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Researches 181-190 |
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Kepler, prétendu émule de Nostradamus et sa contribution au débat
sur l’astrologie au XVIIe siècle |
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Contrefaçon et culte posthume au regard du canon centurique |
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Le dossier Nostradamus au prisme de Pascal et de Nietzsche. |
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Nostradamus et Wikipedia en français et en anglais |
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La question des éditions additionnelles des Centuries |
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La question des brouillons chez Nostradamus et chez Rabelais |
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L'influence de Rabelais sur Nostradamus |
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Nostradamus : contrefaçon et plagiat |
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De la Pantagruéline Prognostication de Rabelais à la
Pronostication Nouvelle de Nostradamus |
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Iconographie Rabelais |
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Researches 181-190
181 - Kepler, prétendu émule de Nostradamus et sa contribution au
débat sur l’astrologie au XVIIe siècle
Par Jacques Halbronn
En 1649, sous la Fronde, le nom de Kepler est associé à celui de
Nostradamus. Il s’agit d’une mazarinade intitulée Propheties sur les
affaires du temps present et advenir. Tirée(sic) de la centurie II.
Prop.. 34/35 de M. Nostradamus. Et ce que dit Kepler pour la présente
année 1649/(Bibl. Arsenal). Comme le note Benazra (RCN, p. 212), il
s’agit en fait des sixains 34 et 35, dont l’attribution à Nostradamus
est contestée mais qui ont certainement beaucoup contribué à la
fortune de Nostradamus au XVIIe siècle, vu que l’on pensa d’abord que
les centuries ne valaient que jusqu’à la fin du XVIe siècle (cf
l’Epitre de Vincent Séve à Henri IV, datée de 1605[1], qui donne comme
terme 1597)... Un certain nombre de quatrains sont attribués ainsi à
Kepler (mort en 1630).
Propheties de Kepler pour l’année 164 :
Huict, Quatre ne produira [cela vise 1648]
Rien que rage rien que fureur
Grands & petits, chacun perira
A servir l’Estat peu d’honneur
Ianvier verra l’emotion
Que Février apaisera
Mars les armes ralumera
En Avril grande sedition
(…)
Alors que tu verras chanter
Le Roy Gauloi six cinq & trois[1653]
Un homme tu verras monter
Sur l’échaffaut de Roys »
1649 est une année, au demeurant, importante, pour les Centuries que
l’on associe volontiers à la mort sur l’échafaud de Charles Ier
Stuart, à Londres[2], au point que la vignette représentant cet
événement figurera dans plusieurs éditions des Centuries, à partir des
années 1660[3]
En 1649, on voit apparaitre le nom de Kepler au titre de certaines
publications troyennes:
Observations astrologiques ou Almanach, pour l'annee 1649 Par lequel
on cognoistra les changemens de l'air, affaires du monde & révolutions
plus remarquables de l'Europe. Et sous l'elevation des 48. degrez du
pole artique. Diligemment supputé suivant le calcul de Tichó, & Kepler,
& des meilleurs autheurs, qui ont escrit de cette science, par
François Commelet, natif du Bassigny au comté de Champagne. Dedié au
Roy Tres-Chrestien Louys. XIV.
Jouxte sur la copie imprimée à Troyes. A Paris. Chez la veufve d'André
Musnier, au mont S. Hilaire, en la cour d'Albret. 1649. Avec
permission.
C’est pour nous l’occasion de revenir sur la dimension astrologique de
cet astronome qui dans les années 1640 était considéré par le milieu
astrologique européen comme un réformateur providentiel, apte à mener
à bien une « critique astrologique » comme il y aura une critique
nostradamique et une critique biblique, dans le cours du siècle[4]. On
abordera, dans un second temps, la réaction, la réplique, de Kepler,
en tant qu’astrologue, face aux découvertes astronomiques de Galilée,
avec sa lunette qui vient bouleverser les représentations
traditionnelles de l’astronomie en usage chez les astrologues...
I Les « nouveaux aspects » de Kepler et l’Astrologie des années
1640-1650.
Si Galilée[5] (cf infra) pose le problème du nombre d’astres à
considérer, Kepler, quant à lui, se soucie plutôt d’accroitre les
interactions entre les astres existants en refondant la tradition des
aspects.Ce sont là deux défis qui interpellent les astrologues et qui
montrent que l’astrologie du XVIIe siècle garde encore le contact avec
la vie scientifique du temps si on la compare à la situation
crépusculaire[6] du siècle suivant.[7]
On ne peut connaitre l’impact d’une œuvre que si l’on étudie sa
fortune et sa réception. C’est ce qui manque probablement à la thèse
de Gérard Simon, publiée en 1979, chez Gallimard, Kepler, astrologue,
astronome.
L’apport principal de Kepler pour les astrologues des décennies
suivant celles de ses publications concerne, en effet, les « nouveaux
aspects », - comme on les appelle alors[8] .
On s’intéressera particulièrement ici au fait que la proposition de
Kepler d’augmenter le nombre des aspects en astrologie aura rencontré
un certain écho dans les années 1640-1650 et notre intention n’est
nullement de recenser toutes les occurrences à ce sujet mais de nous
arrêter sur quatre astrologues, deux français (Bourdin et Morin), un
italien (Placidus), un anglais (Lilly) qui réagissent diversement et
simultanément (cf infra) aux idées de Johannes Kepler, qui commencent
à être exposée au tout début du siècle, lesquelles accroissent
l’arsenal astrologique mais lesquels astrologues ne font guère écho à
celles du dit Keplerus, en revanche, qui entendent en réduire la
voilure[9]..
Mais commençons par l’agacement de Morin de Villefranche face à cette
vogue des nouveaux aspects, en ses Remarques Astrologiques. C’est dans
un « Advertissement » placé entre les aphorismes XXIV et XXV que Morin
écrit « Nous avons cassé tout le reste inventé par Kepler et autres
ignorants des vrais principes de l’astrologie comme on verra dans le
I7e livre de l’Astrologia Gallica » qui est tout de ses aspects »(rappelons
que l’A. G. a été composée à la fin des années 40, probablement
achevée en 1648).
Morin de Villefranche en Beaujolais, comme il sera désigné par son
biographe, mais qui ne se présente pas de lui-même ainsi.
En, fait, il s’agit du XVIe Livre, ce qui nous inciterait à nous
demander si le plan de l’Astrologia Gallica n’a pas quelque peu évolué
avant son impression..
Mais avant de nous reporter à son magnum opus, voyons ce que Nicolas
Bourdin dit de Kepler et de ses aspects dans son Centilogue (sic) de
1651[10]- – que Morin nomme toujours Monsieur de Villennes (ville de
la banlieue parisienne, non loin de Poissy)- il est noble – marquis-
comme nombre d’astrologues du temps, qui se veulent avocats d’une
telle cause (de Blaise de Pagan à Eustache Lenoble, baron de Saint
Georges sans oublier le comte Henry de Boulainvillers)
A l’occasion du commentaire sur l’aphorisme XVIII du Centiloque,
Bourdin, qui réagira également à ce qu’apporte Galilée (cf infra),
traducteur dès 1640, de la Tétrabible de Ptolémée, exprime ses doutes
à propos des aspects képlériens tels qu’on les trouve exposés dans les
Ephémérides que l’astronome publie : « Quant à dire pourquoy les
dodectils & les quintiles ne sont pas aspects (sic) (afin que je ne
parle de la multiplicité de ceux de Keppler (sic), c’est à cause
qu’ils ne sont ny en égale distance d’un des quatre principes sus dits
ny de mesme nature ; ny de mesme condition & de cette sorte qu’ils
n’ont aucun rapport ensemble, comme il se void par expérience »
On apprend, en lisant ce que dit Bourdin, que le débat sur les
nouveaux aspects ne se limite pas à Kepler, que c’est dans le
Zeitgeist : et si certains intervalles astrologiques manquaient dont
l’apport confèrerait à l’astrologie une efficace plus grande ?
Jean-Baptiste Morin, dans son œuvre, cite Kepler de manière assez
récurrente et il nous renseigne sur le fait que l’exposé des «
nouveaux aspects » est particulièrement marquant dans les Ephémérides
que publie Kepler (et auxquelles Bourdin se référait).
Au XVIe Livre de l’Astrologia Gallica, « De Astrorum radiis &
aspectibus » (pp. 349 et seq), Morin cite la préface à l’Ephéméride de
1617 : « quintilem 72 gradum, biquintilem 144 & semisextum 30 gr. ».
Morin rejette ces aspects comme étant fictifs :
“Commendat Praefatione in Ephemeridum anni 1620 favet igitur mihi
Keplerus pro & quod in illis introducendis me non parum confirmavit,
sed ejus quintilem, biquentilem, sesquadrum & alios omnes rejicio ut
ficticios qui nullum in duodenaria circulu divisione supraposita locum
sibi vendicant »’
Etrangement, Morin, en 1650 publie, étant son propre éditeur, des*Tabulae
Rudophinae ad accuratum & facile compendium redacta. Or, ce titre
reprend, à 27 ans d’écart, celui de Kepler : Tabulae rudolphinae
quibus astronomicae scientiae temporum longinquitate collapsae
restauratio continetur, a... Tychone ex... Braheorum in regno Daniae
familia oriundo equite... Tabulas ipsas, jam et nuncupatas, et
affectas, sed morte authoris sui anno 1601 desertas... ex fundamentis
observationum relictarum, ad exemplum fere partium jam exstructarum,
continuis multorum annorum speculationibus et computationibus...
perfecit, absolvit, adque causarum et calculi perennis formulam
traduxit Joannes Keplerus,... Ulm, : J. Saurii, 1627 (BNF)
Morin n’y signale pas Kepler au titre mais Uraniborg, l’observatoire
de Tycho Brahé mais seulement dans l’epitre à Nicolas Goulas, un
proche de Gaston d’Orléans, frère du roi, un acteur majeur de la
Fronde.. Les Tabulae de Morin seront rééditées, en 1657, à sa mort par
Pierre Ménard (cf Bibl. Arsenal) qui reprennent le titre d’une
publication de Kepler, « mathématicien impérial » (auprès de Rodolphe
II, à Prague, où plusieurs de ses textes paraissent).
Mais c’est surtout dans les éphémérides que Kepler diffuse ses idées.
On signalera notamment en 1616 ; IV » De novis aspectibus » (pp. 33 et
seq) in Ephemerides novae Motuum Coelestium ab anno vulgaris aerae
MDCXVII, Linz. (Bib. Arsenal). Kepler décrit ainsi la longue
maturation de son travail,20 années durant, sur la question
stratégique des aspects[11] :
« Quoique j’aie assez disserté sur « ces nouveaux aspects : d’abord
dans le Mystère Cosmographique 20 ans avant, ensuite dans les
Fondements plus sûrs de l’Astrologie 14 ans avant et dans le Livre au
sujet de l’étoile nouvelle 10 ans avant, de nouveau dans un troisième
intervenant 7 ans avant et enfin dans la Dissertation avec le Nouveau
Messager Céleste de Galilée, 6 ans avant, (..) on doit dire quelque
chose en ce lieu »
On voit que Kepler dans son débat avec Galilée met en avant la
question des « nouveaux aspects ».
[12]. On apprend que ces nouveaux aspects ne s’appliquent pas à la
Lune probablement parce que du fait de sa vitesse, cela ne ferait
guère sens et son parcours en serait par trop « saucissonné » et
balisé.
Mais si en France, les avis restent assez réservés, il n’en est pas de
même, en ces années 1640, tant Outre Manche qu’en Autriche où officie
le moine italien Placide de Titis. Nous nous contenterons comme on l’a
dit de ce qui figure de Kepler dans la Christian Astrology modestly
treated in three Books ; Londres, 1647 et dans « Questionum
Physiomathematicarum Libri Tres in quibus ex naturae principiis
hujusque desideratis demonstratur Astrologia etc », Milan, 1647.
Quelle place Lilly accorde-t-il aux « nouveaux aspects » ? Dans son «
Introduction to Astrologie » (en tête de la Christian Astrology), on
lit un exposé sur la manière de lire des Ephémérides, à la colonne «
aspects » (pp.30 et seq)- et ce sont celles de Kepler qui semblent
faire autorité ; « Le quintile correspond à 2 signes plus 12° » (ce
qui donne 72° qui est le cinquiéme de 360°). Lilly mentionne le nom de
Kepler, « un homme savant défunt » qui a ajouté « le semi-sextile
(SS), le quintile (Q), le Tredecile (Td), soit 108°, le biquintile(Bq),
soit 144° (le double du quintile), et le quinconce, soit 150° »(p ;
32) Mais Lilly ne s’avance pas davantage, il entend simplement
informer son lecteur s’il tombe sur ces sigles.
