31 - Le double sens du mot centurie dans
les éditions parisiennes de la Ligue
Dans les éditions parisiennes de la Ligue,
la centurie VII ne comporte que (cf. Benazra, RCN, pp.
118 et seq), des quatrains des almanachs. Comme le note
R. Benazra :
« Prophéties de M. Nostradamus adioustées
nouvellement. Centurie septiesme.(…) Dans cette Centurie
, on a inséré 12 quatrains qui n’’en ont jamais fait
partie. ». Sauf en ce qui concerne le premier,
ajoute-t-il, ce « sont ceux qui devaient être publiés
comme présages pour l’almanach pour 1561. ».
Pourquoi avoir classés ces quatrains
d’almanach sous le titre de « centurie » et pourquoi
cette « centurie » ne comporte que 12 quatrains, ce qui
correspond au nombre de quatrains figurant dans chaque
almanach (certains almanachs ayant droit à un quatrain
supplémentaire pour l’année) ?
Selon nous, deux acceptions du mot « centurie »
s’entrechoquent ici. Il semble bien que les quatrains
des almanachs de Nostradamus aient été réédités sous la
forme de « dix centuries » (cf. la
Bibliothèque
de Du Verdier, 1584) et que les éditeurs des éditions
parisiennes des « Prophéties » en aient repris la série
pour l’année 1561 (année qui par ailleurs figure au
titre)/
On a longtemps cru que la mention des
centuries dans la dit Bibliothèque
témoignait de l’existence dès cette époque des
« Centuries » au sens qui sera en vigueur à partir de la
fin du XVIe siècle. Mais, selon nous, la référence ne
visait que les quatrains des almanachs qui furent la
première étape d’un revival nostradamique. Et d’ailleurs,
si une telle parution des quatrains des almanachs
n’avait pas eu lieu, on se demande comment les éditeurs
parisiens des années 1588-1589 auraient pu les
reproduire.
En fait, selon nous, la première
acception, dans le contexte nostradamique, du mot « centurie »
s’appliquait aux « présages », nom sous lequel seront
par la suite désignés les quatrains des almanachs,
lesquels présages continueront figurer au xVIIe siècle,
dans les éditions troyennes notamment.
Cela n’aurait été que dans un second
temps, que l’on aurait fait paraitre sous le même terme
de « centurie » de tout autres quatrains, en
remplacement des premiers et en nombre bien plus
considérable prenant cette fois le terme centurie comme
désignant cent quatrains.
Et encore, faut-il préciser, qu’il
s’agissait au départ d’une série de 349 quatrains pas
encore classés en centuries (cf. l’édition Rouen du
Petit Val, 1588, non pas en son titre mais en son
contenu, tel que décrit par D. Ruzo dans son Testament de Nostradamus
(1982)/
L’idée de présenter les dits quatrains
d’un nouveau genre regroupés en centuries fit son chemin.
Mais encore faut-il préciser que la quatrième « centurie »
ne comprenait que 49 quatrains, ce qui montre bien que
le terme centurie ne désignait pas nécessairement une
série de 100 quatrains. La pseudo édition Macé Bonhomme,
quant à elle, se termine par une quatrième centurie à 53
quatrains. Idem pour la pseudo édition Antoine du Rosne
1557, avec une centurie VII à 40 quatrains (exemplaire
Budapest) et à 42 quatrains (exemplaire Utrecht).
En conclusion, nous dirons que les
éditions parisiennes constituent un chainon manquant
entre les deux acceptions des centuries dans la mesure
où le mot « centurie » désigne tantôt une série de
nouveaux quatrains, tantôt une série de « présages ».
Par la suite, le lien entre centuries et « présages »
d’almanachs ne sera plus attesté. Mais les éditions du
XVIIe siècle (Troyes, Du Ruau etc ) ne renonceront pas à
indiquer en annexe de la centurie VII, les quatrains de
l’almanach pour 1561. Finalement, ces quatrains
d’almanachs seront désignés sous le nom de « Présage »
tandis que le mot « centurie » cessera de leur être
associé : « Présages tirez de ceux faits par M.
Nostradamus es années mil cinq cens cinquante cinq &
suyvantes », avec une présentation année par année.
Ce mélange entre deux catégories de
« centuries » sera particulière mt manifeste dans le Janus Gallicus
(1594, dix ans après la
Bibliothèque
de Du Verdier) qui entremêle les quatrains des deux
types de « centuries ».
Nous dirons donc que les quatrains des
centuries (au sens des contrefaçons de 1555, 1557 et
1568) se seront substitués aux quatrains des centuries,
au sens de séries de quatrains des almanachs. D’ailleurs,
autant les quatrains des almanachs constituent-ils un
ensemble cohérent, articulé sur l’ordre 12 mois de
l’année, autant les quatrains des « prophéties » n’ont
aucune assise astronomique d’ensemble et l’exégèse
nostradamique ne s’y est pas trompée qui ne respecte
aucun agencement quant à l’ordre des dits quatrains
prophétiques.
On ne dispose pas de cette édition
Benoist Rigaud des « Centuries » de présages mais le
manuscrit du Recueil de Présages Prosaïques
est bel et bien conservé (Lyon La Part Dieu) et a été en
partie édité par B. Chevignard (Présages
de Nostradamus,
Seuil, 1999). Une parution, par les soins de Chavigny,
semble avoir été programmée pour 1589. C’est à partir
d’un tel manuscrit que le recueil de centuries, tel que
signalé par Du Verdier, dont nous traitons ici a pu être
réalisé, ce qui constituerait une sorte de diptyque :
présages en vers, présages en prose. Mais si le volume
de présages-quatrains occupe une certaine place, au vrai
assez modeste, dans les éditions des Prophéties,(Janus
Gallicus,
éditions troyennes Du Ruau, mais pas chez Chevillot)
celui des présages en prose est surtout important dans
les Pléiades
du dit Chavigny, qui commencèrent à paraitre, au début
du XVIIe siècle, à partir de 1603 (cf RCN, p. 154)
32 Une édition fâcheusement négligée :
Cahors 1590
Si l’on a pu déplorer de ne pas disposer
de l’édition Rouen du Petit Val 1588, il est d’autant
plus étonnant de devoir noter qu’une édition qui est
devenue très accessible n’a pas été exploitée comme elle
aurait du l’être.
En effet, une des éditions les moins bien
connues et les plus imparfaitement décrites, à ce jour,
est probablement celle parue à Cahors, chez Jaques
Rousseau. Benazra n’indique même pas le nombre de
quatrains de la VIIe centurie. (cf RCN, pp. 126 et seq)
ce qui permet de douter sérieusement qu’il l’ait eu
entre les mains. Il n’en précise pas moins qu’elle
‘reproduit les éditions de Benoit Rigaud » du fait
qu’elle est la première en date – du moins dans les
années 1580- à comporter deux volets. En fait Benazra ne
fait, tout comme Chomarat, que de reprendre ce qu’en dit
Ruzo.(cf Chomarat, Bibliographie Nostradamus,
p. 81). Qu’en est-il vraiment ? Il se trouve que nous
avons obtenu de la Société des Lettres de Rodez la
photocopie d’extraits des deux volets et notamment des
épitres. Mais Mario Gregorio reproduit l’intégralité de
l’ouvrage sur son site propheties.it, à partir d’un
exemplaire suédois. (
Kungliga biblioteket KBKATALOG1955SPI (078766).
Nous sommes en fait en presence de
l’édition la plus ancienne qui ait été conservée, si
l’on met à part l’épitre très bréve reprise par Antoine
Besson, dans les années 1590 et qui selon nous aura été
considérablement augmentée. Selon nous, ce sont les
pseudo éditions Rigaud 1568 qui sont dérivées de celle
de Cahors et nullement l’inverse, même si nous avons par
ailleurs des doutes sur la date de parution du second
volet qui nous intéressera au premier chef.
Plusieurs arguments seront évoqués et
nous nous intéresserons particulièrement aux données
chiffrées ou datées qui attirent d’ailleurs l’attention
plus aisément.
Il en est ainsi tout particulièrement
d’un passage fort connu relatif à l’année 1606. Dans
toutes les éditions disponibles, le texte est celui-ci :
« espérant de laisser par escrit les ans,
villes, citez , regions où la plupart adviendra, mesmes
de l’année 1585 & de l’année 1606 accomençant depuis le
temps present, qui est le 14. de Mars 1557 ». Notons la
présence du point après le chiffre, qui fait passer du
cardinal à l’ordinal : il faut lire le quatorziéme de
Mars. On aura l’occasion d’y revenir.
La version Cahors 1590 diffère :
. »mesmes de l’année 1585.1606 (sic)
commençant depuis le quatorziesme de Mars 1557 ».
Nous sommes en présence d’une
interpolation, avec l’addition de 1606 après 1585, qui
évoluera vers la forme moins maladroite « mesmes de
l’année 1585 & de l’année 1606 », ce qui laisse entendre
que l’Epitre était d’abord orientée vers 1585, ce qui
nous place au début de la Ligue. Mais encore faut-il
rappeler que cette Epitre ne figure pas en tête du
premier volet des Centuries mais bien du second, sur
lequel on dispose de bien moins d’informations avant
précisément 1590. Les deux volets ont d’abord connu des
destinées paralléles avant de se retrouver au milieu des
années 1590 rassemblées et rédirigées vers une nouvelle
échéance, celle de 1606. Croire que cette année 1606
était déjà en ligne de mire en 1568 serait déjà beaucoup
demander. En 1590, l’an 1585 étant déjà passé, cela fait
sensiblement plus sens, même si nous pensons qu’un tel
diptyque n’a pu exister avant 1594.
La disposition des quatrains est en tout
état de cause totalement différente dans les deux volets :
dans le premier, les quatrains sont numérotés en
chiffres romains et dans le second en chiffres dits
arabes. Dans le premier cas, le numéro des quatrains est
situé au dessus de chaque quatrain, dans le second, le
numéro des quatrains est situé au niveau du premier
verset du quatrain. Les quatrains du premier volet
Cahors sont en police droite et ceux du second volet
Cahors en italique. Précisions aussitôt que dans les
éditions Rigaud, le second volet est aligné sur le
premier, ce qui fait que les volets n’offrent aucune
différence, ce qui correspond à nouveau à une volonté
d’harmonisation et de dissimulation des différences
initiales.
La présentation des pages de titre est
identique dans notre édition Cahors et dans les
multiples éditions Benoist Rigaud 1568, en revanche, n’a
pas été harmonisée et chaque volet garde sa spécificité,
y compris dans les éditions Rigaud, sauf dans la partie
supérieure qui est identique :
Premier volet
Les Prophéties de M. Michel Nostradamus.
Dont il y en a trois cens qui n’ont encore iamais esté
imprimées. Adioustées de nouveau par ledict Autheur
On notera l’insistance à attribuer toutes
les additions à Nostradamus.
Second volet
Les Prophéties de M. Michel Nostradamus.
Centuries VIII. IX. X. Qui n’ont encores iamais esté
imprimées.
On notera que l’on laisse entendre
qu’elles avaient jusque là circulé en manuscrit.
Le terme « centuries » ne figure pas sur
la page de titre du premier volet et les nombres
indiquées au premier volet concernent les Prophéties.
Autrement dit, le mode de calcul diffère d’un volet à
l’autre. D’un côté, on nous parle de 300 prophéties et
de l’autre, ce qui revient au même, de trois centuries.
On notera également que la présentation
Rigaud de la Préface à César obéit strictement aux mêmes
codes de mise en page que pour Cahors 1590. En revanche,
l’épître à Henri II Rigaud 1568 comporte une
présentation fort différente à savoir qu’on n’y marque
aucune différence entre le texte français et les
passages en latin, à la différence de Cahors 1590 et du
dit premier volet Rigaud.
Tant dans Cahors que dans Rigaud, la
centurie VI ne comporte pas le quatrains 100 et l’on y
trouve, comme dans Utrecht 1557, un avertissement latin
intitulé « Cantio » (au lieu de Cautio)
Passons à présent à d’autres observations
qui viennent confirmer que l’édition de Cahors est moins
corrompue que ne le sont les éditions Rigaud, ce qui est
un critère généralement admis sauf si, hâtons-nous de le
préciser, il s’est agi d’une volonté d’harmonisation.
Mais ces deux procédés cohabitent.
Une des bévues les plus flagrantes
se,situe dans la liste des latitudes telles que
celles-ci figurent au sein de l’Epître centurique à
Henri II.
Pseudo Editions 1568
« Seront diverses sectes par main
militaire, délaissant le 50. & 52. degrez de hauteur &
feront tous hommaige des religions (sic) loingtaines aux
regions de l’Europe de Septentrion de (sic) 48. degrez
d’hauteur
Editions Cahors 1590
«délaissant le 50. & 52. degrez de
hauteur & feront tous hommage de régions loingtaines au
regions de l’Europe de Septentrion du 48. degrez de
hauteur »
On trouve « religions’ au lieu de « régions »
dans les pseudo-éditiins Rigaud et « de 48. degrez « au
lieu de « du 48. degrez », le maintien du point rendant
l’expression tout à fait incongrue. Il suffit d’aileurs
d’examiner la phrase précédenete pour comprendre que
c’est une numérotation ordinale. : cinquantiéme et
cinquante-deuxiéme degrés…. Quarante-huitiéme degrez de
hauteur ».
D’ailleurs, la forme quarante huitiéme
degré figure quelques lignes plus bas : « tellement que
la venue du Sainct Esprit procédant du quarante huitiéme
degrez » (Cahors) , « du 48. degrez » (Rigaud)
Il est clair qu’une édition critique de
l’épître à Henri II devra s’effectuer à partir de
l’édition Cahors. Les chercheurs qui ont comparé ces
éditions ont surtout, comme P. Guinard, étudié la
préface à César. Pour Guinard, l’édition Cahors est à
rapprocher de l’édition « X » Rigaud, selon son propre
catalogage. Cela ne vaut pas, en tout cas, pour l’Epitre
au Roi.
Ajoutons que cette édition Cahors
comporte 42 quatrains à laVII, elle est très semblable à
.Utrecht a 42 quatrains à la VII – dont la page de titre
est identique avec la mention au premier volet «
Adioustées de nouveau », ce qui en fait renvoie au
second volet disparu. En fait, la présence de cette
mention sur la page de titre du premier volet montre que
l’édition Cahors que nous connaissons était à deux
volets, à l’instar de l’édition Utrecht. Mais il est
probable que l’harmonisation n’ait concerné que la page
de titre, tant les différences entre les deux volets
Cahors sont évidentes. Cette pratique consistant à
changer les pages de titre tout en conservant un contenu,
au niveau de la forme et/ou du fond- à déjà été signalée
notamment pour la période de la Ligue. La date de 1590
peut avoir fait sens pour le premier volet et aura été
maintenue mais il faut reporter de trois, quatre ans, au
moins la mise en place de cette édition à deux volets,
soit à l’avénement et au sacre d’Henri IV qui changera
la donne..
On notera également que Cahors 1590 ne
comporte de mots en majuscules que pour le premier volet
mais aucune pour le second volet à une exception près, à
savoir le premier mot de la première centurie du second
volet (VIII, 1) : PAU, Nay, Loron . En revanche, Rigaud
1568 met ces trois noms en capitales. On peut le
vérifier sur le site propheties.it qui reproduit Cahors
1590 en fac simile. Cette pratique des majuscules n’est
aucunement attestée sous la Ligue (Paris, Rouen, Anvers)
. Elle semble n’avoir été instaurée que dans le cours
des années 1590. Elle est attestée dans Macé Bonhomme
1555, Antoine du Rosne 1557 (Budapest-Utrecht) et dans
toutes les éditions Rigaud 1568. La pratique des
capitales est en tout cas largement attestée dans le Janus Gallicus de 1594. On ne trouve pas cependant en
1672 ce procédé des mots en capitales dans la traduction
anglaise de Théophile de Garencières. Est-ce Chavigny
qui aura lancé cette mode ou bien dépend-il d’éditions
l’ayant déjà adopté partiellement comme Cahors 1590, au
premier volet ?. On retrouve cette pratique dans Utrecht
1557 alors que l’édition Rosne-Budapest 1557 ne comporte
pas de capitales et correspondrait donc au modèle des Grandes et Merveilleuses Prédictions
(Rouen et Anvers, cette dernière se référant à une
édition 1555 et l’édition Rouen 1589 étant tronquée dans
ses dernières feuilles).
On nous objectera que Cahors 1590
comporte 42 quatrains à la centurie VII alors que Rigaud
1568 n’en a que 40. N’est-ce pas le signe que l’une
serait postérieure à l’autre du fait qu’elle comporte
une telle addition ? On retrouve cette question (cf
supra) avec les deux éditions Du Rosne 1557. Il est
probable que sous la forme d’un seul volet, les éditions
n’aient comporté que 40 quatrains à la VIIe centurie.
Mais sous la forme de deux volets, la norme nous semble
avoir été 42 quatrains à la VII et nous incluons dans
cette catégorie l’édition Utrecht du fait qu’elle
comporte en son titre référence au second volet, que
celui-ci ait été ou non conservé. Dès lors, nous pensons
que la formule « Rigaud’ est une cote mal taillée,
c'est-à-dire que pour quelque raison, on aura pris une
édition à un seul volet et donc à 40 quatrains à la VII
(genre Rosne 1557 Budapest) puis qu’on y aura ajouté le
second volet (genre Utrecht 1557) sans se rendre compte
que les éditions à 2 volets comportaient 42 quatrains au
premier volet. En cela, on ne peut dire que Rigaud 1568
à 2 volets est calqué sur Cahors 1590 à 2 volets. Rigaud
1568 est donc atypique comparé à Pierre Chevillot (Troyes,
XVIIe siècle) comportant 42 quatrains à la VII qui nous
semble être la forme aboutie que n’a pu atteindre Rigaud
1568 mais elle correspond très probablement à Rosne 1557
à 42 quatrains à la VII, dont le second volet ne nous
est pas parvenu. La perte de ce volet aura eu des
conséquences importantes sur la représentation de la
chronologie des éditions centuriques à commencer par le
fait qu’elle devait comporter l’épitre à Henri II sous
une forme qui pourrait être plus proche de Cahors 1590
que de Rigaud 1568, c'est-à-dire sans les défauts de
cette dernière, signalés plus haut.(notamment religions
à la place de régions). On aurait aimé étudier dans ce
volet perdu le doublet 1585/1606. D’aucuns pensent qu’il
n’a pu exister une édition de l’Epître à Henri II datée
d’avant 1568. Mais rappelons que pour nous, toutes ces
éditions 1555-1557-1568 sont antidatées et que nous
sommes face à une chronologie fictive qui n’en est pas
moins à restituer/reconstituer. Mais cela implique que
le second volet n’ait pas été daté de 1557 mais de 1558
date de l’épitre au roi. Il n’y aurait rien d’illogique,
bien au contraire, à ce que les deux volets ne portent
pas la même année, puisqu’il est question d’additions.
Seules des rééditions sont conduites à conférer une même
année à deux volets successifs. Dans le cas Rigaud, on
notera que le second volet n’est pas daté, ce qui n’est
pas une solution du moins si l’on devait considérer
Rigaud 1568 comme la première édition du second volet
car la dite première édition aurait du porter une date
qui lui soit propre. L’absence d’une telle date sur la
page de titre du volet additionnel trahit le caractère
tardif du diptyque Rigaud...
33 Nouvelles réflexions sur les méthodes de
fabrication de faux centuriques antidatés
Nous voudrions insister sur deux points : d’une part,
l’utilisation de documents d’époque permettant de
conférer au faux un cachet ancien, une patine et
d’autre part, le principe d’une sorte de « double
comptabilité », à savoir que les contrefaçons sont
doublement datées et que l’on modifie seulement les
pages de titre pour disposer à la fois d’une date
présente –ou d’une absence de date – et d’une date
ancienne. Certains ont contesté ce second point en
soulignant que les éditions antidatées (1555-1568)
n’ont pas leur pendant exact à la fin du XVIe ou au
début du XVIIe siècles.
I La préparation des fausses éditions antidatées.
Certains nostradamologues ont montré à quel point
certaines éditions datées du vivant de Nostradamus et
censées avoir été publiées chez tel ou tel libraire/éditeur
sont, au niveau de leur présentation respectent un
certain nombre de traits caractéristiques des
libraires concernés (bandeaux, lettrine etc.). Patrice
Guinard a dévolu beaucoup de temps à mettre ce point
en évidence en faisant appel évidemment à d’autres
documents que les documents centuriques, à des fins de
comparaison. Mais en même temps, ce faisant, il est à
craindre qu’il ne nous montre surtout comment les
faussaires eux-mêmes auront procédés, en se servant
des mêmes données qu’il aura mises en évidence. Dans
notre travail consacré à la prophétie de Saint
Malachie (Papes et prophéties, Ed. Axiome,
2005), nous avons montré que ce sont les mêmes
documents qui servent à valider le texte et qui
servent à la constituer, à savoir des Histoires de la
Papauté.
Prenons le cas du privilège figurant en tête des
éditions Macé Bonhomme 1555. C’est probablement un cas
unique de privilège figurant au sein d’une édition
centuriques des XVIe ou XVIIe siècle alors même que
les almanachs et pronostications sont très fréquemment
accompagnés de privilèges de tous ordres.
. Au verso de la page de titre comportant « La
permission est insérée à la page suivante. AVEC
PRIVILEGE » on trouve un Extraict des registres de la
Sénéchaussée de Lyon ». Or, il faut savoir que ce type
de document est attesté au sein de pronostications. On
a le cas de l’édition de la Pronostication nouvelle
pour 1558, Lyon, Jean Brotot et Antoine Volant.(cf
Catalogue Scheler, op. cit. p 24) qui diffère
d’ailleurs de l’édition (que nous avions retrouvée à
la Bibl. de La Haye), reprise par B. Chevignard (in
Présages de Nostradamus, op. cit.,p. 442) parue, quant
à elle, à Paris, chez Guillaume Le Noir. Il n’était
pas bien difficile de recycler un tel Extraict et de
le retoucher pour le placer en tête de l’édition Macé
Bonhomme 1555 si ce n’est que les privilèges accordés
aux libraires éditant Nostradamus ne visaient jamais,
à notre connaissance, un ouvrage particulier mais
plusieurs catégories, au nombre de trois : Almanachs,
pronostications, présages. (cf. nos Documents, p.
201).
Cela dit, quand on examine le privilège concernant les
Prophéties datées de l’an 1569 dédiées à la
puissance divine & la Nation Française de « M.
Anthoine Crespin Nostradamus », il vise cet unique
ouvrage (cf. Documents, p. 206) comme pour Macé
Bonhomme 1555 où sont uniquement visées « Les
Prophéties de Michel Nostradamus ». Le parallèle
est d’ailleurs intéressant entre ces deux « Prophéties »,
vu que, selon nous, Crespin représentait le camp
protestant et Michel Nostradamus, par delà la mort, le
camp ligueur jusqu’à ce que toutes ces pièces
antidatées, les unes comme les autres, soient fondues
en un seul volume, néanmoins divisé en deux volets
distincts, le second n’étant d’ailleurs, en règle
générale, pas daté. On ne doit pas sous estimer la
surenchère entre les deux camps quant à la production
de documents de plus en plus anciens ou de plus en
plus en expansion quantitative, faisant dire et
prédire à Nostradamus ou à Crespin Nostradamus ce qui
convenait au camp concerné.
II La double « comptabilité » des éditions centuriques
Nous commencerons par l’étude des éditions Benoist
Rigaud. Le catalogue Scheler comporte (pp. 56 et 58)
un exemplaire que nous avons pu examiner et qui
d’ailleurs détermine les limites chronologiques du
titre du dit catalogue, dressé par Michel Scognamillo :
« 1555-1591 ». Cette date de 1591 ne correspond à
aucune date présente sur l’édition non datée Benoist
Rigaud dont il s’agit. Il s’agit d’une estimation
proposée par certains bibliographes. Date éminemment
improbable car venant trop tôt pour rendre compte de
l’existence du quatrain IX, 86, au second volet,
relatif, selon nous, au couronnement de Chartres qui
ne fut pas planifié avant la fin de 1593.. Et plus
généralement, nous dirons que les éditions à deux
volets ne parurent pas avant la fin du XVIe siècle,
probablement lors de la constitution de ce que l’on
pourrait appeler le « canon troyen », visant à
rassembler tout ce qui a à voir, par delà les
sensibilités politiques, avec le prophétisme
nostradamiens (quatrains et épitres), dans la suite de
l’entreprise également globale du Janus Gallicus,
s’ouvrant aux dix centuries mais aussi aux quatrains
des almanachs de Nostradamus (cf. le Recueil des
Présages Prosaïques édité par le même personnage,
Jean Aimé de Chavigny).
Si l’on examine cette édition, en la comparant à une
édition datée de 1568, sous la houlette du même
libraire (cf. page de titre des deux volets, catalogue
Thomas Scheler, pp.41 et 44) les similitudes sont
frappantes : mêmes vignettes spécifiques à chaque
volet, même mise en page, même vignette centrale,
reprise selon nous des pages de titre des almanachs de
Barbe Regnault. Bien plus, les seconds volets sont
strictement identiques puisqu’ils ne comportent de
date, ni l’un ni l’autre. On comprend mieux d’ailleurs
l’absence de date : soit on ne mettait pas de date,
soit l’on plaçait la date dans un espace vide. Il
n’était donc pas nécessaire de changer la date et de
toute façon, cela n’affectait que le premier volet,
qui correspond en fait à la page de titre de tout
l’ensemble, le second volet n’ayant d’autonomie.
