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Researches 61-70 |
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61 - La question des éditions centuriques restituées |
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62 - Le passage des Grandes et Merveilleuses Prédictions aux
Prophéties. |
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63 - Du nouveau sur la genèse des Prophéties du Seigneur du
Pavillon |
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64 - Les révélations de la Préface à César version Besson sur le
statut des quatrains centuriques. |
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65 - La genèse de l’édition Macé Bonhomme des Prophéties de
Nostradamus (1555) |
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66 - Les « livres de prophétie » de Nostradamus |
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67 - Les quatrains et la dialectique signifiant/signifié.
La remise en cause de l’échéance de 3797 |
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68 - De l’Epître au duc d’Alençon à la Préface à César |
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69 - L’évolution du projet de prophéties perpétuelles
nostradamique du XVIe au XVIIe siècles. |
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70 - Plagiat et contrefaçon posthume dans le champ nostradamique.
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Researches 61-70
61 - La question des éditions centuriques restituées
D’une guerre civile à l’autre : le cas du quatrain IX,
25
.
Par Jacques Halbronn
Le développement de la numérisation des documents nous
apparait comme un outil d’exploration remarquable qui
constitue une nouvelle étape faisant suite à la
numérisation des catalogues, il y a une vingtaine
d’années. Car la numérisation ne consiste pas seulement
à pouvoir consulter en ligne des ouvrages mais à
rechercher au sein d’une série d’ouvrages telle ou telle
occurrence/récurrence (notamment par le biais de
Google). C’est ce qui aura singulièrement favorisé la
présente enquête comme cela avait déjà été le cas, il y
a quelque temps, pour la forme « mon fils » au sein de
diverses épitres.
Dans notre travail consacré à l’Eclaircissement des
Véritables Quatrains 1656[13] nous avions montré que
l’on y trouvait des variantes remarquables, notamment e
n ce qui concerne le quatrain IX, 29[14]. Or, on ne
trouve aucune édition antérieure comportant la variante
du dit Eclaircissement et même pas la traduction
anglaise de Théophile de Garancières laquelle reprend
pourtant les ‘explications » de l’Eclaircissement.
On ignore totalement où Jean Giffré de Réchac – (Eclaircissement,
p. 355) a trouvé le quatrième verset de IX, 29. En
revanche, cette variante est attestée en 1668, à Paris
(Jean Ribou), à Amsterdam ( Jean Jannson a Waesberge
etc), en 1689 (BNF Réserve pV 2159) et 1691 dans
l’édition rouennaise de Jean-Baptiste Besongne [15] et
dans celle non datée d’Antoine Besson, à Lyon. On y
notera l’absence de la Préface à César remplacée en
quelque sorte par « La Vie de Maistre Michel Nostradamus
», à la fin de laquelle le nom de César est mentionné «
celuy auquel il a dédié ses Centuries premières ».
Etrangement l’édition d’Amsterdam de l’année précédente
1667 comporte encore la dite Préface.
Curieusement, les deux éditions de 1691 diffèrent en ce
que celle de Besogne conserve la préface à César dans sa
version classique et fautive alors que celle de Besongne
introduit une version qui a tous les signes d’un état
antérieur, plus correct, conforme à l’édition anglaise
de 1672.
Le problème, c’est que l’Eclaircissement comporte le
quatrain IX, 29 correspondant aux éditions d’Amsterdam
1667- 1668 et Paris-Rouen-Lyon ( Ribou- Besongne- Besson)
des années 1689 et seq. tout comme la traduction
anglaise de 1672 donne une traduction d’un texte
français que l’on ne retrouve que chez Besson. Tout
indique, donc, que des documents ont du circuler avant
1656 en sorte qu’ils aient pu être portés à la
connaissance d’un Giffré de Réchac puis en 1672 d’un
Théophile de Garencières. Notons que le début du
processus de la série VCP se situe en 1649-1650, à Rouen
et Leyde, dans lesquelles‘bien que se référant aux mêmes
éditions, on trouve encore le quatrain sous sa forme
rigaldienne (« Prophéties », série P)..
Version Eclaircissement 1656, Amsterdam 1667 1668, Ribou
(Paris, 1668) Besongne/Besson (1689 et seq)
IX, 29
Lors que celuy qu’à nul ne donne lieu
Abandonner viendra lieu pris non pris
Feu Nef par Saignes, Regiment de Charlieu
Seront Guines, Calais, Oye repris
Version « canonique » (1568, Leyde 1650 etc )
Lors que celuy qu’à nul ne donne lieu
Abandonner voudra lieu pris non pris
Feu, Nef par saignes, bitument à Charlieu
Seront Quint, Bales repris.
Nous avions déjà fait remarquer que le milieu du XVIIe
siècle avait été marqué par la réémergence d’états
anciens des Centuries, ce don témoigne outre
l’Eclaircissement de 1656 la traduction anglaise de 1672
de la Préface à César.
Si l’on exclue que le dominicain Réchac ait pu fabriquer
ce verset, force est de constater qu’elle semble plus
conforme à une certaine réalité historique bien connue,
à savoir la reprise Calais et de Guines par les Français
sur une terre qui était devenue anglaise pendant plus de
deux siècles (depuis la Guerre de Cent Ans) et dont le
duc de Guise avait été le principal artisan de la
victoire au début de l’an 1558 au mois de janvier (ou
selon l’ancien style de Pâques 1557). Rappelons qu’une
fois Calais reprise, les soldats anglais se replièrent
sur Guines puis finalement se rendirent et eurent la vie
sauve.
Ce quatrain figure à la fin du second volet des «
Prophéties », celui qui est introduit par l’Epitre à
Henri II, roi qui régnait en ce début d’année 1558,
laquelle épitre est datée de fin juin 1558. On y fête la
« reprise » de Calais. Mais on voit mal le camp d’Henri
de Bourbon, du temps de la Ligue, que nous associons
avec le dit second volet, mettre en avant l’exploit du
duc de Guise, dont la famille trente ans plus tard fait
obstacle aux ambitions du Béarnais. Mais s’agit-il d’une
retouche ou d’une coquille ? On note en effet que le
verset est trop court, ce qui n’aurait pas été le cas
s’il y avait une intervention délibérée.
Mais il n’est pas non plus indifférent, précisément, de
noter que ce quatrième verset ne figure dans aucune
édition connue des Centuries, ceci expliquant peut être
cela. Tout se passe donc comme si Réchac avait eu entre
les mains des quatrains qu’il avait fallu retoucher pour
les besoins de la cause, ce que nous avions déjà fait
remarquer pour IX, 86, avec une retouche qui était alors
intervenue au premier verset. Dans les deux cas, nous
notions que toutes les éditions connues des centuries
comportaient une telle retouche qui visait à annoncer le
couronnement d’Henri IV dans la cathédrale de Chartres
et non celle de Reims.
Selon nous, ces diverses observations nous orientent
vers les premiers états disparus des deux volets, tant
au niveau des épitres que des quatrains et l’édition
Besson nous apparait comme le point ultime cette
résurgence globale, ce qui n’est pas sans nous
interpeller au regard de la chronologie centurique.
Il convient de s’intéresser à la série « Les Vrayes
Centuries et Prophéties » – car son intitulé est le
point commun entre toutes ces éditions que nous
qualifierons de « restituées » sinon de restaurées. Même
l’édition anglaise de 1672 entre bel et bien dans ce
schéma : The True Propheties or Prognostications, même
si elle remplace Centuries par Prognostications. C’est
en fait le qualificatif « Vrai » en anglais True ou «
véritable » (chez Giffré de Réchac) qui est le mot clef
en ce qu’il s’oppose à faux.
Cette série « véridique » n’est au demeurant attestée
qu’à partir de 1649 à Rouen et de 1650, à Leyde (Hollande)
puis à Amsterdam en 1668. En 1649 une première
formulation avec Les Vrayes Centuries de Me Michel
Nostradamus, dont un des éditeurs rouennais en charge
n’était autre que Jacques Besongne, le prédécesseur du
Jean-Baptiste Besongne dont il a déjà été question en
tant qu’éditeur de l’édition de 1691 comportant le
dernier verset du quatrain IX, 29 dans la version que
nous supposons initiale. On note que la présence d’un
adjectif indiquant que l’on va restituer quelque texte
sous sa forme authentique se retrouve justement dans le
titre de l’ouvrage de Giffré de Réchac, Eclaircissement
des véritables quatrains.
Signalons que ces éditions se distinguent par la
présence d’illustrations évoquant certaines prévisions
attribuables aux centuries – ce qui ne se pratiquait pas
auparavant- et l’on peut se demander si cela ne fut pas
une pratique propre aux sources utilisées ;
Notre explication est la suivante concernant le verset 4
du quatrain 29 de la neuvième centurie. La possible
objection que nous avions évoqué plus haut quant au fait
que ce verset ne semblait guère compatible avec l’esprit
du second volet nous conduit à penser que lorsque l’on
publia conjointement les deux volets, des aménagements
ont pu avoir lieu qui n’auront plus respecté le clivage
en question. Quant à la variante du quatrain IX, 25 – et
cela vaut aussi pour une tournure du troisième vers-
elle indique que nous ne disposons dans la plupart des
éditions que d’états encore plus tardifs, ce qui vaut
notamment pour l’ensemble des éditions Benoist Rigaud
1568. Quant au quatrain d’origine, nous n’en connaitrons
probablement jamais la teneur d’origine, en ce qui
concerne le dernier verset de IX, 25. si ce n’est qu’il
devait rimer avec « prins ». On notera que Charlieu est
une ville du département de la Loire qui évoque un
conflit plus ancien opposant déjà deux légitimités, au
XVe siècle, durant le conflit entre les Armagnacs connus
sous le nom d’écorcheurs (parti du roi Charles VII, qui
fut couronné à Reims à l’instigation de Jeanne d’Arc) et
les Bourguignons. La ville de Charlieu se trouvait à la
charnière entre deux zones d’influence, entre la
Bourgogne et Lyon, elle fut donc très exposée, notamment
du temps de Jeanne d’Arc[16] –prise et reprise- et le
théâtre d’exactions de la soldatesque, d’où le mot «
régiment » au troisième verset qui figure dans les
versions non corrompues.
Feu Nef par Saignes, Regiment de Charlieu
C’est dire sa puissance emblématique. Il est probable
que les rédacteurs entendirent établir un parallèle avec
une époque qui n’était pas si éloignée et qui se termina
par la victoire du roi. En quelque sorte, Henri de
Navarre est comparé ici à Charles VII. A l’époque,
c’étaient les Anglais et non les Espagnols et les
Lorrains qui avaient des visées sur la couronne du
Royaume de France..On est très loin des villes et lieux
du Nord de la France. Il s’agit donc bien d’une
interpolation comme dans le cas de Chartres qui ne
correspondaient pas géographiquement aux autres données
géographiques du quatrain IX, 86. Le critère
géographique est certainement un élément essentiel pour
toute étude critique des Centuries
Du fait que ce vers était devenu indéchiffrable, la
référence à 1558 ne figurait plus dans ce quatrain IX,
25. Comme on l’a noté, la reprise de Calais précède de
quelques mois la rédaction supposée de l’Epitre à Henri
II. Mais rappelons que la précédente Epitre au roi date
elle de 1556 [17] au titre des Présages Merveilleux pour
1557. Il aurait fait sens en effet que Nostradamus
s’adressât au roi au lendemain de cet événement
historique mettant fin à cette enclave anglaise. Or, il
s’agit là d’un « faux faux », puisqu’on est en face
d’une retouche d’un quatrain qui ne devait aucunement au
départ se rapporter à une quelconque hagiographie des
Guises, quatrain qui est le fruit, au départ, de la
propagande bourbonienne.
Notre attention est donc attirée par cette ville de
Rouen où s’initie, en 1649, la série des « Vrayes
Centuries » - et dont on connait déjà l’implication dans
les années 1588-1589. (série Grandes et Merveilleuses
Prédictions, Rouen et Anvers). Est-ce la première fois
que le mot Centuries figure au titre principal ?
Signalons cependant un précédent rouennais, celui des
Centuries et Merveilleuse Prédictions de M Michel
Nostradamus, contenant sept centuries etc., chez Pierre
Valentin[18], mais en se référant à une édition
avignonnaise datant de 1611, et se référant à
l’intérieur à Pierre Roux d’Avignon[19], libraire qui
exerça dans les années 1550.
Le recours à partir de 1649 – et ce sera notamment
repris dès 1650 à Leyde avec le titre qui fera fortune
de Vrayes Centuries et Prophéties – à l’idée de « vraies
centuries » selon nous pourrait avoir fait écho à
l’émergence d’une rumeur sous-tendue par la mise en
circulation de versions différentes des épitres et des
quatrains- dont il n’aurait été fait état que
progressivement, qui aurait pu inspirer l’approche
critique d’un Giffré de Réchac. Ce n’est en effet que
peu à peu que les nouveaux/anciens éléments se mettent
en place. On notera en tout cas que la traduction
anglaise de 1672 fait suite à la parution en 16668 de la
première occurrence du quatrain IX 29 restitué tout en
n’en tenant pas compte alors que l’épitre à César est
dans sa forme restituée alors que n’est pas le cas dans
l’édition d’Amsterdam, ce qui est quelque peu
déconcertant.
Il convient aussi de revenir sur un autre débat
concernant l’évocation d’événements antérieurs au XVIe
siècle, ce qui a conduit à des hypothèses comme celle (Janus)
de Peter Lemesurier, selon lesquelles le passé
annoncerait le futur. Nous pensons qu’il serait bon de
tirer une leçon du quatrain « Charlieu » se référant
explicitement à des événements datant de la première
moitié du XVe siècle.
L'explication la plus raisonnable nous semble être la
suivante à savoir le recours à des images du passé pour
illustrer le présent. Rappeler la guerre de Cent Ans,
alors qu’on est à la fin du XVIe siècle est une démarche
ingénieuse. Pourquoi le discours prophétique ne se
servirait-il point d’exemples historiques, d’événements
d’autrefois pour se faire comprendre ? Cela donne plus
de contenu au propos, conférant à la prophétie une
dimension moins abstraite. Evidemment, pour celui qui ne
connait pas ce passé commun, cette mémoire collective
encore vivante, alors à à peine plus d’un siècle de
distance- de la Guerre de Cent Ans, de tels quatrains
n’évoquent rien de précis et sont renvoyés ipso facto à
quelque futur, ce qui est une erreur de perspective. De
nos jours, il est clair que nos références seraient
plutôt situées autour de la Révolution Française et de
l’Occupation allemande pour baliser l’avenir et c’est en
cela que les Centuries nous apparaissent comme un
document quelque peu obsolète en ce début du XXIe siècle
tant une partie importante de ses références ne fait
plus écho que pour quelques érudits, à moins, certes,
que le niveau de culture historique, du fait notamment
d’Internet, monte sensiblement. Il est clair que le
propos nostradamique et pseudo-nostradamique doit être
appréhendé dans son contexte, à savoir que le dit propos
s’appuie sur les acquis supposés de ses lecteurs, ce qui
lui permet de fournir toutes sortes de noms de lieux, de
personnages, ce qui n’est pas possible pour l’avenir.
Nous dirons donc que chaque fois que les centuries
mentionnent des noms propres, cela renvoie au passé, non
pas au nôtre mais à celui des gens de la fin du XVIe
siècle et du début du siècle suivant – qui pouvait
remonter deux siècles en arrière comme de nos jours- à
moins qu’il ne s’agisse d’une sorte de pastiche comme
lors de l’emprunt à la Guide des Chemins de France de
Charles Estienne. Mais même certaines descriptions de la
banlieue parisienne peuvent faire écho à la Guerre de
Cent Ans.[20] Quand on lit une mention explicite de la
Saint Barthélémy, dans tel sixain, il ne s’agit pas de
laisser croire que l’on a annoncé cet événement déjà
bien connu lors de la publication des dits sixains, mais
que l’on annonce quelque chose qui aura à voir avec un
tel drame. Mais bien évidemment, cela ne vaut que si le
discours est postérieur à 1572, ce qui exclut d’office
qu’il puisse être attribué à Nostradamus. Nous pensons
d’ailleurs qu’initialement, avant que l’on produise
l’Epitre à Henri IV datée de 1605-les sixains étaient
censés avoir été composés vers 1600, et il est donc
logique qu’ils puissent, entre autre, se référer à 1572,
dans un souci pédagogique[21].
En ce qui concerne l’historique des éditions centuriques,
force est de constater que l’apport des éditions du
second XVIIe siècle a été éclipsé par un retour vers les
éditions du siècle précédent. Même le quatrain 100 de la
centurie VI n’est guère pris en compte, malgré sa
présence dans le Janus Gallicus (1594) : on ne connait
pas d’édition conservée des Centuries le comportant et
ayant servi à ce commentaire. Tout se passe comme si
l’édition Pierre Rigaud, faussement datée 1566 et qui
parait en 1716, avait établi un canon cristallisant un
certain état des Centuries à un stade intermédiaire qui
ignore tout de l’apport des éditions des années 1690
lesquelles nous restituait un état antérieur à celui des
éditions Benoist Rigaud 1568, tant pour les quatrains
que pour les épîtres. L’érudition nostradamique qui se
développe à partir de la seconde moitié du XIXe siècle (Torné
Chavigny, Le Pelletier) avait pris la dite édition
Pierre Rigaud 1566 (conforme à celle de Benoist Rigaud
mais supposée lui être antérieure) comme référence et
cela est resté ainsi, en dépit de la démystification
intervenue, tout au long du XXe siècle. On a évacué
Pierre Rigaud pour la forme mais on l’a gardée pour le
contenu, hormis quelques éléments nécrologiques qui
d’ailleurs sont étrangement absents des éditions
supposées posthumes des Centuries.
Le quatrain IX, 29 n’est probablement pas le seul à
constituer une variante au sein de la série des Vrayes
Centuries et Prophéties. Une étude comparative
systématique opposant cette série qui n’est pas
nécessairement homogène à une autre série comme celle
constituée des Prophéties Benoist Rigaud 1568 serait
certainement profitable avec ce paradoxe que la série du
milieu du XVIIe siècle comporte des éléments plus
anciens que celle de la seconde moitié du XVIe siècle,
hormis bien entendu les développements exégétiques sur
l’Angleterre, notamment. Ajoutons que plusieurs de ces
éditions du XVIIe siècle (règne de Louis XIV) indiquent
en leur titre « Centuries expliquées par un Scavant de
ce temps » (Remarques Curieuses sur les Centuries. Il
s’agit du chevalier Jacques de Jant dont on retrouve les
initiales ; né en 1626, mort en 1676, il est garde du
cabinet des raretés de Philippe d’Orléans, frère de
Louis XIV[22], donc il a fort pu avoir eu à sa
disposition des éditions correspondant aux états
premiers des Centuries, c’est à dire à des contrefaçons
non encore frelatées et il est possible qu’il soit
l’auteur de corrections annoncées, si ce n’est que ces
textes sont antérieurs à ceux qu’il publiera en 1672 et
1673. On le connait alors pour ses Prédictions tirées
des Centuries de Nostradamus – annonçant des succès
français dans les Provinces Unies (Hollande) - qui
paraissent à Rouen, ville dont on a souligne le rôle
dans l’entreprise de réforme centurique. Il vaut la
peine de citer un passage de l’Avertissement au Lecteur
en tête de certaines éditions de la série VCP (à partir
de 1668):
« Toutes les autres impressions ont esté pleines
d’erreurs, tant par rapport à l’orthographe des mots
qu’à cause de la substance des vers qu’on y a changez à
quoy j’ay remédié dans celle-cy » L’auteur de cet avis
évoque « un thrésor que je peux me vanter de posséder
seul » Le terme Eclaircissement employé à cette occasion
nous évoque l’ouvrage paru anonymement de Giffré de
Réchac dont il semble être la mise en œuvre.
Dans l’édition Amterdam 1667 Daniel Winkermans, on
trouve un autre texte, probablement du même auteur
(Observations sur les Prophéties de M. Michel
Nostradamus) en tout cas dans le même style , débutant
ainsi « De toutes les éditions des Prophéties, je puis
asseurer qu’il n’en a point encore paru de plus
correctes puisqu’elle a été revue avec un très grand
soin sur les plus anciennes & meilleures impressions ».
Au titre de l’édition sont en effet mentionnées diverses
éditons, ce qui confère un cachet scientifique à
l’entreprise « suivant les premières éditions imprimées
à Avignon en l’an 1556 & à Lyon en l’an 1558 », ce qui
tend à confirmer l’existence d’une édition antidatée du
second volet à 1558 (second tome perdu de l’édition
Antoine du Rosne Utrecht). Quant à l’édition 1556, elle
doit correspondre à Antoine du Rosne Budapest, mais
renverrait à l’édition parisienne (perdue) Olivier Harsy
1556 dont elle est une réédition. Il n’est point fait
mention d’une édition 1555, ce qui se comprend car la
préface du Ier mars 1555 pourrait en fait correspondre à
1556 (en style de Pâques). Notons qu’Antoine Couillard
en datant certains de ses textes de janvier 1555 a ses
Prophéties indiquées comme parues en 1556. Un texte date
de juin 1555 peut être ainsi antérieur à un texte daté
de février 1555..On pourrait donc raisonnablement
supposer que les éditions qui sont utilisées par la
série VPC sont celles indiquées de 1556 et 1558 (antidatées).
On devrait y trouver le quatrain IX 29 avec mention de
Calais et Guines et avec « régiment Charlieu » dans
l’édition 1558 et une mouture plus correcte de la
Préface à César dans l’édition 1556, dont éventuellement
Théophile de Garencières se serait servi en 1672. Ce qui
nous frappe est assez équivalent à ce que nous avions pu
observer pour les années 1588-1594, à savoir une mise en
place assez tâtonnante qui se produit entre 1656 et
1691.(entre l’Eclaircisssement de Réchac et l’édition
Besson) avec cette différence majeure que dans le
premier cas, il s’agit d’un processus créatif alors que
dans le second, il s’agit de restituer le dit processus
qui s’est corrompu et dont une partie de la production
(de faux) s’est perdue en route.(Editions 1556 et 1558).