On peut penser que la fortune de ces nouveaux aspects est largement
due au fait que Kepler les ait introduits dans ses éphémérides
lesquelles connaissaient un certain écho dans toute l’Europe, plutôt
que dans quelque traité.
Quelle est l’attitude de Placidus de Titis, rénovateur de la méthode
de domification, lequel, à sa façon, propose, quant à lui, de réformer
le mode de calcul des maisons, et donc d’améliorer la qualité des
prédictions astrologiques lesquelles dépendent du dit calcul. Si l’on
ne découpe pas correctement les maisons, comment obtiendrait-on de
bons résultats ? Mais Placidus admet qu’il est bon de « diriger » le
thème natal en se servant des « nouveaux aspects » qui donneront des
dates que les anciens aspects n’auraient pas donné. Dans la IIIe
partie consacrée à cette question, (canon XXIX), l’astrologue et
cosmographe Italien, dont le systéme de domification allait s’imposer,
à partir du XIXe siècle[13], aborde le quintile, le sesqui-carré et le
biquintile, il se réfère à la référence musicale qui fonde le système
képlérien des aspects. Suit un long exposé sur l’usage de ces aspects
qui viennent s’ajouter à la panoplie traditionnelle.[14] et qu’il
entend expérimenter.
Rappelons que l’astrologie ne s’est pas arrétée d’exister en 1700. En
1717, Boulainviller, dans un texte resté manuscrit il est vrai (édition
1947) commente la question des nouveaux aspects dans sa Pratique
Abrége des jugemens astronomiques sur les Nativitez (qui reprend le
titre du traité d’Auger Ferrier, un best seller qui parut de 1550 à
1625) :
« Les Modernes ont imaginé des aspects d’une dénomination toute
nouvelle , différente de tous ceux qui ont de tout temps été reconnus
et expérimentés par les maîtres de la science (…) et l’on peut dire
qu’ils n’ont eu recours à la fiction des quintiles, bi-quintiles et
bi-sextiles que pour couvrir par quelque prétexte des erreurs de leurs
jugemens ». Kepler est visé. (p. 45)
II Le Messager Céleste et l’Astrologie de Kepler.
L’historien des textes est à la merci d’un document qui lui échappe,
ce qui parfois contribue à corriger les perspectives[15]. Un ouvrage
aussi touffu que celui que Bourdin consacre au Centiloque ne nous
avait pas livré tous ses trésors quand nous l’avions réédité, il y a
vingt ans. Etrangement, c’est l’année d’avant, 1992, que plusieurs
ouvrages consacrés à Galilée étaient parus. En fait, c’est notre
intérêt pour les étoiles fixes qui nous conduisit récemment à
réexaminer ce corpus et de fait il n’y a rien d’étonnant à ce que les
sentences du Centiloque relatives aux étoiles fassent référence à
Galilée. On mentionne volontiers les «planétes » Médicis, qui sont en
fait les satellites de Jupiter qui apparaissent grâce à la lunette
mais le choc principal semble avoir concerné la question des étoiles.
Pour la troisième fois, en quarante ans, Nicolas Bourdin se retrouvait
ainsi sur notre route, lui que nous avons déjà abordé plus haut à
propos des « nouveaux aspects ». La première fois, par l’intermédiaire
de Jean-Baptiste Morin (dit de Villefranche, en Beaujolais), un
astrologue dont on disait qu’il n’avait publié qu’en latin. La
deuxième fois, en publiant le traité auquel Morin s’en était pris du
Marquis de Vilennes, dans l’intention de mettre en évidence une
dimension exégétique qui nous avait fortement occupés, notamment à
l’occasion de notre travail sur l’astrologie juive. Et enfin, cette
dernière fois, à propos d’une traduction, certes partielle, non
signalée du Messager Céleste de Galilée, datée de 1651, que nous avons
mise en parallèle avec celle effectuée par Alexandre Tinelis, sieur du
Castelet, trente ans plus tard, ces deux auteurs réfléchissant sur les
implications de la lunette sur l’astrologie, ce qui faisait le lien
avec notre travail sur l’astrologie à la fin du XVIIIe siècle [16],
qui ne fait sens en définitive que dans le prolongement de l’impact
galiléen dont la fortune française n’avait pas été suffisamment
appréhendée..
Le Centiloque est un ensemble de cent propositions astrologiques,
d’ordre technique, qui n’est pas sans faire écho à nos recherches
autour des Centuries (cf. notre étude autour du Centiloque que nous
publions en parallèle, sur le site grande-conjonction.org). Deux
ensembles qui ont fait l’objet de moult commentaires et dont la
paternité officiellement affichée fait débat.
On trouve dans le Centiloque, entre autres, deux aphorismes (XXVIII et
XXIX) relatifs aux étoiles fixes, lesquelles, à l’instar de
l’astrologie horaire ont été largement délaissées par l’astrologie
contemporaine, la mettant quelque peu en porte à faux avec les textes
classiques. Le premier texte, précise Morin « est de pratique pour les
élections ».
Mais c’est surtout le commentaire de Nicolas Bourdin qui retiendra
notre attention car il met le doigt sur un problème assez peu abordé,
à notre connaissance, concernant les répercussions de l’usage
astronomique de la lunette par Galilée sur l’astrologie du XVIIe
siècle. Nous verrons le peu qu’en dit Morin de Villefranche, dans son
commentaire du commentaire du Marquis de Vilennes alias Nicolas de
Bourdin.
La sentence XXVIII est ainsi rendue par Bourdin, précédemment
traducteur de la Tétrabible : « Lors que tu ne pourras faire en sorte
que tu conioignes la Lune à deux Estoiles, fais de telle façon que tu
la conioignes à une étoile fixe, laquelle ait le mélange de ces deux »
Nous sommes ici dans la situation d’un astrologue qui se doit de
trouver la configuration idéale pour une entreprise et qui n’en trouve
pas en vue s’il ne doit compter que sur les planétes (ou estoiles
errantes). Le centiloque –dont Albumasar serait le compilateur selon
Richard Lemay[17], au Ixe siècle- propose de choisir parmi les étoiles
fixes, pratique totalement abandonnée de nos jours à laquelle on
préfère notamment le recours aux « maîtrises ». Bourdin mentionne
notamment « Calb el crabs qui est le cœur du Scorpion » (à savoir
Antarés, une des étoiles royales). Ailleurs : « Les Estoiles fixes
apportent des felicitez irraisonnables & admirables que pour la plus
grande part elles rendent remarquables par les infortunes, si ce n’est
que les Planètes s’accordent à cette félicité »’
Bourdin situe le débat à son époque : « Mais à présent qu’on a trouvé
des yeux pour en voir des troupes innombrables, où trouvera-t-on des
noms assez dans la Fable et dans l’Histoire pour les adapter ? Au
dessous des Estoiles de la sixiesme grandeur (dit Galilée en son
Ambassadeur des Astres) vous en verrez par le moyen des lunettes, un
troupeau si nombreux d’autres qui suyvent la veue naturelle qu’à grand
peine est-il croyable etc « Et Bourdin de poursuivre sur cette lancée
« Ainsi, nous avons bien plus de besogne que nous ne pensions ; les
constellations sont plus contigues qu’on ne s’estoit figuré & si l’on
y regarde de près, on trouvera quatre pieds au Taureau & peut estre
cinq au Bélier si nous voulons que toutes les Estoiles composent de
ces figures Astrées. Veu qu’aux trois qui sont au Baudrier & aux six
qui sont en l’espée d’Orion, Galilée en a trouvé huitante autres (…)
Il a trouvé quarante six filles d’Atlas en la poussinière ».
Un autre passage plus ample du Messager est rendu en français, il
concerne la Voie Lactée, le « Cercle de lait », selon la traduction de
Bourdin.[18] pour « Lactei Circuli »
Or, il apparait que cette traduction très partielle du Messager
Céleste de Galilée n’avait pas été signalée jusque là et que l’on s’en
était tenu jusque là à l’année 1681, date avancée par Emile Namer, en
1964[19], puis, en 1992, par Isabelle Pantin[20], Cette traduction
française du Sidereus Nuncius de 1610, dédié à Cosme Médicis, qui ne
date que de 1681 est due à Alexandre Tinelis, sieur du Castelet ; elle
figure, suivie de développements critiques, au sein du Messager
céleste contenant toutes les nouvelles découvertes qui ont esté faites
dans les astres depuis l'invention de la lunette d'approche, avec des
réflexions sur les utilitez qu'on en peut tirer pour la conservation
de la vie. Premier extraordinaire du Journal de médecine, publié le
premier octobre 1681 Paris, Académie des nouvelles découvertes de
médecine (BNF)
L’ouvrage est préfacé par Nicolas de Blégny. A propos de l’auteur « je
l’ay porté (..) à traduire le Nuncius Sidereus de Galilée » d’où le
titre « diverses pièces curieuses de la traduction & de la composition
de M. Alexandre Tinelis, (…) sieur de Castelet »[21], où l’ on trouve
in fine une « Dissertation contenant des reflexions curieuses et
nouvelles sur la question si l’Astrologie judiciaire doit estre
d’usage dans la pratique de la Médecine pp. 163 et seq » dans laquelle
l’abbé de Castelet aborde les répercussions galiléennes sur le statut
de l’astrologie. : « raison assez forte qu’on a opposée aux
astrologues depuis l’invention de la lunete (sic) ».
On retiendra notamment que le problème ne se pose pas uniquement pour
ce qui est des planétes pouvant se trouver au-delà de Saturne mais
aussi et peut être surtout pour les planétes se situant en deçà de
Saturne mais que l’on n’aurait point découvertes jusque là, ce qui
sera confirmé en 1801 avec la découverte de Cérès, placé entre Mars et
Jupiter.
Castelet se demande si les travaux de Galilée ne viennent pas saper
les fondements mêmes de l’astrologie et cela n’est pas sans évoquer un
autre argument plus connu qui sera avancé à la même époque sur la
précession des équinoxes (cf la Logique de Port Royal), suivant une
stratégie de déstabilisation.
« Nous voyons mesme de nouvelles planètes (sic) inconnues à toute
l’Antiquité. N’est-ce donc pas une chose bien certaine, dit-on, qu’il
n’y a jamais eu, au moins avant ce siecle, aucun horoscope, aucun
theme celeste, ou pour me servir de termes plus intelligibles, aucune
figure astrologique de la situation des astres, qui n’ait esté
defectueuse . (sinon) tout l’édifice tombe & la prediction n’est plus
soumise aux regles de l’Art. Où seront donc les expériences de cet Art
merveilleux qui ne peut être fondé que sur elles. Ont-ils bonne grâce
après cela de vouloir nous etaler avec tant de fastes leurs
observations de plus de deux mille ans » (p. 229)
Mais Castelet, beau joueur, reconnait qu’un tel argument n’est pas
décisif : « Les astrologues, dit-il, n’ont jamais attribué de fortes
influences aux étoiles fixes ; ils ne leur accordent presque aucun
pouvoir si elles ne sont dans le zodiaque & dans quelque lieu qu’elles
puissent estre ils considerent toujours infiniment plus les Planetes »
Il croit avoir mieux à offrir : Castelet s’en prend à la probabilité
de l’existence de planétes inconnues et en cela l’avenir lui donnera
raison. Cette seule possibilité, selon l’abbé, fait problème, du fait
des interrelations astrales qui sont au cœur de la démarche
astrologique. « On croyait que le nombre de planètes estoit limité à
celuy de sept & on ne s’avisoit pas de doubter qu’il pût estre plus
grand. On trouvoit mesme dans ce nombre de sept quantités de mysteres
(..)on croyoit voir certaines sympathies entre chaque planète & chaque
genre des métaux, à qui les Chymistes (alchimistes) donnent encore le
nom des planettes (…)Mais tous ces mystères ne sont plus de saison
(..) L’astrologie judiciaire s’est pourtant fondée sur cette trompeuse
limitation ainsi que sur l’incorruptibilité des Cieux : la chute de
ces deux appuis nous peut donner de grandes prises sur elle » (p. 238
et seq). Tinelis-Castelet conclut « plusieurs planetes invisibles dont
les astrologues avoient tres faussement supposé l’impossibilité,
peuvent avoir esté la cause des mauvais succés que ces Messieurs ont
si souvent éprouvé »
Il conviendrait donc de remettre en question une telle chronologie
galiléenne, vu un décalage de plus de 25 ans. En fait, le texte de
1681 fait pendant à celui de 1651, à exactement trente ans
d’intervalle. Les deux textes ne sont pas sans offrir une certaine
similitude si ce n’est que Bourdin est un avocat de l’astrologie et
Tinelis un pourfendeur. Face au choc des découvertes du cosmos par la
lunette (à partir de 1610), l’abbé du Castelet et le marquis de
Vilennes ont le sentiment que l’Astrologie est visée par cette
nouvelle donne, qu’il s’agisse de la rénover ou de la condamner
définitivement..
