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Researches 191-200 |
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191 -
Rabelais et Nostradamus faiseurs d’almanachs |
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192 -
L’attirance pour l’inconsistance : l’exemple des Centuries et du
thème natal |
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193 -
Nostradamus : la biographie à la merci de la bibliographie |
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194 -
Les Centuries, entreprise inachevée ou tronquée. |
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195 -
Nostradamus et Morin de Villefranche : le vivant et le posthume |
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196 -
Les Centuries, comme œuvre d’un poète inconnu |
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197 -
Les centuries comme métamorphose du discours nostradamien |
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Researches 191-200
191 -
Rabelais et Nostradamus faiseurs d’almanachs
Par Jacques Halbronn
On connait une « Grande et vraye Pronostication nouvelle pour l’an
1544 » de Rabelais alias Seraphino Calbarsy (anagramme), reprise dans
le volume de La Pléiade, sur Rabelais (pp. 951 et seq) que l’on peut
rapprocher de la production parue sous un titre assez proche sous le
nom de Nostradamus, au cours de la décennie suivante.
Le lecteur de l’Epître à Henri II est frappé par un passage de cette
publication rabelaisienne :
« En laquelle Saturne depuis le premier de mars iusques au XX. de
juillet parfera sa retrogradation, Iupiter dès le VII mars au VI
juillet sera molesté de rétrogradation . Mars dès le XXII may jusques
au XXVI juillet retrogradera. Vénus dès le commencement de l’année
iusques au XIV de janvier sera rétrograde. Mercure depuis le XXVI de
mars iusques au XVII d’avril et dès le XX juillet et jusques au XII
d’aoust et oultre ce depuis le XIV novembre jusques au IIII décembre
il retrocedera »
Dans la Pantagruéline pronostication, au chapitre de l’éclipse de
l’année, il est fait une bréve référence au fait que telle planéte
puisse être « rétrograde », « directe » ou « inconstante ». On sait
toute l’importance que Nostradamus accordait aux éclipses à la fin de
sa vie.
Epitre à Henri II
« depuis le temps que Saturne qui tournera entrer à sept du moys
d’Avril iusques au 25. D’Aoust Iupiter à 14. De Iuin iusques au 17.
D’Octobre etc » On notera un probléme de ponctuation. Il y aurait du y
avoir une virgule entre les positions de Saturne et celles de Jupiter.
Cette faute trahit le peu de soin du travail de « saisie » et de
compréhension du texte par le compilateur. On sait que ces positions
concernent l’an 1606 mais cela n’est même pas indiqué explicitement.
Il reste que ce type de développement sur les rétrogradations
correspond à la pratique des Pronostications. Toutefois, l’on ne
retrouve pas un tel exposé systématique dans les exemplaires qui nous
sont parvenus des Pronostications de Nostradamus (pour 1557 et 1558).
L’on peut donc se demander si les compilateurs de l’Epitre à Henri II
ne se sont pas servis de publications relativement anciennes
antérieures à la période de production de Nostradamus.
Dans quelle mesure la Pantagruéline Pronostication se calque sur les
Pronostications « normales » de Rabelais ? On y trouve un chapitre sur
les Eclipses dans les deux cas mais dans la Pantagruéline
pronostication, on ne trouve pas de données astronomiques précises. On
a gardé le cadre mais vidé en partie le contenu de sa substance, quand
bien même une année précise serait donnée qui favorise la mépris
L’exemplaire de la BNF pY2 21 donne le titre suivant pour la
Pantagruéline Pronostication : (p. 225) : « Pour l’An Mil cinq cens
quarante & sept »/ Par la suite, la formule sera « pour l’an perpétuel
»
Il est étonnant que la forme « 1547 » soit signée François Rabelais
alors que la forme « perpétuel » est signée « Maistre Alcofribas
architriclin dudict Pantagruel » On aura abandonné la forme »An
perpétuel » pour donner une échéance précise mais par la suite on
reviendra à la formule « An perpétuel » et à Alcofribas, anagramme.
Cette variante « 1547 » n’est pas signalée dans le volume de la
Pléiade (notes de François Moreau, pp. 1703-1704) qui ne dépasse pas
les années 1530. Or, en 1547, le titre de la Pantagruéline
Pronostication ne reprend pas la formul de l’An Perpétuel mais renoue
avec la fixation d’une année correspondant à la date de parution de
l’ensemble du recueil. ». Cette mention de 1547 pour la Pantagruéline
Pronostication, non signalée par les spécialistes de Rabelais renforce
les particularités de cette édition (dont la BNF a un exemplaire),
dont notamment le « Prologue Pantagruel » qui ne sera pas repris à la
veille de la mort de Rabelais. Les éditions des années 1550
reprendront la forme « An perpétuel ». Rappelons à ce propos que dans
la Préface à César, il est fait référence à de « perpétuelles
vaticinations »..
On notera que simultanément Rabelais publie d’une part une
Pantagruéline Pronostication pour 1547 sous le nom de François
Rabelais, au sein d’un ensemble de quatre « livres » et une vraie
Pronostication sous le pseudonyme de Seraphino Calbarsy.
On notera la similitude des titres pour Calbarsy et pour Nostradamus :
La grand pronostication nouvelle avec portenteuse prédiction pour l’an
MDLVII composée par Maistre Michel de nostre Dame, Docteur en Medecine
de Salon de Craux en Provence.
On connait une précédente édition (cf Pléiade pp. 945 et seq) pour
1541 dont le prologue est identique mais les calculs différents.
Nostradamus évitera, en revanche, de se répéter d’une année sur
l’autre .
Au lecteur bénivole. Salut et paix en Iésus le Christ (formule reprise
dans la Pantagruéline Pronostication) : « En ce peu de papier qu’il
restoit blanc, je respondroys voluntiers à la calumnie d’aucuns ocieux.