C’est au demeurant un tel scénario que nous proposons,
quant à nous, pour le milieu du XVIIe siècle que
plaquent encore nombre de nostradamologues sur la
production centurique sous la Ligue, considérant, bien à
tort, qu’une première vague centurique aurait eu lieu
dans les années 1550-1560, dates qui correspondent de
fait à celles des éditions mentionnées au titre de la
série VPC..
On note aussi que les éléments biographiques ne figurent
pas dans la série ‘Benoist Rigaud », censée être
posthume alors qu’ils sont en bonne place (repris du
Janus Gallicus mais avec certaines variantes
significatives) dans nombre d’éditions du XVIIe siècle.
On peut se demander si cet élément biographique ne
figurait pas dans les premières éditions disparues tant
il peut sembler étonnant que l’appareil biographique et
exégétique n’ait pris forme que dans le cours du XVIIe
siècle.
[13] Giffré de Réchac et la naissance de la critique
nostradamique, Post doctorat EPHE, 2007, sur
propheties.it cf A. Papillon, « Quelques documents
inédits sur le P. Jean de Réchac », in Archivum Fratrum
Praedicatorum, 1932 pp. 403-414, L’Eclaircisssement n’y
est pas mentionne alors qu’il y est question (p. 413)
d’un ouvrage antérieur qui est considéré comme
fâcheusement influencé par Campanella, le De Regno
temporali Christi. In Lettre de Thomas Turc à Dominique
Le Brun , datant du 5 février 1650. Vour aussi année
1933 de la même revue.
[14] cf Réflexions sur les avatars des quatrains
centuriques aux XVIe et XVIIe siècles (Espace
Nostradamus, ramkat.free.fr
[15] Version numérisée en ligne books.google.fr/books?isbn=1465516883...
[16] Bertrand Schnerb, Armagnac et Bourguignons. La
maudite guerre 1407-1435 ; Paris, Perrin, 2009
[17] cf nos Documents inexploités sur le phénoméne
Nostradamus
[18] cf Chomarat, Bibliographie Nostradamus, Baden Basen
1989, n° 173)
[19] Sur la dualité des éditions Lyon-Avignon, Voir
Daniel Ruzo, le Testament de Nostradamus, ed Rocher ,
1982
[20] Cf . B. Schnerb, Armagnacs et Bourguignons. Op.
cit. pp. 13_-139
[21] cf Noel Léon Morgard, in Documents inexploités sur
le phénoméne Nostradamus, op. cit.)
[22] Vour R. Benazra, RCN, pp. 246-249
JHB
25. 06. 12 |
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62 - Le passage des Grandes et Merveilleuses Prédictions
aux Prophéties.
Par Jacques Halbronn
Le contraste entre les deux épitres centuriques est considérable et
fait en lui-même déjà problème. D’une part, une épitre adressée au Roi
de France, de l’autre une « préface » consacrée à un quasi nouveau né
dont l’entendement est pour le moins limité à moins que l’on n’aille
supposer qu’il en prendra connaissance le moment venu, une sorte de
lettre à retardement, en quelque sorte. Paradoxalement, si l’on se
reporte vingt ans après la mort de Nostradamus, les rôles sont
inversés, Henri II est mort (peu après avoir reçu la dite Epître
supposée lui avoir été envoyée) tandis que César est devenu adulte et
son père, Michel, lui aussi est décédé.
Les faussaires qui auront tenu, par excès de zèle, à produire des
éditions de la Préface à César censées avoir été imprimées au
lendemain même de sa rédaction, à quelques mois près (en se trompant
éventuellement dans un calendrier qui entre temps a changé car ce Ier
mars 1555 ne serait-il pas plutôt, pour nous, un Ier mars 1556 ?),
auront fait fausse route et malgré cela, ils étaient restés jusqu’à il
y a peu dans une totale impunité.
Il nous semble clair que la lettre à César était prévue pour être
posthume. La première phrase est on ne peut plus explicite : « referer
par escript, toy délaisser (un) mémoire apres la corporelle extinction
de ton progeniteur ». On comprend qu’il existe une (fausse) édition
datée de 1566, année précisément de la « corporelle extinction » de
Michel de Nostredame..
Revenons sur le témoignage d’un Antoine Couillard qui parle de « trois
à quatre cents carmes », ce qui correspond au contenu de l’édition de
Rouen 1588 (décrite mais dont aucune copie n’est accessible
présentement) qui n’est pas divisée en centuries et qui comportait
plus de 350 quatrains que l’on peut appeler « carmes ». Nous pensons à
une édition qui peut être antérieure de peu à 1588, l’édition de Rouen
ayant récupéré le contenu d’une édition plus ancienne..
La thèse que nous défendons ici est l’inverse de celle qui est
actuellement répandue chez les nostradamologues, à savoir que si on
est d’ accord sur le fait que l’ouvrage intitulé « Les Prophéties du
Seigneur Du Pavillon » est inspiré, en partie, de la Préface à César,
en revanche, nous ne pensons pas que la date de 1556 soit authentique
; nous pensons que ce livret a été réalisé une bonne trentaine
d’années plus tard.
En ce qui concerne le contenu des Prophéties du Seigneur du Pavillon,
on notera que les similitudes ne concernent que quelques pages, au
début de la « tierce partie » sur les quatre de l’ouvrage. On notera
que Couillard désigne son propre fils sous le nom de Martial alors que
l’on trouve dans la préface « tes moys martiaulx ». Quant au nom de
César, on le retrouve une seule fois chez Couillard.. On note en
passant que l’on nous explique dans les Prophéties du Sgr Du Pavillon
que « prophétiser (c’est) pour mieux dire deviner », ce qui renvoie à
la divination, au divinatoire. En l’espace de quelques feuillets, nous
trouvons concentrées repris toutes sortes de formules qui figurent
dans la Préface à César dont « continuelles vigilations (veilles)
nocturnes ». Il reste que cet emprunt reste discret, et que l’on ne
peut aucunement dire que ces Prophéties du Seigneur du Pavillon
désignent spécifiquement les centuries de Nostradamus dont il existe
en effet des éditions qui portent ce titre de Prophéties, à l’instar
de cette édition Macé Bonhomme.
Une telle discrétion de l’emprunt n’est pas sans nous faire songer au
cas d’un autre Antoine, Crespin dont nous avons montré[1]. Là encore
l’emprunt reste discret, ce qui explique d’ailleurs qu’il n’aura été
signalé que dans les années 1990.[2]
Dans le cas de Couillard, il convient de parler d’une sorte d’emprunt
–plagiat qui n’entrerait nullement dans le projet des faussaires des
éditions centuriques. Le pseudo-Couillard, certes, cite certes
Nostradamus mais il ne dit pas explicitement qu’il a récupéré
plusieurs passages de la Préface à César, éparpillés dans les quelques
pages qui correspondent bel et bien à la dite Préface. Encore faut—il
préciser que cela correspond à la version brève de la Préface (comme
chez Théophile de Garancières et Antoine Besson au XVIIe siècle) et
non aux additions/interpolations qui marquent les autres versions de
la Préface.
Dans le cas Crespin Archidamus (puis Nostradamus), nous pensons que
les « Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation
françoise », Lyon, 1572 – qui comportent à la rubrique des « adresses
» un grand nombre de versets pris de quatrains centuriques ont été
fabriquées dans le cours des années 1590, vu qu’elles comportent des
extraits du second volet et pas seulement du premier. Nous y voyons un
parallèle avec le Janus Gallicus de 1594 mais aussi avec les éditions
à deux volets type 1558 (perdue) et 1568 (antidatée). Là encore, nous
ne pensons pas qu’il s’agisse d’une opération émanant des faussaires
du centurisme mais bien encore une fois d’une sorte de plagiat qui
aura donné lieu à toute une production de plaquettes, certes
attribuées à ce Crespin qui revendique une filiation nostradamique,
mais somme toute assez discrète, encore une fois. On n’est donc ni
avec Couillard ni avec Crespin dans le cas de figure d’une production
s’affichant comme validant l’ancienneté des documents nostradamiques.
Il faudrait plutôt parler d’une forme de parasitisme aux dépens de la
production pseudo-nostradamique, s’entend.. En ce qui concerne Crespin,
son nom n’est pas inconnu sous la Ligue : le libraire Pierre Ménier,
par ailleurs un des éditeurs parisiens des Prophéties 1588-1589 et au-delà,
publiera en 1590, une Prophétie Merveilleuse contenant au vray les
choses plus mémorables qui sont à advenir depuis cette année 1590
iusques à l’année 1598, lesquelles n’ont esté encore mis en lumière
(…) le tout composé par M. Crespin Archiamus (sic) dédiée à Charles X
Bourbon, qui fit l’interrégne entre Henri III et Henri IV.
Les cas de Couillard et de Crespin sont bien différents, par
comparaison, de l’épitre de Jean de Chevigny datée de 1570, consacrée
à la naissance de l’Androgyn, avec les vers de Dorat. Cette fois, la
ficelle est beaucoup plus grosse : on nous y fournit un quatrain
centurique relatif à l’Androgyn (avec sa désignation exacte) et cette
fois, cette affaire émane directement des cercles de faussaires du
centurisme. Mais là encore, il nous apparait que cette épitre de
Chevigny joue la carte posthume : on nous laisse entendre que des
quatrains ont pu circuler après sa mort. Un tel scénario sera
contredit par les éditions 1568 Benoist Rigaud, qui si elles avaient
existé au moment de la dite Epître de Chevigny aurait enlevé tout
intérêt à la mise en circulation du dit quatrain.
En tout cas, ni Couillard, ni Crespin ne sauraient servir à attester
de l’existence préalable des Centuries des années 1550-1560 mais bien
des éditions 1580-1590. Dans le cas Crespin, on notera que dans l’une
de ses nombreuses plaquettes, il est mentionné[3] l’Epitre à Henri II
de 1558 (et non celle de 1556) ce qui montre que les éditeurs de
Crespin avaient sous les yeux le second volet des Centuries que nous
ne situons que dans le cours de la décennie 1590.
Une question se pose : pourquoi a-t-on appelé « Prophéties » ou Vrayes
Centuries et Prophéties, au siècle suivant,, ces centaines de « carmes
», pour reprendre le propos des Prophéties du Seigneur du Pavillon ?
On notera que l’édition Rouen 1588 ne porte pas le nom de Prophéties
mais celui de Grandes et Merveilleuses Prédictions.
Nous avons souligné le fait au cours de nos récentes études qu’Antoine
Couillard (ou celui qui écrit sous son nom) affectionnait le terme «
Prophéties » mais lui-même reconnait (cf supra) que prophétiser est
synonyme de deviner. Nous pensons qu’il s’agit là d’une sorte de
tentative de trouver un terme général pour désigner tout un ensemble
de pratiques et c’est aussi une façon de désacraliser les prophéties
bibliques en montrant à quel point elles s’apparentent à l’Astrologie
ou à tel ou tel « science » divinatoire. D’autres dénominations seront
proposées dans les siècles suivants comme « sciences occultes », «
ésotérisme » mais le corpus Nostradamus témoigne d’une période où le
terme « prophéties » s’étendait sémantiquement et
sociolinguistiquement bien au-delà des Ecritures. On sait à quel point
il est parfois délicat de modifier l’acception d’un mot, ce qui peut
conduire à des emprunts à des mots étrangers ou à l’introduction, plus
ou moins réussie, de néologismes, notamment à partir du grec. Nous
disons donc que Couillard aura voulu lancer un terme générique pour
qualifier un ensemble de techniques visant à « dire » l’avenir. D’où
des formules au pluriel comme « nos nouveaux prophètes » qui dépassent
tout à fait tel ou tel cas en particulier, y compris celui de
Nostradamus.
Nous développerons l’hypothèse inverse de celle exposée plus haut : et
si c’était l’ouvrage de Couillard qui avait servi à formater une
certaine production nostradamique et non l’inverse ? Que l’on nous
comprenne bien, Couillard emprunte à la production pseudo ou post
Nostradamus mais pas forcément en ce qui concerne le mot Prophéties.
Ce serait alors un prêté pour un rendu.
On a rappelé plus haut qu’un autre titre avait existé et qu’il était
probablement plus ancien, du point de vue du projet du revival
nostradamique des années 1580. L’édition Rouen Raphael du Petit Val
portant la date de 1588 comporte probablement le texte le plus ancien
de la série. Il n’est pas encore divisé en centuries mais aligne
simplement des centaines de quatrains, comme le fait remarquer
Couillard sans qu’il ait pris la peine de les compter et d’ailleurs
étaient-ils même numérotés ? On n’en sait rien pour l’heure puisque
aucune copie de cette édition n’est visible alors que l’ouvrage
faisait partie, soit en original soit en microfilm, de la Collection
Ruzo, ce qui n’empêche pas qu’elle ait été décrite par Daniel Ruzo
tant par écrit qu’oralement et en privé (lors du Colloque Nostradamus
de Salon de Provence, 1985On notera aussi l’inversion : » Jean
Dallier, sur le pont S Michel à l’enseigne de la rose blanche » pour
les Antiquitez et « Jean Dallier demeurant à l’enseigne de la Rose
Blanche sur le pont sainct (sic au lieu de S.) Michel » pour les
Propheties. On voit que Benoist Rigaud dont le rôle dans le revival
nostradamique est bien connu n’ignorait nullement l’existence du
Seigneur du Pavillon. On notera qu’en 1585 paraissent les Procédures
civiles et criminelles du Seigneur du Pavillon avec la forme « lez
Lorriz », à une date proche de celle que nous attribuons aux
Prophétiee du pseudo Seigneur du Pavillon. L’étude de la bibliographie
du dit Seigneur nous conduit à penser qu’il est assez improbable qu’il
ait réellement traité des Prophéties et cela vaut aussi pour les
Contreditz de 1560.
Patrice Guinard note (Corpus Nostradamus 49), sans en tirer
d’enseignement, que la date de l’achevé d’imprimer de l’édition Macé
Bonhomme correspond à un an près au privilège de l’édition 1556 des
Prophéties Du Pavillon, dans les deux cas, c’est le 4 mai. Nous
pensons que cette date du 4 mai 1555 a été calquée sur le 4 mai 1556.
En tout état de cause, les deux privilèges sont des faux. Dans les
deux cas le titre de l’ouvrage est réalisé avec une autre police de
caractères que le reste de la pièce, de façon à mettre en valeur les
deux titres.
PROPHETIES DU SEIGNEUR DU PAVILLON
et
PROPHETIES DE MICHEL NOSTRADAMUS
On rappellera que l’on dispose de très peu de privilèges pour les
Centuries de Nostradamus et que l’un des rares cas est justement celui
placé en tête de l’édition Macé Bonhomme.
Est-ce que les deux « Prophéties » ont été contrefaites par un seul et
même faussaire ou est-ce que l’on a affaire à un faussaire copiant un
autre faussaire ?.Pour notre part, nous penchons pour l’heure pour
deux processus parallèles : d’une part les Prophéties Du Pavillon,
inspirées des Grandes et Merveilleuses Prédictions mais ne visant pas
à s’inscrire dans une entreprise de contrefaçon nostradamique – il
s’agit plutôt d’un plagiat- et de l’autre la prise en compte de ces
Prophéties dont on aura cru qu’elles étaient bel et bien de 1556 pour
constituer l’édition Macé Bonhomme.
JHB
30. 06.12 |
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63- Du nouveau sur la genèse des Prophéties du Seigneur du
Pavillon
Par Jacques Halbronn
Quand on entreprend une recherche, il est conseille de la conduire de
la façon la plus systématique et de ne rien négliger, de suivre toutes
les pistes jusqu’au bout. Il est vrai que dans le domaine
nostradamique, il est rare de trouver encore des pièces nouvelles
susceptibles de préciser ou de corriger nos représentations sur ce
corpus. C’est ainsi que depuis vingt ans que nous avons mis au défi
les chercheurs d’apporter des preuves de la circulation des centuries
voire de quatrains des Centuries (à part ceux de l’ almanach pour 1561
qui ont été intégrés dans les éditions parisiennes de 1588 1589), le
bilan est bien maigre et le comble c’est que c’est nous-mêmes qui
avons rapporté les rares éléments significatifs (dans les
Significations de l’éclipse de 1559, dans l’épitre de Chevigny pour
l’Androgyn de Dorat (1570) et surtout en ce qui concerne Antoine
Crespin et ses Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation
française, 1572), au vrai tous suspects d’avoir été antidatés. Et puis
il y a le cas Couillard et celui de Videl qui semblent ne pas pouvoir
s’expliquer sans l’existence de la Préface à César et en quelque sorte,
cela semble suffire à nos nostradamologue hostiles à l’idée d’éditions
antidatées des Centuries avant la période de la Ligue. D’aucuns ont
demandé quel intérêt il y aurait eu à produire autant de ces éditions
et notamment la quantité énorme d’éditions Benoist Rigaud 1568,
soigneusement cataloguée par Patrice Guinard. Nous répondrons que ces
ouvrages se vendaient et qu’ils se vendaient d’autant mieux qu’ils
étaient justement antidatés. Il n’y a donc là rien de contraire à une
logique commerciale. C’est le principe des rééditions, si ce n’est que
l’on garde la date supposée d’origine du moins pour certains tirages
car toute la production n’est pas antidatée et la plupart des éditions
parues sous la Ligue n’ont pas leur équivalent antidaté. On antidate
que sporadiquement, telle édition plutôt que telle autre car
malheureusement pour les faussaires, il y eut tellement d’éditions
successives et différentes- et encore ne les a-t-on pas toutes
conservées ni même identifiées comme cette fameuse édition à six
centuries qui est restée introuvable, celle qui se terminait par
l’avertissement latin-on ne la connait que par des éditions augmentées
et dépourvues du quatrain 100 de la VI- que la contrefaçon antidatée
aurait eu bien du mal à suivre. C’était donc à l’avenant. Un coup, oui,
un coup non...
Pour en revenir au cas Couillard-Du Pavillon, nous nous sommes dits,
pourquoi ne pas aller étudier systématiquement toute la production de
ce personnage, y compris, bien entendu, ce qui n’a rien à voir – du
moins en apparence- avec la bibliographie nostradamique ? Or, il se
trouve que certaines découvertes sont dues à cette pratique de l’école
buissonnière, à la fois dans l’espace (la Guide des Chemins de France
de Charles Estienne) que dans le temps, en amont (Guerre de Cent Ans)
mais aussi en aval. (Période de la Ligue, voir notre communication en
1997 dans les actes des Journées Verdun Saulnier)
Et puis, comme l’a montré Patrice Guinard, quand par exemple il étudie
l’édition Macé Bonhomme des Prophéties, il est bon de s’assurer que
l’édition est conforme aux pratiques du libraire concerné, que l’on y
retrouve ses bandeaux, ses lettrines. Le problème, c’est que cela nous
explique tout autant comment les faussaires ont pu procéder en faisant
du faux avec du vrai.
Patrice Guinard a consacré une de ses études du Corpus Nostradamus à
Antoine Couillard. Il prend la peine de signaler les points communs,
les recoupements entre le texte des Prophétie du Seigneur du Pavillon
et celui de la Préface à César, et puis il signale en annexe d’autres
publications du dit Couillard, il reproduit même la page de titre des
Antiquitez et singularitez du monde, parues la première fois en 1557
ches les mêmes libraires que ceux qui avaient publié les dites
Prophéties du Seigneur du Pavillon les Lorriz.[1] En vérité, Guinard
ne semble pas avoir traité la question de façon vraiment exhaustive.
C’est ainsi qu’il ne reproduit que les pages de titre des éditions
Jean Dallier des Prophéties et des Antiquitez mais non celles des
éditions Antoine Leclerc, l’associé du dit Dallier. Mais surtout, il
ne semble pas qu’il ait pris connaissance du contenu des Antiquitez
car il y aurait trouvé un document qui ne saurait laisser indifférent
un nostradamologue et encore plus un couillardologue. Mais n’allons
point trop vite en besogne.
Dans un précédent article, nous avions commencé à nous intéresser au
rapprochement entre les Prophéties et les Antiquitez et singularitez
du monde, en soulignant une certaine similitude entre les pages de
titre, y compris en ce qui concerne les libraires. .
Nous apporterons ici quelques points supplémentaires :
1 l’édition Antoine Le clercq (BNF pR 40) des Prophéties du Seigneur
du Pavillon ne comporte pas de rose/rosace à la différence de celle de
Dallin (Bib. Arsenal). C’est assez logique puisque c’est Dallin qui
est à l’enseigne de la rose blanche et non pas Le clerc. Toutefois,
l’édition Le clerc des Antiquitez, elle, comporte quand même ce motif
en sa page de titre.[2]
On note aussi que le privilège royal des Antiquitez est pour le seul
Dallin. A propos, on s’étonnera que la page de titre des Antiquitez
comporte la mention « Avec Privilége Royal » alors que celle des
Prophéties du Seigneur du Pavillon tout comme celle d’ailleurs de
l’édition Macé Bonhomme des Prophéties de M. Michel Nostradamus ne
comporte que la mention « Avec privilège » ce qui nous semble être une
anomalie une maladresse qui pourrait être considérée comme une
présomption de contrefaçon. Que penser du fait que le privilège des
Prophéties du Pavillon, quant à lui, est accordé conjointement aux
deux libraires alors qu’à la même époque, puisque les Prophéties et
les Antiquité se suivent à quelques mois près, il avait fallu un
privilège par libraire. Nous y voyons là encore un indice suspect.
Nous avons déjà signalé dans un précédent texte – et cela commence à
faire beaucoup, le fait que les Antiquitez donnent comme auteur du
Pavillon près Lorriz et les Prophéties, du Pavillon les Lorriz, alors
qu’on est censé être dans les deux cas chez les mêmes libraires. Il
est vrai que l’on trouve parfois dans le corps de l’ouvrage la forme «
Du Pavillon les Lorriz », qui est aussi un lieu dit, mais pas au titre
des œuvres de Couillard où c’est la forme « pres Lorriz » qui est de
rigueur. Autre indice encore, la présence de Benoist Rigaud, dont on
connait l’intérêt pour la production néo-nostradamique (il publie
notamment du Crespin Nostradamus/Archidamus). Or, dans les années
1570, c’est le dit Rigaud qui s’occupe des rééditions d’ouvrages de
Couillard, pas des Prophéties ni des Contredits- qui sont datés des
années 1550-1560 mais des Antiquitez (1578). Rigaud avait publié
également en 1573 l’Epistre présentée au tres excellent & invincible
Roy de Pologne par le sieur du Pavillon pres Lorriz et en 1577 les
Procédures civiles et criminelles selon le commun stile de France (BNF
F 32210) d’un certain Anthoine Coillard (sic) de Lorriz, sans que l’on
soit certain qu’il identifiait cet auteur avec le Seigneur du Pavillon.
