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- Fil d’Ariane pour
le dédale de la chronologie centurique
(A propos d’une étude
de la littérature nostramique du XXe siècle)
Si l’on peut parler de
‘notre « thèse », elle pourrait se résumer en une
formule : les centuries nostradamiques sont le résultat
d’un travail collectif, étalé dans le temps qui ne
trouva sa forme « officielle » et « définitive » qu’au
milieu du XVIIe siècle, à la suite donc d’un siècle de
tribulations. Un processus en vérité assez complexe qui
n’était nullement programmé au départ,- et certainement
pas par Michel de Nostredame - ce qui rend l’usage de
certains termes quelque peu artificiel. C’est ainsi que
certains usages pour décrire certaines éditions des
Centuries nous semble poser problème par ce qu’il
présuppose et induit notamment quant à l’emploi de
l’épithète ‘complet « et de son contraire « incomplet »,
généralement au féminin, associé à « centurie »
Anatole Le Pelletier
fournit une ‘Dissertation bibliographique sur les
éditions les plus connues des Centuries de Nostradamus »
in‘Les Oracles
de Michel Nostradamus »
(1867) : « La première édition des Centuries de
Nostradamus et par conséquent la plus ancienne est de
1555 (…) ce volume contient 1° la Préface de Michel
Nostradamus à ses prophéties 2° l’Epitre à César datée
du Ier mars 1555 et 3° les trois premières centuries
complètes et cinquante trois quatrains de la quatrième.
Sur la dernière page du volume on lit « ce présent livre
a été achevé d’imprimer le IIIIe jour de may MDLV » (p.
38). Bizarrement, Le Pelletier présente comme deux
textes distincts (la Préface et l’Epître), ce qui n’en
fait qu’un en réalité. On peut donc se demander s’il a
bien eu entre les mains comme il le prétend le volume.
Il semble que le niveau de connaissance des éditions des
Centuries ait singulièrement baissé par la suite. Jusque
dans les années trente du siècle passé, il apparaît que
la plupart des nostradamologues se contenteront de
rapporter les mentions figurant sur certaines pages de
titre du XVIIe siècle et se référant à diverses éditions.
A part cela, ils avaient les dates de la Préface à César
et de l’Epitre à Henri II, telles qu’elles étaient
reprises jusque dans les éditions les plus récentes,
respectivement 1555 et 1558. Ainsi en 1650, dans
l’édition de Leyde – mais aussi en 1668 à Amsterdam -
trouve –t-on « Revues & corrigées suyvant les éditions
imprimées en Avignon en l’an 1556 & à Lyon en l’an
1558 ». Mais dans les années 1690, les titres renoncent
aux dates en contrepartie de toute une série de lieux
d’éditions, dans cet ordre « Paris, Rouen, Lyon,
Avignon, Troyes, Hollande » En tout état de cause, au
début du XXe siècle, on se contente de reprendre de
telles informations sans accès aux éditions du XVIe
siècle.
Si l’on prend le cas de
l’ouvrage (conservé à la Bibliotheca Astrologica) de
Jean Blanchard et Ch. Reynaud-Plense, conservateurs des
Musées de l’Empéri. Salon de Provence, La vie et l’œuvre de
Michel Nostradamus,
1933 Salon, on note que les auteurs ne mentionnent pas
(p. 14) d’édition à 4 centuries mais seulement à 7, dont
la septième incomplète (à 42 quatrains) puis encore 3
autres centuries. Ils mentionnent des Présages mais sans
préciser que ceux-ci sont issus des almanachs de
Nostradamus, ce qui les fait englober les dits Présages
parmi les « additions » suspectes. « « comme provenant
de ses papiers », trouvés à sa mort, et en tout cas très
inférieures aux prophéties publiées par Nostradamus lui
–même », En fait, ces auteurs se contentent de décrire
quelque édition du XVIIe siècle et d’en tirer quelque
enseignement rétrospectif, ignorant de toute évidence
l’existence d’une édition à 4 centuries qui, il est vrai,
ne saurait être « devinée » à partir d’éditions tardives.
Or, en cette même année
1933, dans la collection « Les grands Illuminés »,
Jacques Boulenger . Nostradamus
Paris, Excelsior, 1933, place à 1554 la date de
rédaction des Centuries.(p.99)/ En ce qui concerne les
sources, Boulenger (pp. 103 et seq) associe les premiers
quatrains de la première Centurie à Jamblique. On nous
donne le nom du libraire lyonnais, Macé Bonhomme (p.
109) et visiblement l’auteur a eu sous les yeux
l’édition datée de 1555 « les trois premières centuries
seulement (..) plus cinquante-trois quatrains de la
quatrième » avec la date de l’achevé d’impression. Il
semble donc mieux informé que les conservateurs de
Salon. Il est fait référence au système de Piobb (p.
162) En appendice, nous trouvons une liste assez bien
fournie des éditions d’œuvres de Nostradamus ou à lui
attribuées (pp. 183 et seq) Il déclare que les « bibliothèques
publiques françaises n’en possèdent guère » . Certaines
de ses descriptions, souvent prises de Brunet, comme il
le reconnaît, n’en sont pas moins assez justes : il cite
celle d’Antoine du Rosne, 1557, en précisant qu’elle est
à 7 centuries, mais avec seulement 40 quatrains à la
VIIe, ce qui correspond à la description de l’exemplaire
de Budapest.
En 1939, P. Edouard ;
publie le Texte
original et complet des prophéties de Michel Nostradamus.
De 1600 à l’an 2000.
Deuxième édition, Paris, Les Belles Editions. On y peut
lire : « Les Prophéties de Michel Nostradamus parurent
pour la première fois en 1555, chez Macé Bonhomme à
Lyon. Cette édition contenait les trois premières
centuries complètes et quelques quatrains de la
quatrième. En 1557, parurent chez Antoine du Rosne à
Lyon également les six premières Centuries et quelques
quatrains de la septiéme.En 1560, parurent chez Barbe
Regnault, à Paris, les sept premières centuries
complètes. C’est probablement en 1568 que parurent chez
Rigaud à Lyon les Centuries telles que nous les
connaissons actuellement » (Avertissement, p. 5).
Etrangement P. Edouard suppose qu’en 1560, on aura « complété ».
En fait, il suppose que l’édition Antoine du Rosne 1557
ne comporte que « quelques quatrains » et que c’est
l’édition 1560 qui arrive à l’état « complet » de la
VIIe, dans les 40 quatrains. En cela, P. Edouard adopte
une certaine logique, si ce n’est qu’il ne soupçonne pas
que l’édition 1557 est plus tardive dans sa présentation
que celle de 1560 ! De même avait-il décrit l’édition
Macé Bonhomme sans la connaitre, en ne donnant pas le
nombre de quatrains de la Ive centurie, information
pourtant fournie en 1933, six ans plus tôt, par
Boulenger.
Dans les années Quarante,
Jean de Kerdeland, dans son De Nostradamus à
Cagliostro,
Paris, Ed. Self, 1945 précise bien (p. 58) le nombre de
quatrains de l’édition Macé Bonhomme 1555 ; « Le 4 mai
1555, le libraire lyonnais Macé Bonhomme pouvait mettre
en vente (. …) les Prophéties de Maistre Michel
Nostradamus. Retenons cette date : 4 mai 1555 presque
aussi importante que celle de la première représentation
du Cid, elle marque le début d’une blague immense et
géniale dont le succès, après quatre siècles écoulés,
est fort loin d’être épuisé (…) trois cent
cinquante-trois quatrains (…) Tels quels les quatrains
prophétiques du Salonais remportèrent un succès
immense »
Dans la même décennie,
Maurice Alliaume,
Magnus Rex de Nostradamus et son drapeau, Sur les
oracles des Centuries,
chez l’auteur, 1948, Chartres, connait l’existence de
l’édition Macé Bonhomme mais croit qu’elle est à 7
centuries ( chapitre VI « Sur les premières éditions des
Centuries et sur leur dédicaces » (pp. 77 et seq) :
« Les sept premières portent la date du Ier mars 1555 :
c’est le jour où elles ont été remises à l’imprimeur
pour la première édition chez Macé Bonhomme à Lyon. » Il
poursuit « Les trois dernières ont été éditées un peu
plus tard et portent la date du 27 juin 1558 », cela de
toute évidence sur la base de la date de l’Epître à
Henri II. Quant à la date du Ier mars 1555, elle n’est
en réalité que celle de la préface à César. Il ne cite
pas le 4 mai 1555 qui ne figure que dans les exemplaires
Macé Bonhomme.
C est en 1948 qu’Edgar
Leroy termine le manuscrit qui ne paraitra qu’en 1972, à
Bergerac, sous le titre « Nostradamus.
Ses origines, sa vie, son œuvre ». Il signale (P. 153) :
« Les
spécialistes signalent une édition qui serait la
première intitulée Les Prophéties de M. Michel
Nostradamus, à Lyon, chez Macé Bonhomme (dont)
cinquante-trois quatrains d’une quatrième inachevée » et
de mentionner le 4 mai 1555 pour l’achevé d’imprimer. Il
ajoute « Il n’existe plus, semble-t-il d’exemplaire de
ces Prophéties imprimées chez Macé Bonhomme » Et de se
référer à l’édition d’Amsterdam 1668 qui mentionne 1556
en son titre (cf supra). Il n’est pas question de
l’édition Macé Bonhomme 1557 mais de celle de Pierre
Rigaud 1566 (utilisée par Anatole Le Pelletier)
A la décennie suivante,
Georges Madeleine. dans La prochaine guerre
mondiale vue par Nostradamus.
Ed Provencia, Toulon, 1952, écrit (p. 23) « En 1555,
parait la première édition de ses prophéties, édition
réduite puisqu’elle ne comprend que trois centuries et
demie (353 quatrains) ; elle n’en connait pas moins un
succès inouï (…) les éditions se succèdent à la cadence
d’une au moins par an : elles s’augmentent
successivement » On relève la surprise de l’auteur qui
ne peut s’empêcher de parler d’une « édition réduite ».
pour désigner ce qui se présente comme une première
édition.
En 1959, Jean-Charles
Pichon signe « Nostradamus
et le secret des temps »
(Ed. Les productions de Paris) en s’appuyant sur F.
Parker.(p. 150) : « De 1555 à 1566, année de la mort de
Nostradamus, on reléve de nombreuses éditions des
Centuries, deux certaines en 1557 et 1558, deux
probables (je ne les ai pas eues en main) en 1560 et
1562. Chacune est enrichie de plusieurs poèmes de telle
sorte que des 358 (sic) quatrains de 1555 on en arrive
par additions successives au chiffre de 942 ; dans
l’édition de 1566 (la septième centurie demeurant
inachevée » Et de se référer au jugement d’Eugène F.
Parker : « Cet ensemble de circonstances fait planer un
doute sérieux sur la valeur prophétique des Centuries V,
VI et VII (..) Quant aux dernières Centuries, il vaut
mieux n’en point parler »
Il faudra, on le sait,
attendre, les années quatre vingt du siècle dernier
(1984, Les Amis de Michel Nostradamus, Roanne (42)) pour
que les chercheurs aient à nouveau accès à l’édition « originale »
de Macé Bonhomme 1555. Mais il ne semble pas que l’on
ait partagé ou prolongé le questionnement de
Jean-Charles Pichon concernant le caractère additionnel
des centuries au-delà de l’état de la dite édition 1555.
Que nous dit Robert
Benazra dans sa présentation du fac simile (p. 26) ? «
La première édition (…) comprenait quatre centuries dont
la Ive incomplète (sic) à 53 quatrains. (…) L’édition
suivante (…) publiée chez Antoine du Rosne en 1557
ajoutait 286 quatrains (…) Enfin, l’édition de Benoît
Rigaud à Lyon en 1568 ajoutait 303 quatrains (soit sept
centuries dont la VIe incomplète (sic) à 99 quatrains et
la VIIe incomplète (resic) à 40 quatrains »
Dans la plupart des cas
signalés – et notre recension ne se prétend pas
exhaustive mais se limite à nos collections actuelles,
quant aux livres de la Bibliotheca
Astrologica-
on nous parle d’une édition « incomplète », au regard
des éditions suivantes qui vont « compléter » la Ive
centurie, ce qui la rend « incomplète »
rétrospectivement, bien que Benazra désigne également la
VIIe centurie comme étant « incomplète » et au bout du
compte, ces éditions à 7 centuries seraient elles-mêmes
« incomplètes » par rapport à un ensemble à dix
centuries. Dans le Répertoire
Chronologique Nostradamique,
Ed. La Grande conjonction-Trédaniel (pp. 10-11) R.
Benazra use d’une autre formule : « Le livre contient
les trois premières centuries renfermant chacune 100
strophes de 4 vers de 10 syllabes (quatrains) et les 53
premiers quatrains de la Ive centurie »
Si dans le cas de la
Vie centurie, l’on peut en effet juger qu’elle est
incomplète (encore que l’avertissement latin entre la VI
e et la VIIe centurie ait pu servir de 100e
quatrain pour certains nostradamologues comme Patrice
Guinard)par
l’absence du 100e
quatrain, il semble assez problématique d’employer une
telle expression dans les autres cas, y compris
d’ailleurs dans celui des éditions ligueuses de
1588-1589. Voyons comment R. Benazra mais aussi Chomarat
décrivent les dites éditions.(RCN (pp. 118 et seq) :
signalons en passant l’usage de « complet » à propos de
l’édition 1568 : « l’édition complète de Benoist Rigaud »
ou encore à propos de l’édition de Rouen, Raphaël du
Petit Val, de 1588, à 4 centuries : « il manque les
quatrains 44, 45, 46, 47 de la centurie IV qui se
termine par le quatrain 53. » . Cet exemplaire n’étant
pas disponible – bien que probablement existant quelque
part, ce qui est un cas assez exceptionnel- on ne sait
pas si par «quatrain 53’ Benazra désigne ce qui
correspond au quatrain 53 ou si la centurie se termine
par un quatrain ainsi numéroté.
Nous supposons probable que cette centurie comportait
des quatrains numérotés jusqu’à 49. Signalons aussi le
cas de la centurie VII dans l’édition 1590 d’Anvers de
François de Saint Jaure : (RCN p. 127) : « VII 1-35. Il
manque les quatrains 3, 4, 8 ; 20 et 22 de la centurie
VII de sorte que le quatrain numéroté 35 correspond
ainsi au n°40 »
Il est assez amusant de
comparer les descriptions parallèles des éditions
1555-1557 d’une part et de l’autre les deux éditions
1588 et 1590. Dans les deux cas, on a des choses qui
manquent, qui ont été « ajoutées », qui sont « complètes
« ou « complétées ». A priori, dans le second cas,
l’affirmation d’un manque semble plus légitime que dans
le second, puisque 30 ans séparent ces deux groupes. En
fait, selon nous, une telle formulation est fâcheuse en
tout état de cause. Pour le premier groupe, l’état de la
Ive centurie pourrait fort bien correspondre à un
premier stade qui n’était pas fatalement voué à subir
une addition. Comment savoir si une telle addition dans
le cours de la Ive centurie était pertinente ? Les
éditions ligueuses d’ailleurs signalent bien qu’il y a
eu addition, ce qui n’est pas le cas, étrangement, de
l’édition prétendument plus ancienne de 30 ans qui ne
comporte pas une telle mention d’ajout. Que la marque
d’un ajout puisse disparaitre en cours de route peut se
concevoir mais l’inverse beaucoup moins, quand cette
mention se présente aussi tardivement. Pour le second
groupe, est-on certain que la centurie IV à 53 quatrains
n’a pas d’abord été à 49 quatrains seulement ou que la
centurie VII à 40 ou 42 quatrains n’en a pas d’abord
compté seulement 35 ?
D’ailleurs, R. Benazra se
demande si les éditions parisiennes de 1588 ne reflètent
pas un état intermédiaire (p. 121) : « On peut
légitimement se demander s’il n’a pas existé après la
publication du premier recueil de 1555 (s’arrêtant
justement au 53e
quatrain de la Ive Centurie) et avant l’édition de 1557
(s’arrêtant au 40e
quatrain de la VIIe centurie) une autre édition
comprenant justement cette seconde partie’(s’arrêtant au
71e
quatrain de la Vie centurie). Nous soumettons au lecteur
cette hypothèse »
Qui de la Bibliographie
Nostradamus de
Michel Chomarat et Jean-Paul Laroche (Valentin
Koerner,Baden-Baden, 1989). Reprenons à 1555 : (p. 16) :
« Centuries I, II, III complètes (…) et 53 quatrains
pour la Ive »/ Peut être l’adjectif se réfère t-il au
principe selon lequel une centurie doit comporter 100
unités ? Pour 1557 (p. 23) : « Les Centuries I à V sont
complètes ; la VI ne comprend que 99 quatrains et la VII
40 quatrains » . Cas délicat, on la vue que celui de la
Vie centurie dont nos auteurs ont quelque difficulté à
qualifier d’incomplète car elle l’est encore dans
l’édition « complète » de 1568 à moins que cela ne soit
celle des années 1590 quand les choses sont « rétablies »
Passons aux éditions
ligueuses, vues par M. Chomarat : (pp. 78 et seq) :
« Centuries I à V complètes, 71 quatrains pour la Vie,
les quatrains 72 à 83 de la VIIe Centurie et 6 quatrains
de la VIIIe Centurie » (notice 145). Pour l’édition
1590Anvers St Jaure : « les centuries I à V complètes,
99 quatrains pour la Vie centurie et 35 quatrains pour
la VIIe centurie »
On rappellera que la
notion d’addition est récurrente dans les titres des
éditions centuriques à la seule exception de l’édition
Macé Bonhomme 1555. Déjà dans l’édition Antoine du Rosne,
« dont il en y a trois cents qui n’ont encores jamais
esté imprimées », Prophéties étant ici synonymes de
quatrains. » ou dans les éditions Benoist Rigaud 1568
« Centuries VIII, IX X qui n’ont encores iamais esté
imprimées ». En revanche, ni Chomarat, ni Benazra ne
signalent dans leur description des éditions ligueuses
l’indication d’une addition à la Ive centurie, après le
quatrain IV 53, mention inexistante, on l’a dit, dans
les éditions Antoine du Rosne.
On éprouve un double
malaise chez les bibliographes, d’abord à propos des
éditions des années 1550 puis à propos de celles des
années 1580. Il est vrai qu’entre 1568 et 1588, on ne
connait pas d’édition des Centuries, si bien que ces
deux périodes se jouxtent en quelque sorte. Qu’est-ce
donc que cette édition à 4 centuries dont on se
passerait bien mais qui aurait néanmoins refait son
apparition à la lecture attentive des éditions
parisiennes de la ligue insistant sur une addition
effectuée au-delà du 53e
quatrain de la IV ? Ne serait-ce pas, comme le
pressentait Pichon, alimenter un doute sur la valeur des
centuries « additionnelles », selon leur propre aveu, au
titre ? On nous objectera que justement en 1588, l’on
n’avait pas craint d’indiquer une telle addition. Mais
on n’a pas non plus craint de le faire au titre des
éditions à 7 et à 10 centuries. Ce n’est qu’au XVIIe
siècle que toutes ces indications d’addition vont
disparaitre. On se contente alors de signaler
l’existence d’éditions antérieures du XVIe siècle mais
sans préciser leur contenu. Tout au plus indique –t-on
ce qui ne mange pas de pain « revues et corrigées ». En
fait, il n’en est pas tout à fait ainsi : des mentions
d’addition subsistent mais pour d’autres endroits : (cf
Edition d’Amsterdam, 1668) : » ;
-« autres quatrains tirez
de 12 soubz la Centurie septiesme »
- « autres quatrains cy
devant imprimez soubz la Centurie Huictiesme »
- « Adiousté depuis
l’impression de 1568 »(à la fin de la centurie X)
Il s’agit de quatrains
que les libraires troyens du début du XVIIe siècle,
comme Pierre Du Ruau, ont cru bon de récupérer, de
recueillir, dans les éditions parisiennes ligueuses des
années 1588-1589 et dans le Janus Gallicus
de Jean Aimé de Chavigny (1594).
Mais la grande question
qui subsiste est celle de l’arrivée des Centuries
VIII-X. Autant l’on peut suivre les différentes étapes
de la formation de ce qu’on appelle généralement le
« premier volet » des Centuries (I à VII), autant ne
connaissons-nous les trois « dernières » centuries que
sous la forme de 300 quatrains, et cette fois sans
aucune marque interne témoignant d’un processus
progressif et étalé dans le temps. Cependant, certaines
sources nous sont connues comme la Guide des Chemins de
France de
Charles Estienne, grâce au travail de Chantal Liaroutzos
(RHR 1986) qui ne concerne que le second volet. La façon
dont certains noms de lieux furent retouchés nous a
permis notamment de dater le quatrain VIII, 86
comportant Chartres au lieu de l’original Chastres, le
couronnement d’Henri IV ayant eu lieu exceptionnellement
dans la cathédrale de cette ville.
Il nous semble assez
clair que le passage de sept à dix centuries est tardif
et correspond au plus tôt à l’avénement d’Henri de
Navarre à la couronne de France. (1593-1594), date de la
sortie du Janus
Gallicus qui
comporte nombre de quatrains issus du second volet.
Précédemment, bien qu’on n’en ait aucune trace imprimée,
les trois centuries en question durent circuler,
annonçant notamment la victoire des Vendôme (Bourbon)
sur les Lorrains (Guises.
On comprend dès lors ce
qu’il peut y avoir d’assez dérisoire à parler de
« centuries » incomplètes, de quatrains « manquants » au
regard d’une forme canonique bien établie certes in fine mais relativement tardive.
Il est assez étrange de nous présenter comme un
processus involutif de déperdition ce qui est une
structuration évolutive et c’est bien à un tel exercice
que s’évertuent un Robert Benazra ou un Patrice Guinard.
Selon nous, le projet
centurique devait s’en tenir à 3 centuries et nous
n’aborderons pas ici ce qu’il doit réellement à Michel
de Nostredame, sur le fonds comme sur la forme. Une
quatrième centurie – portant ce nom alors même qu’elle
ne comportait que quelques dizaines de « prophéties »- a
du constituer un premier appendice. Par la suite, on
aura jugé bon de « compléter » ces « premières »
centuries, avec des éléments qui ne devaient
probablement plus grand-chose à Nostradamus ni de près
ni de loin, cette fois. Par la suite, multiples furent
les tentatives pour préserver une impression d’unité du
« corpus », en gommant les marques d’addition. En fait,
il semble qu’il y ait eu, à un certain stade, revirement
dans la politique éditoriale. On note ainsi que les
éditions de Rouen et d’Anvers (1589-1590) ne
s’embarquent pas, à la différence des « Prophéties »
parisiennes dans des indications d’additions, elles les
nient par omission. Elles ne s’intitulent d’ailleurs pas
« Prophéties » mais « Grandes et merveilleuses
Prédictions ». A contrario, les éditions parisiennes et
troyennes- sous le titre de « Prophéties » - ne cessent
de signaler des additions, des augmentations. Et les
contrefaçons antidatées de 1555, 1557, 1568 bien que se
disant toutes lyonnaises obéissent à un tel modèle, se
présentant comme constitué d’ajouts successifs et en
quelque sorte s’y complaisants. C’est qu’entre temps, la
thèse d’une révélation progressive des Centuries se sera
imposée notamment dans le Janus Gallicus,
à la fin du « Brief Discours sur la vie de M. Michel
Nostradamus ». Il n’y a donc pas de problème à faire
ressortir un flux de centuries, se libérant
progressivement de la « prison » où on les tenait. D’où
l’existence de ces éditions hybrides datées de 1557 et
de 1568 qui se présentent, en leur titre, comme le
résultat d’additions successives et répétées alors même
qu’elles sont marquées, dans le texte, par des
tentatives de supprimer diverses marques d’additions,
notamment à la Ive Centurie. En revanche, les éditions
de Rouen 1589 et d’Anvers 1590 – qui ne paraissent pas
sous le label « Prophéties » - ne signalent nullement en
leurs titres la moindre addition.
En fait, le caractère
posthume de l’édition Benoist Rigaud 1568 doit être
remis en question. L’exemplaire de l’édition Antoine du
Rosne de la Bibliothèque de l’Université d’Utrecht-
inconnu de R. Benazra comme de M. Chomarat, lors de la
publication de leurs bibliographies – en témoigne. Son
titre diffère sur un point important de l’exemplaire
hongrois. On y trouve en effet au dessous de la formule
« Dont il en y a trois cens qui n’ont encores iamais
esté imprimées », une autre formule « Adioustées de
nouveau par ledict Autheur » ; absente de l’exemplaire
de la Bibliothèque Nationale de Budapest. Or, une telle
expression est typique des éditions à 10 centuries. Nous
sommes en fait en présence de la page de titre d’un
ensemble de dix centuries. Contrairement à ce que l’on
pourrait croire, la page de titre de ce que l’on appelle
le premier volet est en fait celle des deux volets et en
récapitule le contenu globale. Par comparaison,
l’exemplaire de Budapest correspond à la page de titre
du seul premier volet et ne comporte donc pas mention
d’une addition supplémentaire qui est celle, précisément,
du second volet, qui n’est en fait qu’une annexe, un
appendice. On nous objectera que l’exemplaire d’Utrecht
ne comporte pas le dit second volet. De fait, celui-ci
n’aura pas été conservé mais la seule existence de la
page de titre est une preuve suffisamment évidente.