(..) Laissant doncques telles resveries, je me convertis à brievement
vous exposer ce que je trouve de ceste presente année »,
On notera ce point commun entre Rabelais et Nostradamus faisant
référence à la calomnie. Il y a dans les Significations de l’Eclipse
de 1559 « avec une sommaire responce à ses dettracteurs »– et qui
comporte exceptionnellement la vignette des Pronostications- qui selon
nous est une contrefaçon, un développement assez rabelaisien : (cf ed
. Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, 1999 ; pp. 465 et
seq) « ce gros animal est si téméraire & si hébété d’entendement de se
dire Philosophe (..) Quelle cause te vient esmouvoir de calumnier
celuy qui ne fait ne dict mal à personne »
Un autre passage est quasiment identique entre la version pour 1541 et
celle pour 1544
« De la disposition des biens et fruictz de la terre »
Selon les influences célestes, je trouve que nous aurons bonne année
de touz biens et fruictz provenant de la terre, mesmement de grain, de
foin, lesgumages et cultivages. Lesquels seront bien dangereux d’estre
gastez à caus de grand vermine que la terre produyr a ceste année » (p
946)
Le texte pour 1544 varie à la fin : » « dangereux d’estre gastez à
cause des planétes dessusdictes qui regneront cette année », ce qui
nous semble plus approprié.
On dispose de deux publications annuelles pour 1541(reprises in Volume
Pléiade, pp . 941 et seq). Etrangement, l’almanach pour 1541 est signa
François Rabelais alors que la pronostication est signée Seraphino
Calbarsy comme s’il était plus honorable de signer un almanac h qui
n’est qu’un calendreir qu’une pronostication plus marquée par
l’astrologie. Or nous avons observé que tantôt la Pantagruéline
pronostication est signée Alcofribas et tantôt Rabelais. Les almanachs
de Rabelais pour les années 1533 et 1535 sont bel et bien signés
Rabelais. A la différence des Pronostications, Rabelais présente des
propos introductifs différemment rédigés.
On notera que chez Nostradamus, les vignettes sont réservées aux
seules pronostications, du moins au cours des années 1550, la
présentation des almanachs étant plus sobre (cf notammment le
triptyque de 1557 (dans notre édition de 2002, Ed. Ramkat). On trouve
dans un coin de la vignette la forme » M. de Nostredame », au sein
d’un blason.
Rappelons que la vignette de la Pronostication chez Nostradamus est à
rapprocher de celle de la Pantagruéline Pronostication pour 153 7 (BNF
Réserve, pY2 164), vignette qui représente l’auteur et que l’on
retrouve à diverses occasions, comme à propos de « la généalogie et
antiquité de Gargantua ». ou encore, comme déjà signalé ailleurs, du «
Prologue Pantagruel » du Quart Livre, dans l’édition de 1547, texte
qui ne sera pas repris par la suite.
JHB
06. 05. 13 |
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192 -
L’attirance pour l’inconsistance : l’exemple des Centuries et du thème
natal
Par Jacques Halbronn
Parfois, l’on nous demande : mais qu’est ce qui a fait le succès des
Centuries de Nostradamus ? En fait, il vaudrait mieux se poser la
question suivante : pourquoi de toute l’œuvre de Nostradamus n’a-t-on
retenu que les Centuries mais pour s’interroger ainsi encore faut-il
savoir que Nostradamus n’est pas l’auteur des seules Centuries. La
même question peut se poser à propos de l’astrologie : pourquoi est-ce
cette partie de l’astrologie qui occupe l’essentiel du terrain et
point d’autres parties ? Mais là encore faut-il avoir une vision
globale de l’Astrologie, ce qui n’est pas donné à tout le monde.
En fait, ce qui aura surnagé tant au regard de Nostradamus que de
l’Astrologie semble concerner les productions les plus touffues, les
plus inconsistantes donc les moins « falsifiables » (Popper). Dans le
cas de Nostradamus, on le sait à présent, les centuries sont très
vraisemblablement un recyclage posthume de ses brouillons, de ses
notes éparses, un peu comme pour le Cinquième Livre de Gargantua et
Rabelais, pour ne pas parler des Pensées de Pascal. Dans le cas du
thème natal, le mode d’emploi en est aussi souple que celui des
quatrains.
Comme dirait Darwin, ce qui est conservé est ce qui aura le mieux
résisté. En fait, à partir du moment où un texte connait une certaine
fortune, il s’enrichit de commentaires, d’applications et donc se
renforce, se consolide s’impose.
Autrement dit, ce sont les éléments les plus inconsistants qui
surnagent, qui survivent à la postérité ou plutôt, la postérité
conserve le pire et le meilleur, le plus « mou » et le plus « dur ».
Cela signifie qu’au sein de chaque domaine, il y aura une sorte de
guerre intestine entre les « survivants » et que ce n’est pas
forcément le plus valable qui l’emporte.
Dans nos travaux sur ces deux questions, nous avons clairement montré
à quel point cette dualité pouvait exister et résister. En astrologie,
on a en effet d’une part le thème astral qui est un salmigondis de
données éparses que l’on cherche à unifier mais qui change d’un cas
sur l’autre, on pourrait dire d’un instant à l’autre face à n cycle
universel qui intègre les principes mêmes de l’ordre socio-historique
et d’autre part, on a les centuries qui n’ont d’ailleurs rien
d’astrologique face à une œuvre astrologique du dit Nostradamus qui .s’inscrit
dans le droit fil d’une quête d’une astrologie s’articulant sur un
nombre limité de données, et notamment sur les éclipses, un aspect de
son œuvre totalement inconnu du public et qui aura d’ailleurs connu
des applications plus ou moins heureuses du fait même de leur
précision ,
Ce qui nous renvoie à un problème de méthodologie et à la maladie
infantile de l’astrologie, à savoir q qu’il ne faut pas chercher à
être précis dans les détails mais juste dans les grandes lignes. C’est
là une quadrature du cercle à laquelle se heurtent la plupart des
astrologues et qu’ils gèrent diversement. L’astrologie ne peut se
passer, selon nous, d’une certaine dose d’abstraction dans ses
formulations et elle doit également « nettoyer » son objet d’étude. On
ne théorise pas sur des assiettes sales quand on veut élaborer l’idée
d’assiette. Trop d’astrologues, à la façon des médecins d’autrefois
qui ne se lavaient pas les mains avant d’opérer, ne prennent même pas
la peine de toiletter les données qu’ils entendent analyser, ce qui
les condamne à l’échec. Mais parfois, cette négligence leur apporte un
semblant de succès. Que dire si l’on place dans le même ensemble des
produits différents mais qui ont été exposés à un même ingrédient, ce
qui leur donne un même aspect, un même « goût » ?