On aurait pu s’étonner qu’il ait fallu 70 ans (entre 1610 et 1681)
pour que le texte ait été traduit en français si ce n’est que le latin
reste en France la langue savante tout au long du premier XVIIe
siècle, ce dont témoigne la production d’un Gassendi mais aussi d’un
Morin de Villefranche, dont l’Astrologia Gallica parait à La Haye en
1661, ouvrage dont les Remarques Astrologiques sur le commentaire du
centiloque de Ptolémée constituent un prélude en langue « vulgaire. »
Bourdin, certes, ne restitue qu’une faible partie de l’ouvrage de
Galilée en français (pp. 92 et seq), mais la teneur du Messager
céleste est telle que ces quelques extraits suffisent à marquer les
esprits qui n’auraient pas eu accès au latin. D’ailleurs, Bourdin ne
s’est-il pas donné pour mission, par ses traductions, de faire du
français une langue scientifique ?
Bourdin désigne l’ouvrage de Galilée sous le titre d’Ambassadeur des
Astres, ce qui touche à un débat entre spécialistes sur la
signification ambiguë du mot Nuncius: Messager ou Message ?
.On ignore d’où l’astrologue Nicolas Bourdin, marquis de Vilennes,
lui-même traducteur de Ptolémée- a tiré cette traduction ni s’il
s’agit d’un extrait d’une traduction existante ou d’une traduction
partielle pour les besoins de son livre..
Bourdin s’interroge et s’inquiète vis-à-vis des astrologues ; « Dans
un si estrange nombre d’estoiles, qui sera donc celuy qui demeslera la
diversité des effets, si toutes contribuent à en produire (..) ? (…)
Néanmoins parce que la tardiveté de leurs mouvements & les rares
expériences qu’on en a de ce qu’ils produisent chez nous, en rend la
preuve plus difficile, on admire les evenemens qu’ils ameinent »
Morin ajoute dans ses Remarques, qui connurent deux éditions
successives en 1654, chez l’auteur, à Paris, et après sa mort, en 1657
; à Paris, chez Pierre Ménard « L’ignorance de la propre nature et
vertu des étoiles fixes nous est un grand défaut en l’Astrologie »
Mais Morin – qui ne reprend pas explicitement la référence à Galilée –
veut considérer les fixes comme un épiphénomène : «en ces remarques
(…) je me contenterai de dire qu’encores que toutes les étoiles fixes
seraient anéanties, le Soleil ne laisserait pour cela de causer les
quatre saisons de l’année et les autres planètes d’agir comme elles
sont de par leur propre vertu, laquelle elles ne tiennent pas des
étoiles fixes »
Kepler lui-même avait répliqué (-1610, Prague) au Sidereus Nuncius au
regard de l’astrologie, dans une Dissertatio cum Nuncio Sidereo :
« Il y a des hommes en effet pour qui notre astrologie terrestre
semble vaine ou que je dise philosophiquement, la doctrine sur les
aspects puisque nous avons ignoré jusqu’à ce jour le nombre des
planètes faisant les aspects (..)Et de cette manière l’astrologie
demeure en son lieu et il est visible en même temps que ces quatre
nouveaux sont accouplés non pour nous vivant sur l’insigne Terre mais
sans aucun doute pour les habitants autour du globe de Jupiter (…) Il
est donc tout à fait ainsi que ce qu’est notre Lune pour nous sur la
Terre n’est pas pour les autres globes » [22]
On peut s’étonner en effet que ce passage concernant le Messager
Céleste n’ait pas été signalé tout au long du XXe siècle[23]. On
pouvait en effet, raisonnablement, s’attendre, à ce que la littérature
astrologique se fasse l’écho des découvertes faites au moyen de la
lunette, ce qui aurait donc justifié d’explorer les textes
astrologiques du cours du XVIIe siècle, ce qui aurait conduit, de fil
en aiguille, à un Nicolas Bourdin, d’autant que dès 1975 nous avions
publié sinon son Commentaire du moins les Remarques de Morin à son
sujet..
Les observations de Bourdin ou relayées par lui sont importantes pour
l’histoire de l’astrologie contemporaine et pour mieux appréhender la
crise par laquelle l’astrologie va passer à partir de la fin du XVIIe
siècle. On n’en est pas encore à découvrir de nouvelles planétes – ce
sera le cas en 1781 avec Herschell/Uranus et en 1801 avec Cérès- mais
déjà se profile un ébranlement du savoir astrologique. On peut
d’ailleurs en déduire que l’astrologie va prendre ses distances avec
les étoiles, d’où l’affirmation par Morin du caractère marginal des
étoiles fixes, ce qui, à terme, aura pour effet, d’évacuer
progressivement les fixes du champ de l’astrologie, tout en conservant
les constellations en tant qu’ensembles, avec le rejet d’un zodiaque
qui s’ancrerait sur une certaine étoile fixe, située dans la
constellation du Bélier. Le problème posé par la lunette de Galilée
aura été esquivé du fait de cette mise à l’écart des étoiles fixes
dans le discours astrologique mais on ne saurait sous estimer l’impact
qu’a pu représenter une telle avancée dans l’observation du ciel pour
l’astrologie de l’époque. En repoussant le choc à la fin du XVIIIe
siècle, autour de la découverte de la première transsaturnienne , l’on
risque de fausser les représentations car c’est bien déjà au XVIIe
siècle que l’ astrologie est impactée. A la fin du siècle suivant, les
dommages collatéraux sont déjà marquants. [24]
Ajoutons que Castelet met en avant (p. 97) le travail de Jean-
Baptiste Porta, en son » Traité de magie naturelle » (au chapitre 17
du Livre IV), en ce qui concerne l’usage de miroirs pour l’observation
des astres, ce qui en ferait un précurseur de Galilée.
Ce ne serait donc pas l’héliocentrisme de Copernic qui aurait tant
déstabilisé l’astrologie que l’ébranlement de l’inventaire
astronomique. Mais l’on sait que l’astrologie contemporaine relèvera
le défi et intègrera les nouvelles planétes au sein de ses dispositifs
traditionnels[25]. Quant aux étoiles fixes, à trente ans d’intervalle,
entre 1651 et 1681, leur place au sein du savoir astrologique aura
singulièrement décru. Il n’en reste pas moins que dans les faits, le
déclin de l’Astrologie, du moins au regard des instances scientifiques,
à commencer par l’Académie Royale des Sciences, se verra entériné,
comme si l’astronomie s’était rendu compte, à quel point ses liens
avec l’astrologie étaient une entrave potentielle à son progrès, le
procès de Galilée, nouvelle pomme de discorde- ne faisant que creuser
le fossé entre science et croyance..Les années 1650 constituent un
tournant probablement plus important que les années 1680, pour
l’avenir de l’astrologie. On pense notamment à la polémique entre
Morin et Gassendi – qui est notamment très présente dans les Remarques
Astrologiques –à laquelle il convient désormais d’ajouter les doutes
de Bourdin face à une astrologie qui se voit singulièrement
hypothéquée par le fait d’une astronomie devenue imprévisible, posant
ainsi un dilemme aux astrologues face à une modernité qui vient
plomber un savoir qui, comme le rappelle Tinélis, avait pour lui son
ancienneté..
Conclusion
La première décennie du XVIIe siècle aurait pu être perçue comme le
temps d’une renaissance de l’astrologie à l’aune des apports d’un
Kepler et d’un Galilée. L’historien de l’astrologie moderne, avec le
recul, ne peut que considérablement relativiser les effets d’un tel
impact et en fait, c’est bien à ce moment là que se précise le divorce
entre astronomie et astrologie, dans la mesure même où l’astrologie ne
« suit » pas.. Bien plus, on peut penser que c’est l’astrologie,
elle-même, qui « décroche », troublée par une astronomie qui lui
semble de plus en plus étrangère et qui finit par se radicaliser du
fait même des nouvelles perspectives qui s’ouvrent à elle..
Nostradamus n’aurait probablement pas été indifférent à de tels enjeux.
Non pas, certes, l’homme des « Centuries » mais celui de l’éclipse de
1567 qui pensait que l’astrologie avait mission d’éclairer l’Humanité
sur le devenir du monde. Il aurait été, nul doute, intéressé par les
réflexions de Kepler sur les astralités liées à la naissance de Jésus
Christ.
En fait, dans les années 1640, on voit toutes sortes de remèdes
proposés pour corriger les insuffisances de l’astrologie. Jean-Baptiste
Morin, dans sa monumentale Astrologia Gallica n’entend pas être de
reste. Pour ce professeur de mathématiques au Collège Royal (le futur
Collège de France), il faut dénoncer ces astrologues qui donnent des
consultations sans se référer systématiquement à la figure natale.
C’est de là que viendrait le mal dont souffre l’astrologie. Au fond,
tout le monde s’accorde pour dire que l’astrologie est malade mais
chacun y va de sa solution et les découvertes de Galilée ne font
qu’ajouter à la confusion. La notion d’adversaire de l’astrologie tend
à devenir insaisissable tant les astrologues eux-mêmes se portent des
coups les uns aux autres, sans qu’il soit besoin qu’intervienne un
Pierre Gassendi qui, à la différence de Kepler (au titre de son
Tertius Interveniens de 1610, en allemand) demande à ce que l’on ne
jette pas le bébé avec l’eau du bain. Les attaques d’un Jean-Baptiste
Morin contre Nicolas Bourdin –il consacre un ouvrage à relever toutes
les incongruités de son confrère (Remarques Astrologiques) donnent
quelque idée du climat délétère qui règne dans les années 1650, à la
veille de la fondation en 1666 de l’Académie Royale des Sciences, même
si la thèse d’un « édit de Colbert » interdisant l’astrologie est un
mythe. En fait, ce n’est que vers 1699, que l’Académie décida de ne
plus examiner de travaux relatifs à l’astrologie, ce qu’elle avait
fait jusque là, en quelques occasions.[26]. En fait, la production
astrologique française sera plus dense dans le dernier tiers du XVIIe
siècle, avec notamment l’œuvre d’un Eustache Lenoble laquelle sera
publiée, sous diverses formes, tout au long du XVIIIe siècle[27].
JHB
19. 02.13
[1] Cf Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Ed. Ramkat,
2002
[2] “The Importance of Comets for the Cause of Astrology: the Case of
Pierre Bayle in the Years 1680-1705” “in Collectif Astrology and the
Academy, dir N. Campion, 2003
[3]« L’astrologie sous Cromwell et Mazarin », in Politica Hermetican
2003
[4] Cf Giffré de Réchac et la naissance de la critique nostradamique
au XVIIe siècle, Post Doctorat, EPHE Ve section, 2007,
[5] N. Campion, N. Kollestrom, Galileo’s Astrology, numéro spécial de
la revue Culture and Cosmos, 2003n vol 7
[6] « L’empire déchu ou l’astrologie au XVIIe siècle », Politica
Hermetica, 1997 n°11, « Les résurgences du savoir astrologique au sein
des textes alchimiques dans la France du XVIIe siècle, in Aspects de
la tradition alchimique au XVIIe siècle, dir. F. Greiner, Milan, Arché,
1998
[7] Cf « Recherches sur l’Histoire de l’Astrologie et du Tarot, »
Paris, Trédaniel, Grande Conjonction, 1993. Postface à Etteila
L’astrologie du livre de Toth. (1785)
[8] On s’y référe e de nos jours en tant qu’aspects « mineurs »
[9] Cf Les historiens des sciences face à l’activité astrologique de
Kepler, Congrès des Sociétés Savantes, 1979
[10] Réed 1993 en reprint, Ed. Trédaniel –Grande Conjonction
[11] Cf G. Simon Kepler, astronome, astrologue, Paris, 1979 G. Simon
1979, pp. 169 et seq. On y signale que L’Harmonie du Monde ,1619,
réhabilite le semi-sextile.(30°), aspect dont le sort avait été
discuté et qui avait été doté d’un icône repris de celui du sextile.(60°)
[12] Ephemerides Ans 1617 à 1636 compris, trad Jean Peyroux, Paris
Blanchard 1994
[13] Placidus de Titis, mathématicien de Léopold Guillaume, archiduc
d'Autriche, 1601-1668). « Texte
[10] Primum Mobile, Placidus de Titis, publié par la Fédération des
Astrologues Francophones (FDAF), Paris, 1998. préface R/ Amadou.