Dès lors, il est clair
que l’exemplaire d’Utrecht est sensiblement plus tardif
que celui de Budapest. On peut assez bien reconstituer
ce qui s’est passé. Quand on a voulu opter pour un
ensemble de 10 centuries paru du vivant de Nostradamus
et comportant l’Epitre à Henri II de 1558, l’on a songé
à l’édition Antoine du Rosne à 7 centuries et à la
possibilité de lui adjoindre un supplément. Pour cela,
on a remanié la page de titre sur le modèle des pseudo
éditions 1568 Benoist Rigaud, et l’on a adjoint les
centuries VIII, IX et X. ainsi que la dite Epître au Roi.
C’était plus astucieux que de choisir encore un autre
libraire. Autant que ce fût le même et probablement le
second volet fut-il daté de 1558. Etrangement, la
Paraphrase de Galien, également censée parue chez
Antoine du Rosne, connaitra deux datations : 1557 et
1558. On peut là véritablement parler du caractère « incomplet »
de l’exemplaire d’Utrecht. Cette absence du second volet
aura contribué à compliquer encore plus la pseudo-chronologie
des Centuries faisant ainsi cohabiter la posture «du
vivant de Nostradamus » et la posture, plus ancienne, « posthume »,
ce qui fera dire à Bruno Petey Girard, dans son édition
Garnier Flammarion (2003), que le second volet ne
saurait être attribué à Nostradamus. Un tel doute
n’aurait probablement pas existé si l’exemplaire Utrecht
II avait été conservé. Les éditions Benoist Rigaud 1568
ne seraient donc pas en fait posthumes mais seulement la
réédition de l’édition Antoine du Rosne Utrecht (à 42
quatrains au lieu de 40 à la VII). D’ailleurs, aucun
caractère posthume ne figure sur les éditions 1568,
comme ce sera le cas de divers textes nostradamiques
parus à partir de 1566 ; et notamment en 1568 (cf le RCN,
op. cit., p. 90 ) ce qui est somme toute assez paradoxal
si l’on devait admettre que ces éditions sont autre
chose qu’une réédition d’une prétendue édition du vivant
de Nostradamus.
Reste la question
délicate des vignettes des deux exemplaires Budapest et
Utrecht. Celle d’Utrecht est de meilleure facture et
semblable à celle de la fausse Pronostication de
Nostradamus pour 1562 (Bibl. de Munich) qui orne le RCN
de R. Benazra mais aussi de l’édition Macé Bonhomme
1555, différant de celle des vraies pronostications de
Nostradamus, comme celles de 1557 et 1558.(Bibl de La
Haye).
Cela nous conduit à penser que l’édition Macé Bonhomme
1555 pourrait être plus tardive, quant à sa fabrication,
que l’exemplaire Antoine du Rosne Budapest qui pourrait
être la contrefaçon la plus ancienne de toutes celles
connues, d’où le caractère assez unique de sa vignette.
Cela peut sembler paradoxal, au premier abord.
N’aurait-il pas été « logique » de mettre d’abord sur le
marché du faux une édition à 4 centuries ? Mais l’on
sait qu’une édition à 4 centuries – comme indiqué en son
titre, ce qui n’est pas le cas de l’édition Macé
Bonhomme- est attestée à Rouen en 1588 – on en a, en
tout cas, la photo de la page de titre sinon le contenu
intégral (cf RCN, p. X). Comme on l’a dit plus haut, il
y eut des revirements. Progressivement, l’idée
d’éditions successives et augmentées allait faire son
chemin. C’est alors probablement que l’idée de produire
une édition à 4 centuries, sur le modèle de l’édition
rouennaise de 1588, non sans ajouter quelques quatrains
à la Ive centurie, mais cette fois antidatée à 1555,
date de la préface à César, sera appliquée, non sans un
luxe de détails (achevé d’imprimer, extrait des
registres de la sénéchaussée de Lyon, respect du style
du libraire, de ses lettrines) que l’on ne retrouve dans
aucune autre édition « du vivant de Nostradamus ».
Il reste que notre mode
de chronologisation des éditions n’a pas encore été
largement accepté par les chercheurs en ce domaine.
D’aucuns ont argué du fait que les éditions que nous
disons contrefaites n’ont pas leur exact équivalent dans
les éditions de la fin du XVIe et du début du XVIIe
siècle dont elles seraient issues. Certes, stricto sensu,
ils ont raison puisque l’on n’a pas l’original exact des
dites éditions. L’édition Anvers St Jaure 1590 est
certes très semblable à celle d’Antoine du Rosne
Budapest (avec absence du quatrain VI 100 et même de
l’avertissement latin) mais elle n’a que 35 quatrains au
lieu de 40 à la centurie VII. En revanche, le premier
volet de l’édition de Cahors, Jaques Rousseau de la même
année 1590 (conservée à Rodez) semble correspondre.
Quant à l’édition Macé Bonhomme 1555, elle diffère
certes pour quelques quatrains de celle de Raphael du
Petit Val, 1588 . On sait par les éditions parisiennes
de la Ligue qu’il exista bel et bien une édition à 4
centuries et à 53 quatrains – ce qui n’est pas encore le
cas de l’édition rouennaise - du fait qu’il y est
indiqué qu’il y a eu « addition » au-delà du dit 53e
quatrain. L’édition rouennaise actuellement hors circuit
revêt un intérêt considérable. Elle correspondrait en
effet au tout premier état des Centuries. Rappelons en
le titre qui ne sera pas repris pour l’édition Macé
Bonhomme 1555, ce qui disqualifie cette dernière :
Les Grandes et merveilleuses prédictions de M. Michel
Nostradamus divisées en quarte (sic) centuries esquelles
se voit représenté une partie de ce qui se passe en ce
temps tant en France, Espaigne, Angleterre que autres
parties du monde ». On notera la formule «en ce
temps », qui se réfère au temps de la publication,
c'est-à-dire 1588 comme si l’on avait voulu ainsi
montrer que ce que Nostradamus écrivait en 1555, comme
l’indiquait la date de la préface à César, valait pour
l’époque, ce qui justifiait qu’on exhumât ce texte.
Si la chronologie des
Centuries est un dédale, que les chercheurs se méfient
donc du Minotaure qu’il s’agisse de celui des
contrefaçons ou de celui des disparitions.
22 - La postdatation, un nouveau genre de contrefaçons
nostradamiques
On connait nos positions à propos
d’éditions antidatées. On sait également à quel point
les diverses biographies de Nostradamus relèvent à nos
yeux de l’imposture. On sait aussi que du vivant de
Nostradamus circulaient déjà des fausses éditions sous
son nom et que des personnages se présentèrent comme
étant ses successeurs avec la bénédiction des libraires,
désireux de prolonger le filon. On sait que certains
documents ont été interprétés de façon biaisée pour leur
faire dire ce qu’ils ne disaient pas, tant le manque de
preuves de la circulation des centuries était flagrante
jusque dans les années 1580, parfois en acceptant
délibérément d’être bernés par des procédés assez
grossiers..Il n’est décidément pas aisé de sortir
indemne de l’engagement dans le champ nostradamique et
la moindre faille expose à des errements.
Mais d’autres stratagèmes peuvent être
encore signalés qui compliquent encore un peu plus le
travail de bibliographes quelque peu dépassés et
débordés. Cela ressort du décalage entre le titre et le
contenu de certaines éditions centuriques. On sait ainsi
que le titre des éditions ligueuses ne correspond pas à
leur contenu bien que cela n’ait pas été suffisamment
souligné et signalé par les bibliographes. Nous avons
proposé d’expliquer un tel décalage par la volonté
d’épuiser un stock de livres devenus obsolètes du fait
de plus récents développements en empruntant à des
tirages plus récents, c'est-à-dire plus tardifs.
Autrement dit, les pages de titres des éditions
ligueuses ne correspondraient pas à la première
occurrence des dites éditions et cela vaut également
pour les vignettes qui s’y trouvent dans nombre de cas
(Pierre Mesnier, Veuve Nicolas Roffet, 1588/1589). On ne
sait d’ailleurs pas, dès lors, si le contenu des dites
éditions fut produit par les dits libraires ou par
d’autres. Soit c’est bien une Veuve Roffet qui jugea bon
de présenter son ancienne production sous un autre titre
plus alléchant, soit c’est un autre libraire qui
empruntera l’identité de cette veuve, soit encore, cette
libraire récupéra-t-elle d’anciens stocks d’un autre
libraire pour les écouler sous son propre nom.
Rappelons pour ceux qui ne seraient pas
au courant que le titre mentionnant 39 articles ajoutés
à la dernière centurie ne correspond absolument pas au
contenu des éditions concernées. En revanche, il
correspond au contenu d’autres éditions ou du moins s’en
rapproche, à savoir les éditions comportant une septième
centurie à 40 quatrains, comme l’édition Antoine du
Rosne Budapest 1557 et plus généralement comme le
premier volet des éditions lyonnaises Benoist Rigaud
1568, que nous considérons d’ailleurs, les une comme les
autres, comme antidatées..Mais inversement, ces éditions
comportant une septième centurie, soit 40 quatrains
ajoutés à la sixième et dernière centurie (comportant
l’avertissement latin dont le caractère semble bien
conclusif) n’ont pas, quant à elle, un titre relatif à
leur contenu. Ces éditions sont bien « lissées » : pas
de marque d’addition au milieu de la Ive Centurie, ni
entre la sixième et la septième centurie, dont
l’avertissement latin a disparu dans le cas de l’édition
Du Rosne Budapest mais pas dans l’édition du Rosne
Utrecht ni dans celle de Benoist Rigaud 1568 – les deux
éditions étant liées mais nous y reviendrons. Les
éditions Rigaud ressemblent assez bien de fait au titre
des éditions ligueuses parisiennes (mais répétons –le
non pas à leur contenu). Certes, elles n’ont que 40
quatrains à la VII, mais comme la Vie centurie n’a que
99 quatrains au lieu de 100, on peut penser que cela
puisse faire sens, quelque part si l’on admet qu’un des
quatrains de la VII aurait pu venir jouer le rôle du
100e quatrain, ce qui aurait mieux correspondu au titre
du premier volet, impliquant une addition de 300
quatrains et non pas de 299. Il est donc possible que ce
titre à 39 « articles » ait correspondu à une édition
disparue. Rappelons aussi que le 100e
quatrain de la VI réapparaitra au XVIIe siècle dans les
éditions troyennes et déjà dans le Janus
Gallicus
(1594).
Signalons aussi que cette édition avec
une addition de 39 articles à la « dernière centurie »
est en principe plus ancienne que l’édition Antoine du
Rosne qui a déjà en 1557 ses 40 quatrains alors que
cette addition n’est censée n’avoir eu lieu qu’en
1560/1561. Tout cela pourrait sembler aberrant si l’on
se place du vivant de Nostradamus mais est parfaitement
compréhensible au regard des manipulations de faussaires
jonglant allégrement avec le temps, comme des démiurges
et décidant de changer de stratégie d’une fois sur
l’autre. Autrement dit, cette référence à 1560 aura été
supprimée du titre des éditions du Rosne et cette option
1560 carrément éliminée si ce n’est qu’elle s’est
indument perpétuée par les changements de titre des
éditions ligueuses, dont le contenu est véritablement
archaïque avec l’indication d’une addition à la IV e
centurie, correspondant au contenu des éditions à 4
centuries Macé Bonhomme 1555, édition par ailleurs
également antidatée, édition augmentée – et donc plus
tardive- par rapport à l’édition de Rouen Raphael du
Petit Val de 1588 qui n’atteint pas encore 53 quatrains
à la Ive Centurie..
Nous avons également montré que l’édition
Utrecht était sensiblement plus tardive que l’édition
Budapest comme il ressort de sa page de titre, conforme
à celle des éditions Benoist Rigaud 1568, si ce n’est
que ces dernières n’ont pas la fameuse vignette d’un
personnage dans son étude.. Nous en concluons que le
second volet avait du paraitre dans le même cadre
Antoine du Rosne, probablement pour 1558- et toujours
bien entendu en situation antidatée. Or, la vignette de
l’exemplaire Utrecht est très proche de l’édition Macé
Bonhomme 1555 comme d’ailleurs de l’édition Veuve Roffet
1588, pour ce qui est de la page de titre mais aussi des
faux almanachs Regnault des années 1560. Selon nous, ce
sont ces faux almanachs, non perçus comme tels par les
faussaires, qui auront introduit par erreur une vignette
ne correspondant pas à celles que Nostradamus utilisait
dans ses Pronostications annuelles des années 1557-1558.
Quid de l’édition Antoine du Rosne
Budapest dont la vignette diffère sensiblement de tout
le lot de vignettes sus mentionnées ? Rappelons
qu’Antoine du Rosne avait bien publié, en 1558, une
Pronostication de Sconners, avec une vignette qui ne
correspond exactement ni à Budapest ni à Utrecht mais
dont l’édition Budapest a pu s’inspirer puisqu’il
s’agissait de fabriquer du faux Du Rosne en se servant
d’une bibliothèque assez bien fournie et parfois, on l’a
vue, trop bien fournie puisque incluant des faux ayant
servi par mégarde de modèles.
Ce qui fait problème, c’est que l’édition
Macé Bonhomme 1555 a la même vignette que les éditions
Utrecht, Regnault et Roffet. Mais alors comment vient
s’intercaler la vignette Rosne Budapest, la « bonne »
filiation étant Macé Bonhomme- Rosne-Utrecht au regard
des vignettes ? La réponse, selon nous, c’est que la
vignette Rosne-Budapest a du être utilisée sur des
éditions disparues : d’une part sur les éditions
parisiennes ligueuses d’origine avant qu’elles
n’adoptent de nouvelles pages de titre et de l’autre sur
des éditions 1555 différentes de celle de Macé Bonhomme
Albi, éventuellement à 49 quatrains à la IV, sur le
modèle de l’édition Rouen Petit Val 1588, provisoirement
disparue ( mais bien décrite par Chomarat et Benazra,
dans leurs biographies à la suite des données fournies
confidentiellement par Ruzo, lors du Colloque
Nostradamus de Salon de Provence, 1985) mais attestée
par sa page de titre conservée, voire sur une première
édition à 7 centuries 1555, référée par François de
Saint Jaure, à la fin de son édition d’Anvers, dont
l’édition Budapest 1557 ne serait qu’une réédition, tout
comme Benoist Rigaud 1568 ne serait qu’une réédition
d’Antoine du Rosne Utrecht 1558 disparue mais attestée
au titre du premier volet Utrecht..
Résumons-nous : en ce qui concerne les
deux éditions Antoine du Rosne 1557. La vignette
Budapest a pu servir vers 1588 pour une première édition
à 4 centuries 1555, pas forcément à 53 quatrains à la
IV. Ensuite, elle a servi pour une nouvelle édition à 7
centuries 1555 mais en fait correspondant à un état
tardif, probablement autour de 1590, sur le modèle du
premier volet Jaques Rousseau Cahors, et qui a déjà
intégré la phase des éditions parisiennes ligueuses
ainsi que celle de l’édition de Rouen Petit Val 1589 et
qu’elle apparait alors que l’on a déjà renoncé au
scénario d’une addition 1561. Rappelons que les
faussaires ne reproduisaient pas loin de là, tous les
états des éditions centuriques qui se sont succédé entre
1588 et 1590. Un dernier point : il nous semble que les
premières éditions ligueuses sont antérieures à 1588. En
effet, si elles étaient de 1588-1589 ; elles seraient
parues en même temps que l’édition de Rouen 1589, que
nous avons en notre possession grâce à Mario Gregorio.
La dite édition 1588 Rouen est beaucoup plus achevée et
toilettée que les éditions parisiennes. C’est une chance
que nous aient été conservées au moins trois éditions
parisiennes en chantier.(se référant à trois libraires
différents) mais nous pensons que ce sont là les tout
premiers états des Centuries, seulement précédés de
Rouen 1588 à 4 centuries (IV à 49 quatrains). Il est
possible qu’ils aient eu au titre la vignette qui
servira pour l’édition antidatée disparue à 7 centuries
1555, dont on connait la réédition 1557 Antoine du Rosne
Budapest qui porte la dite vignette. Les éditions
parisiennes ligueuses auraient été postdatées lors du
remplacement de pages de titre du type 1561. Elles
seraient donc plutôt de 1586/1587. Mais inversement, des
éditions parisiennes dont on a les pages de titre, on
n’a le contenu que par l’édition Budapest.
Le seul
obstacle à notre reconstitution est le cas de l’édition
Rouen Petit Val 1588, actuellement non localisée mais
qui faisait partie de la Collection Ruzo ne serait-ce
que sous forme de photocopie (comme les Présages
Merveilleux pour 1557, que nous possédons, grâce à Mme
Ruzo) ou de microfilm. En effet, que signifie la
parution en 1588, à Rouen, d’une édition à 4 centuries,
dont 49 à la Ive, juste avant l’édition Rouen 1589 dont
la fin est tronquée (cela s’arrête à VI, 96) ? Le laps
de temps entre les deux éditions chez le même libraire
nous semble bien trop court ! Entre ces deux états, que
de chemin parcouru, en effet. On serait passé d’une
édition embryonnaire s’arrêtant à 49 quatrains à la IV à
une édition très vraisemblablement à 7 centuries mais
probablement pas 40 à la VII, vu que l’édition jumelle –
rappelons que cette série n’est pas intitulée
Prophéties mais
Grandes et merveilleuses prédictions-
parue à Anvers, l’année suivante en 1590, n’a que 35
quatrains à la VII. Entre ces deux états, il y a du y
avoir 1 une édition avec une Ive centurie à 53 quatrains
à la IV, puis 2 une édition avec une Ive centurie
complète mais avec marque d’addition après le 53e
quatrain type Paris mais avec une centurie VI incomplète,
puis 3 une édition à six centuries complètes (non
conservée), terminée par un avertissement latin, puis 4
une édition avec indication pour 1561 d’une addition de
39 articles (titre attesté par les éditions parisiennes
de la Ligue et par une contrefaçon Buffet, datée 1561,
cf. catalogue Scheler 2010) et l’on en arrive enfin à
l’édition Rouen 1589 et Anvers 1590. Si l’on n’a pas de
raison de considérer l’édition Rouen 1589 comme
antidatée puisqu’elle est probablement très proche
d’Anvers 1590. Selon nous, il s’agit de la reprise d’une
édition sensiblement plus ancienne puisque antérieure à
l’état des éditions parisiennes qui se présentent comme
la complétant (non pas au titre, mais au sein de la
centurie IV). On aurait eu comme pour les éditions
parisiennes, un procédé de postdatation mais qu’est ce
souvent qu’une réédition sinon une édition post datée ?
Nous pensons que le libraire rouennais avait cru bien
faire en récupérant une édition à 4 centuries de ce
type, qu’il l’aura publiée comme étant récente (1588)
avant de s’apercevoir qu’elle était complètement
dépassée et publiant dès l’année suivante une édition
beaucoup plus d’actualité..
23 - Méthodes de datation des documents antidatés
Si, initialement, nous n’avions dans
notre collimateur que les éditions centuriques nous
avons progressivement acquis la conviction de la
nécessité d’étudier de près d’autres pièces se référant
plus ou moins ponctuellement au corpus centurique,
quatrains ou épîtres et servant ingénieusement de « garant »,
un faux en cautionnant un autre. Il nous est apparu, en
effet, que non seulement on avait pu fabriquer des
éditions antidatées mais qu’en plus, on avait également
produit des contrefaçons d’autres ouvrages attribués à
Nostradamus pour accréditer les dites éditions. Il
importe cependant de distinguer les faux d’époque et les
faux antidatés. Si, en effet, l’on sait que dès le début
des années 1560 parurent des almanachs avec des
quatrains différents de ceux que publiait Nostradamus
pour l’année concernée, souvent repris d’almanachs
antérieurs, il y a aussi le cas de faux d’époque qui ont
donné lieu à des contrefaçons tardives de la part de
faussaires qui n’étaient pas avertis de l’existence de
tels procédés déjà du temps de Nostradamus, ils ont
ainsi pris de mauvais modèles pour exemple, ce qui
ressort notamment au niveau iconographique. Au fond, il
aurait presque été préférable d’inventer des
présentations totalement différentes car ces
contrefaçons d’époque s’inspiraient, mais d’assez loin
quand même, de la production réellement attribuable à
Nostradamus. C’est ce qui s’est passé avec les fausses
éditions 1568 qui évitent systématiquement de recourir
aux vignettes campant un personnage à sa table de
travail encore que l’on puisse retrouver dans certains
cas des motifs extraits de telles vignettes. (cf.
reprint Ed. Chomarat, Lyon, 2000, p. 25).
Ce qui
nous intéresse le plus actuellement est la datation des
éditions antidatées et plus largement des documents
contrefaits. Si Patrice Guinard a publié, dans la
Revue Française d’Histoire du Livre,
un « Historique des éditions des Prophéties de
Nostradamus (1555 – 1615) n° 129 2008), en évitant
d’aborder la question de la véritable chronologie des
éditions centuriques
et pour s’en tenir à une chronologie « factuelle »
fondée presque systématiquement sur les dates figurant
sur les pages de titre ou celles correspondant aux
activités des libraires ainsi désignés sur les dites
pages, suivant en cela l’exemple de Chomarat et de
Benazra, à l’exception du cas des éditions Pierre Rigaud
1566 qui sont désormais datées du XVIIIe siècle et
qu’encore au XIXe siècle, un Torné Chavigny et un
Anatole Lepeltier croyaient authentiques. Cet exemple
aurait du rendre prudent mais apparemment on en a fait
une exception laissant entendre justement que pour les
« autres » éditions centuriques datées des années 1550
ou 1560, on pouvait se fier aux données indiquées et ce
même dans le cas de faux.
Il nous
apparait que dans le cas de Crespin, le document daté de
1572 que nous avions mis en avant est fort probablement
un faux datant du début du règne d’Henri IV. Selon nous
tout ouvrage qui comporte des quatrains appartenant tant
au premier qu’au second volet ne saurait être antérieur
au temps des Bourbons. Dans le cas de l’épître de
Chevigny à Larcher (1570) qui comprend un élément du
seul premier volet, l’on doit se situer dans le cours
des années 1580, et correspondre au moment où l’on
publie les œuvres de Dorat. Enfin, reste le cas
d’Antoine Couillard. A-t-il vraiment existé une parution
en 1555 d’une quelconque préface à César, telle que
reprise par le « Seigneur du Pavillon les Lorriz » dont
on sait qu’en 1560 il publia des
Contreditz aux fausses et abusives prophéties de
Nostradamus. Tout
comme Crespin, Couillard était ainsi associé au nom de
Nostradamus, figurant dans une sorte de bibliothèque
nostradamique dans laquelle puisèrent les faussaires de
la fin du XVIe siècle. Quand cette préface est apparue
en tête des Prophéties ligueuses, dans un premier temps,
on aura voulu lui donner un certificat d’authenticité en
faisant jouer le dit Couillard avant de trouver une
meilleure solution qui consistait carrément à produire
une fausse édition datée de 1555. On ne saurait ignorer
l’apport du XVIIe siècle à la mise en place du canon
centurique à partir de la récupération de documents du
siècle précédent. D’une part, il y eut le travail des
libraires troyens, notamment de Pierre Du Ruau,
qui collecta énormément de pièces dispersées et de
l’autre la traduction de 1672 de Théophilus de
Garencières qui restitue un état premier de la Préface
centurique à César, bien moins corrompu que les versions
qui nous sont parvenues par ailleurs. Rappelons que l’on
dispose du texte français d’origine ayant servi à la
dite traduction grâce à une édition d’Antoine Besson,
libraire lyonnais qui fut en activité dans les années
1690.
Nous avons signalé à plusieurs reprises
dans nos études les revirements des faussaires quant à
leur réinvention du passé. Reste le cas de Significations pour 1559, largement traité dans notre
post-doctorat (cf. le reprint édité par B. Chevignard, Présages de Nostradamus,
op. cit) et qui est un cas d’école, tant on peut
retrouver les procédés utilisés, dont la récupération de
l’Eclipsium
de Leovitius, déjà signalé par l’abbé
Torné Chavigny, en 1879 (voir la lettre reproduite dans
l’édition Chevignard p. 446) mais aussi d’une attaque
contre Nostradamus que l’on présente comme une attaque
de Nostradamus contre ses adversaires qui s’en prennent
à ses Présages Merveilleux .