On ne cessera donc de le répéter : l’utilisateur d’un modèle
astrologique doit « laver » son objet, doit le réduite, le décanter.
C’est là une opération préalable. Et inversement, toute prévision
astrologique devra être ajustée à un contexte et ne pas se présenter
dans sa nudité. Nous suggérons que chacun s’applique à lui-même le dit
modèle plutôt qu’il ne l’applique à un tiers. Car applique le modèle
astrologique à un inconnu, c’est basculer dans la divination, c’est
outrepasser les limites de l’astrologie et c’est finalement aboutir à
une astrologie boursouflée. Ce qui signifie qu’avant d’appliquer un
quelconque modèle astrologique, il importe de le nettoyer, de
l’aseptiser, de le délester de ses souillures, le rendre à sa
virginité. Trop souvent, la propreté extérieure d’une personne, d’un
lieu masque la saleté et le désordre intérieurs si ce n’est que
d’aucuns nous disent que le thème natal nous décrit cet intérieur tel
qu’il est. En aucune façon, pensons-nous l’astrologie n’est
responsable de la souillure, de la pollution, du monde et c’’est un
scandale que de sanctuariser ce qui est dévoyé..
Selon nous, les centuries défigurent Nostradamus tout comme le thème
natal est une énorme verrue sur le nez de l’astrologie.
JHB
10. 05.13 |
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193 -
Nostradamus : la biographie à la merci de la bibliographie
Par Jacques Halbronn
En histoire de l’art, la datation des œuvres est intimement associée
avec ce que l’on sait de la vie des peintres. On s’intéresse de près à
l’évolution de leur style et au contexte dans lequel telle œuvre a été
réalisée. La question de la datation est toujours au cœur du débat. En
est-il ainsi pour les études sur Nostradamus ? On peut raisonnablement
en douter. Trop souvent, des données bibliographiques discutables
s’insèrent d’office dans le champ biographique. On retrouve ainsi dans
le récit de la vie de Michel de Nostredame le fait qu’il s’est occupé
de publier « ses » Centuries au cours des années 1550. Ce qui fait foi,
c’est tout simplement la mention de telle ou telle année sur les
impressions comme si ce qui était imprimé était sans appel.
La vie de Nostradamus (1503-1566) serait donc structurée au prisme de
sa production et celle-ci ne serait pas datée au prisme de sa vie
comme si le chercheur ne disposait pas d’outils pour ordonner
chronologiquement l’ensemble de l’œuvre parue sous son nom. C’est
ainsi que les centuries, les almanachs, les pronostications de
Nostradamus seraient parus de concert dans le cours des années 1550.
La thèse d’une simultanéité de parution de textes aussi différents
nous parait cependant bien difficile à soutenir, tant dans le style et
la conception des textes que dans la présentation des documents. C’est
ce télescopage, cet écrasement temporel qui constitue un problème
majeur de la chronologie de l’œuvre de Nostradamus.
Il semble bien, tout au contraire, que l’on doive replacer dans des
temps successifs et sur une période qui dépasse singulièrement les
limites de la vie de Nostradamus les publications respectives. Nous ne
reviendrons pas ici sur le détail des arguments. On dira seulement que
les vignettes ornant la prétendue production des années 1550 des «
Prophéties » diffèrent de celles dont se sert Nostradamus, au même
moment, pour ses Pronostications. (cf. la probable influence la
Pantagruéline Pronostication de Rabelais dans un précédent article) .
On ajoutera qu’il y a un décalage considérable entre le contenu des
textes des publications annuelles de Nostradamus et celui des «
Centuries » qui apparaissent comme placées en vrac sous cette forme «
centurique » qui permet de s’y retrouver à partir d’un index des
versets, index qui manque d’ailleurs dans les éditions qui nous sont
parvenues. Ce « vrac » est assez caractéristique des œuvres posthumes
(cf. le cas des Pensées de Pascal ou du Cinquième Livre de Rabelais)
Les biographies de Nostradamus doivent ainsi compter parmi les moins
fiables qui soient, dans le genre, et cela tient, comme on l’a dit, à
une certaine indifférence des chercheurs quant à la vraisemblance et
la négligence des solutions de continuité pourtant assez flagrantes.
Une grave lacune des biographes de Nostradamus est à relever par
ailleurs. Elle concerne certaines « prédictions » (qui sont par
ailleurs attestées en italien et reprises partiellement dans certains
quatrains centuriques) faites par Nostradamus concernant l’année 1567
(il meurt lui-même en 1566). Le fait d’avoir négligé le contenu d’un
manuscrit concernant l’almanach pour 1562, dédié au pape Pie IV,
lequel almanach semble avoir été censuré en France mais pas en Italie,
tend à fausser les perspectives.
