Eternité
Ou aultrement faisoient l’aevum descripre
Le mot aevum (qui
a donné en français “médiéval”) ne figure pas dans la
traduction française de 1543 mais bien dans le DNH, ce
qui est d’ailleurs peut-être une maladresse, voire un
barbarisme si le terme n’était pas compréhensible par le
lecteur. La traduction, au titre de l’épigramme, d’Aevum
par Eternité ne nous semble pas non plus très heureuse,
d’autant que le mot temps apparaît également dans le
texte français : “Signifiant éternité ou temps”.
Un autre exemple de
maintien d’un terme latin à côté de la francisation du
lexique latin avec le mot fatum présent dans la
version latine et dans le DNH mais absent dans la
version française de 1543.
DNH :
Que voulent il (sic) signifier par l’estoyle
Signifiant Dieu ou la destinée
Revolud fatum (sic) ou le cinquiesme nombre
Latin (1530) :
Quid astrum scribentes significent
Deum significantes aut fatum aut quinquenarium
numerum, astrum pingunt
1543 :
Quelle chose ilz signifioient par lestoille
Par l’estoille ilz signifioient dieu ou la destinér ou
le cinquiesme nombre
Autre cas :
DNH :
Comment ilz signifioient la mort ou la fin ou
interitus
A partir de Quomodo Interitum
On a un peu l’impression
que le versificateur n’avait pas nécessairement le texte
latin sous les yeux et dépendait d’un travail préalable
de traduction opéré par quelqu’un d’autre et qu’il ne
savait peut-être même pas, lui-même, ce que signifiait
Aevum. C’est pourquoi si traduction il y a eu,
forcément, à différents stades - du copte au grec, du
grec au latin, du latin au français - on a ici une vraie
pierre de Rosette ! - nous ne sommes guère enclins à
qualifier le DNH en soi de traduction tant le terme n’y
figure que par la marge, ce serait plutôt une adaptation
versifiée, mais restant très proche de son modéle, comme
l’atteste le choix des mots. Nous n'exclurons donc pas
le recours à une traduction française non imprimée et
qui aurait été mise, subséquemment, en rimes par un
Nostradamus. Rappelons qu’au début du second Livre, dans
l’épigramme sur l’estoile, deux versets du DNH ne
correspondent à aucun texte connu, tant français que
latin. Le dit DNH débute, certes, par un “Prologue du
translateur”; comment cela s’harmonise-t-il avec la
suite du document et notamment avec le titre qui
n’évoque pas la traduction mais seulement la mise en
rimes ? Quand on sait que la Paraphrase de Galien,
elle, mentionne explicitement le nom de Nostradamus, en
son titre, en sa qualité de traducteur mais le Prologue,
lui, n’est pas signé du dit Nostradamus, ce qui est
unique pour quelqu’un qui signe et date toutes ses
Epîtres ! En tout état de cause, rien ne nous prouve que
ce manuscrit soit réellement de Nostradamus, il a pu lui
être attribué et en ce sens, il serait falsifié. Nous ne
sommes en effet nullement convaincu de l’aptitude du dit
Nostradamus à versifier de la sorte, dès lors qu’on ne
lui attribue pas d’office les Centuries. Versification
qui, soulignons-le, n’a pas grand chose à voir avec
celles des Présages, si tant est d’ailleurs que les
quatrains des almanachs soient de Nostradamus. Dans un
cas, on a un texte d’un seul tenant qui est simplement
quelque peu distordu par les exigences de la rime et le
nombre de vers choisi alors que dans l’autre, celui des
almanachs, on a affaire à une suite assez incohérente de
formules lapidaires enchaînées selon les besoins de la
dite rime. Dans un cas, on a une source en prose
comportant un discours, un récit, un adage, un épigramme
- à vocation prédictive non avérée - dans l’autre, celui
des Présages, il s’agit d’un assemblage original certes
mais discontinu, puisant il est vrai dans un réservoir
oraculaire traditionnel. On dira, pour paraphraser une
expression bien connue que dans un cas, c’est beau mais
ce n’est pas de l’auteur et dans l’autre que c’est plus
personnel mais que ce n’est pas de haute volée.
Quoi qu’il en soit, nous
avons bien affaire à un processus de versification à
partir d’une source préexistante comme ce fut très
certainement le cas pour les quatrains centuriques, eux
aussi pouvant avoir été réalisés à partir de textes
latins ou de traductions proches des dits textes latins,
comme d’aucuns l’ont laissé entendre, tel un Piobb, dans
le Secret de Nostradamus (Paris, Adyar, 1927, pp.
18-19) :
“le texte français est
une illusion (...) L’oeuvre toute entière doit être
traduite en latin (...) Il faut savoir que Nostradamus
transcrit son texte primitif latin à la façon dont un
élève de sixième fait une version dans son ignorance
ingénue. Traduisons donc ce vers par le procédé
inverse - c’est-à-dire en faisant le thème à la façon
dont l'élève qui sait mal le latin”.
Il ne faut pas sous
estimer les facilités de passage du latin vers le
français. Un nombre considérable de mots latins trouvent
leur équivalent littéral en français, c’est-à-dire
restent parfaitement reconnaissable tant et si bien que
l’on peut aussi bien remonter du français vers le latin
et dresser la liste des mots latins constituant le texte
d’origine avec une grande probabilité que la grande
majorité de ces mots ont leur équivalent. Si l’on avait
recensé tous les mots latins pouvant correspondre à des
mots français du manuscrit de l’Orus Apollo puis
rechercher un texte latin comportant le plus grand
nombre de ces mots, on serait évidemment arrivé à la
traduction latine de Trebazio. De la même façon, il
n’est pas impossible qu’en procédant de même pour les
Centuries ou du moins pour certaines - car elles n’ont
pas nécessairement été fabriquées toutes selon le même
procédé - on obtiendrait le “profil” d’un texte latin
devant impérativement comporter les centaines de mots
ainsi répertoriés, à moins que cela n’implique plus d’un
intertexte. Il ne resterait plus qu’à chercher si une
telle matière textuelle latine existe, tâche que la
numérisation des collections pourrait grandement
favoriser.
Insistons sur un point de
méthode : il ne suffit pas que tel texte se présente
pour une traduction pour que cela en soit une ni qu’il
ne le fasse pas pour ne pas en être. L’historien des
textes doit juger par lui-même et avoir ses propres
modes d’approche qu’il confrontera avec ce qu’on veut
lui faire accroire, à commencer évidemment par la date
de rédaction ou de parution.
Un tel passage de la
prose aux vers n’est pas sans nous faire songer à
Crespin dont les passages de certaines de ses oeuvres,
qui se retrouveront dans les Centuries auraient fort
bien pu avoir dans certains cas subi un processus de
versification.
En ce qui concerne le
mode de versification, si on prend le dizain, la forme
la plus employée, on notera qu’il y a quatre rimes :
deux fois deux et deux fois trois. Mais le texte d’un
paragraphe latin peut donner ainsi lieu à deux
paragraphes voire plus et donc à la création de nouveaux
intitulés totalement absents de l’original latin.
C’est ainsi que le
Quomodo Aevum significant est divisé, dans le DNH,
en “Comment ilz signifioient Eternité” et “Que
dénotoyent par le serpent Basiliq”.
Ou encore :
Quomodo peccatum est
réparti entre
Comment ilz signifioient le péché
Que faisaient les anciens Roys par Orige
Que Orige n’estoit défendu aux prestres d’Egipte en
manger.
Parquoy Orige est de telle nature.
Ou encore :
Quomodo iniustum et
ingratum
Se répartit entre
Comment ilz signifioient l’homme injuste et jugeur
Parquoy les ungles du cheval de fleuve l’on métoit.
On notera qu’ici le titre
latin a été traduit de façon moins succincte qu’en
d’autres occasions, comme si la traduction française
n’avait pas été assurée par une seule personne mais par
deux, chacune ayant sa façon de rendre le latin en
français, l’une se contentant du mot à mot et l’autre
voulant respecter le mode du discours français.
On ne peut pas dire qu’un
tel procédé soit très correct.
Inversement, dans le
Second Livre de Orus Apollo, DNH va bien au delà
d’une traduction et amplifie considérablement certaines
formules sibyllines du texte latin tant et si bien que
le DNH occupe un bien plus grand espace que le texte
latin correspondant. Mais ne s’agit-il pas là d’un tout
autre travail, pas nécessairement du à la même personne
que pour le Premier Livre ? Le fait que le DNH soit de
la même écriture ne signifie pas qu’il soit du même
auteur mais que l’on ait là l’oeuvre d’un seul et même
scribe / copiste, quand bien même serait-ce Nostradamus
lui-même.
Quomodo Amorem
Laqueus amorem significat
Donne :
Comment ilz
signifioient amour
Suivi de 8 versets !
Il est clair que nos
analyses sur le passage du latin au français valent
surtout pour le Premier Livre de l’Orus Apollo.
Il est également possible que la source de la version
française ne soit pas la même. “Je pense qu’il fault
lire comme s’ensuit scelon l’exemplaire vieulx escript
de main et ne faillires de la insérer ici”. (p. 118,
version Rollet) Il se pourrait, en effet, que le texte
latin soit incomplet voire inachevé dans le Second Livre,
d’où le projet de le mener à bien en français : on n’est
plus là dans le registre de la traduction ! En tout cas,
la traduction française imprimée (1543) est le reflet de
tels décalages et ne comporte pas les amplifications du
DNH lequel refuse de descendre en dessous de quatre vers
par épigramme, quand bien même le latin ne comporterait
qu’une ligne.
Il nous apparaît que le
DNH est une tentative d'achèvement de l’Orus Apollo
ou qu’en tout cas sur un texte plus complet que celui
ayant servi aux traductions latines et française
imprimées que nous connaissons. Le versificateur a pu
disposer d’un tel ouvrage ou bien est-il lui-même
l’auteur de ces additions ? Apparemment, le
versificateur aurait eu en main une version amplifiée et
plus satisfaisante. Il est également difficile de
déterminer si le modus operandi, tel que nous
l’avons décrit, se situe au stade de la versification ou
bien s’il correspond à un stade antérieur dont le
versificateur aurait hérité. On notera que certains
latinismes stylistiques - comme l’on parle de
gallicismes - maintenus dans le DNH, comme nous l’avons
montré - par exemple pour Quomodo mundum rendu
par “Comment le monde” - mais aussi “Comment taciturnité”,
“Comment une chose patente”, “Comment la volupté”,
“Comment le cueur” etc. - attestent d’une certaine
incurie au niveau de la traduction latine, comme si le
travail dont se sert le versificateur n’avait pas encore
été parfaitement peaufiné, ce qui ne fait sens,
évidemment que dans le cas d’une traduction française
puisque c’est de cela qu’il s’agit. En bref, nous avons
du mal à croire que le travail d'achèvement, celui de
traduction et celui de versification seraient le fait
d’un seul homme. Et tout laisse en tout cas penser que
nous sommes en face d’un ensemble encore incomplet à
moins que le versificateur n’en ait eu cure et se soit
contenté de versifier le texte français dont il
disposait, sans trop se poser de questions, pensant
ainsi, à tort, pouvoir présenter un ensemble
satisfaisant.
Edition J. Kerver 1543, Edition latine R. Estienne
1530 et Manuscrit Orus Apollo (version Rollet)
On note que le manuscrit fournit un développement
sensiblement plus important
On ne peut donc qu’être
surpris par la formule adoptée par Patrice Guinard :
“Quoi qu’il en soit, il
n’y a aucune raison de penser que cette traduction
soit le fait de Nostradamus. Certes le DNH et la
traduction française comportent-ils certaines
affinités, mais qui peuvent s’expliquer à partir d’un
texte originel commun”.
Visiblement, Guinard
n’aura pas remarqué - ou en tout cas pas signalé - à
quel point les différences entre les moutures étaient
considérables et qu’il ne s’agissait - loin de là ! -
pas seulement de façons de faire des traducteurs. Il
faut bel et bien conclure que nous avons affaire avec le
Des notes hiéroglyphiques (DNH) à une version
augmentée - dont on ignore s’il y eut un original latin
- par rapport aux versions latines imprimées au début du
XVIe siècle. Le travail de passage de latin au français,
dans l’hypothèse où il aurait bien eu lieu, se
produisit-il au niveau de la versification ou plutôt à
celui d’un texte en prose utilisé pour ce faire ? Ce
passage du latin au français est-il bien le fait du
versificateur ? Il ne nous semble nullement certain que
le versificateur ait eu accès au texte latin; entre les
deux, il pourrait y avoir eu une interface, à savoir un
travail de traduction voire d’amplification. Mais dans
l’ignorance d’une telle interface, nous sommes conduit
provisoirement à attribuer au versificateur un accès
direct au latin, quitte à reprendre ce point à
l’occasion.
Dès lors que le DNH ne
dérive pas directement d’une édition française voire
d’une édition latine imprimées, il n’est guère possible
d’en fixer un terminus si ce n’est, comme le
signale P. Guinard, que Jeanne d’Albret, à qui l’Epître
est adressée, ne devint Reine de Navarre qu’en 1555, à
la mort de son père. Mais en tant que fille du Roi Henri
II de Navarre, elle pouvait fort bien avoir porté le
titre de Princesse de Navarre, qui est utilisé pour
l’Epître, avant d’en devenir la Reine et notamment avant
1541 quand elle fut mariée à 13 ans avec le duc de
Clèves. Aulotte considére cependant une telle dédicace
comme assez peu vraisemblable. Rappelons que Nostradamus
dédiera à l’époux de la dite reine, Antoine de Bourbon,
prince du sang, père du futur Henri IV, sa
Pronostication pour 1557. Ne pourrait-il s’agir avec
les DNH d’un cadeau de mariage pour la jeune Princesse
convolant en cette année 1541 ? Dans ce cas, il est bien
évident que le manuscrit ne serait, au mieux, qu’un
brouillon - il y a de nombreuses rayures qui
n’apparaissent pas dans l’édition Rollet - d’un ouvrage
voué à être imprimé, probablement avec des figures
correspondantes, probablement coloriées à la main comme
ce fut le cas pour l’exemplaire du Kalendrier des
Bergers offert à Charles VIII, dont certaines
d’ailleurs ont été reproduites par Rollet, car - et
l’exemple des Centuries n’est ici nullement pertinent -
on conçoit mal une telle série sans illustration, encore
que l’édition latine de 1530 n’en comporte pas. Cela dit,
il s’agirait bien de l’écriture de Michel de Nostredame,
ce serait la même que celle du manuscrit des prédictions
d’almanachs dédié à Pie IV. Rollet affirme ainsi : “La
comparaison avec les lettres de Nostradamus, avec la
confirmation signée par lui de l’Almanach pour 1562 (vente
Rigaud, 1931), avec l’autographe publié par Geigy (Bâle,
1925) et avec les actes notariés ne laisse pas le
moindre doute quant à l’identification de l’écriture du
mage de Salon”.13
Nous ne partageons pas cet avis, il nous semble au
contraire que l’écriture du manuscrit de l’Orus
Apollo mis en rimes n’est pas semblable aux autres
documents que nous connaissons, qu’ils soient d’ailleurs
eux-mêmes de Nostradamus ou non. Mais le seul fait que
le nom de Nostradamus figure ne serait-ce qu’ une seule
fois - la mention manuscrite en bas de la page de titre
ne faisant que nous signaler la référence finale - où
l’on notera une faute d’accord avec ce “traduict” qui ne
s’accorde avec aucun mot au masculin singulier - fait,
de toute façon, des DNH un document nostradamique à
considérer, d’autant que le passage de la prose aux vers
apparaît de plus en plus comme assuré en ce qui concerne
les Centuries. Or, c’est bien ici le cas: un texte en
prose imprimé, latin plutôt que français, “mis en rithme”
en français.
L'enchaînement des adaptations
En
conclusion, nous pensons que l’édition imprimée de 1543
est issue du même document dont se sert le versificateur
mais qu’elle a été corrigée, tout comme elle le sera à
nouveau pour l’édition imprimée de 1553. On aurait donc
un corpus de quatre pièces, dont une est manquante et
qui a servi à la fois à la versification et à l’édition
de 1543, puis en 1553 une édition encore retravaillée
sur le plan formel. En pratique, seule la pièce
manquante est une véritable traduction, d’ailleurs très
littérale, du latin, les autres n’en seraient que des
adaptations : une pièce versifiée restée manuscrite mais
restant très proche de la traduction de base et deux
remaniements, avec des termes remplacés par d’autres
moins proches de l’original latin, dès lors que
changement il y a. Vient s’ajouter à cela, le fait que
la version “Nostradamus” est sensiblement plus
développée et cela est-il le fait du versificateur ou du
modèle français qu’il transpose ? Mais si c’est le
modèle qu’il transpose, pourquoi les éditions imprimées
ne tiennent-elles pas compte, elles aussi, d’un tel
matériau? Il nous faut donc conclure que certaines
additions relèvent du versificateur à moins que le dit
versificateur ne se serve d’une mouture en prose
augmentée, dérivée de la traduction de base, ce qui
ferait une cinquième pièce à considérer. On a là un
véritable arbre généalogique !
Comme le note R. Aulotte,
il y a, en tout cas, par trop de similitudes entre le
texte “Nostradamus” et l’édition 1543 pour que,
contrairement à ce que dit P. Guinard, ce soit le fait
du hasard et que cela ne tienne qu’à une succession de
traductions à partir d’un même texte latin. Mais nous ne
suivrons pas Robert Aulotte quand il laisse entendre que
le versificateur dépendrait de l’édition de 1543 car par
quel miracle le manuscrit des DNH serait-il plus proche
du latin que l’édition de 1543; comme c’est le cas ?
C’est ainsi que les épigrammes des DNH sont numérotés -
Rollet a fâcheusement, on l’a dit, supprimé la
numérotation - ce qui n’est pas le cas des éditions
françaises imprimées alors que c’est la règle pour les
éditons latines et grecques. On ajoutera que l’édition
de 1543 ne comporte pas en son titre apposée à Orus
Apollo l'épithète “Niliacque” - remplacée par “De
Aegypte” qui figure dans celui des DNH ainsi d’ailleurs
que dans les éditions latines (1521, 1530) ainsi que
d’ailleurs dans l’édition de 1553. Encore un indice
montrant que les DNH ne dépendent pas de l’édition de
1543 mais qui pourrait laisser entendre que l’édition de
1553 si elle s’appuie sur celle de 1543 n’en a pas moins
du se référer à une édition latine d’autant qu’elle cite
en son titre Philippe le traducteur du texte de copte en
grec, point qui ne figure pas dans l’édition de 1543.14
Paradoxalement, ce sont
de tels “détails” qui peuvent nous aider à reconstituer
la subtile chronologie des éditions. Un tel travail en
histoire des traductions ne saurait être conduit à bien,
si l’on n’a pas l’expérience des processus de traduction
entre langues lexicalement proches comme le sont le
latin et le français mais aussi entre le français et
l’anglais ; comme on peut le voir dans le champ
centurique. Nostradamus n’est pas le traducteur du texte
qui sera repris en 1543 et qui offre des similitudes
assez frappantes pour penser qu’il dérive du texte dont
se sert Nostradamus et qui est plus proche de l’original
latin. Mais on n’imagine guère, cependant, l’auteur du
texte remanié de 1543 se servant du manuscrit versifié
de Nostradamus en raison des additions qui s’y trouvent
et qui ne figurent dans aucune version latine. L’auteur
de l’adaptation de 1543 nous semble bien plutôt avoir
utilisé la même source que Nostradamus, non pas latine
mais française. On notera une valeur ajoutée assez
faible d’une mouture à la suivante: maintien des mêmes
mots lors du passage d’un texte d’une langue en une
autre; réécriture et non retraduction. Il y a là un
principe d’économie qui nous paraît essentiel en
Histoire des textes et sans lequel d’ailleurs
l’historien aurait bien du mal à remonter les pistes. Un
tel principe tend à relativiser toute idée de poésie
inspirée, du moins au niveau du signifiant. Car dans le
champ textuel, l’originalité ne réside pas tant dans le
choix des mots que dans l’usage qu’on en fait, en les
recyclant. En ce sens, tout texte relèverait d’un
recyclage, ce serait donc le commentateur qui serait
plus déterminant que l’auteur qui n’est souvent qu’un
plagiaire fatigué. Les interprètes de Nostradamus et de
ses disciples sont plus inspirés qu’eux. Nous avons là
une trilogie dans la gestion des textes : l’auteur,
l'interprète et l’historien. Le premier fait du texte
avec du texte, le deuxième fait dire au texte ce qu’il
veut lui faire dire et le troisième restitue les
différentes étapes de la carrière du texte. C’est dire
que pour nous, il n’y a pas de texte “brut” ni d’auteur
“brut”.
Les DNH
et les Centuries
Texte à la
fois amplifié mais néanmoins inachevé que les DNH, ce
qui d’ailleurs nous rappelle que le “second volet” des
Centuries comporte un quatrain inachevé, à savoir le
VIII, 5215
:
Le Roy de Bloys dans
Avignon régner
D’Amboise & seme viendra le long de Lyndre
Ongle à Poitiers sainctes aisles ruiner
Devant Boni.
Le premier verset,
soulignons-le, est selon nous typiquement d’inspiration
crespinienne - verset qui se trouve également - fait
unique - également en tête d’un autre quatrain (38) de
la même Centurie. Ce verset que l’on retrouve dans une
oeuvre de Crespin - Demonstration d’une Comette,
Lyon, Jean Marcorelle, 1571 - ne s’y trouve pas, selon
nous, simplement commenté par Crespin mais bien façonné
par celui-ci puis, par la suite, intégré - mais pas
avant 1571 - dans un processus centurique.16
Ce verset, en effet, n’est pas commenté par Crespin mais
tout au contraire résume sa position.17
On observera que ni Benazra qui pourtant s’interroge sur
le privilège18
ni Chomarat19
qui signalent ce texte de Crespin n’ont signalé la
présence de ce verset. Il est vrai qu’il y a vingt ans,
on ne prenait pas la peine de rechercher des traces des
Centuries en dehors des... Centuries. Ajoutons que la
question de la façon dont certaines centuries20
ont été complétées est également un élément capital pour
saisir l’évolution du corpus centurique.
Alors qu’il semble exclus
de pouvoir reconstituer un texte d’un seul tenant à
partir des (141) Présages, qui ne sont le plus souvent
qu’un assemblage de formules, en revanche, les quatrains
centuriques semblent avoir été produits de la même façon
que les épigrammes de l’Orus Apollo, c’est-à-dire
en changeant l’ordre des mots d’un texte en prose ou en
recourant à des synonymes mieux susceptibles de rimer
que ceux utilisés dans le texte source.
On imagine donc fort bien
l’auteur des quatrains, quel qu’il soit, recopiant la
Guide des Chemins de France ou un ouvrage du même
type21 en
se contentant de l’exercice consistant à le “traduire”,
cette fois, en quatrains, la seule contrainte de la rime
et du nombre de vers suffisant à produire oeuvre
originale mais on est ici bien plus près de la
versification voire de l’écriture automatique que de la
poésie, ce qui nous conduit à penser que les quatrains
centuriques, initialement, n’avaient probablement pas de
vocation prophétique, pas plus et peut-être moins - vu
que la matière en était moins noble - que l’Orus
Apollo nostradamique. Certes, les Centuries,
paradoxalement, seraient des épigrammes sans images22
mais les quatrains comportaient-ils un matériau leur
permettant de se présenter comme des épigrammes à
l’instar de l’Orus Apollo ? Mais à propos de
considérations iconographiques, on rappellera que le
corpus nostradamique n’en est pas exempt.23
La comparaison entre la tonalité des quatrains et celle
des épigrammes du DNH ne plaide guère en ce sens et il
nous semble donc tout à fait abusif - ce serait même là
le fait d’un amalgame assez grossier - de présenter les
dits quatrains comme tels; si ce n’est quant à leur
seule présentation formelle. Ajoutons que de tels
recueils d’épigrammes pouvaient servir sur un plan
divinatoire, un peu à la façon d’un tirage de tarot
(pour ne pas parler du I Ching) et il est fort
possible que les quatrains centuriques, sous leur forme
initiale, qui nous reste inconnue, aient aussi fait
l’objet d’un mode de tirage aléatoire, éventuellement au
moyen de dés, d’où leur numérotation et leur
présentation en vrac. Mais n’est-ce pas là, au mieux,
avec de tels quatrains, une forme abâtardie de
l’épigramme bien impropre à correspondre à quelque image
? Reconnaissons que la recherche des sources des textes
nostradamiques en vers est assez démystifiante et disons-le
quelque peu décevante, sentiment que l’on éprouve
également avec les devises de Saint Malachie - encore un
exemple où l’image est absente ou plutôt évacuée -
reprises d’une Histoire de la Papauté ou extraites de
quelque chapitre de la Bible24
: on a bien du mal à croire que la veine prophétique
puisse découler, s’écouler, d’un travail - d’une besogne
- qui n’est pas sans présenter au pire un certain
caractère de plagiat plus ou moins toléré et au mieux
l’aspect d’un jeu (de salon) ou d’un hommage de
courtisan, assez creux. Dans notre représentation du
prophétisme, on s’attendrait plutôt à un jet spontané,
compulsif, jaillissant des profondeurs de la psyché, à
caractère onirique, et non pas à un recopiage consistant
à faire entrer un texte assez indifférent dans un
nouveau moule, dans une sorte d’ alambic; mais peut-être
s’agit-il là - qui sait ? - d’une forme d’alchimie du
verbe ?
Orus
Apollo et le Tarot
Cette figure de l’Orus Apollo (1543 et 1553)
pourrait avoir servi à la composition des arcanes du
Tarot :
la Lune (XVIII) et le Soleil (XIX)
En tout cas,
ces épigrammes égyptiens ont pu contribuer à répandre
l’idée que le Tarot - figures dont le texte se réduit à
un bref titre que l’on retrouve parfois dans ceux de l’Orus
Apollo - le monde (arcane XXI), l’estoile (XVII), la
force (XI), la mort (XIII), la tempérance (XIV) - lui
aussi, était d’origine égyptienne.25
Pour le “mois”, deux images différentes, mais la même
image pour le “mois” et l’“étoile”.