(cf. p. 457 de l’édition Chevignard). : « avec tes
pronostiques que tu dis estre merveilleux » , la date de
ce qui se présente en fait comme une épître est le 14
août 1558 alors que celle adressée à Henri II est du 27
juin 1558 (rappelons que l’Epitre authentique au Roi est
datée de janvier 1556. On pourrait y voir une épître
jumelle de la fausse épître à Henri II. Or, c’est dans
ces
Significations
qu’il est fait mention d’une « seconde centurie » (cf.
p.455 de l’édition Chevignard) : « comme plus amplement
est déclaré à l interprétation de mes Prophéties ». On
peut même se demander si ce texte n’avait pas été
envisagé précédemment au choix de l’Epitre à Henri II
(qui avait pour inconvénient de reprendre une version
précédente, en tête des Présages Merveilleux
pour 1557, pour introduire le second volet –et si cette
seconde centurie ne visait pas celle qui par la suite,
au sein de l’ensemble à 10 centuries, deviendrait la
centurie IX . Ces Significations auraient donc introduit
le second volet avant qu’il ne soit réuni au premier
sous le règne d’Henri IV. On aurait gardé quasiment la
même date, à quelques semaines près. Ce qui distingue
d’ailleurs ce document de ceux produits par le camp de
la Ligue, c’est le fait qu’ils utilisèrent une vignette
différente de celles des éditions parisiennes et des
contrefaçons qui les calquaient, à savoir qu’ils avaient
pris modèle sur la « bonne « vignette, celles des
Pronostications de Nostradamus et notamment celle pour
1558 – que nous avons été le premier à retrouver à la
Bibliothèque Royale de La Haye (ce dont témoigne
Brind’amour, dans son Nostradamus, astrophile).
En effet, le libraire est le même, le parisien Guillaume
Le Noir si ce n’est qu’alors que, dans les deux cas, la
page de titre porte la mention « avec privilège », dans
le cas de la Pronostication
pour 1558, il y a in finé le texte du privilège (cf. Ed
Chevignard, p. 442) et non à la fin des Significations (cf.
éd. Chevignard, p. 460). On notera que la lettrine M qui
commence la brève épître à Guillaume de Gadagne, en tête
de la Pronostication pour 1558 n’est pas identique à la
même lettrine M de l’épître en tête des Significations.,
d’autant que le premier mot est le même dans les deux
cas, « Monseigneur » Il est assez clair que la dite
Pronostication pour 1559 ne s’intéresse pas à Antarès
par hasard (cf. Chevignard, p. 451) car cette étoile
fixe menace les yeux. Or, rappelons qu’Henri II est mort
des suites d’une blessure à l’œil, en 1559. En revanche,
l’épître à Henri II ne reprend pas cette prédiction, ce
qui tendrait à montrer que la nouvelle épître ne
s’intéressait qu’à des événements plus tardifs.
Signalons certaines similitudes entre les
deux épîtres datées de 1558, c’est ainsi qu’elles se
terminent par la même formule :
A Monseigneur Jacobo-Maria Sala, evesque
de Viviers et Vice légat d’Avignon M. Nostradamus, son
humble serviteur envoye salut & félicité
De Salon ce 14. d’Aoust 1558. Faciebat
Michael Nostradamus Salonae Petrae Provinciae, 1558 pro
anno 1559 & 1560
Et A Henri Second (-…) Michel Nostradamus,
son très humble, très obéissant serviteur & subject,
victoire & félicité
De Salon ce XXVII. De juing Mil cinq cens
cinquante huit. Faciebat Michael Nostradamus Salonae
Petrae Provinciae
Il y a toutefois une différence notable :
Dans l’Epitre à l’évêque de Viviers, il
est indiqué à la suite pour quelles années le texte
vaut, alors que dans l’Epitre à Henri II, rien n’est
précisé. Pourtant dans le cours de l’épître, on a
souvent le sentiment que le texte concerne une période
donnée. « Et sera au moys d’Octobre que quelque grande
translation sera faite » (p. 161, Ed. Chomarat, 2000).
On y trouve également des indications de latitude (50 ;
52, 48 pour la lettre à Henri, 37, 38, 39, 40, 41, 42 &
45 degrez » donc plus au Sud pour la lettre à Jacobo
Maria Salla.
Le problème de cette Epistre à l’évêque
de Viviers est qu’elle n’introduit plus aucun texte. Il
est vrai qu’avec Crespin, la mode des Epîtres se
suffisant à elles-mêmes et qui ne sont donc plus des
préfaces- fut considérablement développée entre 1571 et
1578 (cf. RCN, p. 100, 105, 106, 114) si ce n’est qu’ici,
le nom du dédicataire ne figure nullement au titre. En
fait, certaines épitres semblent avoir été converties
ultérieurement en préfaces, au prix de quelques
interpolations à moins que des préfaces n’aient été
augmentées sensiblement pour tenir lieu d’épîtres, puis
encore reconverties en préfaces par la suite.
. On comprend mal dès lors la formule « prendre
en gré le petit présent » alors que l’Epitre à Henri II
mentionne « ces trois centuries du restant de mes
prophéties » tout en se référant à des « Offres &
présens ». Tout se passe comme si cette épître avait été
détachée du document qu’elle introduisait initialement,
vraisemblablement les Centuries VIII-X, ce qui donnerait
sens au passage signalé à propos de la « seconde
centurie de mes prophéties ». On notera que normalement,
seules les Pronostications de Nostradamus portaient une
vignette représentant un personnage à sa table de
travail. On n’en trouve pas sur ses almanachs, du moins
pas pour les années Cinquante. A contrario, ce sont les
faux almanachs de Barbe Regnault, au début des années
1560, qui porteront une vignette différente de celle
comportant l’écusson « M. de Nostre Dame ». Dans le cas
des Significations,
la présence de la vignette ne se serait pourtant point
imposée, dans la mesure où il ne s’agit pas d’une
pronostication annuelle mais sur deux ans. Dans les deux
cas, une échéance pour les premières années du XVIIe
siècle (1605-1606) est fournie, directement ou
indirectement, ce qui fait sens pour des textes
appartenant à la fin du XVIe siècle. Cette date coïncide
d’ailleurs avec celle de l’Epitre à Henri IV en tête des
sixains dans les éditions troyennes.
Nous avons très peu de documents
concernant l’historique du second volet. On ne connait
ce texte, dans ce qui nous est parvenu pour le XVIe
siècle, en tout cas, que des éditions où il est déjà en
position de second volet et comporte des Centuries
numérotées de VIII à X. Il nous semble très improbable
que le second volet, comme on l’appellera par la suite,
ait eu ses centuries ainsi présentées, d’autant plus que
la stabilisation à 7 centuries fut relativement tardive.
Il est par ailleurs assez évident que les dites
centuries connurent une certaine circulation sinon à
quoi bon les constituer ? On pense notamment au quatrain
IX, 86, ce qui correspond à la « seconde » centurie du
second volet. Mais ces états n’ont pas été conservés. On
ne sait pas davantage si le dit volet parut dès le
départ avec l’Epître à Henri Second, laquelle épître
d’ailleurs ne se réfère aux centuries que globalement et
avec déjà une référence à la Préface à César du premier
volet, ce qui ne fait sens qu’au sein d’un ensemble à
deux volets. Qu’on en juge « Dedans l’Epistre que ses
(sic) ans passez ay desdiée à mon fils Caesar
Nostradamus, j’ay assez appertement déclaré aucuns
poincts sans présage ». En fait, nous serions tentés de
penser que cette épître à Henri II n’a été composée que
lors de la mise en place d’un volume à dix centuries. Il
n’en est pas de même de l’Epitre à Jacques Maria Sala,
laquelle, signalons le quand même, ne fait aucune
allusion à une Epitre antérieure de peu à Henri II,
l’une étant de septembre et l’autre de juin 1558. On
peut penser raisonnablement que l’épître à Mgr Sala
introduisit les centuries ‘anti-ligueuses » et qu’elle
fut ensuite remplacée, tout en poursuivant une carrière
sous le titre de Significations.
Dès lors,
que dire de la formule figurant dans l’Epitre à Henri
II ? Nous la reproduisons plus amplement :
« Aviendra l’an 1605, que combien que le
terme soit fort long, ce nonobstant les effets de cestuy
(an) ne seront gueres dissemblables à celuy d’icelle
année (1559), comme plus amplement est declaré à
l’interprétation de la seconde centurie de mes
Propheties ». La référence est explicitement liée ici à
des éditions centuriques parues sous le nom de
Prophéties ». On notera que les positions planétaires
qui figurent dans l’Epître à Henri II sont celles de
l’an 1606 : « mesmes de l’année 1585 & de l’année 1606 à commençant depuis le
temps présent qui est le 14 de Mars 1557 ». On relèvera
cette mention de l’an 1585 qui correspond selon nous
assez bien à la période de la Ligue ; au lendemain de la
mort du Duc d’Alençon, dernier fils de Catherine de
Médicis, laquelle mort plaçait ipso facto Henri de Navarre, le cousin réformé, en
position de « dauphin » d’Henri III. La vignette de
l’édition Rigaud (1568) dont nous disions qu’elle
comportait sur la page de titre de l’ensemble du volume,
des motifs issus de la vignette « M. de Nostredame » ne
se référé-t-elle pas à la vignette des Significations ?
On y retrouve les luminaires, les cinq étoiles (probablement
les planètes, formant «septénaire » avec le soleil et la
lune-, une main, sortant d’un vêtement, tenant une
sphère et l’autre un compas. Apparemment, les faussaires,
au service du camp Bourbon furent mieux inspirés ou
mieux informés que leurs adversaires. Ils optèrent pour
la vignette propre aux pronostications de Nostradamus,
avec la mention « M. De Nostredame » et non pour celle
des faux parisiens. Apparemment, les différences entres
les vignettes de l’un et l’autre camp conduisirent à
leur abandon et la mise en place d’une nouvelle vignette
Le caractère tardif de la rédaction
ultime de l’Epitre à Henri II est attesté par le fait
qu’elle se référe explicitement à la Préface à César, ce
qui n’est pas le cas de l’Epître à Jacques-Marie Sala.
Etant donné que cette préface figurait en tête des
éditions ligueuses, il est tout à fait improbable que le
camp d’Henri IV se soit référé à la dite préface. La
référence ne peut donc avoir été introduite que lors de
la mise en place d une édition à 10 centuries, au
lendemain du couronnement du premier roi Bourbon.
Imaginer que ce « second volet » n’ait vu le jour qu’à
ce moment là ne ferait guère sens. Le choix de cette
Epitre, isssue d’une épître ayant existé (Présages
Merveilleux pour 1557) fut d’ailleurs plus probablement
le fruit d’un consensus entre les parties car il est
bien moins polémique que certains quatrains qu’il
introduit, faisant annoncer par Nostradamus la
déconfiture lorraine. Quant à l’origine des Significations de l’éclipse, s’agit –il d’un texte
réalisé de toutes pièces pour la circonstance centurique
ou bien de la retouche d’un texte réellement paru à
cette époque adressé à l’évéque de Viviers, ce point n’a
pas été encore éclairci. Nous tendrions à penser qu’’une
partie du document est authentique mais que l’emprunt à
Leovitius est interpolé, qui créditait Nostradamus d’une
allusion à la mort d’Henri II, tout comme le passage (cf
supra) – qui est annoncé au titre( « avec une sommaire
réponse à ses détracteurs ») emprunté à un adversaire
des Présages Merveilleux,
lequel ouvrage aura d’ailleurs servi par la suite à
réaliser l’Epître à Henri II ; du fait qu’il comporte
lui-même une épître adressé à ce souverain. On n’a pas
retrouvé le document dont le dit passage est extrait. On
sait que Nostradamus à cette époque n’était pas épargné
par les attaques, de Laurent Videl à Hercule le
François.(cf l’article d’Olivier Millet, « Feux croisés
sur Nostradamus », 1986)
24 - Bréviaire pour la (re)datation des
nostradamica à l’intention des librairies anciennes ;
Notre propos est de fournir aux
librairies anciennes un outil de travail leur
permettant de dater les nostradamica en ne se fiant
pas, le plus souvent et pour toutes sortes de
raisons aux indications fournies en page de titre et
en prenant conscience de ce qu’’un certain nombre
d’éditions ont été perdues et ne nous sont connues
que par des rééditions qui ne s’avouent pas
nécessairement comme telles. Il ne s’agit pas dans
bien des cas de fournir des dates précises, à un an
près, mais des périodes de quelques années,
articulées sur un certain nombre de « terminus ».
En 1999, dans notre thèse d’Etat (Le
texte prophétique en France. Formation et Fortune,
Ed. du Septentrion), nous avions introduit la notion
de « chronéme » et de « chronématique » pour
désigner les éléments permettant de déterminer une
date pour une impression. Parfois, il suffit de
noter la présence ou l’absence d’un chronéme pour
fixer la date véritable de parution d’un ouvrage,
cela relève d’une discipline que nous avons appelée
Chronématique.
Dans ce bréviaire, nous listerons
tous les chronémes qui nous semblent utiles et il
est donc conseillé au libraire ancien de les passer
en revue-et cela vaut aussi évidemment pour tout
bibliothécaire ou bibliographe- y compris dans le
cas de catalogues de vente- ce qui évitera bien des
erreurs, pouvant affecter l’estimation du prix d’un
document. On peut dire qu’actuellement, les erreurs
pullulent dans ce domaine
Nous n’avons pas souhaité accumuler
trop de critères. Nous n’en avons choisi qu’une
dizaine que l’on peut donc passer en revue assez
rapidement. Il est évident que certaines éditions
sont concernées par plus d’un critère et peuvent
même les accumuler. D’autres éléments seraient à
considérer comme le cas d’éditions dont le contenu
ne correspond pas au titre comme dans le cas des
éditions parues sous la Ligue à Paris en 1588-1589
ainsi qu’à Rouen en 1588. Les deux "chronémes" les
plus importants sont, selon nous, 1593-1594 avec le
couronnement d'Henri IV à Chartres et cinquante ans
plus tard (1643-1644), avec la mort de Louis XIII,
en 1643
X, 91 : le premier verset a été
retouché, il renvoie explicitement à l’année 1609.
Cela concerne des éditions des centuries VIII- X
parues autour de 1600.
IX, 86 le premier verset a été
retouché pour désigner la ville de Chartres, qui fut
le lieu du couronnement d’Henri IV, au début de
l’année 1594. Cela concerne des éditions des
centuries VIII-X parues après 1593.
IV 46 le second verset concerne la
ville de Tours, capitale désignée en place de Paris.
Cela concerne des éditions des centuries I à VII –
et bien entendu à quatre centuries, parues à partir
de 1588.
VII 35 l’édition d’Anvers (1590)
comporte 35 quatrains à la VII. Les éditions
comportant plus de 35 quatrains à la VII lui sont
postérieures
IV 49 l’édition de Rouen (1588) ne
comporte que 349 quatrains, non encore classés en
centuries. Les éditions comportant plus de 49
quatrains à la IV lui sont postérieures
Marque d’addition après IV 53 dans
les éditions parisiennes 1588. Les éditions ne
comportant pas cette indication leur sont
postérieures.
Marque d’addition après VI, 71 dans
l’édition Veuve N. Buffet, datée de 1561 mais parue
vers 1588. Les éditions des centuries I-VII ne
comportant pas cette indication lui sont
postérieures.
VI, 100. Ce quatrain n’est réapparu
que dans les éditions troyennes, à partir de 1638.
On ne connait pas d’édition antérieure à cette date
comportant ce quatrain. Il a du en exister. Le
quatrain est commenté dans le Janus Gallicus
(1594)
X, 101. Ce quatrain additionnel
numéroté 101 ou non, renvoie à l’année 1660, par un
processus de cryptogramme. Il ne figure que dans les
éditions parues à partir de 1643 et de la mort de
Louis XIII, ouvrant une nouvelle régence.
Avertissement latin, à la fin de la
centurie VI. N’a été réintroduit que dans les années
1590. Les éditions actuellement connues comportant
celui-ci lui sont antérieures.
Mention de 1606 ajoutée à 1585; les
éditions comportant une épitre à Henri II, avec
cette mention ne sont guère antérieures à 1600
Comme on l’a expliqué plus haut, ce
bréviaire ne vise pas à constituer une chronologie
compléte des éditions ayant existé mais qui n’ont
pas été conservées - ce que nous avons fait par
ailleurs. Il s’agit simplement de points de repéres
permettant d’éviter des erreurs grossières de
datation.
En conclusion une mise en garde : les
critères proposés valent pour les éditions
actuellement connues. Il n’est donc pas exclu que
pour des éditions non encore recensées, tel critère
puisse ne pas valoir. C’est pourquoi, il est
essentiel d’aborder l’ensemble des critères dans
chaque cas.
Annexe I : chronologie centurique et
néo-centurique résumée.
vers 1583 revival centurique marqué
par la reparution des quatrains mensuels, sous forme
de 12 « centuries » (cf Duverdier 1585). Cela
aboutit à des almanachs puisant dans ces quatrains
en les recyclant pour des années à venir.
vers 1586 Emergence d’un
néo-centurisme constitué de quatrains attribués à
Nostradamus mais en fait récupéré de l’œuvre d’
imitateurs des quatrains mensuels récemment publiés
.
A Parution de plusieurs centaines de
quatrains sous le titre de « Prophétie de
Nostradamus », sous une forme au départ non
centurique.
B Mise en place progressive d’un
premier « livre » de sept centuries et d’éditions
antidatées, à commencer par Pierre Roux 1555 (
disparue) avec préface à César, et sa réédition
Antoine du Rosne 1557 Budapest. Probable circulation
d’un ensemble de trois centuries favorables à Henri
de Navarre et introduit par une nouvelle mouture
datée de 1558 de l’Epitre de Nostradamus à Henri II
vers1593 mise en place par Benoist
Rigaud d’un ensemble regroupant le premier livre à
sept centuries et un deuxiéme « livre » de trois
centuries (VIII-X) retouchées (IX, 86), comportant
l’Epitre à Henri II déjà parue séparément. Parution
d’une édition 1558 antidatée, non conservée.
1594 le Janus Gallicus intégre
le centurisme à « centuries » de quatrains mensuels-
qu’il applique à d’autres années que celles
initialement prévues - et le néo-centurisme à deux
volets.
1600 Les éditons Rigaud se
réactualisent et changent d’échéance au profit de
1606, produisant de fausses éditions Rigaud 1568 ou
sans date (retouche du quatrain X, 91, avec mention
de 1609). Parallélement paraisssent les sixains de
Noel Léon Morgard. Nombreux quatrains ajoutés ou
retouchés.
A partir de 1642 (mort de Richelieu
et du roi l'année suivante) Développement du
troisiéme livret à Troyes, chez Chevillot puis chez
Du Ruau, avec intégration des sixains. .Parution
d’édtions antidatées ( fausses éditions lyonnaises
Rigaud 1568 ou sans date avec quatrain cryptogramme
à la fin de la centurie X, fausse édition Poyet
1627, fausse éditions 1605 et 1611 notons que 1611
Chevillot parait avant 1605 Du Ruau) comportent le
quatrain cryptogrammme pour 1660
La liste noire des éditions mal
datées des Prophéties
Sans tendre nullement à
l’exhaustivité, il nous a paru utile et instructif
de dresser une liste de quelques exemples d’éditions
conservées mal classées chronologiquement : on
notera qu’elles portent toutes le même titre,
Prophéties de M. Michel Nostradamus. Les éditions
portant d’autres titres ne sont en réglé générale
pas antidatées.
1555 Les Prophéties de M. Michel
Nostradamus, , Macé Bonhomme 1555
4 centuries. A dater autour de 1593
1557(A) Les Prophéties de M. Michel
Nostradamus, Lyon, Antoine du Rosne, 1557 (Bibl.
Budapest)
7 centuries. A dater autour de 1590.
1557 (B) Les Prophéties de M. Michel
Nostradamus (…) Adioustées de nouveau par le dict
autheur, Lyon, Antoine du Rosne, 1557 (Bibl.
Utrecht) A dater autour de 1593.
10 centuries (second volume manquant)
A dater autour de 1593, selon le modèle Benoist
Rigaud, 1568
1560 Les Prophéties de M. Michel
Nostradamus, (…) additionnées par l’autheur pour
l’an 1561 (…) à la dernière centurie , Paris, c 1560
1566, Les Prophéties de M. Michel
Nostradamus, adioustées de nouveau par le dict
Autheur, Lyon, Pierre Rigaud, 1566
A dater vers 1716 et plus
1568 Les Prophéties de M. Michel
Nostradamus, adioustées de nouveau par le dict
autheur, Lyon, Benoist Rigaud, 1568
1588 Les Grandes et Merveilleuses
Prédictions, divisées en quarte (sic) centuries,
Rouen, Raphaël du Petit Val,
A dater d’avant 1588, c 1586 , au
niveau de leur contenu.
1588 et 1589 Les Prophéties de M.
Michel Nostradamus, dont il y en a 300 qui n’ont
jamais esté imprimées. Jouxte la Copie, l’an 1561,
Paris,
A dater d’avant 1588, c 1587, au
niveau de leur contenu.
1605
Les Prophéties
de M. Michel Nostradamus (..) sur la copie imprimée à
Lyon par Benoist Rigaud. MDCV
Pas avant 1643, due au libraire
troyen, Pierre Du Ruau
1611 Les Prophéties de M. Michel
Nostradamus, Troyes, Pierre Chevillot
Pas avant 1643, due au libraire
Pierre Chevillot
1627 Les Prophéties de Me Michel
Nostradamus, adioustées de nouveau par le dict
Autheur, Lyon, Jean Didier
25 - Essai de Dictionnaire du nostradamisme
Nous organiserons notre « Dictionnaire »
autour de 8 entrées correspondant à des éléments
déterminants de la bibliographie centurique, en
procédant à une sorte de déconstruction en vue de
parvenir à une synthèse récapitulative et donc cyclique,
parvenant ainsi à une représentation radicalement
nouvelle par rapport aux représentations
biobibliographiques actuelles.
Chacune de ces entrées fera le point sur
l’état des recherches – et singulièrement des nôtres. La
formule alphabétique du « Dictionnaire » a certes des
inconvénients, en ce qu’elle est cloisonnante mais elle
nous permettra d’aborder le sujet sous autant d’angles
différents, quitte à ce qu’il y ait des redondances,
chaque entrée comportant, en tout état de cause, des
renvois aux autres. Bien évidemment, autour de chacune
des 8 entrées viendront se placer, se greffer, divers
dossiers qui seront mis à contribution d’une entrée à
l’autre, comme celui des éditions parisiennes sous la
Ligue ou celui de la traduction anglaise de 1672 par
Théophile de Garancières ou encore le cas des « Prophéties »
d’Antoine Couillard, de Noel Léon Morgard ou encore
d’Antoine Crespin. On s’intéressera notamment à
l’édition troyenne de Pierre du Ruau – à situer selon
nous après la naissance de la troisiéme génération
royale Bourbon (1638) ou à celle d’Antoine Besson (c
1690). Ce qui vient compliquer notre tâche tient au fait
que même parmi ces contrefaçons, toutes ne nous sont
point parvenues, ce qui est un autre défaut des
bibliographies signalées : non seulement, elles s’en
tiennent à la signalisation indiquée sur les pages de
titre – dont on verra à quelle point celle-ci est
suspecte et pas seulement au niveau des dates—mais
qu’elles se gardent bien de considérer la possibilité,
l’éventualité de chainons manquants, dont on peut
logiquement conclure à l’existence. C’est tout cela
qu’implique notre travail de restauration.
Selon nous, le
revival
nostradamique du milieu des années 1580 se sera
accompagné d’une certaine fréquentation d’une riche
bibliothèque de nostradamica,
avec notamment la découverte d’une épitre à Henri II,,
en tête des
Présages Merveilleux pour 1557, ce qui donnera l’idée d’une nouvelle
mouture de celle-ci.. L’an 1585 sera assez vite mis en
avant en tant que ligne de mire avant qu’il ne soit
remplacé, au fil du temps, par l’an 1606 sans toutefois
disparaitre totalement – on aura préféré un processus
additionnel. On sera donc passé d’une simple
récupération de textes oubliés ( le premier centurisme
constitué par les séries de quatrains mensuels, année
par année) à la fabrication, dans la foulée, de textes
antidatés venant cautionner l’émergence du
néo-centurisme constitué de centuries qui seront
présentées comme contemporaines des almanachs et
prognostications, si ce n’est que les vignettes qui
orneront leurs pages de titre diffèrent de celles de la
dite , production annuelle, du fait qu’elles sont
empruntées, par erreur, aux faux almanachs parisiens (Barbe
Regnault) paraissant au début des années 1560...
César (Préface à (1555)
Ce texte introduit le « premier volet ».
En fait, cette notion est tardive car on ne connait
d’abord qu’un seul ensemble qui s’est étoffé
progressivement jusqu’à atteindre, par étapes, sous la
Ligue, sept centuries. Mais la Préface figure déjà en
tête d’éditions comportant un moindre nombre de
centuries. En l’occurrence, les éditions parisiennes de
1588 semblent aller dans le sens d’une première version
à 4 centuries dont la Ive ne comporterait qu’une
quarantaine de quatrains.