Il semble bien que contrairement à ce que l’on affirme volontiers,
Nostradamus ait entendu s’exprimer en clair et que la forme versifiée
n’aurait pu être qu’un pis-aller. A partir du moment où cet aspect de
son œuvre a été négligé, il devenait plus facile de laisser croire que
Nostradamus avait voulu, en parallèle, délivrer un certain message
plus ou moins crypté. Au vrai, Nostradamus ne se voulait pas seulement
auteur besogneux d’une activité annuelle d’interprété de dizaines de «
cartes du ciel ». En 1561, il décide d’annexer à son almanach qui
connait une certaine diffusion un « mémoire » qui dépasse de très loin
le cadre normal de l’almanach, qui en outrepasse les bornes. Alors que
des directives prises en 1560, à Orléans, tentent de réglementer
l’impact de cette production annuelle, ne voilà-t-il pas Nostradamus
qui vient affoler les populations avec ce qu’il dit d’une certaine
éclipse prévue de longue date pour le mois d’avril 1567 et dont on
comprend qu’elle touche quelque part à l’Antéchrist. Il serait bon que
les futurs biographes signalent cette fièvre prophétique qui s’empare
de Nostradamus se prenant pour un prophète biblique, tel Jonas
annonçant la chute de Ninive. En ce sens, on ne peut nier à
Nostradamus le statut de prophète mais non pas pour ses centuries
appelées « prophéties »- bien qu’elles s’en fassent l’écho
sensiblement déformé et dilué mais pour ses appendices à sa production
annuelle. Faut-il préciser que l’on peut parler ici d’un certain échec
posthume de Nostradamus à prophétiser l’avènement de celui qu’il nomme
« Marcelin » en jouant sur le mot « macelin », boucher (macelino). Le
jeu de mots existe surtout en italien et l’on peut se demander si
Nostradamus n’avait pas d’abord rédigé son texte dans cette langue.
Notons que l’almanach pour 1563, paru l’année suivante, comporte une
épitre bilingue français/italien et que le texte italien fut largement
conservé en plusieurs éditions.
Comme nous le rappelions, il est fort peu probable que les centuries –
même si certaines données sont bien prises des « papiers » conservés
dans le bureau de Nostradamus,- parurent avant les années 1580. Le
travail de datation des différentes éditons des centuries est
extrêmement complexe à conduire vu que des éditions antidatés des
années 1550-1560 continueront à être produites jusqu’en plein XVIIIe
siècle, ce qui est notamment le cas des éditions « posthumes », datées
de 1566 et de 1568.
Il serait donc conseillé à l’avenir que les biographes de Nostradamus
suppriment la mention d’une publication des centuries de son vivant
mais s’intéressent en revanche au « prophétisme » antéchristique de
cet auteur, dans les années qui précédèrent sa mort d’autant que cette
activité proprement prophétique qui a pu justifier de publier certains
textes sous le nom de « Prophéties », sous la Ligue.
JHB
14. 05. 13 |
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194 - Les
Centuries, entreprise inachevée ou tronquée.
Par Jacques Halbronn
Si nous avons concédé que les centuries pouvaient reprendre certains
textes en prose – le cas « macelin » témoigne du recours à l’appendice
de l’almanach pour 1562- il est deux points qui ne sauraient pour
autant être admis : d’une part, en ce qui concerne la mise en vers de
la prose de Nostradamus et d’autre part en ce qui concerne les
éditions censées parues du vivant de Nostradamus.
Sur le premier point, il nous semble tout à fait hors de question que
Nostradamus ait lui-même versifié ses notes manuscrites d’autant que
selon nous les quatrains des almanachs (par la suite désignés, au
XVIIe siècle, sous le nom de présages) obéissent au même schéma de
versification par un tiers de la prose.
Sur le second point, la thèse des brouillons retrouvés à la mort de
Nostradamus exclue d’emblée toute publication des Centuries avant son
décès. Ce qui est une vérité de La Palisse.
Les historiens de l’Art ont l’habitude de débattre de l’authenticité
de telle ou telle œuvre. Ils admettent volontiers que tel auteur ait
des collaborateurs. C’est ainsi que nous lisons dans une « Histoire de
la Peinture », que « Rembrandt compte de nombreux imitateurs. Ils
reproduisent si fidèlement son style qu’il est quasiment impossible de
distinguer leurs œuvres des siennes. Cette incertitude fait l’objet de
nombreuses recherches » (Collectif, Ed France Loisirs, p. 246, 2008)
On se souvient de tel nostradamologue qui déclarait « inimitable » le
style de Nostradamus pour évacuer la thèse selon laquelle il ne serait
pas l’auteur des Centuries. Position d’autant plus intenable qu’elle
prenait pour référence les « présages » dont l’attribution à
Nostradamus est bien improbable. La forme versifiée est aux antipodes
de la démarche de Nostradamus qui voulait que son lecteur suivît de
près son argumentation, sans se dissimuler derrière une esthétique
baroque et contournée..
La recherche nostradamologique ne saurait se réduire à recopier les
dates figurant sur les pages de titre des éditions, ce dont se
contentent le plus souvent les bibliothécaires. Il importe de
respecter une vraisemblance, une logique, un contexte. Dater une pièce
non datée ou antidatée n’est évidemment point chose simple et
accessible au premier venu et si certaines contrefaçons grossières ont
pu être démasquées, comme les éditions Pierre Rigaud 1566 parues, hors
du royaume, à Avignon au XVIIIe siècle, d’autres ont échappé à la
critique dès lors qu’elles respectaient une certaine façade, comme
Macé Bonhomme, Lyon, 1555 dont on nous dit que ces éditions sont «
conformes » à certaines pratiques du dit Bonhomme, comme s’il était si
difficile que cela de récupérer certains éléments anciens, d’une
génération à l’autre. Plus l’on est savant et plus il est loisible de
contrefaire les choses.
Le recoupement par le jeu des traductions nous semble assez concluant
et force est de constater que si certaines publications de Nostradamus
se retrouvent au XVIe siècle en italien, en allemand, en flamand ou en
anglais, il n’y a point, à l’époque, trace des centuries, dans une
langue étrangère, alors même que certains quatrains-présages sont
traduits, Ce n’est qu’en 1594 que le Janus Gallicus offre une
traduction partielle latine à la fois des quatrains-présages et des
quatrains centuriques.
Le bilan des témoignages de quatrains centuriques parus du vivant de
Nostradamus ou même avant les années 1580, est terriblement maigre et
ce d’autant plus que nous avions mis au défi les chercheurs, voilà
près d’une vingtaine d’années de nous en fournir des preuves. En fait,
c’est nous qui avons signalé certains cas allant dans ce sens et notre
exposé de soutenance en 2008, à la Sorbonne, en postdoctorat (cf sur
teleprovidence), avait été centré sur l’Epitre de Jean de Chevigny à
Larcher, en tête de la traduction de l’Androgyn de Dorat (1570, Bib,
Arsenal), dans laquelle épitre figurait un quatrain dument numéroté.