La façon dont les
luminaires sont représentés sur ces figures est proche
de celle du Tarot et des vignettes nostradamiques. 26
Cela est vrai pour les arcanes XIX “Le Soleil” et XVIII
“La Lune” qui, si on les place côte à côte semblent
détachés d’une seule et même figure d’Orus Apollo
version Kerver : “Quelle chose ilz signifioient pour
l’estoille”, figure reprise pour illustrer “Comment ilz
signifient les moys“, luminaires que l’on retrouve dans
un autre décor dans la note intitulée (1543) “comment
les Sages d’Egypte signifient le cours du temps”, ce qui
pose d’ailleurs le problème de l’origine des dites
illustrations adoptées par le libraire parisien. Encore
que dans ce cas, nous pensons que ce sont plutôt les
concepteurs du Tarot de Marseille qui ont emprunté aux
illustrations des éditions Kerver (1543 et 1553) car les
autres jeux de tarot ont adopté d’autres modes de
représentation des luminaires. Un des cas les plus
flagrants est probablement celui de l’arcane du Tarot,
la Force (rendant en latin Fortitudo, qui
signifie plutôt le courage, la force d’âme) qui semble
littéralement reprise de l’Orus Apollo : “Pour
signifier force, ilz paignoient le devant d’un lyon,
pour ce qu’il a les membres de devant plus fors (sic)
que les autres” (Ed. 1543).
Sous la forme versifiée
cela donne :
“Et puys la force
voulant signifier
Tout le devand du lyon venoient paingdre
Car les parties devant spécifier
Sont bien plus larges que tout le corps à craingdre
Sa latitude du devant faict entendre
Vigueur et force au lyon apparoir
L’antérieure proportion vient rendre
Dénouter force comme ici pouvés voir”
On peut ainsi relier
Nostradamus au Tarot ! Mais que faut-il entendre par cet
“ici” dans le dernier verset : “comme ici pouvés voir” ?
En fait, il semble qu’il
y ait un doublon car le hiéroglyphe précédent, dans le
Ier Livre, campe également un lion mais cette fois pour
signifier le “courage” : “Voullans signifier le courage
paignent le lyon (qui) a la semblance du soleil” (du
fait de sa crinière). Le Lion ainsi représenté, dans les
deux cas, est assez semblable à celui de l’arcane XI,
laquelle comporte en sus un personnage féminin ouvrant
la gueule de l’animal tout comme il n’est pas sans
évoquer le lion qui figure sur le coin droit en bas de
l’arcane “Le Monde”. Quant à l’Arcane Le Monde, elle
nous semble devoir prendre son origine dans la figure du
même nom, dans les Hiéroglyphes d’Horus Apollon :
“Comment ilz signifient
le monde. Ils paignoient un serpent mengeant sa queue
diversifiée de plusieurs escailles qui représentent
les estoiles etc.” (Ed 1543)
On notera que les
écailles du serpent sont remplacées dans le Tarot par
des épis de blé, ce qui est le type même du contresens
iconographique.
En revanche, pour la
Tempérance (le dessin correspondant figurant dans
l’édition Rollet n’appartient pas au manuscrit, lequel
est vierge de toute illustration) le personnage ne
correspond pas du tout On peut d’ailleurs penser que la
Tempérance vue par l’Orus Apollo est la plus
convaincante. Toutefois, dans le livre I, on trouve une
autre représentation de la tempérance (“Comment ilz
signifioient un homme fort vaillant & tempéré”) sous la
forme d’un taureau (que l’on retrouve dans le Zodiaque)
qui est “atrempé pour ce que quand la vache est preigne
(enceinte) il ne fait compte d’y retourner” (pour la
saillir). Il serait ainsi possible de concevoir un
nouveau Tarot constitué de nouvelles illustrations
empruntées aux publications des XVe-XVIe siècles au lieu
de redessiner constamment autour des mêmes motifs.
Toutefois, curieusement, l’édition de 1553 a remplacé
Tempérance ou Atrempance par Chasteté mais en conservant
la même figure. 27
Mais c’est bien Temperantia qui figure dans la
traduction latine de Bernardino Trebatio et qui est
ainsi rendu tout naturellement par calque avant d’être
remplacé par une forme plus ou moins synonymique. En
tout état de cause, on sait que nombre des images
représentées, notamment dans le second livre, dans les
Hieroglyphica ne correspondent pas à des
hiéroglyphes égyptiens. Dans un cas, celui des vrais
hiéroglyphes, nous avons des images auxquelles on
accorde des significations et dans l’autre, des
caractéristiques que l’on représente par des images. Les
figures des éditions de 1543 et 1553 sont-elles propres
aux traductions françaises ? Nous ne les avons pas
trouvées en tout cas dans les éditions latines ou
gréco-latines des Hieroglyphica parues en France.
En revanche, en 1597, paraîtra à Rome, chez A Zannetum,
dans une édition greco-latine une sélection (Selecta
Hieroglyphica) de figures assez proches de celles
parues chez Kerver. Etrange fortune de ces figures de l’Orus
Apollo que de se perpétuer jusqu’à nos jours, du
moins quant à certains motifs, dans le cadre d’un jeu de
cartes. On signalera l’intéressant travail de A. Turner
Cory proposant pour figures des Hieroglyphica des
hiéroglyphes tels qu’ils figuraient sur les monuments
rapportés d’Egypte (The Hieroglyphs of Horapollo
Nilous, Londres, 1840).
Le mot TEMPERENTIA dans le texte latin de Bernardino
Trebatio
(TEMPERANCE en 1543 et CHASTETE en 1553)
Illustration de la Tempérance dans l’édition Rollet
et éditions 1543 et 1553 de l’Orus Apollo.
Dans le Tarot de Marseille, c’est un tout autre motif
qui évoque le signe du Verseau
Une autre représentation de la Tempérance
au Livre I des Hieroglyphica
Le Tarot - comme le
Zodiaque - constituent des séries hétérogènes et sans
vocation systématique, sinon dans l’esprit de leurs
commentateurs. La présence du Lion dans le Zodiaque a-t-elle
un rapport avec l’arcane XI du Tarot ou bien est-ce
l’inverse ? De même pour la Balance, figurant tant dans
le Zodiaque que dans l’arcane VIII du Tarot et dont on
sait qu’elle a été rajoutée au Zodiaque, aux dépens
d’une partie - les Chelles - de la constellation du
Scorpion. Il faudrait également se demander si les
Gémeaux ne sont pas l’expression de la Concorde, telle
qu’elle est représentée dans les Hieroglyphica :
“Comment ils signifioient concorde : Deux hommes en
habit de dignité signifoient concorde”. Même le signe du
cancer pourrait avoir un lien avec cette série, en
symbolisant la “seigneurie”, c’est-à-dire la domination
sur autrui. “Comment ilz signifioient l’homme ayant
seigneurie sur ceulx de sa nation. Pour signifier
l’homme seigneuriant sur sa nation, ilz paignoient une
langouste de mer etc” (1543) et dans l’édition de 1553 :
“Ils paignoient un Carabe (sic) qui est une espéce de
Cancre marin, autrement appelé langouste etc”. La liste
est donc longue des correspondances entre signes du
Zodiaque et Hieroglyphica : taureau, gémeaux,
cancer, lion, qui se suivent. Il est peut-être temps de
se demander dans quel cas c’est l’image qui prévaut sur
le texte et dans quel cas c’est l’inverse : quelle est
la fin, quels sont les moyens ? C’est ainsi que l’idée
de force peut être signifiée autrement que par un Lion
et qu’un Lion peut signifier autre chose que la force.
On a trop souvent cru, dans le cas du Zodiaque et du
Tarot, que c’était l’image qui venait en premier. Or
rien n’est moins sûr : on pourrait concevoir un tarot
avec d’autres images mais gardant les noms des arcanes.
Nous avons là trois séries, le Zodiaque, le Tarot et les
Hieroglyphica auxquelles il convient d’ajouter le
Kalendrier des Bergers et aussi et surtout celui
des Bergères. 28
Dans quelle mesure le Zodiaque est-il issu du calendrier
des activités sociales au cours de l’année dont certains
éléments seraient ainsi simplement reproduits et dans
quelle mesure reprend il des valeurs morales incarnées
par certains personnages ? On voit que les
Hieroglyphica pouvaient intéresser un Nostradamus
astrophile.
GEMEAUX - CANCER - LION
Hieroglyphica et Zodiaque :
une piste qui est en paralèle avec celle du
Kalendrier des Bergers
Jacques Halbronn
Paris, le 10 mars 2005
Notes
1 Cf. “Le système de codage de
l’Orus Apollo (1541)”, Espace Nostradamus.
2 Cf. voir son Site logodaedalia et sur Espace
Nostradamus.
3 Sur la question de la source française d’un texte,
voir notre étude : “Réshit Hokhmah d’Abraham Ibn Ezra.
Problèmes de traduction au Moyen Age” in Proceedings of
the Eleventh World Congress of Jewish Studies,
Jerusalem, 1994.
4 Cf. “D’Egypte en France par l’Italie : Horapollon au
XVIe siècle” in Mélanges à la mémoire de Franco Simone
(France et Italie dans la culture européenne), Genève,
Slatkine, vol. 1, 1980, pp. 560 et seq.
5 Cf. Brochure Salon, op. cit., p. 35.
6 Cf. Bib Arsenal, 8° BL 32932, Numm 71415, et
Département des Estampes, Site Richelieu.
7 Cf. BNF Réserve pZ 641.
8 Cf. fac simile de trois pages de titre in Documents
Inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed.
Ramkat, 2002.
9 Cf. reproduction de la page de titre du DNH in J.
Allemand, Nostradamus et les Hiéroglyphes, Salon de
Provence, La Maison de Nostradamus, 1996.
10 Cf. BNF, NUMM 71386.
11 Cf. Nostradamus. Interprétation des Hiéroglyphes de
Horapollo, Reed. Marcel Petit CPM, 1993.
12 En fait la formule sybilline - sans “ils signifient”
- est l’exacte réplique du latin Quomodo Mundum.
13 Cf. Nostradamus. Interprétation des Hiéroglyphes de
Horapollo, op.cit. p. 9.
14 Cf. aussi Charles Lenormant, Recherches sur l’origine,
la destination chez les Anciens et l’utilité actuelle
des hiéroglyphes d’Horapollon, Thèse, Paris, 1838.
15 Cf l’édition de J. P. Clébert, Prophéties de
Nostradamus, Paris, Dervy, 2003, pp. 898-899.
16 Cf. notre étude sur “néonostradamisme et
précenturisme”, sur Espace Nostradamus.
17 Cf. notre communication “French antijudaism and the
Avignon problem, at the eve of the Saint Barthélémy”,
14e congrès mondial des études juives, Jérusalem, 2005.
18 Cf. RCN, p. 99.
19 Cf. Bibliographie Nostradamus, pp. 65-66.
20 Cf. notre article sur les Centuries V, VI; VII, sur
Espace Nostradamus.
21 Cf. notre “Evaluation de la clef géographique des
Centuries”, Espace Nostradamus.
22 Cf. notre exposition à ce qui n’était pas encore la
BNF, début 1994 Astrologie et Prophétie. Merveilles sans
image, Paris, Bibliothèque Nationale.
23 Cf. notre récente étude sur le Kalendrier des Bergers
et Nostradamus, sur Espace Nostradamus.
24 Cf. notre étude sur la prophétie des papes, à la
rubrique Prophetica de l’Encyclopaedia Hermetica, Site
ramkat.free.fr.
25 Cf. aussi Charles Lenormant, Recherches sur l’origine,
la destination chez les Anciens et l’utilité actuelle
des hiéroglyphes d’Horapollon, Thèse, Paris, 1838.
26 Cf. notre étude sur “le Kalendrier des Bergers et
Nostradamus”, Espace Nostradamus ainsi que celle parue à
la rubrique Tarotica, Encyclopaedia Hermetica, Site
ramkat.free.fr.
27 Sur les rapports entre Hieroglyophica et lames du
Tarot, voir Aeclectic Tarot Forum, http://www.tarotforum.net.
28 Cf. nos études sur Espace Nostradamus.
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72 - Problèmes de chronologie centurique fictive
Par Jacques Halbronn
A plusieurs reprises, nous avons mis en garde à propos de la diversité
des chronologies centuriques et toute idée d’une chronologie unique,
consistant à ranger les éditions selon le seul critère de la date
affichée de parution
On peut penser que la première occurrence d’une édition centurique ait
été d’entrée de jeu antidatée, c’est Macé Bonhomme 1555 mais le reste
de la série porte des dates situées dans les années 1588-1590.
Nous situerons les éditions parisiennes des années 1588 -1589 dans la
ligne de Macé Bonhomme 1555. en ce qu’en la Ive centurie, elles s’y
référent implicitement de par la mention d’une addition au-delà du 53e
quatrain. Et de là nous passerons aux éditions de Rouen et d’Anvers
(1589-1590) se référant à 1555 mais ne comportant plus d’indication
d’addition à la Ive Centurie mais se référant in fine à 1555, comme on
l’a noté.. Lors du passage de VI à VII centuries, on éprouva le besoin
de se référer à une édition de 1561 comportant une addition au-delà de
la Vie centurie, à savoir 38 puis 39 « articles ». On n’a pas gardé
d’édition à 6 centuries et cela fausse quelque peu les perspectives.
Mais le Janus Gallicus (1594) la prend en compte en citant le quatrain
VI, 100 qui manque à toutes les éditions conservées, lequel quatrain
précède un avertissement conclusif en latin.
A partir de ce premier train de centuries, dont il ne nous reste que
deux éditions antidatées, celle se présentant sous la houlette de Macé
Bonhomme et celle de la Veuve Buffet, datée de 1561 (collection privée,
figurant dans le Catalogue Thomas Scheler présenté par M. Scognamillo),
et qui annonce 38 quatrains à la VII. Mais on n’en a conservé que la
page de titre, le contenu étant celui d’éditions antérieures ne
comportant pas encore une telle centurie VII.
Ensuite, va se mettre en place, par dérivation, un second système
centurique également à 7 centuries qui, lui, se donne pour point de
départ 1556 mais qui utilise la même vignette que Macé Bonhomme 1555.
La seule différence notable avec le premier train concerne la centurie
VII qui atteint voire dépasse les 40 quatrains alors que le premier
train plafonnait à 39 quatrains à la VII si l’on s’en tient aux sous
titres des éditions parisiennes (mentionnant une addition de 39
quatrains) et à l’état de l’édition Anvers 1590 à 35 quatrains.
Cette série se caractérise par l’adjonction d’un second volet, autour
de 1593-1594, dont rend compte immédiatement le Janus Gallicus. Mais
dans un premier temps, parait une édition à 40 quatrains à la VII
avant cette date. On dispose d’une édition antidatée 1557 Lyon Antoine
du Rosne (Bibl. Budapest), mais qui est précédée d’une édition 1556
Paris Olivier Harsy (disparue) qui sera souvent référée au XVIIe
siècle dans la série des Vrayes Centuries et Prophéties, notamment les
éditions d’Amsterdam 1667 et 1668. Ce faux se situe entre 1590 et 1593
et correspond au premier volet de l’édition Jaques Rousseau, Cahors
1590 (conservée à Rodez), à 42 quatrains à la VII comme l’édition
Antoine du Rosne 1557 (Bibl Utrecht), on est ainsi passé de 40 à 42
quatrains à la VII.
Une autre édition antidatée suit qui date d’environ 1594 et qui
comporte deux volets, l’un avec 42 quatrains à la VII, toujours chez
Antoine du Rosne 1557, et l’autre, disparu, daté de 1558 et comportant
l’Epitre à Henri II datée de cette même année 1558 et les centuries
VIII-X. Le second volet de l’édition Cahors Jaques Rousseau,
correspond à ce volume manquant, dont l’édition 1558 est la réplique
antidatée. De là on passe aux éditions Benoist Rigaud datées de 1568,
qui sont censées n’être que des rééditions (posthumes bien que la mort
de Nostradamus n’y soit pas, par inadvertance, signalée) de l’édition
censée parue 10 ans plus tôt, chez Antoine du Rosne, puisque le
premier volet (Utrecht) annonce le second volet ne son titre.
On connait très peu de choses sur la genèse du second volet mais l’on
peut situer une première occurrence de l’Epitre à Henri II autour de
1585 puisque cette date y figure en bonne place. Il n’est pas certain
qu’elle ait été accompagnée dans un premier temps de centuries et de
toute façon, on ne la connait que sous une forme retouchée comportant
1606 à côté de 1585, à commencer par le second volet de Cahors Jaques
Rousseau, qu’il convient de ne pas dater de 1590, en dépit de la
mention 1590 - comme c’est le cas pour le premier volet mais de
1593-1594, puisqu’elle comporte le second volet et un quatrain qui
correspond au couronnement de Chartres (1594). On notera d’ailleurs
des similitudes entre la décoration de la page de titre chez Benoist
Rigault , au premier volet et celle de Cahors. Rigault ne reprend pas
la vignette Antoine du Ronse.
Nous avons déjà abordé la question des pièces pouvant valider la
parution de ces éditions que nous qualifions d’antidatées. Nous
résumerons ici nos conclusions : les Prophéties du Seigneur du
Pavillon sont posthumes. Etant donné que leur auteur n’est pas mort
avant le début du règne d’Henri III, (1573-1574), on ne saurait donc
utiliser ce document pour valider une circulation de la Préface à
César en 1555. Mais, comme cet auteur fait montre, outre de l’adresse
à César- qu’il cite nommément- d’une certaine connaissance d’une
édition à 300-400 ‘ »carmes », il convient de situer cette édition
dans le milieu des années 1580. En ce qui concerne le témoignage
d’Antoine Crespin Nostradamus/Archidamus, auquel nous avons consacré
une étude (in Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Ed.
Ramkat 2002), la parution de vers et rarement de quatrains, que l’on
retrouve dans les 10 centuries, ne pourrait en principe avoir eu lieu
avant le milieu des années 1590 alors qu’on les trouve dans des pièces
datées des années 1570. Ce Crespin signale par ailleurs dans d’autres
textes l’Epitre à Henri II datée de 1558 (et non celle datée de 1556
en tête des Présages Merveilleux pour 1557), ce qui nous situe au plus
tôt vers 1585 mais il n’en donne pas le contenu et l’on ne saurait
exclure qu’une telle fausse épitre à Henri II ait pu circuler
séparément avant d’être récupérée par le camp Bourbon dans les années
1580 puis placée en tête du second volet. On aura compris que le
dossier Crespin est assez complexe et mérite d’être approfondi et
creusé. Il pose le problème des sources des quatrains centuriques au
sein de la littérature néo-centurique d’un Nostradamus le Jeune ou
d’un Crespin, personnages dont on ne sait pas grand-chose. On ne peut
exclure, cependant, que la dite littérature, fortement développée à l
afin des années 1560 et dans le cours des années 1570, n’ait été
récupérée dans les années 1580 pour composer les Centuries. On ne peut
non plus exclure que ce néo-nostradamisme n’ait utilisé certains
textes en prose de Nostradamus, dont une partie au moins semble avoir
disparu, pour nourrir ses propres productions. C’est ainsi que le
premier quatrain de la première centurie se retrouve aussi bien chez
Nostradamus le Jeune, « metteur en lumière » des Prédictions des
choses plus mémorables, Troyes, Claude Garnier (1571), BNF Res. R
2563), que dans les Prophéties dédiées à la puissance divine et à la
nation française de Crespin (1572). On notera la proximité des dates
chez ces deux « nostradamistes ». Est-ce un hasard si Nostradamus le
Jeune est publié à Troyes dans les années 1570, chez Claude Garnier et
si son portrait est repris dans les éditions troyennes du siècle
suivant, comme celle datée de 1605, mais cette fois pour présenter les
centuries ? Au demeurant, cette date de 1605 est suspecte, elle
correspond à celle de l’Epitre à Henri IV qui introduit le « troisiéme
» volet mais il s’agit très probablement d’une édition antidatée, vers
1644, qu’il convient de situer au lendemain de la mort de Richelieu et
de Louis XIII et donc au début de la régence d’Anne d’Autriche. Nous
le savons en partie par un biais, à savoir la parution conjointe des
Centuries et du Recueil de Prophéties et Révélations Modernes,
faussement daté de 1611 et qui comporte une référence à l’an 1642,
sans parler de la question du 101e quatrain de la Xe centurie- un
cryptogramme visant l’an 1661, ce qui ne fait sens que pour Louis XIV
dont la naissance inespérée date de 1638.( voir Vers une nouvelle
approche de la bibliographie centurique, in Revue Française d’Histoire
du Livre, 2011)
JHB
16.07.12
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73 - Pour une réappréciation du rôle de
Benoist Rigaud dans la production nostradamique
Par Jacques Halbronn
La production du libraire lyonnais occupe un volume entier du travail
de Sybille van Gutlingen, Bibliographie des Livres imprimés à Lyon au
seizième siècle[1] cela permet d’apprécier son engagement dans le
champ « prophétique »- si l’on prend le terme dans un sens très large.
Malheureusement, l’auteur prend les dates d’édition au premier degré,
ce qui hypothèque singulièrement la valeur de son étude. On pense
évidemment au cas des éditions marquées 1568, où elle va jusqu’à
inclure les éditions comportant l’Epitre de Vincent Séve, datée
pourtant de 1605. On s’intéressera également à l’étude[2] de Patrice
Guinard sur les vignettes nostradamiques où il explique quelle a été
l’influence de la vignette des éditions 1568 sur la littérature
prophétique des années 1570-1580 alors qu’il s’agit de l’inverse.
Comme d’habitude, Guinard fournit des arguments qui vont à l’encontre
de ses positions...
Ce qui ressort par ailleurs, c’est que Benoist Rigaud s’est intéressé
de près à la publication, dans les années 1570, tant d’ouvrages signés
Antoine Crespin que de ceux portant le nom d’Antoine Couillard,
Seigneur du Pavillon, deux personnages intimement liés au champ
nostradamique, étant entendu que sous le terme « nostradamique », nous
incluons tout ce qui touche de près ou de loin à Nostradamus, à
l’instar du Répertoire Chronologique Nostradamique de Robert Benazra (
Paris, 1990)..
Nous avons déjà abordé le cas Couillard et apporté un nouvel éclairage,
au vu notamment de la mention de sa mort à la fin des Prophéties du
Seigneur du Pavillon, Paris 1556 mais aussi au vu du texte de son
neveu, Moireau, à la fin des Antiquitez & Singularitez du monde du
même Couillard, censées parues en 1557 à Paris dont Benoist Rigaud
réalisa une « réédition » vingt ans plus tard (1578), mais sans le
document Moireau lequel signalait assez clairement que Couillard
n’était plus de ce monde :
« Sans lequel prochain & dernier labeur tu eusses (.) eu le plaisir
des tiers & quart Livres des Antiquitez &Singularitez du monde qui ont
este pour bedonner aux dictez quarts derniers desquels pourras
facilement conjecturer qu’antes & quelles peines il a voulu porter
pour gratuitement te rendre œuvres que tu consisteras non moins
copieuses & en fruit abondantes qu’elles sont à noster république de
bon exemple & très utiles & nécessaires »
Si Couillard est mort dans ces années 1556-1557, comment pourrait-il
avoir publié en 1573 une Epitre à Henri de Valois, roi de Pologne ?
Nous avons déjà relevé quelques anomalies. Nous y ajouterons le fait
que le nom d’origine de l’auteur n’est pas Couillard du Pavillon les
Lorris mais Coillard de Lorris comme cela est attesté dans l’édition
de 1549 des Procédures Civiles, parues, chez V.Sartenas, à Paris mais
aussi dans la réédition, à l’identique, par les soins de Benoist
Rigaud, en 1571 puis en 1577, dont Couillard dit dès 1549 qu’il a « .
Entrepris de nouvel revoir le petit œuvre de mon adolescence, pour
l’amender, augmenter & corriger », ce qui fait naitre Couillard/Coulard
sensiblement plus tôt que 1549, au moins trente ans plus tôt à vue de
nez.
Benoist Rigaud édite les Antiquitez & Singularitez du monde en 1577
et, selon nous, parallèlement, sous forme antidatée, prétendument chez
à l’enseigne de libraires de cette époque, Antoine Le Clerc et Jean
Dallier, avec un avis du neveu de Couillard dans l’édition de 1557 qui
ne figure pas dans l’édition 1577. C’est chez ces mêmes libraires que
paraissent prétendument en 1556 les Prophéties du Seigneur du Pavillon
alias Antoine Couillard. En ce qui concerne les Procédures Civiles, on
a également un binôme (1549- 1577) mais dans ce cas il s’agit d’une
réédition d’un ouvrage bel et bien paru à la date indiquée ce que
prouve d’ailleurs le fait que le nom de Du Pavillon Les Lorris n’y
figure pas et que l’on trouve Coillard de Lorriz et non Couillard. Il
est vrai qu’en 1549, Couillard écrivait dans le Prologue, repris en
1578, de ses Procédures Civiles : « J’ay (…) entrepris de nouvel
revoir le petit œuvre de mon adolescence pour l’amender, augmenter &
corriger » Tout se passe comme si l’on partait d’une publication
réelle à partir de laquelle on brodait. On verra qu’il en a
probablement été de même pour le cas Crespin.
En ce qui concerne le vrai Crespin, il nous est signalé qu’il fut un
proche du Comte de Tende - il en aurait été le médecin - si l’on en
croit le titre d’une pièce avec lequel Nostradamus entretint des
relations assez compliquées, Prognostications avec ses présages pour
l’an 1571 ; Paris, Robert Colombel. Ces mentions disparaitront des
autres publications auxquelles le nom de Crespin est attaché. On note
aussi qu’il est indiqué « Crespin dict Nostradamus, de Marseille » et
pas encore « Crespin Nostradamus, ». Cet ouvrage au demeurant assez
primaire techniquement nous semble être la matrice d’autres ouvrages
où l’on trouve la forme « Crespin Nostradamus » et ce dès l’année
suivante comme dans cette Démonstration d’une Comette (…) par M.