Cette préface datée le plus souvent de
1555 est-elle parue cette année là comme le laisse
entendre l’existence d’éditions Macé Bonhomme indiquant
au titre cette année là ? Certes, l’on signale la
reprise de pans entiers de la dite préface au sein des Prophéties
dues à Antoine Couillard, seigneur du Pavillon, dès
1556, connu par ailleurs comme l’auteur de Contreditz
visant Nostradamus (1560). Ce document aura largement
servi à accréditer la thèse de l’authenticité de
l’édition Macé Bonhomme 1555, encore que certains points
du dit document apportent des éléments ne figurant pas
dans les éditions connues de la Préface, ce qui
s’expliquerait par le fait que l’état premier de la dite
préface ne nous est pas parvenu (cf notre post doctorat
2007). Nous soupçonnons qu’il puisse s’agir d’un faux,
paru en paralléle avec de fausses éditions antidatées, à
commencer par le titre qui évoque le nom sous lequel
parurent les centuries sous la Ligue, à Paris, titre que
l’on ne retrouve pas notamment dans les éditions
rouennaises de 1588-1589, intitulées Grandes et Merveilleuses Prédictions.
Que
Nostradamus ait pu, à la rigueur, rédiger une adresse à
son fils, au lendemain de la naissance de celui-ci, à la
fin de 1553, ne signifie pas que celle-ci ait été
imprimée à cette date. Cette préface annonce, en effet,
un «mémoire » qui ne pourra être compris par César que
par la suite. Mais ce n’est que dans la traduction
anglaise que l’on trouve cette formule, laquelle date de
1672. On pourrait croire à une erreur de traduction s’il
n’était paru encore plus tardivement le texte français
d’origine (chez le libraire lyonnais Antoine Besson,
dont la période d’activité se situe dans la dernière
décennie du XVIIe siècle). Rappelons que le texte « classique »
comporte la forme « délaisser mémoire » qui a rarement
été compris comme renvoyant à un document, voire à un
testament. Nous avons émis l’hypothèse d’une influence
de l’Epistre
des Champs Elysées
(faisant partie des
Epîtres Familières
du Traverseur)
campant Henri VII
d’Angleterre, parue chez Macé Bonhomme, à Lyon,
s’adressant d’outre tombe à son fils Henri VIII..
Un
autre exemple concernant un point relevé par Couillard :
Epître des Champs Elysées :
“... m’ont excité t’envoyer promptement, mon très cher
fils,
cette présente Epître. Pour mettre sous les
Martiaux
arroys”
Préface à César :
“Ton tard advènement César Nostradame mon
fils (...) tes mois
Martiaulx... »
. Le texte de la Préface tel qu’il figure
dans le canon centurique est fort défectueux en
comparaison du texte Besson, aussi tardif fût-il. Cette
version correspond probablement à la première édition-
perdue - des premières centuries qu’il faut situer
autour de 1586. Il est remarquable qu’un texte aussi
lacunaire et défectueux ait été ainsi indéfiniment
reproduit. Les nostradamologues anglophones ont la
chance de bénéficier d’une version plus satisfaisante de
la dite Préface.
Etant donné que cette préface devait être
initialement la possession du dit César, cela laisse
d’ailleurs présupposer que le dit César joua un rôle non
négligeable dans le revival du nom de son père et qu’il
confia l’épître que son père lui avait laissée à des
libraires, de façon à conférer aux quatrains centuriques.
leurs lettres de noblesse. Jean Aimé de Chavigny cite le
nom de César dans son introduction au Janus Gallicus.
Mais nous défendons depuis peu une
position plus radicale quant à la composition de la
dite Préface. Nous ferons remarquer que le nom de César
n’apparait que dans les Prophéties
du Seigneur du Pavillon (cf fol 8 verso) et encore pas
comme le destinataire d’une Epitre « épouvantable » mais
en passant « et ne veux taire les ans de César son fils ».
Il est notamment absent de la Déclaration
de Videl de 1558 laquelle s’en prend pourtant à un texte
qui recoupe celui de Couillard et celui de l’Epitre à
César, cela viendrait confirmer que le personnage de
César n’était pas au centre de l’Epitre et donc un
commentateur pouvait ne pas s’y référer. On peut
raisonnablement supposer que ce n’est que dans un
deuxiéme temps que l’on aura placé César au centre du
texte lorsqu’il sera utilisé au sein du recueil
centurique. Notamment, les lignes introductrices de la
Préface centurique « Ton tard avénement » ne trouvent
pas d’écho chez Videl ou chez Couillard, elles auront
été ajoutées lors de la refonte du texte. Au demeurant,
le fait d’avoir par la suite placé César comme
destinataire aura contribué à inscrire ce texte dans la
dynamique de ce que nous appelons le prophétisme
régentiel, qui implique la présence d’un prince n’ayant
pas encore atteint l’âge de régner.
Il nous apparait que la première
occurrence de la Préface à César en tant que texte
s’adressant directement à César dans sa présentation, a
du être dans un contexte qui se voulait posthume. Le
premier scénario- suivi il est vrai de bien d’autres-
fut probablement – mais on n’a pas l’édition d’origine
comme semble l’attester l’émergence au XVIIe siècle d’un
état plus satisfaisant de la dite Préface- que cette
préface en quelque sorte posthume de Nostradamus, même
si elle était rédigée en 1555 mais comme le serait un
testament spirituel – était ainsi divulguée pour la
première fois –vers 1586- 1587 accompagnée d’un certain
nombre de « centuries », probablement 300 quatrains car
la Ive centurie est un appendice qui aura été rajouté
peu après- On connait les états successifs des dites
éditions en examinant notamment les éditions parisiennes-
dont la date au titre n’est pas forcément la bonne – car
elles semblent avoir cette fois été postdatées -
précédées de la dite préface –en faisant abstraction de
la page de titre qui nous induirait en erreur- nous
avons 5 centuries pleines (avec la Ive complétée) et
l’esquisse d’une centurie VI qui joue à son tour le rôle
de la centurie IV (et annonce celui de la centurie VII),
avec 71 quatrains. Cette centurie VI sera à son tour
complétée, puis suivie à nouveau d’une addition
constituant la centurie VII (Ed. de Rouen, tronquée (on
ignore le nombre de quatrains à la VII dans l’édition de
1589 et d’Anvers 1590, à 35 quatrains à la VII).
A quel moment vint l’idée de réaliser des
éditions du premier volet carrément datées de 1555,
abandonnant dès lors le scénario de la divulgation
posthume ? On sait que ce sera chose décidée en 1590 au
vu de ce qui est indiqué dans l’édition St Jaure
d’Anvers mais déjà les pages de titre des éditions
parisiennes – pas celles de Rouen d’ailleurs- se
référent à une édition augmentée pour l’an 1561. Mais
selon notre thèse, leur contenu est plus ancien que leur
titre. Nous aurions donc tendance à penser que la
fabrication des éditions parisiennes –titre exclus- est
sensiblement antérieure à celle des éditions de Rouen
1589 et Anvers 1590. La preuve en est que la centurie IV
des éditions parisiennes comporte mention d’une addition
alors que l’édition de Rouen 1589 ne mentionne pas cette
addition- et ce bien qu’il existe une édition Rouen 1588
à seulement quatre centuries - et présente la Ive
centurie comme étant d’un seul tenant. Il y a là une
manipulation qui ne fait évidemment qu’ajouter à la
confusion de la chronologie bibliographique. On conclura,
assez raisonnablement que les deux années –en gros- qui
précédèrent 1588 virent paraitre les dites éditions « parisiennes »
mais en fait elles ne parurent pas nécessairement chez
les dits libraires parisiens qui se contentèrent peut
être d’y apposer une page de titre permettant une post-datation
à des fins purement d’écoulement de stocks. C’est peut
être un tel déguisement qui leur aura permis de parvenir
jusqu’à nous.
Quid donc de cette première édition
rouennaise datée de 1588, chez le même libraire ? Un
écart important, au niveau du contenu sépare ces deux
éditions. La première édition rouennaise nous semble en
effet se situer bien plus haut dans la chaîne des
éditions avec une centurie iV qui n’atteint même pas les
53 quatrains. Là encore, on assisterait à un phénomène
de post-datation, qui génère une forme d’anachronisme.
Il s’agirait d’une réédition d’une édition plus ancienne,
puisqu’elle précéderait par son contenu celui des
éditions « parisiennes » de la Ligue. Rapidement, le
libraire rouennais aurait rattrapé l’écart avec le
nouvel état des centuries, d’où la faible marge de temps
entre les deux éditions.
Il nous apparait que ce texte introductif
de l’ensemble du « recueil » prophétique aura joué un
rôle plus déterminant pour la fortune des Centuries que
nous ne le pensions. Il convient en effet de le resituer
dans le cadre de ce que nous appellerons le prophétisme
régentiel. Dans Le Texte Prophétique en France ainsi que
plus spécifiquement dans un article consacré à
l’existence d’une tradition prophétique (site du CURA)
se perpétuant sur plusieurs siècles, du XVIe au XVIIIe
siècles, et qui explique le processus et la chronologie
des rééditions, nous avions observé à propos, non pas
des Centuries mais du Mirabilis Liber et de ses suites,
que le fait qu’à plusieurs reprises la France ait connu
des rois orphelins de père en très jeune âge (Charles
IX, Louis XIII, Louis XIV, Louis XV) fut l’occasion de
faire reparaître le Recueil des Prophéties et
Révélations Modernes, repris du dit Mirabilis Liber. Le
dit Recueil sera associé au XVIIe siècle avec les
Centuries, dans les éditions se présentant comme
troyennes (Chevillot, Du Ruau)/ Mais nous avions négligé
de relier la préface à César avec le phénoméne régentiel.
Or, cette Préface s’adresse à un enfant né tardivement –
c’est le sens même des premières lignes et en y
réfléchissant, une telle entrée en matière n’était
probablement pas tout à fait fortuite et pouvait bel et
bien se référer à une situation allant au-delà du cas de
César, dont le prénom se préte évidemment à une
transposition princière. De là à se demander à quelle
date parut un tel texte : est-ce que ce texte aurait pu
être diffusé – en dehors du contexte centurique plus
tardif – dès 1561, lors de la régence de Catherine de
Médicis ? Ce qui est certain, c’est que la thèse d’une
première apparition sous la Ligue ne fait guère sens, du
moins à notre connaissance, au regard du dit prophétisme
régentiel. Il est plus probable que ce texte aura été
repris dans l’ensemble centurique dans les années 1580.
Cette année 1561 n’est d’ailleurs pas sans intérêt au
regard de la chronologie des Centuries : c’est justement
sous la Ligue qu’il est fait référence à l’année 1561
dans le titre même des éditions parisiennes. » revues &
additionnées par l’autheur pour l’An mil cinq cens
soixante & un de trente neuf articles ». (cf RCN, p
123). On sait aussi que les quatrains de l’almanach de Nostradamus
pour 1561 seront utilisés à la fin des dites éditions
(1588-1589). Une autre édition carrément datée de 1561,
et comportant donc la préface à César, mentionne en son
titre 38 et non 39 articles (cf. catalogue de la
librairie Thomas Schelert, 2010). C’est dire qu’il y a
une certaine polarisation sous la Ligue vers l’an 1561,
année de début de régence. On peut supposer que les
éditeurs parisiens aient récupéré la dite Epître à César,
datée de 1555, dans une publication nostradamique liée à
la dite année. Le texte attesté dès 1556 et 1558, en
tête de « vaticinations perpétuelles » axées sur l’an
3797, donnée reprise tant par Couillard que par Videl,
et que l’on ne retrouve pas dans le corps des Centuries,
ce qui révéle un certain hiatus entre l’épitre et ce qui
lui est adjoint même si par ailleurs, l’on trouve
certaines expressions communes entre les deux documents
mais qui ont pu être ajoutés soit à l’un, soit à l’autre
pour donner le change - aurait pu être remanié pour être
cette fois centré sur César et c’est ce texte (associé
cette fois à 1561 et à la régence de Catherine de
Médicis) qui aurait été utilisé sous la Ligue pour
introduire les Centuries prophétique. Ce recentrage, on
l’a dit, aura sensiblement contribué à la fortune des
Centuries au long XVIIe siècle marqué par trois régences
(1611, 1643, 1716). C’est en effet en 1716, au lendemain
de la mort de Louis XIV, que vont paraitre les fausses
éditions Pierre Rigaud 1566 qui elles-mêmes ont un
caractère posthume qui correspond bien au sens de
l’Epitre « espouventable » (Couillard) sous sa forme
remaniée et en quelque sorte « régentisée ».. Il
convient bien entendu de se référer à la première
mouture de la Préface à César, celle qui ne nous est
connue que par les éditions du XVIIe siècle et notamment
celles d’Antoine Besson, dans les années 1690. On ne
connait pas le contenu de la préface en tête de
l’édition de Raphaël du Petit Val,, Rouen 1588, qui
comporte un état très ancien des quatrains sous une
forme non encore divisée en centuries, en dépit de leur
titre (cf les éléments fournis par D. Ruzo dans son
Testament de Nostradamus), aucune description de la dite
préface ne nous étant parvenue et l’édition elle-même
étant présentement inaccessible et notamment absente du
site propheties.it.
Henri Second (Epître à (1558)
A la différence de la Préface à César,
qui en tant que telle n’a probablement jamais existé du
moins en tant que pièce dédiée au dit César, il
apparaitrait que Nostradamus aurait publié une adresse à
Henri II, en tête des Présages Merveilleux
pour 1557, que nous avons reproduite pour la première
fois dans son intégralité (Documents
inexploités sur le phénomène Nostradamus,
Feyzin, Ed. Ramkat, 2002). L’épître figurant en tête de
ce qu’on nomme habituellement le second volet des
Centuries a été sensiblement retouchée, sa date n’est
plus de l’année 1556 mais de l’année 1558, elle comporte
un référence à la Préface à César, censée lui être
antérieure puisque datée de 1555. Rappelons que ce
second volet annonce la victoire de la maison de Vendôme
(Bourbon) sur celle de Lorraine(Guise) et même le
couronnement de Chartres.
Nous avons, pour notre part, émis
l’hypothèse selon laquelle les Significations de l’Eclipse
de 1559 ; constituée en fait d’une longue épître à
Jacques-Maria Sala, et datée d’août 1558- alors que
l’épître dédiée à Henri Second est datée de juin de la
même 1558 - auraient pu constituer la première épître au
second volet. Ce qui est plus que probable en tout cas
est le fait que ces Significations,
parues chez Guillaume Le Noir, à Paris, dont la page de
titre nous apparait comme calquée sur la Pronostication pour 1558, sont une contrefaçon.
Nous pensons que l’Epitre centurique, à
Henri II, du moins telle que nous la connaissons n’a pu
être imprimée que dans le cadre d’une édition à 10
centuries, du fait même qu’elle cite la Préface à César.
Signalons que la première Epitre à Henri II, de 1556, ne
signale aucunement de préface à César. Pendant la guerre
civile, il était hors de question de citer la préface à
César qui ouvrait le « premier » volet ligueur. L’Epitre
à J-M. Sala ne prête pas le flanc à une telle critique.
Le second volet devait initialement ne
pas être numéroté de VIII à X, mais de I à III. Ce n’est
que lors de la réunion des deux ensembles qu’une
numérotation suivie fut établie.
Selon nous, la réalisation de cette
Epitre, datée désormais de l’Eté 1558, ainsi remaniée,
fut tardive, lorsque parut ce que nous appelons
l’encyclopédie troyenne des prophéties, autour de 1605.
Sa présence dans les éditions Benoit Rigaud 1568
souligne le caractère antidaté de telles éditions.
Le texte de l’Epître à Henri II est,
comme celui de la Préface à César, quelque peu
défectueux, si on le compare à l’édition anglaise de
1672 et à l’édition Antoine Besson.
Nous connaissons certaines sources des
quatrains propres au second volet, grâce à Chantal
Liaroutzos qui, en 1986, signala les emprunts à la
production géographique de Charles Estienne. Cette fois,
ce que nous voulons signaler, ce n’est pas tant la
corruption du texte, par quelque inadvertance ou
désintérêt de comprendre et de corriger éventuellement,
qu’une stratégie consistant à retoucher un texte en soi
insignifiant, à savoir des listes de noms de lieux, dans
un périmètre assez restreint pour faire passer quelque
message par certains quatrains. Le quatrain IV, 86
représente, parmi d’autres, une telle démarche en
changeant le nom de Chastres en Chartres et en en
faisant le quatrain annonciateur du couronnement d’Henri
IV non pas à Reims mais à Chartres. On a relevé d’autres
exemples dans la centurie VIII comme le 53e
où le
deuxième verset « Sera serré la puisnay de Nancy »,
laquelle ville est celle de l’ennemi dynastique – la
maison de Lorraine qui se prétend d’origine
carolingienne et ayant des droits à ce titre à la
couronne de France- est décalé par rapport aux autres
versets traitant de l’Italie. De même Avignon, cité de
l’ennemi pontifical, apparait-il, dans VIII, 52, alors
que l’on traite des villes de la Loire. :
Les
centuries introduites par l’Epitre à Henri Second sont
en elles-mêmes une compilation de divers quatrains ayant
circulé séparément. On en a la preuve du fait que
certains quatrains sont fournis en « clair » et d’autres
sont cryptés, ce qui ne ferait pas sens au sein d’un
même ensemble, sinon dans une perspective compilatoire
forcément plus tardive. On y trouve d’une part des
anagrammes, des abréviations et de l’autre des quatrains
qui donnent la clef de ces codes : Norlaris mais aussi
Lorraine, Mendosus mais aussi Vendôme, Par Car Nersaf,
mais aussi Cardinal de France.
Si nous sommes assez bien renseignés sur
la génése des sept premières centuries que nous avons vu
se mettre en place très progressivement au cours des
années 1580, en revanche, nous ne savons quasiment rien
sur la formation des trois dernières.
Nous n’en avons sommes toutes qu’un seul
et unique état, étant donné qu’elles se présentent d’un
seul bloc de 300 quatrains, sans addition ni suppression
aucune : contraste saisissant. D’ailleurs, l’on sait que
l’idée d’un ensemble de 300 prophéties est également au
cœur du premier volet, si l’on en croit du moins
certains titres (Rouen 1589, Anvers, 1590, Antoine du
Rosne, 1557 etc ). Toutes traces d’états successifs
semblent avoir disparu. Les éditions sont aussi lisses
que les éditions néo-centuriques antidatées, à part
quelques mots manquants ici et là dans telle ou telle
édition. Mais la mise en évidence de certaines sources
nous donne un peu de perspective. C’est ainsi que le
quatrain IX, 86 a certainement été retouché dans un
deuxiéme temps, Chastres devenant Chartres à l’approche
du couronnement d’Henri de Navarre, à partir des
emprunts à Charles Estienne. .On pourrait éventuellement
trouver des variantes entre le texte tel que figurant
chez Crespin et dans les Centuries VIII, IX, X. On
reléve des dates appartenant au début du XVIIe siècle
comme 1609, quatrain X, 91, lequel quatrain se trouve
donc à la fin de l’ensemble, et l’on sait, au regard du
premier volet, que cette position est stratégique et
correspond à des additions tardives.
Clergé Romain l’an mil six cens & neuf
Au chef de l’an feras élection
D’un gris & noir de la Compagne yssu
Qui onc ne feut si maling (compagnon)
Or l’on sait que l’Epitre à Henri II
s’articule sur de telles années, passant de 1585 à 1606.
Il est possible que les quatrains aient suivi le même
parcours. Il est clair que sous Henri IV, certains
développements consacrés à la période de la Ligue sont
quelque peu « périmés » au niveau prophétique, comme
pour IX, 50.. La question pontificale et avignonnaise
(VIII, 38 et VIII 52 avec un verset récurrent « Roy de
Bloys dans Avignon regner » ) semble l’avoir emporté sur
les enjeux dynastiques.
Décidément, le quatrain X, 91 ne cesse de
retenir notre attention. Dans quelle mesure neuf rime
–t-il avec yssu ? Ne peut-on soupçonner un premier vers
retouché ou carrément remplacé et l’interpolation de
l’année 1609 ? Que penser des éditions comportant cette
référence aux années 1606-1609 ? Rappelons que les
sixains sont également marqués par ces mêmes années, ce
qui met X, 91 en synchronie avec un grand nombre de
sixains morgardiens qui se contentent des centaines (En
l’an six cens etc): Si l’on considére les deux derniers
quatrains de ce second volet (X, 99 et 100) , il est
question de l’Angleterre (100) et du Loup (99). Or, la
clef des sixains morgardiens nous indique que le loup,
c’est l’Anglais. C’est ainsi que le sixain 50 se
présente ainsi : Un peu devant ou après l’Angleterre/
Par mort du loup, mise aussi bas que terre. On ne
saurait exclure qu’il y ait eu des clefs accompagnant ce
lot de quatrains.
En ce
qui concerne les sources de l’Epître au Roi, nous
suggérerons la première édition du
Mirabilis Liber
(Paris, 1522) qui comporte en latin une Epitre au Roi de
France –Ad Serenissimum Gallorum regem etc- ,
vraisemblablement François Ier qui venait d’échouer dans
sa candidature à l’Empire (1519) face à Charles Quint
mais il est possible que ce texte n’ait été intégré
qu’ensuite au sein du
Mirabilis Liber.
On notera que dans les éditions suivantes (datées de
1523 et au-delà) du
Mirabilis Liber,
l’adresse au Roy de France a été tronquée comme si elle
n’était plus de circonstance.
On peut penser que certaines éditions remaniées parurent
au lendemain de Pavie tout en conservant la présentation
d’origine, ce qui en fait des éditions antidatées.
Marnef apparait comme ayant publié tant l’édition 1522
et l’édition 1523, modifiée, François Ier n’était plus
alors ‘invictissime » et on était passé sous une régence.
Dans le cas d’Henri II, on a gardé la forme fatteuse
d’origine car cela se fit bien après sa mort..
Que l’on juge donc de la similitude au
sein d’un texte prophétique antérieur appartenant aux
années 1540
Mirabilis Liber (1522) Invictissime
princeps inter Christianos
Epitre à Henri Second : « A
l’Invictissime, très puissant &Tres Chrestien et très
souverain Roy »
Le Livre II est consacré à l’Eglise (cf
notamment le chapitre IX du Mirabilis Liber
et sa traduction française ). Or la dite Eglise est bien
représentée dans l’Epitre à Henri II notamment autour de
la date de 1792.
Rappelons que la Préface à César a pu
elle aussi etre influencée par le Mirabilis Liber,
du fait de son emprunt au Compendium de Savonarole qui se trouve reproduit
dans le dit recueil. On peut en effet supposer qu’à un
certain stade additionnel, les mêmes sources ont pu
servir pour les deux épîtres.
Henri IV (Epître à (1605 )
Cette troisième épître, datée de 1605, et
signée Vincent Scève, introduit ce que l’on pourrait
appeler un troisième volet mais il semble exclu que
celui-ci et l’édition qui le comporte, appartienne à
cette année. C’est l’existence même d’une telle épitre
qui aura donné lieu à une édition antidatée (d’une
quarantaine d’années) pour la même année 1605, . Elle
est placée avant les sixains. Nous avons retrouvé ces 58
sixains, imprimés sous le nom de Noël Léon Morgard. Il
existe d’ailleurs un manuscrit comportant un plus grand
nombre de sixains . Le seul fait qu’il s’agit et de
sixains et non de quatrains a généré un consensus des
nostradamologues pour l’exclure du canon nostradamiqe, à
la demande d’ailleurs, dès 1656 du dominicain Jean
Giffré de Réchac, dans son Eclaircissement des véritables
quatrains.
En fait, ce qui fait problème dans ces 58 sixains, c’est
leur excès de précision qui devient suspect. Ce qui tend
à montrer qu’il existe quand même quelque limite à la
crédulité. Il reste que l’on ai tenté de voir dans les
58 sixains une tentative pour compléter la septiéme
centurie, qui dans nombre des ses versions, est à 42
quatrains.
Cette édition à trois volets constitue
une tentative de rassemblement systématique, selon nous
d’origine troyenne, de tout ce qui comporte, de près ou
de loin, un caractère nostradamique. On y retrouve
notamment les Présages, issus des almanachs de
Nostradamus mais aussi quelques quatrains des éditions
ligueuses non retenus dans les éditions à deux volets.
Le texte de cette épître mérite qu’on s’y
arrête car il nous semble emblématique plus que celui
des deux autres. Il se réfère notamment à l’idée selon
laquelle on aurait découvert à la mort de l’auteur
divers documents. Il représente donc la thèse d’une
parution « posthume » d’au moins une partie des
Centuries et de la mise sur le marché d’une succession
de pièces qui sont intégrées tour à tour, au fur et à
mesure, dans le « canon ».
Avec cette épître, nous pénétrons dans le
monde du nostradamisme troyen qui joua un rôle
absolument déterminant tant dans la conservation
d’éditions antérieures, notamment celles de la Ligue,
que dans la troisième génération d’impressions
antidatées, ce qui concerne l’édition Macé Bonhomme
1555, l’édition Antoine du Rosne 1557 (Utrecht) et
l’édition Benoist Rigaud 1568.
Rappelons que c’est tout le second volet
qui fut mis au service de la cause du Bourbon réformé et
que le dit volet ne sera adjoint au premier, que dans le
cadre des éditions troyennes. Et ce second volet est
suivi de la dite Epître à Henri IV
Henri
IV nous apparait comme se plaçant au cœur du second
volet centurique, non seulement pour la période
d’accession au trône de France (cf le quatrain IX, 86)
mais pour la période correspondant aux dix dernières
années de son régne. (cf quatrain X, 91, sur l’an 1609).