De même avions nous signalé l’usage ponctuel du mot Centurie dans les
Significations de l’Eclipse de 1559. Et bien entendu, il y a le cas
Antoine Crespin, certaines de ses œuvres fourmillant de versets
centuriques, au début des années 1570 (cf notre édition, Ramkat,
2002).
En fait, nous sommes tellement habitués à associer le mot Centurie au
mot prophétie que l’on oublie que ce terme était purement technique et
consistait à faciliter la recherche d’un passage précis, grâce à une
table des matières comportant la liste de chaque verset, comme on peut
le voir dans le Janus Gallicus. La méthode centurique sert au
classement et permet de retrouver rapidement ce que l’on cherche. Il
est d’autant plus étonnant qu’un tel index ne figure pas dans les
éditions de la Ligue alors même que le dispositif centurique est en
place, comme si l’entreprise n’avait pu être menée à son terme. Les
Centuries ne seraient-elles point une œuvre inachevée ?. Une telle
hypothèse militerait paradoxalement en faveur d’un projet propre à
Nostradamus lequel aurait esquissé un travail qui n’aurait pu aboutir
mais dont le plan était plus ou moins tracé.
Une autre hypothèse, à laquelle nous tendons actuellement à souscrire,
serait qu’il y aurait bien eu une première édition centurique posthume
mais que l’on n’en connaitrait que des moutures tronquées, parues en
l’état faute de mieux. L’absence de mode d’emploi milite dans ce sens.
Une telle carence, on l’a dit, sera réparée partiellement dans le
Janus Gallicus mais l’on peut aussi se demander si ce commentaire
n’est pas inspiré d’une première édition centurique perdue. On
comprendrait ainsi la présence du quatrain VI, 100 dans le Janus
Gallicus alors qu’elle ne figure dans aucune édition centurique du
XVIe siècle. On sait que d’aucuns ont tenté de masquer l’absence de ce
quatrain en laissant croire que le quatrain latin jouait ce rôle (Legis
cautio) alors que le dit quatrain latin témoigne d’une édition se
terminant justement à la fin de la Vie centurie et qui n’a pas été
retrouvée. Le même Janus Gallicus fournit des commentaires des
quatrains qui manquent totalement dans les éditions centuriques
censées parues dans la seconde moitié du XVIe siècle.
Nous proposons donc le point de vue suivant : il a été perdu une
première édition posthume des « Centuries » comportant un commentaire
et un index des versets. Cette édition était connue de ceux qui ont
mis en place le Janus Gallicus.
Pour quelque raison, on ne disposerait que d’éditions « pirates » très
incomplètes de la dite édition. Ceux qui achetèrent ces éditions
furent trompés sur la marchandise. Mais on peut penser que la vente
des dites éditions n’était pas liée à un commentaire des centuries
mais bien à certains quatrains complaisamment ajoutés ou retouchés
dont le public était averti par la rumeur comme il le sera sous la
Révolution.(cf notre étude sur la fortune du Mirabilis Liber à cette
époque)
JHB
21. 05.13 |
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195 -
Nostradamus et Morin de Villefranche : le vivant et le posthume
Par Jacques Halbronn
Dès le début des années soixante-dix, nous avions été confrontés à
cette problématique des publications posthumes, lesquelles se situent
au cœur du débat nostradamologique.
En découvrant à la Bibliothèque de l’Arsenal les Remarques
Astrologiques de Jean-Baptiste Morin connu au XXe siècle sous le nom
de « Morin de Villefranche », ce fut un choc (dont je m’entretins avec
André Barbault). Choc en effet de pouvoir lire Morin écrivant en
français alors que l’on ne nous présentait que des traductions (partielles)
du latin (Selva, Hiéroz). En 1975, nous publiâmes dans la Bibliotheca
Hermetica, dirigée par René Alleau, l’ouvrage en question.(Ed Retz),
ce fut notre premier livre paru.
Or, avec le recul, nous percevons comme un signe avant-coureur de nos
travaux sur Nostradamus, engagés à la fin des années 80, à savoir la
problématique des parutions posthumes en dialectique avec les
parutions du vivant de l’auteur.
En effet, les Remarques Astrologiques sur le Centiloque, dont Nicolas
Bourdin avait donné peu avant un commentaire, (cf notre postface à
l’édition du dit ouvrage de Bourdin, Paris La Grande
Conjonction-Trédaniel, 1993), se référaient à un ouvrage qui n’était
pas encore paru, à savoir l’Astrologia Gallica, ouvrage qui parut en
1661, quelques années après la mort de Morin.. Morin n’avait
d’ailleurs décidé de faire paraitre quelques éléments de son magnum
opus qu’en raison de sa polémique avec le dit Bourdin, marquis de
Vilennes. Et les morinologues n’avaient pas accordé d’intérêt à ces
Remarques.
Si l’on en revient à Nostradamus, il est clair que celui-ci n’avait
pas tout publié de son vivant, comme semble en témoigner son testament
de 1566 qui se soucie de ce qui adviendra de ce qu’il laisse derrière
lui. Si l’on prend les Significations de l’éclipse de 1559, on note
qu’il y est fait référence à une « seconde centurie ». : « comme plus
amplement est déclaré à l’interprétation de la seconde centurie de mes
prophéties » (fol B II, fac simile Chevignard, Présages de Nostradamus,
Seuil, 1999, p. 455).
On songe à Morin annonçant dans ses Remarques qu’il traitera de tel
point dans son Astrologia Gallica, à paraitre. Mais est-ce à dire pour
autant que Nostradamus avait dès 1558 – année de l’épitre à Henri II
mais non de sa parution - sinon déjà publié ses premières centuries du
moins les avait déjà rédigées ou en tout cas planifiées ? Est- ce que
ces Significations sont authentiques ? Ce qui est clair, c’est que
l’on ne connait pas d’ »interprétation » par Nostradamus de ses
Prophéties disposées en centuries.