[14] Cf fac simile de la traduction anglaise , Londres 1983, pp. 79 et
seq, Sur Kepler cf p. l’introduction de Michael Baigent
[15] Voir aussi notre récente étude sur la réception de l’astrologie
de Kepler dans les années 1640, site grande-conjonction.org
[16] Cf nos Recherches sur l’Histoire de l’Astrologie et du Tarot,
Paris, Trédaniel, La Grande Conjonction, 1993
[17] ↑ Richard Lemay, Origin and success of the Kitab Thamara of Abu
Ja'far Ahmad ibn Yusuf, in Proceedings of the 1st International
Symposium for the History of Arabic Science, University of Aleppo
(1976), Alep 1978
[18] Passage latin reproduit en fac simile in Sur les traces de
Galilée,dir A. Brémond, ed. des Traboules, 2009, p. 97
[19] Galilée. Sidereus Nuncius. Le Messager Céleste, Paris, Gauthier
Villars 1964, p. 49, note 1
[20] Cf Ed Belles Lettres, 1992. soit un an avant notre édition de
l’ouvrage de Bourdin comportant un passage d’une première traduction
française désignée par Bourdin « Ambassadeur des Astres »
[21] Nous avions déjà signalé cette dissertation dans le CATAF. (grande-conjonction.org)
[22] 1989 trad Jean Peyroux, Paris, A. Blanchard, p. 75
[23] Cf dès 1986, ce que nous écrivions sur l’impact de Galilée en
Astrologie, in L’étrange Histoire de l’astrologie, avec S. Hutin, pp.
62 et seq.
[24] Cf J. Halbronn, La Vie astrologique, il y a cent ans, Paris,
Trédaniel La Grande Conjonction, 1992
[25] . J. Halbronn, “L’évolution de la pensée astrologique face aux
découvertes des nouvelles planètes du système solaire (1781-1930)”,
Actes du 103e congrès national des sociétés savantes, Nancy 1978,
Sciences, fasc. V, pp. 145-146, “La communication du savoir
astrologique”, Actes du Colloque La magie et ses langages, dir.
Margaret Jones-Davies, Lille, PUL, 1980.
[26] Cf nos Etudes autour des éditions ptolémaïques de Nicolas de
Bourdin (1640-1651), en postface au CEntiloque de Bourdin, Paris, Ed
Trédaniel-Grande Conjonction, 1993, dont les éléments ont été repris
par H . Drévillon dans sa thèse (1993) publiée sous le titre Lire et
écrire l'avenir. L'astrologie dans la France du Grand Siècle
(1610-1715). Ed Champvallon, 1996
[27] Cf nos Recherches sur l’Histoire de l’astrologie et du Tarot, op.
cit. |
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182 - Contrefaçon et culte posthume au regard du canon centurique
Par Jacques Halbronn
La notion de contrefaçon est indissociable d’une prétention unitaire.
Il s’agit de faire de l’un avec du multiple, de faire passer le
multiple comme ne faisant qu’un.
Cela nous conduit d’ailleurs à élargir la notion de contrefaçon à
toute forme de compilation qui ne dirait pas son nom. On peut aussi
vouloir se faire passer pour ce que l’on n’est pas. Dans le cas de
Nostradamus, la question se pose ainsi : la disparité propre à
certains documents est-elle le fait de faussaires ou bien Nostradamus
est-il lui-même un plagiaire, pillant sans scrupules diverses sources
? Jusqu’à présent, c’est la seconde thèse qui semble avoir prédominé,
ce qui n’est évidemment pas à l’honneur de Nostradamus. Dilemme donc :
soit Nostradamus est son propre faussaire, soit ce que l’on désigne
sous le nom de « corpus Nostradamus » est en fait un ensemble qui
englobe à la fois pièces authentiques composées par Nostradamus et
contrefaçons dues à d’autres que Nostradamus.
Un des premiers à avoir abordé la question des sources de Nostradamus
est l’abbé Torné-Chavigny mais il ne conclut pas à une contrefaçon «
externe » mais opte pour l’image d’un Nostradamus quelque peu torturé
jouant sur plusieurs tableaux.
A partir du moment où l’idée d’un Nostradamus comme personnage assez
douteux, rien ne surprend plus. On trouve alors « normal » que
certains textes soient marqués par des juxtapositions, des
contradictions. Cela conduit à une recherche nostradamologique qui
stagne et qui ne traite plus que de questions de détail assez
insignifiantes.
Il importe, selon nous, que les chercheurs en histoire des textes, en
textologie, reçoivent une formation en bonne et due forme sur la
contrefaçon. Ce qui est loin d’être le cas. Il convient aussi de
comprendre quels sont les ressorts et les méthodes de la contrefaçon.
Pour dire les choses brièvement, nous poserons le principe suivant :
soit l’on va du simple au multiple, soit du multiple au simple.
Entendons par là qu’il est normal qu’un texte fasse l’objet de divers
commentaires ; en aval, de traductions, de citations voire d’emprunts.
Mais autre chose, le fait qu’un texte soit constitué de toutes sortes
d’éléments épars par ailleurs aisément reconnaissables tant ils
relèvent d’un « copié-collé » plus ou moins habile.
Est-il par exemple « normal » que l’on trouve des quatrains, comme l’a
montré Chantal Liaroutzo (1986), pris de la Guide des Chemins de
France de Charles Estienne ? Pour cette chercheuse, ce constat
signifiait-il que ces quatrains étaient des faux ou bien que
Nostradamus composait « ses » quatrains centuriques en recourant à de
tels procédés ? Si l’on revient à Torné Chavigny, qui signale des
emprunts à l’Eclipsium ou à l’Ephemeridum de C. Leovitius dans les
Significations de l’Eclipse qui sera le 16 septembre 1559, est-ce le
signe que ce texte est un faux ou bien que Nostradamus reprenait à son
compte les travaux de ses confrères ? Idem quand le même Torné note
que la Préface à César reprend nettement un texte de Savonarole
figurant au sein du Mirabilis Liber de 1522 ? et l’on ne parle pas des
diverses sources que les uns et les autres ont découvertes ici et là,
notamment quand il s’agissait d’événements révolus déjà du temps de
Nostradamus. On pense notamment au travail de Roger Prevost (Laffont,
1999). Force est de constater que dans l’ensemble, de telles
observations n’auront pas conduit à l’idée de contrefaçons « externes
», tout au plus de contrefaçons « internes » dues à Nostradamus
lui-même, pour quelque raison que ce soit.
En fait tout dépend d’une certaine éthique de l’observateur. Si le dit
observateur est lui-même coutumier de certains agissements dans son
propre travail de recherche, empruntant à tel ou tel sans trop de
scrupules, il faut s’attendre à ce qu’il ait quelque difficulté à
déceler une contrefaçon. Inversement, si le chercheur est marqué par
une certaine rigidité, ne risque-t-il pas de découvrir des facteurs de
fraude un peu trop promptement (hypercritique) ?
Récemment, le cas de la Préface à César nous est apparu
particulièrement suspect et cela au vu justement des sources. Car, en
fait, le problème n’est pas tant celui d’un emprunt ponctuel mais
d’une pluralité d’emprunts n’ayant pas fait l’objet d’un véritable
processus de digestion, de refonte. Cela dit, il faut bien reconnaitre
que tout le monde est marqué par des influences, des lectures mais ce
qui caractérise, notamment, le plagiaire, c’est le quasi mot pour mot
ou en musique, note pour note.. Au fond, ce qui serait authentique
serait ce qui a su gérer intelligemment le processus d’imitation
auquel nous sommes tous confrontés et qui nous invite à développer en
nous certaines dispositions, faute de quoi l’on en reste à une
duplication servile..
Or, dans la Préface à César, si on la rapproche du traité de Trithème
sur les causes secondes, on note que tout se passe comme si l’on avait
effectué quelques emprunts assez désordonnés, ne donnant qu’une idée
très confuse de l’ouvrage de référence sans pour autant y substituer
une nouvelle cohérence propre à l’auteur. On est là en face de
fragments, de bribes, «sans queue ni tête ». La Préface à César est un
texte qui n’est pas maîtrisé et qui n’est d’ailleurs pas compris par
ceux qui le commentent et le transmettent. C’est ainsi que lorsque
Trithème déclare qu’il reste 17 ans à courir avant de changer de «
planète », se référant à 1508, qui est la date de rédaction, 17
devient 177 et la date de 1508 qui n’est d’ailleurs pas reprise est
remplacée par une date plus tardive, à commencer par 1555 qui est la
date de rédaction indiquée de la dite Préface. On ne saurait concevoir
emprunt plus maladroit. Mais ce n’est pas tout quelques lignes plus
loin, il est dit que l’on est déjà entré dans la période de la planète
suivante. Il y a donc là un hiatus temporel : on attend l’âge de la
Lune mais en fait on s’y trouve déjà (depuis 20 ans si l’on en croit
tel quatrain de la première centurie)
Comment qualifier un tel objet ? Premier constat : on veut nous faire
croire que Nostradamus en est l’auteur. Deuxième constat : on
rassemble des éléments en vrac. Selon nous, la meilleure explication,
c’est qu’il s’agit de notes trouvées dans les papiers de Nostradamus
et que l’on aura mises bout à bout, un peu à la façon de certaines
publications posthumes, tant sous la forme d’épitres que sous la forme
de quatrains, les deux modes d’expression puisant dans le même corpus
de notes éparses. On a le même désordre en prose et en vers.
Dans ce cas, peut-on parler de contrefaçon ? Oui, dès lors que l’on
publie quelque chose qui est de la plume de l’auteur mais qui n’est
pas nécessairement destiné à publication et qui, de surcroit, est tout
à fait incomplet : à la fois notes de lecture et observations de
l’auteur se mélangeant. Or, c’est bien ce « canon » qui aura survécu à
toute la production de Nostradamus, c'est-à-dire du brouillon, cela
reléve d’une sorte de culte où tout ce qui émane de Nostradamus aurait
valeur prophétique et serait recueilli religieusement, telle une
relique.
De telles observations nous conduisent à un nouveau regard sur le
statut posthume de Nostradamus. Seul un personnage doté d’une aura
remarquable aurait pu donner lieu à une conservation aussi incongrue
de ses « papiers ». Même les faussaires les plus maladroits et pressés
n’auraient pu aboutir à un tel résultat. Rappelons qu’il est probable
que Nostradamus aura traduit le texte latin de Savonarole et que c’est
à ce titre que le dit texte lui est imputé et intégré au sein de la
dite Préface à César. On sait aussi que Nostradamus a traduit la
Paraphrase de Galien – il en est question dans sa correspondance- et
que cette traduction sera publiée, non pas, pensons nous de son vivant
mais avec certaines éditions des Centuries, prétendument chez le même
libraire (Antoine du Rosne), avec la même vignette au titre, et aux
mêmes années.(1557-1558), ce qui constitue un ensemble posthume plus
complet que les seules centuries.
Le cas de l’Epitre à Henri II présente les mêmes stigmates de
documents rassemblés après la mort d’un auteur. Là encore, des
éléments dispersés : deux chronologies parallèles du monde, des
données astronomiques dont on ne nous donne même pas l’année.Tout cela
est à la fois redondant et lacunaire.
Et il faudrait probablement ajouter à cette collection posthume les
Significations de l’éclipse avec ce fort emprunt mentionné à Leovitius
qui se juxtapose fort mal à d’autres données. Ces significations qui
sont incluses dans le Recueil des Présages Prosaïques, qui est aussi
un ensemble posthume manuscrit –comme sa correspondance- mais qui a
fait l’objet d’impressions du vivant de Nostradamus..
Nous serions là face à l’exercice d’un culte nostradamique dont on
peut se demander s’il ne se suffisait pas à lui-même en tant que
celébration d’un saint homme. L’existence d’une Vie de Nostradamus
vient compléter l’ensemble, avec notamment l’épitaphe...