Il conviendrait d’étudier notamment la
Mission de Christophe de Harlay Comte de Beaumont (1602
- 1605) : L'Ambassade de France en Angleterre sous Henri
IV
de Pierre Laffleur de Kermaingant, Paris, Didot, 1895,
étant donné le dernier quatrain de la Centurie X : « Le
grand empire sera par Angleterre (…) Les Lusitains n’en
seront pas contens. »
Macé Bonhomme (Edition 1555)
Si l’on en croit l’édition du libraire
anversois François de Saint Jaure, il aurait existé une
édition à 7 centuries datée de 1555. Cette édition Macé
Bonhomme est la seule qui comporte une permission
d’imprimer en bonne et due forme.
Etrangement, elle ne comporte en son
titre aucune indication de contenu, à la différence de
l’édition à 4 centuries parue à Rouen en 1588 et qui
comporte quelques quatrains en moins à la Ive centurie.
Celle-ci signale qu’elle comporte « quarte (sic)
centuries ». Elle serait antérieure par son contenu à
celle réalisée au nom de Macé Bonhomme.
En 1588, les éditions ligueuses
parisiennes se référent implicitement à une édition à 53
quatrains à la Ive Centurie. Or, une telle marque ne
figure plus dans les éditions Antoine du Rosne (qui
reprennent une édition 1555 à sept centuries (cf supra)
lesquelles comportent une quatrième centurie complétée.
Ce qui nous conduit à situer la fabrication de ces
éditions après 1588.
La vignette de cette édition est
probablement tardive –elle a 53 quatrains à la IV, ce
qui n’est pas encore le cas de Rouen Petit Val 1588, car
elle correspond non pas à celle de la première édition
Antoine du Rosne (Budapest) mais à celle sensiblement
plus tardive à deux volets.(Utrecht)
Il est probable que la première édition
des Centuries n’ait pas comporté 353 quatrains mais 349,
si l’on tient compte de l’édition de Rouen, 1588 à 4
centuries. Le quatrain IV, 46 ne figure pas dans
l’édition de 1588 alors qu’on le trouve dans l’édition
1555. Or, ce quatrain vise Tours et la Touraine, au
centre du camp des partisans d’Henri IV
Mais l’édition rouennaise à « quarte »
(sic) centuries, de 1588, comportant la préface à César
de 1555, ne se présentait pas comme parue du vivant de
Nostradamus. Le lecteur comprenait que si la préface
avait été rédigée en 1555, elle avait du rester, jusqu’à
ce jour, parmi les papiers de Michel de Nostredame.
César en 1588 est âgé de 35 ans environ.
Cette édition Macé Bonhomme représente
dans l’imaginaire des nostradamologues le premier état
des Centuries. C’est une idée qu’il importe de dénoncer,
notamment en raison du recours à des mots en capitales
dans les quatrains que l’on retrouve dans les éditions
Antoine du Rosne 1557 Utrecht ainsi que dans les
diverses éditions Benoist Rigaud 1568 mais qui ne
s’observe ni dans les éditions Rouen, Paris, Anvers
1588-1590 ni dans l’édition Antoine du Rosne 1557
Budapest. Une telle pratique des capitales est également
propre au Janus Gallicus.
Nous avons signalé à plusieurs reprises
la non-conformité entre le titre et le contenu d’une
édition –cela vaut pour les éditions parisiennes de la
Ligue tout comme pour les éditions Benoist Rigaud mais
cela vaut aussi pour ces éditions Macé Bonhomme 1555 à
quatre centuries. En fait, le titre de cette édition ne
donne pas la moindre information quantitative à la
différence de l’édiition de 1588, Rouen, Raphaël du
Petit Val qui précise qu’elle comporte 4 centuries. Il
reste que cet intitulé s’inscrit, en quelque sorte, par
avance- si l’on s’en tient aux titres sinon aux contenus-
dans une série à trois stades, le deuxiéme stade
annonçant 3 centuries de plus et le troisiéme encore une
addition de 3 centuries. Tout se passe comme si par
avance – puisque l’on sait que ces éditions ont été
réalisées après coup – on faisait abstraction d’une
quatriéme centurie vouée à terme à se fondre dans le
deuxiéme ensemble de 3 centuries. L’intitulé rouennais
en prend, par comparaison, toute sa valeur car il semble
bien ainsi correspondre à un premier projet centurique
qui aurait pu en rester là si, du fait du succès de
l’entreprise, il n’avait pas, tout comme dans le cas
d’un film, génère des « sequels »,
on devrait alors numéroté ces éditions, Centuries I,
Centuries 2, Centuries 3 et ainsi de suite.
Un trait remarquable de cette édition qui
montre qu’elle est marquée par les années 1590 et au-delà
est la présence de nombre de mots en lettres capitales
et ce dès les premiers quatrains de la première centurie,
notamment BRANCHES (I, 2) ce qui est un code qui revient
dans tout ce qui touche à Chavigny, l’éditeur du Janus Gallicus
(1594) et que l’on retrouve dans les éditions Benoist
Rigaud 1568. En revanche, cette pratique n’est attestée
ni dans les éditions ligueuses (1588-1590, Paris, Rouen,
Anvers) ni dans l’édition Antoine du Rosne 1557( Bib.
Budapest). Ce facteur n’est pas signalé dans les
bibliographies nostradamiques.
Antoine du Rosne (Editions 1557-1558)
Les éditions 1557 ne seraient que des
rééditions d’une édition à 7 centuries datée de 1555,
référée en 1590 dans l’édition Saint Jaure (Anvers) à 7
centuries.
On connait deux éditions qui différent à
plus d’un titre et dont nous pensons qu’elles ne sont
nullement contemporaines l’une de l’autre. Certes, ce
libraire a bien existé, d’ailleurs, comme tous les
libraires choisis pour avoir publié quelque édition des
Centuries. On a récemment signalé (catalogue Thomas
Scheler) l’existence d’une pronostication de Sconners
parue chez Antoine du Rosne, et comportant une vignette
assez proche, mais tout de même distincte, de celles des
éditions du Rosne des Prophéties.
Leurs vignettes notamment différent assez
nettement, bien qu’ayant un air de famille. L’exemplaire
d’Utrecht est évidemment plus tardif – ou en tout cas
voulu tel- que l’exemplaire de Budapest. Il serait la
première édition de l’édition Benoist Rigaud à dix
centuries alors que l’exemplaire Budapest est conçu sur
le modèle des éditions à un seul volet. On n’en a
conservé que le premier volet.
Ces éditions Antoine du Rosne à 7
centuries seraient logiquement postérieures à l’édition
1560 qui annonce en son titre une addition à la « dernière
centurie ». Cela nous semble témoigner d’un revirement.
Le cas de la
Paraphrase
de Galien est intéressant en ce qu’il comporte la même
vignette que les Prophéties censées être parues chez le
même libraire. On en connait deux éditions
respectivement datées de 1557 et 1558. Nous ne pensons
pas que cet ouvrage soit paru à cette époque pas plus
que les Prophéties d’ailleurs.
L’exemplaire Du Rosne Utrecht est d’un
enseignement appréciable – on retrouve cela dans les
éditions Benoist Rigaud 1568- par la présence à la fin
de la Vie centuries un appendice d’une quarantaine de
quatrains séparée de la centurie VI d’un avertissement
latin. Nous pensons que cela témoigne d’une édition,
perdue, à six centuries, dont les éditions ligueuses en
leur titre signalent une addition à la dernière centurie.
On notera qu’aucune édition par la suite n’indiquera une
quelconque addition de ce type, alors même qu’elle
comporte une Centurie VII, donc adjointe à la VI.
Si l’édition Antoine du Rosne Budapest
appartient aux ateliers de contrefaçon des années 1580,
l’autre édition Du Rosne-Utrecht est plus tardive d’une
vingtaine d’années et comporte un second volet. Il est
intéressant de noter à quel point l’absence d’une pièce
du dossier peut influer sur les représentations. Cette
édition Du Rosne 1557 Utrecht, inconnue d’ailleurs des
bibliographes comme Ruzo, Chomarat et Benazra
(1982-1990) et par ailleurs incomplète, eut-elle émergé
plus tôt et dans son intégralité (mais la page de titre
atteste déjà en soi de l’existence d’un second volet),
aurait relativisé l’importance de l’édition Benoist
Rigaud 1568.
Il nous faut resituer l’émergence de
l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest. Elle
correspond à un deuxième temps de ce que nous avons
appelé la deuxième génération de contrefaçons. La phase
1 est celle correspondant en gros à Barbe Regnault et à
ceux qui gravitent autour d’elle, dans les années
soixante. Elle ne s’occupe aucunement des centuries,
lesquelles ne sont pas encore en circulation. En
revanche, elle modifie éventuellement l’ordre des
quatrains des almanachs, leur donnant l’apparence d’une
nouvelle production ; c’est un pas vers la fabrication
de quatrains totalement inédits. La phase 2-
correspondant aux années 1584-1594- comporte trois
temps : le premier est celui correspondant à la thèse
d’une émergence non seulement posthume mais tardive des
Centuries, introduite par une préface de Nostradamus à
son fils ainsi qu’au contenu (mais pas au titre) des
éditions parisiennes mais aussi, antérieurement, à celui
de l’édition de Rouen à 4 centuries, toutes ces éditions
– ayant été postdatées à 1588. Le deuxième temps est
celui des antidatations censées parues du vivant de
Nostradamus avec probablement une édition (non retrouvée)
à six centuries, clôturée en 1561 par d’ultimes
additions à la Vie et « dernière » centurie. Puis
succède un troisième temps de cette même deuxième
génération avec la production d’éditions à 7 centuries
datées de 1555 (non retrouvée mais signalée en 1590 dans
l’édition d’Anvers) et 1557. Ces éditions ne
correspondent évidemment pas au scénario d’un processus
ne se terminant pas avant 1561. Plus question
d’additions successives, toutes les marques d’ajouts
sont évacuées : on est avec l’édition Antoine du Rosne
1557 Budapest, probable réédition – toujours dans le
cadre d’une chronologie fictive- de celle de 1555 à 7
centuries.
L’absence de mots en capitales indique
selon nous que l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest
appartient à une génération plus ancienne que celle des
éditions Macé Bonhomme 1555 et Antoine du Rosne 1557
Utrecht. Le fait de mettre certains mots en capitales
avait probablement pour objet un certain message. Etant
donné que l’on trouve cette pratique dans les deux
volets de l’édition Benoist Rigaud, il s’agit là d’un
procédé qui n’est apparu que tardivement, probablement
au tout début du XVIIe siècle.
Il ne fait pas de doute que l’édition
1557 Utrecht s’inspira de l’édition 1557 Budapest. On y
retrouve la même faute au titre :: « dont il en y a «
au lieu de «dont il y en a », ce qui sera corrigé dans
les éditions Benoist Rigaud 1568, avec le même intitulé.
Cette faute, elle-même, est observable dans les éditions
Rouen 1589 et Anvers 1590. La similitude entre le
contenu d’Anvers 1590 – la fin de Rouen 1589 est
tronquée et Antoine du Rosne Budapest est flagrante, si
ce n’est un supplément de 4 quatrains à la VII. Or,
cette édition d’Anvers n’a pas pour titre « Prophéties »
mais « Grandes et merveilleuses prédictions » tout comme
l’édition à 4 centuries, Rouen 1588, ce qui confère à ce
titre plus long une certaine antériorité. L’idée
d’appeler « Prophéties » ces Centuries pourrait n’être
venue que dans un deuxiéme temps, ce qui désamorcerait
l’argument selon lequel la production de « Prophéties »
- et donc de centuries – serait attestée du temps même
de Nostradamus. Non pas qu’il n’y ait pas eu de « Prophéties »
de Nostradamus à cette époque, comme cela semble bien
attesté par les recherches de Gérard Morisse, mais cela
ne désignait très vraisemblablement pas les Centuries et
pour cause..
Il y a certainement une « filiation »
entre les éditions rouennaises et l’édition Antoine du
Rosne 1557 Budapest. En ce qui concerne la « seconde »
édition antoine du Rosne (Utrecht), le lien avec les
éditions rouennaises (ou anversoises) peut n’avoir
existé qu’indirectement, de par l’utilisation de la dite
édition Du Rosne-Budapest.
Ce qui distingue ces deux éditions tient
notamment au fait que l’exemplaire Budapest ne recourt
pas aux mots en lettres capitales alors que l’exemplaire
Utrecht pratique ce code initié, vraisemblablement, au
milieu des années 1590, notamment dans le Janus Gallicus
de Chavigny.
Barbe Regnault (Edition 1560) et les
contrefaçons des années 1580/
Cette libraire publia du vivant même de
Nostradamus des almanachs contrefaits comportant une
vignette ressemblant d’assez loin à celle des vraies
Pronostications de cet auteur. On notera ce passage de
l’iconographie des pronostications vers celle des
almanachs lesquels, chez Nostradamus, n’ont pas droit à
la moindre vignette. Elle incarne la première génération
de faussaires nostradamiques, dans les années soixante,
la deuxième génération ayant pour théâtre les années
1580 et la troisième le début du XVII e siècle.
Pour réaliser leurs contrefaçons,
quelques décennies plus tard, les faussaires prirent
modèle, par erreur, sur la production Regnault et
notamment en ce qui concerne les vignettes, négligeant
ipso facto les vraies vignettes se trouvant sur les
pronostications.
Ces faussaires situèrent ainsi des
éditions des prophéties en 1560, puisque désignant
l’année suivante 1561. On a récemment retrouvé une
fausse édition antidatée, censée publiée par la veuve
Buffet, une contemporaine de Barbe Regnault. (cf.
catalogue Thomas Scheler), dont le contenu est semblable
à celui des éditions parisiennes de la Ligue.
L’existence de cette édition 1560 ne
s’inscrit cependant pas dans une chronologie cohérente
des Centuries. Elle relève des aléas d’une chronologie
fictive avec ses revirements anachroniques ou a-chroniques.
La première stratégie semble avoir
consisté à reconnaitre une sorte de croissance
progressive du nombre de quatrains et de centuries, on
n’hésite pas alors à parler d’additions – « additionnées »
- et d’ailleurs cette notion d’addition se retrouve
encore dans les sous titres des deux volets de l’édition
1568.
Les éditions des Prophéties se référant,
en leur titre, à une pronostication pour 1561, ont un
contenu qui n’est pas en adéquation avec le titre/ Selon
nous, les titres ont été rajoutés pour faire croire à
des éditions plus récentes. Mais ce contenu nous est
d’un enseignement précieux, en ce qu’il correspond à un
état encore très en chantier des centuries VI et VII. Et
le titre est l’aboutissement du processus engagé dans le
contenu.
Un autre type de contrefaçon qui vient
ajouter à la confusion tient au fait que certains
libraires parisiens ont jugé bon, selon nous, de se
faire passer pour ce qu’ils n’étaient pas en vendant
leur stock sous des titres d’éditions plus tardives. On
ne peut donc de façon certaine déterminer si le nom des
libraires est celui de ceux qui ont fait imprimer le
contenu ou bien celui de ceux dont a récupéré la page de
titre mais pas le contenu.
Les faussaires de la deuxième génération
(années 1580) se servirent des almanachs nostradamiques
de Barbe Regnault, lesquels comportaient d’ailleurs une
douzaine de quatrains, souvent aux versets intervertis
pour qu’on ne reconnût pas leur origine et une vignette
pouvant incarner l’auteur à sa table de travail. Ils
supposèrent qu’elle avait été le libraire ayant publié
une suite à une édition à six centuries, elle-même
complétant une édition à 4 centuries dont la dernière à
moins de 50 quatrains. Cela suppose une première édition
à 4 centuries que l’on n’a pas retrouvée et qui devait
comporter une vignette semblable à celle de l’édition
Antoine du Rosne-Budapest 1557 qui en est la réédition
et qu’il ne faut pas confondre avec l’édition Macé
Bonhomme 1555–Albi/Vienne, laquelle appartient selon
nous à la troisième génération de faussaires du début du
XVIIe siècle. Mais ce qui vient compliquer sensiblement
les choses, c’est que cette édition Barbe Regnault 1560
pour 1561, ne tenait pas compte de l’édition Antoine du
Rosne 1557 Budapest, qui correspond à un état postérieur
à la dite édition Regnault. On assiste à un
chevauchement des contrefaçons qui jongle avec les
dates.
Il convient d’essayer de rétablir une
certaine chronologie des contrefaçons :
Premier état : une édition à 4 centuries
(encore que l’on puisse imaginer qu’il y ait eu une
édition à 3 centuries augmentée par la suite, ce qui
aurait été la matrice d’une édition à 6 centuries
suivies d’une septième. On n’a pas conservé cette
édition 1555
Deuxième état : une édition à 6
centuries, terminée par un avertissement latin (on n’a
pas conservé une telle édition, ni antidatée, ni pour la
période de la Ligue mais il n’est guère douteux qu’elle
ait existé, du moins en tant que contrefaçon....
Troisième état, une édition à 7
centuries, 1560, signalée par les éditions ligueuses
parisiennes de 1588-1589, dont elle est la réplique
antidatée. On n’a conservé que la page de titre de ces
éditions, avec un contenu non conforme. R. Benazra
décrit une telle édition disparue (RCN, p. 51 et seq)
avec le même intitulé que les éditions ligueuses mais
avec cette fois indiqué « Paris, pour Barbe Regnault,
1560. Il écrit bien à tort que la dite édition « « est
connue par des reproductions, sans doute fidèles de 1588
à 1589. Pour son contenu, le lecteur se reportera à
l’édition 1568 ». Il semble, en réalité, que cette page
de titre ait été récupérée et ait pu se substituer à une
précédente page de titre, correspondant à un état
archaïque de la fabrication des sept premières centuries
et n’ayant pas fait l’objet de répliques antidatées...
Quatrième état, une édition à 7
centuries. Edition Antoine du Rosne, 1557, (Bibliothèque
de Budapest.). A la lecture de l’édition anversoise
–François Sainct Jaure, nous apprenons qu’une édition
semblable à celle de la dite édition à sept centuries (mais
seulement 35 à la VIIe) serait parue dès 1555. Il y
aurait donc eu revirement et les éditions à six
centuries ou celles datées de 1560 sont évacuées au
profit d’un état en quelque sorte terminal du premier
volet qui aurait été publié dès 1555. La dite édition Du
Rosne Budapest serait une réédition de l’édition
signalée par St Jaure et censée être parue en 1555.
On ne connait pas le contenu de l’édition
1561 Barbe Regnault. Est-ce que cela correspond au
contenu des éditions parisiennes 1588-1589 ? Dans ce cas,
nous aurions le même étrange décalage entre le titre et
le contenu ou bien y trouverait-on réellement un contenu
correspondant au titre avec une septiéme centurie à 39
quatrains ?
Benoist Rigaud (Editions 1568) et les
éditions troyennes du milieu du XVIIe siècle.
Une édition à « dix centuries de
prophéties » chez Benoist Rigaud, 1568, est signalée par
Du Verdier, dans sa Bibliothèque,
parue à Lyon, chez Barthélémy. Honorat, en 1585. Il
s’agit selon nous d’une publication alors très récente
et antidatée de son confrère libraire lyonnais et
comprenant les quatrains parus entre 1555 et 1567 sous
le nom de Nostradamus. Une coquille a changé douze en
dix centuries. On a souvent considéré ce texte de 1585
comme un garant de la parution en 1568 d’une éditions à
10 centuries «prophétiques ».
Cette édition à deux volets 1568 se
présente, selon sa date, comme parue au lendemain de la
mort de Nostradamus. Mais quand on regarde de plus près,
elle ne comporte aucun des traits propres à une édition
posthume : on ne signale pas au titre que l’auteur est
décédé et pas plus n’indique-t-on qu’elle comporte une
épître à Henri II.(décédé en 1559). Il semblerait qu’il
s’agisse en fait, officiellement si l’on peut dire,
d’une réédition d’une impression datant de 1558, donc
datant de la veille de la mort du roi Valois en tournois.
On n’a gardé de cette première édition que la page de
titre du premier volet. (Utrecht, Antoine du Rosne). On,
notera que l’on n’a identifié aucune édition des
Centuries entre 1568 et 1588, soit une « mort »
littéraire de 20 ans suivi e d’une sorte de résurrection.
Pour notre part, une telle édition en
quelque sorte œcuménique ne saurait ‘être antérieure à
l’abjuration d’Henri IV. Paris vaut bien une messe.
L’existence même de deux volets témoigne de deux
origines différentes. De même que l’on aura tenté
masquer les retouches successives, on aura voulu faire
oublier le temps de la guerre civile. La parution en
1594 du Janus Gallicus
atteste de l’existence à cette époque d’une édition à
dix centuries. Elle pourrait être l’œuvre de Benoist
Rigaud, réunissant pour la première fois les deux
ensembles accompagnés des deux épîtres. En effet,
Chavigny désigne bel et bien dans ses commentaires les
quatrains de l’ensemble « chyrénien » (voué à la cause
d’Henri de Navarre) selon une codification déjà intégrée,
ce qui ne devait pas correspondre à l’original dont on
imagine mal qu’il se situait par rapport au premier
ensemble ligueur en tenant compte des sept premières
centuries, d’autant qu’un tel ensemble à 7 centuries est
lui-même relativement tardif dans le processsus de
formation centurique.
Par la suite, cette édition sera intégrée
dans la compilation troyenne, et sera sensiblement
augmentée. L'édition 1605 – généralement attribuée à
Pierre du Ruau - à trois volets mentionne en son titre
une édition 1568 Benoist Rigaud. Est-ce à dire que
Rigaud aurait lui-même publié et une édition non datée
et une édition datée de 1568, comme c’était devenu la
mode pour les éditions ligueuses ? Le fait que l’on ait
conservé une abondance d’éditions Rigaud à 10 centuries,
datées de 1568 va dans ce sens. Le Janus Gallicus
commente une telle édition, tout en y ajoutant d’autres
éléments, ce qui préfigure le corpus troyen du début du
XVIIe siècle.
L’édition à dix centuries connaitra au
XVIIIe siècle une nouvelle carrière, sous le nom du
libraire Pierre Rigaud, fils de Benoist, ce qui
correspond à une quatrième génération de faussaires,
situés, cette fois en Avignon et qui n’hésitent pas à
produire une édition non pas datée de 1568 mais de 1566.
C’est cette édition qualifiée de « princeps » comme
étant la première à dix centuries, qui servira de base
aux exégètes du XIXe siècle (Torné Chavigny et Anatole
Lepeltier).
L’édition Du Rosne 1557 Utrecht met en
perspective l’’édition Benoist Rigaud. Rappelons que
jusque vers 1594, Benoist Rigaud, comme nous l’avons
montré dans notre post doctorat (EPHE 2007), est surtout
présent dans la production nostradamique des années 70
et 80 par la publication de divers almanachs pseudo-nostradamiques.
Mais sa participation au revival des années 1580-1590
sera déterminante : d’abord avec la publication de
« centuries » de présages des almanachs (sauf pour
l’année 1555, où les quatrains sont issus de la
Pronostication), puis lors d’une édition regroupant le
volet ligueur et le volet favorable à Henri de Navarre.
Nous avons mis en avant le recours à des
mots en capitales dans les Centuries. Cette pratique
n’est pas appliquée dans l’édition troyenne antidatée à
1605 mais l’est dans les éditions Benoist Rigaud 1568 et
Antoine du Rosne 1557 Utrecht. Cela renvoie à un supposé
message figurant dans la série Macé Bonhomme
1555-Antoine du Rosne 1557 Utrecht, 1568 Benoist Rigaud.
Cela confirme le caractère tardif de l’édition Macé
Bonhomme 1555.
Le
contenu du second volet – ce volet est l’apport majeur
des éditions rigaldiennes- tel que nous le connaissons
orientée de façon évidente sur le début du XVIIe siècle-
avec notamment le quatrain X, 91, nous conduit à penser
à une redatation, du fait d’anciennes échéances révolues
– pratique courante dans l’histoire des textes
prophétiques,
que nous ne disposons plus que de rééditions
rigaldiennes tardives et non des premières en date.
Selon nous, on aura conservé la présentation initiale,
en se gardant bien de signaler certains aménagements qui
ne nous sont perceptibles que dans l’Epître à Henri II
avec l’étrange juxtaposition 1585-1606. Autrement dit,
vu que toutes les éditions Rigaud, recensées par Patrice
Guinard, comportent le quatrain X, 91 en l’état
« 1609 »,
Pierre Rigaud (Editions 1566) et les
éditions avignonnaises du XVIIIe siècle.
Cette fausse édition- mais elle est loin
d’être la seule aura connu une fortune remarquable chez
les exégètes des Centuries du XIXe siècle. Elle sera
d’ailleurs la seule à être rejetée au XXe siècle du
canon nostradamique avec les sixains. Il s’agit
vraisemblablement d’une erreur des faussaires du XVIIIe
siècle, n’ayant plus qu’une connaissance très
approximative des données de l’époque à laquelle cette
édition Pierre Rigaud est censée être parue.