Antoyne Crespin Nostradamus ». Entre temps, si l’on peut dire il n’est
plus médecin du Comte de Tende mais il est carrément attaché au
service du Roy de France , c'est-à-dire Charles IX. On note aussi que
cette édition des Pronostications avec présages comporte en sa page de
titre un quatrain qui ne serait, selon Benazra (RCN, p. 95) qu’ »une
combinaison des quatrains X,1 et VIII, 29. On retrouve de telles
combinaisons dans les adresses de la Prophétie dédiée à la Puissance
Divine et à la Nation française, ouvrage daté de 1572. Ne peut-on
penser que l’on est en face de documents qui auront servi, plus tard,
pour la composition des quatrains des Centuries, tous volets confondus
? Mais est-ce à dire qu’une telle pièce comme la Prophétie sus nommée
est bien parue en 1572, à Lyon, chez François Arnoullet ? Nous
tendrions à penser que la seul œuvre authentique de Crespin serait
celle parue chez Colombel. On a vu qu’il est alors désigné comme
Crespin dict Nostradamus. Il n’en aura pas fallu davantage pour créer
toute une série autour d’un Crespin Nostradamus ou Archidamus, mais
sans le « dict ». Mais nous pensons que cette série est parue à la
même époque que l’édition Benoist Rigaud de 1594, puisqu’elle lui
emprunte un grand nombre de vers issus des 10 centuries. On notera que
Benoist Rigaud avait publié plusieurs textes sur les Turcs, thème que
l’on retrouve chez Crespin à commencer par ses Prophéties dédiées à la
puissance divine. On y trouve cette adresse « A l’astrologue du Roy de
France (…) par l’astrologue du grand Turc.
En 1566, paraissait chez Rigaud une Epistre envoyee de Constantinople
au grand maitre de la religion à Malte, contenant comme l’entreprise
du Grand Turc qu’il avoit faicte de retourner à Malte est rompue (Bib.
Municipale de Besançon). Rappelons que Crespin était lié au Comte de
Tende, amiral du Levant, donc de ce qui touchait notamment la
Méditerranée.
Revenons en à l’édition Benoist Rigaud 1568 et observons que cette
floraison d’éditions, dont les variantes ont été recensées par Patrice
Guinard, ne sera suivie d’aucune réédition, ne serait-ce que d’un seul
volet, qu’une vingtaine d’années plus tard –et encore sans
l’intervention de Rigaud- si l’on s’en tient aux bibliographies sur le
sujet (Ruzo, Chomarat, Benaza, Guinard (cf son dossier in Revue
Française d’Histoire du Livre, 2008). Qu’est ce qui a bien pu se
passer après une telle effervescence. Et si l’on considère le cas du
second volet, avec l’épitre à Henri II, il faudrait encore attendre
que le même Rigaud publiât, cette fois, en 1594 voire en 1596, à
nouveau, reprenant ainsi la main à la veille de sa mort, l’ensemble
complet, à peu près à l’identique, comme si une partie importante des
Centuries –VIII-X- s’était éclipsée pendant ce laps de temps puis
était réapparu tout soudain.
C’est ainsi que Guinard nous explique, par le biais des vignettes,
représentant un bras tendant un globe, quelle fut la fortune des dites
vignettes tout au long précisément de ces 20 années vides de
centuries. En fait, pour comprendre la portée de ce motif sur la page
de titre du premier volet des « Prophéties », et pourquoi l’on ne
reprend pas la vignette des éditions 1555 à 1558 (dont une partie
(1556 et 1558) en fait nous manque), il faut savoir que ce motif est
fréquent dans diverses éditions néo-nostradamiques dont certaines
parurent du fait du dit Rigaud lequel aurait finalement abandonné – on
se demande bien pourquoi- Nostradamus pour ses imitateurs, ce qui
évidemment pourrait s’expliquer du fait de la mort du dit Nostradamus
si ce n’est qu’en 1568, Nostradamus était déjà mort du moins à
condition toutefois que cela se sût. On sait que ces éditions ne le
signalent pas, par quelque inadvertance mais cela vaut aussi pour
toutes les éditions des Centuries des années 1580-1590, encore que la
Préface à César datée de 1555 se présente comme une sorte de
testament, ce qui à la limite pourrait laisser croire à un public non
averti, que Nostradamus serait décédé à peu près à cette date, tant la
présence de la mort semble l’imprégner....
Nous avons exposé plus haut la thèse selon laquelle Benoist Rigaud
aurait élaboré dans les années soixante dix la méthode de la double
édition qu’il développera dans les décennies suivantes à savoir une
édition correctement datée du moment réel de parution et l’autre
antidatée chez des libraires ayant exercé par le passé, à l’instar
d’un Jean Dallier et d’un Anthoine Le Clerc.
Mais revenons sur la question des vignettes. On sait que le même motif
utilisé pour décorer le premier volet des Prophéties Rigaud 1568 se
retrouve par exemple sur la page de titre des Prédictions des choses
plus mémorables (..) mise (sic) en lumière par M. Michel de
Nostradamus le Jeune. Troyes, Claude Garnier au début des années 1570.
Benoist Rigaud en reprenant ce motif s’inscrit dans la continuité du
nostradamisme des années 1570. Et il est donc astucieux de sa part
d’utiliser ce même motif pour une édition antidatée pour 1568. A
contrario, l’on sait qu’existe un autre courant de faussaires de la
littérature nostradamique qui a utilisé une vignette que l’on retrouve
dans la Paraphrase de Galien sur l’exortation de Ménodote, chez
Antoine du Rosne- ouvrage traduit par Nostradamus dont le nom figure
au titre pour orner les éditions Macé Bonhomme et Antoine du Rosne
mais qui se trouve aussi sur les faux almanachs parisiens de Barbe
Regnault (cf infra). Un tel procédé semble peu adroit : on remplace la
marque de Macé Bonhomme par une marque nostradamique, ce qui semble
assez improbable, surtout quand on sait qu’elle ne correspond pas à
celle qui figure sur les pronostications annuelles du moins les
authenthiques.
Nous pensons que cette différence de vignette n’est pas à négliger. Il
est possible que dans un premier temps, on assiste à un grand retour
de Nostradamus qui vient contrer une période néonostradamique dans
laquelle Rigaud est très impliqué. Ce retour se démarque de la
vignette spécifique à ce néonostradamisme. Quant à Rigaud, assez
tardivement, il va à son tour, dans les années 1590, rejoindre ce
revival tout en s’efforçant d’inscrire son édition des Centuries dans
le cadre du néonostradamisme de la fin des années 1560, avec l’usage
de la vignette de rigueur. Il récupère pour ce faire l’édition Antoine
du Rosne en deux volumes 1557-1558 (Bib Utrecht, pour le premier volet).
La production de faux liée à Nostradamus de son vivant ou au lendemain
de sa mort ne se comprend que si l’on se place, a posteriori, du point
de vue rétrospectif des années 1580-1590 sur cette période. Dans les
éditions Rigaud, qui se situent dans une logique posthume – d’où la
date de 1568 (alors que Nostradamus est mort en 1566)- à aucun moment
Rigaud ne laisse entendre que les Prophéties sont parues du vivant de
Nostradamus, même s’il ne signale pas qu’il est mort mais on peut
supposer que cela se savait – en tout cas cela n’a rien à voir avec le
fait de produire des éditions censées parues du vivant de l’auteur. En
ce sens, Rigaud choisit d’ailleurs la date de 1568 parce qu’il a
connaissance de publications posthumes bel et bien parues à cette date
comme ces Prédictions pour vint ans continuant d’an en an (…)
extraictes de divers aucteurs trouvee en la Bibliothèque de nostre
defunct dernier decédé (..) Maistre Michel de nostre Dame (..) reveues
&mises en lumière par Mi. De Nostradamus le Jeune, Rouen, Pierre
Brenouzer. 1568 (BNF Res pV 715 (1)
Dans la bibliographie sus nommée de Sybille van Gutlingen consacrée à
Benoist Rigaud (n°395) est mentionnée, pour l’année 1567 (ouvrage non
localisé), une Pronostication annuelle et perpétuelle composée et
pratiquée par les expers anciens et modernes astrologues et médecins
comme Joseph Le Juste, Daniel, le prophete Eschas, Léopold
d’Antioche(sic), maistre Estienne de Prato, Fabry et plusieurs autres
et jusqu’à présent observée et approuvée par maistre Nostradamus,
docteur en médecine sur la sterilité, fertilité et gouvernement d’une
chascune année à l’advenir .
On est là au lendemain de la mort de Nostradamus. Il convient de
classer cette pièce (22p) parmi toutes celles qui se référent à des
documents trouvés dans les papiers, dans la bibliothèque de
Nostradamus, à sa mort mais ce titre diffère des autres par la mention
« observée et approuvée par maistre Nostradamus ». On peut penser que
cette mention aura été par la suite supprimée. On note aussi la
précision « annuelle et perpétuelle » qui est également peu attestée
et qui confirme notre thèse, à savoir que l’on extrayait couramment
pour présenter un pronostic annuel un texte d’un ensemble beaucoup
plus vaste, quitte à l’ajuster quelque peu. Par là même, nous
comprenons à quoi peut renvoyer l’expression « livres de prophéties »
dans la Déclaration de Videl ou celle de « vaticinations perpétuelles
» qui y est attachée dans la Préface ad Caesarem Nostradamum..
Il convenait de rappeler que Benoist Rigaud n’est pas, contrairement à
certaines apparences, l’artisan du revival Nostradamus articulé sur
des centaines de quatrains, dont d’ailleurs nombre d’entre eux sont
dues à un pillage en règle de la production néo-nostradamique – ce qui
laisse supposer une certaine conflictualité entre Rigaud et certains
libraires parisiens (et rouennais) qui ont mis à mal la mouvance
néo-nostradamique dans laquelle Rigaud avait beaucoup investi [3], y
compris d’ailleurs dans la sortie probable d’un recueil des quatrains
des almanachs, sous le nom de « centuries »[4], le dit recueil étant
censé paru en 1568 (déjà !) chez le dit Rigaud (cf les Bibliothèques
de La Croix du Maine et de Du Verdier, 1584-1585). Voilà pourquoi le
fait de positionner une édition Rigaud en 1568 constitue un énorme
contresens pour l’histoire du nostradamisme au XVIe siècle. Rigaud
aura en fait pris le train du centurisme prophétique en marche, il est
l’ouvrier de la onzième heure et en même temps, par le biais du
néonostradamisme, il aura fourni les matériaux du dit centurisme
prophétique et probablement contribué directement à l’élaboration du
second volet centurique (VIII-X), notamment en puissant dans la
production d’un Crespin dont les Prophéties dédiées à la puissance
divine auront certainement été largement utilisées. Cela concerne
aussi des enjeux politiques, si l’on admet que les centuries VIII-X
sont du côté du parti anti-ligueur et annoncent la victoire des
Bourbons sur les Guises. Quant au Janus Gallicus, il est publié, à
Lyon, par Pierre Roussin, un proche de Rigaud et contribue fortement à
l’intégration en un seul corpus des quatrains des almanachs et de ceux
des deux volets. Rappelons[5] que Jean Aimé de Chavigny –sous ses
initiales, avait figuré peu avant, dans l'Almanach des Almanachs le
plus certain pour l'an MDXCIIII de Cormopéde, paru chez Rigaud, lequel
publie un certain astrologue du nom d’ Himbert de Billy (1577,1578,
1596). Quant à Crespin, il publie, entre autres, chez Rigaud, son
Epistre à la Royne mère du Roi (1573) et son Epistre et aux auteurs de
disputation sophistique (1578). Rigaud accorde aussi beaucoup
d’intérêt (1572, 1574, 1589) au Livre Merveilleux (à ne pas confondre
avec le Mirabilis Liber)[6] Dès 1566, était paru chez Rigaud le Vray
Pronosticq fait par le maistre disciple de Nostradamus pour l’an 1567.
Rappelons que le néonostradamisme- sous toutes ses formes, y compris
sous celle de faux almanachs de Nostradamus- n’avait pas attendu la
mort de Nostradamus pour se développer, ce qui relevait de la
concurrence entre les libraires, prêts à tout pour conquérir des parts
de marché...Ce même phénoméne de récupération est à observer pour les
58 sixains qui sont pris aux Prophéties (..) présentées au Roy Henry
le Grand pour ses estrennes en l’an 1600 d’un Noel Morgard, imitateur
de la poésie prophétique nostradamique[7], mais sans les clefs qui se
trouvent in fine. Cas étonnant que celui de ces imitateurs pillés en
vue de constituer un socle contrefait de leur source !.
Revenons sur la question Couillard- Crespin. Dans le cas Crespin, nous
avons signalé l’étrange évolution de la présentation du personnage. Au
minimum, il aura été instrumentalisé par un libraire qui modifie
sensiblement son profil, notamment en faisant disparaitre la forme «
Crespin dict Nostradamus ». Il faut peut être en rester là dès lors
que l’on admet que c’est Crespin qui a été plagié et non l’inverse. Il
en est, en revanche, tout autrement dans le cas Couillard. D’abord,
parce que le fait qu’il se réfère et à trois quatre cents carmes
conjointement avec la mention du nom de César, ne permet qu’une seule
explication, à savoir que le texte prend acte de la parution des
premières centuries, de la première partie du premier volet (soit
trois centuries et demie, en gros).Or nous excluons toute parution de
ce premier lot avant le milieu des années 1580, soit environ 30 ans
après la parution prétendue de 1556 des Prophéties du Seigneur du
Pavillon. On ne connait pas la date de la mort d’Antoine Coilard/Couillard.
On a signalé son Epitre lors de l’avènement d’un Valois à la couronne
de Pologne en 1573 (et Rigaud est un de ceux qui la publie avec Nyverd).
Selon nous, ces ouvrages portant la mention pour les Prophéties du Sgr
du Pavillon, 1556 ou – pour les Antiquitez et Singularitez du monde,
1557- dans les deux cas chez les mêmes libraires avec les mêmes
présentations, ne prétendaient pas être parues à ces dates là mais y
avoir été achevés, du fait de la mort même de leur auteur. C’était
d’ailleurs en cela une contrefaçon puisque les dites Prophéties ont
emprunté à des données propres aux années 1580. On peut d’ailleurs
supposer que Couillard ne serait mort qu’à la fin des années 1570 et
que l’on ait retrouvé, parmi ses « papiers » – comme l’indique le
document Moireau (figurant à la fin des Antiquitez 1557)- une liste de
manuscrits plus ou moins achevés, ce qui n’est pas sans évoquer,
d’ailleurs, le cas de figure de Nostradamus. On est donc bel et bien
dans une configuration posthume comme les aime Rigaud, la mention de
l’année étant à prendre comme pour la Préface à César datée de 1555
laquelle comporte une tonalité nettement posthume : « après la
corporelle extinction de ton progéniteur ». il est vrai que la
mention, pour Couillard de deux libraires de l’époque va un peu loin
dans la reconstitution. Il semble cependant qu’une telle pratique «
réaliste » ait existé puisqu’on la trouve aussi pour Macé Bonhomme et
Antoine du Rosne, contenant la dite Préface « posthume » à César.On
retrouve la même pratique au XVIIe siècle avec une édition datée de
1605, du fait de la date de l’Epître à Henri IV, laquelle édition est
très vraisemblablement antidatée. De même, trouve-t-on au XVIIe siècle
des éditions se présentant carrément comme dues à Benoist Rigaud en
1568 et comportant la dite Epitre de 1605. Même l’édition perdue datée
de 1558, ne l’était probablement que du fait de la date de l’Epitre à
Henri II. Autrement dit, il n’est même pas certain qu’il y ait eu une
seule édition des Centuries que l’on ait réellement voulu faire passer
comme datant réellement des dates indiquées en page de titre. En ce
sens, l’édition Rigaud 1568 pouvait paradoxalement apparaitre comme la
plus ancienne, les éditions antérieures n’étant que des
reconstitutions faussement d’époque, comme le serait une pièce de
théâtre de Corneille ou de Racine traitant de l’Antiquité ou de
Shakespeare du Moyen Age. Que l’on nous entende bien, ces documents
n’en sont pas moins, dans bien des cas, des faux comportant des
éléments anachroniques, comme dans le cas Couillard qui en 1556 ne
pouvait avoir pris connaissance des Centuries. Mais ces ouvrages ne
prétendent cependant pas être parus à la date indiquée. En ce qui
concerne les Contreditz du même Couillard, que l’on connait dans une
présentation 1560 L’Angelier, on serait en face du même phénoméne
rétroactif. On nous objectera que de telles éditions avaient peu de
chances de se vendre. Nous ne pensons pas que cela ait fait probléme :
il devait exister un public habitué à de tels montages de type faux
ancien. Les nostradamologues, pour la plupart, ont pris tout cela à la
lettre en affirmant non seulement que ces ouvrages étaient parus à la
date indiquée mais en ne percevant pas le caractère fallacieux de leur
contenu, soit un double échec. Quant à Benoist Rigaud, son ancienneté
dans la carrière lui rendait aisée toute reconstitution plausible des
années 1550 ou 1560, ce qu’il fit sinon pour Nostradamus du point pour
Couillard. Mais ce faisant quelle aurait été son intention ? Apporter
un témoignage en faveur d’une publication des Centuries dès les années
1550 ? Nous pensons que ce serait plutôt la personne chargée de
parachever le manuscrit de Couillard qui aura cru bien faire- en
imaginant l’auteur réagir à la sortie des Centuries de Nostradamus en
1555 en croyant cela vraisemblable au vu des dates d’édition ;
Reste la question de la datation de la Paraphrase de C. Galen, censée
parue dans les années 1550 comme les Prophéties Du Pavillon. Deux
possibilités : ou bien l’on aura choisi de mettre sur la fausse
édition Antoine du Rosne 1557 (Budapest) la vignette attestée pour une
publication de Nostradamus ayant réellement existé ou bien tant la
Paraphrase que les Prophéties sont des éditions antidatées, la
vignette étant empruntée à un almanach Nostradamus Barbe Regnault, par
inadvertance. On note une anomalie dans la présentation de la page de
titre de la dite Paraphrase, à savoir la façon inhabituelle de
signaler le nom de Michel Nostradamus sans le faire précéder au moins
de l’initiale M. pour maistre : Paraphrase (…) traduict (sic) de Latin
en Françoys par Michel Nostradamus. Même les faux almanachs et les
fausses Pronostications Regnault/ Bessaut ne manquent pas à la régle.
La forme sans marque préfixale est le propre de la littérature
antinostradamique et l’on sait à quel point les faussaires ont
emprunté aux « haineux » de Nostradamus à commencer par la Déclaration
des abus, ignorances & seditions de Michel Nostradamus de Laurent
Videl, qui inspira la rédaction de la Préface en fournissant des
textes par ailleurs perdus, comme dans le cas du Monstre d’Abus de
Jean de La Daguenière qui servit à suppléer, dans le Recueil des
Présages Prosaïques, la disparition des Présages Merveilleux pour 1557
(ouvrage retrouvé depuis).
On imagine mal, au demeurant, que les almanachs Barbe Regnault des
années 1560 aient repris une vignette ayant déjà servi tout comme on
imagine mal Nostradamus utilisant deux vignettes différentes. Nous
pensons qu’un certain modus vivendu avait du s’instaurer, exigeant que
la production parisienne de contrefaçons se servît d’une autre
présentation à commencer par une autre vignette mais aussi par la
présence d’un quatrain sur la page de titre des almanachs, que les
éditions authentiques ne font jamais, une pratique que reprendra
d’ailleurs un Antoine Crespin – quatrain mais aussi sixain- dans les
années 1570, pour certaines de ses Epistres, à commencer par l’édition
Colombel qui correspond à une des premières publications connues de
cet astrologue, alors encore présenté comme le médecin du comte de
Tende, Amiral du Levant.. D’ailleurs, la vignette de la Paraphrase est
beaucoup plus semblable à celle des almanachs et pronostications Barbe
Regnault que l’ édition Antoine du Rosne des Prophéties (Bib.
Budapest) qui a un format plus réduit, comme si l’on avait coupé,
retaillé une partie de la vignette, ce qui est une pratique assez
courante. Cela montre que la vignette Budapest a été reprise d’une
vignette plus large et qui plus est inversée. En revanche la vignette
de .l’édition Du Rosne (Bib. Utrecht), qui annonce deux volets, et
celle de la Paraphrase sont très proches des dites productions
Regnault. Toujours est-il que Rigaud aura préféré ne pas utiliser de
vignettes représentant un personnage à son bureau, se contentant de
représenter des mains et une sphère, ce qui pourrait être constitué
d’éléments de la vignette type Regnault et de ses dérivés.
JHB
20. 07. 12
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[1] . Tome XII Benoist Rigaud 2009 Koerner, série In Répertoire
bibliographique des livres imprimés en France au seizieme siècle
[2] (Corpus Nostradamus 55, site cura)
[3] Voir « Giffré de Réchac et la naissance de la critique
nostradamique au xVIIe siècle», numérisé sur propheties.it
[4] Vers une nouvelle approche de la bibliographie centurique, in
Revue Française d’Histoire du Livre, 2011
[5] Voir sur internet Nouvelles recherches sur l’affaire Chevigny/Chavigngy
[6] Sur cet ouvrage, cf Le texte prophétique en France, Formation et
fortune, à télécharger depuis propheties.it, cf aussi SUDOC
[7] Voir nos Documents inexploités sur le phénomene Nostradamus, Ed
Ramkat 2002 |
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74 - Le problème de la réunion des volets
centuriques à la fin du XVIe siècle
Par Jacques Halbronn
Nous aborderons ici un sujet qui nous semble avoir été largement
négligé, à savoir celui des différences non pas de contenu mais de
présentation entre le premier et le second volet d’éditions se
présentant, quant à leurs pages de titres respectives comme d’un seul
tenant. Ce n’est là en fait, pensons-nous, qu’un replâtrage
superficiel.
Nous avons déjà signalé l’importance qu’il convenait d’accorder aux
deux volets de l’édition datée de 1590 produite à Cahors par Jaques
Rousseau et nous reviendrons notamment sur les observations de Patrice
Guinard à ce sujet en nous référant notamment à l’édition Antoine du
Rosne 1557 de la Bibliothèque d’Utrecht ainsi qu’aux éditions Benoist
Rigaud 1568. Malheureusement, comme l’on sait, on ne dispose pas du
second volet qui devait accompagner l’édition Du Rosne 1557 et datée
de 1558, mentionnée au titre de toute une série d’éditions du XVIIe
siècle.
La comparaison des pages de titre des premiers volets tant de Du Rosne
que de Rigaud ou de Rousseau montre bien qu’on y annonce déjà le
second volet par la mention « adioustées de nouveau par le dict
Autheur » . A contrario l’édition Antoine du Rosne de la Bibliothèque
de Budapest ne comporte pas pareille mention car elle ne prévoit qu’un
seul volet. Nous sommes donc entrés, ici, dans le monde des éditions à
deux volets.
Etant donné que l’on ne dispose plus de l’Epitre à Henri II dans la
version 1558 Du Rosne, il ne nous est pas possible de déterminer si
celle-ci est plus conforme à Rousseau 1590 ou à Rigaud 1568. Nous
avons montré que l’édition Rousseau était antérieure à Rigaud 1568 du
fait de la juxtaposition dans la dite Epitre des années 1585 et 1606 (cf
fol A II) alors que chez Rigaud, la phrase est mieux articulée avec le
redoublement du mot « année » : ‘ mesmes de l’année 1585 & de l’ année
1606 ». Selon nous, l’édition Cahors correspond à un basculement
temporel, lié au dépassement et au report de l’échéance initiale de
1585 vers une nouvelle échéance. Cette information manque pour du
Rosne Utrecht, ce qui ne nous permet a priori de dater sa fabrication.
On note que l’édition Rousseau ne comporte pas de mots entièrement en
majuscules comme c’est le cas pour Du Rosne Utrecht et Rigaud 1568,
coutume que l’on retrouve en 1594 dans le Janus François. (Iani
Gallici facies prior). Dans notre série « Analyse » (62) sur Espace
Nostradamus, « La question des éditions pseudo-rigaldiennes et
l’édition de Cahors », nous montrions que
le second volet était probablement antérieur au second, l’un
comportant des mots en majuscules et l’autre non. Or, pour nous, la
présence de majuscules dénote une édition plus tardive. Le second
volet Rigaud 1568 avec ses majuscules pour certains mots est donc plus
récent, comme nous l’avions observé pour 1585/1606. Une fois de plus,
on ne peut rien dire concernant le second volet absent de Du Rosne
Utrecht. On note que Du Rosne 1557 de la Bibliothèque de Budapest ne
comporte pas de mots en majuscules alors que Macé Bonhomme 1555 en
comporte.
Tout cela fait de Du Rosne 1557 Budapest – pour le premier (et unique)
volet- et de Rousseau 1590 pour le second volet seulement (faute de
disposer du second volet Du Rosne Utrecht), un ensemble qui semble
correspondre à un état antérieur à celui des autres éditions des
Centuries.
Quelles conclusions tirer d’un tel état des choses ? Qu’en dehors de
Du Rosne Budapest, toutes les autres éditions datées 1555, 1557, 1568
datent au plus tot du temps des éditions à 10 centuries en deux volets,
ce qui ne saurait être antérieur à 1594 et que Cahors second volet est
la plus ancienne mouture connue du second volet, le premier volet
Cahors étant une pièce rapportée marquée par la pratique janussienne
des mots en capitales. Dans le cas d’éditions à deux volets, on
observe en effet une différence de conception et de présentation et ce
n’est qu’au siècle suivant que les éditions offriront une véritable
unité formelle. Cela donne à penser que les deux volets auront connu,
du moins pendant un certain temps, des carrières séparées. Au départ,
seules les pages de titre confèrent un semblant de continuité entre
les deux volets. On peut aussi se demander si les centuries VIII – X
étaient ainsi nommées au départ ou si cela n’a pas été rajouté par la
suite.
Prenons le cas, au hasard, du reprint d’une édition 1568 (ed. M.
Chomarat, Lyon, 2000), est- ce que Chomarat note les différences entre
les deux volets : pourquoi les centurie VIII et X sont-elles pourvues,
en leur titre, de grands caractères et la Centurie IX de petits
caractères sur le modèle des centuries I à VII, comme si la centurie
IX avait été recomposée ? Or, le quatrain IX 46, selon nous a été
retouché pour comporter le mot Chartres, cathédrale du couronnement
d’Henri IV. Pourquoi le chapeau de la Préface à César est en lettres
droites et celui de l’Epitre à Henri II intégralement en italique ?
C’est l’inverse pour les chapeaux des centuries : en lettres droites
pour le second volet –sauf pour la centurie IX et en italiques pour le
premier volet. On a vu plus haut que les deux volets de l’édition
Cahors Rousseau différaient sensiblement dans leur présentation.