Cela dit, on ne saurait exclure que l’on ait par la suite fabriqué de
fausses reliques et notamment des quatrains (et des sixains) qui
n’auraient même plus été issus de sa « bibliothèque », à laquelle il
renvoie dans son testament. Qui se chargea d’une telle besogne ? Le
testament indique que Nostradamus n’était pas encore fixé à ce sujet,
que l’on verra, que l’on avisera. On sait que parurent certains
documents de par la diligence de Michel Nostradamus le Jeune, dont on
peut penser qu’il fut le fils ainé de Nostradamus, disparu dans les
années 1570. On a montré que ce personnage avait récupéré une série de
prédictions de Panfilio Riccius dont il ne donne pas le nom et qu’il
dit avoir retrouvé dans la bibliothèque de son père mais qu’il ne lui
attribue pas.
On sait aussi que Jean Aimé de Chavigny, le « collecteur » du Janus
Gallicus (1594) dans lequel figure le « Brief Discours sur la Vie de
Michel Nostradamus », récupéra divers dossiers, sans oublier des
personnages comme Jean de Chevigny et Jean Dorat. Et puis il y a aussi
César de Nostredame, le dédicataire de la Préface aux premières
centuries, qui n’avait que 13 ans à la mort de son père mais qui a
certainement été de mèche dans les années 1580 avec certains
protagonistes.
Il est assez clair que par la suite, l’on continuera à se référer à
des documents inédits et ce jusque dans l’épitre de 1605 à Henri IV,
ouvrant sur 58 sixains. Il y a certainement eu des interpolations
consistant à retoucher certains quatrains voire en créer de nouveaux
de toutes pièces. On pense notamment au quatrain IX, 86 qui est
constitué de passages de la Guide des Chemins de France mais où la
ville de Chastres (actuel Arpajon) est devenue Chartres, ce qui
désigne la cathédrale du couronnement d’Henri IV en 1594.
Le contraste est saisissant, en tout cas, entre les textes que
Nostradamus a réellement publiés en connaissance de cause et qui
relèvent d’une réflexion sur des données astronomiques, liées à une
datation rigoureuse et ceux qu’on lui attribue et qui, même s’ils ont
été notés de sa propre main, ne sauraient constituer au départ une
œuvre digne de ce nom.
Or, l’on sait à quel point la thèse posthume aura été combattu par les
nostradamologues, universitaires ou non, au point de vouloir à tout
prix valider les fausses éditions des centuries de 1555 et 1557, pour
laisser entendre que Nostradamus avait publié ces textes de son
vivant, ce qui revient à mettre sur le même pied ces deux séries de
documents. On assiste donc à une contrefaçon consistant à antidater
des pièces posthumes et dont la désorganisation ne fait sens, ne se
conçoit, que parce qu’elles le sont.
L’édition Benoist Rigaud 1568 à 10 centuries et deux épitres, est
certes posthume quant à la date mais elle ne se présente pas pour
autant comme telle, comme si Nostradamus n’était pas encore mort alors.
Elle contraste avec d’autres publications parue en cette même année
1568 et qui notent clairement le décès, ce qui montre qu’elle est bien
plus tardive. Nous pensons qu’elle fut réalisée par des gens qui
ignoraient la date de décès de Nostradamus (1566), tout comme au début
du XVIIIe siècle, on ne savait plus à quelle date avait officié Pierre
Rigaud, le fils de Benoist, en lui attribuant une édition datée de
1566, soit une trentaine d’années trop tôt.
En fait, il semble que Nostradamus soit passé par des extrêmes :
tantôt il s’exprime trop clairement, comme dans ses almanachs au
risque d’ailleurs d’être censuré, tantôt, il reconnait – c’est du
moins ce qu’on lui fait dire- dans ses épitres centuriques, qu’il est
abscons, ce qui est une façon de dire que le canon nostradamique est
délibérément obscur et fouillis et non pas du fait que l’on aura voulu
faire un ensemble d’un seul tenant à partir d’un matériau inconsistant
et virtuellement irrécupérable, pour le moins « non finito », prôné
par Michel Ange au XVe siècle. De fait, la lecture du canon centurique
peut atteindre une sorte de fureur prophétique en fonction même de ses
dissonances, « a work in progress »..
JHB
07. 02. 13
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183 - Le dossier Nostradamus au prisme de Pascal et de Nietzsche.
Par Jacques Halbronn
Nous avons souvent pensé qu’il pouvait être aussi éclairant de
rechercher des informations en aval qu’en amont, privilégiant
volontiers une approche sociologique sur une approche historique, la
première étant plus systématique et la seconde plus anecdotique et
fragmentaire.[1]
Nous nous proposons ici d’éclairer l’aventure des centuries en
établissant certaines comparaisons avec deux cas célèbres, celui de
Blaise Pascal, au XVIIe siècle et celui de Friedrich Nietzsche, à la
charnière du XXe siècle[2]. On ne peut avancer, en effet, sans une
approche comparative, d’autant que quelque soit le siècle des
situations semblables tendent à se représenter. Nous observerons à ce
propos que certaines zones d’ombre du dossier Nostradamus peuvent être
ainsi clarifiées, en ce qui concerne le traitement des papiers
disponibles à la mort d’un auteur et le sort qui leur est dévolu par
les proches. Nous aborderons donc successivement le cas Pascal et le
cas Nietzsche ce qui sera l’occasion d’un certain sentiment de déjà
par rapport à ce que nous avons précédemment développé autour de
Nostradamus et de la dimension posthume occultée de ce que la
postérité a retenu le concernant.
I Le cas Pascal
Pascal meurt en 1662, laissant derrière lui un grand nombre de papiers.
En 1670, les premières éditions des Pensées paraissent, donc sept-huit
ans après. Le titre complet est révélateur : Pensées de M. Pascal sur
la religion et sur quelques autres sujets qui ont été trouvées après
sa mort parmi ses papiers.
On trouve des intitulés comparables en 1568, un siècle plus tôt,
autour de Nostradamus (cf. R. Benazra, RCN, p. 90, p. 97-98) au titre
des ouvrages publiés à l’initiative de M. de Nostradamus le Jeune et
autres variantes, qui ne se présentent d’ailleurs pas comme étant de
Nostradamus mais « trouvés en sa bibliothèque ». On notera que parmi
ces textes, on trouve une référence à l’Eclipse de Soleil de 1654[3]
Ces Pensées sont présentées comme ayant eu pour projet de constituer
une « Apologie pour la vérité de la religion chrétienne », où est
notamment exposé le fameux « pari de Pascal ».
Dans sa Préface figurant dès la première édition Etienne Périer, le
fils de la sœur de Pascal écrit :
« Il prenait le premier morceau de papier qu’il trouvoit sous sa main
sur lequel il mettoit sa pensée en peu de mots & fort souvent même à
demi-mot car il ne l’écrivoit que pour lui & c’est pourquoi il se
contentoit de le faire fort legerement pour ne pas se fatiguer
l’esprit (..) C’est ainsi qu’il a fait la plupart des fragmens qu’on
trouvera dans ce Recueil (…) On les trouva tous ensemble enfilez en
diverses liasses mais sans aucun ordre, sans aucune suite (…)On fut
fort longtemps sans penser du tout à les faire imprimer (..) Mais
enfin on fut obligé de ceder à l’impatience & au grand désir que tout
le monde temoignoit de les voir imprimés »
On peut tout à fait imaginer Michel de Nostredame procéder de la même
façon et laisser à sa mort des papiers ainsi « enfilez en diverses
liasses ». On notera la forme « à la supplication de plusieurs ont
esté à tres grande diligence reveues & mises en lumière » dans le cas
des éditons censées publiées par Nostradamus le Jeune », que l’on
retrouve presque à l’identique à propos des Pensées de Pascal.
La sœur de Pascal, quant à elle, se chargea de rédiger une « Vie » de
l’auteur, dans une approche nécrologique que l’on retrouve dans le
Janus Gallicus, mais bien après la mort de Nostradamus, puisque
n’étant paru qu’en, 1594 : Brief Discours sur la Vie de M. Michell de
Nostredame ». On la trouve en tête des éditions des Pensées.
Le mot « Recueil » est utilisé par Etienne Périer et l’on rappellera
que l’on a conservé de Nostradamus un manuscrit de ses publications
annuelles intitulé Recueil des Présages Prosaïques
On s’accordait à l’époque pour reconnaitre que même si Pascal avait
achevé son travail, il n’eut été accessible qu’à un petit nombre.
II Le cas Nietzsche
Michel Onfray ( La construction du surhomme ; Paris, Grasset, 2011,
pp. 197, 324 et seq) rappelle le scandale du dernier livre dont
Nietzsche serait l’auteur, La Volonté de Puissance, en s’appuyant
notamment sur les travaux de Mazzino Montinaro, du fait des
agissements de sa sœur Elisabeth Förster Nietzsche[4].. Le résumé
qu’en donne Onfray pourrait en grande partie être repris pour Michel
de Nostredame, à trois siècle d’intervalle :
La Volonté de puissance, écrit-il, est « un livre qui n’existe pas
(..) et repose sur un faux grossier construit par sa sœur (…) qui
rassemble des textes de Nietzsche auxquels elle ajoute des faux de sa
main, des aphorismes tronqués, démembrés, des passages bien écrits de
la main de son frère, mais qui sont des copies de citations d’auteurs
(plus d’une vingtaine sont de Tolstoï et elles sont prises pour des
affirmations de Nietzsche !) ou des notes de lecture, des morceaux
sortis de leur contexte- le tout publié pour faire de l’argent et
créer le culte de son frère qu’elle veut présenter en précurseur du
national-socialisme (…) Nietzsche a bien projeté un livre qui se
serait appelé La Volonté de Puissance. Mais les projets abondent dans
les notes, les plans se succèdent (…) Des lettres écrites entre le 26
août et le 3 septembre témoignent clairement de l’abandon de ce projet
(…) L’écriture du philosophe ne prouve pas qu’il s’agit bien de la
pensée du philosophe : la preuve, une série de textes constitués par
des prises de notes effectuées par Nietzsche lors de ses nombreuses et
abondantes lectures. Ici ou là, une note manuscrite où se reconnaît la
main du philosophe est… d’un écrivain ou d’un penseur inconnu (…) Et
puis que dire de ces éditions d’un prétendu même livre sous un titre
toujours identique depuis 1901, la première édition, La Volonté de
puissance qui ici se constitue de 483 fragments, là de 1067, ailleurs
de 696 ou bien encore de 491, à moins qu’il n’agisse d’une dernière
forte de 2397 morceaux »
Il s’agit d’une sélection de cahiers de notes prises par Nietzsche au
cours des années 1883 à 1888. La Volonté de Puissance a fait l’objet
d’un grand nombre d’éditions et de commentaires, ce qui a permis
notamment d’établir que des notes de lecture ont été prises de
l’ouvrage Ma religion, de Tolstoï (1885)
Conclusion
Le cas de Nostradamus nous apparait en comparaison dans toute son
étrangeté éditoriale puisque la dimension posthume des Centuries
n’émerge que de façon assez marginale, comme dans le cas de l’épitre à
Henri IV de 1605 ou dans les derniers paragraphes du « Brief Discours
» déjà cité. On veut nous faire croire que dans le cas des Centuries,
pour ce qui est des dix premières, celles-ci étaient parues du vivant
de Nostradamus, avec éditions à l’appui. On pourrait, à titre de
comparaison, imaginer que l’on nous présente des éditions des Pensées
de Pascal censées parues de son vivant et de même pour la Volonté de
Puissance de Nietzsche. On n’a pas osé, apparemment, se prêter à une
telle supercherie.
Si le rôle de la famille est assez bien connu dans le cas de Pascal et
de Nietzsche, il est assez mal défini concernant Nostradamus. Il y a
certes Nostradamus le Jeune qui se présente comme publiant des pièces
retrouvées, on l’a vu, dans la bibliothèque du défunt mais nombre de
nostradamologues contestent qu’il ait pu être le fils de Michel de
Nostredame. Il y a des «vies » de Nostradamus qui le présentent comme
l’ainé de la fratrie et d’autres d’où son nom est absent. Quant au cas
de César, qui est souvent campé comme l’ainé (né en 1553), une «
préface » placée en tête des premières centuries, et datée de 1555,
lui est dédiée sans que le dit César, par la suite, ne se soit mis en
avant comme auteur de la Vie de Nostradamus ou comme préfacier des
Centuries.