Malheureusement, l’on n’a pas conservé le second volet
de l’édition Antoine du Rosne Bibl. Utrecht. Il était
probablement daté du fait qu’il comportait l’Epitre à
Henri II de juin 1558. Mais par la suite, pour les
éditions postérieures, cela ne s’avéra plus utile.
Il suffisait donc de glisser 1568 dans certaines pages
de titre ou de laisser en blanc :
Cette dernière formule ne correspondant en fait à
aucun document, dans le corps du texte, tant pour les
éditions 1568 que les éditions sans date. C’était
d’ailleurs préférable car il aurait fallu deux
« permissions » différentes selon que l’on se situait
en 1568 ou à la fin du siècle.
Dans les autres cas, l’analyse est sensiblement plus
complexe et un tel parallèle au titre est rare. Un des
parallèles les plus simples est celui de l’édition
parisienne Veuve N. Buffet (également au Catalogue
Thomas Scheler p. 49) datée de 1561 mais quasiment
superposable sur les éditions parisiennes datées
de1588- 1589, (Veuve Nicolas Roffet, Pierre Ménier,
Charles Roger) tant au titre qu’au contenu. Quelques
différences cependant assez mineures, il nous semble :
38 articles « additionnés », dans l’édition 1561 au
lieu de 39 au titre des éditions ligueuses, une
centurie VIII de 6 quatrains sous la Ligue,
inexistante dans l’édition 1561. En revanche, le même
étrange décalage entre titre et contenu est
observable.
Prenons d’autres exemples concernant les éditions
Antoine du Rosne 1557. A peu de choses près,
l’exemplaire de la Bibl. de Budapest correspond à
l’édition d’Anvers 1590, si ce n’est la présence de 5
quatrains supplémentaires à la VIIIe centurie. Même
absence d’avertissement latin et de quatrain 100 de la
centurie VI, outre le fait que ces éditions sont à un
seul volet. En revanche, les pages de titre différent
du fait que l’édition d’Anvers ne comporte pas en son
titre de vignette nostradamique mais la marque du
libraire. Le texte est proche à part le fait que dans
un cas l’on a Les grandes et merveilleuses prédictions
et dans l’autre Prophéties mais à la dernière page, il
est renvoyé à une édition des « Professies » (sic),
Avignon 1555. La même erreur grammaticale est en outre
observable au titre « dont il en y a trois cens » au
lieu de ‘dont il y en a », comme dans les éditions
Benoist Rigaud. Et bien entendu, le libraire n’est pas
le même alors qu’avec Benoist Rigaud, l’on disposait
d’un libraire dont la carrière s’étendait sur une
trentaine d’années mais selon nous les éditions Rigaud
sont toutes postérieures à la mort du dit Rigaud en
1597.
En ce qui concerne Antoine du Rosne, 1557 Utrecht, on
a affaire à deux volets calqués sur les éditions
Benoist Rigaud, passées par le moule troyen : on y
rétablit l’avertissement latin et on ajoute 2
quatrains à la VIIe centurie. Les éditions Rigaud ne
sont en fait, dans ce système, que la réédition
d’Antoine du Rosne Utrecht, ce qui explique qu’elles
ne comportent aucun trait posthume par rapport à la
récente mort de Nostradamus. Mais c’est finalement
l’option 1568 qui aura prévalu sur l’option 1557, d’où
la multiplicité des éditions Benoist Rigaud, recensée
et classée par Patrice Guinard, lequel s’en tient à la
thèse d’une véritable parution en 1568, donc avant
tout le processus enclenché sous la Ligue, dont selon
nous les dites éditions Rigaud sont l’aboutissement,
la thèse inverse voulant que le processus ligueur
aurait été une dégradation des éditions Rigaud à deux
volets. Un scénario bien différents et impliquant non
plus une dynamique constructive mais une dynamique
destructive.
Terminons avec le cas de Macé Bonhomme 1555. De quelle
édition est-issue une telle édition ? On dispose
certes d’une édition 1588 Rouen Raphaël du Petit Val
« divisée en 4 centuries », du moins est-ce qui est
indiqué au titre, son ancien possesseur Daniel Ruzo
assurant – (Testament de Nostradamus, op. cit,
p. 282) qu’il n’y a pas trace de division en centuries
à l’intérieur. En cela, le contenu se distingue de la
présentation Macé Bonhomme en 4 centuries, laquelle
correspond en revanche au titre de 1588. Inversement,
le titre Macé Bonhomme, lui n’indique pas de
centuries, en son titre et correspond dès lors au
contenu de l’édition Rouen 1588. Tout se passe comme
si l’on avait interverti les titres. Mais cette fois,
le titre correspond à une antidatation et non pas à
une postdatation. On en arrive à supposer que ces
décalages entre titre et contenu ne relèvent pas
nécessairement d’une quelconque stratégie mais bien
d’un manque de maîtrise du domaine, de confusions et
d’interversions de toutes sortes commises par les
faussaires et leurs éventuels assistants, noyés dans
la masse de la documentation comme le sont d’ailleurs
de nos jours ceux qui abordent la délicate et fort
intriquée et embrouillée question de l’histoire des
éditions centuriques..
On ne connait pas, en définitive, d’édition des années
1588 qui corresponde à la division en 4 centuries,
avec 53 quatrains à la IV mais les éditions ligueuses-
y compris l’édition Veuve Buffet, 1561 qui fait
absolument partie de cet ensemble- ont gardé la trace
d’une telle édition puisqu’elle signale une addition à
la IV, commençant au 54e
quatrain. Chez la veuve Buffet, l’addition commence
une page nouvelle alors que pour les trois autres
éditions parisiennes, dont celle-ci dérive, l’addition
s’effectue sur la même page que la partie d’origine.
Mais l’édition Macé Bonhomme à 4 centuries n’en reste
pas moins plus tardive, par son contenu, que l’édition
De Rouen 1588 qui n’a que 49 quatrains à la IV. Ce qui
nous amène à la réflexion suivante : les éditions
antidatées ne représentent qu’une petite part de
toutes les éditions produites à partir des années
1580.En aucune façon, il ne faudrait croire qu’à
chaque édition de cette période (1580-1600) correspond
nécessairement une édition antidatée des années
1550-1560. En revanche, à chaque édition antidatée
correspond ou devrait correspondre, une édition plus
tardive dont elle est issue car il ne ferait pas sens
qu’une progression de contenu ne se produise qu’au
niveau des éditions antidatées, cela déséquilibrerait
le processus global de formation.
Pour conclure, nous donnerons ci-dessous la
chronologie des titres des éditions centuriques, pour
le premier volet, sans fournir de dates mais en citant
les éditions attestant des dits titres. Il n’est pas
ici question du contenu des éditions de référence mais
uniquement du titre.
1 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. (-cf. Macé
Bonhomme 1555 et permission)
Note : on n’est pas encore dans un découpage
centurique d’où cette centurie IV qui tient au fait de
ce non découpage.
2 Les Grandes et Merveilleuses prédictions de M.
Michel Nostradamus, divisées en 4 centuries (Rouen
Raphael du Petit Val, 1588)
Note : on entame une Ive Centurie à 49/53 quatrains.
3 Les Centuries et merveilleuses prédictions contenant
six centuries
Note ; sur le modèle Pierre Valentin 1611
indiquant au titre sept et non six centuries) et qui
n’implique pas encore 600 quatrains. Il s’agit ici du
contenu des éditions ligueuses à mi-chemin entre
quatre centuries et six centuries pleines, la VIe
centurie s’arrêtant à 71 quatrains.(‘cf. Benazra, RCN,
p. 121 qui envisage une édition s’arrêtant à ce stade,
sans le supplément de quatrains, présenté sous le
terme « septiesme centurie » et qui ne parvient pas à
compléter la Vie centurie.
4 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en
a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées
(page de titre édition Antoine du Rosne Budapest
1557 ; Rouen 1589, Anvers, 1590 avec le titre Grandes
et merveilleuses prédictions)
Note : on passe de 353 quatrains à 600 en comptant les
53 quatrains de la IV.
5 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en
a trois cens qui n’ont encores jamais esté imprimées
(..) Revues & additionnées par l’Autheur pour l’an mil
cinq cens soyxante & un de trente huit/neuf articles (
Buffet 1561, Ed ligueuses1588-1589)
Note : on ajoute une centurie VII à 35/38/39/40/42
quatrains aux 6 centuries. L’édition à 38 articles
serait postérieure au contenu de l’édition Anvers 1590
à 35 quatrains à la VII.
6 Les Centuries et merveilleuses prédictions de M.
Michel Nostradamus contenant sept centuries ; dont il
en y a trois cens qui n’ont encores iamais esté
imprimées (cf Ed. Valentin, Rouen 1611)
Note : titre assez bancal.
7 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en
a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées.
Adioustées de nouveau par ledict Autheur (page de
titre Edition Antoine du Rosne, Utrecht, 1557, Benoist
Rigaud 1568) . Cette présentation annonce un second
volet à la suite.
Note : ce titre du premier volet ne rend pas compte de
la septième centurie comme le faisait le titre n° 4..
Pour en revenir aux Editions Benoist Rigaud dont il a
été question au début de notre étude, l’’on ne peut
que constater que la thèse d’une première édition à 10
centuries effectuée en 1568 ne tient pas puisqu’il est
précisé « Adioustées de nouveau par ledict Autheur »,
ce qui implique que cela se produise de son vivant,
donc au plus tard en 1566. En ce sens, le choix de
l’année 1566 pour les éditions Pierre Rigaud se
révélait assez judicieux – en ce qu’il laissait encore
possible le fait que Nostradamus ait procédé à une
ultime addition. Il permettait aussi d’intégrer
l’addition de 1560, ce qui n’était pas le cas pour
Antoine du Rosne 1557 qui comportait, sans le
signaler, au titre, une centurie VII. En fait,
l’édition Antoine du Rosne, au regard de son contenu,
devrait porter le titre 4.
JHB
18. 05.11
34
- Réflexions méthodologiques autour du
corpus nostradamique.
Par Jacques Halbronn
Nous appelons « chronéme » (voir
l’introduction du Texte Prophétique en France), un
critère permettant de dater ou de redater un document,
un événement. Signaler un chronéme, c’est contribuer à
une meilleure chronologie. Mais certaines « preuves » se
révèlent discutables, elles vont au-delà de ce que l’on
est en mesure d’extraire raisonnablement de telle ou
telle pièce
Cela atteint des sommets quand à partir de textes dont
la datation est sujette à caution, tel biographe
n’hésite pas à affirmer qu’en telle année Nostradamus a
écrit ceci ou publié cela. Mais un des cas les plus
remarquables est peut être celui qui consiste à affirmer
que Nostradamus a lui-même rédigé des centaines de
quatrains alors même que ce point fait débat. Que ces
quatrains aient quelque valeur prophétique prouve-t-il
qu’ils sont de cet auteur, sous prétexte que cet auteur
aurait le monopole de tout ce qui est prophétique ? Il
est évident que tout serait plus simple si certaines
pièces ne manquaient pas, si face à un faux l’on pouvait
placer l’œuvre qui est reprise. Mais de là à profiter de
certaines lacunes du corpus pour valider des positions
qui ne tiennent que du fait des dites lacunes…. Il est
dommage que l’on dépense beaucoup d’énergie à accorder
des données disparates et manifestement insuffisantes au
lieu de prendre le temps de partir de ce que l’on sait
pour dégager ce que l’on ne sait pas, complétant ainsi
le puzzle.
Il ne faut pas trop s’étonner de voir que
certains chercheurs, sur le dossier Nostradamus,
puissent se laisser tenter par les mirages de l’exégèse
des quatrains. En effet, dans un cas comme dans l’autre,
on assiste à des rapprochements douteux.
C’est ainsi que lorsqu’il s’agit de
montrer que telle œuvre de Nostradamus est bien parue en
telle année, il en est qui se satisfont de bien peu. Un
des cas les plus remarquables concerne les «preuves » de
la parution d’une édition Macé Bonhomme, en 1515, en
dehors de l’existence d’éditions portant une telle
mention. Comme nous le disions plus haut, c’est la même
attitude que l’on peut observer en ce qui concerne tel
rapprochement entre un quatrain et un événement, un
personnage auxquels il serait fait allusion.
. On sait qu’Antoine Couillard cite – une
seule fois- le nom de César, au détour d’une phrase dans
ses Prophéties, datées de 1556 et que par ailleurs il
parle d’un Epitre « espouvantable » qu’aurait publiée
Michel de Nostredame. Il n’en faut pas davantage pour
que d’aucuns en concluent que nous avons là un
témoignage de premier choix validant une épitre à César
et dans la foulée, puisque la dite épitre ne nous est
connue qu’en tant qu’introduisant les « Centuries », et
puisque l’on dispose d’exemplaires datés de 1555 des « Prophéties »,
titre repris parodiquement par le dit Couillard, que
peut-on vouloir de plus ?
Or, il ne s’agit là que d’un montage qui
ne tient pas très longtemps ses promesses quand on y
regarde de plus près.
Citons le passage relatif à César chez
Couillard :
«Ne veux comme Nostradamus, en son
epistre espouventable taire les ans de César son fils »
(fol 8 v).
Qu’est-ce à dire ? Que Nostradamus a
dédié cette épitre à son jeune fils César ? Ce n’est pas
ce qui est indiqué ! On ne nous dit pas que cette épitre
que reprend partiellement Couillard, était dédiée à
César. Que le texte en question nous soit connu par
ailleurs sous la forme d’une Préface à César ne change
rien à l’affaire. Ce qui ressort, c’est bien plus
probablement que le texte décrit par Couillard aura été
remanié par la suite pour aboutir à une Préface à César,
dont le nom justement est cité, à un certain endroit et,
d’une façon selon nous fortuite, à proximité immédiate
du passage se référant à une « épitre épouvantable ».
Tout le début de l’Epitre aura, selon
nous, été ajouté pour donner crédit à cette dédicace :
« Ton tard avènement etc. » Cette fois, Nostradamus
s’adresse à son fils directement. Il ne se contente pas
d’évoquer sa récente naissance. Et il est peu probable
que cette présentation ait existé avant les années 1580
lorsque l’on retrouvera ce texte en tête d’un certain
nombre de quatrains prophétiques distincts des quatrains
des almanachs.
D’ailleurs, un tel recyclage ne se fait
pas sans quelque maladresse et les traces de la première
mouture n’ont pas été totalement évacuées. C’est le cas,
notamment, des Vaticinations Perpétuelles, formule
attestée par Couillard mais qui ne correspond guère au
contenu des quatrains, ne serait-ce que parce que le
principe d’un tel genre est de relier les textes à des
années, de façon systématique et récurrente. Ce genre se
perpétuera notamment au XVIIIE siècle autour du
personnage fictif de Thomas Moult, sous le titre de
Prophéties Perpétuelles. En 1866, une édition parisienne
regroupera sous un seul volume, les Prophéties de
Nostradamus, le Recueil issu du Mirabilis Liber et les
dites « Vaticinations ». A. Volguine a publié un texte
associant Nostradamus et Moult. Toujours est-il que l’on
n’a pas retrouvé cet ouvrage dont selon nous Couillard –
et Videl après lui, en 1558, mais sans même citer le nom
de César- fait le commentaire et qui se référait à l’an
3797, ce qui relève en effet d’une forme de prophétie « perpétuelle »
(chiffre repris par le dit Videl). En revanche, des
imitateurs et successeurs, plus ou moins attitrés, (Nostradamus
le Jeune, Crespin Archidamus etc) de Nostradamus feront
paraitre de telles « prophéties » étalées sur plusieurs
années. Rappelons que pour l’Epitre à Henri II, nous
disposons d’une première mouture placée en tête d’un
tout autre texte que les « Centuries », à savoir les
Présages Merveilleux pour 1557 et qu’en 1572, Crespin
citait une épitre au Roi non plus datée de 1556 mais de
1558 et qui, probablement, n’était pas encore associée
avec le second volet des centurie. Il est possible que
cette Epitre de 1558 ait connu une certaine carrière
avant d’être remaniée pour introduire des quatrains
prophétiques, en profitant d’ailleurs pour cite une « préface
à César ». Citons « Dedans l’Epistre que ses (sic, pour
ces, c'est-à-dire récemment) ans passez ay dédié à mon
fils César Nostradamus » (Epitre à Henri II, datée de
juin 1558). .. Il suffit que telle édition soit datée de
la date d’une épitre pour lui conférer un cachet
d’authenticité (1555, 1605 et probablement 1558, volet
disparu (Bib. Utrecht)
Passons à présent au commentaire des
quatrains et voyons si l’on n’assiste pas à la même
démarche consistant à prendre la partie pour le tout, à
extrapoler à partir d’un mot, d’un nom pour en déduire
l’existence d’un ensemble sensiblement plus vaste. C’est
toute la question des allusions. Le Janus Gallicus a
donné, dès 1594, l’exemple de rapprochements
contestables, ce qui se fait d’autant plus aisément par
le biais de traductions, de français en latin ou au
siècle suivant de français en anglais.
Mais ce qui nous intéresse ici se situe
sur un autre plan, celui de la contrefaçon déjà à
l’œuvre avec la traduction. La problématique est
d’autant plus complexe, en effet, que les quatrains
considérés peuvent avoir été réalisés après coup ou
plutôt avoir fait l’objet d’interpolations suffisant à
créditer tout un verset, voire tout un quatrain ou
sixain. C’est ainsi que nous-mêmes avons signalé
l’interpolation d’un verset sur Tours à IV, 46, quatrain
qui ne figure pas encore dans l’édition Rouen Raphaël du
Petit Val, 1588 (cf. RCN, pp.122-123) ou d’un autre sur
Chartres en IX 86 (quand on compare avec la Guide des
Chemins de France). Un tel procédé fait merveille chez
des esprits cherchant à tout prix à établir des
connexions entre centuries et événements.
En effet, les faussaires spéculent sur le
penchant pour les allusions des lecteurs. Ils sèment
ainsi quelques « indices » pour renforcer les
convictions. On emploiera ainsi sciemment le mot « Prophéties »
pour désigner les Centuries, parce que Nostradamus
publia des Prophéties (perpétuelles, où chaque présage
est lié à un certain nombre d’années), on croit que le
mot Centurie, utilisé en 1585, renvoie nécessairement à
des quatrains prophétiques alors que selon nous il
s’agit de séries de quatrains d’almanachs sans parler de
toutes sortes d’emprunts à des matériels de librairie ou
à des noms de libraires (Rigaud, Chevillot etc) pour
conférer un vernis d’authenticité et une fourchette de
temps certaine, avec le cas extrême des éditions Pierre
Rigaud 1566, fabriqués en Avignon en 1716, 150 ans plus
tard...
On peut penser que les « Centuries » ont
été largement « complétées » par toute une série
d’adjonctions qui avaient des vertus évocatrices mais
pour certains esprits, même un quatrain apparemment
quelconque peut se révéler devoir être associé à tel
événement comme la Révolution Française.
Au bout du compte, le champ nostradamique
attirer des esprits qui, pour certains, passeront
allégrement du commentaire des quatrains à l’histoire du
phénomène, ou vice versa, en maintenant dans un cas
comme dans l’autre le même talent consistant à prendre
des vessies pour des lanternes. On notera d’ailleurs le
même travers chez les astrologues aussi peu rigoureux et
regardants qu’il s’agisse d’interpréter un thème que
d’enseigner un savoir largement corrompu ou de dresser
un historique de l’Astrologie, notamment en croyant un
peu vite qu’astrologie et astronomie ne faisaient qu’un,
sous prétexte que l’on y trouve employés les mêmes dieux,
signalées les mêmes planètes, utilisés les mêmes signes
du zodiaque. C’est en vérité aller un peu vite en
besogne. Mais le cas le plus flagrant est encore à
observer dans le cadre de l’interprétation des données
astrologiques, que ce soit au niveau individuel ou
collectif. Le client qui entendra ou lira tel ou tel mot
qui fait sens pour lui n’hésitera guère à y voir la
preuve que tout ce qui se dit au nom de l’astrologie
fait sens. L’astrologie ne vise-t-elle pas en effet à
rapprocher deux discours en en soulignant les
convergences : le discours du client sur lui-même et
celui de l’astrologue sur le client etc. ? Tout l’art de
l’astrologue consisterait à montrer que ce qui a été dit
au nom de l’astrologie ou ce qui a été exprimé par le
client se rejoint et là encore cela exige une aptitude à
relier les choses entre elles avec plus ou moins de
talent
Mais comment éviter de tels écueils ? Il
faut chercher là où le rapprochement proposé correspond
fréquemment à quelque trucage soit du fait de ceux qui
ont fabriqué la « preuve », soit du fait de ceux qui ont
instrumenté tel document pour lui faire dire plus qu’il
ne dit. La question de l’extrapolation est récurrente.
Nous dirons que ce qui importe, au bout
du compte, ce n’est pas tant ce qui vient confirmer mais
ce qui vient infirmer. Trop souvent, on se contente, en
effet, de souligner ce qui semble correspondre en
négligeant ce qui tend à contredire. En ce qui nous
concerne, les éléments que nous avons présentés en tant
que rapprochements concluants ne revêtaient un intérêt
que dans la mesure où nous avions déjà déblayé le
terrain en mettant en évidence un certain nombre
d’incohérences chronologiques comme de dater de 1611 un
document se référant à l’année 1642 (dans le Recueil des
Prophéties et Révélations), alors que cette date ne
faisait visiblement sens qu’après coup, c'est-à-dire au
moment des morts successives de Richelieu et de Louis
XIII. Il convient également de ne pas se satisfaire de
la présence de certains éléments mais de relever
également les absences. Une des absences les plus
troublantes, dans le champ nostradamologique, concernant
le fait que tous ces « témoins » que l’on met en avant
ne citent jamais le moindre quatrain, qu’il s’agisse
d’ailleurs d’un quatrain d’almanach ou d’un quatrain « centurique »,
ce qui montre à quel point, de son vivant, on
n’attachait guère d’importance aux quatrains annuels
paraissant sous le nom de Nostradamus. En revanche,
Couillard reproduit dans ses Prophéties, en 1556,
plusieurs pages de présages d’une ligne typiques des
Prophéties Perpétuelles. Mais c’est la prose de
Nostradamus qui est commentée par un Videl, en 1558.. De
même, l’on doit s’interroger sur l’absence d’éditions
entre 1568 et 1588, ce qui ouvre la voie à la thèse
d’éditions antidatées situées du temps de Nostradamus.
Quant aux quatrains « absents » dans certaines éditions
ligueuses, il est bien plus probable qu’il s’agisse de
quatrains qui n’avaient pas encore été composés ou
récupérés dans les œuvres d’autres auteurs.
Au chapitre des manques, il ne faudrait
cependant pas négliger le fait que le corpus
nostradamique ne nous est pas parvenu complet. Mais il y
a aussi des documents qui ne sont pas exploités comme
ils le mériteraient sous prétexte que l’on ne dispose
plus d’une copie d’un exemplaire. On pense évidemment au
cas de l’édition datée de 1588 (Rouen, Raphael du Petit
Val, dite « à quatre centuries ») qui comporte un
ensemble de quatrains qui ne sont pas classées en
centuries. Cette édition a pourtant été largement
décrite (sauf pour le contenu de la Préface à César) par
Daniel Ruzo, qui signale d’ailleurs l’absence de
quelques quatrains à la Ive Centurie (dont IV, 46). Ruzo
reproduit la page de titre de cette édition dans son
Testament de Nostradamus et en 1985 quand il vint au
Colloque de Salon de Provence, il présenta une copie à
quelques chercheurs dont Robert Benazra (RCN, pp.
122-123) et Michel Chomarat (Bibliographie Nostradamus ,
p. 77-78, n° 141) lesquels ont omis de reproduire les
notices que le dit Ruzo avait consacré dans le cours de
son « Testament » de 1982 à cette édition, négligeant
ainsi de nous préciser que la dite édition n’était pas
encore « centurisée ». Il est clair que ce point aurait
du être signalé dans l’introduction de Benazra au
reprint Macé Bonhomme 1555, paru en 1983. En effet, le
fait que l’édition de 1555 soit « centurisée » et pas
celle de 1588 aurait du hypothéquer le dossier de la
dite édition Macé Bonhomme et relativiser d’autant la
valeur de certains rapprochements. Il aura fallu 30 ans,
depuis 1982 (mais l’édition espagnole date de 1975,
Barcelone, Ed. Plaza & Janés, cf reproduction de la
couverture, ci dessous ! Une édition en langue anglaise
est parue sous le titre « The Authentic Testimony » On
notera que l’epithète « authentique » ne figure pas dans
le titre de l’édition française), pour que cette
information quant à une édition non centurisée soit
correctement exploitée. On peut regretter qu’il ait
fallu également près de 25 ans pour que la découverte
des emprunts de quatrains à la Guide des Chemins de
France de Charles Estienne permette de déceler des
variantes dans les Centuries, par rapport à la
« source », c’est ce qui nous a permis de montrer ( IX
86 que Chastres était dans le dit quatrain devenu
Chartres et de là à dater les éditions comportant
Chatres comme ne pouvant être antérieures à 1593/.1594,
années de l’avénement d’Henri IV.