Elle correspond à une volonté d’évacuer
certaines additions propres aux éditions du XVIIe
siècle, qui avaient été dénoncées par le dominicain
Giffré de Réchac dans son
Eclaircissement
(1656), avec la suppression du troisième volet mais le
procédé se retournera contre elle, du fait de la bévue
des prénoms.
Les éditions Benoist Rigaud 1568 auraient
été ainsi, au sein d’une chronologie fictive, fondée sur
les seules dates de publication et sur les années
d’activité des libraires, précédées d’une première
édition à 2 volets datant de 1566 – année de la mort de
Nostradamus- chez Pierre Rigaud. C’est du moins ce que
les faussaires avignonnais ont cru bon de laisser
entendre. On saisit mieux alors que Nostradamus soit sur
son lit de mort et que c’est à cette occasion qu’il
aurait transmis son « mémoire » à son fils César.
Peut-être avaient-ils perçu ce qu’avait d’insolite
l’édition Benoit Rigaud 1568 qui ne référait aucunement
à la récente mort de Nostradamus.
Il a certes existé, vers 1600, une
édition non datée, au nom de Pierre Rigaud, probablement
d’origine troyenne mais l’idée de la dater de 1566,
année de la mort de Nostradamus, appartient aux éditeurs
avignonnais du XVIIIE siècle (cf. RCN, pp. 295 et seq),
correspondant à une quatrième génération de faussaires.
Robert Benazra décrit ainsi ces éditions : « Elles
reproduisent assez fidèlement les éditions lyonnaises de
Benoît Rigaud, publiées à partir de 1568 (…) Daniel Ruzo
a apporté un faisceau de preuves pour démontrer que ces
trois éditions apocryphes ont été imprimées à Avignon,
par François-Joseph Domergue, au début du XVIIIe
siècle », soit un an après Du Ruau. On nous indique que
l’édition d’origine comportait un portrait daté de 1716,
ce qui a été noté dans le catalogue de vente de la
collection de l’Abbé Rigaux. Ce n’est donc que la
suppression de la gravure qui a pu faire croire qu’il
s’agissait vraiment d’une édition de 1566.
Rappelons qu’Avignon avait été désignée
comme le lieu de production d’éditions des Centuries,
dans les éditions Anvers St Jaure (1590) et Rouen-Pierre
Valentin (1611, édition postdatée), ce qui conduira
Daniel Ruzo (Testament
de Nostradamus,
Ed. Rocher, 1982) à supposer l’existence de deux
filiations, d’où des intitulés différents : Prophéties
et Grande et Merveilleuses Prédictions/
Conclusion
Du caractère caduc de la plupart des
bibliographies nostradamiques
On aura compris que l’on ne peut plus se
contenter de classer les éditions par date de parution
indiquée- R. Benazra a même poussé le zéle, dans son RCN,
jusqu’à numéroter les éditions ainsi classées. Quel
intérêt pourrait d’ailleurs bien présenter une telle
disposition si ce n’est en tant que repérage commode
pour retrouver les documents ? Nombre de
nostradamologues tendent à reporter à une date
ultérieure la question de la datation scientifique. Ils
s’en tiennent à une bibliographie « concréte »,
« brute », c'est-à-dire non travaillée, non réfléchie,
ce qui n’exige pas de compétences particulières.
On alignera ainsi, sans état d’âme, pour
1557, les deux éditions Antoine du Rosne, en tenant
compte du mois, ce qui fait mettre l’exemplaire
d’Utrecht avant celui de Budapest, par Patrice Guinard
(y compris dans son Nostradamus ou l’éclat des empires,
BoD, 2011), on placera à l’année 1588 l’ édition de
Rouen à 4 centuries tout comme les éditions parisiennes
dont le titre renvoie à 1561. en plaçant d’ailleurs,
comme le fait Benazra l’édition de Rouen en dernier(-RCN,
p. 122).
Si l’on veut se livrer à l’exercice de
l’inventaire des éditions les plus anciennes qui nous
aient été conservées, compte non tenu de la date de
parution, mais uniquement quant au contenu, nous dirons
que nous disposons d’une première version de la Préface
à César en français, chez Antoine Besson, qui semble
avoir récupéré le document qui servit à la traduction
anglaise de 1672. Nous renverrons à l’édition de Rouen à
4 centuries (introuvable mais dont on a la page de titre
et une description assez sommaire, chez Ruzo et Benazra.
Ensuite, nous trouverons dans le contenu des éditions
parisiennes (mais non dans leur titre), les éditions qui
sont venues compléter les premières éditions à trois/quatre
centuries, une version antérieure à l’établissement d’un
ensemble à six centuries pleines, se terminant par
l’avertissement latin (lequel ensemble ne nous a été
conservé qu’avec un appendice constituant une centurie
VII. Nous avons la page de titre des éditions
parisiennes (donc très décalée par rapport au contenu)
qui nous parle d’une édition à VII centuries, attestant
à la fois de l’achévement de la centurie IV et du
prolongement de l’édition à six centuries./.Ensuite nous
avons l’édition rouennaise de 1589 dont nous ignorons le
,nombre de quatrains à la VII, peut être inférieur aux
35 quatrains de sa sœur jumelle de 1590, Anvers, par son
titre. Et c’est alors qu’entre en scéne l’édition.
Antoine du Rosne 1557 Budapest, déjà bien toilettée,- en
fait une réédition virtuelle d’une précédente
contrefaçon datée de 1555 (référée dans l’édition Anvers
1590) sans marque de cloture précédente au 53e
quatrains de la IV, sans même présence de
l’avertissement latin, déjà absent en 1590 dans
l’édition Anvers des Grandes
et Merveilleuses Prédictions, ce qui
aurait rappelé l’addition à la VII, au-delà de la
cloture, avec 40 quatrains à la VII, mais dépourvue de
VI, 100.
Que nous manque-t-il donc dans ce puzzle
centurique ? Dans plusieurs cas, nous disposons de
bribes, une vignette, une page de titre.l’édition qu’il
serait peut être le plus intéressant de retrouver ne
serait-elle pas l’édition à six centuries faisant suite
au contenu des éditions parisiennes (dont les années
1588-1589 sont postdatées). Cette édition dont nous
supposerons l’existence devait se terminer par
l’avertissement latin et comporter trois centuries
pleines, compte tenu de la centurie IV ayant servi de
matrice à cette nouvelle série de trois centuries. Elle
précéde les éditions avec addition à la « dernière »
centurie, ce qui renvoie selon nous à une septième
centurie complétant les six premières. Il est probable
qu’elle ne comporte déjà plus l’indication d’ajout à la
Ive centurie mais son intitulé nous semble connu, c’est
celui du titre de l’édition Antoine du Rosne 1557
Budapest qui ,finalement ne correspond pas à son contenu.
« Les Prophéties de M. Michel Nostradamus
dont il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores
jamais est imprimées » Ce titre n’indique pas
l’existence d’une centurie VII qui pourtant s’y trouve.
D’aucuns ont essayé d’expliquer ce nombre de 300 sans
vouloir compter les 53 premiers quatrains de la IV, et
en incluant les 40 quatrains de la VII. C’est là
commettre un contre-sens. On est dans le domaine des
faussaires. A un certain stade, il est clair que l’on
veut faire oublier qu’il y a eu d’abord quelques
quatrains à la IV, ce stade est dépassé. Officiellement,
on a deux volets( au sein du »premier volet » et chacun
du même nombre de quatrains, ce qui explique
probablement pourquoi le «deuxiéme » volet est aussi à
300 quatrains, appelés au titre « prophéties ».Autrement
dit, cette première édition Antoine du Rosne a la page
de titre de l’édition à six centuries et éventuellement
la vignette est la même dans les deux cas. Ajoutons que
l’édition Anvers 1590, quant à elle, renvoie à un stade
plus tardif à 7 centuries, puisque c’est son cas. Par
son contenu, elle précéde le contenu (mais pas le titre)
de l’édition Antoine Du Rosne 1557 Budapest...
En fait, en dehors de l’édition 1560
annonçant 39 articles à la centurie VI, les autres
éditions, y compris Benoist Rigaud 1568 n’y font pas non
plus référence en leur titre, tout en les comportant en
leur contenu, si bien que cette centurie VII est une
sorte de passager clandestin, la présentation officielle
revenant à 3 blocs de 3 centuries chacun. Parler d’un
ensemble de dix centuries trahit en quelque sorte
l’intention des libraires. Il s’agirait en fait de 9
centuries, de 900 « prophéties » sous forme de
quatrains, au regard des titres. La VIIe centurie certes
existe puisqu’elle est suivie des centuries VIII , IX et
X mais en même temps elle n’est pas parvenue comme pour
la IV à se faire absorber dans un troisième lot de 300
« prophéties », ce qui aurait été possible quand on a
réuni les divers ensembles. Mais la démarche troyenne ne
visait pas à tout fondre en un seul lot mais de
maintenir une impression de chantier. Le libraire troyen
s’est, visiblement, refusé à recourir à certains
subterfuges propres à ses prédecesseurs, et l’on peut
dire qu’il l’a fait dans un esprit plus scientifique que
ses prédécesseurs, en fournissant les diverses pièces du
corpus sans tenter de les intégrer en un seul et même
document. Cela ne l’a certes pas empeché de produire des
contrefaçons mais il l’ a fait dans une certaine rigueur
diachronique, correspondant à un dépouillemen de la
documentation dont il disposait.
Nous sommes confrontés ici avec une
bibliographie fictive dont il n’est pas moins nécessaire
de saisir la logique et les revirements. Il nous faut
résister en effet à la tentation de ne pas daigner
appréhender avec toute la rigueur nécessaire la mise en
œuvre d’une chronologie inventée. Mais par ailleurs, on
ne saurait confondre la vraie bibliographie et la fausse
et donc la vraie biographie et la fausse. Une
bibliographie nostradamique qui mettrait sur le même
plan, pour les mêmes années, vrais almanachs de
Nostradamus et éditions centuriques contrefaites
antidatées serait scientifiquement très hypothéquée.
05. 06 11
26 - La Préface à César et le prophétisme régentiel
(1525, 1561, 1611, 1643-1716)
Qu’est ce qui conduit à la réédition d’un
texte prophétique ? Est-ce que de telles récurrences
impliquent quelques ajustements, exige un certain
processus d’actualisation ? Nous pensons que certains
textes prophétiques sont utilisés dans des circonstances
bien particulières. C’est le cas du Mirabilis Liber dont
nous voudrions montrer que la réception française des
pièces composant ce recueil est indissociable de la
question des régences féminines,depuis le temps de
François Ier captif jusqu’à celui de Louis XIV, enfant.
Le Mirabilis Liber qui fera carrière,
après avoir été traduit en français pour sa partie
latine, à partir des années 1560 sous le nom de Recueil
de Prophéties et Révélations, est associé à partir du
XVIIe siècle à Nostradamus, du seul fait que certains
libraires en font une sorte de diptyque, portant la date
de 1611, date correspondant à la régence de Marie de
Médicis, mère de Louis XIII. On s’est souvent demandé
quel lien unissait ces deux ouvrages ainsi réunis. Déjà
en 1575, une édition du Recueil sera présentée par
Nostradamus le Jeune mais sans les Centuries –et pour
cause- puisque les années soixante-dix n’attestent
d’aucune édition des quatrains.
Ce lien entre les deux volumes reliés
ensemble, passe par la présence à la fin de la Centurie
X, d’un quatrain cryptogramme (X, 101) et qui désigne
l’an 1660, date, au demeurant, fort éloignée pour un
Louis XIII né en 1601, si les volumes étaient réellement
parus en 1611.. Cela nous a conduits à dater le dit
quatrain postérieurement à la naissance du futur Louis
XIV. Les éditions du dit Recueil sont associées au nom
du libraire troyen Pierre Chevillot.’(cf RCN, pp. 172 et
p.55).La comparaison entre les deux éditions est
édifiante (cf pour l’édition 1561, la reproduction, sur
le site propheties.it). Notons que le Recueil de
Révélations et Prophéties associé aux Centuries est daté
de 1611 alors que l’édition des Centuries qui leur est
associée n’est pas datée, ce qui a conduit certains
bibliographes à situer la dite édition à cette même
date.
Si l’on compare les éditions de 1561 et
de 1611, on note une variante, une addition, qui ne sont
pas dénuées d’importance, au chapitre IX du Livre II :
« La dissension de l’Eglise sera depuis
l’an Mil quatre cens nonante deux & seront de diverses
rebellions jusques en l’an 1642 ». On a ajouté dans
l’édition 1611 « iusques en l’an 1642 », ce qui recoupe
notre thèse selon laquelle le quatrain cryptogramme ne
saurait être antérieur à 1638. En l’occurrence, 1642
correspond à l’année de la mort de Richelieu qui précède
de peu celle de Louis XIII, ouvrant ainsi une nouvelle
période de régence.
Or, dans notre « Texte Prophétique en
France », nous avions insisté (pp. 615-616) sur le fait
que le Mirabilis Liber, sous sa forme latine puis
française, du moins pour le premier volet, était un
ouvrage dont la parution accompagnait les régences.
Nous y citions le chapitre VI du second
livre, donc précédant de peu le chapitre IX évoqué (cf.
p. 264, ed. Delarue 1866, parue pour le tricentenaire de
la mort de Nostradamus, reproduisant l’édition Chevillot) :
« Alors le Roy Françoys (..) à la fin
succombera. Et iceluy à la face pudique régnera par tout
(…) sa mère tiendra la monarchie depuis Orient iusques
en Occident » (p. 259 de l’édition Paris, Ibidem, 1866).
Or, en 1561 et 1611, nous avons le début
de deux régences, l’une due à la mort de François II,
auquel succède son jeune frère Charles IX, l’autre à
l’assassinat d’Henri IV, avec le jeune Louis XIII. Mais
nous montrions qu’en 1525 (1524 en style de Pâques), au
lendemain de la défaite de Pavie et de la capture de
François Ier, l’on se trouvait déjà dans une situation
de régence avec Louis de Savoie et le fils ainé de
François Ier le futur Henri II n’étant que le puiné. Le
jeune François, fils de Catherine de Médicis, de 1525 à
1526, date à laquelle il est échangé contre son père, a
sa grand-mère pour régente, il décéde en 1536.. Ce qui
nous amenait à penser que le Mirabilis Liber était
indissociable de ce contexte de régence et
qu’éventuellement, ce n’est qu’en 1524/1525 qu’il aurait
pris sa forme définitive, en dehors évidemment de
quelques variantes comme celle signalée plus haut et qui
vise l’année 1642.
Nous aurions ainsi un ouvrage qui serait
paru à quatre reprises dans une situation de régence :
1524 (lire 1525), 1561, 1611 et 1643. Cela tient à des
morts ou des absences inopinées : la régence (de
Catherine de Médicis) de 1561, rappelons-le, est certes
liée à la maladie de François II mais aussi est la
conséquence de la mort en tournoi, en 1559, d’Henri II
Mais il n’est nullement certain que la
régence de 1611 ait donné lieu à une telle réédition.
Plus probablement, en vue de conférer une date ancienne
à la prophétie prenant date pour 1642, il a du sembler
ingénieux de se réferer à 1611. Signalons aussi une
édition, sans date, associée au nom de Pierre du Ruau,
autre libraire troyen (cf. Benazra, RCN, pp. 192-193),
et située dans les années 1630. Mais il convient bel et
bien de situer ces éditions en 1643, au lendemain de la
mort de Louis XIII et de la régence d’Anne d’Autriche
ainsi que les éditions comportant le quatrain
cryptogramme pour 1660. En effet, qui aurait pu prévoir
qu’une régence se constituerait avant d’apprendre le
décès de Louis XIII, dans sa quarantaine ?
Il n’est pas impossible, en vérité, que
la référence à 1611 soit liée à cette tradition d’un
prophétisme associé à une régence du Royaume de France
mais ne corresponde à aucune édition de ce type. On aura
choisi cette date qui aurait pu convenir en effet pour
une telle édition afin de laisser croire que l’année
1642 aurait été annoncée trente ans à l’avance. Cela
témoigne, en tout cas, d’une tradition prophétique bien
particulière et qui s’est maintenue de1524 à 1643, soit
durant 120 ans environ.
Mais l’on est aussi en droit de se
demander à quelle date parut véritablement le Mirabilis
Liber. On avance généralement 1522,soit trois ans avant
Pavie mais ne serait-il pas envisageable de dater le
recueil de la captivité de François Ier (du moins à
partir des éditions dont la préface est tronquée, datées
de 1523) et donc de la régence de sa mère Louis de
Savoie, qui avait déjà été régente précedemment ? Le
genre même du recueil se préte à bien des aménagements
en ce que par définition, il est constitué de diverses
pièces aux origines et aux parutions fort diverses, donc
diversement datées, parfois recyclées. L’âge d’un
recueil n’est pas celui de sa pièce la plus ancienne
mais bien bien celui de sa pièce la plus récente. Pour
nous, les Prophéties nostradamiques sont bel et bien un
recueil avec tout ce que cela implique.
En ce qui concerne le rapport entre les
années 1640 et la réédition du Recueil de Prophéties et
Révélations modernes, nous observons que. Robert Benazra
note, sans faire de lien avec le dit Recueil, à propos
de 1644 (RCN, pp . 198 et seq) et des éditions
lyonnaises des Centuries: :
« Nous avons rappelé la mort de Louis
XIII en 1643. L’année suivante, sous le règne du jeune
Louis XIV (..) commence à circuler la première édition
des Prophéties d’une longue série qui se poursuivra
jusqu’en 1665. Toutes ces éditions reproduisent (…) le
quatrain supplémentaire (X, 101) », celui comportant le
cryptogramme.
Il nous apparait que les éditions
troyennes parurent également à une date de peu
postérieure à la mort prématurée du roi. Editions qui
auraient donc réactivé la tradition du prophétisme des
régentes et qui auraient ajouté la mention de 1642 au
sein du Recueil associé aux Centuries, particularité
troyenne. Comme nous l’indiquions en 2006 dans une étude
consacrée à Pierre Chevillot ( « Le libraire Pierre
Chevillot, de Paris à Troyes », cf. le site
grande-conjonction.org), on peut raisonnablement
supposer qu’Antoine Chevillot, son héritier, ait utilisé
le nom de Pierre Chevillot pour des éditions antidatées
à 1611, procédé que nous avions envisagé pour Benoist
Rigaud et les éditions antidatées 1568 (avec la bévue de
Pierre Rigaud pour les éditions datées de 1566).
On
observera l’économie de moyens permettant de conférer
une édition de prophéties une emprise sur l’actualité à
savoir une simple addition de date au détour d’un
chapitre –en l’occurrence dans le chapeau du chapitre IX
de la IIe Partie, la présence de l’an 1611 sur la page
de titre, le changement d’une lettre dans un quatrain
(IX, 86, Chastres devenant Chartres). Il suffit de
quelques retouches de ce style pour conférer une
nouvelle perspective à un texte, sans autre forme de
procès et sans que l’ensemble du texte n’offre en
lui-même un intérêt, le public se satisfaisant de
quelques bribes, de brefs extraits, sans qu’il soit même
nécessaire que tout le quatrain ou tout le chapitre visé
fasse sens : une date, un nom propre suffisent.
On peut se demander, in finé, si c’est le
Recueil qui est accompagné des Centuries ou l’inverse.
En ce qui concerne en tout cas les éditions comportant
le cryptogramme de la fin des Dix Centuries, nous
pensons qu’il s’agit là d’un ajout visant à renforcer le
propos régentiel du dit Recueil, du fait d’ailleurs
d’une naissance tardive, expression que l’on retrouve en
tête de la Préface à César. On a là un autre thème
complémentaire de celui de la Régence.Et les lecteurs
des années 1640 durent lire les premières lignes du
double recueil que constitue notre diptyque, à savoir
celles de la Préface à César, comme annonçant la tardive
naissance du futur Louis XIV, même si au
départ,Nostradamus est censé s’adresser bel et bien à
son jeune fils, en 1555. On pourrait imaginer Louis XIII
sur son lit de mort, s’adressant à un enfant âgé de 5
ans, lui livrant éventuellement quelque testament,
quelque « mémoire » spirituel qu’il ne pourra apprécier
que plus tard.. Au fond, la configuration associant une
tardive naissance à une régence, avec en ligne de mire
1660, expliquerait un nouveau revival nostradamique,
d’autant que le prince ainsi désigné sous le nom de
César sera bel et bien appelé à un destin remarquable,
plus flamboyant que celui de ses prédécesseurs, et qui
se prolongera d’ailleurs, à la mort du Roi Soleil en
1715, par une Régence cette fois masculine, celle de
Philippe d’Orléans, en raison de la jeunesse de Louis
XV. Cela correspond au demeurant à la production des
éditions Pierre Rigaud 1566. (cf Benazra, RCN, pp. 295
et seq) qui indique la présence d’une gravure hors texte
portant la mention « Avenione 1716 ». Cette fois, les
Centuries ne paraissent point en compagnie du Recueil et
l’année 1642 ne fait plus guère sens et c’est bien
l’élément du jeune Prince qui finalement semble
déterminant, avec une préface dont l’auteur pourrait
être déjà mort. « Ton tard avénement (…) mon fils etc » :
telles sont les premières lignes des Centuries. De
telles considérations nous invitent à réapprécier
l’importance des textes en prose- l’Epitre à Henri II
s’adresse quant à elle à un roi en pleine maturité, en
contraste radical avec la Préface à César- -
probablement plus déterminants que les quatrains dans la
fortune des Prophéties.
27 - La fausse édition rouennaise Raphael Du Petit Val
1588
De l’enseignement des titres des
premiers volets dans le groupe des éditions Cahors
(1590)-Rigaud (1568)-Antoine du Rosne (1557)
Quand on se procure une édition des
Centuries, on est souvent frappé par le fait que les
titres de chacun des volets comportent le mot
« addition ».
Premier volet :
Second volet
A la lecture de ces titres, l’on ne peut
apparemment pas dire qu’il y a négation de l’idée d’une
œuvre en plusieurs strates, étapes. Mais en même temps,
ce qu’on appelle le premier volet ne comporte, en son
contenu mais non en son titre, qu’une division en
« centuries », dont six pleines et une, la septième,
n’atteignant pas les 50 quatrains, tout en s’intitulant
« centurie ».
Est – ce que ce titre qui est notamment
celui des éditions Rigaud , y compris Pierre Rigaud –
mais aussi dans les éditions Cahors 1590 et Du Rosne
1557 - n’est pas décalé par rapport au contenu ? On
serait ainsi bien en peine de nous dire où chercher
l’addition de 300 quatrains vu que la septième centurie
n’en a qu’une quarantaine d’années. Mais est-ce que le
titre du premier volet englobe la septième centurie ? On
peut en douter. Certains diront que la formule « Adioustées
par le dict Autheur » concerne la septième centurie. Or,
ce n’est pas le cas, la preuve en étant l’édition
Antoine du Rosne 1557 Budapest ne la comporte pas alors
que l’édition Utrecht la comporte comme tout un ensemble
d’éditions à 10 centuries et à deux volets.
Il faudrait aussi évoquer les quatrains
additionnels à la fin de la IVe et de la VIIe centuries.
On sait que la Ive centurie avant d’arriver à 53
quatrains n’en comportait que 39. (cf RCN, pp. 122-123
sur l’édition rouennaise de Raphael du Petitval 1588)
De même, la VIIe centurie ne dut comporter initialement
que les 12 quatrains issus de l’almanach pour 1561 avant
de passer à une trentaine (éditions de Rouen et d’Anvers
(39 quatrains), 1589- 1590) avant de parvenir à 40/42
quatrains (cf. ed. Du Rosne 1557, Budapest et Utrecht).
Les additions ont tendance à se placer à la fin du
volume : quand celui-ci n’avait que 4 centuries dont une
à moins de 100 quatrains, c’était là que l’on ajoutait
quelques quatrains. Puis quand on passa à sept
centuries, c’est à la fin de celle-ci que l’on ajouta un
certain nombre de quatrains.
On dira donc que les éditions Rigaud
comportent une page de titre qui ne correspond pas tout
à fait au contenu du premier volet et notamment en ce
qui concerne la centurie VII qui s’y trouve cependant.
La question que l’on ne manquera pas de se poser est la
suivante : qu’est ce qui est le plus ancien, le titre ou
le contenu ?
Le titre du premier volet nous semble en
tout cas correspondre à une édition à six centuries
pleines, les trois dernières correspondant aux centuries
IV, V et VI., la Ive ayant absorbé la première partie de
la IV. On notera d’ailleurs que l’on ne parle pas au
titre du premier volet de « centuries » mais de
prophéties, non pas de 3 centuries mais de 300 « prophéties »
ou quatrains. N’est-ce pas en référence à une époque où
le corpus nostradamique n’était pas encore découpé en
centuries (cf Petit Val 1588, RCN, pp. 122-123) ? Dans
ce cas, le titre Rigaud du premier volet pourrait être
un des plus anciens. En comparaison le second volet
porte en son titre, en gardant la partie du haut du
titre : « Les prophéties (…) Centuries VIII, IX, X. ».
Le même titre se retrouve d’ailleurs dans les premiers
volets des pseudo éditions Du Rosne 1557 (Budapest et
Utrecht). Rappelons que les éditions parisiennes de la
ligue, en revanche, annoncent en leur titre ce qui
correspond à une septième centurie.