L’examen du second volet Rousseau montre qu’il est postérieur au
second volet Rigaud en ce qu’il a déjà intégré le décalage de la
centurie IX. Néanmoins, l’état de l’épitre à Henri II du même second
volet est antérieur à celui des éditions Rigaud. Cela s’explique par
des ajustements partiels, que nous avons souvent pu observer (notamment
chez Antoine Besson avec des épitres très anciennes combinées avec des
quatrains tardifs), si bien que l’on peut dire qu’au sein d’un même
volet, l’on ait plusieurs états d’un texte. Il convient de dissocier
la question des épitres de celle des quatrains.
Nous ne disposons évidement pas d’un grand nombre de cas mais l’on
peut regretter que Patrice Guinard n’accorde pas à cette question des
disparités entre les deux volets des multiples éditions Rigaud 1568
quelque importance et l’on pourrait en dire autant de Chomarat ou de
Benazra qui ne fournissent aucune information à ce sujet, ce qui exige
d’ailleurs un certain appareil iconographique. Tout le travail de
description des éditions centuriques à deux volets du XVIe siècle est
donc à compléter et à parfaire. On note ainsi que les exemplaires des
bibliothèques de Grasse et de Pérouse (cf. propheties.it) ne
comportent pas de disparité au niveau de la centurie IX, ce qui
indique que ces éditions sont plus tardives que l’édition reproduite
par M. Chomarat ( Fonds Michel Chomarat de la Bibliothèque de Lyon,
cote A 6587), ce qui confère d’autant plus de valeur à cet exemplaire,
sans que Chomarat n’en ait conscience.
Si l’on compare avec une édition du siècle suivant, comme Troyes
Chevillot (reprint Nice Bélisane 1982, refonte Paris Delarue 1866),
d’ailleurs assez proche de Rigaud 1568, on note une plus grande unité
formelle au niveau des dix chapeaux des centuries. En revanche, la
Préface à César est en italique, sauf pour le chapeau et inversement
pour l’Epitre à Henri II. Bien entendu les disparités au niveau de la
centurie IX ont disparu.
Il est plus que probable que le second volet Antoine du Rosne, qui a
disparu, comportait de telles disparités par rapport au premier volet.
Pour l’édition Rousseau (voir sur propheties.it), les quatrains du
premier volet sont en police droite et ceux du second volet en
italique. En revanche, le chapeau de la centurie IX ne diffère pas.
En revanche, il nous faut insister sur le fait que la date de 1590 qui
figure sur l’édition Rousseau sur le modèle du premier volet est des
plus douteuses à moins d’admettre que l’on ait modifié la centurie IX
sans changer la date d’édition d’origine du second volet. Dans les
éditions Benoist Rigaud 1568, la date ne figure que sur le premier
volet.
Nous avons eu tort de ne pas envisager plus tôt cette éventualité : ce
n’est pas parce qu’un élément d’une édition peut être daté par rapport
à tel événement que cela nous indique ipso facto quand cette édition a
commencé à paraitre. Il faut faire la part des interpolations et nous
pensons en avoir apporté la preuve pour la centurie IX qui semble
avoir été modifiée, en témoigne son chapeau, dans toutes les éditions
conservées, à moins que le second volet Utrecht ait conservé un état
antérieur de la IX avec certains quatrains modifiés. C’est peut être
faudrait aussi vérifier si les éditions Rigaud – Benoist et Héritiers-
des années 1590 comportent cette même particularité.
On ne suivra évidemment pas P. Guinard quand il écrit[1] à propos de
l’édition de Cahors « Cette édition ne reproduit pas "les éditions" de
Benoist Rigaud comme l'indique Ruzo, mais plus précisément la première
édition Rigaud, l'édition X[2] L'édition Rousseau cherche visiblement
à restituer le texte authentique des éditions lyonnaises, en réaction
contre les éditions précédentes (1588-1590), tronquées des trois
dernières centuries ». Il n’y a pas d’éditions tronquées sous la Ligue
mais d’éditions non encore augmentées d’un second volet.
Nous proposons donc de considérer l’exemplaire Lyon Chomarat comme
correspondant à un second état du second volet, étant entendu que l’on
ne dispose pas du premier état qui comporterait une centurie IX non
modifiée. Il est possible que parmi toutes les éditions Rigaud 1568,
on en trouve qui correspondent à Lyon Chomarat. Nous n’avons pu
effectuer un tel recensement. En revanche, en ce qui concerne l’Epitre
à Henri II, l’édition Rousseau du second volet a conservé un état
antérieur à celui des diverses éditions Rigaud 1568, y compris Lyon
Chomarat. Mais Lyon Chomarat nous apporte une information précieuse au
regard de la genèse du second volet d’autant que les éléments
concernant la dite genèse sont beaucoup plus pauvres que pour le
premier volet. Il a probablement existé une première édition du second
volet antérieure au couronnement d’Henri IV, cet événement ayant
conduit à retoucher la centurie IX. On peut situer cette première
édition autour de 1590, si l’on s’en tient aux dates de l’édition
Rousseau. En revanche, le contenu de cette édition Rousseau s’il est
le plus ancien en ce qui concerne l’Epitre à Henri II a été toilettée
par la suite pour les Centuries. Par ailleurs, l’édition Rousseau nous
enseigne que l’Epitre à Henri II a été elle-même retouchée par
l’adjonction de l’an 1606 – année qui est largement détaillée au
niveau des positions planétaires dans le cours de la dite Epitre. Il
s’agit là d’additions à un état antérieur de l’Epitre de 1558 – mais
pas forcément des centuries VIII-X- qui pourrait remonter aux années
1570, si l’on en croit le témoignage de Crespin [3]et pas forcément
associé au départ au nom de Nostradamus, avec pour perspective l’an
1585 et pas encore l’an 1606.
On s’interrogera, pour finir, sur le cas de l’édition du Rosne Utrecht
dont on ne possède que le premier volet. Cette édition nous semble
très proche du premier volet de l’édition Cahors 1590 avec 42
quatrains à la VII et l’avertissement latin (fautif Cantio au lieu de
Cautio, qui sera rétabli au XVIIe siècle), sans le quatrain 100 à la
VI mais on pourrait aussi la faire dériver du premier volet d’une
édition Rigaud antidatée à 1568. Mais quid de cette vignette au titre
qui ne figure ni dans les éditions Rigaud ni chez Rousseau ? Cela
tient bien évidemment à la volonté de constituer une édition parue du
vivant de Nostradamus et proche dans son apparence des almanachs de
Nostradamus. Malheureusement, les faussaires prirent modèle sur les
faux almanachs de Nostradamus, produits par Barbe Regnault, dotés
d’une vignette distincte de celle des vrais almanachs de Nostradamus.
Bien pis, en prenant modèle sur des éditions à deux volets, ils ont
par inadvertance indiqué dès le premier volet daté de 1557 (maladresse
grossière probablement déjà commise dans l’édition disparue Harsy
1556) qu’il y avait déjà un second volet à paraitre évidemment l’année
suivante. Les faussaires qui devaient produire les 2 volets pour des
dates différentes n’ont pas compris que le titre du premier volet
avait été remanié pour annoncer le second volet. On est là en plein
anachronisme. Cette bévue est soulignée par l’existence d’une édition
Du Rosne 1557 Budapest qui ne comporte pas, quant à elle, l’annonce du
second volet, probablement parce que celui-ci n’était pas encore
programmé – une édition proche de l’édition Anvers 1590 si ce n’est
qu’elle comporte 40 et non 35 quatrains à la VII. On peut penser que
Du Rosne Utrecht n’a donc pas pris modèle sur Du Rosne Budapest, d’une
part parce que l’on n’aurait pas commis l’erreur, dans ce cas, au
titre du premier volet, et d’autre part parce que les vignettes
seraient semblables. Or, la vignette Du Rosne Budapest est tronquée
alors que celle de Du Rosne Utrecht ne l’est pas. Idem pour la Préface
à César qui est abrégée dans Rosne-Budapest. On n’y trouve pas
notamment « prends donc ce don de ton père M. Nostradamus espérant toy
declarer (Besson « à toy déclarer ») une chacune prophetie des
quatrains (Besson : une chacune des Prophéties & quatrains) icy mis »
Donc elle dérive d’une autre source en amont comme la Paraphrase de C.
Galen également censée parue chez Antoine du Rosne, et qui pour nous
est également antidatée. Rappelons aussi que Du Rosne Budapest ne
comporte pas de mots en capitales à la différence de Du Rosne Utrecht.
Mais cette observation concernant un premier volet qui annonce déjà en
son titre le second volet vaut aussi, non seulement pour la série
Benoist Rigaud 1568 mais pour l’édition Cahors Jaques Rousseau si ce
n’est que la dite édition ne prétend pas que le premier volet est paru
avant le second et notamment avant 1558, date de rédaction de l’Epitre
à Henri II.. Cela signifie que le premier volet qui porte mention de
l’année 1590 annonce déjà le second volet, lui-même daté 1590. On
rappellera que 1590, c’est l’année de parution d’une édition à un seul
volet, à Anvers, chez François de Sainct Jaure, qui n’en est même pas
à 40 et évidemment pas 42 quatrains à la VII. On voit mal comment en
la même année, on aurait pu en arriver à une édition à 2 volets, dont
un premier volet à 42 quatrains. Selon nous, il convient de postdater
cette édition Cahors (Caors (sic) à deux volets vers 1594, au plus tôt,
d’autant qu’elle comporte un second volet plus tardif que l’édition
Rigaud 1568 (Bib. Lyon Chomarat). Le fait que le second volet comporte
un état ancien de l’Epitre à Henri II ne suffit pas à cautionner
globalement l’ancienneté du dit volet car cet élément a pu être
récupéré d’une autre édition.
Nous avons déjà établi trois états successifs des centuries du second
volet :
1 les trois centuries avec une centurie IX non retouchée au quatrain
86 ( peut être Du Rosne Utrecht 1558, perdue)
2 Une édition retouchée comportant un chapeau différent pour la IX (Ed
1568. Lyon Chomarat)
3 .Une édition comportant des chapeaux identiques pour toutes les
centuries (Ed Cahors 1590)
Ces trois stades impliquent une certaine durée pour se déployer. On ne
peut plus ici dissocier les deux volets, quelles que soient les
différences entre les deux volets lesquels sont diffusés conjointement.
On ne connait aucune édition à 42 quatrains à la VII qui ne soit
jumelée avec un second volet. L’ajout de 2 quatrains à la VII est
concomitant à l’adjonction d’un second volet. Jusqu’à 40 quatrains, on
reste dans une logique à un seul volet, ce qui ressort clairement de
la comparaison entre Du Rosne Budapest et Du Rosne Utrecht.(en dépit
de l’absence du second volet, néanmoins présent par le biais de la
page de titre du premier volet).
Reste le cas assez particulier de Macé Bonhomme 1555 qui correspond à
un véritable premier volet de 4 centuries, qui sera augmenté de 3
centuries pour arriver à six puis à sept. Le fait que cette édition
Macé Bonhomme comporte des mots en capitales ne nous permet de la
situer avant les années 1590. Mais pourquoi, nous objectera-t-on
aurait-on pris la peine aussi tardivement, alors que le premier volet
a atteint les 7 centuries de publier cet état antérieur à 4 centuries
? Nous pensons que l’on était là dans une logique de deux volets au
sein du premier volet, ce qui ressort des marques d’addition dans les
éditions parisiennes au-delà du 53e quatrain de la IV. Il vaudrait
mieux en fait parler de trois volets que de deux : I-IV (53), IV(54)-
VII et VIII-X. Ce n’est en fait qu’au XVIIe siècle que l’on intègrera
réellement les deux premiers volets en un seul pour en ajouter
d’ailleurs un nouveau, introduit par l’Epitre à Henri IV. Or, il nous
semble que la notion de volet n’était pas- notamment sous la Ligue-
fonction d’une épitre spécifique. C’est là une convention qui a été
posée par la suite. Il est bon de rappeler ici que le « premier volet
» à quatre centuries a connu une vie propre et que l’on n’est pas
arrivé immédiatement à 53 quatrains à la VII. On connait deux stades :
1 une série de quatrains non divisés en centuries et atteignant 349
(cf. exemplaire Rouen 1588, pour l’instant non accessible)
2 une édition à 4 centuries, dont la IV à 53 quatrains (reprise dans
Macé Bonhomme 1555), ce qui donne un total de 353 quatrains (addition
notamment de IV, 46). Précisons aussi que le second volet à 7
centuries a d’abord été un second volet à six centuries, ce qui
explique d’ailleurs son sous titre. « dont il en y a trois cents qui
n’ont encores iamais esté imprimées », ce qui en fait concerne les
centuries IV, V et VI. L’addition d’une septième centurie n’est pas
signalée au titre des éditions à deux volets type Rigaud 1568. Cette
mention figurant au titre (mais pas au contenu) des éditions
parisiennes aurait du être reprise mais cela n’a pas été le cas : «
reveues & additionnées par l’Autheur (..) de trente neuf articles à la
dernière centurie ». On ne connait d’ailleurs pas d’édition avec une
septième centurie à 38 ou à 39 quatrains mais on aurait pu mettre à
jour et indiquer « quarante » puis « quarante-deux » « articles » à la
dernière centurie ». En fait, l’intitulé de tous les premiers volets,
depuis Du Rosne Budapest jusqu’à Rousseau 1590 restera incomplet et
décalé par rapport au contenu jusqu’à ce qu’au XVIIe siècle, on,
abandonne le sous titre du premier volet dans les éditions troyennes
de Pierre du Ruau (ce n’est pas encore le cas pour Chevillot, qui
reste calqué sur Rigaud) ainsi que dans la série des Vrayes Centuries
et Prophéties.(à partir de 1649-1650), encore que la série Rigaud avec
l’ancien intitulé au premier volet ait continué à paraitre
parallèlement...La réunion, à la suite l’une de l’autre des deux
épitres à César et à Henri II ne se fera que tardivement. Il y eut
mêmes des tentatives pour les éliminer toutes deux en les remplaçant
par la Vie de Nostradamus (cf. Les Vrayes Centuries Rouen 1649 et Les
Vrayes Centuries et Prophéties, Leyde 1650) mais en 1667, à Amsterdam,
chez Daniel Winkermans, la série en question les réintégre en les
plaçant à nouveau en tête de chaque volet mais sans page de titre
séparée avant que l’année suivante, 1668, une autre édition
hollandaise, chez Jean Jansson a Waesberge etc. sous le même titre,
place en tête la Vie et l’Epitre à Henri II, en évacuant la Préface à
César. L’édition anglaise de 1672 sépare nettement la partie en prose
et la partie en quatrains en regroupant en tête la Vie, la Préface et
l’Epitre à Henri II ainsi qu’une Apologie (reprise de Giffré de Réchac,
dans son Eclaircissement de 1656). En 1689, sous le même titre de
Vrayes Centuries et Prophéties parait à Cologne, chez Jean Volcker,
une édition où les deux épitres sont à nouveau respectivement placées
en tête des deux volets, tout en adjoignant à la Préface la Vie. Enfin,
dans les années 1690, le libraire lyonnais Antoine Besson réunit en
tête, toujours sous le même titre, des versions fort différentes des
deux épitres avec successivement la Vie, la Préface et l’Epître,
modèle qui se perpétuera en 1710 à Rouen chez Jean Baptiste Besongne.
On sait qu’au XVIIIe siècle, à partir de 1716 et de la Régence, les
éditions Pierre Rigaud antidatées à 1566 reprendront les anciennes
dénominations fautives à deux volets séparés, sans recourir à la Vie
de Nostradamus (issue du Janus Gallicus), dans une sorte de retour aux
sources.
JHB
21.07. 12
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[1] Cf Corpus Nostradamus n°70
[2] (cf. Corpus Nostradamus 71
[3] Cf nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, ed
Ramkat, 2002 |
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75 - Le classement chronologique des versions de
la Préface à César
Par Jacques Halbronn
Il est clair que nous entendons par « classement chronologique » tout
autre chose que le fait de noter les dates de parution des diverses
éditions centuriques : une méthodologie totalement dépassée et
exigeant des compétences limitées. Il s’agit ici de classer les
documents en mettant de côté la chronologie « apparente ». Non pas que
nous mettions systématiquement en question la valeur des dates
figurant sur les pages de titre mais bien plutôt que nous sommes
intéressées par les sources véhiculées par une édition donnée comme
dans le cas de l’édition Garencières ou de l’édition Besson pour le
XVIIe siècle.
On ne s’intéressera donc ici qu’aux textes en prose qui renvoient à
une certaine normalité du discours qui n’est pas du tout aussi
évidente pour les quatrains et les sixains, du fait des licences
poétiques et d’une certain fantaisie dont il est bien délicat de
s’essayer à en fixer les limites.
Nous commencerons par nous interroger sur un point qui apparemment
semble ne pas poser problème à savoir la comparaison entre l’édition
de Rouen 1589 et l’édition d’Anvers 1590 ; qui comportent des titres
identiques : Grandes et merveilleuse prédictions, le mot Prédiction
renvoyant aux Prophéties Perpétuelles comme on peut l’observer quand
on étudie ces recueils s’étendant sur plusieurs années, souvent
associés à un certain Nostradamus le Jeune. (cf. nos études à ce sujet).
On privilégiera la Préface à César du fait qu’elle est commune à la
plupart des éditions centuriques, ce qui n’est pas le cas pour
l’Epître à Henri II. Cela dit, notre corpus n’a aucune vocation à être
objectif mais nous développerons ici une méthodologie qui pourra être
appliquée par d’autres chercheurs sur d’autres versions.
La comparaison entre Rouen 89 et Anvers 90 nous conduit aux
observations suivantes. Déjà au titre, on note qu’Anvers 90 utilise
davantage le latin que Rouen 89 :
Rouen ; Préface de M. Michel Nostradamus à ses Prophéties. Ad Caesarem
Nostradamum filium, Vie et félicité
Anvers : Préface (…) Ad Caesarem Nostradamum filium, Vitam ac
foelicitatem.
Pourquoi un tel usage du latin qui n’est attesté dans aucune autre
édition à notre connaissance. Est-ce que l’on a traduit du français au
latin ou bien est-ce le latin qui, dans les autres moutures, aurait
été traduit en français mais dans ce cas pourquoi pas toute l’adresse.
D’ailleurs, il est rare que la formule latine soit reprise par les
nostradamologues quand ils parlent de la « Préface à César ». Pourquoi
d’ailleurs un tel mélange de français et de latin au sein même du
titre d’une Préface ?
La question qui se pose évidemment est de vérifier si les différences
entre Rouen 89 et Anvers 90 s’arrêtent là, à part le fait qu’Anvers
utilise à la base l’italique, pour la préface et la police droite pour
les citations à l’inverse de Rouen en rappelant que l’édition Rouen 89
est tronqué en ses dernières feuilles, ce qui ne permet pas de savoir
combien de quatrains elle a à la VII ni si son colophon est identique,
ce qui est probable. On ne peut pas non plus comparer avec Rouen 1588,
dont aucune copie ne circule présentement.
A présent, comparons les dernières lignes des deux éditions et nous
verrons qu’Anvers est beaucoup plus correct que Rouen, en dépit du
fait que l’on ait pu croire, a priori, qu’Anvers faisait suite à Rouen
89 et en était une réédition. Or, un tel cas de figure nous semble
pouvoir et devoir être exclu.
Rouen 89 : « Faisant fin, mon Fils, prends donc ce don de ton père
Michel Nostradamus, espérant toy (sic) déclarer une chacune prophetie
des quatrains icy mis. Priant au Dieu immortel que tu (sic) veuilles
prester vie longue en bonne prospere félicité »
Anvers : « Faisant fin (mon fils) pren (si) donc (abrégé) ce don (abrégé)
de ton (abrégé) père Michel Nostradamus, esperant te déclarer une
chacune prophetie des quatrains icy mis. Priant au Dieu immortel qu’il
te vueille prester vie longue bonne prosperité & félicité »
Force est de constater que les variantes ne manquent pas entre deux
éditions appartenant à la même série et parues coup sur coup. Le texte
de la version Rouen 89 laisse beaucoup à désirer à commencer par cette
formule assez aberrante : Priant au Dieu immortel que tu veuilles
prester vie » (la forme du verbe à la deuxième personne du singulier
exclut toute erreur de lecture). On notera que la version Rouen 89 sur
ce passage ne se retrouve dans aucun des éditions de notre petit
corpus, y compris dans Pierre Ménier, 1589, à Paris. Mais on ne
retrouve non la formule latine d’Anvers 1590 « Vitam ac foelicitatem »
que dans la traduction anglaise de 1672 : « The Preface to M. Michael
Nostradamus His Prophecies Ad Caesarem Nostradamuum Filium vita &
Felicitas, si ce n’est qu’on un nominatif et non un accusatif.. A la
fin, l’anglais donne « hoping to expound to thee every Prophecy of
thses Stanza’s, praying to the Immortall God that he would grant thee
a long Life in Felicity » alors que dan Anvers 1590, on trouve « qu’il
te vueille prester vie longue bonne prosperité & félicité », à la
différence de « vie longue en bonne et prospére félicité « ce qui est
attesté partout ailleurs. Une seule exception chez Besson (c 1690) qui
oublie « longue » et se contente de « vie », ce qui ne fait guère sens.
Raisonnablement, du fait du crédit que nous accordons à la traduction
anglaise qui comporte un état très pertinent de la Préface à César que
‘l’on ne retrouve que chez Besson, nous aurions tendance à penser que
la version d’origine devait être « Ad Caesarem Nostradamum Filium vita
& Felicitas » et non un mélange franco-latin. Il faut rappeler que la
forme « Grandes et merveilleuses prédictions » est probablement plus
ancienne que la forme « Prophéties » mais que les éditions parisiennes
ont certainement influé sur Rouen 1589 qui en est un toilettage,
notamment pour la centurie IV qui n’y comporte plus de marque
d’addition.
On pourrait aussi s’interroger sur la date du 22 juin 1555 figurant
sur Rouen 1589 tout comme dans Anvers 1590 alors que l’édition P.
Ménier 1589 (et toutes les éditions parisiennes des années 1588-1589)
comporte Ier mars 1557. Quid du ier mars 1555 ? Il ne semble pas que
cette date du Ier mars (laissons de côté les éditions antidatées qui
sont toutes alignées sur le Ier mars 1555) apparaisse avant l’édition
Cahors 1590 qui est déjà une édition à deux volets. Etrange compromis
: on prend 1555 d’une version et Ier mars de l’autre. La forme « 22
juin 1555 » nous semble assez satisfaisante. Notons qu’elle se
rapproche étrangement du 27 juin (1558), date de l’Epitre à Henri II
et c’est peut être pour cette raison qu’elle sera décalée lors de la
mise en circulation des éditions comportant les deux épitres.
Au crédit de l’édition Anvers 1590 – dont on rappellera qu’elle ne
comporte que 35 quatrains à la VII- ce qui est probablement un état
plus ancien que les éditions à 38, 39, 40 ou à 42 quatrains à la VII-
une constructions plus heureuse de la dernière phrase :
Esperant te déclarer une chacune prophetie des quatrains icy mis.
Priant au Dieu immortel qu’il te vueille prester vie longue bonne
prosperité & félicité ». Le « te déclarer » est plus correct que le «
toy déclarer » attesté partout ailleurs et fait pendant à « te
vueuille prester vie ». En tout cas, c’est là une variante à relever.
Mais on trouve au début d’Anvers 1590 « toy délaisser mémoire » et non
« te délaisser mémoire » ce qui laisse entendre que les deux
expressions se valent.
On notera aussi que, dans Anvers 1590 ; « mon fils » est mis entre
parenthèses : « Faisant fin (mon fils) etc », ce qui nous semble
confirmer qu’il ne s’agit pas là d’on ne sait quelle initiative du
libraire anversois qui avait à n’en pas douter une autre source que
Rouen 1589 en tout cas pour la Préface. On notera que ni Rouen ni
Anvers ne recourent à des mots en capitales. Ce n’est pas encore la
mode.
En conclusion, nous dirons qu’aucune édition n’est irréprochable. Il
semble que nous ayons des textes hybrides mais comportant parfois des
informations précieuses sur la genèse du corpus. Ce ne sont pas tant
les erreurs qui nous intéressent ici ou les reprises des mêmes données
déjà en circulation mais bien les variantes quand celles-ci ne
semblent pas dues à quelque inadvertance ou à on ne sait quel zèle de
l’éditeur voulant réformer le texte selon son seul jugement. C’est à
l’historien des textes de faire la part des choses. Il est clair que,
par le biais de ces observations, un certain nombre de contrefaçons se
voit mises en évidence. On pense à deux points tout particulièrement :
la question de l’exergue en latin de la Préface et la date de la dite
Préface. Nous pensons que l’on peut considérer que la première (fausse)
édition – car nous sommes là dans une chronologie largement fictive-
devait comporter en exergue intégralement en latin et que la date de
la Préface était probablement à l’origine fin juin 1555. Mais comment
dans ce cas pourrait-on avoir un achevé d’imprimer au 4 mai 1555.(Macé
Bonhomme) ? Tout simplement parce que l’édition Macé Bonhomme 1555 a
été réalisée alors que la date du Ier mars 1555 avait été finalement
adoptée en rappelant que les mots en capitales de la dite édition la
situent au plus tôt au milieu des années 1590. Cette étude vient
compléter nos travaux consacrés à la Préface à César, au regard de la
traduction anglaise et de l’édition Besson. Rappelons notamment que
nous avons montré qu’il manquait à la phrase « Et depuis qu’il a pleu
au Dieu immortel que tu ne sois venu en naturelle lumiere dans cette
terrenne plaige » la formule suivante « que tardivement » sans quoi la
phrase ne fait pas sens. Et ce n’est pas « depuis » qu’il faut lire
mais « puisque ». Le puzzle permettant de reconstituer la première
version de la Préface à César aura donc, il nous semble, franchi un
pas de plus. Il est probable que la préface à César de l’édition
Anvers St Jaure 1590 soit semblable à celle de l’édition Rouen du
Petit Val 1588 qui est introuvable pour l’heure et dont les quatrains
ne sont pas encore centuriés, et ce en dépit du titre « divisées en
quatre centuries »/.
Quelques mots, puisque nous en sommes à l’édition des Grandes et
Merveilleuses Prédictions, Anvers 1590, sur la portée des dernières
lignes de la dite édition : « Fin des Professies de Nostradamus
réimpriméés de nouveau suivant l’ancienne impression imprimée (sic)
premièrement en Avignon par Pierre Roux, Imprimeur du Légat en l’an
mil cinq cens cinquante cinq », information qui devrait avoir figuré
sur Rouen 1589- mais la fin est tronquée et peut être sur Rouen 1588.