35 - Antoine Crespin, le poulain
nostradamique du camp d’Henri de Navarre.
La thèse principale de la présente étude
consistera, à l’issue d’une réflexion globale sur les
processus d’antidatation et de postdatation, qui se
chevauchent, à montrer que l’un des successeurs attitrés
de Nostradamus, Antoine Crespin, dit Archidamus, dit
Nostradamus, censé avoir produit tout au long des années
1570 toutes sortes de « prophéties », d’’’épitres », et
correspondant à une seconde génération, ayant pris le
relais de Michel de Nostredame, serait une création du
camp d’Henri de Navarre, faisant ainsi pendant au
revival de Michel de Nostredame orchestré par le camp
ligueur.
Au phénomène d’antidatation que nous
signalions depuis près de vingt ans, est venue,
progressivement, se greffer la prise de conscience d’un
phénomène, en quelque sorte, inverse de post-datation et
c’est la conjonction des deux phénomènes qui aura rendu
la bibliographie centurique un exercice à haut risque,
aussi bien chez ceux qui se contentent de noter les
informations au premier degré que chez ceux, comme
Daniel Ruzo et nous-mêmes, qui s’efforcent de
réorganiser en profondeur l’ensemble des données. La
vigilance est de rigueur dans ce domaine, ce qui
implique de ne rien laisser passer d’insolite et de
suivre toutes les pistes, de tester toutes les
hypothèses, bref de dresser un inventaire extrêmement
exigeant, permettant notamment de faire ressortir des
chainons manquants, lesquels ne manquent pas, ce qui
vient encore compliquer la tâche du nostradamologue
averti et consciencieux. Nous verrons si le problème
affecte également d’autres pièces que les éditions
centuriques proprement dites.
Le phénomène de post-datation est
beaucoup plus familier et même franchement banal que
celui d’antidatation mais il prend dans le cas des
éditions centuriques une dimension assez extraordinaire
et l’on peut dire que cela a pour effet de brouiller les
pistes. On connait tous le procédé des rééditions lequel
s’apparente, peu ou prou, à une forme de postdatation
assez bénigne comme est en apparence innocente le fait
de vouloir retracer l’historique d’un domaine, ce qui
peut se rapprocher de l’antidatation. Le distinguo n’est
pas toujours aisé entre contrefaçons et initiatives
visant à replacer les choses dans une juste perspective
et rétrospective.
S’il fallait classer les éditions
centuriques qui nous sont parvenues en ne gardant que
celles qui ne relèvent ni de l’antidatation, ni de la
postdatation, stricto sensu,
il ne resterait plus grand-chose. On pourrait poser la
question à l’envers : qu’est-ce qu’une édition
centurique qui ne serait ni antidatée, ni postdatée ?
Nous répondrons de façon assez tranchée, sur la base de
nos travaux à ce jour, qu’aucune édition datée du vivant
de Nostradamus ne peut échapper au qualificatif
d’antidatée et que les éditions plus tardives des années
1580 sont de pseudo-éditions postdatées, puisque se
présentant comme des rééditions de quelque document déjà
paru antérieurement. Autrement dit, de telles prétendues
rééditions seraient en fait des éditions ni antidatées,
ni postdatées, dès lors qu’elles ne se présenteraient
pas comme des rééditions, ce qui n’est d’ailleurs pas
nécessairement le cas.
Prenons le cas de l’édition de Rouen,
parue chez le libraire Raphaël du Petit Val (et dont on
ne dispose actuellement d’aucun exemplaire mais qui n’en
est pas moins décrite par son ancien possesseur, Daniel
Ruzo, comme il le reconnait dans son Testament de Nostradamus (Ed.
du Rocher 1982). Cette édition se présente comme « divisée
en 4 centuries » en son titre. Or, selon Ruzo, l’ouvrage
n’est pas réellement structuré ainsi, les quatrains se
suivant sans découpage. Voilà un exemple, dont nous
verrons qu’il est assez courant, d’une édition postdatée
du fait de son titre. Autrement dit, son contenu est
plus ancien que son titre lequel concerne un contenu
différent et plus structuré (en 4 centuries). De la
sorte, reconnaissons que nous faisons coup double
puisque nous avons en quelque sorte deux documents pour
le prix d’un seul comme si le dit document était à
cheval sur deux versions successives ou peut-être pas
tout à fait des éditions centuriques. En fait, l’on peut
conclure que le contenu de cette édition de 1588 doit
être antidaté d’un voire de deux ans, tant il semble
invraisemblable que l’on soit passé en l’espace d’un an
d’une édition à 4 centuries à une édition (celle de
1589, chez le même libraire rouennais) qui en est à 7
centuries et sans même marque de passage entre le début
et la fin de la centurie IV, encore que son état de
conservation ne nous permette pas d’affirmer qu’elle
avait ou non gardé l’avertissement latin ni combien de
quatrains elle avait dans la centurie VII (fort
probablement moins de 40)
Les exemples de décalage, de mismatch, de décalage,
entre contenant et contenu sont nombreux
et lorsque l’on ne connait que la page de titre d’un
ouvrage, mieux vaut ne pas sauter aux conclusions
concernant son contenu, en tout cas dans le champ
centurique. Un autre cas que nous avons déjà eu
l’occasion de signaler est celui des éditions
parisiennes datées de 1588 et 1589, qui correspondent à
trois libraires s’étant en quelque sorte partagé la
distribution. Il est plus que probable que le contenu de
ces éditions soit antérieur à celui des années en
question et notamment quelle différence entre Rouen 1589
et Paris 1589 :
plusieurs stades séparent ces éditions apparemment mais
apparemment seulement exactement contemporaines. C’est
dire que si l’on se concentre sur tout ce qui est daté
1588 et 1589, on obtient un ensemble excessivement
hétérogène, du fait de la post-datation par le biais des
pages de titre, ce qui n’exclut nullement un changement
de libraire entre un état et un autre. Donc avant de
qualifier de « parisiennes » les éditions de 1588-1589,
il convient d’être sur ses gardes car seules les pages
de titre font ici foi et c’est bien insuffisant dans le
contexte qui est celui des éditions centuriques.
Que dire de la traduction anglaise de
1672 ? C’est le type d’une réédition en même temps que
d’une traduction, plus d’un siècle après la mort de
Michel de Nostredame. Mais cette réédition s’avère
extrêmement précieuse car elle nous permet, selon notre
analyse du texte en prose, de restituer un état premier
de la Préface à César, antérieur à celui figurant dans
la totalité des éditions centuriques connues.
Ces post-datations, à quoi tiennent-elles ?
Quel intérêt a-t-on à indiquer un état qui n’est pas
celui du contenu de l’édition ? Nous pensons que cela
peut concerner des stocks d’invendues, rendus obsolètes
par la mise en avant de nouveaux éléments. Pour donner
le change, on va mettre en vente une marchandise
dévaluée en se contentant de remanier la page de titre.
Le tour est joué, et le procédé est si efficace qu’il
continue à faire des victimes parmi les libraires et
leurs lecteurs, mais aussi chez historiens et bio-bibliographes
qui n’y voient que du feu. On ne peut donc pas vraiment
dire qu’il y a, au départ, une volonté de fausser les
représentations de l’histoire des centuries mais cela
peut fort bien produire de facto
un tel résultat, vu que ce ne sont là que des
considérations d’ordre commercial. Il peut s’agir aussi
de libraires qui rachètent à bas prix des stocks
d’invendus et les écoulent – ou du moins tentent de les
écouler-(en changeant la page de titre). Mais on conçoit
que l’historien des textes ne puisse que se réjouir
quand il tombe sur de tels arrangements car cela permet
de combler des lacunes de son corpus en dédoublant
l’information.
A priori, le travail des éditeurs
implique le plus souvent une forme d’antidatation et de
postdatation. En effet, il est normal de rééditer des
documents plus ou moins anciens, de les inscrire dans
une nouvelle modernité tout comme cela l’est de replacer
les choses dans leur contexte d’origine. A quel moment,
alors, peut-on parler d’abus de droits ? C’est le cas
lorsque un document est présenté comme plus récent qu’il
ne l’est ainsi que lorsque un document est présenté
comme plus ancien qu’il ne l’est véritablement. Mais
dans le cas de Nostradamus, la question revêt une plus
grande complexité : les années 1580 sont celles d’un revival nostradamique, après une parenthèse d’une
quinzaine d’années (entre 1569 et 1584 environ), sous la
forme d’ouvrages qui sont censés avoir été composés, par
définition, du vivant de leur auteur. On est donc ipso
facto dans la post-datation. Mais à partir du moment où
l’on attribue au dit Nostradamus des publications qui en
fait datent des dites années 80 et au-delà, on bascule
dans l’antidatation, surtout quand des éditions se
voulant d’époque sont carrément produites. En même
temps, les libraires recyclent des documents bel et bien
parus du vivant de Nostradamus comme l’Epitre à Henri II
mais considérablement retouchés, ils publient des
quatrains inspirés de la Guide des Chemins de France
de Charles Estienne et d’autres ouvrages
du même genre et du même auteur, parus dans les années
1550 mais les dits quatrains sont retouchés pour
s’ajuster avec ce qui se passe dans les années 1590. Les
libraires publient également la Préface à César qui n’a
pas été inventée de toutes pièces mais probablement
reçue et conservée par le dit César.
Le plagiat est un outil important de ce
processus de postdatation-antidatation. Les contrefaçons
recourent volontiers à une forme de recyclage,
donc de postdatation. Ainsi utiliser des passages
d’Estienne pour exhumer de prétendus textes posthumes
pour ensuite prétendre que les dits textes posthumes
sont en fait parus précédemment du vivant de Nostradamus,
recourt aux deux procédés apparemment contradictoires.
Quand Barbe Regnault publie de faux almanachs de
Nostradamus, dans les années 1560, elle se sert, comme
l’a noté R. Benazra (sur l’almanach pour 1563 (Bibl. Mun.
Lille), cf. RCN, pp. 58 et seq), de quatrains
d’almanachs des années antérieures. Quand l’on met en
place au milieu des années 1580 les premières
productions centuriques, l’on se sert pour les centuries
VI et VII ; de quatrains issus de l’almanach de
Nostradamus pour 1561, ce qui ne sera pas conservé dans
les éditions rouennaises et dans les éditions Antoine du
Rosne 1557 (Budapest/Utrecht) mais qui sera repris dans
les éditions troyennes du siècle suivant, lesquelles ne
veulent rien négliger qui relève de près ou de loin de
la production nostradamique, à l’instar de ce que feront
Chomarat et Benazra, dans les années 80 du XXe siècle,
dans leurs bibliographies respectives...
Un autre aspect que l’on ne saurait
ignorer concerne la production se présentant comme
extra-centurique. On a du mal, au départ, à imaginer que
des faussaires prennent la peine de produire des
ouvrages dans le seul but de conforter l’authenticité
des éditions centuriques antidatées.
Nous avons plusieurs cas de
« confirmations » de ce type :
-
Nostradamus Les Significations de
l’Eclipse de 1559, Paris, Guillaume Le Noir (Maison de
Nostradamus)
-
Antoine Crespin Les Prophéties dédiées
à la puissance divine et à la nation française (BNF
Numérisation), 1572, Lyon, François Arnoullet
-
Jean Dorat et Jean de Chevigny, son
traducteur et présentateur, L’Androgyn, 1570, Lyon,
Michel Jove
-
Les Prophéties, par Antoine Couillard,
1556., Paris, Antoine Le Clerc
-
Ces quatre documents, deux censés
parus du vivant de Nostradamus à Paris et deux
autres, peu de temps après sa mort, à Lyon viennent
tous, à des titres divers accréditer la parution,
avant la date qu’ils comportent de certaines
éditions centuriques alors qu’ils sont, du moins
sous la forme que nous leur connaissons, des pièces
antidatées.. Sur les 4, trois d’entre eux furent
signalés en premier par nos soins en tant que
témoignages. R. Benazra, dans le RCN, signale (p.
18) que l’ouvrage de Couillard « présente une
parodie des Centuries ». alors que cela ne concerne
que des éléments communs avec la Préface centurique
à César. Quant à Chomarat, il ne signale même pas
l’ouvrage qui ne porte pas le nom Nostradamus en son
titre. Benazra cite certes les Prophéties de Crespin
mais seulement au fait du surnom de l’auteur indiqué
et non de par son contenu. De même Benazra cite-t-il
l’Endrogyn (sic) de Jean Dorat – non mentionné par
Chomarat, probablement sur la seule base de la page
de titre qui ne comporte pas le nom de Nostradamus -
mais sans mentionner un passage de l’épitre
comportant un quatrain des centuries, dument
numéroté. De même pour les Significations, citées
mais sans signaler un renvoie à la « seconde
centurie de mes prophéties », déjà utiilisée pour
l’Androgyn de 1570. Une bonne part de ces
observations fut communiquée directement ou
indirectement à Pierre Brind’amour qui les reprit
dans ses ouvrages.(1994, 1996). Mais le probléme,
c’est qu’il eut fallu tenir compte de l’enseignement
crucial lié à l’édition Rouen du Petit Val, 1588
qui, en dépit de son sous titre « divisée en quarte
(sic) centuries n’est pas organisée en centuries. (cf
D. Ruzo, Testament,
p. 282). C’est ce sous titre qui aura d’ailleurs
induit en erreur les faussaires lesquelles, sans
nécessairement consulter le contenu et s’en tenant à
la page de titre, ont pu croire que la première
édition était constituée en centuries. Nous avons
mis en garde, à plusieurs reprises par rapport au
décalage entre titre et contenu d’une édition
centurique.
I Couillard 1556
R. Benazra et quelques autres ont
consacré du temps à montrer à quel point la Préface à
César se retrouvait en grande partie dans les Prophéties de Couillard.(Paris, 1556), n’hésitant
pas à conclure que cela prouvait la réalité de la
parution de l’édition Macé Bonhomme 1555, dont Couillard,
en quelque sorte aurait fait une sorte de commentaire
satirique. C’était aller un peu vite en besogne. D’une
part, parce que Couillard, à aucun moment, ne signale le
moindre quatrain de Nostradamus, n’utilise même le mot
« centurie » (comme dans les Significations de l’éclipse
de 1559). Si au moins il avait, comme dans l’Androgyn
de 1570 (cf infra) repris un quatrain et avait indiqué
dans quelle centurie il se trouvait, mais même pas ou
s’’il avait produit un texte compilant divers versets
comme le fera un Crespin (Prophéties,
1572)…..Pourquoi une telle omission ? Nous avons
développé, durant quelque temps, la thèse selon laquelle
la Préface à César était d’abord parue en tête d’un
autre texte que celui des Centuries et qu’elle avait été
ensuite recyclée et retouchée, comme pour l’Epître à
Henri II, d’abord présente au début des Présages Merveilleux pour
1557.
Le fait que l’ouvrage de Couillard se nommait Prophéties
confirmait en outre que c’était bien sous ce titre – qui
est celui de la série Bonhomme-Du Rosne- que les
premières centuries seraient initialement parues.
Restait à déterminer ce qu’une telle expression
recouvrait dans le contexte de la production
nostradamique des années 1550. Cependant, en 1560, quand
Couillard publie ses Contreditz à Nostradamus, il ne mentionne pas
davantage les centuries et ne « revient » pas sur la
fameuse Préface qu’il avait brocardée 4 ans plus tôt,
pas plus que Nostradamus n’évoquera dans ses autres
textes la dite Préface à César..Les autres adversaires
de Nostradamus, plus ou moins bien identifiés, dans les
années 1550, n’avaient pas non plus signalé les
centuries, visant bien plutôt les almanachs et les
pronostications. Bref, ces Prophéties
de Couillard étaient un cas isolé dans le contexte de
l’époque alors qu’elles étaient en position centrale
dans le revival des années 1580 d’un Nostradamus « ressuscité »,
comme on le dira en Angleterre de Claude Dariot, un
médecin astrologue contemporaine de Michel de Nostredame,
de confession protestante.
En fait, ne serait -ce point parce que le
Seigneur du Pavillon, alias Antoine Couillard, s’était
fait connaitre par ses Contreditz,
que l’idée en serait venue aux faussaires de lui
attribuer ce document authentifiant les éditions
centuriques antidatées sachant que les dits faussaires
étaient fort bien achalandés concernant tout ce qui
touchait de près ou de loin à Nostradamus, sans
d’ailleurs eux-mêmes, savoir toujours s’y retrouver,
confondant l’authentique et les contrefaçons antérieures
aux leurs..Aurait-on, parallèlement, à l’annonce de
l’existence d’éditions avignonnaises parues sous le nom
de « Professies »- c’est le terme utilisé—dès 1555,
comme cela se trouve dans certaines éditions des Grandes et Merveilleuses Prédictions
(1590), mis en chantier ce faux Couillard dans le style
des Contreditz,
en reprenant bien entendu le texte de la Préface tel
qu’il figurait en tête de toutes les éditions ligueuses ?
Mais pourquoi dans ce cas ne pas avoir évoqué, par la
même occasion, les quatrains centuriques et s’être
focalisé sur la seule Epitre au fils Nostradamus ?
La thèse pour laquelle nous optons
présentement est la suivante : c’est César de Nostredame
lui-même qui aurait commandité les dites Prophéties
de Couillard alors même que les Centuries n’étaient pas
encore parues de façon à authentifier un document qu’il
aurait fait circuler par ailleurs. Rappelons qu’il
n’était pas rare de publier des Epitres se suffisant à
elles-mêmes, et que le terme « préface » a pu apparaitre
par la suite quand ce texte sera placé en tête des
Centuries. Allons plus loin : c’est précisément parce
que cette Epitre à César avait circulé depuis peu qu’on
décida de l’utiliser pour la placer en tête des « Prophéties ».
C’est une pratique qui se confirmera dans la mouvance
nostradamique ou pseudo-nostradamique que de rassembler
en un seul volume des éléments d’abord parus séparément
et qui atteindra son paroxysme encyclopédique avec les
éditions troyennes du début du XVIIe siècle. Signalons
que le texte qui paraitra alors en tête des centuries
reprend largement le
Compendium
de Savonarole, tout en le retouchant à loisir.
II Significations 1559
Parmi les documents que nous avions
signalés, au début des années Quatre Vingt Dix du siècle
passé, comme faisant assez ponctuellement sinon
vaguement allusion à la production centurique, les Significations
de 1559, lesquelles comportaient une mention assez
fugitive et qui avait échappé à nos prédécesseurs, d’une
« seconde centurie », sans qu’on nous en dise beaucoup
plus. Or, l’ouvrage en question – comme l’avait
notamment confirmé Theo Van Berkel, un chercheur
néerlandais, était un document assez hybride, ce
qu’avait signalé l’abbé Torné Chavigny dans une lettre
figurant dans le fac simile des Significations
qui fut réalisé en 1904 (cf. Benazra, RCN), p. 448),
indiquant un emprunt à l’Eclipsium
de Cyprian Leovitius. On y trouvait en
fait une certaine diversité de documents, qui se
contredisaient parfois, au niveau même du discours
proprement astrologique. Il s’agissait en fait d’une
épitre à Jacobo Marrasala, datée du mois d’août 1558 et
donc parue, à en croire la pièce en question, sous le
nom de Significations de l’Eclipse
de 1559. La proximité avec la date de l’Epître, recyclée,
à Henri second, passée entre temps de 1556 à juin 1558,
nous oriente non plus vers le corpus ligueur comme pour
la préface à César mais vers le corpus antiligueur,
celui du parti d’Henri de Navarre, puisque l’on sait que
l’Epître au Roi figurera en tête des centuries VIII-X,
dont le contenu est farouchement hostile aux Guises et
prétend annoncer le couronnement du dit Henri à Chartres
(IX, 86). Nous avons émis l’hypothèse que l’Epître
d’août 1558 qui signale la « seconde centurie » avait
précédé celle de juin 1558, en tête de ce que l’on
appellera par la suite le ‘second volet » de centuries ;
Dans ce cas « seconde centurie » renverrait à ce qu’on
appellera la centurie IX.
III Androgyn, 1570
Cette pièce est remarquable en ce qu’elle
est la seule que l’on connaisse, à citer un extrait des
Centuries en se référant au dispositif de localisation
des quatrains, tel qu’il est pratiqué dans les éditions
centuriques. Ce passage n’avait pas été signalé,
cependant, par nos prédécesseurs qui auraient pu en
tirer argument en faveur du premier volet des Centuries,
à laquelle la mention se réfère. C’est bien entendu du
quatrain relatif à l’Androgyn qu’il s’agit.(II, 45), il
est repris dans l’épitre de Jean de Chevigny, le
traducteur du poème latin de Jean Dorat sur ce thème,
que celle-ci introduit, avec la traduction faite par
Chevigny, ancien secrétaire de Nostradamus.
En dehors de cette édition de 1570 du dit
poéme, nous disposons d’un recueil de pièces du dit
Dorat, daté de 1586 au sein duquel se trouve
celui-ci.(cf Benazra, RCN, p. 96) Nous pensons que c’est
en fait l’origine de ce que nous considérons comme une
édition antidatée. Non pas que Dorat n’ait pas composé
l’Androgyn à cette date de 1570 mais elle n’aura pas
connu alors d’impression. Comme ce sera souvent la
coutume, une impression antidatée comporte un texte
correspondant à la date ainsi indiquée, ce sera
évidemment le cas pour la Préface à César datée de mars
1555 et donnant lieu une édition antidatée pour cette
même année et ce fut aussi probablement le cas pour une
édition Antoine du Rosne, 1558, par rapport à l’Epitre
au Roi, du mois de juin de la dite année, étant entendu
que même un texte paru de façon posthume a forcément été
rédigé du vivant de l’auteur, ce qui autorise toutes
sortes de manipulations antidatées.
Il faut au demeurant souligner à quel
point une telle citation est insolite car en 1570 était
censé être parue l’’ensemble des 10 centuries (1568) et a fortiori
la centurie II, dont le quatrain 45 est issu (Editions
1555, 1557). Or, Jean de Chevigny, en août 1570, semble
faire une faveur à son dédicataire, le Président Larcher,
en lui transmettant le dit quatrain. Nous en avions
conclu, à un certain moment de notre recherche et de
notre réflexion, que cela témoignait pour le moins d’une
circulation sous le manteau, manuscrite, ou en tout cas
fort peu accessible. Mais il nous semble exclu qu’à
cette date, les quatrains aient été déjà désignés comme
ce sera le cas dans les années 1580, d’autant que Ruzo
nous signale (Testament
de Nostradamus,
op. Cit.,p. 282 ) que la première édition connue à 4
Centuries (Rouen, 1588) ne comportait pas, contrairement
à son titre – et l’on sait à quel point les titres
peuvent être décalés par rapport au contenu du volume
sur lequel ils sont apposés- de classement par centurie.
Il est possible que ce document émane de Jean Aimé de
Chavigny, l’auteur du Janus Gallicus,
qui prétendait ne faire qu’un avec Jean de Chevigny.
IV Prophéties à la puissance divine, 1572
Abordons enfin un ouvrage et un auteur
auquel nous avons consacré beaucoup de temps, Antoine
Crespin et sa production nostradamique.
Au départ, nous avions pensé que les faussaires avaient
utilisé le travail de Crespin pour produire une partie
des Centuries. L’œuvre de Crespin, auteur dont on ne
sait rien en dehors des nombreux fascicules parus sous
son nom et dont il n’existe aucun élément d’ordre
biographique par ailleurs, est littéralement truffée de
modules que l’on retrouve dans les Centuries, tant
celles du premier que du second volet, ce qui
attesterait de l’existence de l’édition à deux volets
Benoist Rigaud 1568, sauf, évidemment, à admettre que ce
serait plutôt Crespin qui aurait inspiré les rédacteurs
des Centuries. Or, comme les deux volets appartiennent à
des camps opposés, il semble assez peu probable qu’ils
aient recouru à une même source. Notons ainsi que le
recours à la Guide des Chemins de France est réservé au
second volet et que le recours à des données
astronomiques est surtout, mais pas exclusivement, le
fait du premier volet, chaque volet ayant ses sources
propres...
Nous avions été notamment frappés par un
texte de Crespin –une
Démonstracion-
paru à Lyon, chez Jean Marcorelle, consacré à une Comète
de 1571 (cf. RCN, p. 99)- dont le privilège est visé par
monsieur L’Archer, « superintendant pour le Roy sur la
Justice de Lyon » dont on a vu qu’il était le
dédicataire de
l’Androgyn,
censé être paru également à Lyon, en 1570. Ce texte
hostile au pape, en effet comportait le verset « Roy de
Bloys en Avignon régner » qui figure à deux reprises- ce
qui est rarissime- au second volet.(VIII, 38 et VIII
52). La seconde occurrence (VIII, 52) témoigne de
l’usage de la Guide des Chemins de France,
en ce que le quatrain réunit de nombreux lieux situés
sur la Loire. Mais précisément ce verset apparait comme
surajouté dans un deuxième temps et concerner les
attaques du camp protestant contre le pape.