Les dites Centuries, à la différence des cas de Pascal et de Nietzsche
ne nous sont pas connues par le biais de manuscrits mais uniquement
d’imprimés[5].
On songe évidemment au rôle assez mal défini de César de Nostredame,
fils de Michel Nosradamus, dédicataire supposé d’un ensemble posthume
qui ne se reconnait pas ou plus comme tel.
Le choix même de la formule des « centuries » se prête, au vrai, assez
bien pour un recueil de fragments. D’ailleurs les Pensées de Pascal
firent immédiatement l’objet d’une table des matières avec indication
permettant de retrouver tel ou tel thème, à l’instar de ce que l’on
trouve dans le Janus Gallicus, sélection de quatrains collectée et
commentée par Jean Aimé de Chavigny.
Tout comme pour les textes posthumes de Pascal et de Nietzsche- du
moins pendant une partie du XXe siècle, les Centuries tendent à
éclipser le reste de l’œuvre de Nostradamus. On pourrait en dire
autant de l’Astrologia Gallicia de Jean Baptiste Morin, un astrologue
contemporaine de Pascal, mort en 1656, et qui eut droit en 1660 à une
« Vie » dont le privilège désigne les « héritiers » de l’auteur.
Actuellement, la thèse d’une parution posthume des Centuries semble
devoir l’emporter, en raison de toutes sortes d’invraisemblances
relevées. Mais l’on peut par ailleurs admettre que les dites Centuries
ne sont pas des contrefaçons mais plutôt toutes sortes de notes prises
par Nostradamus, reprises d’ailleurs dans le plus grand désordre dans
les épitres en prose à César et à Henri II, sans que l’on ne puisse
exclure toutes sortes d’additions et de retouches. Ces notes, comme il
a été indiqué plus haut pour la Volonté de Puissance sont éparses,
prises probablement à l’occasion de lectures puis carrément attribuées
à Nostradamus lui-même. Comme il a été relevé, bien que le problème ne
se pose guère puisque les manuscrits manquent, le fait que des notes
aient pu être de la main même de Nostradamus ne prouverait de toute
façon pas qu’elles soient l’expression de sa pensée.
On reste perplexe sur la fortune exceptionnelle de ces trois corpus
posthumes, dont le caractère de collection de fragments est patent,
dans chaque cas.Mais dans le cas des Centuries, l’existence d’éditions
qui seraient parues dès les années 1550 constitue un cas de figure
assez étonnant qui aura retardé considérablement l’intégration du
corpus Nostradamus dans le genre posthume auquel, pourtant, selon nous,
il appartient à part entière.
Les publications nostradamiques parues à la mort de Nostradamus et
jusqu’au début des années 1570, sont marquées par l’évocation de la
mort de Nostradamus, survenue en 1566, à l’exception d’ailleurs de
l’édition 1568 des Centuries (Lyon, Benoist Rigaud). Il semble que
deux écoles se soient entrecroisées, dans les décennies qui suivirent
la mort de Nostradamus, et notamment sous la Ligue : l’une optant pour
la version posthume et l’autre s’y refusant, l’une mettant en avant un
fils, Michel, l’autre son frère César..
Il semble que dans un premier temps, il ne se soit agi que de rééditer
le manuscrit intitulé Recueil des Présages Prosaïques[6] ou plutôt de
le mettre en ordre, par le biais d’une sélection, agrémentée de
commentaires. Cela donnera , en 1594, le Janus Gallicus, si l’on fait
abstraction de l’addition de quatrains centuriques qui y restent
minoritaires. Mais ce projet sera radicalement modifié en 1656 par
Jean Giffré de Réchac avec son Eclaircissement des véritables
quatrains de Maistre Michel Nostradamus,[7], ouvrage qui évacue les
quatrains du dit manuscrit conservé actuellement à Lyon Part Dieu pour
les remplacer par les « véritables quatrains » que seraient ceux des
centuries..
JHB
14.02.13
[1] Cf Le texte prophétique en France. Ed. du Septentrion, 1999, Papes
et prophéties, ed Axiome, 2005
[2] Sur cette périiode charnière, voir Le sionisme et ses avatars au
tournant du XXe siècle, Ed . Ramkat, 2002,, sur Les Protocoles des
Sages de Sion, prétendue transcription de débats
[3] Cf E. Labrousse, L’entrée de Saturne au Lion, Ed . Nijhoff, 1974
[4] « La volonté de puissance « n’existe pas / L’Eclat 1996
[5] Voir les fac simile des papiers de Pascal, Original des Pensées de
Pascal, Présention de Leon Brunschwicg, Paris Hachette 1905
[6] Cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, 1999 ; le
second volume n’est pas sorti. Chavigny aurait envisagé une édition en
1589, du dit manuscrit dans son intégralité.
[7] Cf Giffré de Réchac et la naissance de la crtitique nostradamique
au XVIIe siècle, EPHE 2007, en ligne sur propheties.it |
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184 - Nostradamus et Wikipedia en français et en anglais
Par Jacques Halbronn
Quelle valeur faut-il accorder aux notices (non signées) de Wikipedia
consacrées à Nostradamus ? Les notices française et anglaise
sont-elles compatibles, complémentaires ? Nous nous fondons sur l’état
des notices au 14 mars 2013, à 19 heures, en France, sachant que leur
contenu est susceptible d’évoluer d’un jour à l’autre.
Une des formules les plus étonnantes dans la mouture actuellement en
ligne concerne l’édition Macé Bonhomme 1555 dont on nous dit qu’elle
est constituée de « prédictions perpétuelles », sur la base d’un
passage de la Préface à César annonçant de « perpétuelles
vaticinations ».
Wikipedia : « il publie des prédictions perpétuelles (et donc en
théorie, selon l'usage de l'époque, cycliques)[ dans un ouvrage de
plus grande envergure et presque sans dates ciblées, publié par
l’imprimeur lyonnais Macé (Matthieu) Bonhomme. Ce sont les Prophéties,
l'ouvrage qui fait l'essentiel de sa gloire auprès de la postérité. »
Tel serait donc l’aboutissement actuel de la dite notice. Il suffit
que figure dans le corps de la préface la mention de « vaticinations
perpétuelles » pour que la formule soit associée aux « Prophéties ».
C’est ne pas être conscient de l’état disparate de la dite Préface.
Nous avons montré récemment que les 177 années de la préface à César
viennent d’une mention fautive de 17 ans – qui deviennent 177 ans -
dans le Traité des causes secondes de Trithème. Attribuer à
Nostradamus cette préface nous semble bien risqué. Quant à croire que
les Centuries qui suivent la Préface sont des « vaticinations
perpétuelles » parce que cette formue figure dans la dite Préface nous
semble tout aussi hasardeux d’autant que ce genre exige un cadre
chronologique qui n’existe pas dans les Centuries.
Quant à laisser entendre que les Prophéties seraient parus du vivant
de Nostradamus, cela eut mérité également une grande prudence, étant
donné les éléments caractéristiques d’un texte posthume de la dite
Epitre. Tout au plus, pourrait-on dire que le texte a été rédigé en
1555 mais certainement pas qu’il serait paru à cette date, ce qui est
le propre de toute forme de testament.
Si l’on passe à l’article Nostradamus, en anglais, sur Wikipedia, l’on
ne retrouve pas une telle mention des « prédictions perpétuelles »
mais alors que la version française considérait comme douteuse la
possibilité d’une édition du second volet en 1558, date de l’épitre à
Henri II, la version anglaise, a contrario, indique cette édition 1558
comme un fait, du fait évidemment de la date de l’épitre au roi.
Un passage retient notre attention ‘en ce qu’il se réfère à l’almanach
pour 1562 et à l’emprisonnement de l’’année précédente :
“Some accounts of Nostradamus's life state that he was afraid of being
persecuted for heresy by the Inquisition, but neither prophecy nor
astrology fell in this bracket, and he would have been in danger only
if he had practiced magic to support them. In fact, his relationship
with the Church was always excellent. His brief imprisonment at
Marignane in late 1561 came about purely because he had published his
1562 almanac without the prior permission of a bishop, contrary to a
recent royal decree”””
Certes, l’édit d’Orléans de 1560 exigeait-il le contrôle préalable
d’un évêque pour la parution d’un almanach. Mais telle n’est pas la
raison de cette sanction. Il convient de se référer aux textes pour
comprendre de quoi il retourne.
On connait une édition imprimée de cet « Almanach Nouveau » et un
manuscrit de dit almanach. Force est de constater que l’imprimé est
largement expurgé d’un long développement relatif à l’avènement de
l’Antéchrist au cours de la décennie. On connait aussi ce texte par sa
traduction italienne qui fit l’obet de pluisieurs éditions imprimées.
Une telle censure aura eu comme effet d’occulter tout un pan
prophétique de la production nostradamique, à base de considérations
sur les éclipses et notamment celle d’avril 1567 dont on trouve un
écho dans certains quatrains comportant le mot « macelin » en notant
que ces textes de 1561 sont adressés au pape Pie IV.
Que l’on juge par la présentation des Centuries :
Nostradamus “began his project of writing a book of one thousand
mainly French quatrains which constitute the largely undated
prophecies for which he is most famous today. Feeling vulnerable to
opposition on religious grounds[ however, he devised a method of
obscuring his meaning by using "Virgilianized" syntax, word games and
a mixture of other languages such as Greek, Italian, Latin, and
Provençal. For technical reasons connected with their publication in
three installments (the publisher of the third and last installment
seems to have been unwilling to start it in the middle of a "Century,"
or book of 100 verses), the last fifty-eight quatrains of the seventh
"
On essaie de nous faire croire que Nostradamus avait dès le départ le
“projet” de publier 1000 quatrains. Il y a bien sûr le cas de la
centurie VII qui est « incompléte » et qui ne dépasse pas les 42 «
articles ». On sera passé ensuite à la VIIIe centurie. En réalité, il
n’y a jamais eu un tel projet chez Nostradamus de « prophéties non
datées » ( !). A sa mort, on aura retrouvé des notes éparses que l’on
aura décidé de classer sous forme de centuries, ce qui n’est qu’un
mode de présentation commode et qui doit normalement être accompagné
d’un index qui ne figure pas dans les éditions connues.
La version anglaise signale diverses sources dans lesquelles les
Centuries auraient puisé mais précisément, l’examen de celle-ci montre
bien qu’il ne s’agit pas là d’un projet prophétique mais de notes de
lecture n’ayant pas vocation à paraitre. Ceux qui mirent en évidence
ces sources furent les premiers à s’étonner de la mention d’événements
déjà passés du temps de Nostradamus..
Il semble bien que les auteurs de ces articles Wikipedia ne
connaissent que les éditions des centuries et aucunement les autres
pièces du corpus. Les références bibliographiques fournies ne
garantissent aucunement que les ouvrages aient été pris en compte dans
le corps de l’ouvrage. C’est d’ailleurs le probléme de cette formule :
souvent la bibliographie, complétée par les uns et les autres va bien
au-delà du niveau de la rédaction de l’article. On y cite notamment
nos travaux académiques mais sans plus. Les rédacteurs semblent bien
incapables de suivre le débat sur l’authenticité des éditions. Dans
l’édition française, on se contente d’indiquer que nos positions quant
au caractère de contrefaçon antidatée des éditions sont très peu «
suivies » chez les spécialistes, ce qui est un jugement de seconde ou
de troisiéme main. Il ne semble pas que le niveau scientifique de ces
articles soit très élevé- c’est un travail d’amateurs- et l’on se
demande si c’est là une exception ou non dans le cas des articles
Wikipedia. Nous avons essayé de signaler l’existence des Halbronn’s
researches mais cela a été censuré.
JHB
14.03. 13 |
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185 - La question des éditions additionnelles des Centuries
par Jacques Halbronn
Roger Chartier, professeur au Collége de France, dans son étude des
éditions successives
des Essais de Montaigne signale la pratique des additions en vue de
prolonger les priviléges des libraires. Cela aurait été également le
cas des éditions de Rabelais. En revanche, Chartier ne signale pas le
cas des Centuries nostradamiques, ce qui peut sembler étrange car on a
là un cas assez emblématique.
Si l'on rebondit sur les observations de Roger Chartier, l'on est
conduit à observer la succession des éditions des "Prophéties", à la
fin du XVIe siècle - donc à une période contemporaine de la
publications des éditions successives des Essais de Montaigne- sous un
nouvel angle que nous n'avions pas envisagé jusques à présent.