C’est un ouvrage de jeunesse et l’auteur n’avait pas encore adopté le
nom de Seigneur du Pavillon. Le moins que l’on puisse dire en tout cas,
c’est que le sieur Couillard n’est pas un inconnu pour Benoist Rigaud.
Mais arrêtons-nous sur les Antiquitez & singularitez du monde composé
par le seigneur du Pavillon lez Lorriz, selon la mention du privilège,
à comparer avec Les Prophéties du seigneur du Pavillon lez Lorriz,
formule utilisée dans le Privilége de cet ouvrage. On aurait pu aussi
bien s’attendre à trouver, sur le modèle de ce qu’il y a pour les
Antiquitez, les Prophéties par le Seigneur du Pavillon ou mieux encore
« Prophéties » sans article.
Si l’on compare les éditions 1557 des deux libraires parisiens,
Dallier et Le clerc et celle de Benoist Rigaud, 20 ans plus tard, y
a-t-il une différence dans le contenu ? On retrouve certes le même
Proéme très enlevé, assez truculent de l’auteur mais il y manque la
dernière page qui est un avis du neveu d’Antoine Couillard, un certain
Jean Moireau de Lorriz, lequel s’adresse ainsi, in fine,à son «
débonnaire lecteur »[3]
« Je désire (lecteur amy) et de bon cœur te souhaite autant de soulas,
delectation & plaisir en la lecture de cest œuvre comme j’ay eu
d’ennuy, labeur & peine sous l’autheur (duquel je suis le nepveu) à
minuter, escrire, doubler , redoubler & mettre au net non seulement
les deux livres precedens mais aussi plusieurs autres par luy composez
comme les quatre livres des procedures civiles & criminelles sur le
stil & practique de France, les deux livres des fleurs odoriferantes,
traictant d’exhortations humaines & propos fort louables & sentencieux
: les quatre parties de ses propheties sous lesquelles sont adumbrees
& cachees plusieurs grandes choses & quatre autres livres traitant des
responses aux nouvelles propheties de maistre Michel Nostradamus &
autres astrologues (tu) pourras facilement conjecturer quantes &
quelles peines il a voulu porter pour gratuitement te rendre œuvres
que tu cognoistras non moins copieuses & en fruict abondantes qu’elles
sont à nostre republique de bon exemple tres utiles & necessaires »
Il ne s’agit apparemment pas de l’annonce de la mort de son oncle qui
publiera d’autres textes par la suite comme cette Epistre due à
Couillard vieillissant, adressée au Roi de Pologne, le futur Henri
III, en 1573 : Epistre présentée au tres excellent & invincible Roy de
Pologne par le sieur du Pavillon pres Lorriz, dont une édition est due
à Benoist Rigaud. On a plutôt affaire à une personne chargée de gérer
la publication d’un certain nombre d’ouvrages disponibles à l’état de
manuscrits et qui en dresse une forme d’inventaire lequel n’est pas
sans offrir, on l’avait annoncé, un certain intérêt pour la
nostradamologie mais qu’il importe de traiter avec une certaine
prudence.
Les ouvrages annoncés sont attestés, y compris Les fleurs
odoriferantes
Paris, Loys Begat, 1549, in-8 , que signale Du Verdier, en 1585 mais
qui n’a pas été retrouvé. Mais que vient faire un ouvrage déjà paru en
1549 dans un inventaire de ce qui reste à paraitre en date de 1556. ?
A ce propos, signalons que les privilèges et l’achevé d’imprimer des
Antiquitez sont de février 1556, année de la parution supposée des
Prophéties du Seigneur du Pavillon.
Or, que dit le neveu des dites Prophéties ? Il parle des « quatre
parties de ses propheties sous lesquelles sont adumbrees & cachees
plusieurs grandes choses ». Il ne nous semble pas que cela corresponde
tout à fait au contenu des dites Prophéties du Seigneur du Pavillon,
du moins telles que nous les connaissons. Rappelons à toute fin utile,
qu’Antoine Couillard n’est pas vraiment un plaisantin et que ses
ouvrages, sinon son Prologue, doté d’un certain humour, aux Antiquitez,
sont plutôt dans le genre ardu et sérieux, que ses Antiquitez traitent
de l’Histoire du monde et que ses Procédures civiles et criminelles
selon le commun stile de France ne prêtent guère à rire.
Passons au passage qui mentionne le nom même de Nostradamus : « &
quatre autres livres traitant des responses aux nouvelles propheties
de maistre Michel Nostradamus & autres astrologues ». Cela correspond
visiblement aux Contredits aux faulces & abusifves prophéties de
Nostradamus et autres astrologues qui paraitront à Paris, en 1560,
chez Charles L’Angelier. Le privilège royal (et la Cour du Parlement),
en date de décembre 1559 donne : « Les contredictz du Sgr du Pavillon
contre les faulses propheties de Nostradamus » Nous avons déjà signalé,
dans une autre étude à quel point le contenu de l’ouvrage était décalé
par rapport à son titre, vu qu’il n’y est jamais question en
particulier de Nostradamus. On notera que le neveu n’emploie pas les
adjectifs
« faulses » et ‘ »abusifves » comme épithètes à prophéties de
Nostradamus.
On peut raisonnablement supposer que cet ouvrage est resté inachevé ou
qu’il a été tronqué, mais pourquoi, dans ce cas, avoir conservé un tel
titre ? Si l’on compare ce texte avec ceux de La Daguenière, de
Laurent Videl, d’Hercule le François, qui paraissaient en 1557-1558,
on ne retrouve aucunement les mêmes prises à partie. Au regard de la
production antinostradamique, en dépit de son titre, un tel texte est
insignifiant et ne nous apprend rien sur le dit Nostradamus, dont
pourtant le nom est repris à chaque haut de page. On a l’impression
que l’on a voulu tromper le lecteur sur la marchandise.
Quid de la genèse des Prophéties du sieur du Pavillon telles que nous
les connaissons? Nous pensons que le manuscrit de ces Prophéties
devait en différer sensiblement. Le neveu n’en parle pas comme d’un
ouvrage parodique. Dans les Antiquitez, d’ailleurs, Couillard parle –
au Proéme- de « divine inspiration » et nous serions tentés de penser
que Couillard croit très fermement aux prophéties et qu’il n’est donc
nullement dans son intention d’ironiser à leur sujet ou de les réduite
à de la divination, comme c’est le cas pour l’ouvrage qui nous est
parvenu sous ce nom.
En revanche, nous imaginons fort bien un Benoist Rigaud recycler ces
Prophéties en n’hésitant pas à récupérer des passages ça et là de la
production d’autres auteurs, comme pour un Laurent Videl et sa
Déclaration des abus, séditions et ignorances de Michel Nostradamus de
1558 (Avignon). Pour nous, ces Prophéties ne sont pas celles
auxquelles se réfère, en passant, du Pavillon dans ses Contredits et
dont ignore quel état l’état d’avancement en 1556-1557.
Que l’on nous comprenne bien et évitons, de grâce, les anachronismes :
le public de l’époque n’établit probablement pas de lien avec
Nostradamus. On est bien en face d’un plagiat et non d’un pastiche
comme il est souvent dit. Ce n’est pas parce que de nos jours on a
établi des rapports entre la Préface à César et les dite Prophéties de
Du Pavillon que ce rapprochement fut effectué à l’époque. Il faut
rappeler (cf notre post doctorat, EPHE 2007) que Rigaud avant de
publier du faux Nostradamus publia des auteurs qui imitaient
Nostradamus, qui écrivaient dan son style mais sans être encore dans
une logique de revival qui l’emportera dans les années 1580. Comme
nous l’avons écrit dans une précédente étude, c’est l’édition Macé
Bonhomme 1555 qui se calque sur les Prophéties du Seigneur du Pavillon,
en ce qui concerne son titre, sa vignette et son privilége - avec
l’oubli dans les deux cas de royal après privilége. En revanche, pour
son contenu, elle reprend l’édition de Rouen Raphael du Petit Val 1588
sous la forme centurisée qui est la sienne- avec la préface à César-
et avec l’addition de quelques quatrains (dont le IV, 46), renonçant
ainsi à la forme Grandes et Merveilleuses Prédictions au profit de
celle de Prophéties.. Le privilège en date du 4 mai 1556 est
probablement fantaisiste. Cela impliquerait que les Prophéties soient
parues avant les Antiquitez –où elles sont annoncées - qui sont datées
de 1557. Nous avons relevé un certain nombre d’anomalies concernant
l’édition des Prophéties du Seigneur du Pavillon que nous rappelons :
1 la mention « Avec Privilège » au lieu de « Avec privilège royal »,
formule tronquée reprise telle quelle pour Macé Bonhomme 1555,
2 le double privilège accordé conjointement à Dallin et à Le Clerc
pour la publication des dites Propheties alors que pour les Antiquitez
on avait deux privilèges séparés, la forme « Les Lorriz » au lieu de «
pré Lorriz » qui n’est pas conforme aux parutions de Du Pavillon,
3 l’absence de la rose sur la page de titre de l’édition Le Clerc des
Prophéties alors qu’elle figure pour l’édition Le Clerc des Antiquitez.
Apparemment Le Clerc était dépendant de Dallin.
4 Ajoutons cette forme que nous jugeons inhabituelle, Prophéties du
Seigneur du Pavillon au lieu de la forme « par » que l’on trouve au
titre des Antiquitez. Cette anomalie apparait également pour les«
Contredits du Seigneur du Pavillon les Lorriz en Gastinois aux faulses
& abusifves propheties de Nostradamus », Paris L’Angelier, 1560.
Si l’on prend la production de Nostradamus, on trouve « composé par »
et non « par » ni «de ». Pourquoi, parallèlement, aurait il publié
sous le titre « Les Prophéties de M. Michel Nostradamus » ?
Que s’est-il passé ? Quelqu’un aura pris connaissance de l’inventaire
Moireau dressé en 1556 de l’œuvre de Du Pavillon, a remarqué qu’il
était crédité d’un livre de prophéties, qu’en outre, toujours selon le
même descriptif cet auteur s’était élevé, disait-on, contre les «
nouvelles prophéties de Nostradamus. » et cela aura suffi pour
produire cette contrefaçon faisant référence à la Préface à César
laquelle apparait dans le courant des années 1580, 1588 n’étant
probablement pas l’année de la première parution de celle-ci. Il
faudrait remonter de quelques années. 1586 nous semble être une
estimation raisonnable.
Ce qui nous interpelle, c’est la raison d’être d’une telle publication
car ces Prophéties du Seigneur du Pavillon Les Lorriz datées donc de
1556 (et qui influenceront la production de l’édition Macé Bonhomme
des Prophéties de M. Michel Nostradamus, qui n’était certainement pas
le titre initial de la série, sont un texte assez particulier qui s’en
prend aux « nouveaux prophètes « et pas tant que cela à Nostradamus.
Lorsque sortent ces Prophéties, on n’en est probablement qu’au tout
début du phénoméne des nouvelles Centuries de quatrains (il y eut
d’abord des « centuries » constituées des quatrains des almanachs de
Nostradamus, comme l’atteste la Bibliothèque de Du Verdier (1585), par
les soins de Benoist Rigaud, précisément. C’est une époque où toutes
sortes de publications paraissent et l’on instrumentalise les
Prophéties de Du Pavillon pour attaquer celles-ci dans la Tierce
Partie, ce qui pourrait être une addition au texte d’origine,
manuscrit ou imprimé. Nous sommes donc encore dans les prémisses du
néo-centurisme avec la production d’une toute première édition à
quelques centaines de « carmes », dotée d’une préface à César laissant
entendre que ce sont des textes laissés par Nostradamus à son fils, à
sa mort, selon un scénario bien connu de dévoilement tardif. Et c’est
alors que paraissent coup sur coup sept états liés entre eux :
1 Les Grandes et Merveilleuses Prédictions, avec préface à César et un
peu plus de 340 quatrains
2 Les Prophéties de Du Pavillon, Paris, 1556, qui s’y référent et qui
plagient la dite Préface, elle-même constituée d’éléments récupérés
chez Vide. On mentionne l’existence de trois à quatre cents carmes (ou
quatrains)
3 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus, Macé Bonhomme, 1555. On
choisit cette date pour que cela soit censé paru avant les Prophéties
du Seigneur du Pavillon. Cette fois, les quatrains sont classés en
centuries, quitte à ce que l’Ive n’ait que 53 quatrains. On en a déjà
rajouté au texte des Grandes et Merveilleuses Prédictions, en rapport
avec l’actualité immédiate du conflit dynastique et religieux. (IV,
46)
4 Les Grandes Et Merveilleuses prédictions, en une nouvelle édition se
présentent « divisées en quarte (sic) centuries.
5 Une édition avec une sixième centurie « incomplète » qui nous est
conservée sous des titres plus tardifs ; (première en date connue,
datée de 1561, chez la veuve N. Buffet. « reveues & additionnées par
l’Auteur pour l’an 1561 de 38 articles à la dernière centurie[4]). (cf
notre dossier « Vers une nouvelle approche de la bibliographie
centurique »[5]), avec indiqué à la centurie IV, après le 53e quatrain
–référence directe à l’édition Macé Bonhomme- que d’autres quatrains
ont été ajoutés.
6 Une édition (disparue) à six centuries, qui ne nous est connue que
par des éditions à 7 centuries, avec avertissement latin entre la Vie
et la VIIe centuries.
7 Des éditions à 7 centuries antidatées à 1556, chez Olivier Harsy (disparue)
et 1557 chez Antoine du Rosne (Bibl Budapest) des Prophéties de M.
Michel Nostradamus,
L’on voit que la période de la Ligue puisse largement dans le vivier
des libraires parisiens et lyonnais en activité dans les années
1550-1560, de Dallin à Le Clerc, de Bonhomme à Du Rosne, de la Veuve
Buffet à Harsy sans parler des auteurs comme Videl, Du Pavillon et
évidemment Nostradamus..
Le cas des Prophéties du Seigneur du Pavillon participe d’un tel
processus d’autant que c’est à partir de cette édition que la forme «
Prophéties de M. Michel Nostradamus » s’impose, de façon tout à fait
aléatoire et fortuite, encore provisoirement, à la fin du XVIe siècle.
A quoi aura tenu l’usage qui aura fini par prédominer du mot «
Prophéties » pour désigner le milier de quatrains attribués à
Nostradamus, répartis en 10 centuries ? Nous voyons l’occurrence du
terme dans les textes suivants :
1 Laurent Videl parle de « livres de prophéties » en 1558 à propos de
Nostradamus
2 Le neveu de Du Pavillon signale dans la production en instance de
son oncle outre les Prophéties du dit oncle Couillard ( « les quatre
parties de ses propheties sous lesquelles sont adumbrees & cachees
plusieurs grandes choses «), « quatre autres livres traitant des
responses aux nouvelles propheties de maistre Michel Nostradamus &
autres astrologues » et sur ces entrefaites , en 1560, paraissent les
« Contredits du Seigneur du Pavillon les Lorriz en Gastinois aux
faulses & abusifves propheties de Nostradamus »
3 La Préface à César qui rajoute à Videl «j’ay composé livres de
propheties contenant chacun cent quatrains astronomiques de propheties
», le mot prophéties étant même redoublé.
Mais que sait-on de ce que recouvrait ce terme tant chez Nostradamus
que dans l’inventaire Moireau, dans les années 1556-1558 ? Notons que
certes que l’ouvrage Les Prophéties de M. Michel Nostradamus peut
tenir son titre de la forme « Livres de Prophéties » mais ce n’est pas
sous ce titre qu’il parait d’abord. Nous pensons donc que ce sont les
Prophéties du Seigneur Du Pavillon qui ont ouvert la voie.
Au regard de l’inventaire Moireau, nous notons que le terme Prophéties
est utilisé à l’époque pour de « grandes choses », probalement pas
liées du tout à l’astrologie, puisque Couillard n’est nullement
astrologue ou « devineur ».Il y a visiblement une opposition radicale,
à l’époque, entre Prophéties et Nouvelles Prophéties et c’est ce à
quoi l’on n’aura pas accordé assez d’attention. L’inventaire Moireau
met cela en évidence, faisant se succéder, de façon on ne peut plus
contrastée, dans sa liste les Prophéties de Couillard et sa réponse
aux Nouvelles Prophéties de Nostradamus. Et dans ses Prophéties, Du
Pavillon s’en prend bel et bien aux nouveaux prophètes, ce qui
interfère avec le projet de ses Contredits, comme si ce passage des
Prophéties avait été emprunté aux Contreditz dans lesquels il manque
justement au point de rendre incompréhensible le titre...C’est en fait
cet étrange amalgame qui aura conduit à la forme « Les Prophéties de
M. Michel Nostradamus ».
En tout état de cause, il vaut probablement mieux prendre le terme «
nouvelles prophéties » et même par la suite de « prophéties » au sens
de néo-prophétisme, de prophétisme moderne, par opposition aux
anciennes prophéties bibliques. D’où d’ailleurs des recueils qui
paraissent à la suite du Mirabilis Liber qui se veulent réunir des
révélations tant anciennes que modernes.
Reste la question de ce que recouvre le mot « Prophéties » (sans
adjectif) tant chez Nostradamus que chez Du Pavillon. Peut-être
n’étaient-ils pas si éloignés l’un de l’autre ? Peut être ce qu’on
reproche encore plus à Nostradamus ce sont justement ses Prophéties
qui n’ont plus rien d’astrologique et dont on n’a pas connaissance et
dont il a probablement parlé dans un texte, au début des années 1550,
qui ne nous est parvenu que par le truchement de Videl. Nous
conclurons, jusqu’à nouvel ordre, que c’est du fait de l’inventaire
Moireau de 1556 que le couple de titres Prophéties du Seigneur du
Pavillon et Prophéties de M. Michel Nostradamus s’est constitué dans
les années 1580..
Nous sommes conscients que la lecture de nos études n’est pas toujours
une partie de plaisir. Mais l’exercice pour nous ne se limite pas,
comme chez les autres bibliographes (Ruzo, Chomarat, Benazra, Guinard),
a accumuler des informations brutes mais à les organiser, à les
compléter, à les retraiter, les redater.
JHB
03. 07.12
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[1] CORPUS NOSTRADAMUS 49 - Les Prophéties d'Antoine Couillard (1556)
: Une parodie des Prophéties de Nostradamus
[2] BNF G 18022 (1) Resac Le clerc et Dallier G 11493
[3] – Guinard signale cependant ce J. Moureau :à propos des Antiquitez
: ouvrage: « publié par J. Moireau de Lorriz selon catalogue BnF, vol.
33, 1908) Paris, Jean Dallier, 1557, in-8. Paris, Antoine Le Clerc,
1557, in-8. etc « mais sans avoir pris connaissance de la déclaration
du dit Moireau. .
[4] Nostradamus et son siècle. Exceptionnel ensemble d’éditions des
Prophéties et des Pronostications 1555-1591, Librairie Thomas Scheler.
Catalogue hors série 2010 Avant propos de Michel Scognamillo, p. 49
[5] Revue française d’histoire du livre, Droz, 2011 , n° 132, à lire
également sur le site propheties.it, sous une autre forme à Halbronn’s
researches
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64 - Les révélations de la Préface à César version Besson
sur le statut des quatrains centuriques.
Par Jacques Halbronn
Le grand souci de certains nostradamologue tient au décalage entre ce
que l’on connait de Nostradamus, en dehors des Centuries et les
Centuries elles-mêmes. La tentation fréquente consiste à jouer sur les
mots « Prophétie » « prophétiser » pour laisser entendre que cet
ensemble de 1000 quatrains correspond à un tel intitulé. C’est dire
que la question du prophétisme, de ce que c’est, se pose au cœur même
du débat bibliographique.
Nous travaillerons dans cette étude sur un corpus de trois extraits
comparables de versions de la Préface à César, deux en français et une
en anglais, et sur ces trois versions, deux appartiennent au XVIIe
siècle car il faut attendre ce siècle pour trouver des variantes
vraiment importantes..
L’édition Antoine Besson, qu’il faut situer au début des années 1690,
comporte, en effet, un passage de la Préface à César qui nous invite à
réflexion et que l’on comparera à la mouture »classique » d’une
préface qui annonce « un mémoire « . Or ce qui fait suite à la dite
Préface, dans tous les cas de figure connus ce sont quelques centaines
de quatrains..:
« Par quoi mon fils, tu peux nonobstant ton tendre cerveau comprendre
que les choses qui doivent avenir se peuvent prophétiser par
observations nocturnes des celestes flambeaux en considerant leur
variables circulations qui ont rapport aux choses terriennes. Et par
fois tu y trouveras une souefve delectation ainsi qu’il m’est avenu
mainte fois quelques bons succez, me conjouissant d’ avoir employé mes
nocturnes vigilations à l’ayde desquelles j’ay composé Livres de
Prophéties, lesquels j’ay voulu labourer un peu obscurément, contenant
chacun cent quatrains astronomiques, qui enveloppent perpetuelles
vaticinations pour d’icy es années 1767 »
Version Garencières (Londres 1672)
«Thou may not withstanding thy tender brain comprehend things that
shall happen hereafter and many be foretold by celestial natural
lights and by the spirit of Prophecy not that I will attribute to my
self the name of a Prophet (…) But being surprised sometimes in the
week by a Prophetical humour and by a long calculation , pleasing
myself in my Study, I have made Books of Prophecies, each one
containing a hundred Astronomical Stanza’s which I have joined
obscurely and are perpetual Vaticinations from this year to the year
3797”
Version Macé Bonhomme (Lyon 1555, en fait parue autour de 30 ans plus
tard)
« Par quoy mon fils, tu peux nonobstant ton tendre cerveau comprendre
que les choses qui doivent avenir se peuvent prophetiser par les
nocturnes & celestes lumières que sont naturelles & par l’esprit de
prophétie non que je me veuille attribuer nomination ni effect
prophétique mais par revelee inspiration (…) mais estant surprins par
foys la semaine lymphatiquant & par longue calculation rendant les
estudes nocturnes de souefve odeur , j’ay composé livres de propheties
contenant chascun cent quatrains astronomiques de propheties
lesquelles j’ay voulu raboter obscurément & sont perpétuelles
vaticinations pour d’icy à l’an 3797
Nous ferons en guise de prélude un certain nombre d’observations
A qui s’adresse Nostradamus ? A son fils qui vient de naitre ?