Ce Crespin n’était pas inconnu sous la
Ligue. On publie de lui, en 1590 , chez Pierre Ménier,
qui est un des libraires parisiens de la Ligue dont le
nom est attaché à la production des Prophéties de M. Nostradamus
(1589) La Prophétie Merveilleuse
qui couvre plusieurs années à commencer par 1590
jusqu’en 1598. L’épitre, datée de mars 1589, année de
l’assassinat d’Henri III, qui eut lieu au mois d’août
(cf. Benazra, RCN, pp. 127-128) est adressée à Charles
X, un prétendant Bourbon, catholique, qui prend ainsi le
titre de roi de France avant même la mort du Valois, au
mois d’août, déconsidéré par l’assassinat duc de Guise,
en 1588 et auquel il est reproché ses contacts avec
Henri de Navarre. Est-ce à dire que le dit Crespin est
une invention ligueuse ? On ne saurait soutenir ce point
de vue puisque l’on a vu qu’il empruntait à des
quatrains du second volet et s’en prenait au pape.
Certes, cette Prophétie Merveilleuse
est-elle typiquement un document que ne pouvait que
rejeter le futur Henri IV mais il nous semble qu’il
s’agit d’une tentative pour récupérer le dit Crespin au
profit de la Ligue, en compilant d’ailleurs d’autres
textes du dit Crespin visant des années bien antérieures.
On aura compris que pour nous Crespin,
qui se dit Archidamus puis Nostradamus et dont la
plupart des publications imitent la vignette des
pronostications de Nostradamus est d’abord du côté
protestant en empruntant comme dans le texte daté de
1571 au « second volet ». Mais le principal document est
constitué par les Prophéties dédiées à la puissance
divine et à la nation française,
Lyon 1572. Ce sont là des années fictives comme pour les
éditions ligueuses des Centuries avec des ajustements
d’une édition à l’autre, d’une année sur l’autre. Avec
ce lot impressionnant de quatrains, véritable
compilation des deux volets, dans le style du Janus Gallicus
(1594), nous passons carrément au règne d’Henri IV quand
les deux corpus de quatrains, le ligueur et le
protestant coexistent, encore que Crespin ne signale pas
qu’il emprunte les dits textes à Nostradamus. Crespin
qui va jusqu’à citer, en date de 1573, dans un de ses
textes, l’Epitre à Henri Second, datée de juin 1558 –
pas la vraie de 1556 - ce qui permet d’en attester
l’existence au début des années 1570. Cette référence se
trouve dans l’Epître à la Reyne mère.
(cf. RCN, p. 105). Nos prédécesseurs n’ont pas relevé
davantage cette référence à l’épitre au Roi. Là encore,
une telle référence à l’Epitre de juin 1558 permet de
situer la rédaction et la publication de la dite Epitre
au plus tôt au milieu des années 1590 quand la dite
épitre redatée 1558 est placée en tête du second volet
instrumentalisé par le camp réformé.
Il nous semble donc envisageable de
considérer que le dit camp réformé aura préféré se
servir du néo-nostradamiste Crespin-Nostradamus plutôt
que de Nostradamus pour défendre sa cause, à moins qu’il
n’ait été carrément inventé dans les années 1580. Cela
permet ainsi de rééquilibrer le débat car l’on ne
disposait que des éditions ligueuses et l’on pouvait
s’interroger sur la substance de la production
nostradamique du camp opposé d’autant que celui-ci par
la suite sera bel et bien porteur d’une série de
centuries de quatrains et d’une épitre à Henri II.
Crespin serait le chaînon manquant et l’on comprend
mieux l’ampleur de la production qui parait sous son nom
puisqu’elle fait pendant à celle de l’autre camp. Ce
n’est que par la suite, nous apparait-il, que Crespin
sera abandonné- non sans avoir été récupéré en 1590 par
le camp ligueur (cf. supra) – ce qui était de bonne
guerre- et que la production qui lui avait été attribuée
par le camp d’Henri de Navarre sera recyclée sous le nom
de Nostradamus.
JHB
17. 05.11
36 - Avatars des mentions de dates, de nombres de centuries et de quatrains au titre des
éditions.
Le corpus centurique est extrêmement
difficile à traiter et à ordonner en raison
d’informations souvent contradictoires ou incompatibles
entre elles. Le problème est sensiblement aggravé par le
fait que les pages de titres ne coïncident pas forcément
avec leur contenu et manquent souvent, pour le moins, de
précision. On a parfois des bribes : on nous signale des
additions mais on ne sait pas à quoi, on nous parle
d’une addition à une « dernière centurie », d’un
supplément de 300 quatrains mais quand on fait la somme
des quatrains, cela ne correspond pas. Daniel Ruzo, en
1975 (en espagnol) puis en 1982 (Le
Testament de Nostradamus,
Ed Rocher, pp. 279 et seq) développa la thèse selon
laquelle dès l’origine, les centuries seraient parus à
Lyon sous le titre « Prophéties » et à Avignon sous
celui de ‘ »Grandes et Merveilleuses Prédictions »,
titre qui est attesté par les éditions de Rouen (1589)
et d’Anvers (1590). Ruzo possédait dans sa bibliothèque,
depuis dispersée, des éditions rouennaises de 1588 et
1589, l’exemplaire de cette dernière étant au demeurant
incomplet dans ses dernières pages. On ignore où les
originaux de ces deux éditions se trouvent présentement.
Il avait également une édition (Pierre Valentin) datée
de 1611 du même type (désormais conservée à la Maison de
Nostradamus, à Salon de Provence)
.En revanche, l’édition d’Anvers, offrant en gros les
mêmes caractéristiques est conservée à Paris, à la
Bibliothèque de l’Arsenal.
Le chercheur qui aborde le corpus
centurique, tel qu’il se présente sous la Ligue, par le
biais des éditions rouennaises risque de ne pas
développer la même perception que s’il avait débuté par
celui des éditions parisiennes.
Nous disposons de trois éditions
rouennaises et d’une édition anversoise, qui en est très
proche, notamment au titre assez grandiloquent qui jure
avec la sobriété des éditions parisiennes, uniquement
désignées par le mot « Prophéties » : Grandes et merveilleuses Prédictions
(..) Esquelles se voit représenté une partie de ce qui
se passe en ce temps, tant en France, Espaigne,
Angleterre que autres parties du monde
Tous ces documents portent des titres
avec des indications chiffrées :
Rouen 1588 (Raphaël du Petit Val) « divisées
en quarte (sic) centuries
Rouen 1589 (Raphaël du Petit Val » « dont
il en y a (sic)trois cents qui n’ont encores jamais esté
imprimées »
Anvers 1590 (François Sainct Jaure) « dont
il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais
esté imprimées »
Rouen 1611
(Pierre Valentin) « contenant sept centuries dont il en
y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais esté
imprimées »
En ce qui concerne les éditions
parisiennes, des chiffres sont également fournis mais
uniquement de façon supplétive :
Paris 1588 : « additionnées (…) de 39
articles à la dernière centurie »
Quant aux éditions censées parue du
vivant de Nostradamus, celle de Macé Bonhomme 1555 ne
comporte aucun chiffre en son titre tandis que celles
d’Antoine du Rosne (tant Budapest qu’Utrecht) comportent
la même mention que certaines éditions rouennaise : « dont
il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais
esté imprimées », avec la même inversion « dont il en y
a ». Mais rappelons que les éditions parisiennes
comportent aussi la mention « dont il en y a (sic) trois
cents qui n’ont encores jamais esté imprimées » mais
sans la faute propre aux éditions de Rouen et d’Anvers.
Tel est l’état brut des lieux..
Quelles premières conclusions peut-on
tirer ? Rappelons préalablement que, selon nous, les
titres des éditions parisiennes conservées ne
correspondent pas à leur contenu. On nous parle de 39
articles « additionnées » mais on ne voit pas à quoi
cela correspond quand on les ouvre. Cependant, il y a
une indication d’addition mais elle se trouve dans la
centurie IV, au-delà du 53e
quatrain, laquelle centurie est à 100 quatrains tout
comme la Ve. Nous pensons que cette addition désigne la
centurie VII, mais concerne un contenu plus tardif,
comme si l’on avait apposé à une ancienne édition un
intitulé plus récent. De même nous pensons que l’édition
rouennaise à 4 centuries est une réédition d’une
impression plus ancienne. Nous dirons également que
l’édition Valentin 1611 est une réédition d’une pièce
sensiblement plus ancienne. On notera que si l’on peut
antidater un document pour une date déjà passée, on ne
peut postdater un document au plus tard que pour l’année
en cours. On n’imagine pas un libraire publiant un texte
daté d’une année non encore advenue, ce qui n’empêche
pas d’annoncer une date à venir au titre.
Focalisons-nous sur l’édition Antoine du
Rosne 1557–Budapest, étudiée par R. Benazra (1983) et G.
Morisse (2004)- dont on a dit qu’elle semblait se placer
à la jonction entre éditions rouennaises et parisiennes,
de par la corruption du titre. Elle comporte, rappelons-le,
le mot « Prophéties » au titre, lequel est absent des
éditions rouennaises ainsi que de l’édition anversoise
et c’est ce titre, très sobre, moins grandiloquent, qui
s’imposera pour la réalisation de ce que nous
considérons comme des éditions antidatées (1555-1557-
1566- 1568), titre néanmoins voué à une fortune
remarquable en ce qu’il contribuera singulièrement à
l’image d’un Nostradamus, « prophète » et qui sera
repris au XVIIe siècle par les éditions troyennes
(1605-1611) de préférence à un autre dont elles
ignoraient probablement l’existence, sur la base du
corpus dont elles disposaient. . .
A un certain stade, donc, le corpus des
éditions « Prophéties » est en contact avec le corpus
des éditions « Grandes et Merveilleuses Prédictions »,
il en sort un titre hybride qui relève des deux corpus
concurrents selon un dosage assez savant. Du Rosne 1557
Budapest – qui sera copié par Du Rosne 1557- Utrecht-
récupère la formule « dont il en y a (sic) trois cents
qui n’ont encores jamais esté imprimées », laquelle
reste assez obscure en ce que l’on ne nous dit pas, au
titre, combien au total il y a de quatrains mais
uniquement combien on en aurait rajouté. Or, quand on
prend connaissance du volume, on trouve une centurie VII
à 40 quatrains, qui ne semble pas correspondre au titre
mais qui, en revanche, correspond d’assez près, à un
quatrain de différence, à celui des éditions parisiennes
« additionnées de 39 articles », qui sont donc à 7
centuries (si l’on fait abstraction de leur contenu).
Autrement dit, l’édition Du Rosne
Budapest est à 7 centuries mais semble indiquer en son
titre une édition à six centuries, l’addition à la
centurie IV ayant été absorbé par un nouvel ensemble de
trois centuries (IV, V et VI). Elle mériterait de porter
le titre de l’édition Valentin 1611 (conservé à la
Maison de Nostradamus, Salon de Provence ) « contenant
sept centuries » si le titre de la dite édition Valentin
ne se prolongeait pas par « dont il en y a trois cens
qui n’ont encores iamais esté imprimées », ce qui fait
abstraction de l’addition à la VII. Ce titre de 1611 est
d’ailleurs insolite et hybride dans sa construction :
Les Centuries (…) contenant sept centuries dont il en y
a trois cents… »Il est évident qu’il n’y a pas trois
cents centuries et que trois cents renvoie à un nombre
de quatrains, et qui sont appelés « prophéties » dans
les éditions Du Rosne et Rigaud ainsi que dans les
éditions parisiennes.
On nous objectera que l’on ne saurait
exclure une autre hypothèse, à savoir que ce seraient
les éditions de Rouen et Anvers qui auraient emprunté la
faute au titre à l’édition Antoine du Rosne Budapest
1557, ce qui poserait le problème de la date de la
fabrication de cette contrefaçon dont nous avons dit
qu’elle était sensiblement antérieure à Antoine du Rosne
Utrecht. Serait-elle antérieure à Rouen Du Petit Val
1589 qui comporte cette erreur ? Pour nous, c’est
effectivement la première génération de fausses éditions
centuriques antidatées avec l’édition Rouen 1588 à 4
Centuries dont nous avons dit qu’elle reprenait
probablement une édition antérieure étant entendu
qu’elle fait suite au contenu des éditions parisiennes,
qui sont un chainon intermédiaire entre une édition à 53
quatrains à la IV, donc postérieure à Rouen Du Petit Val
1588 qui n’a encore que 49 quatrains à la IV, et la dite
édition Du Rosne Budapest à 7 centuries.(qui correspond
quant à elle au titre des dites éditions parisiennes
mais non, cette fois, à leur contenu). Notons que l’on
ignore le contenu des centuries VI e VII de Rouen Du
Petit Val 1589 car le seul exemplaire disponible est
tronqué. (cf. copie dans la collection Mario Gregorio
(site propheties.it), et à la Bibliotheca Astrologica,
Paris). On ne peut que supposer qu’il est assez proche
de celui d’Anvers 1590 mais aussi de celui de Pierre
Valentin 1611 qui a moins de quatrains à la VII
qu’Anvers. Il lui manque le quatrain 2, le 33 et le 35,
mais en revanche, on y trouve le quatrain 8 qui n’est
pas dans l’édition Anvers( la désignation des quatrains
, soulignons-le, se réfère à Antoine du Rosne Budapest,
mais il est clair que l’on ne saurait souscrire à la
thèse de quatrains qui auraient disparu et que l’on
aurait retrouvés, l’autre thèse d’une addition de
quatrains, par la suite, nous semblant plus envisageable)
En effet, Antoine du Rosne Budapest est
plus « complet » qu’Anvers 1590 et Rouen 1611 (dont la
date est évidemment celle d’une réédition) et devrait
donc lui être postérieur mais si c’est le cas ce serait
bien Du Rosne Budapest qui aurait emprunté l’’erreur « dont
il en y a « aux éditions Rouen-Anvers et pas l’inverse.
Or, à la fin d’Anvers St Jaure, il est fait mention
d’éditions datant du vivant de Nostradamus avec la date
de 1555. (Pierre Roux, Avignon). Est-ce qu’Antoine du
Rosne Budapest ne serait pas la réédition supposée de la
dite édition 1555 et ne serait-elle pas marquée par une
faute figurant dans cette édition non retrouvée ? Dans
ce cas, les faussaires d’Antoine du Ronse 1557
n’auraient pas été en contact direct avec les éditions
Rouen-Anvers mais avec une contrefaçon 1555 comportant
les mêmes caractéristiques. On voit qu’il faut se garder
de conclusions trop hâtives en ce qui concerne les
sources car dans bien des cas, le lien est indirect et
biaisé.
On supposera donc qu’Antoine du Rosne
1557 est influencé par Pierre Roux 1555, lui-même
influencé et annoncé par Anvers 1590, avec quelques
quatrains supplémentaires, ce qui rejaillira sur Antoine
du Rosne 1557 Utrecht (avec deux quatrains
supplémentaires)
Anvers 1590
« Fin des professies de Nostradamus
réimprimées de nouveau sur l’ancienne impression
imprimée premièrement en Avignon par Pierre Roux
Imprimeur du Légat en l’an mil cinq cens cinquante cinq.
Avec privilège du dit seigneur » (Bib. Arsenal). La
formule « avec privilège » trouve un écho dans le fait
que l’édition Macé Bonhomme comporte cette mention en sa
page de titre et une forme de privilège au verso, ce qui
ne se pratiquera plus ensuite.
On notera toutefois la formule
inhabituelle à l’époque, sauf chez les adversaires : « Professies
de Nostradamus » sans le prénom et sans une formule de
respect (M., Maistre€), ce qui pourtant est le cas au
titre. On comparera d’ailleurs avec la formulation plus
civile de Rouen 1611. Elle atteste en tout cas d’un
succès populaire.
Rouen 1611
« Fin des Centuries et merveilleuses
prédictions de maistre Michel Nostradamus de nouveau
imprimées sur l’ancienne impression, premièrement
imprimée en Avignon, par Pierre le Roux (sic, au lieu de
Pierre Roux, libraire attesté), imprimeur du Légat »
Mais comment expliquer que l’on désigne
par « Professies » une édition de 1555 alors que le
titre anversois de 1590 ne comporte même pas ce mot ? On
retrouve donc au sein même d’Anvers 1590 la dualité des
deux titres, ce qui compromet la thèse de Ruzo qui
voyait dans le titre « Grandes et merveilleuses
prédictions » la marque des éditions Avignon 1555.En
fait, Anvers 1590 choisit de nommer « Prophéties » les
anciennes éditions parues du vivant de Nostradamus,
titre qui rappelons-le était en usage dans les éditions
parisiennes de la Ligue. C’est dire les intercalations
et les interférences entre les diverses éditions.
Citons Ruzo (Testament,
op. cit. , p. 279) :
« Les éditions d’Avignon ont paru
parallèlement à celles de Lyon avec un titre différent.
Malheureusement, la totalité des exemplaires de ces
éditions publiées du vivant de Nostradamus a disparu.
Nous sommes obligés d’en chercher les traces dans des
éditions très postérieures à leurs premières
publications. C’est dans ces reproductions que nous
avons trouvé le titre que portaient les deux plus
anciennes de ces éditions d’Avignon, Les Grandes et Merveilleuses
prédictions de M. Michel Nostradamus »’
Ruzo signale (Testament,
op. cit. p. 281) que le privilége de 1611 comporte bien
« Grandes et merveilleuses prédictions ». Nous situerons
l’original de cette édition un peu avant Anvers 1590, au
vu de la centurie VII disposant de moins de quatrains.
On a dit qu’elle faisait pendant à Antoine du Rosne 1557
Budapest en ce qu’elle annonçait carrément 7 centuries,
faisant suite à Rouen 1588 annonçant 4 centuries( mais à
ce stade sans prétention antidatée mais plutôt postdatée,
par rapport la date de la préface, 1555). On a noté
aussi la redondance au titre (qui elle peut être tardive
puisque Rouen 1611 est forcément, dans le contexte
abordé, une réédition d’une autre édition disparue) :
Centuries (…) contenant sept centuries » et « dont il en
y a trois cents », ce qui ne renvoie plus aux centuries
mais à des quatrains, c'est-à-dire à des « prophéties ».(Paris
1588-1589) ou à des « prédictions » (Rouen 1589 ; Anvers
1590). Le titre Valentin est perturbé : on devrait
trouver « Prédictions dont il en y a trois cents « ou
bien « Prédictions contenant sept centuries », sur le
modèle Rouen 1588 ‘Prédictions divisées en quarte(sic)
Centuries ». Quant au fait que l’on ait remplacé « Grandes
et merveilleuses prédictions » par « Centuries et
merveilleuses prédictions », ce n’est qu’une maladresse
de plus dont on ignore à quel stade elle est apparue. On
retiendra que nous parvenons là à une formulation
récapitulative à 7 centuries (Rouen 1611, reprise d’une
édition antérieure) qui semble devoir clore un processus
engagé sur la base de 4 centuries (Rouen 1588). Quant à
la date de 1611, elle fait également question car à
cette date, c’est un cas très rare d’une édition ne
comportant que 7 centuries, sans adjonction d’un volet
supplémentaire à 3 centuries. Tout se passe comme si
l’on avait voulu faire paraitre, en 1611, un stade
antérieur de la formation des centuries, ce qui
attesterait d’une stratégie de rééditions d’éditions
plus anciennes se voulant elles-mêmes reprises
d’éditions datées de 1555 (mention de cette année chez
St Jaure mais pas chez Valentin qui ne donne pas d’année).
Par la suite, ce sont les années 1556 et 1558 qui
figureront au titre de nombre d’éditions du XVIIe
siècle, à commencer, pour rester sur Rouen, l’édition
1649, parue sous la Fronde. elle a pour titre Les vrayes centuries de Me Michel
Nostradamus (..) revues & corrigées suyvant les
premières éditions imprimées en Avignon en l’an 1556 & à
Lyon en l’an 1558 avec la vie de l’autheur
La formule sera reprise l’année suivante à Leyde, chez
Pierre Leffen, en Hollande sous un titre augmenté : Les Vrayes Centuries et Prophéties….titre
qui sera celui des éditions d’Amsterdam 1667 et 1668
ainsi que de Paris, chez Jean Ribou, d’après les dites
éditions, est-il indiqué au titre en la même année 1668.
Décalage de 1555 (Avignon) à 1556 et de 1557 (Lyon) à
1558,
bien que 1558 puisse valoir pour le second volet,
disparu, d’Antoine du Rosne Utrecht.….Rappelons qu’il
est question d’une édition Sixte Denyse, Lyon, 1556,
mentionnée, dès 1584, dans la Bibliothèque de La Croix
Du Maine (cf. RCN, pp17-18) si ce n’est qu’elle concerne
« Les quatrains ou prophéties de Nostradamus » et que
selon nous, cela ne vise pas à cette date de 1584 les
centuries au sens où le terme sera entendu à partir de
la fin des années 1580 mais un almanach avec ses
quatrains mensuels désignés sous le nom de prophéties,
comme ce sera le cas dans les éditions parisiennes :
Prophéties dont il y en a 300 cents etc. »
Il semble qu’il y ait antériorité de
Valentin Rouen 1611 par rapport à St Jaure 1590, du fait
d’un nombre moindre de quatrains à la VII. L’édition
1611 ne mentionne pas le mot « professies » (sic) in fine
à la différence de St Jaure mais reprend purement et
simplement le titre de couverture. Il est bien difficile
– de déterminer ce qui a pu être modifié jusqu’en 1611 à
partir d’un original qui ne nous est pas parvenu mais
dont on peut supposer qu’il était très proche d’Anvers
1590. On notera d’ailleurs l’absence de mention de l’an
1555 chez Valentin 1611. On assiste là à des états
successifs de formation de la centurie VII, dont
l’édition Du Rosne 1557 Budapest ne fait que
correspondre à un état plus avancé à 40 quatrains en
rappelant l’existence de stades encore plus anciens,
attestés par les éditions parisiennes en leur contenu.
En revanche, le titre (oublions ici le contenu) des
dites éditions parisiennes convient tout à fait à une
édition dont la VIIe centurie ne comprendrait que 39
quatrains, ce qui constituerait un état intermédiaire
entre Anvers 1590 (à 35 quatrains à la VII) et Du Rosne
Budapest 1557.(à 40 quatrains à la VII), à moins que
cela n’ait à voir avec le fait que la centurie VI dans
ces éditions n’a que 99 quatrains à la VI.(soit 40-1=
39). .Un grand absent est le cas de l’édition à six
centuries qui se place entre les éditions parisiennes (contenu)
et les éditions parisiennes (titre) avec entre temps la
suppression mais non le remplacement de VI, 100 (rétabli
par la suite dans le Janus Gallicus
et dans les éditions troyennes). L’édition Budapest 1557
ne comporte même plus l’avertissement latin, indiquant
l’existence d’une édition antérieure à six centuries Cet
avertissement (restitué dans Antoine du Rosne Utrecht)
sera rétabli par les éditions troyennes, fort bien
documentées qui tenteront de restaurer l’ensemble à
partir de diverses pièces réunies, mais néanmoins sans
VI, 100...
Ruzo donne (Testament,
p. 282) des détails précieux sur les exemplaires qu’il a
en sa possession et notamment Rouen 1588 ;
« Dans l’édition de Raphaël du Petit Val
(…) les quatrains ne sont pas séparés en Centuries. Les
349 quatrains sont précédés non seulement de l’en-tête
« Prophéties de Maistre Michel Nostradamus » mais encore
par un autre titre, antérieur, « La Prophétie de
Nostradamus ». A nouveau, force est de constater un
décalage entre le titre « divisées en quarte centuries »
et le contenu qui est constitué d’un ensemble de 349
quatrains mis à la suite les uns des autres. Quant à
l’autre titre « La Prophétie de Nostradamus », il fait
écho à l’édition d’Anvers 1590, mentionnant in fine « Professies de Nostradamus ». Ruzo nous
met ainsi sur la voie de la toute première mouture des
quatrains de Nostradamus (hors Présages des almanachs).
On aurait utilisé un singulier et ce n’est qu’ensuite,
que chaque quatrain aurait, du moins dans les éditions
1557-1558- 1568 était qualifiée de prophéties, au
pluriel. Notons cependant que le second volet des dites
Prophéties s’intitule « Les Prophéties de M. Michel
Nostradamus. Centuries VIII. IX. X qui n’ont encores
iamais esté imprimées », reprenant la formule « qui
n’ont encores jamais esté imprimées » non plus en
l’apposant comme pour le premier volet à Prophéties mais
à Centuries. De nos jours, il est rare que les
nostradamologues emploient « prophéties » comme synonyme
de quatrains, le terme désigne désormais soit l’ensemble
centurique, ce à quoi correspondrait mieux, dans ce cas,
l’usage du singulier : la Prophétie de Nostradamus.
. Nous ne suivrons pas Ruzo dans la
direction qu’il propose. Certes, les deux titres ont-ils
coexisté dans les années 1588-1590. De là à croire
qu’ils coexistèrent en une période pour nous
immédiatement antérieure, même dans le cadre de
chronologies fictives- ce qui nous intéresse ici – pour
Ruzo ces chronologies ne le sont nullement, c’est une
toute autre affaire. Ruzo n’a pas accordé assez
d’importance au fait que dans l’édition d’Anvers 1590,
le titre proposé pour 1555 est bien « Professies » et
non « Grandes et Merveilleuses Prédictions ». C’est
uniquement dans l’édition Pierre Valentin 1611 que la
substitution aura été tentée avec une référence à une
édition avignonnaise « Pierre Le Roux (sic) appelée
« Centuries et Merveilleuses Prédictions », sans que
l’on sache si cette mention était dans l’original des
années 1580 (avec moins de quatrains à la VII) ou n’est
apparue qu’ultérieurement entre temps (c'est-à-dire
1611).