Le scénario posthume nous semble le plus vraisemblable, d’où la
pertinence du parallèle avec Morin de Villefranche avec une œuvre en
annonçant une autre déjà prête mais dont la parution est reportée.
Imagine-t-on un faussaire publiant une édition de l’Astrologia Gallica
antidatée pour qu’elle soit parue du vivant de Morin. On notera
d’ailleurs qu’il existe deux éditions des Remarques dont la seconde,
celle de 1657, est posthume (exemplaire de l’Arsenal)
Mais jusqu’où va le parallèle ? En effet, la comparaison entre
l’Astrologia Gallica et les Centuries est frappante. Autant le premier
ouvrage est construit, cohérent, autant le second est constitué de
fragments réunis de façon factice en centuries. Tout se passe comme si
Nostradamus avait eu le projet de publier un ouvrage et que cet
ouvrage n’a pas été retrouvé si tant est qu’il ait été achevé et qu’à
la place, faute de mieux, on ait publié sous le même intitulé un
ensemble assez inconsistant.
Autrement dit, le titre « prophéties » n’aurait été employé que par
référence à un projet resté en plan ou dont on n’aurait pas trouvé de
trace sinon dans le cas de quelque « préface à César » . Cela nous
fait penser au cas d’Antoine Couillard dont sont annoncés en 1556, à
la fin de ses Prophéties une sorte d’inventaire dressé par un parent,
à sa mort, ce qui, ipso facto, nous fait considérer cet ouvrage
lui-même comme posthume et donc antidaté à l’instar des Prophéties de
Nostradamus dont il restitue partiellement la préface à César. On peut
d’ailleurs regretter ne pas disposer d’un tel inventaire pour ce que
Nostradamus avait laissé derrière lui. Il est remarquable que ceux qui
ont étudié les recoupements entre Couillard et la dite Préface n’aient
pas remarqué qu’elle comportait des éléments manifestement posthumes (voir
notre étude à ce sujet dans les Halbronn’s researches, site
propheties.it)
On ne peut évidemment exclure que dans les Prophéties de Nostradamus
aient pu être inséré ici et là des éléments en prose de la plume de
Nostradamus-rendus en vers par d’autres (comme déjà dans le cas des
quatrains de ses almanachs annuels) car une chose est certaine,
Nostradamus n’a pas laissé de quatrains mais on fait des quatrains à
partir de ce qu’il avait laissé. Tout indique, en effet, que
Nostradamus entendait être compris « en clair », comme dans le mémoire
de son Almanach Nouveau pour 1562 (traduit en italien) . On peut dire
d’une certaine façon que certains passages du mémoire de 1561 ont pu
être rendus en quatrains dans les éditions des Centuries (cf notre
étude sur « macelin » dans les Halbronn’s researches), ce qui pouvait
être une façon de faire passer un message censuré. Malheureusement, la
forme éclatée du texte en prose rendue en vers en hypothèque
singulièrement l’intelligibilité du propos.
Cela dit, l’authenticité des Significations de l’éclipse est douteuse
et il est improbable que dès 1558, Nostradamus ait envisagé de publier
des Prophéties. Si le terme est de son cru, nous pensons qu’il
correspond à une période plus tardive lorsque Nostradamus se prenait
pour « prophète » et se passionnait pour les éclipses, annonçant en
1561 une naissance redoutable pour 1567, celle du « macelin » né un
jour d’éclipse. Or, comme par hasard, le passage en question figure
dans les Significations de l’éclipse de 1559. Rappelons que cet
ouvrage recopie l’Eclipsium de Leovitius, comme l’ a montré Torné. Le
parallèle avec Morin fonctionne jusqu’à un certain point. Il est
patent que l’Astrologia Gallica, ouvrage composé en latin, et les
Centuries sont les œuvres les plus connues/fameuses de ces deux
médecins astrologues français nés sur l’axe rhodanien (à Villefranche/Saône
et à Saint Rémy de Provence) au point d’éclipser les autres. Tous deux
ont atteint le XXe siècle. Mais la qualité de Nostradamus en tant
qu’astrologue s’est estompée au profit de celle de « vaticinateur
poète » alors que Morin incarne l’astrologie, quelques années avant
l’échéance de 1666 qui est censée, dans la légende dorée de
l’astrologie, marquer la fin d’un cycle (édit de Colbert).
JHB
01. 06. 13 |
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196 - Les
Centuries, comme œuvre d’un poète inconnu
Par Jacques Halbronn
On ne saurait contester l’importance des Centuries par-delà le débat
sur la date de leur parution. Il s’agit d’un ensemble qui a suscité un
nombre considérable de commentaires, jusqu’à nos jours. Quand bien
même, la prose de Nostradamus aurait servi à produire ces centaines de
quatrains, cela n’en fait pas l’auteur et c’est à ce versificateur
inconnu qu’il convient d’attribuer le mérite d’une telle entreprise.
Réduire les Centuries –on laissera de côté ici les textes en prose qui
encadrent les dix centuries en deux volets- à leur source nous semble
inacceptable, ce serait comme réduire une sculpture au bloc, au
matériau, dont elle est issue.
Nous pensons ainsi que pour que les centuries aient connu une telle
fortune, il aura fallu qu’elles possèdent certaines qualités
littéraires remarquables qu’il ne convient pas d’attribuer à
Nostradamus.
Nous avons déjà relaté de quelle façon les quatrains des almanachs
avaient été confectionnés en reprenant de façon assez libre – c’est le
moins que l’on puisse dire- la prose assez sèche des publications
annuelles de Nostradamus, que de nos jours ne (re)lisent que quelques
spécialistes. Alors que le discours de Nostradamus est étayé,
immédiatement intelligible, il n’en est rien des quatrains qui en
émanent. L’idée que Michel de Nostredame ait pu être l’auteur des
quatrains – quels qu’ils soient, ceux des almanachs ou ceux des
centuries- nous parait tout à fait improbable. Que Nostradamus en soit
considéré comme l’auteur du fait qu’il fournit les données « brutes
serait bien abusif.