Selon Chartier, la réglementation en vigueur exigeait pour que les
droits d'un privilége se prolongeassent, qu'une augmentation
susbstantielle du volume de l'ouvrage fût intervenue. Dans le cas des
Centuries, force est de constater deux périodes addditionnelles, la
première qui conduit à passer de 4 à 7 centuries - mais l'on pourrait
évidemment affiner le découpage en nous arrêtant à un ensemble de six
centuries, augmenté par la suite de quelques dizaines de quatrains (VIIe
centurie) et la seconde qui conduit à passer de 7 à 10 centuries, avec
une épitre supplémentaire adressée à Henri II et datée de 1558.
Si l'on s'en tient aux informations fournies par Roger Chartier - et
nous n'entrerons pas ici sur les délais et les volumes prévus- l'on
peut penser que l'on aura voulu prolonger un premier privilége
d'édition accordé au début des années 1580 et ayant un statut posthume
par des centuries supplémentaires aboutissant à une amplification du
"premier volet" correspondant aux exigences liées à la prolongation du
privilége. Cela pourrait recouper la période de la fin des années 1580
et du début des années 1590, avec un passage progressif à 7 centuries.
Puis, dans un troisiéme temps, toujours pour préserver les droits
d'édition, l'on aura ajouté un second volet qui est en fait un
troisiéme temps majeur. Le passage du premier au deuxiéme temps n'a
pas occasionné une épitre de plus(on en reste à la préface à César
datée de 1555) à la différence du passage du deuxiéme au troisiéme
temps, pour des raisons qui sont probablement assez aléatoires.
Quelles conclusions tirer de ces réflexions? Elles viennent, au vrai,
renforcer la thèse de la production de contrefaçons,du moins pour le
deuxiéme et le troisiéme temps. Un quatriéme temps correspondrait à
l'adjonction de sixains et d'une épitre de 1605 à Henri IV.
La thèse selon laquelle on aurait successivement retrouvé des papiers
supplémentaires de Nostradamus semble dès lors moins concevable que
celle d'un production ad hoc, liée à des nécessités dues à la
réglementation de l'édition.
Revenons sur les points suivants:
1 il semble exclus que l'édition augmentée à 7 centuries ait suivi
l'édition à 4 centuries, à trois ans d'intervalle vu que le délai de
prolongement du privilège dépasse largement cette durée, selon ce que
note Roger Chartier
2 l'étude des titres des éditions prend une autre tournure dans cette
nouvelle approche du sujet:
A on a une édition sans marque d'addition au titre, dans le genre Macé
Bonhomme 1555.Si dès le départ, on avait prévu une suite, on l'aurait
indiqué (cf notre analyse du corpus de l'Aureum Vellus et des
additions successives, parue dans la Revue Française d'Histoire du
Livre 2012)
B Le titre des éditions à 7 centuries est le suivant:
Les prophéties (..) dont il y en a trois cens qui n'ont encores iamais
esté imprimées
ce qui fait directement écho à la réglementation
C LE titre du second volet va dans le même sens:
Les prophéties (..)Centuries VIII. IX. X qui n'ont encore iamais esté
imprimées
C'est ce critère du "encore jamais imprimé" qui est déterminant pour
la prorogation des privilèges de librairie et qui a d'ailleurs
encouragé de facto la production de contrefaçons prétendument dues au
même auteur.
Si l'on étudie les intitulés des éditions des Essais de Michel
Seigneur de Montaigne
nous trouvons des formules assez proches dans celles réalisées à Paris
par Abel L'Angelier. L'édition de 1588 comporte "Cinquieme édition
augmentée d'un troisiemse livre et de six cens additions aux deux
premiers. Le privilége de 1594 pour l'éditin Angelier de 1595
mentionne " reveuz & augmentez de plus dutiers par le mesme autheur"
et a pour titre "Edition nouvelle trouvée après le décez de l'autheur
(..)augmentez de plus du tiers plus qu'aux précédentes impressions"
Quant aux éditions successives de Rabelais, l'on note que les deux
premiers livres ne sont pas signés de Rabelais mais d'un anagramme
Alcofribas (Nasier) et ne sont pas numérotés. On passe ensuite au
Tiers Livre, au Quart Livre, au Cinquiesme Livre, cette fois portant
le nom de Rabelais. Ce dernier a fait l'objet d'un débat quant à son
authenticité. Il semble qu'actuellement, cette attribution ne soit
plus guère remise en cause (notamment depuis les travaux de Mireille
Huchon). On notera que le "Prologue du Quart Livre Pantagruel"[1548]
comporte une vignette fort proche de celle des pronostications de
Nostradamus et de celle des faux almanachs Barbe Regnault qui
serviront pour orner les pages de titre des édtions centuriques
antidatées (1555, 1557) (cf reproduction in ed de la Bibliothèque de
la Pléiade, p.713, intr. et notes Mireille Huchon Paris, Gallimard,
1994
JHB
25. 04. 2013 |
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186 - La question des brouillons chez Nostradamus et chez Rabelais
par Jacques Halbronn
Citons ce passage de Mireille Huchon (in Rabelais grammairien. De
l'histoire du texte aux problèmes d'authenticité, Genéve, Droz, 1981,
pp. 488-489):
"Il existait donc deux séries de brouillons sans rapport l'une avec
l'autre. La première, c'est à dire les seize premiers chapitres du
Cinquiesme Livre et le chapitre des Apedeftes vraisemblablement d'une
autre écriture est hétérogéne et correspondait à un premier essai de
navigation utilisant les données de l'actualité et à une suite de la
première rédaction du Quart Livre. (...)L'éditeur du Cinquiesme Livre
et le copiste du manuscrit en plus de ces brouillons se rapportant au
Tiers Livre, composé de la première version du prologue et du voyage
que Rabelais avait initialement projeté à la fin de cet ouvrage
(..)Les éditeurs n'ont pas voulu abuser le public en lui présentant un
livre qui ne serait pas de l'auteur : ils l'ont néanmoins fait en
faisant prendre pour un Ve Livre ce qui n'était que des brouillons des
livres antérieurs ou des notes de lecture qu'ils ont eu le plus
souvent la plus grande peine du monde à déchiffrer. Ils ont pourtant
généralement été fidéles à la lettre et ne sont intervenus que
lorsqu'un texte rappelait trop manifestement les livres déjà publiés
(..) Il n'en reste pas moins que le Ve Livre n'a jamais existé en tant
que tel dans l'esprit de l'auteur : ce n'est qu'un montage et l'une
des plus extraordinaires supercheries de l'histoire littéraire"
Nous regrettons de ne pas avoir invité Mireille Huchon dans nos jurys
de thèse de 1999 (thèse d'Etat) et de 2007 (Post Doctorat).En effet,
son travail vient corroborer celui que nous avons entrepris sur une
autre supercherie littéraire, à savoir les Centuries de Nostradamus, à
peu près à la même époque.
La thèse des brouillons nous apparait en effet comme extrémement
séduisante et se préter idéalement au travail de contrefaçon, avec son
subtil mélange d'authenticité et de falsification.
On peut, en effet, considérer tout le processus centurique comme une
mise en ordre de brouillons et de notes (ce qui est aussi à rapprocher
des Pensées de Pascal, à la fin du XVIIe siècle) à cette différence
près que Pascal avait envisagé de publier un ouvrage resté inachevé
alors que les Centuries ne correspondent même pas réellement à un
projet de Michel de Nostredame. La forme centurique n'est d'ailleurs;
en son principe, qu'un mode de classement de papiers épars;
généralement accompagné d'un index, comme dans le Janus Gallicus
(1594)Mais cela vaut non seulement pour les quatrains mais aussi pour
les épitres dont nous avons montré dans de précédentes études qu'il
s'agissait de juxtapositions de notes prises à des époques différentes
et constituant un ensemble singulièrement disparate, tant dans le cas
de la Préface à César que dans celui de l'Epître à Henri II. Mais il
faudrait également ajouter des quatrains réalisés à partir de certains
brouillons d'almanachs, comme celui consacré à l'an 1562 avec la
mention du mot "macelin" ( à partir de Marcellin, personage lié à
l'éclipse d'avril 1567)
En fait, la recette suivie est la même pour le corpus rabelaisien et
le corpus nostradamien et il n'est pas interdit de penser qu'il puisse
y avoir une influence d'une telle "méthode" d'un corpus vers l'autre.
Nous avons signalé la présence au "Prologue du Quart Livre
Pantagruel"d'une vignette qui ressemble assez fortement à celle qui
est utilisée pour les éditions antidatées de 1555 et 1557.(reproduit
en fac simile dans l'édition de la Pléiade,1994,p. 714, édition de M.
Huchon) avec un personnage assis à son étude, la plume à la main.
La récupération de ces divers brouillons explique les "plagiats" qui
ne seraient que des notes de lecture, les récits de périodes
antérieures qui ne font guère sens pour des prophéties et toutes
sortes d'incongruités. Cela dit, on ne saurait ignorer par ailleurs
les interpolations, les quatrains retouchés du fait de la pression de
l'actualité. On pense notamment au quatrain qui change Chastres en
Chartres pour correspondre au couronnement d'Henri IV au début de 1594
et qui est emprunté à la Guide des Chemins de France de Charles
Estienne.
Mais ce qui caractérise assurément la contrefaçon nostradamique c'est
bien l'antidatation qui conduit, de fil en aiguille, à produire des
éditions non plus posthumes - ce qui serait logique- mais censées
parues du vivant même de Nostradamus.
JHB
25.04.13
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187 - L'influence de Rabelais sur Nostradamus
par Jacques Halbronn
La comparaison de la vignette du Prologue du Quart Livre de Pantagruel
avec celle des Pronostications de Nostradamus fait apparaitre une
certaine analogie. D'ailleurs la dite vignette est décrite par Jean
Plattard, auteur d'une étude sur l'édition "partielle" (Lyon 1548),
Paris, Champion, 1910 : "une vignette représentant un homme assis à
son pupitre et écrivant". En comparaison, les éditions des "Prophéties"
(Macé Bonhomme 1555, Antoine du Rosne, 1557) comportent une vignette
sensiblement différente et notamment sans pupitre, le personnage étant
placé devant une table.(cf les illustrations ci- dessous)
Il convient de rapprocher le Quart Livre de la Pantagruéline
Pronostication laquelle se réfère explicitement en son titre à l'an
1547 et qui est une satire du genre. Ce texte se place à la fin d'un
ensemble constitué notamment par les deux premiers livres et est
suivie de la formule " Fin de l'horrible et merveilleuse histoire du
preux (...) Chevalier Pantagruel". Le quart livre appartient donc à
une addition au premier "volet", ce qui n'est pas sans évoquer la
structure du canon centurique. Le Prologue évoque d'ailleurs une "Lune
renouvelée", ce qui renvoie à des considérations astrologiques.
On a donc là une période 1547-1548 qui semble avoir marqué la démarche
de Nostradamus et/ou de son entourage. Par la suite, cette vignette
disparaitra des éditions des années 1552, 1553 et suivantes pour être
remplacée par un nouveau Prologue. Mais elle figure encore dans la
première édition des deux volets, note Plattard alors qu'initialement
le quart livre était paru séparément (sur le Quart Livre, cf. la
récente étude de Tristan Vigliano) On notera aussi que la formule
"noble Pantagruel" est remplacée, par la suite, par "bon Pantagruel"
Par la suite, cette vignette de la Pronostication sera modifiée pour
illutrer les almanachs parisiennes Barbe Regnault comportent une
compilation des quatrains des almanachs de Nostradamus, au début des
années 1560. Cette nouvelle vignette, représentant toujours un
personnage à son étude mais avec un mobilier sensiblement différent,
sera reprise à la fin du siècle pour les pages de titre des
contrefaçons mises au compte de Macé Bonhomme (1555) et d'Antoine du
Rosne (1557), lesquelles vignettes, si elles étaient alors parues,
auraient cohabité avec celles des pronostications de Nostradamus, au
dessin sensiblement différent.
Nous avions déjà, par le passé, envisagé une influence de certaines
vignettes sur l'iconographie de la pronostication nostradamienne mais
nous n'avions pas remarqué le cas de la vignette du Prologue du Quart
Livre de Pantagruel avant de trouver celle-ci reproduite dans
l'édition de la Pléiade, présentée par Mireille Huchon. Il ne semble
pas qu'un tel rapprochement ait jamais été exprimé. Il existe
d'ailleurs une mise en page différente de la première page du Prologue
d'une édition à l'autre. Mais une telle vignette ne figure plus à
partir des années 1550 dans la publication rabelaisienne.