Ruzo n’oublié pas l’édition rouennaise
1649 (Testament
,
op. cit. p. 283) dont il note qu’elle se référe en leur
titre à des éditions de 1556 (Avignon) et 1558 (Lyon),
et que la liste des pays concernés s’est élargie à
l’Italie et à l’Allemagne. Pour Ruzo, chaque édition
lyonnaise des « Prophéties » aurait été jumelée avec une
édition avignonnaise « Grandes et merveilleuses
prédictions », la mention au titre des éditions du XVIIe
siècle, à partir de 1649, à Rouen, des éditions 1556 et
1558 aurait été simplement fonction des éditions alors
conservées et seul le hasard aurait conduit à ce que
l’édition conservée la plus ancienne serait celle
d’Avignon.
Désormais « Vrayes Centuries » remplace Grandes et Merveilleuses Prédictions »,
elle englobe la partie biographique du Janus Gallicus
sous le nom de « Vie de l Autheur », elle a rétabli le
quatrain 100 de la Vie centurie. Autrement dit, ce que
ne reléve pas Ruzo, elle doit beaucoup aux éditions
troyennes et à leur entreprise encyclopédique. Le mot « Prophéties
« ne figure pas au titre. Il sera rajouté dans les
éditions hollandaises qui en émanent et ce dès 1650, à
Leyde puis en 1667 et 1668. : les Vrayes Centuries et
Prophéties. Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que
le titre « Prophéties », tout court, s’impose, avec la
vraie contrefaçon avignonnaise- puisque celle signalée
en 1590 n’est qu’une invention- de l’édition Pierre
Rigaud, Lyon 1566. Ces éditions hollandaises poursuivent
l’orientation donnée par les éditions troyennes en
récupérant de façon syncrétique tout ce qui touche à
Nostradamus. Elles associent ainsi le titre rouennais de
1649 (Vrayes Prophéties) au titre troyen « Prophéties »
(cf RCN, pp. 191 et seq
JHB
15. 05. 11
37- Nostradamus : le cas
Fontbrune révisité
par Jacques HalBronn
En 2006, les Editions Privat - qui ont racheté Le Rocher-
ont publié de Jean-Charles de Fontbrune, 1555-2025. 470
ans d'histoire prédits par Nostradamus. L'auteur y est
présenté comme "le spécialiste incontesté en France et à
l'étranger des écrits de Nostradamus". La formule ne
saurait être admise à moins que l'on ne se fasse une
idée très spéciale de sa signification et de sa portée.
Voilà donc 28 ans que Fontbrune a publié la première
édition de son Nostradamus, historien et prophéte, au
Rocher, où paraîtra, peu et après, et probablement dans
la foulée, l'ouvrage de Daniel Ruzo, en 1982, Le
Testament de Nostradamus. Mais en fait, le fils de Max
de Fontbrune peut se targuer d'étudier la question
depuis une quarantaine d'années. Quant à l'ouvrage paru
en 2006, il ne fait le plus souvent que reprendre des
éditions antérieures du même Jean-Charles de Fontbrune.
Etrangement, comme dans les Centuries, les coquilles se
multiplient et ne sont pas corrigées d'une édition à
l'autre comme si l'on n'avait pu demander à quelqu'un de
toiletter par exemple la bibliographie curieusement
désignée sous le nom de "ouvrages critiques" (pp. 532 et
seq) : sous ce titre l'on retrouve en vrac - le seul
ordre étant alphabétique - les publications les plus
diverses de par leur ton comme de par leur époque de
parution (supposée). Cette bibliographie contient pèle
mêle ouvrages du XVIe et du XXe siècle et il nous a plu
de nous y arrêter un moment tant pour signaler ce qu'on
y trouve que ce qui ne s'y trouve pas.
En ce qui concerne les Centuries, Fontbrune junior ne
gratifie son lecteur que d'un seul titre "Les prophéties"
comme si toutes les éditions qu'il indique portaient
toutes un tel titre.
Nous avions parlé de coquilles non corrigées, en voici
quelques exemples: 1573 au lieu de 1563, pour un
Almanach paru à Avignon. Charles Roger 1569 alors que
c'est 1589, Pierre Meunier 1589 au lieu de Pierre
Mesnier, Winckermans, 1657 au lieu de 1667, un Jean
Ribon au lieu de Ribou, 1669, Pierre Abesson et Armand
Solane au lieu de Pierre Abegou et Arnaud Lalane., 1689,
Tout cela sur la seule page 549 qui contient, à elle
seule, toute la liste des éditions de 1555 à 1792.... Au
passage, on relèvera un Olivier de Harsy, 1557, une
édition fantôme, un Barbe Regnault de 1560, que
Fontbrune serait bien en peine de nous montrer et un
Pierre Rigaud qui aurait publié dès 1566 - et ce en
dépit d'un consensus contre cette date - et aurait
continué jusqu'en 1649!!! Fontbrune aurait aisément pu
corriger en se servant des bibliographies de Benazra ou
de Chomarat, mais il ne cite pas ces ouvrages parus en
1990 et 1989.
Parmi les auteurs qui ne figurent pas dans sa
Bibliographie, la plus grande absence est probablement
celle d'Antoine Crespin, dont il mentionne cependant un
ouvrage qui ne comporte pas son nom au titre; Prophéties
par l'astrologue du Très Chrestien Roy de France, Lyon,
1572. Fontbrune attribue carrément ce texte à
Nostradamus, puisque, apparemment, il n'a pas entendu
parler des faux Nostradamus ou de ceux qui prétendent
lui avoir succédé. Tout cela est classé sous le titre
général de "Nostradamus Michel'. Fontbrune nous fait
penser à ces faussaires de la fin du XVIe siècle qui,eux
aussi, avaient rassemblé tout ce qui avait trait à
Nostradamus, et ce indistinctement, ce qui les conduisit
à faire du faux Nostradamus.....à partir de contrefaçons!
Etrangement, Fontbrune distingue deux Chavigny, dans sa
bibliographie, l'un auteur des Pléiades et l'autre du
Janus Gallicus, l'un étant prénommé A. et l'autre J.A.
Dans bien des cas, les titres anciens sont tronqués
comme pour cette Déclaration des abus, ignorances,
séditions, 1558. Cela vaut aussi pour l'ouvrage de B.
Chevignard dont le titre est fort raccourci.(1999) Mais
surtout, la Première Invective du Seigneur Hercules le
François; également de 1558, est adressée à Nostradamus
alors que l'ouvrage comporte Monstradamus!
Bien entendu, Fontbrune ne prononcera tout au long de
son pavé de plus de 500 pages ni notre nom, ni celui de
Patrice Guinard , de Jean Dupébe, de Chantal Liaroutzos,
et quant à Robert Amadou, il ne signale pas - donc n'a
vraisemblablement pas lu, ses contributions principales..
Il est d'ailleurs des auteurs qui ont bénéficié d'un
traitement de faveur, tel cet Edgar Leroy avec pas moins
de 9 références.
En fait, Fontbrune n'apparaît nullement à son aise en ce
qui concerne la chronologie des éditions et l'on ne sera
pas surpris qu'il s'en tienne à l'idée que Nostradamus
aurait publié ses Centuries dès 1555, donc plus de dix
ans avant sa mort, ce qui le fait commencer son
commentaire du vivant de Michel de Nostredame...Son
étude de la seconde moitié du XVIe siècle serait d'un
certain intérêt si Fontbrune reconnaissait que les
Centuries sont parues à la fin du dit siècle et donc ont
eu tout le temps de prendre en compte et de se faire
l'écho, à l'instar de chroniques versifiées - genre bien
représenté-d'événements s'étant produits durant ces
décennies.
C'est donc avec un grand intérêt que nous étudierons
comment Fontbrune au lieu de prouver que Nostradamus est
prophète déjà pour le XVIe siècle parvient, en réalité,
à nous expliquer, involontairement, comment les
rédacteurs des Centuries ont été puiser leur inspiration
dans l'actualité de l'époque tout autant que dans la
Guide des Voyages de Charles Estienne (1986) dont
Fontbrune n'a pas connaissance de
l'apport, ce qui ressort notamment de son interprétation
de IX, 86, quatrain auquel nous avons accordé une
importance extrême pour la datation des éditions
centuriques le comportant. Rappelons que les éditions de
la Ligue ne comprennent pas les centuries VIII, IX et x.
(cf. nos Estudes Nostradamiennes, in Grande
Conjonction.org)
Accordons, en tout cas, le mérite à Fontbrune d'avoir
mis en évidence- et ce dès ses premières éditions- la
portée de ce quatrain, en dépit du fait que ses
prédécesseurs ne s'y soient pas attardés, ce qui est
dommage car l'on aurait pu parvenir plus tôt à nos
conclusions. On peut aussi regretter que les
nostradamologues n'aient pas davantage réfléchi sur les
implications découlant du rapprochement entre IX 89 et
les années 1593-1594 qui sont celles où parait le Janus
Gallicus, le premier commentaire- certes partiel - de
l'ensemble des 10 Centuries. Cependant, ignorant les
emprunts à Charles Estienne et à la Guide, Fontbrune ne
remarque pas que les noms de lieux qui truffent le dit
quatrain comme d'ailleurs le suivant (87) impliquent une
première mouture avec non pas Chartres mais Chastres.
Dès lors, Fontbrune ne se donne pas les moyens, faute de
repère, de relever une retouche du quatrain en l'honneur
du couronnement du roi de Navarre à Chartres. D'ailleurs,
Fontbrune associe X, 18 à cette même période :'Le grand
Lorrain fera place à Vendôme". Il ne se rend pas compte
que nous avons affaire à deux séries de centuries, les
unes mises au service de la Ligue- Guise-Lorraine
(I-VII) et les autres à celui de Navarre-Bourbon-Vendôme-Mendosus
(VIII-X): En fait, le quatrain IX 86 ne faisait que
répliquer au quatrain IV, 86 qui annonce lui un
couronnement à Reims, avec la bénédiction de la Ligue
d'un autre candidat.
Il semble, cependant, que Fontbrune atteigne des sommets
de crédulité, quand il relie le sixain 52 à la Saint
Barthélémy(p. 72); :
La grand Cité qui n'a pain qu'à demy
Encore un coup de la Sainct Barthelemy..."
On touche là le fond du problème, à
savoir celui des versets écrits après coup, post eventum!
La plupart des nostradamologues ont rejeté les sixains
comme ayant été rédigé au XVIIe siècle et nous avons
montré ce qu'ils devaient à un Morgard (voir aussi son
"disciple" François Rabin, également auteur de
centuries, BNF). Pour Fontbrune, vraisemblablement, les
éditions comportant les dits sixains sont bien de 1568,
date à laquelle elles se référent, et ce en dépit de
l'épître à Henri IV, datée de 1605, laquelle, il est
vrai, prétend avoir retrouvé des textes de Nostradamus
longtemps restés cachés...
Fontbrune accorde de la place au quatrain I, 35 (pp.
60-61) sous le titre "la mort d'Henri II".: Le Lyon
jeune le vieux surmontera etc". A vrai dire, le débat ne
revêt qu'une importance toute relative dès lors que les
éditions prétendument antérieures à 1559 sont, comme
nous le pensons, antidatées. Nous ferons remarquer qu'il
est en effet probable que le quatrain ait visé cet
événement, sinon dès sa conception, du moins au prix de
quelques retouches. En effet, le troisième verset
comporte 'cage d'or" et dans cette expression l'on
trouve, inversé, (ge-or) "Orge" qui est le nom de
Montgomery, celui qui frappa mortellement le roi en
tournoi :Gabriel de Lorges, comte de Montgomery. Cette
observation contribue, paradoxalement, à rendre ce
quatrain suspect de par ce luxe de détail notamment en
ce qui concerne les patronymes. Que l'on songe à Robin
pour Biron dans les sixains ou aux anagrammes de Mazarin,
sous la Fronde sans parler de ceux utilisés pour les
Lorrains....
L'idée de Centuries d'un seul tenant, d'une seule
époque, d'une seule inspiration doit être abandonnée.
Cela ne signifie pas que les Centuries n'aient pas
d'intérêt mais il faut attendre longtemps avant de
passer le cap des quatrains écrits ou retouchés après
coup et d'ouvrir l'ère des commentaires d'un texte
devenu immuable. D'une façon générale, le "canon"
nostradamique ne fait foi, d'un point de vue prophétique,
que pour les événements postérieurs à la Fronde, soit le
milieu du XVIIe siècle. Ce qui laisse quand même trois
siècles et demi de marge jusqu'à nos jours. Avant cette
date, l'affaire est dans les mains du club fermé de
spécialistes dont M. de Fontbrune ne fait pas partie. (Teléprovidence.com
consacrera prochainement un numéro à Nostradamus).
JH
30; 12. 08
38 - La fortune du
quatrain du couronnement, d'Henri IV à Henri V
par Jacques HalBronn
Les deux dernières grandes crises dynastiques que la
France connut sont à situer autour de 1584-1594 et, près
de trois siècles plus tard, autour des années 1870-1883.
Ce furent deux moments importants pour l'histoire des
Centuries mais le second est sensiblement moins bien
connu, tant au niveau de l'Histoire événementielle qu'à
celui de l'Histoire du nostradamisme voire de
l'astrologie (voir notre thèse d'Etat, "Le texte
prophétique en France, formation et fortune",
téléchargeable sur propheties.it). Les relations entre
astrologie et nostradamisme au XIXe siècle n'avaient
jusque là pas été abordées par nos soins et nous
réparons ici une lacune.
Si le XVIe siècle fut marqué par le passage des Valois
aux Bourbons, un autre scénario aurait pu, en 1593,
imposer les Guises et les Lorrains qui se voulaient
descendre des Carolingiens, le XIXe siècle aura été
marqué par un encore plus extraordinaire kaléidoscope
dynastique. Il commence par Bonaparte, puis l'on passe à
deux Bourbons et c'est ensuite l'heure des Orléans, puis
à nouveau un Bonaparte. Et selon les interprètes des
prophéties, il y aurait à nouveau un Bourbon pour finir
avec un Orléans.( voir Torné, "Portraits Prophétiques
d'après Nostradamus (..) ou Napoléon III, Pie IX, Henri
V, d'après l'Histoire prédite et jugée par Nostradamus
etc. ", Poitiers, H. Oudin, 1871; sur la cause
orléaniste, cf. Félix Deperlas, "La destinée de M. le
Comte de Paris d'après Nostredame", Paris, octobre 1876,
BNF) On serait ainsi dans une sorte de république
monarchique où tous les candidats au pouvoir devraient
appartenir à l'une ou l'autre des dynasties en présence
et constituent une menace les uns pour les autres (voir
les tentatives subversives de 1839-1840, sous la
Monarchie de Juillet, autour de la prophétie d'Orval; cf
"Le texte prophétique en France", op. cit.). Ce modèle
ne fonctionnera pas, comme on sait, au siècle suivant,
le septennat générant ses propres souverains
républicains.
Pour en rester au parallèle que nous établissons à près
de trois siècles de distance (seconde moitié du XVIe -seconde
moitié du XIXe), il y a quelques détails anecdotiques à
relever comme celui du nom de Chavigny, auteur ou en
tout cas éditeur - au sens anglo-saxon du mot - du Janus
Gallicus (1594) et commentateur des Centuries sous le
Second Empire et au début de la IIIe République, en la
personne de l'abbé Torné-Chavigny. La différence entre
les deux époques ainsi mises en parallèle tient avant
tout au fait, du point de vue du corpus nostradamique,
que dans un cas, c'est le texte même des quatrains qui
est retouché, modifié, "complété" alors que dans l'autre,
ce texte étant désormais définitivement cristallisé, il
n'est plus question que de commentaire, de glose
externes et non plus, en quelque sorte, internes. Mais,
il n'en reste pas moins que dans les deux cas, l'on fait
parler Nostradamus, le "Grand Prophète" selon
l'expression de l'abbé Torné, sur les événements du
moment.
Nous mettrons au centre de la présente étude le quatrain
IV, 86, dont le caractère astrologique - du point de vue
conjonctionnel - est au demeurant, assez patent, et son
traitement quasiment à 300 ans d'écart face à des
situations relativement comparables, à savoir de graves
enjeux dynastiques, ce qui relativise quelque peu
l'impact de la Révolution Française sur le cours de la
monarchie.
Nous ne reviendrons cependant que succinctement sur la
première crise, aux seules fins de ménager quelque
comparaison avec la seconde. Rappelons que les Valois
n'ayant pas eu d'enfants légitimes, la couronne devait
passer à de lointains cousins, les Bourbons qui avaient
le tort d'être passés à la Réforme, notamment dans le
cas du premier d'entre eux, Henri de Navarre. Nous avons
montré (voir nos Estudes nostradamiennes et notre post
doctorat sur "Giffré de Réchac et la renaissance de la
critique nostradamienne au XVIIe siècle", sur le site
propheties.it) que le quatrain IV, 86 avait été mis en
avant par les adversaires d'Henri de Navarre et faisait
pendant au quatrain IX, 86 lié au couronnement de ce
dernier à Chartres et non à Reims (1594). Or, c'est ce
même quatrain IV, 86 qu'utilise, le datant
astrologiquement, Anatole Le Pelletier pour annoncer le
prochain avènement d'Henri V, au cours des années 1870.
A noter qu'Henri V, seul arrière-arrière petit fils
légitime de Louis XV - si l'on excepte toutefois la (prétendue)
descendance d'un Louis XVII - n'a pas non plus d'enfants
- ce qui fut le sort des Valois, en 1589 - et qu'il lui
faut accepter à terme de passer le relais aux cousins
Orléans, qui ont déjà régné de 1830 à 1848, en la
personne de Louis-Philippe Ier, dont le règne avait été
endeuillé en 1842 par la mort accidentelle de son fils.
Il est clair que le premier volet des Centuries
favorisait le clan catholique et que le second était
exploité par le clan réformé, annonçant notamment la
victoire des Bourbons sur les Lorrains, dynastie ayant
également des vues alors sur le trône de France. Ce
n'est qu'ultérieurement que les deux volets seront
réunis, après l'abjuration et le couronnement d'Henri
IV, ce qui mit fin au projet d'Etats Généraux ayant pour
mission d'élire un nouveau roi de France, entre
plusieurs candidats dont le Marquis de Pont à Mousson,
de la maison de Lorraine, au point que par la suite,
l'on voudra attribuer l'ensemble, tel quel, au seul
Nostradamus. Processus unitaire qui fait écho à l'Edit
de Nantes de 1598.
En ce qui concerne la seconde crise, elle se solda par
un échec définitif pour toute dynastie en France, du
moins tout au long du XXe siècle. Mais, pour le XIXe
siècle, il s'en fallut de peu qu'une des dynasties ayant
régné fût rétablie en France au cours des années 1870 (jusqu'à
l'amendement Wallon de 1877 qui correspond à un
ressaisissement de la IIIe République). Si Henri V (puisqu'on
l'appelait volontiers ainsi) le "dernier" Bourbon, petit
fils de Charles X, avait été plus inspiré, le parti
monarchiste eut probablement trouvé son unité. A la
différence de son aïeul, Henri IV (qui abjura le
protestantisme, "Paris vaut bien une messe"), il
n'accepta pas certaines concessions (affaire du drapeau
blanc) pour s'entendre avec les Orléans dont il
reconnaissait pourtant, faute de descendance, que c'est
à eux qu'ensuite reviendrait la couronne. Un Torné
Chavigny mettra son talent de commentateur au service du
comte de Chambord, lisant dans Norlaris, non pas
l'anagramme de Lorraine mais celui d'Orléans... Quant au
retour de Napoléon III -successeur attitré de son oncle
avant la naissance du roi de Rome - il aurait pu se
concevoir, à la façon des Cent Jours, avec l'empereur
revenu de l'Ile d'Elbe, si la maladie n'avait eu raison
de lui, en janvier 1873 et si son fils avait été un peu
plus âgé- il n'atteindra la majorité de 18 ans qu'en
1874, l'option d'une régence de l'Impératrice ne passant
guère. (voir A. Frerejean, "Napoléon IV, un destin brisé
(1856-1879)", préface de Philippe Seguin, Paris, Albin
Michel, 1997), le précédent de Catherine de Médicis et
plus généralement des régences du XVIIe siècle, ne
faisant pas foi.
L'Histoire de l'Astrologie et du nostradamisme -et du
prophétisme en général - nous invite souvent à revisiter
des moments oubliés et parfois à peine signalés, à tort
ou à raison, dans les manuels d'Histoire, ce qui
apparente une telle littérature à une forme de presse,
de journalisme, en tout cas de propagande, où l'effet
d'annonce est déterminant, parfois au service d'une
cause bien fragile. On est dans l'Histoire à chaud sinon
dans la "petite" Histoire. Etrange paradoxe que des
outils qui supposeraient une prise de distance, tant
dans l'espace (les astres) que dans le temps (les
Centuries censées parues dans les années 1550) et qui,
en réalité, se font le reflet de projets avortés ou
tombés totalement dans les oubliettes, les poubelles de
l'Histoire. En ce sens, il est vrai, l'étude de cette
littérature prophétique apparait comme une précieuse et
probablement incontournable source de documentation pour
l'Historien qui ne saurait se contenter de valider,
après coup, la façon dont ont finalement, parfois in
extremis, tourné les événements, ce qui tend à
relativiser l'importance et la nécessité des dits
événements, permettant ainsi une approche plurielle de
l'Histoire, sans tomber dans la fiction.
Les auteurs que nous aborderons étaient fort concernés,
au lendemain de la défaite française face à la Prusse,
par l'idée d'un retour de Napoléon III et, à sa mort (en
janvier 1873), de Napoléon IV (1856-1879), donc âgé de
16 ans lors du décès de son père. Mais le prophétisme
aime les jeunes princes et leur promet volontiers des
ascensions fulgurantes. N'oublions pas le cas de Louis
XVII! En cela, la fin du XIXe siècle n'aura rien eu à
envier celle du XVIe siècle. Selon nous, comprendre ce
qui s'est passé, au niveau de la littérature prophétique
au début des années 1870 permet de mieux comprendre la
période finissante de la dynastie des Valois des années
1580-1590, au sein du même pays, le bonapartisme n'étant
pas sans rappeler les Guise, la Lorraine et la Corse
étant des provinces périphériques, et le républicanisme
laïc- qui sortira vainqueur de l 'affaire - pouvant
exprimer un néo-protestantisme.
I Le Pelletier et le quatrain IV, 86
Il importe de comprendre que l'usage de l'astrologie
mondiale est considérablement plus facile, au niveau
astronomique, que celui de l'astrologie généthliaque.
Autrement dit, l'astrologie mondiale n'exige pas de
manuels, de traités. Son principe est des plus simples:
quand il y a conjonction, cela correspond à une échéance
du point de vue de la vie publique et pour savoir s'il y
a conjonction, il suffit de parcourir des tables
planétaires et de repérer deux planètes dont les
chiffres coïncident, en tel mois de telle année. Un jeu
d'enfants qui n'est pas sans faire songer à ces machines
que l'on trouve dans les casinos où l'on gagne quand les
mêmes motifs se retrouvent sur une même ligne! Dès qu'il
s'agit de rechercher un autre aspect que la conjonction,
cela devient déjà sensiblement plus ardu! Et bien
entendu, au niveau de l'observation directe du ciel, la
conjonction est un des phénomènes les plus manifestes.
C'est ainsi que l'auxerrois Anatole Le Pelletier,
l'auteur, en 1867, des "Oracles", à l'occasion du
troisième centenaire de la mort de Nostradamus, en 1866,
dans un fascicule d'une série (non signalée par Benazra)
intitulée "La clef des temps", dès 1872, écrivait, à
propos de IV, 86 :
"Saturne dont la révolution est de trente ans environ
passe deux ans et demi alternativement dans chaque signe.
Il entrera dans le verseau en 1874 et par conséquent il
s'y trouvera en conjonction avec le soleil dont la
révolution est d'un an et qui passe alternativement dans
chaque signe. La même conjonction se réitérera en 1875
et peut-être encore au commencement de 1876...' Le
Pelletier annonce, dans son plan de parutions d'une
série de cahiers, une "Dissertation sur l'astrologie
judiciaire" dont nous ignorons si elle parut jamais.
Signalons que le texte ci dessus est un commentaire
astrologique du quatrain 86 de la centurie IV et que Le
Pelletier relie le mot "eau" du premier verset avec
...le verseau (alors que la tradition astrologique en
fait un signe d'air) / "L'an que Saturne en eaue sera
conjoinct". Quatrain au demeurant royal voire impérial "Avecques
Sol, le Roy fort & puissant/ A Reims & Aix sera receu &
oingt...."
A la mort de Napoléon III, début 1873, Le Pelletier -
dans son "Apollon Pythien et Michel de Nostredame .