Certainement pas. Il imagine son fils ayant atteint une douzaine
d’années, quand à la mort de son père –(de fait en 1566), il prendra
connaissance du ‘ »mémoire » qu’il lui « laisse ». N’oublions pas que
c’est une pièce contrefaite et réalisée après la mort de Nostradamus
et prétendant se situer à ce moment là, alors que cette pièce date des
années 1580. sauf à admettre qu’il y ait bien eu un tel manuscrit-
testament laissé à sa mort, ce qui est une option à ne pas évacuer
d’office.
Qu’est ce qui nous est dit au regard de la prophétie ? Il semble bien
qu’elle soit ici indissociable de l’observation du ciel, ce qu
correspond à quelque astrosophie. Or, les quatrains, loin de là, ne
sont pas tous à caractère astrologique, c’est même l’exception si l’on
prend pour critère la mention d’une planéte ou d’un luminaire ou d’un
signe zodiacal voire d’un métal correspondant à un astre.. .
Le texte publié par Besson – et par lui seul –car on ne retrouve pas
cette expression dans la traduction anglaise dont il est par ailleurs
si proche- nous apporte un début de solution. Reprenons en un passage
:
« j’ay composé Livres de Prophéties, lesquels j’ay voulu labourer un
peu obscurément, contenant chacun cent quatrains astronomiques, qui
enveloppent perpetuelles vaticinations pour d’icy es années 1767 »
Que signifié « envelopper » sinon « entourer » ? Autant dire que les
quatrains, dans ce cas, ne sont pas les perpétuelles vaticinations,
qu’ils en sont en quelque sorte un prolongement voire un ornement.
Telle n’est pas cependant la version de la traduction anglaise où au
lieu de « qui enveloppent » donne « et sont perpétuelles vaticinations
», ce qui consiste à considérer que ces quatrains sont par eux –mêmes
les vaticinations en question. La leçon Besson nous semble plus
satisfaisante mais qui serait donc l’auteur de cette version améliorée
ou moins dégradée, comme on voudra. ?
C’est le moment de rappeler un certain nombre de points :
La version Besson, dans son ensemble, est souvent beaucoup plus
satisfaisante que la version Bonhomme et ses semblables. Elle a déjà
fait ses preuves mais jusque là elle recoupait le texte anglais.
Quel intérêt y aurait-il pour Besson à introduire ce segment de phrase
alors que le contenu qui fait suite à la Préface ne diffère pas des
autres éditions ? On voit bien que la Préface César-Besson n’est pas
en adéquation, sur ce point, avec le corpus proprement dit.
Cela montre que le texte de la Préface Besson renvoie à un corpus
différent de celui qu’il accompagne et le corpus qui correspondrait,
nous pouvons assez bien le concevoir dans la mesure où il obéit en
gros aux mêmes règles que les almanachs de Nostradamus, à savoir un
alliage de prose et de quatrains, les quatrains en quelque sorte «
enveloppant » les pronostications ou présages mensuels en prose.
Nostradamus aurait ainsi composé des prophéties perpétuelles
agrémentées de quatrains dont il ne serait pas nécessairement,
d’ailleurs, l’auteur comme il ne le fut probablement pas pour ceux de
ses almanachs. On pourrait même, en principe, à partir des quatrains
retrouver certains éléments de la prose comme on peut le faire à
partir des quatrains d’almanachs, appelés présages dans les éditions
centuriques du XVIIe siècle.
Or, nous avons soutenu dans de précédents textes (notamment la série
parue dans la Revue Française d’Histoire du Livre) que vers 1584
étaient reparus, chez Benoist Rigaud (cf. les Bibliothèques de La
Croix du Maine et de du Verdier) des quatrains des almanachs classés
en « centuries » d’une douzaine et non d’une centaine de quatrains.
Il nous apparait que le projet initial dont Besson semble avoir eu
connaissance –selon un cheminement qui nous échappe évidemment- d’une
très ancienne version de la Préface qui s’ouvrait alors sur des
prophéties perpétuelles en prose, complétées par des quatrains. Tels
seraient en fait les Livres de Prophéties dont Videl parle dans sa
Déclaration – formule qu’on ne retrouve pas chez Couilllard. Patrice
Guinard, dans sa comparaison entre les textes de la Préface et celui
de Couillard ne retrouve pas les « Livres de Prophéties » lors du
passage où la mention devrait se trouver pas plus qu’il ne mentionne
les « cent quatrains astronomiques » censés constituer chaque Livre.
Il aurait été bon de comparer ces deux textes avec celui de la
Déclaration de Videl pour montrer que Couillard a plus emprunté – et
pour cause à Videl qu’à la Préface.
Préface à César « Couillard
[26] Mais estant surprins par foys la sepmaine lymphatiquant, & par
longue calculation rendant les estudes nocturnes de souefve odeur,
j'ay composé livres de propheties contenant chascun cent quatrains
astronomiques de propheties, lesquelles j'ay un peu voulu raboter
obscurement : & sont perpetuelles vaticinations, pour d'yci a l'an
3797. "car l'on scayt assez que par limphaticquer ne par longue
calculation & estudes nocturnes, les hommes ne peuvent rien de certain
prophetiser" (III, f.E3r)
"Non pas que j'entende & veille [sic] parler de perpetuelles
vaticinations pour d'ici à l'an 3797." (III, f.D4v)
Déclaration de Videl :
« O grand abuseur du peuple, tu dis que tu as faict de perpétuelles
vaticinations & apres tu dis qu’elles sont pour d’icy à l’an 3797. Qui
t’a assuré que le monde doyve tant durer ? »
Et ailleurs :
« Tu donc Michel as composé (comme tu dis) livres de prophéties & les
as raboté obscurément & sont perpétuelles vaticinations »
En lisant Videl, l’on comprend d’ailleurs pourquoi Couillard ne
mentionne pas les livres de Prophéties à propos des vaticinations
perpétuelles. En effet, ce qui est en un seul tenant dans la préface à
César reléve de deux paragraphes différents chez Videl. Si Couillard
avait eu la Préface sous les yeux, il aurait certainement repris la
formule « livres de prophéties contenant chacun, cent quatrains
astronomiques etc. ». Or, il s’en tient au premier développement : «
Non pas que j’entende (…) parler de perpetuelles vaticinations pour
d’icu à l’an 3797 ». Cependant, le fait que Couillard cite César
montre bien qu’il a pris connaissance d’un document le concernant et
cette fois c’est Videl qui est muet sur le dit César.
Mais revenons à Besson en lui pardonnant le passage à 3797 devenu
1767, coquille puisque Videl confirme 3797 ; Besson nous restitue –
avec son « enveloppement » le projet initial qui n’a pas encore été
oblitéré. Nous pensons que les rédacteurs sont revenus à Videl une
fois abandonné leur projet de quatrains couplés avec de la prose et
cela explique pourquoi la nouvelle formulation se rapproche de celle
de Videl plus que l’ancienne qui s’en était éloignée pour exprimer
autre chose.
Autrement dit, la Préface à César aura été élaguée pour ne plus
comporter une formule qui avait entre temps été abandonnée ou dont on
n’aura gardé que les quatrains sans le texte dont ils sont issus.
Il conviendrait dès lors de procéder à une étude approfondie des
quatrains des almanachs et analyser la façon dont certains passages en
prose se retrouvent recyclés en quatrains en supposant que certains
quatrains des Centuries – parmi les 300 premiers quatrains - soient ce
qui reste sous une forme très réaménagée de développements en prose
perdus à commencer bien entendu par les deux premiers quatrains qui
pourraient tout à fait être un résumé d’un prologue en prose de
Nostradamus..
Ce qui est étonnant avec la Préface à César, c’est qu’en dépit d’un
revirement éditorial, on ait certes coupés certains passages mais
néanmoins conservé la mention de vaticinations perpétuelles qui
n’était plus vraiment de circonstance, les quatrains, à eux tous seuls,
pouvant difficilement assumer une telle charge, d’autant que tout
l’appareil chronologique porté par la prose avait disparu, tout comme
les quatrains des almanachs, réduits à leur seul contenu, ne nous
éclairent pas sur la période qu’ils visent, si ce n’est que dans leur
cas, on aura quand même conservé la mention du mois et de l’année. On
notera que la notion de centurie convient fort bien au genre de la
prophétie perpétuelle si l’on relie un quatrain à une année. En un
siècle, donc en cent ans, cent quatrains. Notons que les Anglais
traduisant le français « siècle » par « century ».
Nous avions toujours été embarrassés par ces quatrains qui ne
semblaient pas faire le poids en tant que constitutifs des
vaticinations perpétuelles tant Nostradamus aime dater tous ses
pronostics. En revanche, l’on peut tout à fait admettre que des
quatrains puissent résumer ou réduire certains exposés très encadrés
chronologiquement, de la même façon que les quatrains des almanachs se
perpétueront en dehors de leur matrice en prose au sein même du
corpus. Mais le problème, évidemment, c’est que ces quatrains détachés
de leur référentiel en prose auront perdu ipso facto leur application
de départ. Ces quatrains dits astronomiques ne le sont que du fait de
leur matrice perdue.
Le mot « prophéties » au pluriel désigne en fait un prognostic en
prose année par année. Mais une fois que le texte en prose a été
évacué, on bascule dans une série de textes en quelque sorte orphelins,
d’où la tentation, pour donner le change, de les considérer comme un
ensemble se suffisant à lui-même et glissant dès lors vers le genre
oraculaire.
Mais revenons à la raison d’être même d’une préface adressée à César.
Dès les premières lignes, l’ouvrage introduit par la préface est
désigné : « un mémoire (…) de ce que la divine essence par
astronomiques revolutions m’ont (sic) donné cognoissance « On note
d’ailleurs la faute d’accord, c’est la divine essence qui a donné
connaissance. On est donc bien face à un document basé sur
l’astronomie et non face à une collection de quatrains, non pas que
ceux-ci n’existent pas mais ils ne sont véritablement qu’un ornement,
un écrin, si l’on veut, une « enveloppe » (Besson) du propos central
et rappelons-le, nous n’avons pas à notre disposition ces fameuses
vaticinations perpétuelles agrémentées de quatrains. Mais Videl, dans
sa Déclaration, ne mentionne –t-il pas, au plus tard, en 1558, de tels
« Livres de Prophéties » comportant « vaticinations perpétuelles » ?
Mais si c’est le cas, veut-on nous faire croire que cet ouvrage ne
serait paru que bien après ? Il y a là une contradiction. On présente
comme nouveau et inédit ce qui est déjà paru et on le fait – ce qui
est un comble, en se servant de la Déclaration qui atteste d’une telle
parution ancienne sans parler du fait qu’au bout du compte, on ne
fournira même pas ces Vaticinations perpétuelles dans leur intégralité
mais uniquement des éléments dérivés qui ne font guère sens par
eux-mêmes, dès lors qu’ils se retrouvent déconnectés de leur matrice
en prose.
En fait, ce qui ne laisse de nous frapper dans tout le phénoméne
centurique, c’est d’une part que les épitres en prose ne sont pas les
clefs des quatrains centuriques et d’autre part, que les quatrains se
substituent aux textes en prose, tant en ce qui concerne la prose des
almanachs (recueillie dans le Recueil des Présages Prosaiques) que
celle des Vaticinations Perpétuelles, ce qui est quand même une forme
de translation du sens vers le non sens qui sera d’ailleurs compensée
par la suite par le commentaire qui lui fait repasser, à partir du
Janus Gallicus (1594), en passant par l’Eclaircissement des véritables
Quatrains (1656) du quatrain vers de la prose.(on connait très peu de
commentaires en vers des centuries). Les centuries nous apparaissent
comme un document qui est désarticulé, qui a perdu sa colonne
vertébrale et le commentaire des quatrains viserait implicitement à la
restituer en intégrant les mots du quatrain au sein d’un texte en
prose, à ce détail près que ce nouveau texte en prose comportant des
quatrains n’est nullement identique à la source des dits quatrains,
tout en rétablissant, tout de même, un certain équilibre qui de loin
pourrait faire illusion. Si l’on n’y prenait garde, l’on pourrait
croire, en effet, que le quatrain est issu du commentaire et non
l’inverse.
JHB
05. 07. 12 |
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65 - La genèse de l’édition Macé Bonhomme des Prophéties
de Nostradamus (1555)
Par Jacques Halbronn
Nos récents travaux nous permettent, pensons-nous, de reconstituer
d’assez près le processus qui aura conduit à la fabrication de
l’édition antidatée à 1555 des Prophéties de M. Michel Nostradamus, à
353 quatrains distribués en 4 centuries.
Commençons par faire le point sur des éléments déjà apportés
précédemment et que nous compléterons grâce à de nouvelles
observations liées au corpus constitué par l’œuvre de Guillaume de La
Perrière[1] et la production du libraire lyonnais Macé Bonhomme.
Nous étions, récemment, arrivés à la conclusion selon laquelle les
quatrains des centuries n’avaient pas pour vocation première de
constituer l’essentiel des Prophéties. En nous appuyant sur la version
Besson, nous avons compris que les quatrains n’étaient censés
qu’accompagner, « envelopper » les « vaticinations perpétuelles »,
texte en prose articulé sur des données astronomiques précises et
explicites. Tout indique en effet dans la Préface à César, qui
témoigne en tout état de cause du projet, quelle qu’en soit la date de
parution ou de rédaction, que la dimension astronomique ait été
incontournable. On parle notamment de quatrains astronomiques ce qui
ne signifie pas selon nous qu’ils aient un contenu clairement
astronomique mais qu’ils sont inspirés de textes en prose qui, eux, le
sont. Tout cela relèverait peu ou prou de la « poésie scientifique »
du XVIe siècle étudiée par un Albert-Marie Schmidt, si ce n’est que la
part d’astrologie dans la lecture astronomique introduit toutes sortes
de digressions au regard de la dimension proprement astronomique ;
Toujours est-il que la partie en prose des Prophéties Perpétuelles a
disparu des éditions des centuries et singulièrement de l’édition Macé
Bonhomme qui correspond par le petit nombre de centuries – quatre- un
état premier. Mais il faut rappeler que l’édition parue à Rouen en
1588 chez Raphael du Petit Val est probablement antérieure par son
contenu, du fait qu’elle n’est pas encore divisée en centuries, malgré
son titre. L’édition Macé Bonhomme correspond au stade de la
centurisation des « carmes » ainsi qu’à une certaine augmentation de
leur nombre de quelques unités, ce qui atteint le nombre de 353
quatrains.
C’est bien là qu’il s’agit de s’intéresser de près au « modèle » Macé
Bonhomme qui aurait, selon nous, été suivi pour constituer – ce qui
est assez logique, l’édition Macé Bonhomme des Prophéties de
Nostradamus. Le texte imprimé par Bonhomme qui nous semble le plus
déterminant est celui qui s’intitule : Les Considérations.
Mais ajoutons qu’il est complété par la Morosophie, du même auteur
chez le même libraire, qui nous apparait comme une cinquième centurie.
Les similitudes entre ces deux volumes sont assez patentes au-delà
même du fait de leur construction en unités de 100 quatrains : 4
unités pour les « Considérations des Quatre Mondes (…) comprinses en
quatre centuries de quatrains « et 1 unité pour la Morosophie
contenant cent emblémes moraux illustrés de cent tétrastiques latins
réduits en autant de quatrains français, on trouve l’année 1551
indiquée dans l’encadrement récurrent même des pages des deux ouvrages,
ce qui ne correspond pas tout à fait à la date figurant en page de
titre. La vignette du personnage placé en tête des deux ouvrages est
la même ainsi que le quatrain qui le jouxte.
Avant d’aborder le cœur de notre propos, on notera que Macé Bonhomme a
coutume d’indiquer à la fin des ouvrages qu’il publie que l’impression
est de son chef. Or, cette indication ne figure pas dans l’édition
Macé Bonhomme 1555 des Prophéties. Sur d’autres points, pas de fausses
notes incontestables. On signalera quand même que Bonhomme indique «
Avec privilège du Roy » sur nombre de ses éditions des années
cinquante alors que l’édition Macé Bonhomme ne comporte – tout comme
d’ailleurs l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest- que la forme «
Avec privilège » qui est cependant attestée dans quelques cas. En ce
qui concerna la rédaction des privilèges, rien non plus de définitif
mais l’on observera quand même que dans nombre de cas que le titre de
l’œuvre est donné, suivi de « composé » ou de « faict » par tel
auteur. Ce qui n’est pas le cas de l’édition Macé Bonhomme dont le
privilège indique « Les Prophéties de Michel Nostradamus », tout comme
on avait « Les Prophéties du Seigneur du Pavillon ». Toutefois, dans
le cas de la Morosophie, le privilège indique bien « La Morosophie de
Guillaume de La Perrière » et on n’exclut pas que ce privilège pour
cet ouvrage ait pu influer sur la rédaction d’un faux privilège
accordé pour les dites Prophéties de Nostradamus.
Mais concentrons –nous désormais sur les Considérations qui sont le
plat de résistance de la présente étude. On note évidement que le
titre de cet ouvrage comporte le mot centuries. Considérations des
Quatre Mondes (…) comprinses en quatre centuries de quatrains « ce qui
n’est pas sans évoquer le titre (cette fois mais non le contenu) des
Grandes et Merveilleuses prédictions (.. ) divisées en quarte (sic)
centuries. Rouen, Raphael du Petit Val 1588[2].
Si l’on compare la page d’introduction de la Préface à César et la
page de la seconde centurie des Considérations, la similitude est
assez flagrante :
- même type de lettrine avec personnage- dans les deux cas un T - même
disposition de la page, présence d’un bandeau, et ce qui nous parait
plus important même mention d’une « Préface ». Car Nostradamus
n’emploie jamais, à notre connaissance, le mot « Préface » dans ses
diverses publications. Or, dans les Considérations, chaque centurie
est précédée d’une préface voire de deux, pour la première, outre
l’épitre initiale.
Venons-en à présent aux raisons qui auront conduit à prendre La
Perrière pour modèle et donc par voie de conséquence Macé Bonhomme, un
de ses éditeurs, qui publie exactement autour de 1555. Ajoutons en
passant qu’en 1555, paraissait chez Mace Bonhomme le Miroir Politicque
de La Perrière (BNF Réserve E* 86) avec la mention « Avec privilège du
Roy » et se terminant par la formule « Imprimé à Lyon par Macé
Bonhomme », laquelle formule manque dans les Prophéties censées parus
en cette même année 1555 chez le même libraire. Le privilège comporte
« Le Miroir Politicque faict par maistre Guillaume de La Perrière » et
non le Miroir Politique de Guillaume de La Perrière » Similitudes donc
mais en même temps, certains décalages, un mélange qui est typique, au
demeurant, des contrefaçons.
Selon nous, le rapprochement délibéré avec la production de La
Perrière n’est nullement innocent. Il vise à banaliser l’existence
d’un tel recueil de quatrains répartis en centuries et ainsi à
entériner l’absence du texte en prose de référence dont les quatrains
dérivent dans le projet initial exposé dans l’épitre - version Besson-
rebaptisée Préface pour renforcer, avec plus ou moins de bonheur, la
conformité.
Dans le cas de La Perrière, nous ne l’avions pas encore rappelé, nous
avons affaire à des « figures », à des emblèmes, dans le style
d’Alciat, comme il est indiqué au titre et ces emblèmes sont dits «
illustrés » par des quatrains (en latin et en français, dualité que
l’on retrouve dans le Janus Gallicus). A contrario, dans les
Centuries, on ne trouve pas d’images et le rôle des quatrains n’est
pas de les « illustrer » mais se réfère à des vaticinations
perpétuelles qui ont disparu en cours de route. Ce qui donne,
évidemment, un résultat assez bancal, d’autant que la vignette
particulière qui figure sur la page de titre est tout à fait unique
chez un libraire qui a d’ailleurs coutume de placer toujours le même
motif sur ses éditions. On notera aussi en passant que l’édition Macé
Bonhomme des Prophéties indique en son titre » Prophéties de M. Michel
Nostradamus » mais en tête de chaque centurie simplement « Prophéties
de M. Nostradamus ».
Tentative donc assez gauche de rapprocher les centuries de Nostradamus
d’un genre ayant justement existé dans les années 1550. Et l’on
comprend mieux, tant qu’à faire, que l’on ait choisi Macé Bonhomme
comme maître d’œuvre supposé de cette édition à 4 centuries. On peut
certes, s’ingénier, à la suite de Patrice Guinard, à souligner à quel
point l’édition Bonhomme des Prophéties est conforme à la production
du dit libraire. Mais cela peut aussi bien en souligner l’authenticité
qu’en signaler l’expédient, le procédé.
Volonté disions-nous de banaliser le fait que l’on présente tous ces
quatrains sans l’appareil astrologico-astronomico-chronologique qui
s’y rapporte. On est même surpris que l’on ait pas accordé plus
d’importance à ces Considérations qui constituent comme une sorte
d’alibi des Prophéties.
Certes, chaque centurie des Considérations, du fait de sa préface,
apporte- t-elle une dimension de prose à l’ensemble. Et nul ne doute
que l’idée de placer une Préface en tête des quatrains prophétiques
n’ait été inspirée par une telle présentation. Mais la préface n’est
pas la matrice des quatrains dans le système La Perrière qui
s’articule sur des emblèmes, y compris dans la Morosophie, dont nous
disions qu’elle en était comme le prolongement, la suite, et en
quelque sorte une invitation à aller au-delà du carcan des 4
centuries, comme l’amorce peut être d’un second volet. Il eut été
heureux que les libraires publient conjointement les Considérations ou/et
la Morosophie avec les Prophéties de Nostradamus. Il semble que l’idée
de départ ait été rapidement oubliée et que l’on ait perdu de vue la
raison d’être d’une telle mise en scène. Les éditions ultérieures
témoignent de l’abandon d’une telle approche. Avec l’essor de
l’exégèse nostradamique, la question va se poser autrement. En quelque
sorte les commentaires des quatrains vont prendre la place des textes
en prose disparus non sans en présenter un aspect assez proche en
apparence puisque de même, selon notre thèse, que les quatrains – et
nous l’avons démontré pour ceux issus des almanachs- recyclent des
mots extraits de la prose, de même les commentaires vont comporter les
quatrains au sein d’un discours en prose. Il y a là comme un tour de
passe passe – et le Janus Gallicus joue un rôle déterminant dans cette
« révolution copernicienne - qui fait perdre de vue le fait qu’au
départ le quatrain n’est pas ce qui est à commenter mais qu’il n’est
qu’une sorte d’illustration –non pas d’emblèmes comme chez La Perrière-
mais de « vaticinations » en prose en rappelant que ce n’est
probablement pas par hasard que l’on a conservé les textes en prose de
Nostradamus, au sein du Recueil de Présages Prosaïques (édité par B.