On sait que Rabelais avait publié des almanachs ", stricto sensu, par
ailleurs sous divers pseudonymes comme les anagrammes Calbarsy et
Alcofribas Nasier et qu'il était passé comme Michel de Nostredame par
des études de médecine à Montpellier.
Nous rappellerons certaines similitudes, déjà signalées, concernant la
question des éditions augmentées qui semble bien être un trait commun
à la production parue sous le nom de Rabelais comme sous celui de
Nostradamus. Ce sont des productions à rallonge et à supplément qui,
comme le note Roger Chartier, auraient été nécessaires pour perpétuer
la durée des privilèges de libraires.
En ce qui concerne les convergences entre Rabelais et Nostradamus, on
notera que Nostradamus s’en prend à ses « détracteurs » (au titre des
Significatioins de l’eclipse de 1559), ce qui correspond aux «
calomniateurs », auxquels réplique Rabelais.
Par ailleurs, on rappellera que le Janus Gallicus entend couvrir une
période qui débute en 1534 , ce qui appartient à la décennie durant
laquelles commence à paraitre la série Gargantua-Pantagruel. Certains
quatrains centuriques couvrent une période sensiblement antérieure aux
années 1550.
JHB
28. 04. 13 |
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188 - Nostradamus : contrefaçon et plagiat
par Jacques Halbronn, Docteur es Lettres
On connait le cas des Protocoles des Sages de Sion (cf notre travail,
Ed Ramkat, 2002) et le plagiat à partir d'un ouvrage de Maurice Joly.
Dans le cas des contrefaçons nostradamiques antidatées, d'aucuns sont
interloqués par la finition des ouvrages et le fait qu'on y trouve des
éléments qui leur confèrent une apparence d'authenticité, parce que
précisément on les retrouve dans d'autres ouvrages de la même époque,
chez les mêmes éditeurs.(lettrines, bandeaux, présentation etc).
Or, pour nous on est là face à un phénomène de plagiat non pas du
texte mais de la matérialité du livre. Emprunter les habits de
quelqu'un relèverait ainsi, selon nous, du plagiat, tout comme
récupérer des données matérielles de toutes sortes, ce qui ne peut que
prêter à confusion. Car plagier, c'est délibérément générer de la
confusion. On fait du faux avec du vrai.
Mais normalement, quand on plagie, on ne cite pas ses sources.
Cependant, quand on veut s'emparer de l'identité de quelqu'un, se
faire passer pour lui, ne s'agit-il pas aussi d'une forme de plagiat?
C"est dire que l'on ne saurait définir un plagiat par l'occultation de
celui auquel il est emprunté. On peut parler de substitution et
d'imposture, au sens de prendre la place d'autrui. On se donne les
apparences d'un autre et de ce fait on lui attribue des actions qui ne
sont pas de son fait.
C'est exactement ce qui s'est passé dans le cas du "plagiat" à
l'encontre du libraire lyonnais Macé Bonhomme que l'on crédite ainsi
d'avoir publié en 1555 les "Prophéties" de Nostradamus, libraire dont
la production fut par ailleurs considérable. Le choix de ce libraire a
déjà été abordé. On songe au fait qu'il avait publié à la même époque,
dans les années 1550, des "centuries" de Guillaume de la Perrière. On
notera toutefois que Bonhomme avait coutume de placer le même motifs
sur la page de titre de toute sa production. Or, dans le cas des
Prophéties, il s'agit d'une vignette qui n'aurait été utilisée par ce
librairie qu'à cette seule occasion et que l'on retrouve, un peu plus
tard, en 1557, dans la production d'un autre libraire, Antoine du
Rosne, sensiblement moins connu. Il s'agit là encore d'une contrefaçon
antidatée mais se référant à un libraire ayant exercé à la date
indiquée, ce qui est de bonne guerre. Ce même libraire se voit, en
outre, crédité de la publication de la traduction par Nostradamus de
la Paraphrase de Galien, avec un même type de vignette. Or, cette
vignette diffère sensiblement de celle qui figure au titre des
Pronostications de Nostradamus, parues au cours des mêmes années.
Alors que dans ces Pronostications, l'auteur est placé devant un
pupitre, dans les Prophéties, il est assis à une table..Comment
expliquer une telle maladresse de la part des faussaires? Cela tient
au fait qu'au début des années 1560 vont circuler des éditions pirates
des almanachs de Nostradamus comportant la dite vignette. On peut
raisonnablement supposer que les faussaires- donc après ces années
1560- ont cru que ces almanachs étaient authentiques et pouvaient leur
servir de modèle. C"est l'histoire de l'arroseur arrosé, du faussaire
victime d'un précédent faussaire, tout comme un plagiaire pourrait
être piégé, victime du plagiat de son modèle. On sait que la meilleure
façon de coincer un faussaire, c'est quand il reprend à son compte
l'erreur de celui qu'il entend imiter.
Or, quelque part, Nostradamus était lui-même un plagiaire d'un type
assez particulier. Divers chercheurs ont signalé certaines sources des
quatrains mais aussi de la Préface à César. Entendons par là que
Nostradamus recopiait certains passages d'ouvrages qui lui passaient
entre les mains mais sans aucunement l'intention de les publier tels
quels car la thèse d'une publication posthume semble avérée, comme ce
fut le cas pour le" Cinquiesme Livre" de la série pantagruélienne de
Rabelais. On peut ainsi parler, avec Gilles Polizzi, de patchwork dont
on ne saurait attribuer le mérite à Nostradamus. Dans ce cas, toute
bibliothèque forme un patchwork. La thèse des brouillons semble la
plus crédible. Prenant exemple sur ce qui se passa pour Rabelais, on
peut penser qu'on aura voulu procéder de même pour Nostradamus pour
des raisons purement pécuniaires, ne serait-ce que pour prolonger
quelque "privilège", selon la thèse de Roger Chartier.
Que l'on ait élaboré un tel projet pour une publication posthume passe
encore mais que l'on ait voulu faire croire que Nostradamus ait de son
vivant (il ne décède qu'en 1566) fait paraître un ensemble aussi
hétéroclite, dès 1555, échappe à toute vraisemblance.
Et pourtant, on trouve encore de nombreux spécialistes du XVIe siècle
qui continuent à soutenir mordicus que Macé Bonhomme, pour ne citer
que lui, a bien fait paraître en 1555, 453 quatrains de Nostradamus,
distribués en 4 centuries et introduits par une préface à son fils
daté de cette même année 1555. Le fait que l'on ait retrouvé dans les
années 1580 un exemplaire de cette édition (cf le fac simile de Robert
Benazra, à partir de l'exemplaire de la Bibliothèque Municipale d'Albi
et l'édition critique de P. Brind'amour, Droz, 1996) aura conféré une
certaine légitimité à cette publication datée de 1555.
JHB
29. 04.13 |
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189 - De la Pantagruéline Prognostication de Rabelais à la
Pronostication Nouvelle de Nostradamus
Par Jacques Halbronn
Dans un précédent texte, nous avions fait signalé la présence d’une
vignette dans l’édition de 1548, en tête du Prologue Pantagruel. Mais
cette même vignette figure sur la page de titre de la Pantagruéline
Prognostication pour 1537, que reproduit Patrice Guinard (CORPUS
NOSTRADAMUS 53 –« Les éditions de l'œuvre rabelaisienne pour servir à
la compréhension de celles de Nostradamus ») sans faire de
rapprochement avec la vignette de la Pronostication Nouvelle de
Nostradamus. (cf. notre développement dans Le Texte Prophétique en
France, Ed. du Septentrion, 1999, pp 955 -963) lequel n’en effectue
pas moins un certain parallèle formel:
« Cette étude comparative entre deux géants de l'écriture française au
XVIe siècle, tous deux médecins, lesquels se sont croisés au début des
années 30 à la faculté de médecine de Montpellier et ont œuvré à vingt
ans d'intervalle, a pour intérêt de montrer que des problématiques,
des interrogations, et des suspicions comparables touchent l'édition
et la parution de leurs ouvrages respectifs. Je me réfère
principalement à la volumineuse étude de Stephen Rawles et Michael
Screech parue chez Droz en 1987 (New Rabelais Bibliography, abrégée
NRB). Le nombre d'éditions recensées des œuvres rabelaisiennes et
pseudo-rabelaisiennes (148), de 1531 à 1626, est comparable à celui
des œuvres nostradamiennes et pseudo-nostradamiennes pour une période
équivalente et décalée de vingt ans. Les Prophéties à elles seules
seront imprimées plus de 75 fois entre 1555 et 1650. »
C’est probablement la vignette de 1537 qui aura pu jouer un rôle de
matrice iconographique pour la Prognostication Nouvelle de Nostradamus
(pour 1555, 1557, 1558 notamment) et non sa reprise dans le Prologue
Pantagruel du Quart Livre ( cf M. Screech, « Rabelais », Ed. Gallimard,
1979, pp 379-407)
A propos des diverses éditions de la Pantagruéline Prognostication,
l’on notera que l’année concernée a été retouchée à plusieurs
reprises, alors même que le texte reste le même. Dans l’édition de
1548, la dite Pantagruéline Prognostication met en avant l’année 1547
(cf l’exemplaire de la BNF, Réserve)
Guinard évoque le débat entre spécialistes de Rabelais : ». Les
partisans d'un texte apocryphe s'opposent à ceux d'un texte
authentique en son entier ou en partie, sans que la question ait pu
faire l'objet d'un réel consensus. Une problématique comparable
enveloppe les trois dernières centuries des Prophéties, encore
qu'elles ont été publiées seulement deux ans après sa mort, avec une
épître datée de 1558 qui renverrait à une édition perdue parue à cette
date, et chez un éditeur très connu, Benoist Rigaud, contrairement aux
premières éditions du Cinquième Livre de Rabelais parues sans
indication du lieu. Le caractère supposé posthume du second livre des
Prophéties, au prétexte qu'aucun exemplaire de ou des éditions de 1558
n'a été retrouvé, a conduit un Bruno Petey-Girard à l'exclure de son
édition Flammarion en 2003 ».
Il y a certainement quelque enseignement à tirer de la comparaison
entre ces deux corpus qui se font suite. Guinard conclut :
« Ainsi de faux Rabelais circulaient sous son nom ou sous son
pseudonyme de son vivant et après sa mort, tout comme des contrefaçons
des almanachs, pronostications et prophéties circulaient sous le nom
de Nostradamus dès 1556. Et l'imposteur Mi. de Nostradamus, qui se
prétend son fils et qui a piégé de nombreux commentateurs et
bibliographes (cf. encore un Michel Chomarat en 1990, p.33), fait
paraître une Prognostication pour l'an 1565 "calculée sus l'Orizon de
Paris" avant la mort de l'astrophile provençal. »
Mais selon nous, il aura fallu attendre les années 1580 pour que les
Centuries voient le jour. Comme nous l’avons exprimé, dans un texte
précédent, l’ exemple des éditions du corpus Rabelais a pu inspirer
les faussaires du corpus centurique. Mais on ne saurait exclure que la
Prognostication Nouvelle ait pu s’inspirer, au moins sur le plan
iconographiqu, point négligé par Guinard, de l’édition 1537 de la
Pantagruéline Prognostication. Le personnage devant son pupitre figure
sous une forme moins semblable au frontispice d’une autre édition de
la Pantagruéline Prognostication, que l’on peut retrouver dans le
Kalendrier et Compost des Bergiers mais c’est bien la version 1537 qui
nous apparait comme étrangement semblable à celle de la
Prognostication Nouvelle.
En revanche, la vignette des éditions centuriques Antoine du Rosne
pourrait trouver son origine dans la « Pronostication nouvelle de Jean
Sconnners » , parue chez le même Antoine Du Rosne en 1558.(cf «
Nostradamus et son siècle, exceptionnel ensemble d’éditions des
Prophéties et des Pronostications 1555-1591 », Intr. M. Scognamillo,,
Paris, Librairie Thomas Scheler, 2010 p. 32)
On ne saurait aucunement négliger, selon nous, le témoignage
iconographique. Nous proposerons donc un lien Pantagruéline
Pronostication- Pronostication Nouvelle de Nostradamus et
parallèlement un lien Pronostication Nouvelle Sconners- éditions
centuriques antidatées 1555 et 1557.
JHB
05. 05.13 |
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190 - Iconographie Rabelais
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