Jusqu’à nouvel ordre, nous pensons que cette information devait au
départ concerner une édition à 300 quatrains et plus (349 dans le cas
de Rouen 1588) et que l’on aura gardé le texte pour des éditions à 7
centuries. Cela expliquerait ainsi la fabrication ultérieure d’une
édition à 4 centuries ( pour 353 quatrains) datée de 1555 (Macé
Bonhomme). Cela confirme l’idée que les Centuries- au XVIe siècle, se
découpent en trois groupes : un premier groupe de 300 quatrains et
plus, un deuxième groupe de 600 quatrains (I-VI) incluant et intégrant
le premier groupe, le dit deuxième groupe étant augmenté de quelques
dizaines de quatrains à la VII et un troisième groupe de 300 quatrains
(centuries VIII-X), dont la numérotation de VIII à X implique la prise
en compte du deuxième groupe dont il prend la suite.
On notera que la Préface parle déjà de centuries –« cent quatrains
astronomiques de propheties », et ce point ne saurait avoir figuré
dans la première mouture de la Préface à César qui n’est pas encore
divisée en centuries dans l’édition Rouen 1588. En revanche, la
formule terminale que nous Avon citée ne mentionne pas de centuries :
« Fin des Professies de Nostradamus réimprimées de nouveau suivant
l’ancienne impression imprimée (sic) premièrement en Avignon par
Pierre Roux, Imprimeur du Légat en l’an mil cinq cens cinquante cinq
», elle peut donc avoir figuré dès la première édition. Ruzo dans sa
description de l’édition Rouen 1588 précise[1] que celle-ci avait
comme titre intérieur « La Prophétie de Nostradamus », ce qui est
assez proche de la formule finale d’Anvers 1590 : « les Professies
(sic) de Nostradamus ».
JHB
23. 07. 12
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[1] Testament de Nostradamus, Ed Rocher 1982
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76 - Les deux traductions dues à Michel
Nostradamus
Par Jacques Halbronn
Le cas de la traduction de Nostradamus de la Paraphrase de Galien (conservée
à la Mazarine) est unique en ce que cet ouvrage non astrologique et
non prophétique serait paru chez le même libraire, le Lyonnais Antoine
du Rosne, qu’une édition centurique et la même année 1557. Bien plus
on connait deux éditions des Prophéties Antoine du Rosne 1557 Nous
n’avons pas d’équivalent pour Macé Bonhomme et pour Benoist Rigaud,
les deux autres libraires lyonnais censés avoir publié des éditions
centuriques dans les années 1550-1560. Un échange de correspondance en
date de 1560 fait référence à cet opuscule, dans une lettre d’Olrias
de Cadenet/[1] à Nostradamus, ce qui a valeur d’attestation, si ce
n’est que le recueil manuscrit de lettres qui nous est parvenu aurait
pu être retouché.
Cela dit, ce qui nous interpelle au premier chef tient au fait que la
page de titre de la traduction utilise la même vignette que celles de
l’une des éditions Du Rosne des Centuries (Bibl. Utrecht) et est aussi
à rapprocher, mais dans une moindre mesure, de l’autre ( Bibl.
(Budapest). Etant donné que ces deux éditions centuriques sont, à nos
yeux, antidatées, qu’en est-il de la traduction de l’ouvrage de Galien
par Nostradamus ? Et plus généralement, d’où vient cette vignette qui
orne la page de titre de la Paraphrase parue chez Du Rosne ? Rappelons
que cette même vignette est présente sur un certain nombre de
publications, pas forcément des Centuries, parues dans les années 1580
sans d’ailleurs nécessairement de mention du nom de Nostradamus au
titre, ce qui explique que certaines de ces publications n’aient pas
été mentionnées dans les bibliographies de Chomarat ou de Benazra à
l’instar d’un Almanach pour 1578 de Jehan Maria Colony, imprimé à
Lyon, chez Nicolas de la Roue, la page de titre comportant un quatrain
au dessus de la vignette, à l’instar des faux almanachs de Nostradamus,
produits par Barbe Regnaut, au début des années 1560. il y a là une
parenté assez évidente puisque la vignette est la même. C’est dire que
cette vignette avait connu une certaine fortune bien que correspondant
à un almanach contrefait des années 1560 et non pas à partir d’une
pronostication de Nostradamus comportant une vignette quelque peu
différente, ses almanachs ne présentant jamais une telle vignette d’un
personnage assis à sa table de travail. Le seul cas qui nous intrigue
est précisément celui de la Paraphrase. Est-ce que sa vignette est
dérivée de celle des almanachs Regnault et autres ou bien au
contraire, se situe-t-elle à l’origine de toutes les éditions
centuriques- à commencer par les éditions du Rosne- ou non comportant
la même vignette. ?.On pourrait être tenté par la thèse d’une
Paraphrase, parue chez Antoine du Rosne ayant lancé en quelque sorte
une telle vignette et dont on se serait évidemment inspiré pour les
éditions centuriques du dit Du Rosne, pour l’année 1557. Le problème,
c’est que cette édition de la Paraphrase n’est pas considérée comme
une contrefaçon et on ne comprend pas dès lors pourquoi elle ne
comporterait pas la même vignette que celle des Pronostications
authentiques de Nostradamus (1555, 1557, 1558), qui différent
notamment de la fausse Pronostication Nostradamus Barbe Regnault pour
1562. Nous pensons en effet que c’est délibérément que Barbe Regnault
et à sa suite Thibaut Bessault utilisèrent une autre vignette que
celle des publications authentiques. On ne voit pas très bien pourquoi
ces libraires parisiens auraient emprunté la vignette de la
Paraphrase, sous prétexte que c’était une traduction due à Nostradamus.
Il n’en reste pas moins que Nostradamus publia bel et bien cette
traduction si tant est que l’on accepte le témoignage de Cadenet, qui
date de 1560 mais on ne sait pas si celle-ci parut alors chez Antoine
du Rosne alias Lyserot dont le volume de Lettres à et de Nostradamus
nous signale en 1557 qu’il avait imprimé un almanach de Nostradamus
[2]Mais n’est ce pas justement une telle mention qui aura donné l’idée
aux faussaires de se servir du nom d’Antoine du Rosne ? On nous
objectera que l’on ne voit pas l’intérêt de publier ou de republier
cette Paraphrase après la mort de Nostradamus ; si ce n’est qu’elle
comporte une certaine quantité de vers, diversement regroupés (sous
forme de quatrain, sixain, octain, dixain etc) ainsi que de gravures.
Est-ce que cette traduction est achevée ? On peut se poser la question
au vu des dernières lignes : « cecy sera après desmontré. FIN ». Ce
mot « fin » nous semble assez peu approprié puisque l’on nous annonce
que l’on traitera par la suite de l’ »art de médiciner » alors que ce
point était censé être au cœur du texte, si l’on s’en tient au titre :
» Paraphrase (…) sus l’exortation –(…) aux estudes des bonnes Artz,
mesmement Medicine », c’est d’autant plus étonnant que Nostradamus est
d’abord lui-même médecin et qu’il a déjà publié sur le sujet un «
Excellent & Moult utile Opuscule » traitant notamment des « confitures
». On pourrait se demander s’il ne s’agit pas d’un texte trouvé parmi
les papiers de Nostradamus à l’instar de sa traduction d’Horus Apollo,
dédiée à la Princesse de Navarre.(BNF MS fr. 2594[3]).
On peut en effet se demander pourquoi le nom de Nostradamus n’est pas
accompagné, sur la page de titre de la Paraphrase, d’une marque de
respect qui est généralement de rigueur de son vivant sauf quand le
texte émane de ses adversaires : « traduict de Latin en Françoys par
Michel Nostradamus », formulation quelque peu cavalière qui n’est
d’ailleurs pas de mise dans l’édition Antoine du Rosne des Prophéties,
en cette même année 1557 mais que l’on trouve pour la traduction
manuscrite d’Horus Apollo[4].
Le parallèle entre les deux traductions connues réalisées par
Nostradamus nous parait assez marquant. Notons que les deux documents
sont accompagnés de gravures.
Restituons la fin du manuscrit de la BNF :
« Fin des notes hiéroglyphiques de Orus Apollo Niliaque de Aegipte
mises en rithme par epigrammes œuvre de admirable consideration et
esmervellable literature traduict par Michel Nostradamus de Sainct
Remy en Provence »
Certes, la Paraphrase n’’est-elle pas « mise en rithme » mais elle
comporte un certain nombre de vers dont un acrostiche au nom de
Nostradamus dont l’auteur lui-même annonce l’existence dans son Epitre
introductive - « à un d’eulx ayant mis nostre surnom aux lettres
supérieures », adressée au Baron de La Garde, amiral du Levant, en
date du 17 février, encore faudrait-il savoir si l’on n’est pas plutôt,
selon le style de Pâques, déjà en 1558 :
Or, il existe une autre édition qui, elle, est datée de 1558 [5], qui
est une copie conforme de la première dans sa présentation, à part la
date. Cette épitre comporte quelques points communs avec la Préface à
César et avec l’Epître à Henri II. Pour la première, le recours à
Vulcan, au mot « exigu », dans une même phrase : » Et combien que soit
exiguë mais presque ayant une officine de Vulcan », pour la seconde,
le ton général de respect quelque peu exagéré mais de mise. «
téméraire audace vous offrir ce petit opuscule ». Ajoutons l’adresse
aux « Ineptes traducteurs » qui fait écho à l’Avertissement latin du
Legis Cautio/cantio placé à la fin de la centurie VI de la plupart des
éditions.
Peut être plus intéressante la mention de « la prophétie de l’escript
de la Sibille », ce qui nous renvoie probablement au Mirabilis Liber,
ouvrage qui circule déjà sous François Ier et notamment à partir de la
captivité du roi, au lendemain du désastre de Pavie- dont une
expression parait en 1575 associée au nom de Nostradamus Le Jeune : «
Recueil des Révélations et prophéties merveilleuses de Saincte Brigide,
Sainct Cirille & plusieurs autres saincts & religieux personnages,
Venise, Sgr de Castavino, d’Alexandrie[6]. On peut aussi se référer au
Livre Merveilleux dont Benoist Rigaud a réalisé plusieurs éditions
dans les années 1570-1580[7]. Au XVIIe siècle, le Recueil paraitra
associé aux Centuries, notamment chez Chevillot, à Troyes.[8].
Ce dossier nous renvoie à la question de l’usage, de
l’instrumentalisation, qui auront été faits des papiers privés de
Nostradamus retrouvés à sa mort, à commencer par sa correspondance qui
est rassemblée dans un volume manuscrit et qui a pu donner des pistes
aux faussaires pour conférer à leurs travaux un certain cachet
d’authenticité. Ajoutons le Recueil des Présages Prosaïques qui
constitue la matrice de ses publications annuelles. Nous pensons aussi
que certains quatrains centuriques seraient issus de notes de voyage
dans la région, comme l’a montré le québécois Denis Hamel. Et enfin,
donc, nous disposons de ces traductions et il nous semble probable que
celle de la Paraphrase n’ait pas été publiée du vivant de Nostradamus,
pas plus que l’autre traduction qui est avant tout un exercice de mise
en rimes.
On ajoutera une observation assez étrange concernant un passage en
vers de la Paraphrase, où Euripide s’exprime, dans lequel le possessif
« mon » n’est pas suivi du nom qu’il est censé annoncer et désigner :
« Assavoir mon (sic) si on viendra prelire/ Par Mars ouvert contre ses
ennemis » [9]
En conclusion, nous dirons que l’absence de marque devant le nom de
Nostradamus est propre à la façon dont Nostradamus se désignait
lui-même dans ses épitres tant manuscrites qu’imprimées et dans ses
écrits, mais cette forme était systématiquement modifiée en cas de
publication, en tout cas au titre et c’est l’erreur que commirent les
« éditeurs » de la Paraphrase que de ne pas rajouter « M. » ou «
Maistre » devant le nom de Nostradamus. C’est le lieu de rappeler
qu’entre le texte écrit par Nostradamus et sa parution se déroulaient
un certain nombre d’étapes en vue de la finition, comme cela ressort
clairement de la confrontation entre le Recueil de Présages Prosaiques
et les impressions qui ont été conservées. On peut d’ailleurs situer
ces travaux à une période antérieure aux années 1550, ce qui est
d’ailleurs rappelé dans l’Epitre au Baron de La Garde : « ici long
temps traduict en langue françoise ». Terminons par ce passage de
l’Epitre qui nous semble se référer à l’attaque évoquée dans la
correspondance avec Olrias de Catenet, ce qui montrerait que cette
publication n’est pas celle à laquelle s’en prend le dit Catenet : «
seraient quelques uns à qui possible ne pourrait nullement imiter la
moindre partie de la translation qui veulent calomnier quelque mot que
possible leur semblera aliéné à leurs oreilles »
JHB
24. 07. 12
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[1] Cf Jean Dupébe, Nostradamus. Lettres inédites, Genéve, Droz, pp.
51-54
[2] cf Dupébe, Nostradamus. Lettres Inédites, op. cit., p. 31
[3] Voir Nostradamus. Interprétation des Hiéroglyphes de Horapollo ;
Notes Hieroglyphiques par Michel Nostradamus. Texte établi et commenté
par Pierre Rollet, Ed. Marcel Petit, 1993
[4] Cf J. Halbronn « Nostradamus et la versification des
Hierogglyphoca d’Horapollon », Espace Nostradamus. Analyse n° 151
[5] Chomarat reproduit les deux pages de titre, dans sa Bibliographie
Nostradamus, pp. 25 et 28 sans que l’on en voie réellement l’intérêt
et la priorité.
[6] A lire sur propheties.it
[7] Voir Le texte prophétique en France, sur propheties.it
[8] Cf Chomarat, Bibliograpie Nostradamus, op. cit. p.p 94-97
[9] (exemplaire Bib. Mazarine, numérotation manuscrite . 48
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77 - "Roy de
Bloys en Avignon regner"
The Centuries and the Avignon context
of the years 1560-1570
This study is followed by a debate with Peter Lemesurier
By
Jacques Halbronn
The
progression and extension of the frontiers of the French Kingdom have
always generated a certain number of problems which have been solved
in various ways. As a result of annexions, the case of Provence, for
instance, at the end of the XVth Century has been treated differently
from the case of Alsace, later on, i n the XVIIth Century. As a matter
of fact, every State having an antijewish attitude, from Spain in the
XVIth century to Germany in the XXth century was to solve such
problems when confronted with new possessions as Spain in Italy or
Germany in Poland. Any movement of population by colonization,
conquest, immigration creates new social problems especially when Jews
are involved, the main reason being the extreme diversity of jewish
conditions and attitudes, sometimes hardly compatible, existing from
one place to another, a point well noticed by Theodor Herzl in his
1896, Judenstaat. (see our book Le sionisme et ses avatars au tournant
du XXe siecle, Ed, Ramkat, 2002). It can involve the arrival of new
non Jewish populations as well as Jewish.
France was actually confronted with a rather specific question created
by the transmission, as early as the XIIIth century, of a certain
territory to the pontifical State, that is Avignon and the Comtat
Venaissin, as a result of the Crusade against the Cathars (Albi),
which eventually produced the so called Western Schism. When Languedoc
then Provence fell under the authority of the French Kings, many Jews
flew to the Church Territories which became a sort of Refuge to them,
but there were already Jews since a long time in Avignon and the
arrival of what we could call New Jews, that is Jews from another area
did influence the situation of the local Jews. Hence names among the
Pope Jews as Carcassonne which precisely seems to have been the name
of Michel Nostradamus's grand father before taking the name of
Nostredame.. Finally, the Avignon area became an enclave within the
Kingdom with a rather significant Jewish minority, a fact which had to
be tolerated by the French kingdom. As a matter of fact, it was not
foreign in two ways since it was under the juridiction of the Pope of
Rome and it was the only place where Jews could live without
conversion, even though it was in difficult and humiliating conditions
as having to wear a yellow hat. A pontifical enclave and a Jewish
enclave, then.
In 1566, was published a Description des misères et calamitez des
derniers temps, de la consommation du monde, du royaume de
l'Antechrist & du second advènement de nostre Seigneur Jésus Christ" (BNF)
which is a French translation by Nicolas Le Clerc dit de Juvigné, of
the De Consummatione mundi ac de Antichristo & secundo adventu Domini
nostri Iesu Christi, published in Cologne, in 1563 at Maternus Cholin
(BNF). The book claims that the "le Pape souffre les Juifs à Rome et y
fait brûler les vrays Chrétiens".
In 1569, for some reason, Pope Pie V decided to forbid the presence of
Jews in the French area, they were asked to move to Rome (on the
Mediteranean Sea) or to Ancona (on the Adriatic Sea), the only cities
where Jews would still be authorized to stay within the Church States,
this was the purpose of the Bulla Hebraeorum Gens, taken on the 25th
of February. But the operation became not that easy to be fulfilled
especially because of financial ties between the Jews and the
Christians in the Avignon area.( see the testimony of a provencal Jew,
Joseph Hacohen, in his Emek ha-bakha, 1575) One does not know if the
Pope pronounced such an interdiction under the pressure of the French
but what is certain is that the delays which came concerning such an
application concerning the departure or the conversion of the Jews
dwelling in the Pope States were not well accepted. The fact that
Popes, in the next decades, changed their mind towards their Jews is
indeed probably explained by foreign influences, which also came from
the fact that the election of the Popes was in itself depending on
various factors (see J. Halbronn, Papes et Propheties, decodages et
influence. Ed. Axiome, 2005). The very fact that the 1569 Bulla did
not even consider one reserved City in the French part of the Papal
States, for the Jews seems rather suspect and a sign of a French
intervention. In the future, Jews will be tolerated in four towns of
the Comtat Venaissin, that is Carpentras, Cavaillon, Lisle (sur Sorgue)
and of course Avignon.
Among the reasons to expulse Jews, one which was often given was their
superstitions, their use of magic, rather than their Judaism strictly
speaking, in other words some form of corruption of their original
message. (see J. Halbronn, Le monde juif et l’ astrologie, Milan,
Arche, 1985). Such creeds responded to individual and pratical needs
which might attract populations far from a submission to God s plans.
Crespin and the French Avignon problem
An important source of antisemitism but also sometimes of
philosemitism is eschatology, prophetism and speculations, jewish and
non jewish, about the end of the world, including the necessity for
Jews to convert or/and to gather in Palestine.
We would like to study a rather neglected aspect of the Avignon
problem, in the first years of the 1570's, which belongs to the field
of the "nostradamic" and "antinostradamic" literature and which
involves a sort of French prophet named Antoine Crespin of whom not
much is known apart from his work.
If we trust the official nostradamic bibliography, Antoine Crespin
used certain lines in his work and specially two connected with
Avignon, appearing at the begining of his Demonstracion de l'Eclipce
lamentable du Souleil que dura le long du jour de la Seint Michel
dernier passé 1571 etc , Paris, Nicolas Dumont,(BNF) which was
precisely dedicated to the Pope.
It starts with those six lines:
Le Roy de Bloys dans Avignon regner
Une autre foys le peuple emnopolle
Esleu sera renard ne soucent (sic) mot
Faisant le S. public uivant (sic) pain d'orge
Tirannizer après tout à ung cop
Mectant à pies des plus grands sur la gorge
followed by
A nostre S. Père le Pape par l'astrologue du treschrestien Roy de
France & de Madame la Duchesse de Savoye. Salut
Crespin in this booklet and in some others (cf infra), on that
occasion, attacks the Jews and the New Christians: ”nous en
cognoissons un que tient des benefices dans la Comte d’Avignon tant
temporels que spirituals encores (…) qu’il y a sept ou huict ans que
feust baptisé que auparavant tenoit la loy des faulx iuifz insecrables
(sic, pour exécrables) vella (sic pour voilà) pourquoy le peuple se
met en erreur ».
Integration of Crespin's verses within the Centuries
Curiously enough, those lines also appear with the Nostradamus
Centuries which are generally considered as having been published
before the 1570s when they appear in Crespin's work :
VIII, 38
Le Roy de Bloys dans Avignon régner
Un autrefois le peuple emonopole
Dedans le Rhosne par murs fera baigner
Jusques à cinq le dernier pied de Nole.
Translation and annotation by Theophile de Garencières in The true
propheties or Prognostications of Michael Nostradamus (London, 1672)
The King of Blois in Avignon shall Reign
Another time the people do murmur
He shall cause in the Rhosne to be bathed through the Walls
As many as five, the last shall be near Nole
"This fortelleth that a King of France shall take Avignon, which is a
City of France belonging to the Pope. And that some of the People
beginning to murmur and mutiny, he shall cause five of them to be
thrown over the Walls into the Rhosne which is a swift River taht
passeth by. Nole must be some place thereabouts"
It sounds obvious to the commentator that "Roy de Bloys" means the
French King, since Blois was an important location fot the Court on
the river Loire, with its château.
VIII, 52
Le Roy de Blois dans Avignon régner
D'Amboise & Séme viendra le long de Lindre
Ongle à Poitiers saintes aisles ruiner
Devant Bony (sic)
The King of Blois shall Reign in Avignon
He shall come from Amboise and Seme along the Linder (sic, read the
Indre)
A Nail at Poitiers shall ruine the Holy Wings
Before Bony.
annot:
The first Verse and the interpretation is easie. Amboise is a Town in
France upon the River of Loire. The two last verses being imperfect
admits of no interpretation, onely to let the Reader know that
Poitiers is a very great City in France and Capital of the Province of
Poitou.
A third reference can be found in IX, 41
“Le grand Chyren soy saisir d’Avignon
De Romme (sic) letres (lettres) en miel plein d’amertume
Letre (Lettre) ambassade partir de Chanignon
Carpentras pris par duc noir rouge plume”
Translation by Garencière;
The great Chyren shall seize upon Avignon
Letters from Rome shall come full of bitterness
Letters and Embassies shall go from Chanignon
Carpentras taken by a Black Duke with a red Feather
Garencières gives an interesting commentary, since he considers as
granted that some quatrains have a prophetical value. So he does not
hesitate - in his True Propheties of 1672 - to see in this third
quatrain the prediction of a XVIIth century event connected with
Avignon :
Annot :
This did happen lately, viz, some five or six years ago, when the Duke
of Crequy Embassadour at Rome was affronted by the Corses which are
the Popes Guard; for which the King of France demanded reparation and
seized upon Avignon, till the Pope granted him that all the said
Corses should be banished and a Pyramid erected in Rome to the
perpetual infamy of that Nation.
The connection of Crespin with the centurical canon seems, at first
sight, to be reinforced by the fact that he is using some lines of the
Centuries, although he never referred explicitly to the Centuries most
probably because they did not exist yet - is the use of the first
quatrain of the first Century in the centurical canon.
Estant assis de nuict secret estude
Seul reposé sus la selle d'airain
Flambe exigue sortant de solitude
Fait prospérer qui n'est à croire vain
translation by Garencières:
Sitting by night in my secret study
Alone resting upon the Brazen Stool
A slight flame breaking forth out of that solitude
Makes me utter what is not in vain to believe
Crespin uses several times this quatrain as another neonostradamic
author also did before and one would imagine with difficulty the fact
of using such a quatrain if it had been published before at the very
begining of the said Centuries. Our thesis is that this quatrain had
not yet been associated with the name of Michel de Nostredame, at the
beginning of the 1570s.
If it is true for this quatrain, it can also well be true for the
Avignon quatrains which are concentrated within a same group of
Centuries, that is the one comprehending Centuries VIII, IX, X which
had a specific statute in many editions. As a matter of fact, one
finds dozens of lines common between Crespin and the Centuries. It
certainly is tempting to think that Crespin borrowed verses from the
Centuries in the same way as he declares being himself Nostradamus.
But we think that he wanted to prove that he was as good as
Nostradamus more than just borrow part of his published work.
If the Avignon lines, at least, are the work of Crespin, how come that
it appears in the centurical canon which carries, ipso facto, a
certain form of Antijudaism, reinforced by the presence of another
verse about the Synagogue, still in the same VIIIth Century.
VIII, 96:
La synagogue sterile sans nul fruit
Sera receu entre les infidels
De Babylon la fille du porsuit
Misere & triste luy trenchera les aisles.
with an English translation by Theophile de Garencières and a short
commentary
The synagogue barren, without fruit
Shall be received among the Infidels
In Babylon,the daughter of the persecuted
Miserable and sad shall cut her wings
Annot. :
A Synagogue is a place where the Jews assemble for Divine Worship, as
the Christians do in Churches or Temples, the said Jews Synagogue is
threatened here to be unfruitful and barren, and chiefly, in Babylon,
by the means of a woman, daughter of one persecuted, belike of some of
their own tribe, whom the rest did persecute (p. 351)
The answer to this surprising issue concerning such texts has to do
with the making of the centurical canon in the 1570s. Neonostradamism
has been used to constitute the centurical corpus, in quite a
syncretic way, gathering all sorts of documents, especially among
those who belonged as Crespin obviously did to the nostradamic sphere.
Crespin, imitating Nostradamus was a good recruit to be included
within a nostradamic collection.
It is interesting to mention, however, another explanation concerning
those Avignon lines, proposed by Louis Schlosser ( La vie de
Nostradamus, Paris, Belfond, 1985, p. 36) :
"François Ier tenta à plusieurs reprises d'accroitre ses droits sur
Avignon et sur le Comtat Venaissin; il n'y réussit que partiellement ,
comme le prouve l'ordonnance de Villers- Cotterets de 1539. En effet,
le roi substitua le français au latin dans tous les actes de justice
de ces territoires provençaux du Saint Siége. Nostradamus se fit
l'écho de cette situation (..) dans deux de ses quatrains prophétiques
où curieusement on voit revenir le même vers "Le Roy de Blois dans
Avignon régner"
But why Nostradamus publishing not earlier than in the 1550s,
according to the lowest chronological evaluation, would have mentioned
in a prophetic text an event already known of 1539? On the contrary,
we believe that prophetism has to do with the future and quite often
with a very near future, that one expects and which does not
necessarily arrives as expected. This was the case with Crespin
announcing an action which was not fully accomplished neither
concerning the French power which never passed a certain level nor the
Jewish presence which never totally ceased. Actually, we think that
such an anachronism was due to the use of old documents that had not
been properly identified by forgers and attributed to Nostradamus
without being conscious of the chronological problem.