Le contraste de ton, de présentation,
entre les titres des deux volets n’avait pas été, à
notre connaissance, assez souligné. Visiblement, ils ne
sont pas sur la même longueur d’onde. Le titre du
premier volet n’est pas stricto sensu centurique. Il y
est certes questions de centaines de quatrains mais cela
n’implique pas nécessairement un classement des
quatrains en centuries comme c’est le cas pour le titre
du second volet. Il convient d’ailleurs de remonter au
titre de la pseudo-édition Macé Bonhomme qui ne comporte
pas davantage de référence à une présentation centurique :
Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Voilà un titre
qui aurait parfaitement convenu pour décrire le contenu
de Du Petit Val 1588, qui ne comporte aucune centurie
mais dont le titre, en revanche, se réfère à une
division en 4 centuries. Rappelons que les éditions
parisiennes de la Ligue(1588-1589) comportent également
le mot centurie en leur titre, c’est le dernier mot du
titre additionnel mais cela ne figure pas dans le titre
principal qui est conforme à celui du premier volet des
éditions Cahors-Rigaud-Du Rosne (avec la permutation de
l’ordre des mots que l’on connait « dont il en y a » et
qui est commune aux éditions Rouen 1589-Anvers 1590). Un
cas particulier est celui de l’édition Rouen 1611 Pierre
Valentin, plus tardif donc (cf Chomarat, Bibliographie
Nostradamus, p.. 93) : « Les Centuries et Merveilleuses
Prédictions (…) contenant sept centuries dont il y en a
trois cents ». Titre on ne peut plus alambiqué avec une
interpolation évidente : « sept centuries ». Il eut
fallu mettre simplement « dont il y en a trois ». Autre
interpolation au titre qui comporte également le mot
« centuries », si on le compare à l’édition Rouen Petit
Val 1588 : « Grandes et Merveilleuses prédictions ». On
a là un exemple d’une double tentative de « centurisation »
d’un titre initial du premier volet dépourvu du mot « centurie »
en conformité avec le titre du second volet, dans une
édition qui se veut limitée au premier et qui reprend à
vingt ans d’écart le flambeau des éditions rouennaises
de la Ligue. (cf. Édouard-Hippolyte Gosselin,
« Glanes historiques normandes. Simples notes sur les
imprimeurs et les libraires rouennais (XVe,
XVIe
et XVIIe
siècles) », in Revue de
la Normandie,
1870. p.646, texte signalé par Gérard Morisse).
Tentative isolée et quelque peu anachronique, au XVIIe
siècle de produire uniquement le premier volet, si on la
confronte notamment aux éditions troyennes dont le
premier volet ne comporte pas le mot « centurie »,
réservé en quelque sorte au second.
Nos réflexions sur le titre du premier
volet et sur les additions qu’il comporte dont aucune ne
mentionne explicitement de « centurie(s) » vont dans le
sens d’une division des quatrains en centuries ne se
produisant que dans un second temps, le premier temps
n’étant plus attesté que par une seule édition, Rouen
Petit Val 1588, décrite par Ruz mais actuellement
inaccessible, si ce n’est par sa page de titre qui porte
à confusion du fait même qu’elle comporte au titre « prédictions
divisées en quarte (sic) centuries’, ce qui nous laisse
perplexe quant à la véritable date de cette édition,
sous le titre que nous connaissons. Si son contenu est
le plus ancien qui nous soit connu – et en cela
nettement antérieur au contenu de l’édition Macé
Bonhomme 1555, dont le contenu correspond tout à fait à
un tel titre – la référence à 4 centuries au titre nous
apparait comme totalement décalée dans le contexte de
toutes les éditions de l’époque du premier volet. On
pourrait en fait la situer en 1611 dans le cadre
rouennais propre à un Pierre Valentin lequel aurait
planifié deux éditions successives : l’une à quatre
centuries, l’autre à sept, n’hésitant pas à emprunter le
nom de son prédécesseur Raphael du Petit Val, dont le
nom était déjà associé à une telle production, en 1589.
Logiquement, il placerait son édition à 4 centuries, une
année avant, en 1588/ Il faut donc ajouter à la liste
des éditions doublement antidatée celle de Rouen Petit
Val 1588. On nous objectera que le contenu de la dite
édition 1588/1611 est en revanche singulièrement ancien.
Cela fait partie, selon nous, du dossier assez étonnant
des rééditions propres au XVIIe siècle dont on a traité
par ailleurs à propos de l’édition lyonnaise d’Antoine
Besson, de la traduction de Théophile de Garencières,
qui diffuse des éléments extrêmement anciens
sensiblement antérieurs à ceux figurant même dans les
éditions Cahors-Rigaud, et ce pour les deux volets,
notamment au niveau des épitres à César et à Henri II).
Nous conclurons donc sur la thèse
suivante, à savoir que dans un premier temps, le corpus
des quatrains « prophétiques » n’était pas divisé en
centuries. Le terme centurie ne désignait au milieu des
années 1580 (cf. Du Verdier, 1585) que la collection,
année par année, des quatrains d’almanachs (désignés par
la suite sous le nom de présages alors que ce terme
concerne aussi bien la prose, cf. le Recueil des Présages Prosaïques,
édité par B. Chevignard, Paris, Seuil, 1999).On peut
raisonnablement supposer que le contenu correspondant
initialement à de tels titres ne comportant pas le mot
centuries n’impliquait pas de classement des quatrains
en centuries. Il aura fallu un certain laps de temps
pour que le corpus des quatrains « non datés » par
opposition à ceux datés des centuries liées aux
almanachs soit présenté en centuries, ce qui est attesté
dès 1588, à Paris.(Veuve Nicolas Roffet).
A quelle date situer la première
production de quatrains nostradamiques non datés ? En
fait, on ne dispose pas, contrairement aux apparences,
de repères précis. Certes, en 1585 (Lyon, B. Honorat),
Du Verdier mentionne une édition Rigaud de
« centuries ».Or, l’usage même du mot centurie indique
qu’il ne s’agit pas des dites éditions dont le mot
centurie est absent au titre et il ne suffit pas de dire
que le contenu est divisé en centuries car on a coutume
de désigner un ouvrage par son titre. Nous avons dit que
cela renvoyait à des séries de quatrains datés, issus
des almanachs de Nostradamus et distribués en
« centuries », c'est-à-dire en «cycles » annuels de
quatrains (le mot siècle, en français est rendu en
anglais par « century »
et est proche du mot cycle, ce qui est aussi le sens du
mot latin annus (an, année, anneau).
Si déjà en 1588, à Paris, parait une
édition divisée en centuries, il convient de situer dans
les années précédentes des éditions à plus de 300
quatrains (attestée dans Petit Val 1588) et des éditions
comportant la mention d’une addition de 300 quatrains ;
mais toujours pas classés en centuries. Cette édition
n’est attestée que par le maintien des pages de titre au
premier volet, y compris dans les éditions troyennes du
XVIIe siècle. Le découpage en centuries aura été dicté
par l’existence d’éditions des centuries de présages, le
terme centurie étant attesté dès 1585 dans la Bibliothèque
de Du Verdier, ce qui a conduit plus d’un chercheur à
conclure que cela renvoyait aux quatrains non datés
alors que ceux-ci initialement n’étaient pas répartis
centuries. Il suffit ainsi de l’emprunt tardif d’un
terme pour fausser les perspectives chronologiques.
Nous dirons donc que l’on doit
raisonnablement situer l’émergence des quatrains non
datés, attribués à Nostradamus autour de 1584, année de
la mort du dernier fils de Catherine de Médicis, ouvrant
une crise dynastique, ce qui correspondrait en gros au
témoignage de la Bibliothèque de La Croix du Maine. On y lit :
« Les Quadrains ou Prophéties du dit
Nostradamus ont esté imprimés à Lyon l'an 1556 par Sixte
Denyse & encore à Paris & autres lieux, à diverses
années".
La désignation nous semble tout à fait
adéquate- point de mention du mot centurie- pour
désigner les premières éditions des quatrains non datés.
Quant à l’année 1556, il s’agit, pour nous à l’évidence,
d’une édition antidatée tout comme celle du lyonnais
Antoine du Rosne 1557 ou du parisien Olivier Harsy
(1557, dont mention est signalée par P. Guinard), en
rapport avec la Préface à César datée de 1555. Les
éditions du Rosne qui nous sont parvenues sont, quant à
elles, divisées en centuries mais il a pu exister un
premier train d’éditions, sous le même label, non
constitué en centuries. A l’évidence, les premières
éditions antidatées pour les années 1550 étaient sans
découpage en centuries. C’est une seconde fournée qui
sera ainsi « centurisée »,à partir de 1588 et de
l’édition Veuve Nicolas Roffet, dont la vignette est
reprise dans les pseudo éditions 1555 Macé Bonhomme et
1557 Du Rosne. Cette centurisation verra apparaitre une
septième centurie,-cf. édition Anvers 1590, et
auparavant Rouen Petit Val 1588, exemplaire tronqué)
dont le contenu correspond au titre des éditions
parisiennes, alors que le contenu des dites éditions
parisiennes correspond à un état antérieur-à la
formation d’une édition à 600 quatrains- - alors même
que le second volet, introduit par l’Epitre à Henri II,
n’est pas encore associé au premier et certainement pas
divisé en centuries VIII, IX, X, ce qui implique
l’existence de sept centuries.
Il y aurait une sorte de concomitance
entre la mise en place d’une septiéme centurie et le
découpage en centuries des quatrains non datés. Mais
cette présentation n’affectera pas le titre du premier
volet tel qu’il se présentera à partir de 1590 à Cahors
puis à Lyon, chez Rigaud, le second volet n’arrivant qu’
à partir de 1594 (cf le quatrain IX, 86) et cette fois
tenant compte des sept centuries et du découpage en
centuries, ce que semble tout à fait encore ignorer la
formulation du premier volet, y compris au sein de
l’ensemble à dix centuries qui s’imposera à partir de
1594. Cette centurie VII n’est reconnue qu’indirectement
de par le titre même du second volet : centuries VIII.
IX. X.
JHB
04. 09. 11
28 - Le noyau dur de la production de Nostradamus et ses
dérives/dérivés
Disons le d’emblée, s’il faut chercher le
«vrai » Nostradamus, ce ne sera pas dans des quatrains,
qu’il s’agisse de ceux des almanachs ou de ceux des
«centuries », bien que ce mot ait servi, un temps, selon
nous, à désigner des suites de quatrains-présages, alors
que ceux-ci au départ sont disséminés entre les 12 mois.
Nous pensons que les quatrains des
almanachs n’étaient pas directement son œuvre mais
qu’ils étaient tout au plus tirés, extraits de celle-ci
par des collaborateurs plus ou moins inspirés.
L’œuvre en prose de Nostradamus porte
bien davantage sa marque que sa réduction en vers.
Encore faut-il préciser qu’à la lecture du Recueil de Présages Prosaïques,
il apparait que la partie la plus technique était elle
aussi déléguée par Nostradamus et qu’il laissait à
d’autres le soin de copier les données astronomiques.
Est-ce à dire que les épitres figurant
dans les Centuries soient des éléments fiables pour
découvrir la pensée de Nostradamus ? Nous ne le pensons
pas, contrairement à d’autres chercheurs qui s’en
contentent parce qu’ils y ont aisément accès au sein des
éditions successives. Il faudrait d’ailleurs réunir
toutes les épitres de Nostradamus. Nous recommandons
tout particulièrement une parution datée de 1906 , à
Magdebourg ; intitulée ‘Reproduction
très fidèle d’un manuscrit inédit de M. de Nostredame.
Dédié à S. S. le Pape Pie IV/
Ce manuscrit s’intitule « Les praedictions de l’almanach
de l’an 1562, 1563 & 1564 p. M. Michel de nostre dame
etc. ». Rappelons que chaque publication de Nostradamus
comportait une épitre-préface en prose et que de tels
textes n’ont pas été repris dans le Recueil des Présages Prosaïques,
lequel était censé rassembler tout de même la substance
des publications annuelles. (cf. à propos de Nostradamus
et de Pie IV, notre étude parue dans RHR (Réforme
Humanisme Renaissance) en décembre 1991) « Une attaque
réformée oubliée contre Nostradamus (1561) »
Quant aux épitres centuriques, il serait
bien imprudent de s’en servir comme critère d’adéquation
de quelque discours à la pensée de Nostradamus. Ce n’est,
en tout cas, certainement pas la référence à mettre en
avant au premier chef et ce n’est qu’en comparant les
dites épitres à d’autres du même auteur que l’on
parviendrait éventuellement à faire le tri. Il vaut
mieux, donc, en tout état de cause, élargir
considérablement un tel corpus en prose. On lira entre
autres les trois épitres introduisant la production pour
l’an 1557 (en fac simile in Documents inexploités sur le phénomène
Nostradamus,
Feyzin, Ed Ramkat, 2002), on y trouvera notamment une
épitre de Nostradamus à Henri II dont le scénario- le
retour et le souvenir ébloui de la rencontre avec le roi-
sera repris dans l’Epitre centurique à Henri II dont la
première édition connue ne remonte pas avant le milieu
des années 1590, en tête du second volet des centuries.
A partir de cette première épitre, on aura brodé
énormément et l’on connait plusieurs stades additionnels
du dit texte en prose, avec notamment la version Besson
(fin XVIIe siècle) qui reprend un premier état du texte
intermédiaire entre la première épitres au Roi en tête
des Présages Merveilleux pour 1557
et l’Epitre canonique, attestée plus de trente ans plus
tard...
Quant à la Préface à César, elle aussi, a
bénéficié ou souffert- c’est selon- de sensibles
augmentations. D’aucuns, comme Torné-Chavigny, au XIXe
siècle, attribuent certains emprunts à Nostradamus
lui-même. C’est aller un peu vite en besogne ! On pense
notamment à l emploi qui est fait du Compendium
de Savonarole dans la dite Préface. Il vaut bien mieux
travailler sur des textes en prose qui n’ont pas subi de
telles transformations..
Que ceux-ci se référent aux quatrains
centuriques explique probablement la prédilection de
certains chercheurs, néanmoins, pour les dites épitres
centuriques. Car inversement, faut-il le rappeler les
autres textes en prose ne se référent pas aux quatrains
des Centuries. En effet, si les quatrains datés des
almanachs peuvent à la rigueur évoquer formellement ceux
non datés des Prophéties, les textes en prose sont
censés être plus explicites. Or, force est de constater
que l’on chercherait vainement dans ces dizaines
d’épitres, la moindre référence à la production
centurique censée être parue simultanément avec les
éditions successives des Centuries. Mais dès que l’on
passe aux épitres centuriques, ces références figurent
comme si on les avait précisément ajoutées
complaisamment.
Quant à tirer argument de la mention des
dites centuries dans les épitres centuriques –et cela
vaut pour l’épitre à Henri IV, en tête des sixains ou
pour la Vie de Nostradamus qui s’achève par ce qui est
probablement une interpolation centurique d’un texte qui
dut paraitre lors du revival nostradamique, lequel fut
d’abord centré sur les quatrains d’almanachs. Chavigny a
probablement retouché le « Brief discours de la vie de
Nostradamus » dans ce sens.
Revenons sur ce texte en prose qui, au
XVIIe siècle, sera souvent placé tout en tête des
éditions. Le premier quatrain qu’on y trouve appartient
à la production pour 1555. Certes, on lit qu’ »il se mit
à escrire ses Centuries & autres présages commençant
ainsi « D’ESPRIT divin etc ». Mais le mot « centurie »
se réfère selon nous à un premier stade du revival
qui mettait en avant les quatrains présages de ses
almanachs, classés en « centuries », c'est-à-dire ici en
«séries ».En fait, il faut attendre les dernières lignes
du « Brief Discours » pour qu’enfin, quasi in extremis,
l’on se réfère à César dédicataire des « Centuries
premières » (c’est à dire du premier volet par
opposition, si l’on veut, aux « Centuries secondes »
(second volet) et en plus l’auteur signale à cet endroit
une prédiction pour l’an 1559, ce qui ne correspond pas
aux centuries prophétiques mais aux centuries présages
classées par année et par mois. S’il n’y avait mention
de César, on se demanderait sérieusement à quel corpus
il est fait référence dans le « Brief Discours ».
Certainement pas, quand on nous parle tout à la fin « de
présages en prose faits depuis l’an 1550 jusques à 67 (souvent
corrompu en 17 !)
Ce Brief Discours va d’ailleurs
disparaitre des éditions centuriques à partir du XVIIIe
siècle.
Quant aux deux épitres centuriques
elles-mêmes, elles ne s’appesantissent guère sur les
quatrains qui leur font suite. On n’y trouve aucune
interprétation. En fait, la Préface à César comporte
très peu de données se référant explicitement et
indiscutablement aux centuries au sens que l’on donnera
par la suite à ce terme. A contrario, l’épitre de Jean
de Chevigny, datée de 1570, adressée à Larcher, en tête
de l’Androgyn de Dorat, comporte carrément un quatrain
et sa signalisation précise. On peut s’étonner qu’un tel
procédé ne figure pas dans la Préface. L’Epitre à Henri
II est relativement mais modestement plus connectée avec
les « Centuries » même dans la version première reprise
par Antoine Besson, dans les années 1690 ;
« Je voudrais consacrer ces miennes
premières Prophéties & divinations parachevant la
milliade »
Qui devient dans les versions augmentées :
« ces trois centuries du restant de mes
prophéties parachevant la miliade »
On s’y réfère à la préface à César :
« Dedans l’Epitre que ses (sic) ans
passez ay dédiée à mon fils César Nostradamus « sans
que l’on nous indique explicitement si la dite épître
introduisait de précédentes centuries.
Ce qui peut surprendre, c’est que dans la
version « Besson » - qui elle ne mentionne pas César- il
est question de « ces miennes premières prophéties »
alors que dans la version canonique, il est dit « ces
trois centuries du restant de mes prophéties ». Cela
s’explique selon nous par le fait qu’initialement
l’Epitre à Henri II ne faisait nullement suite à un
premier volet adressé à César. Ce sera là un
arrangement, un aménagement, un compromis tardif. Il
n’est d’ailleurs pas très diplomatique de proposer à un
roi « le restant de ses prophéties ». Quand on désira
relier les deux ensembles de quatrains, l’on modifia
sensiblement l’Epitre à Henri II, en y interpolant une
référence à l’Epitre à César, alors que les deux volets
appartenaient à des camps opposés et qui se détestaient
cordialement, Catholiques ligueurs voulant priver le
Bourbon de ses droits d’un côté, de l’autre, des
réformés liés à Henri de Navarre et en situant les 300
quatrains comme une addition, ce qui est d’ailleurs
indiqué au titre du premier volet tel qu’il figure dans
les éditions à deux volets, « adioustées de nouveau par
le dict Autheur », l’important étant de tout attribuer à
Michel de Nostredame. En fait, pendant des décennies, le
fait même que des éditions des Centuries étaient parues
sous le nom de Nostradamus apparaissait comme une preuve
suffisante. Ce n’est en fait que depuis une vingtaine
d’années, que les chercheurs ont commencé à prendre la
peine de rechercher des témoignages extérieurs aux dites
éditions. On songe aux Prophéties du Sgr du Pavillon
qui sont calquées sur la Préface à César et datées de
1556. mais qui ne comportent aucun quatrain centurique,
ce qui laisse entendre que les dites Prophéties ont été
composées
avant
la parution des « centuries » canoniques. On trouve la
mention d’ une « seconde centurie » sans autre précision
dans les Significations de l’Eclipse de 1559
mais ce texte est repris de l’Eclipsium
de Leovitius et est certainement une contrefaçon. Et
puis, il y a le cas d’une épitre à Jean de Vauzelles,
qui se référait explicitement à un certain quatrain
centurique directement en prise sur les enjeux de la
Ligue. ( Pronostication nouvellle pour 1562, Lyon,
Antoine Volant, Pierre Brotot) cf Chomarat, Bibliothèque Nostradamus,
pp. 36-37, RCN, p. 50) et que la plupart des
spécialistes considérent comme un faux à telle enseigne
que les contrefaçons se caractériseraient précisément
par le fait même qu’elles comportent un élément
centurique en quelque sorte surajouté et donc
initialement absent. La vignette d’une autré édition de
la Pronostication (conservée à Munich, Bayerische
Bibliothek) n’est pas conforme à celles qui sont
attestées dans les années 1550 sous le nom de
Nostradamus. En revanche, elle est du même type que les
vignettes qui illustrent les contrefaçons de 1555 et
1557.
C’est donc bien l’Epitre à Henri II et en
fait elle seule, qui constitue clairement –mais avec des
ajustements successifs, une présentation des Centuries
au sens « classique » du terme mais comme on sait c’est
un faux antidaté à 1558. . Or, ironiquement, ce texte ne
figurera pas en tête de l’ensemble mais au second volet,
d’où le changement : « mes premières » pour « le restant ».
Quant à la forme « parachevant la miliade », il figure
déjà dans la version Besson. Il faut l’entendre ainsi :
ces prophéties dont ce sont ici les premières atteignent
les 1000 quatrains mais n’ont pas encore été toutes
publiées..
Nous terminerons par les observations
suivantes : nous avons relevé, en d’autres occasions, à
quel point un texte en prose lacunaire pouvait perdurer
d’une édition à l’autre. Autant, il semble bien délicat
de corriger un quatrain centurique, en raison même de
son caractère assez aléatoire, autant il nous apparait
tout à fait possible de faire ressortir des anomalies au
sein d’un texte en prose sur lequel nous sommes
spontanément plus en prise. Récemment, nous avons ainsi
montré qu’il fallait lire « régions » et non
« religions », dans l’Epitre à Henri II, ce qui
permettait de conférer à l’édition Cahors Jaques (sic)
Rousseau une antériorité par rapport aux éditions
Benoist Rigaud 1568. A force de ne s’intéresser qu’à
l’interprétation, l’on en vient à ne pas chercher à
établir le texte de départ. Nous avons également montré
que dans la Préface à César, les éditions reproduisaient
les mêmes phrases introductives lacunaires, en ce qui
concerne la naiissance tardive de César, et cela est
ressorti de la comparaison avec l’édition Besson mais
aussi avec la traduction anglaise de 1672 de Théophile
de Garencières. Tout se passe comme si les chercheurs en
ce domaine avaient pris la fâcheuse habitude, du fait de
la fréquentation des quatrains, de ne plus vraiment
chercher à cerner l’état premier d’un texte,
c'est-à-dire le signifiant avant de passer au signifié,
quand bien même le texte serait-il en prose et donc
relativement plus compréhensible qu’en vers. Dans le
domaine de la prose, il nous semble d’ailleurs tout à
fait possible de corriger un texte, quand bien même ne
disposerait-on pas d’une version correspondant à une
telle formulation. En ce qui concerne les quatrains, un
tel exercice nous semble plus aléatoire, sauf dans les
cas où la source a été identifiée (cf le cas des
quatrains constitués à partir de la Guide des Chemins de France,
de Charles Estienne,
comme IX, 86) mais dans certains cas la
variante fautive est en réalité un infléchissement du
texte à des fins des propagande (cas du couronnement
d’Henri IV, à Chartres) et dans ce cas là, il importe de
montrer quel est le contexte qui aura conduit à telle ou
telle modification. Il n’est donc pas question de
réformer systématiquement un texte à partir de la source
dont il émane mais du moins cela peut-il servir à dater
un texte de par l’événement qu’on lui fait signifier (
cas de IV, 46, « Garde toi Tours de ta proche ruine « .
Le recentrage sur la prose de Nostradamus,
par delà les épitres centuriques, nous semble être un
moyen tout à fait recommandé pour restituer une certaine
authencité de Michel de Nostredame.
JHB
01. 09. 11
29 - Les éditions doublement antidatées
Récemment, nous avons appris qu’une édition parisienne,
apparemment jumelle de l’édition Antoine du Rosne
Budapest 1557 aurait été produite, en la même année,
sous exactement le même titre fautif ‘(« dont il en y
a ») par le libraire Olivier Harsy.
Il semble qu’il y ait eu plusieurs éditions 1557, celles
qui correspondent à la page de titre – et dont on n’a
pas d’exemple – et celles dont le contenu diffère,
notamment du fait de la présence d’une centurie VII.
Nous avons, dans plusieurs études ainsi montré qu’il
faut systématiquement confronter le titre d’une édition
centurique avec son contenu, ce qui permet souvent de
faire d’une pierre deux coups, c'est-à-dire de découvrir
deux états successifs. Un des cas les plus intéressants
que nous ayons signalé jusqu’alors est celui des
éditions parisiennes de la Ligue mais cela vaut
également pour l’ensemble des éditions datées 1557.
Evitons, en tout cas, de partir du principe que le titre
d’une édition centurique reflète son contenu. Il peut
fort bien se trouver que telle édition porte un titre
qui corresponde au contenu d’une autre édition qui,
elle-même, n’a pas le titre adéquat. C’est ainsi que le
titre des éditions parisiennes n’est pas conforme à ce
qu’on y trouve mais conviendrait tout à fait à celui du
premier volet de l’édition Du Rosne 1557 Budapest, dont
le titre en revanche correspond à une édition perdue à
six centuries.