Chevignard, Ed Seuil, 1999) sans parvenir toutefois à sauvegarder le
texte des Vaticinations Perpétuelles si ce n’est par le truchement de
certains quatrains qui doivent se trouver au sein des premières
centuries et qui renvoient des textes perdus une représentation
difractée. . .
En ce sens, force est de reconnaitre que les premières centuries sont
le reflet éclaté de la prose de Michel de Nostradamus. Comment
pourrait-on distinguer les versets authentiques de ceux qui ont été
interpolés, rajoutés – mieux vaut parler de vers que de quatrains car
comme l’avait noté Videl dans sa Déclaration, à propos des almanachs,
le quatrain est déjà un mode de classement des vers plutôt qu’une
entité d’un seul tenant.
Ces « livres de prophéties » dont le dit Videl se gaussait,
comprenaient, comme une sorte de coquetterie, une série de quatrains
mais ceux-ci n’étaient nullement voués à occuper le premier rang comme
la préface Besson le rappelle. A quel moment les « prophéties
perpétuelles furent elles «traduites » en quatrains ? Nous pensons que
ce fut un travail tardif, sur le modèle des almanachs. Aucun
témoignage d’époque n’a gardé la trace des dits quatrains « perpétuels
». Nous imaginons assez volontiers que ce travail de « mise en
quatrains » des dites vaticinations perpétuelles aura été engagé sous
la Ligue mais ces nouveaux quatrains auront fini par se substituer à
leur référence tant et si bien qu’il ne nous reste plus que des bribes
de la prose de Nostradamus en la matière. Faut-il rappeler que nous
sommes infiniment sceptiques quant à l’intérêt que le dit Nostradamus
ait pu jamais avoir pour la confection de quatrains à partir de ses
textes. C’était là, à ses yeux, une besogne ancillaire qu’il déléguait.
Il n’en reste pas moins que l’on pourrait par un travail archéologique,
tenter de restituer quelque peu de la prose ainsi enfouie sous les
quatrains. Nous pensons notamment au cas des deux premiers quatrains
de la première centurie dont il est assez flagrant qu’ils n’ont pas en
soi de caractère prophétique mais constituent une sorte de prologue.
Comme nous connaissons la source de ces quatrains (cf notre récent
article in Halbronn’s researches, sur propheties.it), il nous est
loisible de noter comment l’on est passé du texte en prose à ces deux
quatrains. Comment Nostradamus se serait-il prêté à un tel exercice,
assez burlesque et dérisoire, œuvre de quelque bouffon, de quelque
bateleur autour de sa prose. Il reste qu’en lisant ces quatrains des
premières centuries, on peut espérer capter la voix déformée de
Nostradamus. Inutile, évidemment, de souligner que les centuries
suivantes ne sauraient même prétendre à une telle grâce.
Annexe iconographique
JHB
06. 07.12
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[1] Cf Alison Saunders, intr. A deux fac similes de La Perrière,
Scolar Press, 1993. : le Théatre des bons engins (en dixains) et la
Morsophie.
[2] Signalons ce commentaire de Patrice Guinard « : Reconstitution de
l'image de la page de titre d'après la version française de l'ouvrage
de Ruzo (1982). L'image figurant en page X du Répertoire de Benazra a
été trafiquée (sic) par Benazra ou par son éditeur Halbronn ("quarte"
pour "quatre"). |
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66 - Les « livres de prophétie » de Nostradamus
Par Jacques Halbronn
Dans une précédente et fort récente étude, nous avons montré qu’à un
certain moment les libraires crurent bon d’associer Nostradamus à
Guillaume de La Perrière par le biais de Macé Bonhomme, du fait de la
présence de quatrains et de centuries dans les deux cas. Cette
tentative fut sans lendemain et le nom de Macé Bonhomme ne fut plus
évoqué par la suite et celui de La Perrière ne fut pas associé à celui
de Nostradamus sous les auspices des centuries de quatrains..
Tout semble indiquer que la partie en prose des Prophéties
Perpétuelles se fût, pour quelque raison, perdue et qu’il n’ait plus
subsisté que leur appendice en vers, ce qui aurait constitué la trame
de départ des éditions centuriques. Cette partie en prose est signalée
par Laurent Videl dans sa Déclaration des abus, ignorances et
séditions de Michel Nostradamus quand il évoque des « Livres de
prophétie »...
En ce qui concerne l’authenticité des Prophéties du Seigneur du
Pavillon les Lorriz, nous avons longtemps tergiversé. L’auteur cite-t-il
quelque texte adressé à César ou seulement Videl lequel ne mentionne
pas le prénom du fils de Michel de Nostredame ? Certes, l’inventaire
Moireau (le neveu d’Antoine Couillard, cf les Antiquitez et
Singularitez du monde du dit Couillard) décrit-il un manuscrit qui
traite de « Prophéties » et d’un autre qui répondrait aux « nouvelles
prophéties de Nostradamus & autres astrologues », présentant ainsi
Nostradamus comme astrologue. Or, paradoxalement le développement le
plus significatif sur Nostradamus, chez Couillard, n’est pas à
chercher dans les Contredits à Nostradamus mais bien dans la « tierce
partie » des Prophéties du Sgr Du Pavillon et de ce fait pas
spécialement bien mis en avant. Le point qui nous intrigue tient, on
le sait, au fait que Couillard se fait l’écho de propos de Nostradamus
sur son fils et à son fils César, ce que n’évoque pas Laurent Videl
dans sa Déclaration..On serait donc tenté de soutenir que cette
évocation et en fait toute la « tierce partie » pourraient avoir été
le fait d’une interpolation tardive et donc d’une réédition des
Prophéties de Couillard qui aurait été conservée si tant est qu’elles
aient été antérieurement imprimées. Le fait que le document Moireau
évoque à la suite de Prophéties cette « réponse aux nouvelles
prophéties de Nostradamus » aura pu générer un mélange entre les deux
manuscrits, l’un évoquant Nostradamus au titre mais pas au contenu et
l’autre traitant de Nostradamus dans le corps de ‘l’ouvrage mais pas
au titre.
Certes, nous ne voyons pas d’inconvénient majeur à ce que Nostradamus
se soit adressé à son fils dans quelque épitre. Mais tout le problème
est de savoir en quoi consistait ce fameux « mémoire » que Nostradamus
a préparé à l’intention de son fils, pour qu’il lui soit transmis
après sa mort. Visiblement, comme il apparait dans les premières
lignes de la Préface, ce mémoire écrit traite de questions
astrologico-astronomiques. S’il s’agit là de vaticinations
perpétuelles, Videl s’en fait l’écho et dans ce cas le mémoire est un
secret de Polichinelle.
Dès lors que Nostradamus promet à son fils qu’il lui transmettra
quelque document majeur, cela suppose que le dit document n’ait pas
été défloré, éventé. La seule explication qui nous vient présentement
à l’esprit est la suivante : les rédacteurs de la Préface à César ont
joué sur deux tableaux : à la fois, ils récupèrent un texte de Videl
qui évoque des « livres de prophétie » et à la fois, ils mettent dans
la bouche de Nostradamus l’intention de transmettre à César les dits «
livres de prophétie », lesquels étaient déjà parus puisque connus de
Videl. Pourrait-on cependant admettre que Nostradamus n’affirme pas
explicitement que ces Livres de Prophétie seraient restés inédits
jusque là ? Cela nous semblerait tiré par les cheveux. Que dire enfin
de l’autre leçon, proposé par Pierre Brind’amour, dans son édition
critique (Droz 1996, p. 2 ) de la production du libraire-imprimeur
Macé Bonhomme. »te laisser le souvenir après ma mort» ? Cela ne nous
avancerait guère. Ce qui est clair, en revanche, c’est que les
concepteurs de la dite Epître à César (et dans la foulée des
Prophéties du Seigneur du Pavillon qui est le seul document
extracenturique à évoquer dans les années 1550 le dit César), avaient
le projet de fournir un document laissé par Nostradamus à sa mort à
l’intention de son fils mais qu’ils furent tentés de proposer en guise
de mémoire un document probablement devenu fort rare, à savoir les
Vaticinations Perpétuelles et dont on ne connait aucune édition mais
qui n’avait pas échappé à l’œil d’un Videl.
Toujours est-il que ce document ne leur sera parvenu que partiellement,
tronqué ou en copie manuscrite, dépourvu du corps principal en prose
et avec les seuls quatrains qui en dérivent. En ce sens, privé d’une
partie de sa substance, les Livres de Prophétie commenceraient une
nouvelle carrière.
Nous admettons désormais que certains quatrains des premières
Centuries, sans être de Nostradamus, ont été réalisés à partir de
textes en prose disparus, et qui constituaient ce qu’on appelle ses
vaticinations perpétuelles avec mention de l’an 3797. Pour quelque
raison, ces quatrains nous seront parvenus et non leur matrice en
prose et il aura donc fallu faire comme si le « mémoire » n’était
censé comporter que les dits quatrains ce qui s’est fait par le
rapprochement avec la production de Guillaume de La Perrière (cf.
supra). Il est à noter d’ailleurs que nous disposons en revanche du
manuscrit du Recueil des Présages Prosaïques. qui est la matrice des
quatrains des almanachs (que l’on peut recouper avec la conservation
d’un certain nombre d’almanachs, de présages et de prognostications
bel et bien parus. Les quatrains des almanachs figurent d’ailleurs à
l’intérieur du dit Recueil. Il est possible que l’on ait conservé à
l’époque un manuscrit des quatrains des Prophéties Perpétuelles sans
leur contrepartie en prose. A ce propos, il est assez évident que dans
la Déclaration de Videl il aura été reproduit des passages de
l’ouvrage disparu en question, qui semble avoir été le seul à
comporter une telle échéance. Nous admettons également que la
confection de ces quatrains dérivés de la prose des dites
Vaticinations ait pu comporter une référence à César Nostradamus, dans
le cadre d’une publication se voulant posthume mais avec une épitre
datée de 1555, au lendemain de la naissance du dit César. Au demeurant,
on trouve ainsi dans la dite Epître qui reprend des passages de la
Déclaration de Videl, des bribes du prologue du texte en prose des
Vaticinations Perpétuelles. JHB
07. 07. 12
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67 - Les quatrains et la
dialectique signifiant/signifié.
La remise en cause de l’échéance de 3797
Par Jacques Halbronn
Quel est le secret du succès des centuries sur plusieurs siècles ?
Nous pensons que Nostradamus eut été bien surpris d’apprendre que son
travail survivrait grâce aux quatrains composés à partir de ses textes
en prose car nous pensons qu’il n’avait que mépris pour de telles
fantaisies. A contrario l’on peut raisonnablement penser que sans ces
quatrains, on ne s’intéresserait plus guère aux propos assez abscons
de Nostradamus, commentant les données astronomiques du moment où se
projetant sur un futur balisé par quelque système astrologique à
vocation perpétuelle ;
Mais que sont devenues les vaticinations perpétuelles que Nostradamus
entend léguer à son fils César – mais qu’en réalité il a divulguées au
début des années 1550 et dont le principe même est de pouvoir servir
des années durant, sur une base astronomique sensiblement plus frustre
que pour les « prophéties » annuelles des almanachs ? Il semble bien
que ce texte se soit perdu, à moins qu’il ne se retrouve repris chez
ses imitateurs et successeurs qui se sont essayé dans le genre
perpétuel, déjà du vivant de Nostradamus. On n’en aura conservé que
les quatrains qui en constituaient l’ornement, l’habillage et qui
furent composés d’extraits de ses textes en prose, ce qui permet de
dire qu’en lisant les premières centuries on lit certes du Nostradamus
mais dans le désordre mais en rimes, c'est-à-dire dans un nouvel
agencement qui confère une fausse impression d’unité...
Il vaut la peine de comparer cette situation au regard du Recueil de
Présages Prosaïques qui était prêt à publier, comme le montre la
maquette de la page de titre et dont il semble que cela ne se soit
finalement pas fait, sans que l’on puisse toutefois exclure totalement
sa parution.
Ce Recueil est le pendant, jusqu’à un certain point, du Janus Gallicus,
ne serait-ce que par le biais d’un Jean Aimé de Chavigny dont le nom
figure dans les deux cas sur la page de titre. L’un est comme son nom
l’indique est consacré à la prose de Nostradamus, l’autre à ses
quatrains. On retrouvera quelques éléments de cette prose dans les
Pléiades du même Chavigny, Beaunois comme Claude Dariot. Le problème,
c’est que si l’on su conserver, à la fois par l’imprimé et par le
manuscrit le contenu des publications annuelles, cela n’aura pas été
le cas pour les Prophéties perpétuelles, du moins en ce qui concerne
le volet en prose tant et si bien que, l’un dans l’autre, l’on connait
très mal la prose de Nostradamus, hormis celle, controuvée, des textes
adressés à César en 1555 et à Henri II, en 1558. Il semble assez
illusoire de prétendre pouvoir remonter des quatrains vers la source
dont ils émanent si ce n’est dans quelques cas où l’origine d’un
quatrain aura été identifiée, ce qui est notamment le cas des deux
premiers quatrains de la première Centurie. Mais déjà l’examen de ces
deux quatrains nous donne une idée de l’ampleur de la distorsion
opérée.
Il est probable que certains quatrains comportant un contenu
astrologique ont été calqués sur des passages de la prose de
Nostradamus, laquelle a parfois été inspirée par la lecture de tel ou
tel traité comme celui d’un Richard Roussat, De l’Estat et mutation
des temps. Ce qui signifie qu’il ne faut pas nécessairement y chercher
quelque cohérence dans la mesure où ces quatrains transforment,
transfigurent le texte en prose dont ils dérivent.
Il est clair que le style de Nostradamus n’a rien à voir avec celui
des quatrains. Il suffit de comparer avec les textes en prose dont
nous disposons, du moins ceux qui ne sont pas suspects. A noter que
les épitres de Nostradamus ne figurent pas dans le Recueil des
présages prosaïques. On en trouvera trois dans nos Documents
inexploités sur le phénoméne Nostradamus
Face à ces centaines de quatrains et ces milliers de vers, il est bien
difficile, cependant, de définir des critères pour séparer ce qui
serait le plus certainement tiré de la prose de Nostradamus. Mais l’on
connait peu ou prou le langage des Prophéties perpétuelles, genre qui
s’est notamment illustré au XVIIIe siècle avec celles de Moult. L’on
notera qu’en 1866, pour le tricentenaire de la mort de Nostradamus,
parait un triptyque, chez Delarue, constitué des Centuries (version
Chevillot), du Recueil des Prophéties et Révélations et des Prophéties
Perpétuelles du dit Moult (nom du à une erreur de lecture). On
retrouve ce langage dans les formules lapidaires que l’on trouve
insérées dans les mois du calendrier et dont les adversaires de
Nostradamus se gaussent mais aussi dans les quatrains des almanachs.
Un quatrain assez typique nous semble figurer dans la troisième
centurie, le soixante-dix septième.
‘
»Le tiers climat sous Aries comprins
L’an mil sept cens vingt & sept en Octobre
Le Roy de Perse par ceux d’Egypte prins
Conflit, mort perte à la croix grand opprobre »
On y trouve une des très rares dates (mois et année) figurant dans les
Centuries, (épitres exclues) et une telle date relativement éloignée
ne peut qu’appartenir au registre du prophétisme perpétuel.Or, ce
quatrain appartient précisément au groupe des trois premières
centuries.
Ce très faible nombre de dates dans les Centuries est assez paradoxal
pour des quatrains supposés issus de prophéties perpétuelles et l’on
est en droit de penser que les dates auront été censurées dans un
deuxième temps. On aura oublié par mégarde le III, 77. Certes, les
mentions de planétes, de signes zodiacaux ne manquent pas mais
l’absence de mention des années dénature la portée du pronostic. Un
autre quatrain de la IIIe centurie, le 49e a un profil assez
comparable :
Beaucoup, beaucoup avant telles menées
Ceux d’Orient par la vertu lunaire
L’an mil sept cens seront grand emmenées
Subiuguant presque le coing Aquilonaire » [1]
Que Pierre Brind’amour[2] ne trouve pas de fondement astronomique à
1727 ne saurait nous surprendre car ces prophéties perpétuelles ne
doivent pas grand-chose à l’astronomie et recourent à des cycles
fictifs. On laissera de côté les quatrains au-delà du 53e de la
quatrième centurie – hors du cadre de l’édition Macé Bonhomme- et
notamment celui relatif à 1999, dans le second volet :
Cette rareté des dates peut avoir été le fait du versificateur – le
quatrain nous apparaissant comme une sorte de lit de Procuste, le
texte de départ étant tantôt tronqué, tantôt distendu ou bien d’une
refonte ultérieure.
Pour notre part, l’existence même de ces deux dates pour le XVIIIe
siècle témoignerait de l’existence au départ d’un bien plus grand
nombre de dates au sein des quatrains des trois premières centuries et
notamment pour les quatrains comportant des données astronomiques car
dépourvues de toute chronologie, de telles données sont
astrologiquement incomplètes et en principe inutilisables, même si
l’histoire de l’exégèse des centuries prouve le contraire, les
commentateurs se passant apparemment très bien d’un tel type
d’information..
Rappelons que dans l’édition Besson, on ne donne pas comme échéance
ultime 3797 mais 1767. « qui enveloppent perpetuelles vaticinations
pour d’icy es années 1767 » (Préface à César). Or, nous avons montré,
dans une de nos dernières études que ce passage était particulièrement
important en ce qu’il était le seul à expliquer que les quatrains
n’étaient qu’une « enveloppe » des prophéties perpétuelles et non leur
substance principale, alors que dans d’autres versions, les quatrains
sont présentés comme l’élément centrall des prophéties perpétuelles. .
Notre examen des dates subsistant dans quelques quatrains de la
centurie III va dans le même sens, à savoir que le XVIIIe siècle était
une limite, ce que ne viennent d’ailleurs pas démentir la présence de
1792 dans l’Epître à Henri II et les dates avancées par Turrel et
Roussat. Dans la préface à César, il est également fait mention d’un
laps de temps de 177 ans et quelques mois qui si l’on part, par
exemple, de 1550, donne 1727, année qui figure dans un des quatrains
de la centurie III.
L’étude de la littérature des Prophéties Perpétuelles confirme que
l’on ne dépasse en tout état de cause pas le début du XXIe siècle. (cf
le quatrain 1999 dans le second volet). Dès lors, il nous apparait que
cette mention de l’An 3797 est très vraisemblablement une coquille,
une erreur de lecture véhiculée par Laurent Videl dans sa Déclaration
et reprise par Couillard et les rédacteurs de la Préface à César. Il
faut probablement enlever 200 ans, ce qui ne change rien à l’argument
de Videl qui reproche à Nostradamus d’avancer une échéance éloignée
tout en annonçant d’ici là une sorte de fin du monde. On se
retrouverait dans le cadre de la fin du XVIIIe siècle, ce dont nous
avons traité dans notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France,
soutenue en 1999.
Cette question d’une probable erreur de date que l’on retrouve à
l’identique dans la Préface à César, dans sa version « classique »
nous en dit long sur le phénoméne de plagiat. Rien ne vaut la
transmission d’une erreur pour faciliter ce type d’investigation car
on peut converger dans le vrai de façon indépendante mais rarement
dans le faux. Si Couillard, Videl et le pseudo Nostradamus de la
Préface donnent le même chiffre c’est qu’il y a là un travail de
seconde main de la part de deux d’entre eux, ce qui discrédite ipso
facto le témoignage de Couillard, vu que l’on peut difficilement
imaginer Videl copiant Couillard qui en sait infiniment moins que lui
sur le corpus nostradamique des années 1550.
En ce qui concerne le vocabulaire, il est assez typique et comporte de
fait fort peu de données d’ordre astronomiques. On a l’impression que
l’auteur brode autour de quelques éléments. On n’aurait pas de peine à
retrouver les même s formules dans les Centuries.
Comment sont composées ces prophéties perpétuelles dans la mouvance
néo-nostradamique ? Chaque année est dominée par une des sept planétes,
selon un ordre qui est à la base celui des jours de la semaine( Lune,
Mars, Mercure, Jupiter, Vénus, Saturne, Soleil) mais on observe que de
temps à autre, on a sauté une planéte. Par ailleurs, il apparait que
soit dressé le thème de l’année – la « révolution »- ce qui permet de
distinguer deux années dominées par le même astre.
Pour 1581 : « la révolution de cette année conviendra avec celle de la
précédente »
Pour 1585 : «Au reste pour ce qu’en la figure de cette année se trouve
une partie des planétes situées en leurs déiections » (Prédictions des
choses plus mémorables qui sont à advenir depuis cette présente année
iusques à l’An mil cinq cens quatre vingt & cinq, Troyes, Cl. Garnier,
BNF). Autrement dit, si l’almanach fonctionne sur la base des
rencontres lunaires hebdomadaires et mensuelles et la pronostication
sur le thème d’ingrés du soleil dans chacun des quatre saisons, la
prophétie perpétuelle, quant à elle, s’articule sur le thème du retour
du soleil à 0°Bélier, ce qui ne fait plus qu’un thème par an, travail
bien moins important que les 48 thèmes, en moyenne, de l’almanach si
ce n’est qu’il faut dresser une vingtaine de thèmes si l’on veut
couvrir une vingtaine d’années. Mais une fois le travail fait, il n’a
plus à être fait. Il suffit alors éventuellement de supprimer les
années déjà passées. On passe ainsi, tôt ou tard, par exemple, d’un
document pour 20 années à un document pour 13 ans et ainsi de suite,
avec un contenu qui, en principe, ne change pas pour les années
restantes, si ce n’est qu’il est parfois quelque peu remanié, réduit
ou au contraire augmenté d’une édition à l’autre.