Of course, later on, the 1569 Avignon events will belong to the past
as the 1539 events but the question is : when the text appeared at
first? With Crespin Demonstration of the 1571 Eclipse, do we have a
commentary of a quatrain taken from already existing Centuries or do
we have lines constituting a sort of political formula? One has
believed that the Centuries were at least a versification of
historical data but it seems that even the versification was largely
borrowed and was just more or less redistributed, reshuffled,
sometimes awkawardly as precisely in the case of "Roy de Bloys dans
Avignon régner", which comes twice, within the same VIIIth Centurie.....
Attacks againt New Christians
The case of Nostradamus himself is an interesting example of the
situation of the New Christians in France, in the middle of the XVIth
Century. On century after the conversion, in 1455, of his grand father
Guido Gassonnet, then becoming Pierre de Nostre dame, the physician
and astrologer Michel, born in 1503, will be invited at the French
Court for consultation with the royal couple, Henry de Valois and
Catherine de Médicis. As a matter of fact, in 1550, Henry II had taken
measures favorable to the presence of New Converts in Bordeaux. In any
case, one could hardly assert that there were no Jews in France in the
XVIth Century. The integration of the "conversos" seems to have been
more successful than in Spain. One has to underline, however, that
those New Christians were also, New Jews, since they were Jews coming
from other cultures.
Crespin did, indeed, adopt the name of a "Nouveau Chrestien", of a
olim judaeus, Nostradamus, later to be changed in Archidamus. And one
can wonder if he was conscious and aware of Nostradamus's Jewish
origins. Probably not. How could he attack the Jews, including the
maranos, using for himself the name of a convert?
The Nostredame family is actually a good example of the integration of
New Christians in the second part of the XVIth century, in France. The
brother of Michel, Jehan de Nostredame contributed by his writings to
a better knowledge of Provence and the elder son of Michel, César de
Nostredame - bearing a first name far from being Jewish - was also a
productive French poet and historian of Provence and called himself a
"Gentilhomme provençal", though he was still living in Salon (de
Provence) 50 years after his father's death (1566)..In 1602, he will
publish, at Aix, J. Tholosan, L'Entrée de la Royne en sa ville de
Salon, in honour to Marie de Médicis, just married to Henri IV.
Indeed, the activity of this family was by no means focused on Jewish
culture. There was a real process of integration through several
generations. Conversion was indeed a fair way to fully participate to
the French Culture and language. As a matter of fact, the Nostredame
-Jean and Cesar - when they spoke about their ancestors did not
mention explicitly their Jewish origins although acknowledging that
some knew hebrew among other languages.
Michel de Nostredame did not hesitate to dedicate his Présages
Merveilleux pour 1557 to the King Henri II -( Paris, J. Kerver) -
letter which also appears, with some changes including a new date of
the epistle, in the Centuries. César de Nostredame, his son, dedicated
his Histoire et chronique de Provence, Lyon, Simon Rigaud, 1614, to
the young King Louis XIII.
If Crespin did not know, apparently, about the Nostredame's pedigree,
some seem to have been quite aware of it. Michel de Nostredame had
enemies and quite a few booklets were published against him, his
astrological skill being questioned; one of them alludes to his
judaism :
Jean de la Daguenière in his Le Monstre d'Abus which is a joke on the
name of Nostradamus : monster of abuse (cf Benazra, Répertoire
Chronologique Nostradamique pp. 33-34) shows indeed that his jewish
origins were not forgotten although he was grandsone of a convert,
speaking of his almanachs as having a Jewish flavor :
“de nous vouloir persuader ces tant evidentes menteries descrites en
vos petits pacquectz annuelz, qui sentent encores leur Judaisme a
pleine gorge” (fol. C1
La Daguenière use the word "retaillat" which means circumcised:
“retaillat terme se me semble dequoy on use fort peu souvent ailleurs
qu’en Provence. Et qui n’est propre qu’à ceux qui sont yssus,
descendus, & extraictz des tribus & races de Judee” (fol. D3v)
Among the sources of the Protocols of the Elders of Zion, one usually
mentions a Letter of the Jews of Arles to their brothers in
Constantinople. In the 1880s, the then beginning Revue des Etudes
Juives dedicated a few studies to this text and H. Graetz wrote an
article, in 1889 : "But réel de la correspondance échangée vers la fin
du XVe siècle entre les Juifs espagnols et provençaux et les Juifs de
Constantinople". According to Graetz, this letter was translated from
spanish to french with the same aim, to créate a feeling of
disconfidence towards the New Christians. The letter from Arles was
supposed to have been written at the time Provence was to be included
within the French Kingdom . The Letter sent from Constantinople
cynically encourages conversion but also marranism since it is the
only way to remain in Provence or to stay in France. It is precisely
an Abbé from Avignon, Bouis, who gave in 1641 a certain impact to this
forged letter in his Royalle Couronne des Roys d'Arles. We can say
that accusations of marranism prepared the move from antijudaism to
anti-Semitism, since the religious change tended progressively to
become not significant.
Crespin's Antijudaism and Antipapism
Behind the attacks by Crespin against the Jews, one wonder if he is
not attacking the Pope. It is quite a typical strategy to associate an
ennemy with the Jews in order to bring discredit to him. It is a
classical polemical trick to connect an adversary with the Jews as it
will be done in the XIXth Century with Free Masons, supposedy
controled by Jews, which gave birth to the Protocols of the Elders of
Zion.
Prophéties dédiées à la Puissance Divine, Lyon, 1572:
Au Pontife Romain salut
Le Roy de Bloys dans Avignon regner. (...)
Le Saint Siége sera remis au corps spirituel qui sera tenu pourt vray
siége, la terre aride en siccité croistra & grand déluge sera aperceu
soudain qui sera faict par despit de marrans & juifs, qui tiennent une
loy à sainteté contraire
Crespin
Aux faux Juifz exécrables & marrans
Car vous serez déceuz (c'est à dire trompez du pontife Romain).
In 1574, after the Saint Barthelemy, Crespin still connects the Jews
with the Pope in his Epistre de Profétie de paix qui doit venir au
Royaume de France sans dissimulation qui régnera plus de trois cens
ans etc :
"Moy Archidamus & Astrologue du dict Roy, je vous annonce que la
vérité est telle qu'en brief temps, ceux qui auront mal vescu avec
toutes leurs loix.. (...) comme le vieux testament a esté aboli qu'il
n'y a plus que les Juifz qui le tiennent mais en ce temps qui doit
venir, il n'y aura point de ceulx qui veullent convivre en leur
meschante doctrine: il n'y aura Prince sur la terre qui les puisse
sauver (..) et par le Pape de Rome maintenant entretenus & conservez
en grand honneur lesditcz Juifz mais en ce temps qui doit venir &
sommes bien proches de y estre, il n'y aura nuls qui aient méschante
vie qui puissent estre sauvez & de mesme lesdictz faux Iuifz leur
seront compagnie s'ils ne délogent subitement hors de la Chrestienté
car le pouvoir dicelui qui les soustient ne sera de les soustenir".
Are those words "The Pope of Rome" coming from a good Catholic? One
can doubt very much. Is Crespin a Protestant? The fact is that he is
the prophet of a slaughter of the Jews and not of the Protestants...We
rather believe that Crespin is an advocate of gallicanism and that
this gallicanism cristalised around the Avignon problem. Actually, was
he really against the Jews or did he try before all to weaken the
legitimity of the presence of the Pope in Avignon? One should add that
in the vicinity of Avignon, was a Protestant enclave, at Orange, which
gave its name to the Dutch dynasty. Later on, this area became a
refuge for the Jesuits, rejected from the French Kingdom, under Louis
XV.
Eventually, the Avignon problem decreased and remained most of the
time until the French Revolution outside the control of the French
Kings. The Cardinal de Bourbon, cousin of the King of France was
appointed in Avignon so that the prediction was only fulfilled under
Louis XVI.
Eschatological antijudaism in the XVI th Century
Crespin, being connected with the political level as well as with the
prophetical one, combines several sorts of antijudaisms. He might also
have been influenced by texts published in French in the years
1530-1560s, containing attacks against the Jews although there were
absent from France. But French was not limited to the Kingdom of
France and some French speaking areas did have jewish minorities at
least until they were integrated, sooner or later, for some of them,
within the Kingdom, one of those areas being actually the Comtat
Venaissin and Avignon.
Indeed the French States of the Pape did belong to the French cultural
sphere. Many books in French were printed in Avignon, as the almanach
of Nostradamus for 1563, by Pierre Roux, dedicated in French and
Italian to François Fabrice de Serbellon, a military delegate of the
Pope in Avignon. The same Pierre Roux, with Ian Tramblay, had
published in 1558, an attack against Nostradamus, Declaration des abus
ignorances et seditions de Michel Nostradamus, de Salon de Craux en
Provence. In 1574, was published in Lyon, Jean Patrasson, a Brief
Discours de quelques pluyes de sang advenues au Comté de Venaissin ,
by A. De Blegers de la Sale. Avignon will often be mentioned as a
place of edition for the Nostradamus Centuries and in the XVIIIth
Century, it will become a central nostradamic point, producing
antidated forgeries as a Pierre Rigaud edition, Lyon, 1566.
Turrel
Le Période, c'est à dire la fin du monde contenant la disposition des
choses terrestres par la vertu & influence des corps célestes. (1531)
"Or regardes Juif infideles & malheureux si le vrai Messias n'est
point venus, puis que naves point de Royaume (...) mais vous avez des
précheurs qui vous abusent mesmement Emmanuel delatis fil de Bonnet
delatis, lequel ay ouy à vous prescher que le vray Messias vous
viendroit bientost visiter etc'
Roussat
Livre de l'Estat et mutation du monde, Lyon, Guillaume Rouillé (1550)
"que les faulx, inhumains & meschans tirans Iuifz n'ont pu descirer "
p. 178
La première partie du Recueil des Propheties et revelations tant
anciennes que modernes, Paris, R. Le Mangnier, 1561. New edition,
Troyes, P. Chevillot, 1611, Paris, Delarue, 1866.
Ch XXVII L'Estat et disposition des Juiifz infidéles est déclaré
comment ils seront disposez (pp. 64 et seq)
"Et maintenant n'avez nulz prophetes, ne Roy, ne Prestre mais estes
mesprisez de tout le monde en désolation perpetuelle (...)
"Vers la fin du monde peu de Juifz seront convertis à la foy car ils
seront seduictz par l'Antéchrist
In the case of this last text, one should underline the fact that it
was to republished several times, including 1611, but even in 1866 and
both cases under the same cover as the Nostradamus Centuries. It is
indeed important to notice that the Centuries, being a remarkable best
selling during centuries have perpetuated, including the XIXth and
XXth Centuries, some elements of Crespin's antijudaism and antipapism.
Astrology serving Antijudaism
In his Pronostication et prédiction pour 1572 qui seront conclus Mars
estant seigneur pour le temps présent de la grande révolution du monde
& suivra ses effectz jusques à l'an 1616 selon les mouvemens agiles du
firmament, BNF, V 21370), Antoine Crespin gives a great importance to
the coming "grand conjunction" of Jupiter and Saturn in Aries, which
only occurs every 800 or 900 hundred years - a conjunction taken quite
seriously by Jean Bodin, in his Republique, published in the 1570s.
"....Quand toutes les planètes seront enjointes au signe d'Aries,
alors vous vous pouvez assurer d'estre du tout ruinez ensemble tous
vos supposts & lesdites choses sont bien proches à venir. O quel
déplorable advenement quand les vespres Siciliennes seront exécutées
incontinent plus rudement qu'elles n'ont esté faites au pays des
Suysses par lesquels j'en suys grandement fasché avoir descouvert les
dites choses au ciel" " (Lyon, Melchior Arnoullet
The time for this fatal conjunction to come is fixed by Crespin in
1584. It is true, however, that Jews, like Abraham Bar Hiyya, also
speculated upon the next coming of the Messiah especially for the end
of the XVth Century and Turrel, in 1531, alluded, in his Période, to
the prophecies of Emmanuel de Lattes.
It remains that many historians of nostradamism, like Pierre
Brind'amour, do continue to attribute the whole centurical corpus to
Michel de Nostredame, including the antijewish elements, especially
the attack against the Synagogue which is a quite obvious line. Of
course, some new Christians were capable to be very agressive towards
the faith of their ancestors. The fact that Nostradamus, born in Saint
Remy, returned, at the end of his life, in the vicinity of Avignon, in
Salon de Provence, city from which a part of his family came, makes
such a statement rather improbable.
Conclusions
Progressively, in the XVI th Century, the idea of a ghetto took place
which had not been considered in Spain. One main point was to
distinguish between Jews and non Jews and there was an attempt to do
it by imposing a specific sign like the yellow colour in Avignon but
that was not always considered as enough. This ghetto solution had
been actually applied in XVIth century s France towards the
Protestants who had certains towns attributed to them like La
Rochelle. Comparatively, the ghetto, in the sense of a reserved town
then, more specifically, of a reserved street (carriere) or quarter,
might appear indeed, retrospectively, as an acceptable alternative to
expulsion or to conversion. In the first case, the expulsion of Jews
created problems for the communities which received them with a
certain risk of antijudaism and in the second case, the converted Jews
remained suspect of heresy and were under the threat of Inquisition.
There was a derived solution which was to integrate new Christians
coming from Spain and Portugal and to forget, as it were, their Jewish
origin, that is what happened in Bordeaux, it afforded the French
authorities to accept Jews without having to change their laws.
As a matter of fact, what happened in Provence, an area which belongs
not that obviously to the so called sephardic world, could be
considered within the History of the solutions of the Jewish Question
- which is the subtitle of Herzl ‘s Judenstaat- zionism being one of
those solutions, It is to be remarked that Palestine, in its old
geographic and mandatory sense, has also to do with the Church
concerns -the Popes were directly connected with the Crusade-for
Christians to reapropriate what had been lost by the Byzantine Empire.
So in a certain sense, Palestine - and especially Jerusalem - could be
considered as a sort of new Avignon. In any case, the Avignon jewish
enclave does symbolize the fact that the Jewish people are often
considered as an intellectual enclave, as a problem which cannot be
solved by the usual procedures.
As to the strange repetition of the formula - like a leitmotiv - “Roy
de Bloys dans Avignon régner”, in the Centuries, and the fact that the
last verse of one of the quatrains bearing the said formula is
uncompleted, we think that it is a clear sign that the Centuries were
at first presented as a posthumous and unfinished work which by no
means could have been published during the life of Michel de
Nostredame.
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E. Camau, Les Juifs en Provence, Paris, Champion, 1928
I. Bedarride, Les Juifs en France, Italie et Espagne, Paris, 1865
H. Graetz "But réel de la correspondance échangée vers la fin du XVe
siècle entre les Juifs espagnols et provençaux et les Juifs de
Constantinople, Revue des Etudes Juives, 19, 1889.
S. Simonsohn, The aspostolic See and the Jews. Toronto,
Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1991
Joseph Ha-Cohen, La Vallée des Pleurs, chronique des souffrances
d'Israël depuis sa dispersion jusqu'à nos jours, Trad. Julien Sée,
Paris , 1881,
Reed Centre d'Etudes Don Isaac Abravanel, 1980
F. X. Emmanuelli et al., La Provence Moderne (1481-1800), Rennes, Ed.
Ouest- Franxce, 1991
Monaldi & Sorti, Imprimatur, trad. de l'italien, Paris, J. C. Lattés,
2002
R. L. Moulierac-Lamoureux, Le Comtat Venaissin Pontifical, 1229-1791,
Vedéne, 1977
C. E. R. C. A. R. 1791-1991, Du rattachement de l'enclave des Papes à
la France,
Avignon, Ed. A. Barthélémy, 1991
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78 - De la question des sources des quatrains centuriques
Par Jacques Halbronn
On sait la part importante de la production d’Antoine Crespin en tant
que contribution aux Centuries attribuées à Nostradamus. Nous avons
consacré à ce sujet une étude en anglais, reprise d’une communication
donnée en 2001 au Congrès Mondial des Etudes Juives. « Roy de Bloys en
Avignon regner. The Centuries and the Avignon context of the years
1560-1570[1].
Il est assez évident que l’une des sources des centuries comporte un
fort caractère antijuif et la lecture des œuvres de Crespin
l’atteste[2], ce qui est à l’origine notamment de la fameuse formule «
Roy de Bloys en Avignon regner, que l’on retrouve à deux reprises dans
le second volet dont on sait qu’il fut constitué pour contrebalancer
le premier, lequel était favorable à la Ligue. Est-ce à dire que le
camp d’Henri de Bourbon était tenté par la veine antijuive ? On peut
en douter dès lors que l’on peut montrer, comme nous allons le faire,
ci-dessous, qu’une certaine censure s’exerça par rapport à de telles
sources.
Dans les Prophéties dediées à la puissance divine & à la Nation
françoise- dont il existe deux éditions, au début des années 1570,
l’on trouve des développements dont certains ont été repris dans les
centuries et d’autres non ou s’ils le furent – ce qui n’est pas
attesté- ils en furent par la suite évacués.
Voici donc des éléments qui appartiennent au vivier crespinien et dont
certains ont été adoptés et d’autres non à commencer par le mot Juifs
que l’on ne trouve pas dans les centuries alors qu’il figure bel et
bien dans le dit vivier constitué d’une série d’adresses dont nous ne
retiendrons ici que deux qui se suivent, l’une adressée au Pape et
l’autre au Baron de la Garde [3]
Au Pontife Romain salut
« Le Roy de Bois dans Avignon reigner (…) Grand Deluge sera aperceu
soudain qui sera faict pour despit de marrans (marranes) & Iuifs, qui
tiennent un loy à sa Saincteté contraire »
A la suite :
« A Monseigneur le baron de la garde. Salut
« Avignon & Carpentras pour les Iuifs en grand trouble sera »
Rappelons que Carpentras fait partie des territoires du pape, enclavée
–(jusqu’à la Révolution Française) dans le Royaume de France, dans le
Comtat Venaissin (Vaucluse) et s’y trouve une fort réputée synagogue.
Ce nom de lieu ne se trouve pas dans les Centuries. Quant aux Marranes,
il s’agit de Juifs convertis au catholicisme mais soupçonnés de
continuer à pratiquer leur religion en cachette. Quant à Michel
Nostradamus, lui-même, l’on sait qu’il est d’ascendance juive par ses
deux parents.
Il nous semble que ces observations soient d’un certain enseignement
quant à la composition des centuries, sous une forme recyclée et
effectivement censurée. On imagine l’usage qui aura été fait de tels
quatrains comportant de tels passages si ceux-ci avaient été intégrés
dans le canon centurique.
Mais cela nous montre aussi à quel point une grande partie des
quatrains centuriques n’émanent pas de Nostradamus, lequel n’a pu, non
plus les emprunter à Crespin, pour des raisons de chronologie
évidentes. A moins d’imaginer que Crespin ait emprunté à Nostradamus
et ait rajouté ces vers sur les Juifs, les marranes et Carpentras, sur
leur culte contraire au catholicisme romain.
Il convient aussi de contester l’idée selon laquelle le quatrain
constituerait une unité de sens à part entière. Comme dit La
Daguenière, dans son Monstradamus, déjà à propos des quatrains des
almanachs, c’est simplement un mode de classement :
« Que nous veux tu ainsi donner à entendre par tous tes autres vers,
logez de quatre en quatre sur le commencement de chaque moys, si ce
n’est d’avanture tu désire (sic) te declarer poéte digne d’un chapeau
de chardons (…) Qui entend cela à ton avis» (fol A III)
Nous prendrons le cas de La Première Centurie des choses plus
mémorables qui sont à advenir depuis l’An mil cinq cens Quatre vingtz
& sept iusques à la fin de la douziesme Centuries, présagées pour
trente six ans. Extraictes des plus illustres Mathematiciens, mises en
lumière par Conrad Leovitius, Alleman, selon le Calcul de M. Imber de
Billy, Paris, Laurent du Coudret (BNF ; Rz 3411)
On notera que le mot « centurie » désigne ici le quatrain et que le
nom de Nostradamus n’est pas cité au titre ni d’ailleurs dans le corps
de l’ouvrage paru sous la Ligue. On notera aussi qu’à l’instar de la
littérature pseudo ou néo-nostradamique, la page de titre comporte un
quatrain, pratique qui n’est pas attestée dans la production
considérée comme authentique de Nostradamus mais pratiquée au départ
dans les almanachs parus à Paris chez Barbe Regnault, au début des
années 1560. D’ailleurs, ce titre semble calqué sur ceux présentés par
Nostradamus le Jeune, dans les années 1570.
Ce quatrain est le suivant
De faict estrange plusieurs n’estre contens
Du lac Leman conduicte non trouvee
Renouveller on fera le vieux temps
Expolira à la trame tant couvée.
On trouve des « centuries » à l’intérieur, c'est-à-dire des quatrains.
Au vrai ce document n’a pas été classé dans les bibliographies
nostradamiques dans la mesure où le nom de Nostradamus n’y figure
pas[4].
Mais intéressons-nous à ce « quatrain » du titre : on reconnait un
élément du quatrain V, 12.
Aupres du lac Leman sera conduite
Par grace estrange cité voulant trahir
Avant son meurtre à Ausbourg la grande fuitte
Et ceux du Rhin la viendront envahir.
On notera les différences et le fait que cinq rapprochements
concernent les deux premiers vers : du, Lac, Leman, conduite,
estrange. Il apparait que dans les deux cas les rimes sont totalement
différentes. Selon nous, c’est le fait de la rime qui donne l’illusion
d’un quatrain d’un seul tenant. Nous ne pensons pas que ces vers
soient repris des Centuries de Nostradamus mais plutôt l’inverse.
Cette édition date de 1586 et peut avoir servi pour produire le
complément au premier volet à 349 quatrains (augmenté à 353) de la
Prophétie de Nostradamus, puisqu’il s’agit ici de la Ve centurie.
On notera qu’au XVIIe siècle, le mot « centurie » sera utilisé dans
les almanachs pour désigner les 12 quatrains mensuels, comme dans
l’Almanach ou Ephemeride pour l’an MDCXXII (..) le tout supputé (..)
par M. Jean Belot, C(uré) de Milmonts. Paris, Fleury Bourriquant. (BNF).
S’ajoutent quatre « centuries » illustrant les Prédictions sur le
thème céleste de la présente année 1622, sans rapport avec le corpus
nostradamique.
L’usage de ce terme est visiblement inspiré par la production
nostradamique mais pas forcément celle comportant des centuries à 100
quatrains. Il semble en effet que l’on ait publié, si l’on en croit Du
Verdier, dans sa Bibliothèque, au milieu des années 1580 des «
centuries » comportant les quatrains des almanachs de Nostradamus.[5],
dont on n’a pas conservé d’exemplaire, et qui se présentait comme paru
en 1568 chez Benoist Rigaud. C’est d’ailleurs, cette parution qui
expliquerait que dans les années 1590 le dit Rigaud aurait situé son
édition des Centuries de quatrains en 1568. .
L’on rappellera qu’encore au début du XVIIe siècle, les sixains qui
furent intégrés dans le canon nostradamique, du moins pour un temps,
furent le fruit d’un emprunt (probablement aux Prophéties de
Morgard[6]). On n’était plus trop regardant sur la forme et d’ailleurs
Nostradamus, dans la Paraphrase de Galien n’avait-il pas produit
différents formats pour les vers qu’il traduisait ? Il semble bien en
effet, comme en témoigne le manuscrit des Hieroglyphica d’Orapollo que
Nostradamus nous ait surtout laissé des traductions en vers plutôt que
des quatrains prophétiques, même ceux de ses almanachs ne devant
probablement pas lui être imputés.
En définitive, les quatrains des centuries « prophétiques »
dériveraient pour une grande part du modèle des quatrains des
almanachs de Nostradamus, quitte à subir un certain nombre
d’ajustements. Paradoxalement, ces quatrains authentiques sont un peu
le parent pauvre du corpus centurique alors que des quatrains qui n’en
sont qu’une imitation attirent beaucoup plus les exégétes et sont
présentés comme le magnum opus de Michel Nostradamus. Cela dit, l’on
sait que certains quatrains notamment du second volet s’originent dans
la Guide des Chemins de France d’Henri Estienne, ce qui est d’ailleurs
également le cas de la page de titre du Monstre d’Abus, paru chez
Barbe Regnault, qui publiera dans les années qui suivront de faux
almanachs, reprenant des quatrains d’anciens almanachs, ce qui nous
conduit à penser que cette Guide était connue des faussaires et des
imitateurs et que l’on pouvait y puiser pour divers motifs. Cela
indique bien que l’on avait fini par ne pas être très regardant sur la
façon dont les quatrains étaient constitués, l’important était ensuite
de remodeler ce matériau pour en faire des quatrains correctement
rimés et le cas échéant d’y inclure quelque message susceptible de
marquer les esprits, en annonçant des projets en cours comme s’ils
avaient en quelque sorte déjà eu lieu, comme si leur occurrence était
déjà écrite voire prescrite.
JHB
27.07.12
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[1] which is just republished now on propheties.it
[2] Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Ed Ramkat 2002
[3] dont on connait une épitre de Nostradamus qui lui est dédiée en
tête de sa traduction de la Paraphrase de Galien, Lyon Antoine du
Rosne, 1557 et 1558, éditions que nous considérons comme antidatées
[4] Nouvelles recherches sur l’Affaire Chavigny/Chevigny, sur le site
grande-conjonction.org
[5] Halbronn’ s Researches 31 - Le double sens du mot centurie dans
les éditions parisiennes de la Ligue
[6] Documents inexploités sur le phénomene nostradamus, op cit.