Une autre libraire parisienne du temps de
Nostradamus nous est connue, c’est Barbe Regnault, dont
le nom est associé à une édition augmentée de 39
« articles » et à l’année 1560 (pour des prévisions
concernant 1561). On sait qu’elle correspond aux
éditions parisiennes ligueuses de 1588 et 1589. Cela
signifierait que Nostradamus aurait ajouté des quatrains
du fait d’une année particulière qu’il entendait couvrir,
ce qui n’est pas vraiment en phase avec le contenu des
centuries mais correspond mieux au genre des prévisions
pour des dates précises, non pas pour un quatrain mais
pour 39. Excusez du peu !.Ajoutons que les quatrains de
l’almanach pour 1561 ont précisément été intégrés dans
les éditions parisiennes de la Ligue, au sein d’une
centurie VII, à 12 quatrains. Et non pas à 39 (ou 38,
selon l’édition de la veuve Buffet, datée de 1561, (cf
catalogue Nostradamus de la librairie Thomas Scheler,
2010, p. 49). Toujours est-il que la centurie VII qui
finalement remplacera celle à 12 quatrains est à 40
quatrains et donc correspond assez bien à la description
de l’addition à la « dernière centurie » qui devrait
être la centurie VI, clôturant un ensemble de six
centuries par un avertissement latin.
Le problème, c’est que justement les
éditions portant la date de 1557 possèdent déjà la
centurie VII à 40 (Rosne, Budapest) ou 42 quatrains (Rosne
Utrecht), ce qui en fait, par leur contenu, des éditions
faisant suite à l’édition 1561, du fait d’une addition
de 1 ou 3 quatrains, respectivement, à la VIIe Centurie
et non la précédant. C’est un véritable casse-tête
chronologique, même si l’on se place dans le registre
virtuel des contrefaçons antidatées.
Si l’on admet que les éditions Rosne 1557
et Harsy 1557 ont été fabriquées/forgées après la
pseudo-édition pour 1561, la question reste posée : à
quelle édition, l’édition parisienne Barbe Regnault (cf
RCN, pp.51-52) aussi attestée par les catalogues que
l’édition Olivier Harsy 1557. On pourrait même être
tenté, en vérité, d’associer ces deux éditions
parisiennes, l’une venant compléter l’autre, si celle de
1557 ne comportait déjà l’addition en question. Mais en
fait, on n’a aucune idée du contenu de l’édition Harsy,
qui n’a jamais été décrite. Comportait-elle-même une
septième centurie ? Notons que son titre indique en tout
cas déjà une addition de 300 quatrains, ce qui
correspondrait au passage d’une édition à 3 centuries à
une édition à 6 centuries, avec un état intermédiaire de
quelques quatrains à la Ive centurie, correspondant à
l’édition Macé Bonhomme 1555, par exemple, à 53
quatrains à la dite Ive centurie. On sait que l’on n’a
pas retrouvé d’édition à six centuries. Peut être
s’agit-il de cette édition parisienne Olivier Harsy,
étant entendu que la date de 1557 est parfaitement
fictive et que le nom du libraire aura été emprunté par
ses successeurs parisiens de la Ligue.
Quand bien même cette édition Harsy
disposerait-elle d’une centurie VII, le problème
resterait posé de la fabrication d’une édition 1557
voire 1555 à sept centuries, puisque l’édition Anvers St
Jaure 1590 à 7 centuries (mais seulement 35 à la VII
mais ce nombre varie apparemment d’une édition à l’autre)
s’y réfère, la plaçant à Avignon, chez Pierre Roux, en
1555, date de la Préface à César
Notons que l’édition Anvers est déjà une
édition doublement augmentée (de trois à six et de six à
sept centuries), même si l’avertissement latin en a été
supprimé tout comme la marque additionnelle après le
quatrain IV 53, qui figure, en revanche, dans les
éditions parisiennes de la Ligue mais plus dans
l’édition rouennaise de 1589 qui précède, sous le même
titre, celle d’Anvers 1590. Cette édition Anvers nie en
fait toute addition et laisse entendre que dès 1555, il
y avait bien 7 centuries, du même auteur, comme le
souligne le titre du second volet, qui introduit encore
une addition de 300 quatrains. Mais restons-en au
premier volet.
Résumons-nous :
1 l’édition Anvers 1590 et Rouen 1589
nient tout processus additionnel. Tout est déjà en place
dès 1555.
2 les éditions Antoine du Rosne 1557
nient toute addition constitutive de la centurie VII,
les quatrains de la quelle seraient en quelque sorte
inclus dans l’addition de 300 quatrains annoncée au
titre.
3 Les éditions Barbe Regnault- référées
par les éditions ligueuses parisiennes (qui ne citent
pas la libraire mais on dispose désormais avec l’édition
Veuve N. Buffet de la preuve d’une contrefaçon antidatée,
aucune édition centurique Barbe Regnault n’ayant été
conservée ni même simplement décrite comme Rouen Petit
Val 1588) indiquent une addition que nous situons par
rapport à une édition à six centuries disparue ; la
sixième centurie étant donc la « dernière » sur laquelle
vient se greffer l’appendice qui deviendra la Centurie
VII..
4 Il a donc bien du exister une édition à
six centuries à laquelle se réfère implicitement
l’édition parisienne pour 1561. On ne possède pas non
plus d’édition ligueuse à six centuries alors que pour
les autres éditions antidatées, on a à la fois l’édition
ligueuse et l’édition antidatée, même si elles ne
correspondent pas exactement.
5 Les éditions parisiennes de la Ligue
sont antérieures par leur contenu à la formation d’une
édition à six centuries (cf. RCN, pp/118 et seq). Seul
leur titre indique une telle éventualité. Cette
production à six centuries est en revanche bien intégrée
dans les éditions de Rouen 1589 et Anvers 1590, si ce
n’est que celles-ci comportent la dite centurie VII
additionnelle.
Récapitulons un instant : l’édition à six
centuries est introuvable mais son existence découle de
l’indication d’une addition d’ »articles » à la « dernière
« centurie, c'est-à-dire à la sixième. Si addition, il
y a, c’est qu’il y a eu d’abord une édition sans la dite
addition. C’est une vérité de La Palisse.
L’erreur méthodologique que semblent
commettre certains nostradamologues consiste à
« forcer » les documents en refusant d’admettre que des
pièces du puzzle manquent. Il est patent que les
éditions Antoine du Rosne 1557, du moins celles qui nous
sont parvenues- sait-on jamais ? – ne peuvent pas avoir
été augmentées d’une centurie VII qu’elles ont déjà. On
ne peut nullement exclure que ces éditions du Rosne ont
été datées pour 1557 sur la base d’une précédente
contrefaçon à six centuries, portant la mention d’une
addition de 300 « prophéties » ou quatrains, qui
pourrait correspondre à celle parue sous le nom emprunté
du libraire parisien Olivier Harsy 1557.
Mais, si l’on se base sur les
déclarations figurant à la fin d’Anvers 1590 et
probablement de Rouen 1589 (dont la fin est tronquée),
on assiste à une sorte de surenchère avec l’affirmation
de l’existence dès 1555 d’une édition à sept centuries
sur le modèle Rouen/Anvers qui s’y réfère.
Autrement dit, plus les éditions
centuriques se situeraient à une date plus ancienne,
plus elles seraient tardives car on imagine mal un
processus inverse.. Il y aurait en fait eu un flux et un
reflux:
Flux : des additions successives
indiquées et annoncées et dont il reste des traces au
titre du premier volet, à l’exception de Macé Bonhomme
1555 qui se veut antérieure à l’addition de 300
quatrains.
Reflux : suppression de toute marque
d’addition, ce qui est le cas des Grandes et Merveilleuses Prédictions
si ce n’est que leur titre ne correspond pas à leur
contenu, en indiquant une addition (de 300 quatrains)
qui n’est pas signalisée dans le corps du texte. Cela
culmine dans l’affirmation de l’existence d’une édition,
non retrouvée, à sept centuries (Avignon, 1555) mais une
telle affirmation intérieure au livre est en
contradiction avec le titre qui indique une addition.
Comme cette édition manque, l’on s’est replié sur
Antoine du Rosne 1557-Budapest à sept centuries qui
pourrait être la copie conforme de l’édition Avignon
1555 introuvable.
Cependant, si certaines éditions manquent,
d’autres subsistent qui sont quelque peu encombrantes et
difficiles à gérer, à commencer par l’édition réapparue
en 2010 de la Veuve N. Buffet 1561 (qu’on peut
consulter à la librairie Thomas Scheler à Paris) mais
cette édition, tout comme celles de la Ligue, a un
contenu qui ne correspond aucunement au titre si bien
que l’on ne possède qu’une page de titre pour attester
de l’existence d’une édition à six centuries tout comme
l’on ne possède que la page de titre d’une édition à 4
centuries, qui serait parue sous la Ligue. (Rouen, 1588)
si ce n’est que l’on a conservé des éditions Macé
Bonhomme 1555 correspondant à une telle description.
Mais alors, pourquoi et quand avoir
produit une telle édition lyonnaise Macé Bonhomme 1555
qui ne correspond nullement à l’édition 1555 à sept
centuries signalée par Anvers 1590 ?
Cette édition est implicitement indiquée
dans les éditions indiquant une addition au titre du
premier volet. Le titre est le seul qui ne signale pas
la moindre addition et qui pourrait correspondre
idéalement à l’idée d’une édition première d’un seul
tenant à sept centuries, mais le contenu par ses limites
à 353 quatrains ne saurait correspondre à l’édition 1555
signalée par Anvers 1590, à sept centuries.
Dans quel but, par conséquent aurait-on
produit une édition à 353 quatrains laquelle correspond
au contenu des éditions parisiennes lesquelles signalent
opportunément une addition après le quatrain IV 53 ? En
fait, ces éditions parisiennes seraient, par leur
contenu, intermédiaires entre une édition à 353
quatrains (elle-même issue d’une édition Rouen 1588 à
353 quatrains non encore divisés en centuries, selon la
description qu’en donne Ruzo, l’exemplaire étant
actuellement non localisé) et une édition à six
centuries disparue mais attestée par l’avertissement
latin à la fin de la dite centurie VI dans certaines
éditions à sept centuries (Rosne, 1557, Utrecht, Benoist
Rigaud 1568)
Ces éditions parisiennes, par leur titre,
cette fois, signalent une addition à la « dernière » et
sixième centurie, ce qui donne la VIIe centurie.
L’édition Macé Bonhomme 1555 nous apparait donc comme le
premier essai de processus centurique, à condition de le
situer après l’édition Rouen 1588 à 349 quatrains (non
encore centurisés). Il est suivi d’une édition -perdue-
augmentée de 300 quatrains (en fait de 247 quatrains)
formant ainsi six centuries puis d’une édition augmentée
d’une centurie VII dont on n’a que le titre. On passe
ensuite aux éditions doublement contrefaites puisque non
seulement elles sont antidatées comme le précédent
groupe mais de surcroit elles se veulent antidatées par
rapport aux éditions antidatées.
JHB
29. 08. 11
30 - Le rôle de César de Nostredame dans le revival
nostradamique des années 1580
Quelle fut la place de César de
Nostredame dans la genèse des Centuries et plus
généralement dans la perpétuation du nostradamisme ? Il
semble que le plus souvent, César ne soit perçu que
comme un nouveau né auquel son père Michel s’adresserait
et s’il est présent dans le processus nostradamique
jusqu’à nos jours, ce serait uniquement du fait de cette
épitre que son père lui aurait adressée en 1555. La
question que nous poserons ici est celle de
l’éventualité de son intervention bien dans les années
1580-1590.
La récente découverte par Gérard Morisse
(cf Hippolyte Gosselin,
« Glanes historiques normandes. Simples notes sur les
imprimeurs et les libraires rouennais (XVe,
XVIe
et XVIIe
siècles) », in Revue de
la Normandie,
1870) d’un catalogue signalant un almanach de « César de
Nostredamus », paru à Rouen chez Pierre Courant en 1594
et encore dix ans plus tard, chez un ensemble de
libraires normands dont le dit Pierre Courant, Théodore
Rainsart et Loys Costé, nous invite à ne pas
sous-estimer son rôle au sein de la mouvance
néo-nostradamique comme pour ce qui relève du « retour »
d’outre-tombe de Nostradamus proprement dit.
On notera que cet almanach – dont on ne
connait au demeurant rien d’autre que la dite mention et
que le nom des libraires autorisés à l’exploiter- figure
avec d’autres almanachs comme celui de Cormopéde, celui
d’un certain Pierre de Billy, probable successeur de
Himbert de Billy.
Or, en la même année 1594 qui est celle
que couvre la première édition signalée de l’almanach de
César de Nostradamus ou ailleurs de César Nostradamus,
le nom du dit César figure dans le Janus Gallicus,
à la fin du « Brief Discours » sur la vie de son père,
par Jean Aimé de Chavigny. :
« Le premier des (enfants) masles, nommé
César, personnage d’un fort gaillard & gentil esprit, en
celui auquel il a dédié ses Centuries premieres duquel
nous devons espérer de grandes choses, si vray est ce
que ce que l’en ay trouvé en plusieurs lieux de ses
Commentaires de son dit père, notamment sur l’an 1559 &
mois de juillet où je renvoye le Lecteur »
Passage qui mérite qu’on s’y arrête et
d’abord parce qu’il y est question à la fois de
« centuries premières » et de « commentaires » datés,
qui semblent renvoyer à des almanachs construits sur une
base mensuelle, d’où cette référence à juillet 1559.
Certes, nous savons que la préface à César introduit les
Centuries « prophétiques « .et non des centuries
rassemblant telle ou telle année de quatrains
d’almanachs. Or, le mot « Centurie » peut tout à fait
viser, comme nous l’avons montré ailleurs, des séries de
« présages » en vers placés au sein d’almanachs et ainsi
rassemblés.
Mais ce passage relatif à César nous
interpelle aussi en ce qu’il semble dénoter une certaine
amitié entre Chavigny et César, quant à lui âgé alors
d’une quarantaine d’années. Il ne serait donc pas
question d’un personnage qui aurait disparu de la
circulation. Et de fait, si César de Nostradamus est
l’auteur ou en tour cas le signataire d’un almanach voué
à une certaine fortune puisque attesté encore dix ans
après.(cf. supra), jusqu’à quel point est-il impliqué
dans le « revival » nostradamique des deux dernières
décennies du XVIe siècle ?.
Bien plus, qui a eu l’idée de faire
paraitre, dans les années 80 du siècle, cette Préface à
César si ce n’est le dit César lui-même non pas, bien
entendu, quand il était âgé de quelques mois mais bel et
bien dans sa trentaine ? C’est ainsi que sous la Ligue,
les centuries « prophétiques » seront toutes annoncées
par la dite Préface laquelle se réfère à un mémoire, à
une sorte de testament qui ne serait autre que les
volumes de centuries de quatrains prophétiques sans
référence à un quelconque calendrier, ceci étant le
critère distinguant les deux usages du mot « centurie »,
dans le champ nostradamique..
A la mort de Nostradamus, en 1566, va
continuer à prospérer ce que nous avons appelé un
néonostradamisme, constitué de personnages dont le nom
reprend celui de Nostradamus (Mi. De Nostradamus,
Nostradamus le Jeune, Crespin Nostradamus/Archidamus et
toutes sortes de disciples ou d’imitateurs comme Himbert
de Billy, le sieur de Cormopéde (cf supra) ou encore les
Colony, qui sans mentionner le nom de Nostradamus lui
empruntent ses vignettes et le genre des quatrains
mensuels. A cette liste d’auteurs d’almanachs, il
convient donc désormais d’ajouter celui de César de
Nostradamus, le dédicataire du texte introduisant les
Centuries prophétiques qui va conférer par sa présence
une certaine légitimité au phénomène lié à une nouvelle
génération.
Or, il est d’autant plus remarquable
qu’une telle constellation d’auteurs, réels ou fictifs,
laisse la place à Michel de Nostradamus lui-même, revenu
d’outre-tombe. Or, si l’on ne tenait pas compte de ce
phénomène, on aurait une solution de continuité entre
les années 1560 et les années 1580. Car le « revival »
de Nostradamus ne se conçoit que précédé par ce
néonostradamisme. Ajoutons qu’un Benoist Rigaud,
libraire lyonnais, dont le nom sera associé à l’histoire
des éditions des Centuries –avec notamment l’édition
1568 en dix centuries de quatrains prophétiques aura
considérablement contribué à la diffusion de la
production néonostradamique. Ajoutons que dans un
premier temps, ce revival passa par la parution des
quatrains des almanachs de Nostradamus, ensemble qui
avait été conservé en manuscrit et le terme « centurie »
aurait d’ abord servi à désigner chaque année de
quatrains, tout comme le mot décade (dix jours) désigne
en anglais une décennie. (Dix ans, un dixième de siècle,
de « centurie)
A un certain stade, il semble qu’il ait
été décidé de rassembler la production néonostradamique
sous la forme de quatrains attribués à Nostradamus et
prenant le nom de « centuries ». C’est ainsi que l’œuvre
d’un Antoine Crespin- comme nous l’avons montré dans nos Documents Inexploités sur le phénomène
Nostradamus,
aura été mise à contribution. Crespin n’aurait donc pas
emprunté divers textes à Nostradamus mais c’est
Nostradamus, en quelque sorte, qui aurait repris, par le
truchement de quelques libraires, à son compte, si l’on
peut dire, le travail de Crespin (cf. notre
communication au congrès mondial des études juives,
Jérusalem, 2005), qui serait son débiteur.
Phénomène donc assez étonnant et pas
assez mis en évidence que celui d’une « renaissance » de
Nostradamus dévorant, tel Saturne, ses propres «enfants »,
ce qui se produira notamment par la production
d’éditions antidatées dont l’existence « démontrera »
que toute la production néonostradamique de quatrains
était déjà présente dans l’œuvre de Nostradamus, non
seulement à sa mort (1568) mais même de son
vivant.(1555-1557). La boucle était ainsi bouclée.
Cela conduira d’ailleurs à la
marginalisation des « vrais » quatrains des almanachs de
Nostradamus , qui seront quasiment évacués du canon
nostradamique, au profit de ces néo-centuries,
abusivement attribuées au dit Nostradamus, à telle
enseigne que le Dominicain Giffré de Réchac, en 1656,
dans son Eclaircissement des Véritables
quatrains de Nostradamus
auquel nous consacrâmes en 2007 notre post-doctorat (EPHE
Ve section) mettra en cause l’authenticité des dits
quatrains d’almanachs en confirmant celle des quatrains
néo-nostradamiques, au vu de leur vertu prophétique, par
le biais de son exégèse....
Un Chavigny, dans le Janus Gallicus (1594), correspond à un état
intermédiaire où cohabitent les quatrains des deux types
de « centuries » Réchac en prend le contrepied en les
évacuant de son corpus. Mais on sait que son œuvre
restera en grande partie inédite et anonyme.
On pourrait résumer l’histoire du
centurisme jusqu’à nos jours comme une tentative pour
éliminer la « matrice » que constituent les quatrains
des almanachs mais aussi le souvenir de cette
constellation néo-nostradamique qui servira non
seulement à perpétuer le nom de Nostradamus mais – selon
l’exemple de l’arroseur arrosé – se verra confisquée au
profit de son modèle son propre apport. Cas remarquable
d’un imitateur spolié par celui qu’il imite, non point
certes par l’auteur lui-même, décédé, mais par ceux qui
se sont emparés de son nom. En fait, ce «revival » n’est
qu’un nouvel avatar du néo-nostradamisme.
Dans son Brief Discours sur la vie de
Nostradamus qui sera repris tout au long du XVIIe siècle
sous le titre « La Vie de Maistre Michel Nostradamus »,
en tête des éditions, passant même avant la Préface à
César, qui lui fait suite, Chavigny évoque d’une part
les « 12 centuries de prédictions comprises briefvement
par quatrains » - et de l’autre des « présages en prose
faits depuis l’an 1550 jusques à 67 », pas de trace des
présages en vers, issus des almanachs, même si ceux-ci
sont commentés dans le corps de l’ouvrage, même si l’on
trouve plus haut le quatrain de l’an 1555. En fait, ce
« Brief Discours » ne correspond pas tout à fait avec ce
qui lui fait suite, le Janus Gallicus
étant un recueil de pièces et non un ensemble d’un seul
tenant et Chavigny en étant plus l’éditeur – le « collector »-
au sens anglais du terme, que l’auteur.
Un Chavigny qui se présente devant la
postérité comme le fidèle tenant de l’héritage de Michel
Nostradamus, à l’instar d’un Benoist Rigaud mais qui en
fait avait été aussi celui qui avait « lancé » les
almanachs du sieur de Compère – on y retrouve ses
initiales J. A. Ch. B. En réalité, ces gardiens du
nostradamisme originel furent aussi les artisans du
néonostradamisme dans lequel ils puisèrent sans vergogne
pour forger-dans tous les sens du terme, la statue
imposante et mythique du prophète Nostradamus
Mais revenons au cas de la Préface à
César car le fait même de produire un texte adressé par
Nostradamus à son fils pourrait être une invention du
dit César, remaniant un texte qui ne faisait que
mentionner son nom, sans autre forme de procés. Il aura
bien fallu le consentement de César pour qu’un tel texte
censé avoir été dédié au jeune César en 1555, introduise
un ensemble de quatrains dont son père n’était nullement
l’auteur. D’ailleurs, aurait-on même connu le dit texte
sans que César n’en fît état ? Il n’était pas du tout
évident qu’un tel texte figurât ainsi, sous la Ligue,
dès lors que l’on exclut qu’il soit paru en 1555 en tête
des Centuries prophétiques.
Selon nous, César aurait pu faire
circuler le texte en question – sous la formule
restituée par le libraire Antoine Besson, à la fin du
XVIIe siècle- avant même que celui-ci soit placé en tête
des centuries ligueuses et il est même probable qu’il
ait fait composer les Prophéties
de Couillard (1556) afin de démontrer leur appartenance
aux années 1550. On sait que cette « préface », sous sa
forme centurique, sera par la suite amplifiée, incluant
notamment des extraits du Compendium de Savonarole. Il n’est d’ailleurs pas
impossible que la dite Préface ait d’abord servi
d’introduction aux almanachs de César de Nostredame.(sur
la production de César, cf RCN, pp. 152 et seq). Quant
à l’idée même d’une telle épitre, on peut penser qu’elle
ait été inspirée par une épitre de Trithème à l’empereur
(César) Maximilien, César de Nostredame jouant sur son
propre prénom impérial.
Nous reprendrons ici brièvement le
dossier « César de Nostredame » tel qu’il était présenté
en 1999 dans notre thèse d’Etat Le texte prophétique en France,
formation et fortune.
Nous avions alors relevé un commentaire de César sur le
quatrain I, 35. (cf. notre thèse, pp. 505-506 et. 1104)
En 1602, César, dans
l’Entrée de la Reine en sa ville de Salon
(Aix ; Jean Tholosan) (cf. RCN, p. 152 qui ne signale
pas ce passage), décrivait déjà les décorations que la
ville a placées en l’honneur de Catherine de Médicis
« Au côté gauche le quatrain qui se trouve aux centuries de feu mon Père,
desquelles Monsieur de Brémond, sieur de Pennefort,
Conseiller, semble estre le vray genie & l’interprète
fatal «. Il s’agit du quatrain V, 39. (cf. notre thèse,
p. 1122). On note qu’ainsi César accorde sa caution aux
éditions centuriques ou en tout cas à la partie
comportant le dit quatrain. Il évoque un personnage
auquel il accorde un certain mérite et dont les
nostradamologues ne disent mot.
En 1616, parut son Histoire et Chronique de Provence
(Lyon, chez S. Rigaud, de la famille de Benoist Rigaud),
César fournit (p. 782) les réflexions suivantes sur
1559 à propos de la mort d’Henri II :
« Infortuné coup de lance qu’un certain
personnage, excellent sembloit avoir montré du doigt à
l’un de ses quatrains prophétiques quelques ans
auparavant ». César ne mentionne pas explicitement ici
son père et d’ailleurs cela peut fort bien désigner les
almanachs. Dans le Recueil de Présages Prosaïques,
on trouve pour l’an 1559 (cf Chevignard, Présages,
pp. 132 et seq et 329) la mention marginale « Mort du
Roy Henry II » et le quatrain de février comporte : »
Grain corrompu ». Or, selon César, le grain désigne
(grain d’orge) Gabriel d’Orges Montgommery qui blessa
mortellement le roi en tournoi. Mais, pour l’an 1555,
César avait signalé (p. 776), dans son Histoire,
que son père lui avait dédié « au bers » (au berceau)
ses centuries « le rendant immortel » et déclare avoir
suivi ses « traces », outre que les dites Centuries
valurent à son père, aussitôt parues, d’être invité à la
Cour. On dirait que César évite d’associer le nom de son
père aux quatrains des almanachs et ce sont donc les
« Centuries » qui auront fait, à l’entendre, la
réputation de Nostradamus, de son vivant, et non les « présages ».
Il reste que le choix de 1555 pour dater les premières
éditions des Centuries est directement lié à l’épitre à
César.
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