Lettres au sujet de la mort de Napoléon III et oracles
qui y ont trait" (Benazra, en dépit du titre, date, à
tort cet ouvrage de 1843, RCN, p. 389) déclare patent
l'échec de l'abbé Torné-Chavigny
Mais dès 1867 (réédition 1976), Le Pelletier avait fait
paraitre, à la fin de ses "Oracles" des "fragments
fatidiques de 1866 à l'Antéchrist", autour d'une
terminologie planétaro-mythologique (Mars, Jupiter,
Saturne)
II Le nostradamisme astrologique de Ch. de Villeplaine
Villeplaine, dont on nous dit qu'il fut zouave
pontifical, est quasiment absent des travaux
nostradamologiques consacrés au XIXe siècle. Il est
pourtant, comme le signale R. Benazra(voir Répertoire
Chronologique Nostradamique, Paris, La Grande
Conjonction-Trédaniel, 1990, p. 427 et 429-431), pris à
parti, en sa qualité d'astrologisant, par l'abbé
Torné-Chavigny, dans ses éditions de l'Almanach du Grand
Prophéte. Il nous a donc semblé utile de nous étendre
quelque peu sur son œuvre "prophétique" dont cependant
une partie - à commencer par le nom de leur auteur - ne
nous est connue que par ce qu'en dit son contemporain
Torné (Almanach pour 1877, p. 10, Paris, chez l'auteur,
BNF Lc 22 466 (1877) et Lc22 466 (1877) A)
La BNF a conservé divers ouvrages de Villeplaine, parus
soit sous le nom de Delphes soit anonymement, dont
certains connurent plusieurs éditions (ils sont presque
tous sur le site numérisé Gallica). En fait -et Torné
s'en plaint - aucun de ses textes n'est signé de son nom
et c'est par Torné que nous l'identifions: "Qu'on ne me
fasse pas solidaire non plus de l'auteur de "Ce que sera
le règne du Grand Roi. Le 16 décembre prochain" et
autres petites feuilles du même genre. M. Ch. de
Villeplaine les publie malgré moi. Il me fait le plus
grand tort en ne les signant pas et en donnant à penser
qu'elles ont été inspirées par l'étude de mon
travail"("Henri V prédit", Bruxelles, 1875, p. 7)
L'ordre que nous proposons tient compte du contexte
politique dans lequel chaque document s'inscrit.
A Textes parus avant la mort de Napoléon III
pseudo C.V. B. Delphes, "Morts de Napoléon III et
Napoléon IV", chez Madre, Paris (BNF, numérisation
Gallica NUMM 5456488)
Delphes (sans les initiales) "Morts de Napoléon III et
de Napoléon IV. Fixation des époques
1 Du retour de Napoléon III, 2 de la nouvelle chute de
Napoléon III, 3 de la mort de Napoléon III; 4 de la mort
de Napoléon IV, 5 de l'avènement de Henri V; 6 du
troisième siège de Paris, Paris, Madre (Lb57 2931)
Il est probable que Villeplaine ait eu vent des
velléités de Napoléon III et de ses partisans de
reprendre le pouvoir, début 1873 mais la maladie et la
mort déjouèrent tous les plans. En octobre 1873,
Villeplaine propose un nouveau scénario:
B Début 1873; mort de Napoléon III.
-Prophéties précises et claires. Napoléon IV, Henri V et
la République Octobre 1873 (Lb57 4499)
-Prophéties précises et claires Napoléon IV, Henri V et
la République, Paris, J. Madre (Lb57 4499 B)
A ne pas confondre avec la plaquette " Napoléon IV et
Henri V", 1872, violement hostile au bonapartisme et
sans caractère prophétique.
Enfin, l'astrologie réapparait au titre.
-Ceci est une prédiction astrologique. Le 16 décembre
prochain 1874. Paris 1874. BNF Lb56 5104
-Follicule à joindre à la Prédiction astrologique, le 16
décembre prochain 1874. Réponse aux critiques
BNF Lb57 5740
Comme Torné le rapportera, en 1875, dans son "Henri V
prédit", Bruxelles, pp. 7 et seq), Villeplaine, en
restituant un passage d'une lettre reçue de Villeplaine,
le 12 novembre 1874, annonçait la mort de MacMahon,
président de la République suivie de peu de celle de
Napoléon IV (soit deux ans après la mort de son père) :
" "Ce que sera le règne du grand Roi; Par calculs
astronomiques, c'est le 16 décembre prochain 1874
qu'aura lieu tout au moins la mort de Mac Mahon,
congestion et apoplexie foudroyante. Au milieu de
janvier 1875, Napoléon IV -qui ne se mariera pas-
disparaitra -c'est un scrofuleux. Le 16 décembre
prochain va être imprimé".
Or, Villeplaine, apparemment conscient des limites du
prévisionisme nostradamique, notamment en matière de
fixation de dates, accorde, dans ses dernières
publications connues, la plus grande importance à une
conjonction de Mars et de Jupiter, pour le 16 décembre
1874 :
"Le 16 décembre à 2 heures 53 minutes du matin (Mars se
dirige sur Jupiter) aura lieu la conjonction des
planètes Jupiter et Mars. A ce moment là, les ascensions
droites et les déclinaisons de ces deux corps célestes
seront sensiblement identiques"
"Commence le 15 novembre 1874 et finit le 15 janvier
1875'
"Mois lunaire du 14 décembre 1874 au 13 janvier 1875"
Cette conjonction Mars-Jupiter eut bien lieu, à la mi-décembre
1874 à 25° Balance (cf. "Grandes Ephémérides" de Gabriel
(tome second 1700-1899), Paris, Trédaniel-Grande
Conjonction, 1990, pp. 150-151) mais sans les effets
escomptés. C'est elle, donc, qui désignait la mort de
Mac Mahon, maréchal -donc soldat (Mars) et président
(Jupiter). Celui-ci (né en 1808, la même année que ?
Napoléon III) ne mourut pas à la date fixée - mais en
1893 après avoir quitté, avant la fin de son septennat,
le pouvoir début 1879 ; ayant fait sa carrière sous
Napoléon III (Guerres de Crimée, d'Italie, il est Duc de
Magenta), ce comte, d'ascendance irlandaise, était en
place depuis mai 1873, succédant à Thiers. Quant à
Napoléon IV, il fut tué au combat, en Afrique du Sud,
contre les Zoulous, sous l'uniforme anglais.
L'intérêt d'un tel corpus, échelonné sur quelques années
est d'observer comment Villeplaine retouche, corrige le
tir, par l'ajout ou la suppression d'une phrase, chaque
fois, d'une édition à l'autre, d'une publication à
l'autre, dès lors que de nouvelles données
événementielles lui sont fournies, à commencer par la
mort de Napoléon III au début de 1873 qui porta un coup
terrible à l'abbé Torné, ce dont se gaussera un Chabauty
ou une mort annoncée par le dit Villeplaine ne se
réalisant pas comme celle du Prince Impérial. Mais tous
ces prophètes n'en resteront pas moins convaincus du
prochain avènement d'Henri V lequel ne décédera qu'en
1883, 4 ans après Napoléon IV (voir en 1881, de G.
Vallée, "Henri V sauveur de la France. Son avènement
prochain d'après les prophéties les plus authentiques,
Paris, V. Palmé, BNF, dans lequel est cité (p. 28) le
fameux quatrain "royal", IV, 86. C'est là une épée de
Damoclès qui restera longtemps placée au dessus du
destin de la IIIe République. Prophétisme et vie
politique sont indissociables, chaque camp prophétique
s'inscrivant, comme sous la Ligue, dans un certain camp
politique, d'ailleurs est-il raisonnable de nier qu'il
puisse en être autrement? (voir notre étude sur
l'anti-astrologisme nostradamiste, au lendemain de la
Guerre de 1870, dans la présente livraison)
Ce Villeplaine avait, sur les conseils de l'abbé Torné,
abandonné l'astrologie puis aurait "rechuté",
probablement fasciné par sa découverte conjonctionnelle.
"Malheureusement, note l'abbé, la conversion n'a pas été
durable et l'astrologue moderne [donc Villeplaine] est
revenu prédire à jour fixe la mort de Mac Mahon et celle
du prince impérial" (Almanach pour 1877, p. 10). C'est
notamment, probablement, à Villeplaine que s'adresse
l'abbé quand il publie son "Nostradamus et l'astrologie"
(Nouvelle Lettre du Grand Prophète, 1872, BNF 8° V Pièce
3372, voir notre étude sur l'anti-astrologie de Torné,
dans la présente livraison)
Si les documents que nous indiquons ne sont jamais
signés Villeplaine - comme le note Torné - la double
terminologie employée ('astrologique", "nostradamienne")
nous semble pouvoir conforter une telle attribution,
outre le fait que ces "Calculs" seraient bel et bien
parus en 1874, aux dires de l'almanach sus mentionné. En
tout état de cause, ce que Torné relate (dans son
Almanach pour 1877, reprenant celui pour 1873) des
publications de Villeplaine correspond littéralement aux
dates figurant sur les fascicules susmentionnés.
Les passages de ces fascicules fort minces qui sous
tendent notre propos sont les suivants:
"Ceux qui croient encore au gouvernement des choses de
ce monde, à ceux qui considèrent l'harmonie des astres
la magnifique horloge sur laquelle Dieu a gravé non
seulement les grandes heures de l'Univers et de
l'Humanité mais encore les divisions infinitésimales de
temps par rapport aux êtres. Pauvres d'esprit! Au point
de vue purement astrologique cette conjonction
(Mars-Jupiter) permet de conjecturer qu'à cette époque
les apoplexies, les congestions et en un mot toutes les
maladies violentes qui affectent la tête et le cœur
seront nombreuses- les accidents, particulièrement les
chutes (de cheval) seront également à redouter. C'est
alors que les Grands, en général, pourront craindre que
la main du Seigneur s'appesantisse sur eux. Un Grand de
la Terre dont la réputation est universelle est plus
menacé que tous, il devra se recueillir car la mort a la
faux levée sur sa tête". Villeplaine annonce le décès
proche de Napoléon IV, ce qui laissera, prophétise-t-il,
bien à tort, la place pour Henri V.
Cette conjonction (mais aussi parallèle de déclinaison)
de Mars et Jupiter de 1874- qui est au demeurant un
phénomène astronomique assez fréquent , bien plus que la
conjonction Saturne-Jupiter- n'en est pas moins,
symboliquement, à mettre en vis à vis, toute proportion
gardée, de la conjonction Jupiter-Saturne de 1584. Force
est de constater, enfin, que le mélange d'astrologie et
de nostradamisme se retrouve, à trois siècles
d'intervalle et semble être un des traits spécifiques de
l'astrologie française. Le fait est que Torné n'a pas
tort de s'interroger sur la dimension astrologique du
canon centurique (qui d'ailleurs ne comporte pas les
almanachs, les pronostications et autres publications
périodiques) et il semble bien qu'à la mort de
Nostradamus, d'aucuns se soient efforcé de le faire
passer avant tout pour un prophète. Une telle évolution
avait eu des précédents, notamment avec, à la fin du XVe
siècle, Johannes Lichtenberger dont les pronostications
astrologiques donnèrent lieu en France, dans les années
1520, à un "Mirabilis Liber", truffé de prophéties
dépassant largement le seul cadre de l'astrologie.(voir
notre "Texte prophétique en France", op. cit.)
Force est donc de constater que tant Villeplaine que Le
Pelletier étaient en mesure au début des années 1870 de
se référer à des données astronomiques et il est à
supposer que leurs lecteurs étaient peu ou prou en
mesure de les suivre, voire de vérifier leurs dires dans
la "Connaissance des Temps". D'ailleurs, en 1874, le
chanoine Chabauty, hostile à l'astrologie, prenait la
peine de décrire par le menu, en cinq points, le dit
savoir astrologique ("Les prophéties modernes vengées",
Poitiers, p. 107) :
1° Les maisons, 2° les regards, 3° les conjonctions des
planètes dans la même maison, 4° les astres seigneurs,
5°les astres ascendants. En fait Chabauty par "maison"
désigne le "signe" - le mot maison était utilisé au
XVIIe siècle dans ce sens (est resté le mot domicile)-
et par "regard", l'aspect - le mot regard étant
l'ancienne dénomination (voir notre étude à son sujet
dans la présente livraison, à propos des attaques de
l'époque contre Nostradamus et/ou l'Astrologie)
Le tableau ne serait pas complet en ce qui concerne
l'activité prophétique des années 1873-74, si l'on ne
s'intéressait pas à un texte paru cette fois à Bar Le
Duc, dans le département de la Meuse, non loin de la
nouvelle frontière franco-allemande: "Au 17 février
1874, le grand avènement précédé d'un grand prodige
prouvé par le commentaire (...) de la célèbre prophétie
d'Orval".
Ce texte connut plusieurs éditions dont la première
simplement signée F. P., parue en août 1873, donc peu
après la mort de Napoléon III mais surtout au lendemain
du "pacte de réconciliation du 5 août 1873, entre le
comte de Paris et le Comte de Chambord". La deuxième
édition, dès décembre de cette même année, portait la
mention " F. Parisot, ancien notaire" (cf R. Benazra,
RCN, p. 427). On notera que cette nouvelle édition et
les suivantes, l'année suivante, furent publiées
conjointement à Paris, chez Victor Palmé, lequel
s'occupa également des productions de Torné et de
Chabauty. A partir de la deuxième édition, une annexe
signalée au titre comportera à la suite "ainsi que
celles de Nostradamus et de saint Malachie".
L'avènement d'Henri V est annoncé, dans la foulée du "pacte
de réconciliation" du mois d'août. Parisot a calculé la
date du 17 février 1874 à partir de la Prophétie d'Orval
- laquelle avait déjà en 1839-1840 servi à préparer l'
hypothétique avènement du jeune Henri V, au début de la
Monarchie de juillet - en soustrayant à la date du Ier
janvier 1900 un certain nombre de "lunes", selon un
système établi dans la dite Prophétie d'Orval laquelle
s'apparentait, d'ailleurs, à une certaine forme
d'astrologie, sans rapport avec la réalité astronomique.
Parisot y prévoyait une démission de Mac Mahon et
considère comme nulles les chances du Prince Impérial.
En conclusion, nous ferons remarquer que s'il y eut une
compétition entre plusieurs dynasties pour la prise de
pouvoir, il y eut parallèlement une sorte de "guerre"
des prophéties, les partisans de Nostradamus étant pris
à parti par un chanoine Chabauty, pourtant partisans
d'une "concordance" des prophéties modernes (voir notre
étude sur ces deux auteurs, dans la présente
livraison).Désaccord et tiraillement entre
prophétologues qui fait pendant à la discorde qui régna
entre les prétendants au trône, d'autant qu'il ne
faudrait pas oublier l'affaire Naundorff-Louis XVII (voir
"Le texte prophétique en France, formation et fortune",
thèse d'Etat, 1999, sur le site propheties.it). A la
mort de Napoléon IV, en Afrique, en 1879, Torné
consacrera naturellement un chapitre de son "Almanach du
Grand Prophète pour 1880".(voir R. Benazra, RCN, p. 428)
mais il est cette fois définitivement installé à Paris.
Quant à Henri V, il meurt dix ans plus tard, la IIIe
République suivant son cours sans lui et , sans être
parvenue, en dépit des précédents, à servir de tremplin
pour un retour monarchique ou impérial, comme l'avaient
fait les deux premières Républiques. Le XIXe siècle aura
ainsi servi de sas entre un Ancien et un nouveau
Régimes. D'aucuns soutiennent que la Ve République, dans
les années cinquante du XXe siècle, aurait pu préparer
le retour des Orléans, du Comte de Paris, sous la
houlette du général De Gaulle, nouveau Mac Mahon....Notons
que Torné annonçait carrément une guerre civile, sur le
modèle de ce qui se produisit sous la Ligue et dont
Henri V sortirait vainqueur à l'instar d'Henri IV. On
aura compris que le prophétisme, nostradamique ou non,
est intimement liée aux enjeux dynastiques.
JHB
24. 12. 09
39 - La question des épîtres centuriques
revisitée.
Si, initialement, nous n’avions dans
notre collimateur que les éditions centuriques nous
avons progressivement acquis la conviction de la
nécessité d’étudier de près d’autres pièces se référant
plus ou moins ponctuellement au corpus centurique,
quatrains ou épitres. Il nous est apparu, en effet, que
non seulement on avait pu fabriquer des éditions
antidatées mais qu’en plus, on avait également produit
des contrefaçons d’autres ouvrages attribués à
Nostradamus pour accréditer les dites éditions. Il
importe cependant de distinguer les faux d’époque et les
faux antidatés. Si, en effet, l’on sait que dès le début
des années 1560 parurent des almanachs avec des
quatrains différents de ceux que publiait Nostradamus
pour l’année concernée, souvent repris d’almanachs
antérieurs, il y a aussi le cas de faux d’époque qui ont
donné lieu à des contrefaçons tardives de la part de
faussaires qui n’étaient pas avertis de l’existence de
tels procédés déjà du temps de Nostradamus, ils ont
ainsi pris de mauvais modèles pour exemple, ce qui
ressort notamment au niveau iconographique. Au fond, il
aurait presque été préférable d’inventer des
présentations totalement différentes car ces
contrefaçons d’époque s’inspiraient, mais d’assez loin
quand même, de la production réellement attribuable à
Nostradamus. C’est ce qui s’est passé avec les fausses
éditions 1568 qui évitent systématiquement de recourir
aux vignettes campant un personnage à sa table de
travail encore que l’on puisse retrouver dans certains
cas des motifs extraits de telles vignettes. (cf.
reprint ED. Chomarat, Lyon, 2000, p. 25).
Ce qui nous intéresse le plus
actuellement est la datation des éditions antidatées et
plus largement des documents contrefaits. Si Patrice
Guinard a publié, dans la Revue Française d’Histoire du Livre,
à la demande de Gérard Morisse, un « Historique des
éditions des Prophéties de Nostradamus (1555 – 1615) n°
129 2008), en évitant d’aborder la question de la
véritable chronologie des éditions centuriques pour s’en
tenir à une chronologie « factuelle » fondée presque
systématiquement sur les dates figurant sur les pages de
titre ou celles correspondant aux activités des
libraires ainsi désignés sur les dites pages, suivant en
cela l’exemple de Chomarat et de Benazra, à l’exception
du cas des éditions Pierre Rigaud 1566 qui sont
désormais datées du XVIIIe siècle et qu’encore au XIXe
siècle, un Torné Chavigny et un Anatole Lepeltier
croyaient authentiques. Cet exemple aurait du rendre
prudent mais apparemment on en a fait une exception
laissant entendre justement que pour les « autres »
éditions centuriques datées des années 1550 ou 1560, on
pouvait se fier aux données indiquées et ce même dans le
cas de faux.
Il nous apparait que dans le cas de
Crespin, le document daté de 1572 que nous avions mis en
avant est fort probablement un faux datant du début du
règne d’Henri IV. Selon nous tout ouvrage qui comporte
des quatrains appartenant tant au premier qu’au second
volet ne saurait être antérieur au temps des Bourbons.
Dans le cas de l’épître de Chevigny à Larcher (1570) qui
comprend un élément du seul premier volet, l’on doit se
situer dans le cours des années 1580, et correspondre au
moment où l’on publie les œuvres de Dorat. Enfin, reste
le cas d’Antoine Couillard. A-t-il vraiment existé une
parution en 1555 d’une quelconque préface à César, telle
que reprise par le « Seigneur du Pavillon les Lorriz »
dont on sait qu’en 1560 il publia des Contreditz aux fausses et abusives
prophéties de Nostradamus. Tout comme Crespin, Couillard était ainsi
associé au nom de Nostradamus, figurant dans une sorte
de bibliothèque nostradamique dans laquelle puisèrent
les faussaires de la fin du XVIe siècle. Quand cette
préface est apparue en tête des Prophéties ligueuses,
dans un premier temps, on aura voulu lui donner un
certificat d’authenticité en faisant jouer le dit
Couillard avant de trouver une meilleure solution qui
consistait carrément à produire une fausse édition datée
de 1555. On ne saurait ignorer l’apport du XVIIe siècle
à la mise en place du canon centurique à partir de la
récupération de documents du siècle précédent. D’une
part, il y eut le travail des libraires troyens,
notamment de Pierre Du Ruau,
qui collecta énormément de pièces dispersées et de
l’autre la traduction de 1672 de Théophilus de
Garencières qui restitue un état premier de la Préface
centurique à César, bien moins corrompu que les versions
qui nous sont parvenues par ailleurs. Rappelons que l’on
dispose du texte français d’origine ayant servi à la
dite traduction grâce à une édition d’Antoine Besson,
libraire lyonnais qui fut en activité dans les années
1690.
Nous avons signalé à plusieurs reprises
dans nos études les revirements des faussaires quant à
leur réinvention du passé. Reste le cas de
Significations pour 1559, largement traité dans notre
post-doctorat (cf. le reprint édité par B. Chevignard, Présages de Nostradamus,
op. cit) et qui est un cas d’école, tant on peut
retrouver les procédés utilisés, dont la récupération de
l’Eclipsium
de Leovitius, déjà signalé par l’abbé
Torné Chavigny, en 1879 (voir la lettre reproduite dans
l’édition Chevignard p. 446) mais aussi d’une attaque
contre Nostradamus que l’on présente comme une attaque
de Nostradamus contre ses adversaires qui s’en prennent
à ses Présages Merveilleux .
(cf. p. 457 de l’édition Chevignard). : « avec tes
pronostiques que tu dis estre merveilleux » , la date de
ce qui se présente en fait comme une épitre est le 14
août 1558 alors que celle adressée à Henri II est du 27
juin 1558 (rappelons que l’Epitre authentique au Roi est
datée de janvier 1556. On pourrait y voir une épitre
jumelle de la fausse épitre à Henri II. Or, c’est dans
ces
Significations
qu’il est fait mention d’une « seconde centurie » (cf.
p.455 de l’édition Chevignard) : « comme plus amplement
est déclaré à l interprétation de mes Prophéties ». On
peut même se demander si ce texte n’avait pas été
envisagé précédemment au choix de l’Epitre à Henri II
(qui avait pour inconvénient de reprendre une version
précédente, en tête des Présages Merveilleux
pour 1557, pour introduire le second volet –et si cette
seconde centurie ne visait pas celle qui par la suite,
au sein de l’ensemble à 10 centuries, deviendrait la
centurie IX . Ces Significations auraient donc introduit
le second volet avant qu’il ne soit réuni au premier
sous le règne d’Henri IV. On aurait gardé quasiment la
même date, à quelques semaines près. Ce qui distingue
d’ailleurs ce document de ceux produits par le camp de
la Ligue, c’est le fait qu’ils utilisèrent une vignette
différente de celles des éditions parisiennes et des
contrefaçons qui les calquaient, à savoir qu’ils avaient
pris modèle sur la « bonne « vignette, celles des
Pronostications de Nostradamus et notamment celle pour
1558 – que nous avons été le premier à retrouver à la
Bibliothèque Royale de La Haye (ce dont témoigne
Brind’amour, dans son Nostradamus, astrophile).
En effet, le libraire est le même, le parisien Guillaume
Le Noir si ce n’est qu’alors que, dans les deux cas, la
page de titre porte la mention « avec privilège », dans
le cas de la Pronostication
pour 1558, il y a in finé le texte du privilège (cf. Ed
Chevignard, p. 442) et non à la fin des Significations (cf.
éd. Chevignard, p. 460). On notera que la lettrine M qui
commence la brève épitre à Guillaume de Gadagne, en tête
de la Pronostication pour 1558 n’est pas identique à la
même lettrine M de l’épitre en tête des Significations.,
d’autant que le premier mot est le même dans les deux
cas, « Monseigneur » Il est assez clair que la dite
Pronostication pour 1559 ne s’intéresse pas à Antarès
par hasard (cf. Chevignard, p. 451) car cette étoile
fixe menace les yeux. Or, rappelons qu’Henri II est mort
des suites d’une blessure à l’œil, en 1559. En revanche,
l’épître à Henri II ne reprend pas cette prédiction, ce
qui tendrait à montrer que la nouvelle épitre ne
s’intéressait qu’à des événements plus tardifs.
Signalons certaines similitudes entre les
deux épitres datées de 1558, c’est ainsi qu’elles se
terminent par la même formule :
A Monseigneur Jacobo Marrasala, evesque
de Viviers et Vice légat d’Avignon M. Nostradamus, son
humble serviteur envoye salut & félicité
De Salon ce 14. d’Aoust 1558. Faciebat
Michael Nostradamus Salonae Petrae Provinciae, 1558 pro
anno 1559 & 1560
Et A Henri Second (-…) Michel Nostradamus,
son très humble, très obéissant serviteur & subject,
victoire & félicité
De Salon ce XXVII. De juing Mil cinq cens
cinquante huit. Faciebat Michael Nostradamus Salonae
Petrae Provinciae
Il y a toutefois une différence notable :
Dans l’Epitre à l’évêque de Viviers, il
est indiqué à la suite pour quelles années le texte
vaut, alors que dans l’Epitre à Henri II, rien n’est
précisé. Pourtant dans le cours de l’épître, on a
souvent le sentiment que le texte concerne une période
donnée. « Et sera au moys d’Octobre que quelque grande
translation sera faite » (p. 161, Ed. Chomarat, 2000).
On y trouve également des indications de latitude (50 ;
52, 48 pour la lettre à Henri, 37, 38, 39, 40, 41, 42 &
45 degrez » donc plus au Sud pour la lettre à Jacobo
Marrasalla.