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79 - Nouvelles réflexions autour des vignettes
des faux almanachs de Nostradamus
Par Jacques Halbronn
Les années 1560 voient se développer toute une industrie de faux
almanachs de Nostradamus alors même que Nostradamus va continuer à
publier des almanachs jusqu’à sa mort. On peut s’interroger sur la
tolérance qu’il put y avoir à laisser circuler de tels almanachs
contrefaits et qui plus est empruntant aux vrais almanachs des années
précédentes leurs quatrains, ce qui était d’ailleurs une façon de
conférer aux dits quatrains une portée non limitée à l’année initiale
d’application, approche décalée qui connaitra une certaine fortune
notamment dans le Janus Gallicus..C’est ainsi que nous avons deux
éditions de la Pronostication nouvelle pour l’an mil cinq cens
soixante deux composé par maistre Michel Nostradamus, l’une parue à
Lyon , chez Antoine Volant & Pierre Brotot, qui est authentique et
l’autre à Paris chez la veuve Barbe Regnault [1]sous exactement le
même titre- à ce détail près que la fausse pronostication indique « de
Craux en Provence » au lieu de « Salon de Craux en Provence »- mais
avec deux vignettes différentes, seule la première comportant dans son
cadre « M. de Nostredame », cette vignette étant systématiquement
entourée d’une frise zodiacale, ce qui ne sera jamais le cas pour les
vignettes des productions contrefaites. Etrangement, c’est la fausse
édition qui comporte en bas de la page de titre ‘Avec Privilege »
comme ce sera le cas des éditions Macé Bonhomme et Antoine du Rosne ;
Il ne fait par ailleurs aucun doute quant à la parenté des deux
vignettes, la disposition des lieux étant la même si ce n’est que dans
la « vraie » vignette, on trouve une bibliothèque qui est absente dans
la « fausse ».
Il semble que trois vignettes de faux almanachs aient circulé au cours
de cette décennie, qui connaitront, elles aussi, un impact bien au-delà
de cette période puisqu’on les retrouvera dans des publications de la
fin du XVIe siècle. A contrario, les vignettes des vrais almanachs ne
reparaitront pas de façon posthume. Au vrai, chez Nostradamus, ce ne
sont pas les almanachs qui étaient dotés de vignettes mais
exclusivement les pronostications, du moins jusqu’au milieu des années
1560. Les derniers almanachs de Nostradamus comporteront des vignettes
mais avec des motifs très différents. Au vrai, on ne connait pas de
pronostications de Nostradamus parus séparément des almanachs après
celle pour l’an 1562. Ajoutons que dans l’almanach pour 1565, par
exemple, les quatrains ne sont pas placés au sein du calendrier mais
au cœur de la partie rédactionnelle, modèle repris par le Recueil des
Présages Prosaïques et appliqué rétroactivement pour l’ensemble de la
série.
Les trois vignettes de faux almanachs nous intéressent
particulièrement en ce qu’elles serviront pour réaliser des
contrefaçons antidatées ou parce qu’elles illustreront les éditions
parisiennes des Centuries sous la Ligue, tel libraire en adoptant une,
tel autre libraire en préférant une autre, ce qui tient au fait que
ces trois vignettes avaient été utilisées simultanément dans les
années 1560. Une de ces trois vignettes ne nous est d’ailleurs connue
pour les dites années 1560 que dans une traduction anglaise- An
Almanack for the yere MDLXIII made by Maister Michael Nostradamus
Doctour of Phisicke of Salon of Craux in Provence, mais il est évident
que cette vignette venait d’une édition française disparue, parue chez
un libraire non identifié, laquelle édition était encore connue à la
fin des années 1580 d’un Pierre Mesnier qui la recycle pour ses
éditions des Prophéties, dont on connait celle datée de 1589 et une
autre non datée. On connait une édition Veuve N. Buffet d’une édition
des Prophéties de M. Michel Nostradamus, sur le modèle des éditions
parisiennes de la Ligue, mais datée de 1561, dotée de la même vignette
que celle de Pierre Mesnier.[2]. Une édition probablement de peu
antérieure puisqu’elle n’annonce que 38 au lieu de 39 « articles »
ajoutés à la dernière centurie (VI). On y lit au titre « Prophéties »
et non comme par la suite « Les Prophéties ». Toutefois, le titre de
l’édition Buffet semble tronqué car il manque à la suite de « Dont il
y en a trois cents qui n’ont encores esté imprimées » la suite «
lesquelles sont en ceste présente edition ». Il est donc possible
qu’en réalité, cette édition soit plus tardive et ait été délibérément
antidatée et dotée de « 38 » articles au lieu de « 39 » pour faire
bonne mesure et donner le change. Fort étrangement, les éditions du
Rosne qui sont pourtant à 7 centuries ne comporteront pas cette
mention d’une addition pour 1561 à la sixième (et dernière) centurie,
ce qui est très maladroit de la part des faussaires et cela vaut pour
toutes les pages de titres des premiers volets des éditions Benoist
Rigaud 1568. Cette même vignette est attestée au début des années 1580
en page de titre de l’Almanach et amples predictions pour (..) 1582
composé par maistre Marc Coloni, Paris, Claude Montr’œil, 1582. On y
voit un personnage, assis à un bureau assez massif, doté d’un compas
qu’il dirige vers un astrolabe. Mais le nom de Nostradamus ne figure
pas sur cet almanach Coloni non signalé de ce fait dans les
bibliographies Chomarat et Benazra et que nous avons été le premier à
signaler, alors même que la pièce se trouvait à la Bibliothèque de
Lyon, ville de ces deux bibliographes. Etrangement d’ailleurs, Mario
Gregorio, qui demeure non loin de Londres, ne signale pas cet almanach
anglais pour 1563 sur son site propheties.it.
Le cas Coloni (noter le i et non le y) est assez remarquable puisque
l’Almanach pour 1578 de Iehan Maria Colony, imprimé à Lyon par Nicolas
de la Roue, orné d’un quatrain au titre (sans rapport avec le corpus
centurique, faut-il préciser) comme certains almanachs Barbe Regnault
des années 1560, comporte une autre vignette qui est tronquée par
rapport à la troisième que nous considérons ici. La vignette Jehan
Maria Colony est elle-même attestée mais inversée sur la page de titre
de l’Almanach pour 1561 « composé par le disciple de M. Michel
Nostradamus », Paris, Veuve N. Buffet. Il s’agit probablement d’une
formule tronquée, à savoir (Edmond) Le Maistre, disciple de
Nostradamus ( cf. le Vray Pronosticq fait par le Maistre, disciple de/
Nostradamus pour l'an 1567, Lyon, Benoist Rigaud. 1567). Rappelons que
cette même libraire s’était vue dotée d’une autre vignette pour une
édition antidatée des Centuries, ce qui est somme toute assez
maladroit. On notera qu’il ne s’agit plus ici de Nostradamus mais de
son « disciple » et ce dès 1560. Cette vignette tronquée sera utilisée,
mais inversée, ce qui est assez courant dans ce domaine, pour la
contrefaçon d’une édition Antoine du Rosne 1557, conservée à Budapest,
et dont Gérard Morisse a introduit un fac simile sous le titre «
Nostradamus cet humaniste » en 2004, paru en Hongrie.[3]. En revanche,
une autre édition Antoine du Rosne 1557, retrouvée à la Bibliothèque
d’Utrecht, après la publication des bibliographies de Chomarat (1989)
et Benazra (1990), comporte la vignette entière semblable à celle des
faux almanachs Barbe Regnault (et à sa suite Thibaut Bessault) des
années 1560. La libraire parisienne, la veuve de Nicolas Roffet,
reprendra la dite vignette pour son édition des Prophéties, en 1588
mais avec la mention « jouxte la copie imprimée l’an 1557 »[4] . Or,
c’est cette même vignette qui servira pour la fausse édition Du Rosne
1557 Budapest mais aussi pour la non moins fausse édition Macé
Bonhomme 1555. On signalera la parution en 1558 chez Antoine du Rosne
de la Pronostication nouvelle de maistre Iean Sconners (…) demourant
en Bourgongne (sic) pour 1558[5] avec une vignette encore différente
mais toujours proche de celle de la pronosticaton de Nostradamus.
C’est probablement cette pièce qui aura conduit les faussaires à
choisir Du Rosne comme éditeur des Prophéties. Mais n’est-il pas
concevable si des éditions antérieures de la dite Pronostication
Sconners ont pu exister que celles-ci aient été à l’origine de la
vignette des Pronostications nouvelles de Nostradamus ? Dans ce cas,
les éditions Du Rosne 1557 devraient être abordées autrement. D’une
part, la vignette Budapest est plus proche de celle de la
Pronostication Sconners que la vignette Utrecht tout en en différant
dans un tracé assez maladroit en comparaison, ce qui confirme la
contrefaçon. A noter que Du Rosne 1557 Budapest n’a que 40 quatrains à
la VII alors que Du Rosne Utrecht en a 42 et comporte un second volet
disparu mais annoncé au titre du premier volet. On peut donc penser
que Barbe Regnault aura fait redessiner la vignette Sconners et donc
que la vignettte Du Rosne Budapest n’ait pas été tronquée. C’est
l’almanach Veuve Buffet 1561 qui aurait calqué la Pronostication
Sconners et de là cela aurait servi à la confection de l’almanach J.
M. Colony pour 1578. Le hic, c’est que ce n’est pas par hasard que des
éditions aient été situées chez Du Rosne par les faussaires. Il a donc
bien fallu, en tout état de cause, que cette pièce de Sconners ait été
connue par les dits faussaires, qu’elle ait figuré dans la
bibliothèque mise à leur disposition. Par ailleurs, nous dirons que
c’est la vignette de l’almanach Barbe Regnault qui aura servi pour
Macé Bonhomme, à 4 centuries, et Antoine du Rosne 1557 Utrecht, à 7
centuries. Le second volet ne comportera jamais une de ces vignettes.
Patrice Guinard (Corpus Nostradamus 9) écrit:que la Pronostication de
Jehan Sconners « a pu servir de modèle à la contrefaçon "Antoine du
Rosne" datée du 3 novembre », à savoir l’exemplaire conservé à
Budapest. Mais on voit mal comment l’autre édition Utrecht serait-elle,
auhentique étant donné qu’elle est marquée par une vignette dérivée de
Sconners et donc encore plus tardive que l’édition Budapest, d’autant
qu’elle est à deux volets et donc doit être datée des annéee 1590.
En ce qui concerne l’édition avec le personnage tenant un compas, on
remonte à l’almanach anglais pour 1563 mais il est fort improbable que
l’almanach Marc Coloni (sic) pour 1582 ait été marqué par un almanach
anglais pour qui une telle vignette aurait été conçue. On notera que
la vignette Antoine Crespin Nostradamus, qui diffère encore par le
dessin des autres, comporte, quant à elle, un personnage tenant un
compas à la main droite et un astrolabe à la main gauche, sur la table
une équerre. C’est la seule qui comporte un nom dans son cadre, à
l’instar des Pronostications de Nostradamus. « AC. Nostradamus
Astrologue du Roy « .
Il est bien plus probable qu’un autre almanach ait circulé au début
des années 1560, en français, dont l’almanach anglais serait issu, et
qui aurait donc comporté cette vignette devant servir pour Marc Coloni
puis quelques années plus tard pour Pierre Mesnier, en vue de son
édition des Prophéties..Il est tout de même assez étrange et quelque
peu désinvolte que l’édition Chomarat-Benazra de 1993 de Du Rosne 1557
Budapest comporte en sa page de titre la vignette de l’almanach de
Nostradamus alors que ce n’est pas cette vignette qui est utilisée
pour cette édition des Prophéties..Ce qui nous frappe, au bout du
compte, c’est le fait qu’à aucun moment les faussaires n’aient osé
utiliser la « vraie » vignette Nostradamus et se soient limités à
recourir aux trois « fausses » vignettes. Ce qui est encore plus
extraordinaire, c’est que ce point n’ait pas été considéré à sa juste
importance, par les nostradamologues pour repérer les contrefaçons.
JHB
28. 07. 12
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[1] (Bibl Munich, servant de frontispice au Répertoire de Benazra, à
notre initiative),
[2] Cf reproduction in Catalogue de vente « Nostradamus en son siècle.
Exceptionnel ensemble des éditions des Prophéties et des
Pronostications 1555-1591, Avant propos Michel Scognamillo, Librairie
Thomas Scheler, P. 49
[3] Voir aussi précédemment le travail de Robert Benazra sur le même
exemplaire. Ed M. Chomarat ; 1993
[4] Corpus Nostradamus 65, « L'édition Regnault 1561, modèle des
éditions parisiennes facétieuses de 1588-1589 »
[5] Cf catalogue de vente Scheler, 2010, op. cit. p. 32
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80 - Nouvelles réflexions autour de la Première
Face du Janus François
Par Jacques Halbron
Nous avons consacré un post doctorat au dominicain Jean Giffré de
Réchac, un des pionniers de l’exégése des Centuries, avec notamment
son Eclaircissement des véritables quatrains (1656). Mais celui-ci
avait été précédé par la production de Jean Aimé de Chavigny, à la fin
du siècle précédent, encore que ce dernier ait surtout travaillé sur
les almanachs et les pronostications de Nostradamus, dans le Janus
Gallicus et dans les Pléiades. A contrario, le dominicain n’accordait
aucun intérêt à ces publications pourtant les plus authentiques mais,
il est vrai, déjà du vivant de Nostradamus, souvent contrefaites,
notamment dans des éditions parisiennes, à partir des années 1560.
La parution bilingue (français et latin) de la Première des Faces du
Janus François – la seconde n’étant jamais parue, du moins sous ce
titre - nous interpelle en ce qui concerne la parution du second volet
des Centuries mais aussi à propos du dernier quatrain du premier volet.
Mais un tel recueil prophétique rassemble des éléments très divers
d’autant qu’il est marqué par la dualité linguistique et offre des
problématiques chronobibliographiques complexes.
Même pour ceux qui « croient » à l’authenticité de certaines éditions
Benoist Rigaud 1568, on est en droit de se demander ce qui a pu
conduire à l’intégration en 1594 au sein du commentaire de centaines
de quatrains d’un certain nombre d’entre eux issus du second volet.
Certes, l’on connait une édition lyonnaise par Benoist Rigaud parue en
1594 et une autre par Jaques Rouseau, Cahors, datée de 1590. Mais il
n’en reste pas moins qu’aucune édition connue du « second volet » ne
nous est parvenue pour les années 1580 alors que foisonnent les
éditions du « premier » volet – tant à 300 (et plus) qu’à 600 (et
plus) quatrains au cours de cette décennie.
Où Jean Aimé de Chavigny a-t-il été prendre les quatrains du second
volet, d’ores et déjà numérotés selon les normes du »canon »
centurique ?
¨Par ailleurs, on trouve dans le Janus Gallicus comme on l’appelle
généralement ( alors que le titre est Jani Gallici facies prior) – il
existe une édition au titre français et une autre au titre latin, même
si chacun est bilingue- le quatrain 100 de la centurie VI que l’on ne
trouve dans aucune édition conservée du premier volet, du moins au
XVIe siècle ; La présence de ce quatrain au siècle suivant est
d’ailleurs très probablement due à l’utilisation du Janus Gallicus par
certains libraires troyens.
« Fille de l’Aure, asyle du mal sain
Ou iusqu’au ciel se void l’amphitheatre
Prodige veu. Ton mal est fort prochain
Seras captive & des fois plus que quatre
Le commentaire y voit une allusion à Orange. (Aurantia), victoire sur
les Evangélistes (Protestants) « Il appelle Aurange poétiquement fille
de l’Aure » Cela nous explique-t-il pourquoi ce quatrain disparait de
façon aussi radicale tout au long du XVIe siècle, hormis dans le Janus
Gallicus assez gênant. On peut y voir aussi une allusion à Catherine
de Médicis, fille de Laurent, autre jeu de mots à envisager.
Mais par delà ce quatrain dont on ignore les causes de la suppression,
se pose la question d’une édition d’un premier volet à six centuries
si on l’avait jugé indésirable.
A l’évidence, Chavigny aura eu entre les mains une édition des
Centuries comportant le quatrain VI, 100, lequel précède un
avertissement en latin, originellement intitulé Legis Cautio contra
ineptos criticos et corrompu en Legis Cantio. C’est d’ailleurs sous
cette forme incorrecte (Cantio) qu’on le trouve dans toutes les
éditions du XVIe siècle, du moins celles comportant une VIIe centurie
(en dehors du cas particulier des éditions parisiennes de la Ligue,
1588 -1589 etc). Et cela vaut aussi pour Antoine du Rosne 1557 Utrecht
et Benoist Rigaud 1568 qui à la fois comportent l’avertissement et
sont dépourvues du dit quatrain VI, 100. Chavigny commente à sa
manière cependant ce quatrain dont on peut se demander pourquoi il ne
fut pas plutôt remplacé ou retouché plutôt que supprimé. On notera les
tentatives pour faire passer l’avertissement latin pour le quatrain
VI, 100.
Cette Vie centurie a d’ailleurs été qualifiée de « dernière centurie,
ce qui semble exclure qu’il y en ait eu d’autres, du moins à un
certain stade. Cela est attesté par les pages de titre des éditions
parisiennes de la Ligue. Il faut d’ailleurs prendre l’expression «
dernière » comme excluant, à ce stade, bien évidemment, l’existence
même d’un second volet et donc d’une édition 1568 à 10 centuries, à
moins d’imaginer on ne sait quelle amnésie. Ajoutons que la thèse
d’une édition à 10 centuries dès 1558 semble infirmée par des éditions
indiquant une addition de quatrains à la « dernière centurie » pour
1561 si ce n’est que toutes ces éditions relèvent d’une chronologie
fictive. Autrement dit, l’édition 1558 aurait été produite après
l’édition 1561, l’édition 1557 à sept centuries (Budapest) ne
comportant même pas la mention d’une addition à la sixième centurie
alors même qu’elle dispose bel et bien d’une septième centurie.
Cette édition manquante à six centuries s’achevant par un
avertissement latin correspondrait bel et bien, selon nous, à un
premier processus de clôture du corpus centurique, sur la base de 600
quatrains. Mais là encore, l’indication d’une addition de 300
quatrains au titre du premier volet fait abstraction des 53 quatrains
de la VII déjà en place. On laisse ainsi entendre que l’on serait
passé directement de 300 à 600 quatrains, ce qui est évidemment une
présentation un peu cavalière mais qui souligne le projet d’un
ensemble fermé sur lui-même à 600 quatrains. D’ailleurs, le second
volet ne comporte-t-il pas lui aussi 300 quatrains ? On est un peu mal
aux entournures avec cet appendice de quelques dizaines de quatrains
extra muros qui aurait pu être l’amorce d’un troisième lot de 3
centuries, comme cela avait été le cas de la centurie IV. Les
circonstances en décideront autrement et le second volet se déploiera
dans une sorte d’ignorance de la centurie VII, si ce n’est cependant
que les centuries seront bel et bien numérotées de VIII à X et non de
VII à IX, comme il eut peut-être été préférable esthétiquement. Il y a
bien eu là un problème d’ajustage. D’ailleurs, si l’on admet que ce
second volet se développa parallèlement, il est probable que ces
centuries bis, ouvertes par une épitre datée de 1558 adressée à Henri
II, l’année précédant sa mort, ne furent pas initialement numérotées à
la suite des premières.
Or, à la lecture du Janus Gallicus, tous les quatrains sont à la même
enseigne, non seulement ceux du premier et du second volet mais même
et surtout, comme on va le voir, les quatrains des almanachs, extraits
du Recueil des Présages Prosaïques dont le nom n’empêche pas qu’il
comporte un grand nombre de quatrains au sein duquel « pêche » le
Janus Galliques. On peut cependant se demander si le premier noyau de
ce commentaire n’était pas uniquement constitué – éventuellement par
Jean de Chevigny, au lendemain de la mort de Nostradamus, et non Jean-Aimé
de Chavigny- autour des quatrains d’ almanachs d’ailleurs le premier
quatrain commenté par le Janus Gallicus est censé émaner des almanachs
(« D’un présage sur l’an 1555 ») - avant de puiser dans une nouvelle
génération de près de 1000 quatrains apparus en deux temps, entre 1584
et 1594, grosso modo, le second volet ne s’étant conjoint qu’à partir
de 1590 et ayant subi certaines retouches d’une édition à l’autre,
étant entendu que l’on n’a pas conservé la première édition du second
volet, antérieure au couronnement d’Henri IV à Chartres, début 1594 (ce
qui affectera le quatrain IX, 86, présent sous la forme » Chartres »
dans toutes les éditions connues du second volet, y compris celle de
Cahors, Jaques Rousseau, datée à 1590, vraisemblablement retouchée
tout en gardant la date d’origine.
Un noyau de vers issus des almanachs
Dans un Advertissement au lecteur, on lit :
« Afin que tu ne sois trompé, Lecteur, lisant ceste histoire, je
t’advertis que sont plusieurs quatrains (non tous) qui sur le front
portent le nom & tiltre de telle & telle année, qui n’est pas celle à
qui le presage doibt estre véritablement donné ni en laquelle il est
advenu ou doibt advenir ains est celle en laquelle a esté fait le
Prognostiq, dont j’ay tiré le quatrain Nostre Prophète dez l’an de
grâce 1555 iusques à 67 ayant escrit plusieurs beaux présages qui
nullement n’appartiennent à telles années ains à d’autres advenir
consecutivement, eslongnez les uns de dix ans, vint ans voire de
trente & quarante , les autres plus , les autres moins selon que la
fureur vaticinatrice le transportait etc »
En fait, si on ne se laisse pas influencer par le fait que le
commentaire du Janus Gallicus tel qu’il nous est parvenu inclut un
certain nombre de quatrains « centuriques », l’on serait enclin à
penser que cet Avertissement concerne un commentaire des seuls
quatrains d’almanachs, vu qu’il n’est pas question des autres, ne
serait-ce que par comparaison, du moins dans le dit Avertissement
Or, force est de constater le nombre de vers tirés de quatrains-présages
qui auront fait l’objet d’un commentaire, au sein du Janus Gallicus,
pour se convaincre que les quatrains centuriques ne sont
qu’additionnels et ne sont intégrés que tardivement au sein du
commentaire Il ne suffit pas de calculer combien de quatrains des
almanachs sont utilisés mais de noter à combien de reprises un même
quatrain est commenté pour tel ou tel de ses vers Le commentateur nous
semble en effet particulièrement expert dans l’emploi des quatrains-présages
qu’il combine d’ailleurs, dans certains de ses commentaires, avec la
prose de tel ou tel pronostic pour telle ou telle année
A partir de 1555 – qui est en fait le véritable départ du commentaire,
en dépit de la référence à 1539 - la preuve en est que le premier
quatrain que l’on commente pour 1555 n’est que le neuvième à avoir
fait l’objet d’une étude- la proportion de quatrains d’almanachs est
considérable : on donnera les numéros d’ordre
-pour 1555, 1556, 1557,1558, 1559, 1560 1561,
Quatrains d’almanachs : n°9, 11, 14, 15, 16, 17, 18 19, 20, 21, 22,
24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 40, 41, 42, 43, 44,
46, 47, 48, 49, 52, 54, 56, 58, 59, 60, 61, 63, 67, 68, 69, 70, 71,
77, 79, 80 , soit près d’une cinquantaine sur un ensemble d’un peu
plus de 150 quatrains[1]
quatrains de centuries 10, 12, 13, 23, 36, 37, 38, 39, 45 50, 51, 53,
55, 57, 62, 64, 65, 66, 72, 73, 74, 75, 76, 78, soit vingt cinq sur
1000 quatrains et bien plus si l’on admet que chaque quatrain peut
être utilisé plusieurs fois, du fait qu’il est lui-même constitué de 4
vers
En gros, pour une période de 7 ans, les quatrains des almanachs
constituent la très grande majorité de ce qui sous tend le commentaire
du Janus.
D’ailleurs, dans l’édition de 1596, un développement final (entre
crochets) consacré aux centuries dans la Vie de Nostradamus est
supprimé ou plus probablement ne figure pas encore:
« Nous avons de luy d’autres presages en prose faits (de)puis l’an
1550 iusques à 67 qui colligez par moy la plupart & redigez en XII
livres (…)Ceux-cy comprennent nostre histoire d’environ cent ans &
tous nos troubles (..) [Ceux là, scavoir les Centuries Ceux là,
scavoir les Centuries s’estendent en beaucoup plus longs siecles dont
nous avons parlé en un autre discours sur la vie de ce mesme Auteur,
qui bientost verra la lumiere où nous remettons le Lecteur, ensemble
au dialogue Latin qui cy apres sera rapporté ]» On a l’impression
qu’au départ la Première Face ne concernait que les quatrains-présages
et que les quatrains centuriques, quant à eux, valaient pour la
période située au-delà de 1589, à savoir la Seconde Face du Janus
François. D’ailleurs, dans la « Prognostication sur l’avénement à la
couronne de France d’Henri de Navarre », dédiée à d’Ornano, datée du
19 février 1594 – donc avant le 21 juillet 1594, date des
autorisations de paraitre du Janus Gallicus, à la suite de la
rétractation- reprise à la fin de la Première Face mais qui constitue
déjà l’amorce de la Seconde, il n’est plus fait appel aux quatrains-présages.
Sont commentés les quatrains IV, 14, IX, 2, IX 50, X 18 et X 76, VI
(sans préciser), II, 39, II (sans préciser) ainsi que deux présages en
prose sur l’an 1567, et sur l’ an 1559. Les quatrains présages ne
vaudraient donc que jusqu’en 1589 et vice versa, les centuries ne nous
éclaireraient vraiment que pour après 1589. On sait que néanmoins, une
certaine propotion de quatrains centuriques figureront dans la
Première Face mais, selon nous, ils ont été surajoutés, dans un
deuxiéme temps et l’on pourrait probablement s’en passer. Selon nous,
le commentaire a été mis en place, à une époque où les centuries
n’étaient même pas encore composées en tant que telles. Au départ,
seul le premier train de « centuries » circulait, à savoir l’ensemble
des quatrains des almanachs.(en 12 livres).