Cela dit, la nature a peur du vide. Dès lors que l’on ne connait pas
l’auteur des quatrains, il est tentant, faute de mieux, de se
retourner vers Nostradamus mais c’est bien là un pis-aller qui
correspond à un syndrome des origines qui peut s’appliquer à nombre de
cas. Certes, il est bon de rendre à César ce qui est à César mais ce
n’est pas une raison pour télescoper le rôle d’un auteur anonyme qui
nous a laissé une telle œuvre en vers dont la postérité s’est emparée.
La valeur ajoutée lors du passage de la prose aux vers est
considérable, ce qui tend à éclipser la source, d’autant que l’on peut
penser que ce versificateur aurait eu, à la longue, autant de succès
s’il s’était attelé à versifier d’autres textes d’autres auteurs.
Est-ce le même personnage qui aura versifié dès le milieu des années
1550 les almanachs et bien plus tard, dans les années 1580,
différentes pièces conservées dans la bibliothèque de Nostradamus ?
Nous ne tenterons pas ici d’éclaircir ce point. Rappelons que dans le
Janus Gallicus de Jean Aimé de Chavigny (1594), les divers quatrains
traduits et (re) traités sont intégrés dans un seul et même support
sur lequel articuler des « explications » en prose. On part de la
prose (les prédictions datées de Nostradamus)) et l’on revient à de la
prose (le commentaire)
On est tenté d’attribuer ce mérite à Jean Dorat à la lecture des
Bibliothèques de La Croix du Maine et de Du Verdier qui lui attribuent
un grand mérite au regard de l’œuvre de Nostradamus (cf. nos études à
ce sujet), sans que l’on ait jamais bien su de quoi il retournait. On
peut en effet qualifier de « commentaire » poétique de l’œuvre en
prose de Nostradamus ces centuries de quatrains. Parmi les
publications parues sous le nom de Dorat, se signale le poème consacré
à l’Androgyn (Bib. Arsenal) dont le traducteur Jean de Chevigny, qui
fut un proche de Nostradamus, cite le quatrain approprié dans son
épitre à Larcher (Lyon, Michel Jove, 1570, cf. Benazra, Répertoire
Chronologique Nostradamique, Ed La Grande Conjonction-Trédaniel, 1990,
pp ; 95-96).
Dans la mesure où nombre de ces quatrains se retrouvent chez Antoine
Crespin dit Archidamus (cf. nos Documents Inexploités sur le phénomène
nostradamus, Ed .Ramkat, 2002), sous une forme renouvelée, que l’on
pourrait qualifier de décousue, l’on voit que les auteurs du XVIe
siècle s’accordent une certaine liberté de réécriture, qui sublime le
plagiat.
Dans le cas de l’almanach pour 1562, on rencontre un cas assez
singulier puisqu’il apparait que celui-ci aurait été censuré. On ne le
connait en français, dans son intégralité, que par un manuscrit
conservé mais aussi par une traduction italienne, dont plusieurs
versions sont conservées à la BNF. Quant à la version conservée (Bruxelles,
Archives du Royaume) de l’almanach en question, elle est
considérablement raccourcie et ne comporte pas la partie la plus
problématique mais seulement l’épitre au pape (1561). Nous avons
montré que certains quatrains des centuries reprenaient cette partie
supprimée, notamment ceux qui comportent le mot « macelin ». Dans ce
cas, l’on peut penser que certains quatrains visent à rendre peu ou
prou ce qui a été interdit, ce macelin se référant à l’annonce par
Nostradamus de la naissance d’une sorte d’antéchrist qu’il surnomme
Marcelin, macelin (boucher, en italien) étant un jeu de mots de
Nostradamus.
En conclusion, nous dirons que la fortune du nom de Nostradamus doit
énormément au travail accompli en aval et qui aura abouti à un
ensemble voué à exercer une certaine fascination sur les esprits, de
par ses qualités d’écriture. Ensemble qui, par sa qualité d’évocation,
aura inspiré un grand nombre de commentateurs dans le monde, notamment
dans le champ prophétique.
On peut d’ailleurs se demander si cette fortune des centuries n’aura
pas porté ombrage à Nostradamus, après sa mort. Cela pourrait
expliquer que l’on ait voulu les antidater et situer leur production
dans les années 1550, comme en témoignent les dates des deux épitres «
centuriques » censées annoncer les quatrains (ce qui est très
probablement une interpolation). Ce faisant, Nostradamus ramasserait
la mise. C’est ainsi que le quatrain « macelin » (VIII, 76, pour le
plus connu) serait ainsi attesté dès 1558 (qu’il soit ou non paru
alors) par l’épitre à Henri II, censée annoncer les trois dernières
centuries, donc avant 1561, date de l’almanach pour 1562 et de son
appendice prophétique censuré. Autrement dit, l’antidatation des
centuries aurait été motivée par la volonté de récupérer les centuries
au sein de l’œuvre de Michel de Nostredame.
JHB
15.06.13 |
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197 - Les
centuries comme métamorphose du discours nostradamien
Par Jacques Halbronn
Nous avons montré dans de précédentes études que les quatrains étaient
issus de textes en prose et ne reprenaient jamais des quatrains déjà
composés. Cela signifie que l’on peut dater un quatrain, ou du moins
déterminer un « terminus » en deça duquel il ne saurait être situé,
dès lors que l’on a identifié le texte en prose d’où il est issu.