Le problème de cette Epistre à l’évêque
de Viviers est qu’elle n’introduit plus aucun texte. On
comprend mal dès lors la formule « prendre en gré le
petit présent » alors que l’Epitre à Henri II mentionne
« ces trois centuries du restant de mes prophéties »
tout en se référant à des « Offres & présens ». Tout se
passe comme si cette épitre avait été détachée du
document qu’elle introduisait initialement,
vraisemblablement les Centuries VIII-X, ce qui donnerait
sens au passage signalé à propos de la « seconde
centurie de mes prophéties ». On notera que normalement,
seules les Pronostications de Nostradamus portaient une
vignette représentant un personnage à sa table de
travail. On n’en trouve pas sur ses almanachs, du moins
pas pour les années Cinquante. A contrario, ce sont les
faux almanachs de Barbe Regnault, au début des années
1560, qui porteront une vignette différente de celle
comportant l’écusson « M. de Nostre Dame ». Dans le cas
des Significations,
la présence de la vignette ne se serait pourtant point
imposée, dans la mesure où il ne s’agit pas d’une
pronostication annuelle mais sur deux ans. Dans les deux
cas, une échéance pour les premières années du XVIIe
siècle (1605-1606) est fournie, directement ou
indirectement, ce qui fait sens pour des textes
appartenant à la fin du XVIe siècle. Cette date coïncide
d’ailleurs avec celle de l’Epitre à Henri IV en tête des
sixains dans les éditions troyennes.
Nous avons très peu de documents
concernant l’historique du second volet. On ne connait
ce texte, dans ce qui nous est parvenu pour le XVIe
siècle, en tout cas, que des éditions où il est déjà en
position de second volet et comporte des Centuries
numérotées de VIII à X. Il nous semble très improbable
que le second volet, comme on l’appellera par la suite,
ait eu ses centuries ainsi présentées, d’autant plus que
la stabilisation à 7 centuries fut relativement tardive.
Il est par ailleurs assez évident que les dites
centuries connurent une certaine circulation sinon à
quoi bon les constituer ? On pense notamment au quatrain
IX, 86, ce qui correspond à la « seconde » centurie du
second volet. Mais ces états n’ont pas été conservés. On
ne sait pas davantage si le dit volet parut dès le
départ avec l’Epître à Henri Second, laquelle épitre
d’ailleurs ne se réfère aux centuries que globalement et
avec déjà une référence à la Préface à César du premier
volet, ce qui ne fait sens qu’au sein d’un ensemble à
deux volets. Qu’on en juge « Dedans l’Epistre que ses
(sic) ans passez ay desdiée à mon fils Caesar
Nostradamus, j’ay assez appertement déclaré aucuns
poincts sans présage ». En fait, nous serions tentés de
penser que cette épitre à Henri II n’a été composée que
lors de la mise en place d’un volume à dix centuries. Il
n’en est pas de même de l’Epitre à Jacobo Marrasala,
laquelle, signalons le quand même, ne fait aucune
allusion à une Epitre antérieure de peu à Henri II,
l’une étant de septembre et l’autre de juin 1558. On
peut penser raisonnablement que l’épitre à Marrasala
introduisit les centuries ‘anti-ligueuses » et qu’elle
fut ensuite remplacée, tout en poursuivant une carrière
sous le titre de Significations.
Dès lors, que dire de la formule figurant
dans l’Epitre à Henri II ? Nous la reproduisons plus
amplement :
« Aviendra l’an 1605, que combien que le
terme soit fort long, ce nonobstant les effets de cestuy
(an) ne seront gueres dissemblables à celuy d’icelle
année (1559), comme plus amplement est declaré à
l’interprétation de la seconde centurie de mes
Propheties ». La référence est explicitement liée ici à
des éditions centuriques parues sous le nom de
Prophéties ». On notera que les positions planétaires
qui figurent dans l’Epître à Henri II sont celles de
l’an 1606 : « mesmes de l’année 1585 & de l’année 1606 à commençant depuis le
temps présent qui est le 14 de Mars 1557 ». On relèvera
cette mention de l’an 1585 qui correspond selon nous
assez bien à la période de la Ligue ; au lendemain de la
mort du Duc d’Alençon, dernier fils de Catherine de
Médicis, laquelle mort plaçait ipso facto Henri de Navarre, le cousin réformé, en
position de « dauphin » d’Henri III. La vignette de
l’édition Rigaud (1568) dont nous disions qu’elle
comportait sur la page de titre de l’ensemble du volume,
des motifs issus de la vignette « M. de Nostredame » ne
se référé-t-elle pas à la vignette des Significations ?
On y retrouve les luminaires, les cinq étoiles (probablement
les planètes, formant «septénaire » avec le soleil et la
lune-, une main, sortant d’un vêtement, tenant une
sphère et l’autre un compas. Apparemment, les faussaires,
au service du camp Bourbon furent mieux inspirés ou
mieux informés que leurs adversaires. Ils optèrent pour
la vignette propre aux pronostications de Nostradamus,
avec la mention « M. De Nostredame » et non pour celle
des faux parisiens. Apparemment, les différences entres
les vignettes de l’un et l’autre camp conduisirent à
leur abandon et la mise en place d’une nouvelle vignette
Le caractère tardif de la rédaction
ultime de l’Epitre à Henri II est attesté par le fait
qu’elle se référe explicitement à la Préface à César, ce
qui n’est pas le cas de l’Epître à Jacobo Marrasala.
Etant donné que cette préface figurait en tête des
éditions ligueuses, il est tout à fait improbable que le
camp d’Henri IV se soit référé à la dite préface. La
référence ne peut donc avoir été introduite que lors de
la mise en place d une édition à 10 centuries, au
lendemain du couronnement du premier roi Bourbon.
Imaginer que ce « second volet » n’ait vu le jour qu’à
ce moment là ne ferait guère sens. Le choix de cette
Epitre, isssue d’une épitre ayant existé (Présages
Merveilleux pour 1557) fut d’ailleurs plus probablement
le fruit d’un consensus entre les parties car il est
bien moins polémique que certains quatrains qu’il
introduit, faisant annoncer par Nostradamus la
déconfiture lorraine. Quant à l’origine des Significations de l’éclipse, s’agit –il d’un texte
réalisé de toutes pièces pour la circonstance centurique
ou bien de la retouche d’un texte réellement paru à
cette époque adressé à l’évéque de Viviers, ce point n’a
pas été encore éclairci. Nous tendrions à penser qu’’une
partie du document est authentique mais que l’emprunt à
Leovitius est interpolé, qui créditait Nostradamus d’une
allusion à la mort d’Henri II, tout comme le passage (cf
supra) – qui est annoncé au titre( « avec une sommaire
réponse à ses détracteurs ») emprunté à un adversaire
des Présages Merveilleux,
lequel ouvrage aura d’ailleurs servi par la suite à
réaliser l’Epître à Henri II ; du fait qu’il comporte
lui-même une épître adressé à ce souverain. On n’a pas
retrouvé le document dont le dit passage est extrait. On
sait que Nostradamus à cette époque n’était pas épargné
par les attaques, de Laurent Videl à Hercule le
François.(cf l’article d’Olivier Millet, « Feux croisés
sur Nostradamus », 1986)
JHB
08. 05.11
40
- L’enseignement des Grandes et Merveilleuses
Prédictions (1588-1590)
« comme plus
amplement est déclaré à l’interprétation de la seconde
centurie de mes Prophéties » (Les significations de
l’Eclipse qui sera le 16 septembre 1559 etc., Paris,
G. Le Noir)
On connait
quatre états de cette série qui détonne par rapport
aux autres séries, de par le titre qui ne comporte pas
le nom de Prophéties, lequel servira pour la
confection des premières éditions et qui est à la même
époque attesté par les éditions parisiennes. Si l’on
classe ces éditions selon le critère des quatrains
manquants, puisque sur ces quatre éditions, les
bibliographes ont relevé des « absences », qu’il
s’agisse de l’édition Rouen Petit Val 1588, Anvers St
Jaure 1590 ou Pierre Valentin (cf R. Benazra, RCN, pp.
11-12). Cette série se réfère à une édition d’Avignon,
Pierre Roux, 1555, qui n’a pas été retrouvée et qui
peut avoir existé du moins en tant que contrefaçon
parue dans les années 1580 en parallèle, comme ce fut
la coutume pour les éditions parisiennes.
Rouen Petit Val
1588 à 349 quatrains : quatrains « manquants » pour
arriver à 353 : 44, 45, 46, 47
Rouen Valentin :
2,3, 4, 8, 20, 22, 23, 35.
Anvers 1590 à 35
quatrains à la centurie VII : 3, 4, 8, 20, 22
Plus Rouen 1589
: tronquée.
Le cas de cette
dernière édition fait problème et a longtemps
hypothéqué la recherche nostradamologique, vu que l’on
a supposé un peu vite que la centurie VII, absente du
volume qui ne nous est pas parvenu dans son
intégralité, était à 53 quatrains, ce qui semble
hautement improbable.On doit probablement situer cette
édition 1589 avec un nombre de quatrains à la VII plus
important que l’édition Rouen Valentin laquelle est
antérieure, par son contenu, à l’édition Anvers 1590,
du fait d’ un plus grande nombre de quatrains
manquants. Nous employons ici le terme « manquant »,
au seul regard du canon centurique tel qu’il se
cristallisera par la suite et non par référence à des
éditions antérieures qui selon nous n’ont jamais
existé sinon du fait du zèle des faussaires. Le
contenu de ces éditions qui se référé à 1555 – on
ignore si c’est le cas pour l’édition 1589 Rouen
puisque l’on n’a pas la mention finale comme pour les
autres mais c’est fort probable- ne coïncide pas avec
celui des éditions lyonnaises 1555 (Bonhomme) et 1557
(Du Rosne) et c’est déjà en soi ce qui doit
interpeller les chercheurs et contribuer à les faire
douter de l’authenticité des dites éditions dont la
première est 353 quatrains et la seconde à 40
quatrains à la VIIe centurie (pour l’exemplaire
Budapest) et 42 quatrains à la VII (pour l’’exemplaire
Utrecht)
I Une édition
méconnue à retrouver d’urgence
Le dossier des
deux éditions Petit Val est sinistré. Dans un cas,
celui de l’édition 1588, celle-ci est actuellement
introuvable et dans le cas de l’édition 1589,
l’exemplaire qui nous est parvenu est incomplet.
La recherche
nostradamologique aura été longtemps pénalisée par le
fait que Daniel Ruzo n’a pas accordé toute
l’importance qu’elle méritait à une pièce de sa très
riche collection de « nostradamica », dont il avait
déjà la possession, soit par l’original, soit par une
reproduction dès les années soixante dix, puisque
l’édition espagnole d’origine de son « Testament de
Nostradamus » date de 1975.(Trad. française, Ed. du
Rocher 1982, parue juste après l’ouvrage de
Jean-Charles de Fontbrune, chez le même éditeur). Cela
fait donc une bonne trentaine d’années que nous
devrions avoir pris toute la mesure de cette édition
tout à fait atypique parue en 1588, à Rouen, chez
Raphaël du Petit Val.. Et voilà que Ruzo décédé, on
ignore dans quelles mains actuellement elle se trouve,
à la différence de la plupart des pièces dispersées de
la collection Ruzo. Et comme on sait, les absents ont
toujours tort et cette édition n’aura donc pas joué le
rôle qui lui aurait été naturellement dévolu si Ruzo
lui avait conféré toute la place qu’elle méritait et
notamment en avait donné à paraitre un fac simile. Or,
l’on sait qu’à la place de cette extraordinaire
édition va trôner l’édition Macé Bonhomme 1555,
retrouvée à Albi et à Vienne (Autriche) dans les
années 80, notamment grâce à la persévérance de Robert
Benazra., édition que nous pensons sensiblement plus
tardive en vérité, en dépit des 33 ans qui les
séparent.
Non pas que
cette édition ne soit pas signalée du tout mais elle
l’est insuffisamment et surtout elle n’est pas
exploitée ni traitée comme il eut convenu. La page de
titre est reproduite par Ruzo mais cela ne va pas plus
loin. En 1997, nous avions placée cette édition au
cœur d’une communication donnée aux Journées Verdun
Saulnier du fait que certains quatrains n’y figuraient
pas car ce point avait été bel et bien mis en avant
par Ruzo puis par Chomarat et Benazra, tous trois
ayant, à tort, conclu que l’on avait supprimé certains
quatrains suggérant notamment que cela pouvait être du
à des considérations d’imprimeur. Quant à la Préface à
César, elle est du 22 juin 1555 et non du Ier mars, ce
qui pourrait avoir été une bévue car le Ier mars 1555
serait le Ier mars 1556, selon le style de Pâques
alors en usage en cette année là, si tant est que cela
soit paru alors, ce que nous contestons en tout état
de cause. Rappelons que l’épitre à Henri II est datée
du 27 juin 1558.
Nous avions été
frappés par l’absence du quatrain IV, 46, relatif à
Tours et qui donc aurait été rajouté par la suite, si
l’on exclut l’idée quelque peu étrange de suppressions
de quatrains. « Garde-toi Tours de ta proche ruine »
quatrain que l’on trouve de fait dans l’édition Macé
Bonhomme 1555. Pour nous, il s’agissait d’un quatrain
de circonstance, liée au fait que Tours était devenue
la capitale du Royaume, en raison des événements
parisiens. Cri de guerre lancé par le parti ligueur.
Mais, ce n’est
que beaucoup plus récemment que nous primes toute la
mesure de cette édition en relisant attentivement ce
qu’en écrivit Ruzo et que n’avaient pas repris
Chomarat ni Benazra. En effet, Ruzo traite de cette
édition à deux reprises. Une fois dans ses « fiches
bibliographiques » et une autre fois dans un chapitre
intitulé « Les quatrains prophétiques des Centuries
dans les éditions d’Avignon et dans leurs
reproductions » et c’est là que Ruzo nous apprend,
sans y attacher apparemment plus d’importance que cela,
vu que pour lui il s’agit d’une « curiosité » qu’il
marginalise d’entrée de jeu dans son corpus que « dans
l’édition de Raphael du Petit Val, (Rouen 1588), les
quatrains ne sont pas séparés en Centuries ». Ruzo ne
dit pas si ces quatrains étaient numérotés et de
quelle façon.
Ruzo ne relève
pas non plus que le titre de cette édition n’est pas
conforme à son contenu puisque cette édition se veut
constituée de « prédictions divisées en quatre
centuries ». Nous avons signalé à diverses reprises
qu’une grande part des éditions non pas parues mais
conservées parmi celles éditées sous la Ligue
comportaient des titres non conformes à leur contenu
et cela vaut aussi pour toute la série des éditions
parisiennes des mêmes années 1588-1589. La raison de
ce décalage tient selon nous à une volonté d’écouler
des stocks anciens sous une nouvelle présentation
extérieure. En cela, ce seraient des éditions pirates
empruntant les titres de nouvelles éditions mais nous
restituant des contenus plus anciens, ce dont on ne
peut d’ailleurs que se féliciter.
La prise en
compte sérieuse de cette édition (son titre mis à
part, par conséquent) conduit à disqualifier les
éditions Macé Bonhomme 1555 mais aussi Antoine du
Rosne 1557 (Budapest et Utrecht) qui comportent le
quatrain IV 46 et une division en centuries sans
parler des autres. Il semble que l’on ne soit arrivé à
une édition à 4 centuries et à 53 quatrains à la
dernière centurie que par la suite et que d’ailleurs
ce nombre assez insolite de quatrains par rapport à
une division en centuries tienne justement au fait que
l’ensemble d’origine n’était ni divisé en centuries ni
constitué en quatrains numérotés. Quand on est passé à
une division en 4 centuries, comme l’atteste le titre
de l’édition de Rouen de 1588, on en profita pour
ajouter quelques quatrains supplémentaires, passant
ainsi de 349 à 353 quatrains. La centurie IV ayant été
ainsi augmentée comme le sera par la suite la centurie
VII, et probablement auparavant la centurie VI.
On ne peut donc
que souligner l’urgence qu’il y a à faire circuler
dans les meilleurs délais des copies de l’édition de
Rouen 1588. Quelle est la raison de cette absence ?
Est-ce que d’aucuns auraient pris conscience de son
importance et des effets dévastateurs de sa réédition
? Il est clair qu’il existe là des enjeux commerciaux
si cela devait conduire à dévaloriser nombre
d’éditions parfois vendues à prix d’or. A moins qu’il
ne s’agisse que d’un malheureux concours de
circonstance de la part de personnes n’ayant nullement
pris la mesure d’un tel ouvrage.
II Le cas du
quatrain 40 de la VIIe Centurie et l’édition Anvers
1590
Ceux qui veulent
croire que le numérotage des quatrains centuriques est
immuable et a été fixé et déterminé dès l’origine,
c'est-à-dire à les entendre dès les années 1550- n’ont
apparemment d’autre recours que de parler d’éditions
fautives, lacunaires, corrompues. On regrettera que
dans les bibliographies nostradamiques, quand on
signale des quatrains manquants, on ne souligne pas
assez clairement que les centuries concernées n’ont
pas la même numérotation car l’on pourrait croire à
tort que c’est la même numérotation mais que certains
numéros sont manquants. Ce n’est pas le cas.
C’est ainsi que
l’édition parue à Anvers, chez François de Sainct
Jaure, en 1590 – si l’on en croit en tout cas les
données de la page de titre- devraient interpeller
certains bibliographes du corpus nostradamique. Le
quatrain 40- selon le codage en vigueur dans le canon
centurique- qui va retenir toute notre attention est
numéroté XXXV. Son contenu ne varie guère d’une
édition à l’autre, qu’il s’agisse d’éditions «antérieures
» ou « postérieures », au vu des dates indiquées au
titre, information largement virtuelle.
Ce quatrain 35
de l’édition Anvers est le dernier de la dite édition
– laquelle se réfère à une édition d’Avignon, 1555,
chez Pierre Roux-donc à sept centuries et non à quatre
comme Lyon Macé Bonhomme. C’est ce même quatrain,
numéroté 40, qui se retrouve à la fin de nombre
d’éditions centuriques à sept centuries ou du premier
volet d’éditions à dix centuries, du moins celles qui
ne comportent pas 42 quatrains (et parfois plus). En
cela, un tel quatrain est doté d’une forte lisibilité
car nous pensons que les quatrains placés en position
finale étaient particulièrement portés à la
connaissance du public qui les trouvait facilement
quand un commentaire oral circulait comme une sorte de
rumeur car nous pensons qu’une tradition orale est
inséparable du bon usage des centuries, bien au-delà
des commentaires écrits, ce qui expliquerait l’absence
de commentaire dans toutes les éditions des années
1580, tant à Rouen, Paris ou justement Anvers..
On ignore tout
de ce François de Sainct Jaure, comme nous le fait
remarquer Gérard Morisse. Mais le fait que cette
édition paraisse à Anvers est en soi une information
pour la compréhension du quatrain 35 de la centurie
VII (ou si l’on préfère 40 selon une dénomination plus
tardive). En 1590, Anvers est aux mains des Espagnols,
depuis peu, en fait depuis 1585, du fait du blocus du
port par un pont de bateaux, qui fut un événement
militaire remarquable. On peut penser que si un
quatrain avait annoncé un tel dénouement cela aurait
contribué singulièrement à la réputation prophétique
de Michel Nostradamus. Or, n’’est-ce pas précisément
le cas du dernier quatrain, quelle que soit sa
numérotation, de la centurie VII qui clôture des
éditions qui ne se sont pas encore vu adjoindre un
second volet, lequel s’ouvrira par une Epitre à Henri
II ?
Mais
préalablement, il nous faut revenir sur certaines
règles exégétiques que certains posent comme
incontournables, ce qui est une tentative pour
entraver l’approche critique. On nous dit qu’un
quatrain est une unité indivisible. Nous pensons, au
contraire, que chaque verset est tout à fait
susceptible d’être interprété isolément. Dans le
Janus Gallicus (1594), la première grande somme
exégétique écrite dans le domaine- l’on note que
certains quatrains sont associés à plusieurs
événements, du fait de tel ou tel verset. Il suffit,
en fait, dans bien des cas, d’un seul verset pour
faire mouche, pour attirer l’attention. Ensuite, de
façon plus laborieuse, d’aucuns peuvent s’évertuer,
assez vainement, à confirmer par les autres versets du
quatrain concerné. Et en fait, il suffit parfois d’un
mot et pas même d’un verset surtout quand il s’agit
d’un nom propre (personnage, ville etc.), donné
directement ou sous forme d’anagramme. Rappelons aussi
que le commentaire passe aussi dans bien des cas par
une modification du texte, comme on peut le voir dans
la traduction latine des quatrains, dans le Janus
Gallicus/ Janus François ouvrage bilingue qui
connut d’ailleurs une édition à titre français et une
autre à titre latin.
Signalons
quelques cas avec anagramme : Mendosus pour Vendôme,
Norlaris pour Lorraine cage d’or, pour Gabriel d’Orges,
(I, 35), Fille de l’Aure (pour fille de Laurent, VI,
100), d’autres directement présentés : Chartres (IX,,
86), Tours (IV, 46), Lorraine, Marquis du Pont –(pour
Pont à Mousson) en VII, 24. Il suffira donc parfois de
glisser un nom dans un verset pour que celui-ci se
dote d’une certaine aura prophétique. Une telle
facilité de réalisation ne se concevrait pas s’il
fallait composer ou recomposer tout un quatrain.
Nous sommes
certes conscients qu’il puisse y avoir des abus et que
certains critiques pour montrer qu’un quatrain a été
constitué après coup, post eventum, tombent dans les
mêmes travers que ceux qui tiennent à démontrer que
tel événement avait bien été annoncé, longtemps à
l’avance, dans tel quatrain. Mais nous pensons que
lorsque le quatrain en question a été ajouté,
interpolé, par rapport à des éditions antérieures (comme
dans IV, 46 qui ne figure pas dans l’édition Rouen
Petit Val 1588) ou figure à la fin d’une centurie, ou
encore a été modifié par rapport à sa source (comme
dans IX, 86, où Chastres a été changé en Chartres, en
l’honneur du couronnement d’Henri IV) on est bien en
présence d’une addition. Ce procédé est également
attesté dans les sixains avec Biron qui devient Robin
par exemple.
Mais (re)venons
en à notre quatrain VII, 35 (alias VII, 40) tel qu’on
le trouve dans l’édition d’Anvers, 1590 des Grandes
et Merveilleuses Prédictions. Rappelons que
l’édition de Rouen, 1589, Petit Val (dont nous avons
copie) qui porte le même nom nous est parvenue
incomplète et que nous ne disposons pas de la centurie
VII. :
Dedans tonneaux
hors oingts d’huile & gresse
Seront vingt-un
devant le port fermez
Au second guet
par mort feront proüesse
Gaigner les
portes & du guet assommez
Le cas est
remarquable en ce que le lieu même de l’édition
constitue une clef, au point que l’on peut se demander
si cette édition est bien parue à Anvers. Voilà donc
le dernier quatrain d’une édition d’Anvers, dont le
nom même d’ailleurs en français est tout un programme
car cela renvoie à l’envers, comporte le mot «
port » suivi du mot « fermez ». Or tel fut bien
le sort de cette ville portuaire appartenant aux
Provinces Unies que de se voir fermer l’accès par les
Espagnols, ce qui permit à terme à ces derniers à
obtenir la capitulation des assiégés, en 1585.
Rappelons le
récit du siège d’Anvers ( source ‘wikipedia)
« Le
marquis de Roubaix
commence les opérations en emportant d'emblée un des
forts qui défendaient la place. Il est chargé de
veiller à la construction d'un
pont de 730
m de long sur l'Escaut
pour fermer la rivière et couper tout secours
aux assiégés depuis la mer, et on lui donne le
commandement de plusieurs
bâtiments
armés pour protéger les travaux. L'entreprise
paraissait à tous impossible; les assiégés surtout
s'en moquaient hautement; mais de Roubaix, qui avait
dans l'armée une autorité égale à sa brillante
réputation, justifie le choix du prince. Jour et nuit
en action, il porte son attention partout, et donne
des preuves les plus éclatantes de ses capacités
militaires et de sa bravoure. Bientôt le dépôt des
provisions nécessaires à la construction du pont
devient assez considérable pour faire espérer de
voir cet important ouvrage promptement achevé. »
Mais le second
verset de ce quatrain va plus loin : si l’on prend la
première partie du dit verset : Seront vingt-un devant
», on trouve, nous apparaît-il, le nom de la ville
d’Anvers….à l’envers.
Seront vingt ….
cela correspond à l’anagramme d’Anvers : ser…..vin
donnant « invers » ou encore « devant » donnant « anv
».
A noter que
l’édition Benoist Rigaud 1568 (reprint Ed. Michel
Chomarat, 2000) rend ce quatrain de façon défectueuse
: Seront vingt un devant le pott (sic) fermés
Il ne semble pas
que ce quatrain probablement né avec l’édition
d’Anvers n’ait jamais été signalé sous cet angle par
les exégètes ou par les historiens de la question. Un
tel événement ne fait évidemment sens que sur le
moment, c’est ce qui rend la lecture des centuries si
ingrate, du fait que dans bien des cas on ignore le
contexte auquel il est référé. Bien des quatrains, par
eux-mêmes, d’ailleurs ne font guère sens, d’une part
parce que l’unité de sens- sémantème - est le verset
et de l’autre parce que les interpolations tendent à
brouiller la structure du dit quatrain si tant est
qu’il en ait eu une au départ.