Dans le Janus, le titre devient en français « De l’advenement à la
Couronne de France de ‘(…) prince Henry de Bourbon Roy de Navarre »
mais pour le latin on ne rend pas cette idée de couronnement au titre,
il est question de Regis Benigna Fata. Gautheret Comboulot signale[2]
un « Discours sur l’advenement à la couronne de France d’Henry de
Bourbon, roy de Navarre, en français et en latin. Le tout en un seul
volume in 4°. A Lyon, chez les héritiers de Pierre Roussin, que l’on
ne connait qu’au sein du Janus, sous sa forme bilingue. Dans les
Pléiades, Chavigny laisse clairement entendre qu’il a publié
séparément cet ouvrage : « ce qu’avons touché au Traité intitulé, De
vostre advenement, Sire, à la couronne de France, imprimé à Lyon l’an
1594 » (Livre IV, p 120) et il n’indique pas que ce traité serait paru
dans la Première Face, ce qui selon nous correspond à une addition
tardive
Voici comment Chavigny- qui est son propre éditeur et qui se choisit
son propre imprimeur (Pierre Roussin), comme il ressort du privilège,
présente les deux Faces à savoir les deux « Livres » : « Je commence
le premier livre dez l’an 1534 que l’opinion, & secte de Luther est
entrée en France (..) iusqu’à 1589. Et commence le second dez celle
année (..) iusques à 1607 (..) Duquel livre en voicy le commencement &
proposition, que j’en donne au Lecteur, comme un premier goût, tiré de
la Centurie III, quatr. XLVI »
Dans l’epistre à Henri IV du Ier juillet 1594, placée en tête du Janus
François, on nous explique : « Quant au second qui est encore sur
l’enclume & n’est achevé, il sera presques plein de voz gestes Sire,
de voz trophees & victoires sur voz ennemis, de voz expeditions &
conquestes »
C’est également à Paris que paraitra une autre édition du Janus
Gallicus, en 1596, intitulée Commentaires du Sr de Chavigny sur les
Centuries et Prognostications de feu M. Michel de Nostradamus », sans
la partie latine, on a supprimé la date ultime de 1589, celle de la
mort d’Henri III, le dernier Valois, pour « iusques à present » avec
pour perspective l’an 1607. En fait, la Prognostication de
l’Advenement est datée du 19 février 1594. Or, les permissions en tête
de la Facies Prior datent du 21 juil. 1594/ Nous ne pensons donc pas
que la Prognostication soit reprise du Janus Gallicus mais bien plutôt
qu’elle ait été intégrée au sein du dit ensemble. Ce qui nous semble
indiquer que nous n’avons affaire ici qu’à des éditions augmentées du
Jani Gallici Faces Prior, les précédentes ayant disparu. Encore ne
faudrait-il pas situer au même moment la parution de l’édition latine
et de l’édition française.
L’édition bilingue au titre latin que nous connaissons nous semble
plus tardive que .l’édition au titre français. L’édition latine nous
semble avoir été quelque peu élaguée. On n’y trouve plus de référence
à une quelconque rétractation qui aurait été exigée. Bien plus on
reprend certaines attestations en en évacuant la partie concernée par
la dite rétractation, en gardant la date et le nom du signataire.
Texte français : « Considéré la rétractation de ce mot & titre de
Prophete avec la submission benevole de l’Auteur en tout le contenu de
ce livre intitulé La Première face du Ianus François, il ne contient
chose contraire & derogeante à la religion Catholique, Apostolique &
Romaine. Fait à Lyon ce 21 Juillet (sic) 1594. Faber, Docteur en
Theologie
Texte latin : « Librum hunc, cui titulus est Iani Gallici facies prior
attestor nihil continere quod religione Catholica Apostolica Romana
adversetur. Lugduni 21 Iulii 1594 Faber Doctor Theologus »
On a sauté toute la partie se référant à une rétractation tout en
conservant la date du 21 juillet 1594.
Bien évidemment, la version latine datée de 1594 comme la version
française, n’a pas conserve l’adresse de l’auteur « au lecteur
bienveillant (sic) » :
« Si est ce que je ne suis tant opiniastre (..) que je ne veuille
ceder & obéir à l’advertissement qui m’a esté fait par aucuns Docteurs
en la faculté de Theologie de changer ce dit mot de Prophete (..) Pour
ce je t’advise Lecteur que je retracte & n’en pretens user, sinon que
pour grand Prognosticateur & Prediseur simplement (..) Protestant ne
vouloir inserer icy chose qui ne soit conforme à la doctrine de nostre
mere S. Esglise, Catholique , Apostolique & Romaine ».
Au vrai ce texte est assez ambigu car l’on peut comprendre que l’on
pourra se servir du mot « prophete » dès lors que l’on aura précisé
par avance dans quel sens on l’utilisait. Il n’empêche que l’édition
latine préfère ne pas se référer à une telle rétractation tout en ne
se privant pas d’utiliser l’équivalent latin Vates
Car comment expliquer que figure dans la Prognostication de
l’Advenement, il est vrai surajoutée : « ce grand Prophete de nostre
temps, Michel de Nostredame lequel j’avais connu privément autrefois »
ou « Voyez Monseigneur comme ce Prophete persiste en son propos »
Que dire de l’ »avertissement au lecteur » en tête, cette fois, du
Janus François où l’on parle de « ‘Nostre Prophéte, dez l’an de grace
1555 iusques à 67 ayant escrit plusieurs beaux presages » : Faut-il y
voir quelque provocation ?
Signalons aussi à la fin de la Vita Autoris, d’un « Mirificus Vates
dixerit », expression d’ailleurs absente de la traduction française ?
On se perd en conjectures quant à l’entrelacs des éléments d’un
ensemble aussi hybride, comportant des pièces rapportées, augmentées.
On nous explique en tête de l’édition de « Janus François » que
Chavigny se rétracte pour avoir désigné Nostradamus comme « prophéte »
- on peut parler de prophéties mais pas de prophète’ et il faut
préférer le terme de « prognostiqueur » que Chavigny utilisera dans
d’autres œuvres. Mais dans ce cas, comment expliquer que le terme de «
prophéte » n’ait pas pour autant disparu de l’ensemble concerné ? Il
semble, comme on a déjà pu l’observer pour les éditions de la Ligue,
tant à Rouen qu’à Paris, que certains libraires cherchent à écouler
des stocks en se contentant de changer les premières pages.
On peut donc s’essayer à une chronologie de la genèse du Janus
Gallicus en incluant les nombreux chainons manquants :
1 Un commentaire latin uniquement articulé sur les quatrains des
almanachs, avec une traduction française en vis-à-vis, étant entendu
que les quatrains, quant à eux, sont bien traduits du français (disparue)
2 Une édition désignant fréquemment Nostradamus comme Prophète (en
latin Vates) conservée sous un autre titre
3 Une édition (disparue) censurée censée avoir évacuée le terme
Prophète On n’en aurait conservé que quelques pages introductives
concernant une rétractation
4 Une édition ayant évacué les éléments latins (1596) dont elle dépend
en partie mais ayant conservé une présentation ne se référant pas aux
centuries à la fin du Discours sur la Vie de Nostradamus.
5 Une édition augmentée adressée à Henri IV et comportant une annexe
indiquée au titre : « A la fin est adiousté un discours de
l’advenement à la Couronne de France du Roy Tres Chréstien à présent
regnant, ensemble de sa grandeur & prosperité à venir » La mention «
Au Roi », au titre, vise ici le Bourbon, puisque l’ouvrage s’ouvre sur
une épitre à lui adressée et se termine par un Discours sur son
avènement Or, l’édition lyonnaise Roussin Janus bilingue, tant en
français qu’en latin, annonce cette addition En revanche, l’édition
parisienne 1596 (chez deux libraires) ne se réfère plus, optant pour
une cote mal taillée, à l’image du Janus Gallicus Le changement de
titre est également significatif : Commentaires du Sieur de Chavigny
etc.
La traduction latine des quatrains
Si les quatrains sont à l’évidence française et font l’objet d’une
traduction latine, il nous semble, inversement, que les commentaires,
quant à eux, sont traduits du latin et ne font sens que par rapport à
la traduction latine, souvent biaisée, des quatrains français. On
prendra pour exemple les références à Louis (Lodoicus) de Bourbon,
avec chaque fois une « traduction » latine tirée par les cheveux-. Or,
il s’agit d’un prince du sang protestant, oncle du futur Henri IV,
Louis premier de Bourbon, qui naquit à Vendôme en 1530 et fut tué à
Jarnac, le 13 mars 1569.
Prenons le cas du commentaire de VIII, 92 :
LOIN hors du regne, mis en hazard voyage :
Grand ost duira, pour soy l’occupera
Le Roy tiendra les siens captifs hostage
A Son retour tout pays pillera
Ce qui est « traduit » en latin ainsi :
LODOICUS patria cedens petet extera regna
Unde sibi adscicet fulgentes aere cateruas
Pervigili natos Rex sub custode tenebit
Vi, ferroque agros rediens e populabitur omnes
Commentaire français : « Il prend le père pour le fils nommé Henri de
Bourbon, Prince de Condé, qui estant en Allemagne envoya en France
2000 reitres etc » La scène se place en 1562. C’est bien là un
personnage très controversé et il importe de comprendre les raisons de
son instrumentalisation dans le Janus Gallicus, qui se présente, à
plusieurs reprises, tel un ouvrage d’histoire, comme cela est patent
dans le titre latin (Historia). Etrangement, le mot Histoire a disparu
du titre français.On lit ainsi « Nostratem huius temporis historiam
complectens » et « historiam bellorum civilium » mais, en français,
seulement « contenant sommairement les troubles, guerres civiles etc
». Or, le permis d’imprimer- accordé aux deux Faces - mentionne bien «
l’histoire des troubles ». Le terme Histoire ne figurera pas davantage
au titre de l’édition de 1596.
Le quatrain III, 55 « Grand de Bloys son amy tuera » est traduit en
latin « LODOICUS chari eadem accelerabit amici », à propos du Trouble
d’Amboise.(Tumultus Ambasianus). Le même quatrain resservira pour l
»histoire » de 1563.
Pour 1561, on se sert du quatrain présage pour avril 1562
De LOIN viendra susciter pour mouvoir
Pour que le texte latin retrouve LODOICUS
« Par LOIN, il entend Louis de Bourbon, Prince de Condé » devant
Paris, ce qui s’entend mieux à partir de la « traduction » : Omnia
LODOICUS populosam accensus in urbem »
Pour 1567, on prend le quatrain présage pour septembre 1563 :
Des grands deul LVIS trop plus trebuchera avec ce commentaire
« Le Prince de Condé pour estre de sang & maison royale est obligé
davantage à conserver la Couronne & l’Estat : voila pourquoi il peche
& il est en faute » Le texte du quatrain est au départ « l’huis » [3]
rendu par LODOICUS en latin. Toujours pour 1567, l’on se sert du
quatrain II, 28 « LOIN vaquera par serentique teste » qui devient en
latin « LODOICVSQ etc » avec ce commentaire « Loys de Bourbon
demandoit au Roy que le peuple foulé d’imposts fut dechargé ».
Toujours pour 1567, le quatrain pour octobre 1559 qui comporte
BON-BOURG devient BORBONEUS.
‘Les trois Grands hors le BON BOURG sera loing » est ains « expliqué »
: Les trois frères de Coligny se jettèrent aux champs & le Prince de
Condé avec eux » (Condaeus Princeps)
Pour l’an 1568, LODOICUS devient synonyme du parti Protestant et l e
nom de Condé n’apparait même pas au commentaire. Le présage pour
décembre 1567 comportait simplement « LOIN ». : « Les deux armées
Catholiques & Protestants se voyent premierement pres de Loudun »
On en arrive enfin à 1569, année de la mort du Prince. Le quatrain
présage pour 1562 va servir ; « Ieux & festins de LOIN plus reposer »
rendu par LODOICUS avec le commentaire pour Mars 1569 » Loys de
Bourbon Prince de Condé est tué en la bataille donnée entre Bassac &
Iarnac le 13 de ce mois »
Comment comprendre un tel commentaire si l’on part de LOIN et non de
LODOICUS, prénom du prince de Condé ? Le français ne fait ici que
traduire le latin : « Condaeum Principem patrem pro filio, qui
Henricus Borbonius appellatus est etc .Ainsi, à partir de mots comme
Loin ou comme Bloys, le commentateur revient à Louis, tout comme «
grand » ou « grain » le conduisent à Gabriel d’Orges de Montgomery, le
malheureux et dernier adversaire d’Henri II, du fait du jeu de mot sur
»grain d’orge ».. Le commentaire du quatrain III, 30, utilisé pour
1574, année de la mort du Comte ne se comprend que si l’on note la
mention de « grand », au second vers : « Aura porté plus grand que luy
le pris » :
« C’est le Comte de Montgomery, qui aux tournois faits 1559 tua le Roy
Henry II. Sur quoy fut tant celebré (il m’en souvient) ce présage de
l’Auteur qu’il avait avancé dez 1552. Certes le Grain (entendant
d’orge) sera cause de grands mutineries & troubles. Or chacun scait
qu’on appelait autrement ce Comte, le Capitaine Lorges. Le dit Comte
pris de nuit (…) eut la teste tranchée le 16. juin ceste année » Cette
fois, aucun mot n’est mis en majuscules : Il s’agit probablement du
mot « semina » dans « semina belli ».
En fait, les textes latin et français se complètent et sont
indissociables, ils ne peuvent être appréhendés isolément comme cela
se fera en 1596, avec la « réédition » sous le nouveau titre de
Commentaires du Sieur de Chavigny.
Cette manière de mettre certains mot entièrement en capitales-
d’ailleurs tantôt dans le texte latin, tantôt dans le texte français-
se retrouve dans certaines éditions des Centuries comme Macé Bonhomme
1555, Antoine du Rosne 1557 Utrecht, Benoist Rigaud1568, et nous
semble un trait propre aux années 1590, nullement attesté dans la
décennie précédente. Le fait que cela affecte également les quatrains
présages, dans le Janus Gallicus – pratique non confirmée dans les
almanachs de Nostradamus qui nous sont parvenus-(1557, 1562 etc) -
elle n’est pas non plus attestée dans le Recueil des Présages
Prosaïques- nous parait devoir orienter vers Jean Aimé de Chavigny la
piste de certaines contrefaçons, que ce soit directement ou
indirectement. En fait, la façon dont les quatrains présages sont
rendus en latin, dans le Janus Gallicus, révèle que la fin- la raison
d’Etat- justifie tous les moyens, même les plus grossiers- ce qui pose
d’ailleurs le problème plus général des traductions des quatrains vers
d’autres langues, ce qui aura certainement permis d’innombrables
ajustements au cours des siècles, par delà le processus même propre à
tout commentaire, la traduction permettant de porter atteinte à la
matière même du texte, du signifiant. Quant à la façon dont Chavigny
s’autorise à «piocher » dans l’ensemble des quatrains, le verset qui
convient à son propos, cela laisse rêveur mais l’on peut dire qu’il a
fait école. La méthode suivie pour le Janus est d’ailleurs assez
simple à reconstituer : il se sert de chroniques pour telle ou telle
année – citant d’ailleurs ses références comme Jean Le Frère, de
Laval, mort en 1583, auteur de La Vraye et entiere histoire des
troubles et guerres civiles, avenues de nostre temps, pour le faict de
la religion, tant en France, Allemagne que Pays-Bas. Recueillie de
plusieurs discours françois & latins & reduite en dix-neuf livres.
Paris, 1572, 2e éd. 1573-1574 in-8°, en 19 livres, 3e éd, 1575, 4e éd,
1576 avec un 20e livre »[4] ou comme Milles Piguerre, auteur de
L'Histoire de France enrichie des plus notables occurrences et choses
mémorables advenues en ce royaume de France et ès Pays-Bas de Flandres,
soit en paix, soit en guerre, tant pour le fait séculier
qu'ecclésiastique, recueillie de divers mémoires, instructions et
harangues d'ambassadeurs, négociations d'affaires, expéditions de
guerre et autres avertissements particuliers. Paris, 1582. C’est
apparemment cette édition qui aura servi au commentaire du Janus, en
sus de la production de Jean Le Frère de Laval, comme c’est le cas du
numéro 297 du Janus Gallicus, pour la fin de l’an 1579. Le
commentateur va chercher dans les quatrains les versets faisant écho à
tel ou tel événement. Etant donné que l’on cite dans le commentaire le
livre 20 de Le Frère (par exemple au n° 261 du Janus Gallicus pour
1572), le commentateur s’est servi d’une édition qui ne saurait être
antérieure à 1576.
En revanche, le texte latin qui ne donne pas de telles références
pourrait être antérieur ». On se demandera d’ailleurs si certaines
chroniques qui servent à valider certains quatrains n’auraient pas
éventuellement servi à les composer comme ce fut le cas, à la fin des
années 1590 pour les devises de la prophétie de Saint Malachie.[5]
Chavigny nous fournit d’ailleurs son instrument de travail puisqu’il a
classé les vers par ordre alphabétique. Mais de ce fait, l’on peut
considérer que le commentaire n’est pas contemporain de la période à
laquelle on applique tel ou tel quatrain, puisque l’exégète est obligé
d’aller consulter des mémoires. Il nous semble que le propos de
Chavigny reléve d’une volonté de fonder la science historique sur le
prophétisme en utilisant deux ensembles : celui des quatrains
prophétiques et celui des chroniques et en montrant que les dits
ensembles se recoupent, à ce détail près qu’il ne tient pas compte des
dates des quatrains- à commencer par ceux des almanachs qui sont au
cœur de la Première Face du Janus François, et qu’il se permet des
traductions latines des plus audacieuses..
Il semble que le passage du latin vers le français soit également
probable pour le « Brief Discours sur la Vie de M. Michel de
Nostredame » dont certains développements ne figurent que dans la
version latine, dans le Janus Gallicus, notamment en ce qui concerne
Dorat. On notera que selon le titre latin, ce serait plutôt un résumé,
une réduction d’un texte disparu : « Mich. Nostradami Vita in Epitomen
contracta ». On notera que le titre latin se réfère à des quatrains et
non à des Centuries : « Ex decantatissimis illis tetrastichis ». Or,
nous savons que dans la toute première édition, les quatrains
n’étaient pas encore classés en centuries/
Remarquablement, l’édition bilingue au titre français, qui est la plus
composite, ne craint pas de fournir des pièces décalées les unes par
rapport aux autres. On comprend qu’en 1596, on ait cru bien faire en
produisant un contenu élagué et qui plus est sous un nouveau titre,
mais ce faisant, le seul commentaire français ne nous semble pas se
suffire à lui-même. Ce qui est clair, c’est que les trois éditions qui
nous sont parvenues offrent des différences significatives qui ont pu
nous aider à reconstituer peu ou prou la genèse d’un tel recueil.
Il est clair que l’inspiration générale du commentaire est nettement
anti-protestante. On n’y compte plus les coups de griffe à l’encontre
des Evangélistes et des Huguenots, à commencer par ce Louis de Condé,
ce qui laisse entendre que son usage polémique ne saurait dater de
1594, année de réconciliation à la suite de la conversion et du
couronnement d’Henri de Bourbon, déjà roi de Navarre. 1589 ou 1590
semble une probabilité (cf « Le libraire au Lecteur, avis daté du 14
mai 1589). Le libraire n’est ici autre que Jean Aimé de Chavigny
lui-même qui cédera ses droits en 1596 à des libraires parisiens.
Quant à l’Epître à d’Ornano concernant l’avénement à la couronne de
France, elle doit logiquement se situer avant un tel événement puisqu
‘elle se présente comme une Prognostication[6], le titre ayant été
carrément tronqué dans la présentation au sein du Janus Gallicus.. Le
texte daté de 1595 n’est probablement qu’une réédition relative à un
événement passé en date de janvier 1594, à savoir le couronnement à
Chartres..
Pour en revenir aux questions posées au début de cette étude, ce qui
est certain, c’est que l’édition des Centuries dont se sert le Janus
Gallicus n’a pas été conservée pas plus d’ailleurs qu’aucune édition à
six centuries sans addition. Parmi les particularités de l’édition
reprise dans le Janus, on notera que certains quatrains sont
incomplets et d’ailleurs signalés par un astérisque, à moins qu’il ne
se soit agi d’une suppression au niveau du dit Janus Gallicus. Ce
phénoméne des versets tronqués n’est pas une surprise puisque dans les
éditions Benoist Rigaud 1568, le quatrain VIII 52. Ce quatrain
comporte certainement d’ailleurs plusieurs noms de lieux corrompus,
outre le fait que le premier vers figure dans un autre quatrain du
second volet.
Le Roy de Bloys dans Avignon regner
D’Amboise & Seme viendra le long de Lyndre
Ongle à Poytiers sainctes aisles ruiner
Devant Boni.
Ce quatrain, à part la mention d’Avignon, est centré sur la Loire et
la Charente : Blois, Amboise, Indre, Poitiers, Saintes, voire Saumur
(‘Seme) ou Angers (Ongle). On pense évidemment à ces quatrains du
second volet qui empruntent des indications d’itinèraire (cf IX, 86).
Nous proposerons de lire Bonis, qui correspond à la ville de Bonnes,
près de Poitiers. [7]
Dans le Janus, on trouve :
I, 52
Avec un début de vers manquant :
[Peste à l’Eglise] * par le nouveau roy ioinct
VIII, 18
Car les trois Lis luy feront telle pause
Par son fruit sauve*[comme chair crue mueyte]
Apparemment, le travail de réfection du second volet n’aura pas été
mené à son terme. En ce qui concerne le quatrain I, 52, il peut ne
s’agir que d’une censure exigeant la suppression de « Peste à l’Eglise
»
Au XVIIe siècle, certaines éditions troyennes se serviront du Janus
Gallicus pour réaliser un ensemble aussi complet que possible,
incluant les quatrains présages – et ceux là seulement- qui y sont
commentés jusqu’à certains quatrains des éditions parisiennes de la
Ligue, non reprises dans le « canon » rigaldien des années 1590 ainsi
que les quatrains des centuries XI et XII fournis par Chavigny, lequel
affirme que les centuries se répartissent en « XII Centuries de
predictions comprises brievement par quatrains (…) dont trois se
trouvent imparfaites, la VII, XI & XII »faisant pendant aux 12 livres
de quatrains d’almanachs : « Nous avons de luy d’autres presages en
prose, faits puis l’an 1550 iusques à 67 qui colligez par moy la
plupart redigez en XII livres, sont dignes d’estre recomandez à la
postérité » (cf Brief Discours de la Vie de M. Michel de Nostredame»)
Le Janus Gallicus doit être complété par les Pléiades (Pléiades
Françoises, selon le privilège), ouvrage tout entier dédié à Henri IV
et qui fut composé au lendemain de son couronnement, même si l’on n’en
connait pas d’édition avant 1603. On en a d’ailleurs un manuscrit (daté
de 1594) conservé à la Bibliothèque Méjanes (Aix en Provence, MS 451),
Vaticination fort ancienne interprétée du treschrestien Henry IIII Roy
de France et de Navarre et conférée avec les oracles et présages de M.
Michel de Nostradamus, qui est très proche – nous l’avons consulté -
des dites Pléiades[8] Chavigny désigne l’an 1552. D’ailleurs, il est
clairement indiqué que l’on est alors en 1595 : « « Et ia cette année
1595 » (Livre III, p 95) « quant à l’an present 1595 » ( Livre V, p
186). On pourrait même avancer la date pour certains passages puisque
le Livre V a en ligne de mire (pp. 129-130, 180) 1594 et 1595. Qu’on
lise ce passage : « et ne passera l’an de salut 1596 dont nous sommes
si proches que nous le touchons du doigt » (Livre V, p 194) . On peut
même se demander quel intérêt on peut avoir à (re)publier des textes
relatifs à des années déjà écoulées, en 1603, 1606 (deux éditions),
1607, toutes chez Pierre Rigaud, à Lyon- auquel Chavigny avait cédé
ses droits en 1603 comme il l’avait fait en 1596 pour les impressions
parisiennes de la Première Face-- à commencer par l’épitre datée de
1603 adressée au roi (à rapprocher de celle de 1605 de Vincent Séve),
si ce n’est pour indiquer que les pronostics se sont accomplis comme
prévu, encore que l’on puisse penser que certains passages sont
antidatés. D’ailleurs, les notes marginales veillent à montrer qu’il
en a bien été ainsi « Le commentateur (ici Chavigny) escrivoit cecy en
Janvier 15954 » (Livre III, p 92)Si le Janus Gallicus est le
commentaire des quatrains des almanachs et, à moindre degré, des
centuries, les Pléiades sont celui des « présages en prose », soit
deux ouvrages qui s’appuient sur le Recueil des Présages Prosaïques,
daté de 1589, conservé à la Bibliothèque La Part Dieu, à Lyon[9],
édité par le dit Chavigny mais dont on ne connait aucune impression,
mais dont l’on peut raisonnablement supposer qu’il fut bel et bien
publié. D’ailleurs, la présence des présages au sein même du Janus
Gallicus ne fait sens que par référence à un ensemble existant, tout
comme pour les quatrains centuriques. On ne saurait en tout cas
considérer les Pleiades comme la Seconde Face du Janus François car
cet ouvrage y est annoncé comme étant en cours de fabrication mais ne
paraitra pas. Relevons les annonces suivantes : « par ce quatrain III
de sa 5 Centurie qui se trouvera au long expliqué au second livre de
nostre Janus François » (Livre I, p. 9)
Que dire de ce passage de l’Epitre à Alphonse Dornano, consacrée à l’
»Advenement à la Couronne de France » d’Henri de Bourbon, Roy de
Navarre, où l’auteur déclare, d’entrée de jeu, qu’il a « congneu
privément autrefois » Nostradamus, « ce grand Prophete de nostre temps
»[10]? S’agirait-il d’une seule et même personne que Jean de Chevigny
? On notera des similitudes entre l’épitre à Larcher (cf. Androgyn,
antidaté à 1570) du dit Jean de Chevigny et la fin du Brief Discours
de la Vie de Nostradamus C’était, en tout cas, l’intention de Jean
Aimé de Chavigny de le faire croire en se servant de documents comme
le Recueil de Présages Prosaïques, qui émanaient directement de
l’entourage de Nostradamus L’intérêt que Chavigny porte notamment,
dans la Première Face du Janus François, aux quatrains des almanachs
le met en décalage avec le temps de la Ligue, jusqu’à ce qu’il accepte
de prendre en compte les « douze » livres de quatrains centuriques qui
font pendant aux douze livres de quatrains-présages En rappelant qu’il
connut Nostradamus, Chavigny confère ipso facto une certaine
authenticité aux dites Centuries.
JHB
05 08.12
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[1] selon le décompte de B Chevignard, in Présages de Nostradamus,
Seuil, 1999).
[2] Les auteurs beaunois du XVIe au XVIIe sièvle Beaune 1893, p 138
[3] cf Recueil des Présages Prosaïques, cf B. Chevignard Présages de
Nostradamus, Seuil, 1999 qui ne signale pas cette variante dans le
Janus Gallicus.
[4] Cf article Wikipedia, sur Jean Le Frère
[5] Cf Papes et prophéties, Ed Axiome, 2005
[6] Cf l’exemplaire de la Mazarine
[7] Voir aussidans le même dépatement, Bonneuil-Matours
[8] Cf R. Benazra, RCN, pp 137-138
[9] Cf B Chevignard, Nostradamus. Présages en prose, op. cit.
[10] repris p 283 en annexe de la Première Face du Janus François
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