C’est à partir d’un tel matériau que des quatrains auraient été
composés selon la même méthode que pour les quatrains mensuels, du
moins pour ce qu’il en est, en gros, des trois cents cinquante
premiers quatrains. On donnera un exemple pour illustrer notre propos
: le mot dissension (souvent entre princes) que l’on trouve
fréquemment dans la prose des prophéties perpétuelles parues à la «
diligence » d’un Michel de Nostradamus le Jeune (pour les années 1574,
1575, 1581, 1583), est repris dans la seconde centurie, au quatrain
95, au quatriéme vers :
« Lors les grands frères mort & dissention »
En revanche, nous pensons que les quatrains des centuries suivantes
n’ont pas été nécessairement extraits de textes en prose préexistants.
Mais c’est bien le cas, cependant, à plusieurs reprises, comme pour
l’emprunt à la Guide des Chemins de France de Charles Estienne. Mais
dans ce cas, il ne s’agit même plus d’extraits de textes dus à la
plume, au travail de Nostradamus. On aurait donc glissé des quatrains
issus de la prose de Nostradamus à des quatrains issus de la prose
d’autres auteurs. Ce faisant, néanmoins on perpétuait une certaine
synergie entre prose et quatrain lequel ne nous apparait pas moins
comme une sorte de patchwork, de collage de mots.
Bien entendu, ce succés des quatrains est également lié à des
ajustements effectués post eventum ou visant à produire, parfois en
vain, certains effets à court terme. On rappellera le propos de Pierre
Bayle (Réponse aux Questions d’un Provincial, Rotterdam 1704-1706) : «
Vous avez oui dire sans doute que l’on a vu de fort vieilles éditions
de Nostramus qui contenaient des quatrains tout à fait précis des
aventures fraichement écloses. Ils avaient été forgez depuis peu &
imprimez sur un feuillet de vieux papier que l’on ajustait fort
proprement en reliant tout de nouveau les exemplaires. On a plusieurs
fois employé de semblables ruses pour falsifier les manuscrits »
Toujours est-il que c’est cette étrange alchimie du verbe qui aura
permis aux Centuries de traverser les siècles du fait de leur
dimension prophétique affichée, ce qui n’était pas le cas de la
production d’un Guillaume de La Perrière qui servit, un temps, d’alibi,
à une telle entreprise. C’est le triomphe du signifiant sur le
signifié, ce qui compte ce n’est pas la phrase mais le mot qui se
libère du carcan de la phrase pour se prêter aux interprétations les
plus libres et les plus diverses. En ce sens, Nostradamus personnifie
la langue française qui aura d’abord été un exceptionnel fournisseur
de mots plus encore que de textes par delà les applications qui auront
pu en être faites au sein de telle ou telle autre langue ou au cours
de telle ou telle période.(cf nos études linguistiques)
JHB
07. 07.12
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[1] Cf M. Chomarat « DE quelques dates clairement exprimées par Michel
Nostradamus dans ses « Prophéties », in Actes du Colloque Prophétes et
prophéties, Presses de l’Ecole Normale Supérieure, Cahiers Verddun
Saulnier 15, 1998
[2] Nostradamus astrophile, Ottawa, 1992 p. 262 |
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68 - De l’Epître au duc d’Alençon à la Préface à
César
Par Jacques Halbronn
On ne s’intéresse guère aux écrits néo-nostradamiques. Pourtant, ces
textes, notamment les épitres, ne nous semblent pas inférieurs à ceux
de Nostradamus et par ailleurs il est fort probable qu’ils ne font
dans bien des cas que reprendre en les retouchant des textes qui ont
pu paraitre sous le nom de Nostradamus. On retiendra notamment
l’épitre adressée au duc d’Alençon, dernier fils d’Henri II et de
Catherine de Médicis, lequel naquit en 1555 et dont la mort, en 1584,
déclencha la crise que l’on sait.
On retrouve cette épitre reproduite d’une édition à l’autre de
Présages pour 20 ans qui semblent être parus pour la première fois en
1563 ou 1564, quand ce prince n’était âgé que de huit ou neuf ans.
En effet, dans les Prédictions pour 20 ans, parues en 1568 à Rouen,
chez Pierre Brenouzer, « extraictes de divers autheurs trouvée en la
Bibliothèque de nostre defunct dernier decede (…) Maistre Michel de
nostre Dame » (BNF Res PV 715 (1), la série débute en 1564 mais on ne
la connait qu’au travers d’une réédition posthume. On note que l’on
déclare avoir trouvé ces textes chez Nostradamus mais on ne les lui
attribue pas. Leur « éditeur », au sens anglais du terme, est un
certain Mi. De Nostradamus le Jeune..
On retrouve cette même épitre en 1571, dans une nouvelle édition
(Paris, Nicolas Du Mont), cette fois le titre est « Présages pour
treize ans » et l’éditeur est un M. de Nostradamus le Jeune. Les
termes de Prédictions et de Présages sont utilisés indifféremment pour
désigner ce genre multi-annuel. (d’an en an) qui correspond selon nous
à ce qu’on entendait par prophéties perpétuelles, du fait de ce cycle
de sept planétes qui revenait inlassablement. Il nous semble
improbable que l’on ait publié plus de 20 années à la fois mais on ne
peut exclure l’existence d’un manuscrit couvrant une période bien plus
longue. Au XVIIIe siècle, cependant, avec des textes beaucoup plus
courts et sur la base d’une cyclicité plus longue, on trouvera des «
Prophéties Perpétuelles « qui couvrent de nombreux siècles. (ceux de
Moult, 1740). En revanche, dans une édition qu’il faut situer vers
1584, éditée par Michel Nostradamus le Jeune – on notera les variantes
dans le nom d’une édition à l’autre - mais sans que le texte ne soit
attribué à Nostradamus, alors qu’il s’agit fondamentalement du même
texte quelque peu remanié, l’épitre à François d’Alençon disparait :
celui-ci meurt cette année là. Autrement dit, cette Epitre aura pu
circuler pendant une vingtaine d’années au sein de la mouvance
néo-nostradamique..
L’objet de la présente étude est en fait d’examiner dans quelle mesure
cette épitre à un jeune prince a pu influer sur le concept et le
contenu de la Préface à César, dans une dynamique de récupération de
la production du néo-nostradamisme au profit d’un revival de
Nostradamus lui-même.
On est frappé d’entrée de jeu par les premières lignes de l’épitre au
(petit) Prince :
« Les astrologiens & Philosophes Assyriens (…) nous ont laissé pour
mémoire en leurs escritures »
A rapprocher de : « toy délaisser mémoire »
Cette épitre à Alençon est une véritable apologie de l’Astrologie et
l’on n’aurait guère de mal à souligner des convergences avec la
Préface à César ;
Ce nom même de César figure dans cette production. Il s’agit des
Chroniques de Magdebourg qui font suite à l’Epitre au Duc. Cela
commence ainsi : « Du sang de Charles CAESAR (sic)) & des Roys de
France, sortira un Empereur nommé Charles, iceluy dominera toute
l’Europe par lequel l’estat de l’Eglise décheu sera réformé &
l’ancienne gloire de l’Empire remise sus etc ».
A rapprocher de « Préface de M. Michel Nostradamus à ses Prophéties Ad
Caesarem Nostradamum filium. VIE ET FELICITE’
Est-ce une simple coïncidence ? On ne saurait évidemement inférer que
le nom du fils de Nostradamus aurait été choisi en conséquence. En
revanche, on ne peut exclure que du fait que ce fils s’appelait César,
on ait choisi de s’adresser à lui. L’occasion fait le larron.
Mais un autre élément qui est lui aussi extérieur à l’épitre au duc
d’Alençon mais qui est lié à Nostradamus le Jeune est la présence du
premier quatrain de la Première Centurie, placé sous le portrait de ce
personnage, cette vignette sera carrément reprise au XVIIe siècle par
les éditions du libraire troyen Pierre Du Ruau pour représenter
Nostradamus lui-même, reprenant d’ailleurs une édition troyenne du
siècle précédent.
La question qui se pose est de quand date la première occurrence (hors
éditions des centuries) de ce quatrain. L’édition troyenne, chez
Claude Garnier dit Saupiquet, dont nous disposons est relativement
tardive. Benazra la situe (RCN, p. 97) vers 1571. Certes, la première
année indiquée est-elle celle—là mais par rapport aux éditions
précédentes, elle a été complétée pour aller jusqu’en 1585 alors que
l’édition de Nicolas du Mont qui commence en 1571 s’arrête à 1583.
Nous pensons donc pouvoir situer l’édition au portrait des années
1584-1585, année qui conclut l’activité de ce Claude Garnier.
Antérieurement, nous avions noté la présence de ce quatrain dans
certains ouvrages d’Antoine Crespin, notamment les Prophéties (…)
dédiées à la puissance divine & à la nation française, Lyon 1572. [1].
Dans la première adresse « Au Roy par son astrologue. Salut ». La date
de 1572 nous semble fort douteuse car ce document comporte des
extraits des deux volets des centuries, y compris donc du second volet
dont l’existence avant 1594 est fort mal renseignée à moins évidemment
que le second volet ait puisé chez Crespin..
Nous pensons, en tout état de cause, que l’émergence de ce quatrain
peut être interprétée de diverses façons. Soit, cela indiquerait que
les quatrains « perpétuels » de Nostradamus seraient parus alors, soit
que la production néo-nostradamique aurait été récupérée au seul
bénéfice posthume du dit Nostradamus. Mais il existe une troisième
hypothèse : ce quatrain ferait partie de la série que Nostradamus
aurait publiée en accompagnement des ses prophéties perpétuelles.
Celui-ci et d’autres auraient été récupérés par les néo-nostradamistes
et ces derniers, à leur tour, auraient nourri le projet centurique. Ce
que l’on retiendra, c’est que vers 1584, un tel quatrain circulait et
que c’est alors que l’on aurait ébauché la Préface à César suivie
d’une série de quatrains, à commencer par celui là, en recourant par
ailleurs au cadre de l’Epitre adressée au jeune Alençon, du moins si
l’on remonte à sa première édition. La jeunesse même du prince retient
notre attention puisque Nostradamus est censé, selon sa préface,
transmettre son « mémoires » à sa mort et en 1566, César (né fin 1553)
a une douzaine d’années, n’ayant que quelques mois de différence avec
le duc...
On pourrait certes soutenir que c’est l’épitre au duc d’Alençon qui
aura été influencée par la Préface à César mais nous pencherons plutôt
pour le scénario inverse. Un prêté pour un rendu. De même que les
quatrains sont constitués essentiellement de mots figurant dans le
texte en prose de référence, il nous semble que les textes en prose
eux-mêmes ne font que se recopier tout en modifiant accessoirement
certains agencements ou en recourant à certains synonymes, par un
processus de translation. Chaque année comporte deux volets : l’un est
stéréotypé et lié à la description d une des 7 « planétes », c’est
l’élément constant voué à des variations minimes d’une fois sur
l’autre avec uniquement 7 cas de figure, ce qui donne une périodicité
de 7 ans (cf nos travaux sur ce point), tandis que l’autre est
fonction d’une carte du ciel dressé pour un moment précis, le passage
à 0° bélier pour les prophéties perpétuelles dans ce cas ce n’est pas,
du moins en principe, duplicable. Cette part là du travail de
Nostradamus est perdue, à moins qu’elle n’ait été intégré dans
certains quatrains. En revanche, le volet récurrent, quant à lui, nous
est connu : en gros il suffit de rassembler tous les textes relatifs à
telle planète annuelle parus dans la production néonostradamique et
l’on aurait en substance la matrice de départ. Cela dit, cette matrice
est-elle de Nostradamus ? On peut en douter. Il est dit, au titre, que
Nostradamus se serait servi d’un certain bagage véhiculé par divers
auteurs que l’on aurait retrouvé dans les papiers de sa bibliothèque.
Autrement dit, ce qui est perpétuel n’est pas de Nostradamus et ce qui
est de Nostradamus consiste en l’interprétation- ce qui a toujours été
sa principale contribution,- d’un certain nombre de cartes du ciel, ce
qui ne vaut que pour une année précise et n’est pas recyclable. On a
toutefois un exemple d’un recyclage de la partie ponctuelle avec la
Prophétie Merveilleuse de Crespin « Archidamus », qui va de 1590 à
1598 ; parue à Paris, chez Mesnier (BNF 8°La35 334), et qui reprend en
fait des textes du dit Crespin d’années précédentes, y compris sur le
plan astronomique. C’est un cas limite. Normalement, le travail de
mise à jour est effectué par un astrologue compétent mais cette partie
là ne reléve pas stricto sensu du genre « perpétuel », comme ce sera
le cas au XVIIIe siècle. Rappelons à ce propos que le nom de
Nostradamus sera associé à certaines éditions des Prophéties
Perpétuelles de Thomas Joseph Moult.[2]. Nostradamus y est présenté
comme le « vérificateur des prédictions de Thomas-Joseph Moult »,
lequel aurait vécu « sous le règne de l’Empereur Fréderic II »
En 1866, lors du tricentenaire de la mort de Nostradamus, le libraire
Delarue publiera un triptyque, incluant les Prophéties de Nostradamus
(version Chevillot), le Recueil de prophéties et révélations (issu du
Mirabilis Liber) et les dites Prophéties Perpétuelles du dit Moult.[3]
Mais il ne s’agit plus là d’un système à base 7 mais d’un système à
base 28, donc avec 28 textes en alternance. Si les prédictions
générales ne changent pas, les prédictions particulières varient d’un
« Livre » à l’autre comme il est expliqué en tête du Second Livre «
Cette seconde partie de mon Livre, comme la première partie n’étant
qu’une répétition de mes prédictions climatériques semblerait inutile
si elle n’était soutenue et appuyée ainsi que l’autre de mes
prédictions particulières qui en font( sont) le soutien et l’amusement.
Dans la version qui se réfère à Nostradamus le premier Livre commence
en 1560 et couvre 252 ans, soit 28x 9, le second livre ira donc de
1812 à 2064. Quant à l’édition de Moult sans Nostradamus, elle débute
à 1269 pour le Livre Premier et à 1521 pour le Livre second et à 1773
pour le Troisième Livre, ce qui nous conduit jusqu’à 2024. Soit un
décalage de 40 ans entre les deux versions. Libre à l’astrologue de
dresser la carte du ciel de l’année qui l’intéresse pour compléter.
Revenons sur des questions de terminologie. On a vu que les termes «
présages », « prédictions » désignaient les recueils concernés. On
notera aussi qu’en 1588, nous avons les Grandes et Merveilleuses
Prédictions, qui paraissent à Rouen, titre qui fonctionne en parallèle
avec celui de Prophéties. D’ailleurs, même dans ces Grandes et
merveilleuses prédictions, on n’en lit pas moins : « Préface de M.
Michel Nostradamus à ses Prophéties. Ad Caesarem Nostradamum filium,
Vitam ac foelicitatem »
En 1740, dans l’édition parisienne, chez Prault, des Prophéties
Perpétuelles, la Préface de l’Auteur au Lecteur – qui ne figurera plus
dans d’autres éditions- des Prophéties Perpétuelles de Thomas Joseph
Moult commence ainsi : » Les Prédictions que je donne au public » puis
« je ne cherche point à divertir le Public par des Predictions
amusantes & agréables » et encore « mes Prédictions Générales &
Climatériques doivent arriver pendant le cours de chacune des neuf
années (..)Et quant à mes Prédictions Particulières, insérées en suite
des Générales (…) je laisse le soin à mon Lecteur le soin d’observer
les années qu’elles doivent arriver & de faire ses remarques ». Le
second livre a pour sous titre « Continuation des Prédictions
Climatèriques & particulières » et chaque page est divisée en
Prédictions générales et en Prédictions particulières.
L ouvrage se termine ainsi : J’ay dit au premier livre de mes
Prédictions » mais il parle aussi, de façon synonymiques de « ce petit
Livre de Prophéties »..Les deux usages cohabitent indifféremment.
C’est dire à quel point le mot « Prophéties » n’a ici qu’une valeur
synonymique et qu’il ne peut en principe pas désigner des quatrains
non rattachés à un cadre chronologique explicite. D’où la tentative de
privilégier le mot « Prophétie » dans un sens non astrologique et donc
non contraignant sur le plan chronologique, ce qui permettait de
justifier la seule présentation de quatrains déconnectés de leur
référentiel astronomique. On aura voulu ainsi faire de Nostradamus un
« prophète » dépassant les contingences astronomiques et produisant
par inspiration « ses » quatrains.
JHB
08. 07. 12
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[1] In Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, ed Ramkat
2002, p. 210
[2] Cf l’éditiion de Volguine de 1940, réédition 1977, précédée de. «
La clef des prophéties de Nostradamus »
[3] Voir Le texte prophétique en France, formation et fortun, Ed. du
Septentrion, 1999. et SUDOC |
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69 - L’évolution du
projet de prophéties perpétuelles nostradamique du XVIe au XVIIe
siècles.
Par Jacques Halbronn
« J’ay composé livres de prophéties contenant chascun cent quatrains
astronomiques de prophéties (..) & sont perpétuelles vaticinations,
pour d’icy à l’an 3797 (sic) » (Préface (…) ad Caesarem Nostradamum
filium, Prophéties de M. Michel Nostradamus, Lyon, Macé Bonhomme,
1555)
Un des principes que nous appliquons vis-à-vis de la production
nostradamique est celui-ci : il peut arriver que le titre d’un ouvrage
ne corresponde pas à son contenu. Par quel tour de passe-passe, les «
prophéties » ont-elles fini par trouver leur expression la plus
typique sous la forme de stances ? Nous avons montré dans une
précédente étude que la première mouture de la Préface à César devait
indiquer que les quatrains ne faisaient que prolonger les prophéties
proprement dites. L’idée qui semble avoir prévalu, du moins jusqu’au
début du XVIIe siècle, c’est qu’il devait exister un stock de
quatrains pour baliser les siècles à venir – ce qui donnera lieu,
notamment, à l’expérience des sixains (cf infra), stock remis à César
par son père. Deux écoles semblent avoir été en présence, à la fin du
XVIe siècle : l’une désireuse de continuer à produire de nouveaux
quatrains –avec tout le travail de composition que cela impliquait- et
l’autre qui allait l’emporter- notamment avec l’Eclaircissement de
1656 publié anonymement par le dominicain Giffré de Réchac- consistant
en une relecture des quatrains déjà parus à la lumière du XVIIe siècle
et éventuellement des siècles suivants. On entre alors dans l’ère non
plus des fabricants de nouveaux quatrains, comme sous la Ligue, mais
du fait de la « clôture » du canon nostradamique, à une ère d’exégétes.
D’où le contraste entre une production centurique qui stagne au XVIIe
siècle et qui ne fait que se reproduire, tout en fouillant les fonds
de tiroir (quatrains des almanachs, quatrains ligueurs mis de côté),
et la publication de nombreux commentaires, dans la seconde partie du
XVIIe siècle. En ce qui concerne la première moitié de ce siècle, on
assiste à un chant du cygne de la production de nouveaux vers
prophétiques mais cette entreprise va avorter. L’idée même de
fabriquer du faux Nostradamus – voire de fausses éditions antidatées -
n’était probablement plus de mise. Le nostradamisme devait trouver un
nouvel élan par le biais du commentaire, en renonçant aux trucages
plus ou moins grossiers de la seconde moitié du XVIe siècle.
Changement de Zeitgeist.
Nous reviendrons dans cette étude sur la période de production de vers,
qui s’articule autour de trois « livrets », précédés de trois épitres
(à César, à Henri II et à Henri IV)
En ce qui concerne les quatrains des deux premiers « livrets » (ou
volets), il semble qu’un certain nombre aient été des transpositions
de textes en prose, pas forcément dus d’ailleurs à Nostradamus
lui-même mais possiblement à un Richard Roussat et à quelques autres
astrologues. En vérité, la production de pièces couvrant en principe
une vingtaine d’années (cf. infra)- ce qui est assimilable à des
extraits de prophéties perpétuelles - est en prose et elle a pu servir
à produire des vers.
On connait le quatrain 26 de la première Centurie.
Faulx à l’estang ioinct vers le Sagittaire
En son hault Auge de l’exaltation
Peste famine, mort de main militaire
Le siecle approche de renovation
Ce quatrain résume à merveille le contenu annuel de ces Prédictions –ou
Présages- pour 20 ans, parfois tronqués en un nombre moindre d’années,
au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la date de première parution.
On y trouve à la fois des données astronomiques et des annonces
astrologiques.
Il s’agit d’une conjonction de Saturne (Faulx) et de Jupiter (Estang,
lire Estaing, métal de cette planète) dans le signe de feu du
Sagittaire. Une telle conjonction se produira au début du XVIIe
siècle, en 1603 /1604. et elle ouvre une nouvelle période d’environ
200 ans, marquée par une série de conjonctions dans des signes de feu
(bélier, lion, sagittaire) alors que depuis 200 ans, les conjonctions
avaient eu lieu dans des signes d’eau (cancer, scorpion, poissons)
On trouve dans les Prédictions des choses plus mémorables qui sont à
advenir depuis cette presente année iusques à l’An 1585 (…) lesquelles
ont esté en grande d’illigence (pour diligence) mise (sic) en lumière
par M. Michel de Nostradamus le Jeune, Docteur en médecine, Troyes,
Impr ; Claude Garnier, une étude, à l’année 1583, de la dernière
conjonction en signe « aquatique », vingt ans plus tôt.