Le duc François
d’Alençon (puis d’Anjou), devenu Duc de Brabant,
dernier fils de Catherine de Médicis, avait tenté, peu
auparavant, sans succès, de s’emparer d’Anvers, début
1583. Il décéderait l’année suivante, ouvrant une
crise dynastique qui débouchera sur les troubles qui
furent le contexte de l’émergence des Centuries et du
revival nostradamique. Il semble d’ailleurs que la
littérature néo- nostradamique (celle des Nostradamus
le Jeune etc) ait pris le parti de ce jeune duc qui
souhaitait plus de liberté pour les Réformés.(ce qui
conduira à la « Paix de Monsieur »)
Nous avons
présenté (cf. supra) l’édition Valentin comme du moins
par son contenu antérieur à celui de l’édition Anvers
St Jaure. Cette édition comporte bel et bien le
quatrain « anversois » et d’ailleurs elle se termine
par celui-ci. (cf. Benazra, RCN, pp 194-195). On ne
peut d’ailleurs exclure que l’édition Rouen Petit Val
1589 ne comporte elle aussi le dit quatrain puisque
cette édition nous est parvenue matériellement
incomplète.(cf. Benazra, RCN, p. 125). Etant donné le
lien que nous avons jugé bon de mettre en évidence
entre VII, 40 et Anvers, nous serions tentés de
considérer que ce quatrain serait « né » dans cette
ville, et aurait fait l’objet d’une édition antérieure
d’une année, laquelle édition aurait été reprise à
Rouen. L’explication la plus probable, en effet, nous
semble être la suivante : un libraire anversois – St
Jaure ou un autre- aurait souhaité accommoder les
centuries à l’actualité locale en ajoutant le dit
quatrain. Rappelons en effet, que le décalage est
considérable entre les éditions parisiennes qui nous
sont parvenues et les éditions du groupe étudié ici.
En effet, les éditions parisiennes ne comportent ni
les derniers quatrains de la centurie VI , ni aucun
des quatrains de la centurie VII, du moins au regard
du « canon » centurique.(cf Benazra, RCN, pp.118 et
seq). En revanche, les éditions du Rosne 1557
intitulées Prophéties comme les éditions
parisiennes comportent bel et bien les sept centuries
au complet, si ce n’est en ce qui concerne le cas de
VI, 100 qui fait également défaut dans Anvers 1590.
Mais les dites éditions Du Rosne sont redevables
également aux Grandes et Merveilleuses Prédictions
du fait de la forme fautive, au titre, « dont il
en y a » qui est reprise. En fait, en ce qui concerne
le contenu des éditions du Rosne 1557, il est
postérieur à celui d’Anvers 1590. Ainsi, le décalage
entre Paris 1589 et Anvers 1590 est-il considérable,
ce qui nous conduit à penser que le quatrain VII 40,
qui n’est en fait que VII 35 pour Anvers II et VII 32
pour ce que l’on peut appeler Anvers I, est la marque
de fabrique des libraires ayant publié la centurie
VII, laquelle centurie est additionnelle si l’on admet
qu’il a du exister une édition intermédiaire à six
centuries se terminant par le quatrain VI 100 manquant
et par l’avertissement latin. En supprimant
l’avertissement latin, les éditions anversoises ont
voulu occulter le caractère additionnel de la centurie
VII, lequel est d’ailleurs attesté au titre des
éditions parisiennes qui signalent une addition de
38/39 «articles » à la « dernière centurie » et pour
faire bonne mesure elles ont prétendu que l’ensemble
était repris tel quel d’une édition Avignon Pierre
Roux 1555, stratagème qui sera lui-même dupliqué avec
l’édition Macé Bonhomme 1555 si ce n’est que cette
dernière ne sera qu’à 353 quatrains et non à sept
centuries comme la dite édition Avignon, non retrouvée,
au demeurant. Mais l’édition Du Rosne 1557 (Budapest)
permet de parvenir aux dites sept centuries, sur le
modèle anversois, avec addition de 4 quatrains
supplémentaires, tout en maintenant le quatrain «
anversois » en position finale pour laisser croire
qu’aucun changement n’est intervenu.
En conclusion,
nous soulignerons que le groupe Petit Val- St Jaure-
Valentin aura été largement sous exploité, ce qui aura
faussé certaines perspectives. C’est ainsi que la
plupart des nostradamologues n’ont jamais eu
l’occasion de prendre connaissance de ces éditions,
dont toutes sauf une appartiennent à la collection
Ruzo – et on ne les a pas récemment localisées en ce
qui concerne Petit Val 1588 et Valentin (1611 ?), même
si celui-ci en a donné quelque description sommaire,
reprise notamment par R. Benazra, dans son Répertoire
Chronologique Nostradamique. La seule qui se trouve
accessible dans une bibliothèque publique est celle
d’Anvers 1590, à savoir la Bibliothèque de l’Arsenal à
Paris. Mais étrangement, l’on constate que cet
exemplaire n’avait pas, jusqu’à ce jour, été reproduit
par Mario Gregorio sur son site propheties.it car
celui-ci n’en disposait pas. Le cas de la centurie VII
est particulièrement concerné par le sort de ce groupe
en ce que l’édition1589 Petit Val est tronquée, R.
Benazra, dans sa description, ne laisse aucunement
entendre (RCN, p. 125) que cet exemplaire pourrait
comporter une centurie VII ne comportant pas 40
quatrains alors que l’édition d’Anvers 1590 est dans
ce cas (35 quatrains à la VII), sous le même titre.
C’est aussi la seule qui comporte in fine une
référence à 1555.(Pierre Roux, Avignon). Si les
nostradamologues français, R. Benazra, P. Guinard et
nous-mêmes avons eu accès à l’édition Anvers 1590,
conservée à Paris, il semble que cette édition soit
demeurée étrangère aux chercheurs étrangers puisque
Gregorio ne la mentionne pas, à la fin de 2011, parmi
les documents disponibles pour des recherches
comparatives. Le cas de l’édition Valentin (Musée
Nostradamus, Salon de Provence) est encore compliqué
par le fait que les récentes bibliographies la situent
au XVIIe siècle, 1611 selon Chomarat etc. 1630 selon
Benazra alors que son contenu et même son titre et son
lieu d’édition la situent bien, du moins en ce qui
concerne son modèle, à la fin du XVIe siècle, Benazra
(suivant Ruzo) notant les particularités de la
centurie VII.. « Il manque les quatrains 2, 3, 4, 8,
20, 22, 23, 35 et la centurie se termine par le
quatrain n°40 »
Nous constatons,
au cours des trente dernières années (1982-2012) une
surreprésentation (divers reprints 1555, 1557, 1568)
des éditions portant le titre « Prophéties » 1555,
1557, 1568 qui, selon nous, sont toutes antidatées et
une sous représentation des éditions ne portant pas le
titre « Prophéties » mais « Prédictions » :
1588-1589-1590- et Valentin.( jouxte la copie imprimée
en Avignon 1611, selon Chomarat n)173). Benazra ne
mentionne pas, quant à lui, 1611 au titre. Autrement
dit, un grand nombre de chercheurs dans ce domaine
n’ont jamais eu l’occasion d’examiner la centurie VII
de ces éditions, sans parler du cas de l’édition non «
centurisée » (malgré son titre) de 1588, qui ne
parvient pas à 353 quatrains. Nul doute qu’un tel
déséquilibre de la documentation disponible et
accessible, aura empêché l’information liée à ce
groupe d’éditions de jouer pleinement son rôle à
savoir de confirmer l’enseignement des éditions
parisiennes, c'est-à-dire que sous la Ligue les
Centuries étaient encore en chantier et qu’il est
abusif de parler de « quatrains manquants » par
référence à des éditions antidatées et en réalité plus
tardives. On a là affaire à une sorte d’artefact
bibliographique dont il conviendrait d’apprécier le
caractère aléatoire ou intentionnel.
III
De l’enjeu initial des Grandes
et Merveilleuses Prédictions
Nous montrerons
que l’on a voulu cantonner un Nostradamus fictif dans
le rôle d’auteur de quatrains alors qu’initialement
c’était plutôt l’image d’un commentateur de quatrains
qui avait été mise en avant comme il ressort d’une
relecture de la Préface à César.
Dans de précédentes études, nous avons
montré les variantes concernant le début de la Préface
à César (cf. Notre récente parution papier dans la
Revue Française d’Histoire du Livre, fin
2011). Cette fois, nous nous
attellerons aux variantes propres à la fin du dit
texte.
Une des variantes les plus remarquables
concerne l’édition 1557 Antoine du Rosne (Bibl
Budapest), dont R. Benazra puis G.Morisse ont
successivement introduit un reprint.
La version de la Préface diffère dans
cette édition des autres versions connues. Il y manque
plusieurs lignes importantes que nous reproduisons :
«nonobstant que sous nuée seront
comprinses les intelligences sed quando sub movenda
erit ignorantia, le cas sera plus esclarci. Faisant
fin mon filz prends donc ce don de ton père M.
Nostradamus esperant toy declarer une chascune
prophetie de quatrains ici mis »
Ce passage figure en revanche dans 1557
Du Rosne (Bib. Utrecht).
Que trouve-t-on chez Besson (c 1691) et
dans la traduction anglaise de Garencières (1672) ?
1672 « although the explication be
involved in obscurity, sed quando sub movenda erit
ignorantia the case shall be made more clear :making
an end here, my Son, accept of this Gift of thy
Father, Michael Nostradamus hoping to expound to thee
every Prophecy of these Stanza’s »
Besson “ quoy que sous paroles
obnubilees. Mais telles aventures seront éclaircies
par leur infelice avenement au temps prefix. Prens
donc, mon fils, Cesar, ce don de ton progéniteur
Michel Nostradamus esperant à toy déclarer une chacune
des Propheties & quatrains cy mis »
On note que la version Besson comporte
un passage absent de la version Garencières :
« par leur infelice avenement au temps
prefix »
Mais en fait, l’’expression
‘prefix’figure juste avant dans le texte de la Préface
:
« limiting the places, times and prefix
terms that men coming after may see and know that
those accidents are certainly come to pass as we have
marked in other places, speaking more clearly »
Le même passage est ainsi présent chez
Besson:
« limitant les lieux, climats, régions
& citez », le reste étant en quelque sorte reporté
dans le paragraphe suivant (cf. supra) :
‘ seront éclaircies par leur infélice
avenement au temps prefix »
Si l’on remonte encore un peu plus
haut, on note que la version Besson ne dit pas « aux
miennes autres propheties qui sont composées » mais
seulement ‘aux miennes propheties qui sont composées
». Cet ‘autres » est important car cela renvoie à un
autre ensemble que celui qui est ainsi introduit.
Dans le texte Besson, c’est l’avenir –
un avenir inquiétant - qui viendra confirmer les
présentes prophéties. Dans les autres versions,
d’autres prophéties sont en attente mais déjà prêtes
‘(« qui sont composées ») lesquelles viendront
compléter et éclairer celles qui sont présentement
introduites.
On relèvera la variante Besson :
« declarer une chacune des Propheties &
Quatrains cy mis »
« chacune prophetie des quatrains icy
mis »
Ce qui revient, dans le second cas, à
une formule assez étrange.
Pourquoi la version Budapest
comporte-t-elle donc une telle lacune ? On y note
l’absence du mot « don », ce qui selon nous fait écho
au « mémoire » du début de l’Epitre. On a bien affaire
à un document et non à quelque appel à se souvenir (sur
le mot « mémoire » cf. la lecture de Brind’amour, Droz,
1996) 996)
Nous retiendrons avant tout de nos
remarques la question des « autres propheties » et du
renvoi à des textes à venir, dans les versions autres
que Besson. Ces textes à venir le seront « ‘in soluta
oratione », c'est-à-dire en prose, par opposition à en
vers. (cf le « Recueil de présages prosaïques, en
partie édité par B. Chevignard, Seuil 1999». Mais dans
la version Besson ne figure pas la précision relative
à la prose :
« aux miennes prophéties qui sont
composées tout au long, limitant les lieux »
On pourrait se demander si « composées
» n’implique pas « in soluta oratione ». Il y aurait
là une lacune du texte Besson mais ce n’est pas
vraiment concluant.
Ce qui est clair, c’est que dans la
plupart des versions, il est explicitement indiqué que
d’autres textes en prose seront mis à terme à la
disposition du public. Seule la version Besson ignore
un tel scénario et n’annonce aucun texte à venir, sous
quelque forme que ce soit.
Il nous semble assez improbable que
Besson ait supprimé « autres » dans « miennes autres
prophéties » alors que c’est un procédé assez courant
chez ceux qui ont l’intention de procéder à des
additions (cf la fin du Discours sur la vie de
Nostradamus en tête du Janus Gallicus ou la lettre de
Chevigny à Larcher (Androgyn de Dorat).
Faut-il conclure que ce nouvel état de
la Préface- le premier, ici, étant celui de la version
Besson (la version anglaise étant marquée ici par le
dit nouvel état)- prévoyait une suite en prose ? Dans
ce cas, une telle suite ne nous est pas connue. On
peut trouver une allusion à un tel document dans les
Significations de l’éclipse 1559, à propos d’un
commentaire de la « seconde centurie » (cf notre
exergue). Nous citerons P. Brind’amour ( Les premières
centuries, Droz 1996, p.42) - qui ne signale pas que
c’est nous qui lui avions indiqué cette mention- :
« Ce paragraphe révèle l’existence de
prophéties en prose (.) Cet ouvrage est aujourd’hui
perdu ». Il ne s’agit évidemment pas ici des textes en
prose des almanachs et des pronostications, conservés
dans le Recueil des Présages Prosaïques, mais d’un
commentaire que Nostradamus aurait fait de ses
quatrains « centuriques ». Pour nous, il est clair
qu’une telle référence ne saurait être véritablement
attribuée à Nostradamus.
Mais quand on lit dans la version
Besson « comme plus plein ay redigé par escrit aux
miennes Prophéties qui sont composées », cela ne
renvoie pas pour autant au document introduit par la
préface à César. On notera la formule redondante : «
rédigé par escrit ».
Par la suite, le texte de la Préface (Besson)
aurait été remanié pour laisser la place à la prose,
comme si l’on s’était aperçu que ces quatrains ne se
suffisaient pas à eux-mêmes. Le «don » en question, ce
sont bien les quatrains mais « Nostradamus » promet à
son fils qu’il lui en donnera – à lui personnellement
- l’explication non pas qu’il publiera celle-ci : «
espérant à toy declarer une chacune des Prophéties &
quatrains cy mis ». Mais en fait n’est-ce pas toute
l’épitre qui est censée être un document privé- une
sorte de testament spirituel - ainsi divulgué, ce qui
lui confère implicitement un caractère posthume ?
L’expression « ay rédigé aux miennes
prophéties »semble lacunaire : il semble manquer le
mot « commentaire » (ou tout terme équivalent), ce qui
donnerait plus correctement : « ay rédigé [
déclarations] par escrit aux miennes prophéties, qui
sont composées tout au long », le passage « qui sont
composées » ne saurait selon nous correspondre à «
prophéties » puisque l’on nous parle d’un texte
composé ‘tout au long », ce qui renvoie aux quatrains
ni aux prophéties.
Brind’amour n’a pas hésité à traduire
par « dans mes autres propheties » (p. 42), ce qui
permettait d’éviter la question des commentaires en
prose que lui-même avait pourtant évoquée. Tout se
passe comme si l’on avait fini par renoncer à un
commentaire en prose et que l’on avait voulu laisser
croire que d’autres centuries viendraient éclaircir
les premières, d’où la forme « miennes autres
prophéties ». Or, le commentaire en prose n’est pas en
soi une prophétie. Une prophétie n’est pas un
commentaire d’une prophétie. C’est bien la prose qui
est censé venir compléter le quatrain, sous la forme,
si l’on en croit le passage des Significations de
l’Eclipse 1559 (qui est selon nous une contrefaçon
antidatée) d’un travail centurie par centurie, ce qui
ne correspond pas au Janus Gallicus qui lui ne
respecte aucunement la division en centuries dans son
commentaire mais étudie des séries dépareillées de
quatrains, qu’il a alignées à sa guise.
On notera l’archaïsme chez Besson « ay
rédigé », alors que les autres versions donnent « j’ay
rédigé ». Il est étrange que cette version qui ne nous
est connue que dans une édition de 1691 comporte une
forme plus ancienne – sans pronom personnel - que
toutes les autres versions connues de la Préface à
César. Cela vient accréditer notre thèse du caractère
premier de la version Besson et l’on pourrait donner
d’autres exemples du même type. Cependant, l’on trouve
dans d’autres passages de la version Besson « j’ay »
comme si l’on n’était pas parvenu à évacuer tous les
archaïsmes.Un cas remarquable est la forme « de mest
hui » que l’on trouve chez Besson et qui est rendue
dans toutes les autres versions, avec des variantes
orthographiques, par « à cette heure », « asture » :
Besson : « Viens donc de mesthui, mon
fils César entendre que je trouve par mes revolues
calcultions etc ». Une expression absolument inusitée
à la fin du XVIIe siècle ! Brind’amour n’a pas inclus
Besson dans ses références.
Or, la version Besson nous apparait
comme une pièce incontournable pour toute édition
critique de la Préface à César. La version anglaise de
1672 aussi intéressante soit-elle ne nous permet pas
notamment d’étudier les différences linguistiques
entre les versions. Rappelons qu’elle est
considérablement marquée par l’Eclaircissement des
véritables quatrains de Jean Giffré de Réchac alias de
Sainte Marie (1656), dans son introduction (Apologie)
et dans une partie importante de ses commentaires.(cf
notre post- doctorat, EPHE 2007)
Nous avons montré, ailleurs, l’usage
que l’on pouvait faire des titres des diverses
éditions en les découplant de leur contenu lequel ne
correspondait pas toujours. C’est probablement encore
le cas pour les Grandes et Merveilleuses Prédictions,
auxquelles Daniel Ruzo s’était intéressé ( Testament
de Nostradamus, Rocher, 1982).
Si nous étudions de près le sous- titre
de cette série –qui serait avignonnaise si l’on en
croit la mention in fine de l’édition Anvers Sainct
Jaure 1590, et de 1555, nous trouvons un écho à
certain passage de la Préface à César : « esquelles se
voit représentée une partie de ce qui se passe en ce
temps tant en France, Espaigne, Angleterre, que autres
parties du monde ». Reconnaissons que si certains
quatrains mentionnent tel ou tel nom de pays, on ne
trouve dans les «Prophéties » en général et dans les
Grandes et Merveilleuses Prédictions telles qu’elles
nous sont parvenues, en particulier, aucune
présentation correspondant au dit titre.
Or, revenons sur la Préface à César et
sur ce qui y est annoncé au niveau des écrits : « aux
miennes (autres) prophéties qui sont composées tout au
long, in soluta oratione, limitant les lieux, temps &
le terme prefixé ». Nous avons dit plus haut qu’il
manquait un mot : ce ne sont pas des prophéties dont
il s’agit mais d’une interprétation, d’une série de «
prédictions », d’une « déclaration » à leur sujet (terme
utilisé dans les almanachs pour introduire le
commentaire de chaque mois, cf. Almanach de
Nostradamus pour 1557) - « comme plus amplement est
déclaré à l’interprétation de la seconde centurie de
mes Propheties » (cf notre exergue sur le mot déclaré).
La formule « limitant les lieux, temps
» nous semble bel et bien faire écho au sous-titre : «
esquelles se voit représentée une partie de ce qui se
passe en ce temps tant en France, Espaigne, Angleterre,
que autres parties du monde ». Un autre passage, déjà
cité, de la Préface va dans le même sens : « limitant
les lieux, climats, régions & citez »,
Selon nous, ce titre devait recouvrir
un texte en prose, éventuellement mentionnant les
quatrains mais plus probablement à lire en
s’accompagnant d’une édition des Prophéties,
constituant ainsi un binôme, formule que l’on
retrouvera au XVIIe siècle, avec les commentaires
faisant suite aux quatrains, en une sorte de second
volet. La notion même de « second volet » pourrait
faire écho à un tel binôme et non pas, comme par la
suite, désigner une nouvelle série de quatrains comme
une interpolation. (« aux miennes autres prophéties »)
semble l’indiquer, dans une Préface à César retouchée
(par rapport à la version Besson). En recyclant ce
titre, l’on évitait de se poser trop de questions sur
un ouvrage qui n’était plus en circulation, pour
quelque raison, y compris du fait que son contenu
n’avait peut-être pas été vraiment confirmé par les
événements. Mais l’existence de deux titres pour
désigner un même contenu aurait du faire problème.
L’idée était de laisser entendre que
Nostradamus aurait commenté ses propres quatrains
voire qu’il aurait commenté des quatrains dont il
n’aurait pas été nécessairement l’auteur, puisqu’il
est présenté parfois comme bibliophile (on connait
d’ailleurs le contenu de sa bibliothèque, cf. Musée
Nostradamus, à Salon de Provence, pour certaines
pièces) comme en témoigne cette publication rouennaise
posthume datée de 1568 (cf. Benazra, RCN, pp 90-91) :
« Prédictions pour vint ans (..) extraictes de divers
auteurs trouvée dans la Bibliothèque de nostre defunct
dernier décédé Maistre Michel de Nostredame (…) par
Mi. De Nostradamus le jeune (chez Pierre Brenouzer).
On notera que cette édition est rouennaise comme le
sont les Grandes et Merveilleuses Prédictions.
Ce faisant, on comprendrait mieux que
le contenu des quatrains, leur origine, ne serait pas
déterminant, qu’il pouvait s’agir de textes existant
mis en rimes, éventuellement de chroniques anciennes,
l’important étant le commentaire qu’on en tirait.
Les « Prédictions » auraient donc
désigné le commentaire greffé sur les « Prophéties »
et auraient été organisées en centuries pour suivre
précisément l’agencement des dites Prophéties. Du
coup, l’intitulé –on ne parle pas du contenu actuel
-de 1588 (Rouen, R. du Petitval), Les Grandes et
Merveilleuses Predictions de M. Michel Nostradamus
divisées en quatre centuries (exemplaire non reproduit
et non localisé, mais appartenant à l’ancienne
collection Ruzo) ne correspondait pas initialement aux
seuls quatrains mais bien à un commentaire des quatre
premières centuries, lui-même logiquement articulé en
quatre parties et probablement organisé pays par pays,
comme cela se pratiquait..
Signalons certains détails du sous
titre des trois éditions successives du Janus Gallicus,
parues lors de l’avénement d’Henri IV (cf RCN,
pp.130-143)
1594 La première face du Janus François
(…) extraicte et colligée des Centuries et autres
commentaires de M. Michel Nostradamus (…) le tout fait
en françois et latin (..) par Jean Aimes de Chavigny,
1594 Iani Gallici facies prior (…) ex
decantatissimis illis tetrastrichis quae Michael
Nostradamus iam olim Gallice in lucem edidit –(…)
latine redditus. (..) explictus per Io. Amatum
Chavigneum
1596 Commentaires du Sgr de Chavigny
sur les Centuries et Prognostications de feu M. Michel
de Nostradamus (…) contenant sommairement les troubles
, divisions, partialitez & guerres civiles advenues
tant en ce royaume de France qu’ailleurs depuis l’an
1534 iusques à présent.
Le premier document (Lyon)- bilingue-
nous semble le plus significatif, il y est question
des « commentaires » de Nostradamus, ce qui fait écho
à l’idée selon laquelle Nostradamus lui-même aurait
comment « ses » quatrains. Le deuxième document (Lyon)
–bilingue- ne mentionne plus les « commentaires » mais
seulement les quatrains (et non les centuries). Enfin,
le troisième document, uniquement en français cette
fois, paru à Paris, annonce les « Commentaires » de
Chavigny, cette fois et non plus de Nostradamus et
n’attribue à Nostradamus que les centuries et les
prognostications sans mentionner ses commentaires.
C’est Chavigny qui se voit attribuer ceux-ci désormais.
Tout se passe comme si l’image d’un Nostradamus
commentateur avait été rejetée, et comme si son rôle
devait se tenir à la seule production de quatrains,
voués aux commentaires d’autrui. On ne connaitra aucun
commentaire de Nostradamus sur le moindre quatrain.
Convient-il dès lors de considérer que les «
commentaires » du Janus François, dans la version
portant le titre français, seraient en partie supposés
empruntés à ceux attribués à Nostradamus lui-même ?
Dans un deuxième temps, c’est Chavigny lui-même qui se
voit attribuer l’ensemble des commentaires des
quatrains. Réchac, quant à lui, en 1656, proposera un
« Eclaircissement des véritables quatrains » (1656)
Citons encore ce binôme centuries-
commentaire en 1620 ; Petit Discours ou Commentaire
sur les Centuries de Maistre Michel Nostradamus » (RCN,
p. 182) qui dépossède Nostradamus au regard du
Commentaire en prose et le cantonne dans les
quatrains. On est donc là confronté à une contrefaçon
dans la contrefaçon puisque l’on refusera désormais
l’image d’un Nostradamus commentateur des quatrains
alors même que le commentaire aurait pu prévaloir sur
les quatrains dans un premier temps.
Les éditions du XVIIe siècle n’en
reprendront pas moins le sous titre des Grandes et
Merveilleuses Prédictions en laissant entendre que les
centuries nous renseignent sur les événements du monde
alors que pour cela, selon nous, elles ont besoin du
commentaire de Nostradamus, d’où une tradition qui se
prolongera notamment jusqu’à l’abbé Torné, au XIXe
siècle, qui tend à considérer comme « prophete » non
pas tant l’auteur des quatrains mais leur interprète.
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