Un cas remarquable est le texte en prose datant de 1561, ayant figuré
au sein de l’Almanach Nouveau pour l’An 1562 (cf Benazra, RCN, pp. 52
et seq). On y trouve une forme très particulière, à savoir le nom de
Marcelin par lequel Nostradamus entend nommer un personnage qui
naitrait en 1567. (cf Reproduction très fidèle d’un manuscrit de M. de
Nostradamus dédié à S. S. le Pape Pie IV. (1906). Il signale, au prix
d’un jeu de mots, que le caractère de ce Marcelin (un des saints du
mois d’avril) ressortirait mieux si l’on supprimait la lettre « R »,
ce qui donne « macelin », (en Italien, boucher)
« Et ne vous veulx rien mettre de l’an 1567 que dans le mois d’Avril
naistra un de quelque grand Roy et monarque qui fera sa fin cruelle et
sanguinolente mais la ruine de son regne oncques ne fut pire ne plus
sanguinaire. On le nommera MARCELLINUS mais on lui ostera de son nom
l’R » (Ed 1906, et manuscrit p. 31)
C’est ce texte qui sous tend l’occurrence de « Macelin » dans la
centurie VIII.
VIII, 76
« Plus Macelin que roy en Angleterre » alors que VIII 77 commence par
« L’Antéchrist ».
Ces deux quatrains dériveraient selon nous des prédictions de
Nostradamus pour 1567 qui figuraient dans l’almanach pour 1562.
On a un autre quatrain VIII 54 avec « macelin », donc également dans
la première centurie du second volet. Il semble d’ailleurs que la
forme « marcelin » ait été rétablie dans les éditions troyennes (1605,
à en croire le Dictionnaire Nostradamus de Michel Dufresne)
Ces observations nous conduisent à conclure que ces quatrains ne
peuvent avoir été composés avant 1561, ce qui exclut toute parution
datant de 1558 sur la base de la date de l’epitre à Henri II de cette
même année. La dite épitre ne peut donc en 1558 introduire le mot «
macelin » dans un quatrain de la VIIIe Centurie.
On notera le cas des éditions parisiennes ligueuses des « Prophéties »
qui traitent de l’an 1561 en leur sous-titre à propos d’une « addition
» de 39 articles (sic). Il est possible que l’on ait eu là l’embryon
du second volet des Centuries. Dans ce cas le second volet de
centuries serait extrait du développement prophétique de 1561 mais à
une période bien plus tardive. Rappelons que nous tentons de rétablir
la chronologie des faux et non celle d’éditions authentiques parues du
vivant de Nostradamus..
Selon nous, la septième centurie aurait été le premier mouvement en
direction de ce que l’on connait comme «second volet » ( VIII-X), la
date de 1561 correspondant à la parution de l’Almanach Nouveau pour
1562. Cette année 1561 est importante. Nous l’avions déjà rencontrée
il y a 20 ans, avec la parution du Cantique Spirituel et consolatif (RHR,
1991). Il est probable que dans l’entreprise centurique, 1561 ait été
initialement le moment d’un nouveau développement, ce qui correspond
au contenu du manuscrit de l’almanach pour 1562 largement rendu par
des imprimés faisant connaitre Nostradamus en langue italienne. Pour
nous l’épitre à Pie IV (conservée dans l’imprimé français) et son
appendice correspond à un aboutissement de la démarche
astroprophétique de Nostradamus qui sera largement occulté et édulcoré
par sa transposition en quatrains dans la VIIIe Centurie qui ouvre le
second volet. Mais ce second volet est introduit par une épitre datée
de 1558 qui vient en quelque sorte se substituer à l’épitre à Pie IV .
Or, sous la Ligue, l’année qui est associée à une addition est celle
de 1561 :
Les Prophéties de M. Michel Nostradamus (…) revues & additionnées par
l’autheur pour l’an mil cinq cens soixante & un de trente neuf
articles à la dernière centurie . (Paris, 1588/1589)
Cette fixation de Nostradamus sur l’an 1567 –à p artir du début des
années 1560 – aura fait probléme à la fois parce qu’elle affole les
esprits – ce qui trouble l’ordre public (cf. les ordonnances d’Orléans,
1560) et parce qu’elle échoue, au lendemain même de la mort de
Nostradamus, au point que l’on peut se demander si les Centuries ne
servent pas à brouiller le discours nostradamien et de ce fait à le
désenclaver de cette année 1567 que Nostradamus avait imprudemment
désignée comme fatale et à laquelle il se tiendra jusqu’à la fin de sa
vie. On est avec ce texte dans un prophétisme à très court terme qui
se limite aux années 1560 mais qui sera recyclé pour d’autres
échéances par les interprètes qui se succéderont. On voit les
inconvénients d’un texte par trop précis et définitif qui ne respecte
pas le principe de cyclicité et d’éternel retour qui est au cœur de la
pensée astrologique. Nostradamus en s’engageant dans cette prédiction
pour 1567 se diminue. A contrario, les Centuries lui confèreront, bien
malgré lui, une autre stature en éclipsant ce délire antéchristique
par trop daté.
.On nous objectera que le projet additionnel après la Vie et «
dernière » centurie (d’où l’avertissement latin qui clôturé ce cycle
de six centuries) se réduisit dans l’immédiat à une centurie VII de
quelques dizaines de quatrains. Il faudra en effet attendre quelques
années de plus – ce qui est attesté par le Janus Gallicus de 1594 qui
comporte des quatrains issus des centuries VIII-X- pour que le second
volet se mette en place avec l’épitre à Henri II de 155 et la
référence à l’an 1561 sera très largement négligée et remplacée par
une date antérieure celle de 1558, Henri II étant mort l’année
suivante. C’est donc le choix même du dédicataire qui déterminait le
terminus de la date de l’épître, le remplacement du roi de France par
le pape.
Ce sur quoi nous avons voulu insister, par delà telle ou telle
application parmi d’autres possibles, c’est la nécessité pour
l’historien de respecter une certaine vraisemblance dans le
déroulement des choses. Le quatrain ne devient matriciel que dans un
second temps, il est d’abord issu d’un texte en prose. Par ailleurs,
le processus centurique de ce fait même correspond à un état tardif de
la production nostradamique qu’il convient de qualifier de posthume.
Le centurisme est une métamorphose post mortem que subit ainsi
Nostradamus sans laquelle le dit Nostradamus serait tombé dans les
oubliettes de l’Histoire..
JHB
01 07 13 |
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