« Au dict an 1583 au mois de May se fera une grande conjonction des
plus haultes planetes en la dernière face (décan) du signe de Pisces (Poissons)
à laquelle succédera une assemblée de toutes les planetes au signe
d’Aries, vers la fin du mois de Mars & le commencement d’Avril (…)
Cette grande conjonction est la dernière advenante sur la fin du
triangle Aquatique, qui finira quant & elle se changera en triangle
ignée (sic) au qu’elles (sic) grandes conjonctions des plus haultes
planettes qui viendront puis apres se feront toutes en signes ignées
(sic) iusques à ce que après de deux cens ans soient expirez.(..) On
verra mutation ou la fin ou changement ou renouvellement de regne, de
loix, de religion & de police (..) d’ont (sic) s’en ensuyvra un
Concile general & libre ou estats generaulx environ l’an mil cinq cens
quatre vingt & cinq (…) Et à lors (sic) le Lys sera par tout le plus
ronomme (sic) exalté & puissant qui fut onques». On notera que cette
annonce de prochains Etats Généraux est en prise sur l’actualité de la
Ligue car d’aucuns attendaient de ces dits Etats, que l’on désigne un
successeur à Henri III, à la suite de la mort du Duc d’Alençon,
survenue en 1584, du fait du profil particulier d’Henri de Bourbon. On
peut tout à fait admettre que le texte en question ait été rédigé
après coup et d’ailleurs, si l’on compare avec des états antérieurs du
même texte, il s’agit bien là d’une addition substantielle.
On peut se demander si le quatrain I, 26 qui renvoie à la conjonction
suivante ne nous indique pas que l’on aurait déjà passé le cap de la
dernière conjonction de signe d’eau. Notons que dans l’Epitre à Henri
II, les deux dates cohabitent
« ô très humanissime Roy (…) espérant de laisser par escrit les ans,
villes, citez, regions (…) mesmes de l’année 1585 et de l’année 1606
». Nous avons montré que 1606 avait été rajoutée à un texte qui
initialement ne devait comporter que 1585 (cf notamment notre étude de
l’édition Cahors Jaques Rousseau 1590)
Voilà qui indique que l’on aurait passé le cap de 1585 et que l’on a
désormais en ligne de mire 1606. Ce décalage de 20 ans environ
s’inscrit, selon nous, dans le cycle des grandes conjonctions Jupiter-Saturne.
Ajoutons que c’est bien l’année 1606 dont on donne les éléments
astronomiques dans le cours de l’Epitre à Henri II. A ce propos, tout
semble indiquer que cette épitre est en fait extraite de quelque
recueil de prédictions an par an. En effet, on y trouve d’une part une
description détaillée des configurations de l’an 1606 – certes le nom
de l’année n’est pas donné, comme si l’on avait recopié un passage
sans en fournir le cadre chronologique dont il reléve, et d’autre part
on lit, à la suite : « L’année sera pacifique sans eclipse et non du
tout et sera le commencement comprenant se de ce que durera et
commençant icelle année sera faicte plus grande persecution à l’Eglise
Chrestienne etc »
Dans le texte pour 1583, après les considérations astronomiques, l’on
passe en conclusion au passage suivant :; « Quant à l’année, la
plupart sera humide (..) mort de quelques Seigneurs, tant séculiers
d’Eglise, grandes désolations en plusieurs villes maritimes etc »
C’est dire que ce texte de l’Epitre à Henri II est décalé par rapport
à la date de juin 1559 à laquelle il est censé avoir été composé.
Nombreux sont les indices qui nous font converger vers la période
située entre 1585 et 1606.
Il convient d’ailleurs de rapprocher ces textes des Significations de
l’Eclipse qui sera le 16. septembre 1559 (…) diligemment observées par
maistre Michel Nostradamus, Paris, Guillaume Le Noir, consistant en
une épitre également datée de 1558.([1] Il semble également que l’on
ait recopié une de ces Prédictions allant d’an en an, d’où
l’expression récurrente «icelle année »
Ces Significations censées concerner 1559 s’attardent sur 1605 : «
beaucoup plus sinistre & calamiteux adviendra l’an 1605 que combien
que le terme soit fort long, ce nonobstant les effects de cestuy ne
seront gueres dissemblables à celuy (sic) d’icelle année comme plus
amplement est declaré à l’interprétation de la seconde centurie de mes
Propheties » [2] On notera que les dites Significations ne s’arrêtent
même pas- bien qu’exactement contemporaines – du moins à ce qu’elles
prétendent être- de l’épitre à Henri II- sur l’échéance majeure, vue
de 1558, que constitue la conjonction de 1583-1585. On a donc une
sorte de tentative, propre aux années 1590 – post 1585 et près 1606-
de refonte de l’Epitre à Henri par la production d’un texte en quelque
sorte jumeau, né à quelques jours d’écart mais en quelque sorte
minimisant, par prétérition, l’importance initialement accordée aux
années 1580.
Voilà toutefois qui nous apporte quelques éléments de réflexion, par
la voie de la critique interne, sur la genèse de l’Epître à Henri II
et par voie de conséquence sur celle des quatrains des centuries
VIII-X.
En effet, si l’année 1585 est en ligne de mire dans l’Epître à Henri
II cela signifie que celle-ci aura connu une première version sans la
mention de 1606 qui a été rajoutée sans qu’il y ait eu substitution
comme cela se produit parfois. On ne dispose pas de cette première
mouture mais seulement de l’édition Cahors Jacques Rousseau où les
deux dates sont juxtaposées de façon assez maladroite avant de
s’inscrire dans une phrase mieux construite comme c’est le cas dans
les éditions Benoist Rigaud 1568. Quand deux dates distantes l’une de
l’autre de près de 20 ans se retrouvent dans une seule et même phrase,
au sein d’un texte prophétique, c’est généralement le signe d’une
interpolation assez grossière. Notons que dans la version Besson
l’Epitre à Henri II ne comporte aucune mention de date, ce qui
constitue un stade encore plus ancien de la formation de l’Epitre «
finale » à Henri II, sans compter bien entendu l’Epitre datée de 1556,
placée en tête des Présages Merveilleux pour 1557[3] . Il est possible
que ce n’ait été qu’au stade de l’addition 1606 que la dite Epitre ait
été intégrée dans un seul et même ensemble avec la Préface à César.
En fait, pour Nostradamus, l’échéance la plus marquante à moyen terme
était celle de la grande conjonction des années 1560, autour de 1564,
chaque génération ayant ses propres échéances astrologiques.
Comme il est assez clairement expliqué dans les Prédictions des choses
plus mémorables, sus mentionnées (Troyes, C. Garnier) pour l’année
1583, chaque conjonction peut être fatale mais on ne le sait pas à
l’avance : « Car si telle conionction de planette ne fut significative
de la fin du monde soubz l’Empereur Charlemaine (sic) ce n’est pas à
dire qu’elle ne le soit quand elle adviendra l’année 1583. Pour ce du
temps de cet Empereur il n’y avoit encor cinq mille ans accomplis
depuis le commencement du monde etc »
En fait, on pourrait dire que ces Prédictions pour 20 ans (…) iusques
en l’an 1583 (cf le titre de l’édition de Rouen, chez P. Brenouzer)
visent à couvrir l’intervalle de temps entre deux conjonctions.
L’Epitre à Henri II appartiendrait en quelque sorte à un nouveau train
prophétique ayant en ligne de mire les années 1604-1606 et il n’est
d’ailleurs pas exclu qu’elle soit extraite de nouvelles Prédictions
pour 20 ans, qui n’ont pas été retrouvées, tout comme il a du exister
une édition antérieure aux « Prédictions pour 20 ans (…) iusques en
l’an 1583 » qui auraient été visées par un Laurent Videl et qui n’ont
pas été retrouvées et qui seraient des « Prédictions pour 20 ans (…)
jusques en l’an 1563 », puisque l’édition pour 20 ans de Rouen-
Brenouzer, 1568 (conservée à la BNF Res pV 715 (1) débute en fait en
1564. Cela signifierait éventuellement une édition ayant commencé à
paraître vers 1543, donc dix ans avant la naissance de César. Ce qui
exclue que Nostradamus ait pu adresser ses « Prophéties » dans les
années 1550 à qui que ce soit. Videl en s’y référant, en 1558, ferait
donc allusion à un ouvrage qui devait continuer à paraitre mais qui
aurait été produit bien avant que Nostradamus publiât ses premiers
almanachs, au début des années 1550. Ces « prophéties » auraient
effectivement pu s’accompagner de quatrains et cette présentation
aurait été reprise pour les almanachs qui auraient suivi et qui en
auraient été comme des prolongements plus fouillés et exigeant un
travail annuel et non pour 20 ans. C’est probablement dans de telle »prophéties
» ou plus probablement « prédictions » que Videl aurait trouvé une
échéance bien lointaine, sinon 3797 du moins 1767. 3797 est d’autant
plus invraisemblable que le monde ne devait pas dépasser les 6000 ans,
comme il est indiqué dans les prédictions pour 1583 (cf supra).
. On peut considérer, du moins au départ, chacun de ces volumes
couvrant 20 ans comme un « Livre de Prophéties » .
Pour en revenir à un document – dont nous n’avons d’ailleurs pas
encore pris connaissance, qui nous a incité à reprendre le dossier des
Prophéties Perpétuelles, à savoir Resolution des propheties de
Nostradamus pour l’an 1568. Extraitte (sic) du discours de ses
commentaires, selon les distinctions astronomiques de M. Ant. Arnoulph,
médecin à Ausonne, Lyon, Benoist Rigaud, nous dirons que ce titre
semble recouper l’édition de Rouen, chez Pierre Brenouzer, parue en
1568 des Prédictions pour 20 ans mais en fait débutant en 1564 (et
donc comportant une partie sur 1568) et l’on peut d’ailleurs se
demander s’il ne s’agirait pas plutôt sous le nom de Nostradamus de
Mi. De Nostradamus le Jeune, qui mit en lumière les dites Prédictions,
que l’on peut aussi appeler Prophéties..
Il est intéressant de s’arrêter sur la chronologie des titres utilisés
dans le registre des éditions traitant du « perpétuel » et notamment
d’aborder la place du nom Nostradamus dans cette série de
publications..
Il semble qu’il y ait au départ deux groupes que l’on pourrait
désigner par les noms de « Pythagoras » d’une part de « Leovitius » de
l’autre :
A- le groupe Pythagoras :
Pronostication perpetuelle composée & practiquée par les expers
anciens, et modernes Astrologues, & Medecins, comme Pythagoras en ses
circules & angletz, Joseph le Juste, Daniel le Prophete, maistre
Estienne de Prato, Seraphino, Calbarsi & Guido, en leurs Almanachz, &
plusieurs autres
Paris, Antoine Houic
Le nom de Nostradamus va être ajouté :
Prophéties ou prédictions perpétuelles, composées par Pitagoras,
Joseph le Juste, Daniel le Prophète, Michel Nostradamus, et plusieurs
autres philosophes..
Montbéliard : Deckherr, (s. d.) BNF
Paul Arbaud, dans ses études de bibliograpie provençale [4] mentionne
des Prophéties ou prédictions perpétuelles composées par Pitagoras,
Joseph le juste), Daniel le Prophéte, Michel Nostradamus et plusieurs
autres philosophes A Selon de Provence (sic), chez André Glorion,
imprimeur-libraire. (BNF Q 6439). Le nom de Nostradamus figure parmi
les auteurs mais probablement à une date relativement tardive, en
remplacement d’autres d’ailleurs qui ne figureront plus nommément dans
la liste..
B Le groupe Leovitius (Cyprien)
Ce second groupe ne mentionne pas parmi les auteurs Nostradamus mais
certaines éditions sont placées sous la direction de Michel
Nostradamus le Jeune.
Prédictions des choses plus mémorables qui sont à advenir depuis l'an
1564. jusqu'à l'an mil six cens et sept, prise tant des éclipses et
grosses Ephemerides de Cyprian Leovitie, que des prédictions de Samuel
Syderocrate, 1565, V. 21354, ...
Une édition augmentée de quelques auteurs français, dont Michel de
Nostradamus le Jeune (sic) aurait été le maître d’œuvre :
Prédictions des choses plus mémorables qui sont à advenir depuis cette
présente année jusques à l'an mil cinq cens quatre vingt et cinq (…)
prinses (…) du livre merveilleux de Cyprian Leovities, Samuel
Syderocrate, C. du Garnier, Broussart & autres, lesquelles ont esté en
grande d’illigende mise (sic) en lumière par M. Michel de Nostradamus
le jeune... : Troyes : impr. de Claude Garnier dict Saupiquet, (1571)
Ci-dessous une édition qui semble avoir dérivé des précédentes du
groupe B et qui fait apparaitre Nostradamus non pas comme auteur mais
comme collectionneur :
Prédictions pour 20 ans (…) Extraictes de divers aucteurs, trouvée
(sic) en la Bibliothèque de nostre defunct dernier (..) Maistre Michel
de nostre Dame (…) reveues & mises en lumière par Mi. De Nostradamus
le Jeune », Rouen, Pierre Brenouzer, 1568,. (BNF res pV 715)
On retrouve les mêmes tetxtes, légérement réécrits, et la même
formulation quelques années plus tard dans les Présages pour treize
ans (…) recueillies (sic) de divers autheurs & trouvées (sic) en la
bibliothèque de defunct maistre Michel de nostre Dame (…) mises en
lumière par M. de Nostradamus le Jeune ». Un mot a sauté « dernier »
après « défunct ».
Il nous semble difficile de concevoir un scénario inverse, selon
lequel on aurait remplacé « divers aucteurs » par une liste
d’astrologues. Nous avons noté pour la série des Vrayes Centuries et
Prophéties, la disparition des dates d’édition au fur et à mesure de
la production. Dans le premier groupe, Nostradamus fait partie des
auteurs, dans l’autre, il rassemble des documents dans sa bibliothèque
et c’est ‘Nostradamus le Jeune » qui en tire quelque document. A noter
qu’il n’aura pas fallu attendre la mort de Nostradamus pour que la
génération nostradamique suivante sévisse, avec la complicité
d’ailleurs d’un Benoist Rigaud dont le nom sera ensuite associé, de
façon ambigue, à la conservation de l’œuvre de Nostradamus.
Se repose donc la question de l’investisssement de Nostradamus dans le
créneau du « perpétuel ». Il apparait qu’au XVIIe siècle, la présence
des « présages » en réalité extraits de ses almanachs, vise à donner
le change. Ces présages sont en effet présentés ainsi : « Présages
tirez de ceux faicts par M. Nostradamus és années 1555 & suivantes
iusques en 1567 » - ils sont en fait repris du Janus Gallicus. Or, une
telle description semble préter délibérément à confusion, à commencer
par le mot Présages, courant dans le genre « perpétuel ». . Rien
n’indique que ces quatrains sont en réalité extraits d’almanachs
annuels. On veut faire croire que Nostradamus s’inscrivait dans le
genre des prédictions perpétuelles, également couramment désignées
sous le nom de Présages.
Nous avons souvent insisté sur l’éclairage que le XVIIe siècle apporte
sur le XVIe siècle en ce qui concerne le phénoméne Nostradamus. C’est
ainsi que les éditions troyennes nous restituent le quatrain 100 de la
centurie VI, absente de toutes les éditions antidatées 1555-1557-1568,
mais que l’on retrouve déjà dans le Janus Galllicus de 1594. C’est
dans les éditions troyennes que l’on retrouve en annexe certains
quatrains des éditions parisiennnes de la Ligue absent dans les
éditions Rigaud. Le Discours de la Vie de Nostradamus (repris dans le
Janus Gallicus) n’est intégré dans les éditions centuriques qu’au
XVIIe siècle. D’ailleurs, le Janus Gallicus est une source
incontournable pour les éditions concernées.[5]
Il faudrait aussi examiner l’Epitre à Henri IV en tête de 58 sixains.
Rappelons à ce sujet le lien que nous avons établi entre Noel Morgard
et les dits sixains[6], ouvrage qui comporte des clefs qui ont disparu
lors de son intégration au sein du canon nostradamique, ce qui ouvre
des perspectives quant à la récupération par les faussaires des
Centuries d’une production existante chez des auteurs peu ou prou
inspirés de Nostradamus ou de ce qui lui est attribué..
Nous accorderons toute son importance à l’intitulé même de l’épitre à
Henri iV, qui tend à introduire un troisiéme « livret » - comme cela
est dit « ce petit livret non moins digne et admirable que les autres
deux livres qu’il fit » - qui vise à construire une autre image de
Nostradamus, qui aurait été impliqué dans le genre du perpétuel (cf
supra) constitué des sixains mais aussi de quatrains « présages »
Le texte adressé à Henri IV est ainsi formulé :
« Prédictions admirables pour les ans courans en ce siècle.
Recueillies des Mémoires de feu M. Michel Nostradamus (…) par Vincent
Seve etc »
Qu’apprenons-nous ? On note l’usage du mot « Prédictions » pour
désigner les sixains si tant est qu’il se fut agi initialement d’eux.
On note aussi que l’on se référe au cadre d’un siècle, ce qui est le
format des « livres de prophéties » contenant chacun cent quatrains.
Or, on ne trouve que 58 sixains sans d’ailleurs la moindre
articulation sur une quelconque chronologie et pas de texte en prose
qui les sous-tendent.
Par ailleurs, il est question des « mémoires », ce qui nous renvoie au
« mémoire » que Nostradamus est censé avoir légué à son fils, au vu de
la Préface qui lui est adressée et qui aurait consisté en «
vaticinations perpétuelles ». D’où l’accent mis sur le posthume,
élément qui n’est aucunement indiqué dans les éditions ligueuses ni
dans celles de Benoist Rigaud alors qu’en 1568, dans les Prédictions
pour 20 ans, il est indiqué, lors d’une réédition d’un texte paru
avant sa mort, « trouvée (sic) en la bibliothèque de nostre defunct
dernier (..) Maistre Michel de nostre Dame ».
Deux écoles se confrontent : celle qui voudrait que tout soit paru du
vivant de Nostradamus (c’est la tendance Rigauld, qui ne sera
reconsidérée qu’au XVIIIe siècle avec l’opération Pierre Rigaud) et
celle qui soutient que des textes importants n’ont été divulgués ou
constitués qu’à sa mort et ce délibérément, d’où le caractère posthume,
dans le ton, de la Préface à César autour d’un mémoire.
Cette affaire des « Livres de Prophéties » - expression employée par
Laurent Videl, en 1558, sans autre précision – et reprise dans la
Préface à César, est décidément complexe et l’on risque de se perdre
en conjectures, à partir d’une bien bréve mention. On peut
raisonnablement se demander si l’on n’a pas voulu présenter la série
des quatrains des almanachs (cf supra) – appelés complaisamment «
présages » comme constituant la preuve que Nostradamus aurait
contribué, à sa façon, à ce genre des « vaticinations perpétuelles »,
c’est déjà une forme de travestissement des faits ne serait-ce que
parce que Nostradamus ne détermine une planète dominante pour chaque
année, ce qui est typique du genre et fortement attesté. D’ailleurs,
ces prophéties perpétuelles ne fonctionnent pas mois par mois mais
saison par saison, se rapprochant par là des prognostications plus que
des almanachs. Or, les « présages » de Nostradamus fonctionnent sur
une base mensuelle et c’est ainsi qu’ils sont commentés dans le Janus
Gallicus. Or, les Prognostications de Nostradamus ne comportent pas de
quatrains. Au vrai, l’exemple des sixains et de l’Epitre à Henri IV
nous semble assez éclairant : on nous montre une série de sixains
censés valoir pour tout le XVIIe siècle, ce qui illustre l’idée de
stances ayant valeur prédictive sans même qu’elles soient associées
par avance à une année donnée et d’ailleurs durant tout le siècle, les
sixains- censés être de Nostradamus - feront l’objet de commentaires.
Mais ce troisième « livret » restera le parent pauvre de l’ensemble
centurique et ne sera pas retenu dans l’édition Pierre Rigaud 1566 qui
sera l’ouvrage de référence au XIXe siècle.
Nous avons émis, récemment, l’hypothèse selon laquelle les quatrains
des Centuries seraient issus de textes en prose, à l’instar des «
présages », comme il ressort de l’étude du Recueil des Présages
Prosaïques, formulation qui semble devoir s’opposer à celle éventuel
Recueil de Présages poétiques, disparu, comportant les centuries de
quatrains et dont on aurait un exemple avec la série des quatrains
d’almanachs regroupés sous le nom de «Présages ». Filiation cette fois
entre les « présages » de 1555 à 1567 et les « présages » divisés en
centuries de quatrains, dont d’ailleurs l’épitre à Henri IV nous dit
qu’ils ne vont pas au-delà de 1597 « dont le dernier finit en l’an mil
cinq cens nonante sept », les sixains étant censés traiter « de ce qui
adviendra en de siecle, non si obscurément comme il avoit fait les
premières (sic)». Le propos de Vincent Séve lequel signe l’épître au
Bourbon, qui était d’offrir une nouvelle série de « présages » pour le
nouveau siècle, n’aura guère été entendu. Et quid des siècles suivants
? On peut évidemment supposer que Nostradamus aurait produit des «
livrets » de présages pour des siècles mais que les livrets suivants
ne seront divulgués – on nous dit que ces « Prophéties ou
Prononstications « étaient « tenues au secret iusques à présent »- que
le moment venu... ..
Ce qui peut tout de même étonner, c’est un certain décalage entre
l’Epître et les sixains, qui devraient constituer une centurie
complète. Quel étrange décalage entre ces dix centuries (1000
quatrains), couvrant tout au plus un siècle, et ces 58 sixains censés
couvrir le nouveau siècle ! .Mais le texte de l’Epître n’aurait –il pu
être retouché pour inclure le mot sixain – encore que le nombre de
sixains ne soit pas précisé dans la dite Epître à Henri IV [7]? Dans «
Les signes merveilleux apparus au ciel «, en 1606, il est question de
« propheties de Nostradamus non encores imprimées mais présentées à sa
Majesté, tres Chrestienne, par un sien parent ». Or, suit un quatrain
– non centurique- et non un sixain. Visiblement, il est bien question
de la même chose, à savoir une épitre à Henri IV suivie d’une série de
quatrains. Pourquoi est-on allé prendre les Propheties de Maistre Noël
Léon Morgard (..) présentées au Roy Henry Le Grand pour ses estrennes
en l’an 1600 dont les sixains, également « présentés au roi » - mais
on n’a pas d’épitre à ce sujet- d’ailleurs, semblent n’avoit concerné
que l’an 1600 ?. On dispose donc de trois documents « présentés au Roy
» qui semblent avoir été allégrement mélangés mais qui tous trois vont
dans le sens de prophéties classées en vers. Rappelons que le choix de
la forme du quatrain ou du sixain importe assez peu, car comme le
disait Videl, c’est simplement un mode de classement des vers qui ne
préjuge pas d’une quelconque unité des strophes, à l’instar des
quatrains rassemblés au sein d’une même centurie, d’ailleurs. Nous
avons le sentiment que l’idée de prophéties totalement constituées de
vers ne s’est développée que dans le dernier tiers du XVIe siècle. Ce
n’était certainement pas encore le cas dans les almanachs de
Nostradamus où ils ne jouaient encore qu’un rôle marginal. On peut
donc dire sans grand risque de se tromper que les « Livres de
prophéties » de Nostradamus, tels que les signale Videl, ne se
réduisaient pas à des centuries de quatrains, en dépit de ce
qu’indique la Préface à César- la canonique, non pas celle publiée par
Antoine Besson, dans les années 1690. C’est ce qu’on aura voulu nous
faire croire, à partir des années 1580. En fait, tel n’avait
probablement pas été le projet initial mais probablement un pis aller,
en raison de la perte des autres « présages prosaïques ». On peut même
se demander si sous ce titre, on n’avait point conservé, au départ,
des « présages » perpétuels en prose et que l’on aura voulu remplacer
un texte perdu par les textes en prose parus du vivant de Nostradamus.
Nous avons eu l’occasion de signaler dans le corpus centurique le
décalage entre titre et contenu, notamment dans le cas des éditions de
Rouen et de Paris, parues en l’an 1588.
L’ouvrage de Jean Aimé de Chavigny, La Première Face du Janus
François, fait nécessairement référence à une « seconde face », qui,
elle, serait consacrée au futur et pourrait puiser dans des prophéties
perpétuelles et également constituées de quatrains. C’est en quelque
sorte à ce manque que vient répondre, quelques années plus tard- à
l’aube du XVIIe siècle- le troisiéme « livret », dont le contenu
originel fait, on l’a vu, probléme (sixains ou quatrains ?).
Les nostradamistes des années 1600 ont été confrontés à un défi. Il
leur a fallu remettre en question l’idée que les centuries parues ne
valaient que jusqu’à la fin du siècle précédent. En fait, c’est alors
que ces centuries déjà parues auraient obtenu le statut de «
perpétuelles », un peu comme le pape qui au XIXe siècle obtiendra
l’infaillibilité pontificale, sans qu’il soit besoin désormais d’en
produire de nouvelles. On garde le même signifiant (le texte) mais
c’est au signifié (l’interprétation) de se renouveler, ce qui est
évidemment plus économique.
Il est clair que le quatrain (ou le sixain) se prête encore mieux que
la prose à des variations exégétiques infinies. Il libère en quelque
sorte le signifiant de son carcan syntaxique, on bascule dans la
polysémie. Il ne faut pas oublier que du moins dans le champ
nostradamique, le quatrain est déjà en soi un commentaire du texte en
prose et il ouvre la voie, paradoxalement, à un autre niveau de
commentaire qui, quant à lui, sera « prosaïque ». On en arrive ainsi à
une superposition de « couches » textuelles tout comme il y eut une
succession de Nostradamus. (Nostradamus le Jeune, Crespin etc)
JHB
13. 07.12
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[1] cf fac simile in B. Chevignard, Présages de Nostradamus, Seuil,
1999
[2] sur la contrefaçon de ces Significations, qui mentionnent
exceptionnellement une »seconde centurie de mes prophéties » dès 1558,
voir nos études en passa nt par Google
[3] Cf nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Ed
Ramkat, 2002
[4] Les prédictions perpétuelles de Nostradamus, Marseille 1855
[5] Cf notre post doctorat, Giffrré de Réchac et la naissance de la
critique nostramique. Sur propheties.it
[6] Cf nos Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus, op cit.
[7] Cf nos Documents inexploités, op cit, p. 158
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70 - Plagiat et contrefaçon posthume dans le
champ nostradamique.
Par Jacques Halbronn
Il importe de distinguer la façon dont les historiens exploitent les
données existant dans certains textes et l’impact des dits textes lors
de leur parution. C’est ainsi que lorsque parait en telle année tel
ouvrage d’Antoine Crespin – Les Prophéties dédiées à la Puissance
Divine et à la Nation française - comportant des extraits de quatrains
des Centuries, c’est passé totalement inaperçu, même si Crespin fait
accompagner son nom de Nostradamus ou d’Archidamus. Quand parait en
telle année tel ouvrage d’Antoine Couillard – les Prophéties dont le
titre ne comporte même pas le nom de Nostradamus (voire de
Monstradamus ou de Monstre d’abus)- le quel texte recourt à des
extraits de la prose de Nostradamus – le nom de Nostradamus
n’apparaissant qu’une seule fois dans le corps du texte cela n’a été
perçu à peu près par personne de la façon dont les historiens du XXe
siècle l’ont pensé..
Il serait donc erroné de soutenir que ces textes ont été antidatés et
produits par des faussaires pour valider des éditions elles-mêmes
antidatées des Centuries.
Selon nous, le scénario suivi n’a pas été celui-là. Nous avons affaire
à des cas de plagiat ordinaire.
Le plagiaire s’empare de la substance de sa « victime » sans s’y
référer ou en s’y référant par la bande et très accessoirement,
procédé consistant à citer un auteur de façon ponctuelle alors que
l’emprunt a été beaucoup plus important. Croire que Couillard a écrit
un pastiche de la Préface à César est selon nous faux même si l’on
peut confondre pastiche et plagiat. Un pastiche mentionne sa cible,
pas un plagiat. Il faut vraiment être obsédé par les études
nostradamiques pour croire que le mot « Prophéties », à lui tout seul
renvoie à Nostradamus ! Mais dans le cas des nostradamologues qui ont
besoin de disposer de recoupements, de tels plagiats sont une aubaine
dont ils tendent à abuser, sans être trop regardants sur la
vraisemblance des situations.
Ce qui vient compliquer apparemment les choses, c’est qu’il s’agit de
plagiats antidatés. Mais là encore rien de très surprenant : pour
faire du faux ancien, il faut se servir, de préférence, de documents,
d’éléments anciens, surtout si on indique que tel ouvrage est paru
chez tel libraire. La mode des contrefaçons, visiblement, n’aura pas
concerné que Nostradamus mais pour réaliser des contrefaçons
antidatées, d’aucuns ont jugé bon d’emprunter à Nostradamus tout comme
ceux qui ont voulu antidater certaines éditions des Centuries ont
emprunté à la production de l’époque concerné. C’est un processus en
chaîne. On aurait donc fabriqué du faux Crespin, du faux Couillard
avec du Nostradamus et éventuellement du faux Nostradamus ou du
Nostradamus recyclé.
Par du Nostradamus recyclé, nous entendons que l’on se sert de textes
anciens de Nostradamus pour fabriquer du faux Nostradamus. Mais cette
fois, ce n’est pas du plagiat puisque c’est attribué explicitement au
dit Nostradamus. Dans le cas de la Préface à César, elle aura été
fabriquée avec des passages cités par Laurent Videl dans sa
Déclaration des abus, ignorances et séditions de Michel Nostradamus de
1558. Videl passe en revue plusieurs publications de Nostradamus et
visiblement la préface se sert de ceci et de cela, sans que l’on sache
si ce qui est ainsi repris appartient à une seule et même publication,
d’autant que dans de nombreux cas on ne dispose pas des publications
ainsi utilisées, à moins évidemment de soutenir que c’est la Préface à
César, elle-même, qui aura été ainsi visée.
En ce qui concerne les Prophéties du Seigneur du Pavillon, alias
Antoine Couillard -dont il a déjà été traité récemment dans certaines
de nos études –il nous apparait que le plagiaire ignorait le caractère
de contrefaçon de son modèle, à savoir la Préface à César. Il pensait
candidement que cette préface était bien parue en 1555 donc cela
convenait pour camper les dites Prophéties du Sgr Du Pavillon à cette
époque, d’autant que dans les Antiquitez et Singularitez du monde
(1557) du dit Couillard, on trouve à la fin – ce que nous appelons le
document Moireau (neveu de l’auteur)- à savoir une liste d’ouvrages à
paraitre ou en préparation du dit auteur, dont des Prophéties. Petite
coquetterie du faussaire et plagiaire, on se permet quand même de
faire figurer le nom de Nostradamus et de son fils, ce qui évidemment
venait renforcer la date proposée pour les Prophéties, à savoir 1556
au risque évidemment de révéler l’existence d’un plagiat, ce qui n’a
pas manqué de se produire mais à notre connaissance pas avant la fin
du XIXe siècle.. Couillard mentionne d’ailleurs, sans se référer à
Nostradamus sur ce point, un ensemble de trois à quatre cents carmes,
ce qui est inspiré de la première édition des Prophéties de M.
Nostradamus qui n’était pas encore divisée en Centuries. On notera que
Videl lui ne mentionne pas un tel ensemble et pour cause, puisque le
dit ensemble n’existait pas encore au moment où il publie sa
Déclaration. Mais là encore, certains nostradamalogues s’empressent
d’y voir la preuve qu’en 1556 on connaissait ces centaines de carmes.
Dans le dossier Crespin, les références aux centuries concernent des
éditions à 10 centuries, si l’on se fonde sur la répartition des
extraits de quatrains que l’on y trouve. Selon nous de telles éditions
à dix centuries n’ont pas existé avant les années 1590. A l’évidence,
la contrefaçon d’ouvrages de Crespin s’appuie sur les éditions à 10
centuries, censées être parues en 1568 (voir en 1556 et 1558,
respectivement pour les deux volets). Là encore, il s’agit de conférer
quelque substance à une contrefaçon antidatée pour le début des années
1570. Mais comme on l’a dit plus haut, on veut faire du Crespin en se
servant de Nostradamus sans dire que c’est du Nostradamus. Et encore
une fois, seuls les nostradamologues désireux de valider des éditions
antidatées comme étant authentiques sont enclins à y voir un
témoignage probant. Si Crespin, dans un texte cite, sans trop préciser,
une épitre au roi datée de juin 1558 – qui se trouve être l’épitre à
Henri II – c’est encore une fois pour apporter une touche de véracité,
à cela près que ceux qui actionnent ainsi Crespin ne se doutent pas
eux que cette épitre et les quatrains qui la suivent sont des
contrefaçons antidatées.
Etrangement, cet imbroglio assez remarquable aura contribué à
faussement valider les modèles dont se sont, par inadvertance, ceux
qui ont fabriqué du faux Couillard et du faux Crespin car c’est sur
leurs emprunts respectifs que nombre de nostradamologues bâtissent
leurs propres études.
Dans le cas de Couillard, les choses sont assez simples : c’est un
personnage que l’on connait pour des œuvres sans aucun rapport avec
Nostradamus, notamment dans le domaine juridique. L’on sait aussi (cf.
supra) qu’il avait en projet des Prophéties ainsi que des « réponses
aux fausses prophéties de Nostradamus et quelques autres astrologues.
» (document Moireau). De fait on connait en 1560, chez Charles
l’Angelier, à Paris, des Contredits aux faulses & abusifves prophéties
de Nostradamus et autres astrologues.
Etonnant ouvrage qui, en dehors de ses titres externe et interne et de
son épitre, ne dit mot de Nostradamus alors que les Prophéties qui
elles ne se référent pas en leur titre à Nostradamus en font état tant
sur la forme que sur le fond.
Dans le cas de Crespin, nous ne connaissons sous son nom que des
pièces consacrées au prophétisme, toute une série d’épitres adressées
à de grands personnages, aux rois, à la mère du roi, Catherine de
Médicis etc.Or, les Prophéties dédiées à la puissance divine & à la
Nation française ne comportent pas d’épitre. Adressé à quelqu’un en
particulier mais seulement, comme le titre l’indique, à la Puissance
Divine et à la Nation française. Il faudrait donc faire le tri dans la
production parue sous le nom de Crespin entre ce qui est authentique
et ce qui ne l’est pas, ce qui ne l’est pas étant, a priori, ce qui
emprunte aux Centuries.
.Reste une dernière question : quel intérêt pouvait-il y avoir à
réaliser de telles contrefaçons s’il ne s’agissait pas de valider les
Centuries ? On peut penser que dans le cas de Crespin, connu comme
astrologue, il a pu s’agir de lui attribuer quelque « prophétie » en
prise sur les années 1590, ce Crespin Nostradamus étant par ailleurs
une sorte de Nostradamus bis dont nous pensons qu’il exerça un certain
magistère prophétique tout au long des années 1570. En ce qui concerne
Couillard, sa réputation de « prophète » étant sensiblement moins
avérée, comparativement, on ne voit pas bien quel profit on aurait pu
tirer de lui prêter quelque propos prophétique. Mais c’est pourtant
bien ce qui semble s’être produit : on allait ainsi pouvoir exhumer
des publications datées de 1556 – comme on l’avait fait pour
Nostradamus, avec l’édition Macé Bonhomme, notamment, datées de 1555,
pour annoncer quelque événement dans ses « Prophéties du Seigneur du
Pavillon » faisant sens pour les années 1580 vu que le texte de
Couillard est constitué de données centuriques limitées au premier
volet à la différence des Prophéties de l’astrologue du très chrestien
roy de France & de Madame la Duchesse de Savoye dédiées à la puissance
divine etc. Seul le privilège donne le nom de M. Anthoine Crespin
Nostradamus. Notons qu’il est indiqué que Crespin « donne transport »
à François Arnoullet, libraire à Lyon ; c'est-à-dire que le dit
Crespin n’est présenté que comme ayant acquis certains droits sur «
certaines prophéties datées de 1569, dédiées à la puissance divine et
à la nation françoise », lesquels droits, il les transfère au dit
libraire Arnoulet.
Voilà donc, au bout du compte, trois personnages qui se voient ainsi
enrichis de publications qui ne sont pas parues de leur vivant- tous
trois ayant en tout état de cause bel et bien publié – ou en tout cas
pas sous la forme qui nous est parvenue. Si les faussaires de la
production nostradamique empruntent à Laurent Videl pour la préface à
César et à La Daguenière (Le Monstre d’abus, Paris, Barbe Regnault,
1558) pour l’epitre à Henri II, des éléments relatifs au dit
Nostradamus, force est de constater que les faussaires de la
production couillardienne et crespinienne puisent, sans le dire, dans
les contrefaçons nostradamiques- sans qu’ils se doutent de la
supercherie- pour produire d’autres contrefaçons. Il resterait – et ce
sera peut être l’occasion d’une nouvelle étude- à déterminer à quel
usage précis visaient ces « prophéties » attribuées à Crespin et à
Couillard, comme on a pu s’en faire déjà une idée (cf. d’autres études)
en ce qui concerne certains passages des Centuries.
On reviendra sur l étude de ces deux volumes qui forment comme une
sorte de diptyque ; Dans les Contredits, on parle au chapitre I de «
la promesse escripte à la fin de nostre livre pour bonne cause
intitulé : Les propheties du Seigneur du Pavillon » et à la fin des
dites prophéties, il y a une « Epistre de l’autheur encore envoyée à
son amy par laquelle il luy faict entendre le sommaire de ses quatre
livres sur la response aux nouvelles propheties » ( fol.26 verso).
Il reste qu’une certaine dimension posthume n’est pas absente. A la
fin des Propheties, on évoque en effet dans « Aux lecteurs » : « le
Seigneur du Pavillon (…) homme docte & de tressaincte mémoire » (fol
30), ce qui nous conduit à conclure que ces textes sont parus plus
tardivement puisque le dit Couillard n’est pas mort avant la date de
son épitre (de 1573) à Henri de Valois, lors de son avènement au trône
électif de Pologne. Cela vient confirmer le document Moireau à la fin
des Antiquitez & singularitez du monde, signalant ces ouvrages comme
déjà prêts en 1557 mais pas encore parus. On ne retrouve pas une telle
présentation « posthume » à la fin des Contredits puisque l’épitre
s’achève ainsi : « escript pour estraines au Pavillon lez Lorriz en
Gastinois ce premier jour de janvier l’an mil cinq cens soixante »,
formule inhabituelle que l’on retrouve en page de titre que cette
précision « en Gastinois ». On comparera avec les formules conclusives
dans les Propheties :
« Fin de la quarte partie du Livre des Propheties du Seigneur du
Pavillon » : Donné au Pavillon les Lorriz le quart jour de Janvier ,
l’an de grace mil cinq cens cinquante cinq
Fin de l’épitre conclusive : « A Dieu. Du Pavillon ce cinquiesme de
Ianvier l’an de grace mil cinq cens cinquante cinq »
Le lien entre les deux ouvrages n’en reste pas moins assez confus ;
dans « L’imprimeur au lecteur », qui ouvre les Propheties du Seigneur
Du Pavillon, on lit que l’auteur « a désiré en respondant par grande
vehemence aux nouvelles propheties, louer le grand scavoir du prophete
» et de fait ce n’est pas dans les Contreditz que Couillard s’en prend
à Nostradamus mais bien dans les Propheties ; Rappelons que Couillard
entend répondre aux « prophéties de Nostradamus et autres astrologues
». Or, tout se passe comme s’il s’en prenait à Nostradamus dans le
premier ouvrage et aux astrologues dans le second. Mais en même temps,
il est déclaré dans L’imprimeur au Lecteur « combien qu’il ne l’ayt
voulu nommer ». Or, il y a un passage où Nostradamus est bel et bien
nommé à propos il est vrai de son fils César, mais est-ce bien lui
justement qui est visé dans cette attaque ? Inversement, dans les
Contreditz, Nostradamus est nommé mais pas abordé directement : il est
nommé au titre ainsi que dans l’épitre à François Le Sirier où il
entend « contredire & abollir les nouvelles, faulses & abusifves
propheties de Nostradamus & autres astrologues », reprenant en gros le
titre des Contredits et le texte du document Moireau.
Nous rencontrons dans ce diptyque un étrange mélange qui n’est pas si
éloigné de celui que nous observons pour la production nostradamique,
à savoir que ces documents qui se référent à l’an 1555 pourraient bien
n’avoir été publiés qu’après la mort de leur auteur, soit au minimum
une vingtaine d’années plus tard, comme il ressort de l’adresse
pathétique adressée à la fin de sa vie, à l’aube du régne du futur
Henri III.
Quant à la formule « Les Prophéties du Seigneur du Pavillon », elle
comporte un caractère distancié quand il s’agit de l’auteur lui-même
qui l’utilise, ce qui renforce cette ambigüité autour de la date de
parution du dit ouvrage. Par ailleurs, à la fin des dites Prophéties,
c’est un autre intitulé qui se présente : « Fin de la quarte partie du
Livre des Propheties du Seigneur du Pavillon » qui nous parait plus
conforme que « Les Prophéties du Seigneur du Pavillon », d’autant que
« livre des prophéties » peut signifier sur les prophéties, ce qui
semble plus approprié.
Pour en revenir au plagiat par rapport à la préface à César, nous
pensons qu’il a pu s’agir d’une volonté de compléter un manuscrit
inachevé mais cette interpolation est assez étrange car elle aurait du
s’effectuer plutôt dans les Contreditz lesquels visent nommemént
Nostradamus. A contrario, la lecture des Prophéties, dans leur
intégralité, atteste qu’il s’agit bien d’un ouvrage sur les prophéties,
qui traite certes d’astrologie mais pas seulement. Or rappelons dans
le document Moireau, il était bien question d’un tel ouvrage avant de
mentionner, à la suite, une réponse à Nostradamus, concernant un autre
projet directement axé sur le dit Nostradamus. A priori, il eut été
plus heureux, comme on l’a dit, de ne pas mêler Nostradamus à ce
premier volume d’autant que l’on y trouve d’une part l’an 3797 –
coquille chez Videl reprise dans la Préface à César puis de là chez
Couillard- mais aussi plus loin une échéance plus brève à 235 ans (
fol 27 verso), qui vise la fin du XVIIIe siècle et qui semble avoir
été empruntée au Livre de l’Estat et Mutation des temps de Richard
Roussat (1550) à moins d’imaginer que Couillard n’ait pris
connaissance, en 1555, de l’Epitre à Henri II, datée de 1558,visant
l’an 1792, laquelle épitre doit certainement à Roussat ou à Pierre
Turrel qu’il plagie..
En conclusion, nous pensons que deux documents placés à la fin de deux
ouvrages et qui semblent avoir été jusqu’ici négligés nous ont apporté
d’importants éléments de réflexion : d’une part la liste Moireau,
parue en 1557 (avec les Antiquitez, ouvrage réédité en 1578 mais sans
ce document) qui a pu servir aux faussaires pour mettre en orbite deux
ouvrages inachevés, restés en plan, de Couillard– d’ailleurs le mot
responce utilisé dans le dit document est repris dans les Contreditz :
« L’origine d’Astronomie & Astrologie a en nostre premier livre de la
response aux nouvelles propheties, par nous amplement esté déclaré »
et l’on a l’impression que « Contreditz « n’est pas le titre d’origine.
Un autre passage milite en faveur du mot Response au titre : «
L’incredible labeur des quatre livres suyvants qui sont, ce me semble,
suffisante responce & emportent la victoire contre toutes les
propheties des nouveaux prophetes ». Une réponse n’est pas
nécessairement un « contredit ».
D’autre part, on ne saurait négliger ce que nous enseigne le « Aux
Lecteurs » à la fin des Prophéties qui semble bien avoir été rédigé
après la mort d’Antoine Couillard et selon nous dans les années 1580
lors de l’émergence de la première édition des Grandes et
Merveilleuses Prédictions., qui n’a pas été conservée sinon quant à sa
page de titre.(Rouen, 1588)..
Cette idée d’ouvrages en attente sinon en souffrance est attestée au
début des Contreditz par le pasage suivant (certes daté de janvier
1560) « mon petit labeur par moy composé des l’an mil cinq cens
cinquante cinq & non encore mis en lumière pour la malice du temps ».
Certains points nous inclinent, a contrario, à penser que des passage
du manuscrit d’origine ont pu être coupés. Ainsi que signifie ce
singulier à la place du pluriel : « Il) n’a pas sans grande & plus que
raisonnable cause escript ceste propethie, la disant quasi comme folie
car ce qui est folie aux hommes est grande prudence envers Dieu» (p.
30 recto, in Propheties) ? Où est passée cette prophétie qui est cette
fois l’expression du sentiment de l’auteur lequel semblerait bien,
quelque part, se prendre pour un prophéte et de ce fait, à ce titre,
méprise les astrologues ?
JHB
11.07. 12
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