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Researches 171-180
 
171 - Le concept de Prognostication et le Recueil des Présages Prosaïques
 
172 - Nostradamus et le quatrain des yeux crevés.
 
173 - La Préface de Nostradamus à César et le Liber Rationum
 
174 - Le caractère décousu des épitres centuriques
 
175 - L’almanach contrefait de Nostradamus pour 1565, Lyon, Benoist Odo.
 
176 - Nostradamus, du Centiloque aux Centuries
 
177 - Studi Internazionali Le cas Fontbrune révisité
 
178 - Nostradamus et Eliphas Lévi, l’année 1879 et les errements de Torné.
 
179 - Torné Chavigny et la présentation du dossier Nostradamus
 
180 - La fortune posthume de Michel de Nostredame et de Jean-Baptiste Morin de Villefranche
 
 
 

 

 

Researches 171-180

171 - Le concept de Prognostication et le Recueil des Présages Prosaïques
Par Jacques Halbronn

La production astrologique comporte deux genres majeurs, l’almanach et la prognostication, lesquels se distinguent de façon assez nette. La pronostication se divise en quatre saisons et l’almanach en douze mois. En ce sens, la réalisation d’une pronostication est singulièrement plus rapide d’autant que l’almanach en fait se divise en 52 semaines soli-lunaires, chacune devant faire l’objet d’un thème astral lors de la nouvelle lune, du premier quartier (carré), de la pleine lune et du second quartier et de c365 notations lapidaires quotidiennes. L’almanach comporte un calendrier, agrémenté, chez Nostradamus, par des quatrains mensuels issus des prédictions mensuelles en prose du dit almanach. La Pronostication comporte une vignette au titre, pas l’almanach, du moins pas avant les années 1560, sauf dans le cas des almanachs non autorisés, qui ont une vignette différente qui servira pour les éditions antidatées des centuries des années 1550..
On s’intéressera ici à mieux cerner l’évolution de la pronostication en France, au cours du XVIe siècle à l’aune de la production nostradamique et pseudo ou périnostradamique. A partir de la fin des années 1550, la Pronostication va devoir renoncer à un de ses attributs les plus remarquables à savoir l’étude par pays. Dans la satire rabelaisienne parue sous le nom évocateur de Panthalamus sous le nom de La Prognostication & amples prédictions, Paris, Guillaume de Nyverd, le chapitre VI s’intitule « De l’estat d’aucuns pays ». On y a aborde successivement la France puis un ensemble latin constitué de Italie, Romanie, Naples, Cecile (Sicile), puis l’ensemble germanique Allemagne, Suisse, Saxe, Strasbourg, puis l’ensemble ibérique Espagne, Castille, Portugal, Aragon et pour terminer, aux confins de l’Europe, avec Autriche, Hongrie, Turquie.
Si l’on examine le manuscrit intitulé Recueil des Présages Prosaïques, censé rassembler tout ce que Nostradamus a composé en matière de prédictions annuelles, nous relevons deux cas seulement comportant des études astrologiques pays par pays et limitées au nombre de quatre sections. Il s’agit de la Pronostication pour 1553, avec la Romanie (territoires du Pape), de la France, de l’Espagne et de la Germanie. (cf Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, 1999, pp. 201- 203)
Etrangement, en ce qui concerne l’an 1555, le manuscrit du Recueil place cette étude géopolitique à la suite d’un almanach (pp. 245- 251). Toutefois, ce développement figure à la suite de l’imprimé de la Pronostication pour la dite année 1555 mais, suivi des quatrains de l’almanach pour 1555, mais dans une autre version restituée également dans le dit Recueil lequel comporte trois pièces pour la dite année 1555[1][2]. Ainsi, la Pronostication imprimée reléve à des titres divers des trois pièces en question consacrées à l’an 1555.
La comparaison entre l’étude des 4 pays pour l’an 1553 diffère sur certains points de la même étude pour 1555. L’ordre des pays n’y est pas le même. Alors que pour l’an 1553, la Romanie était étudiée en premier lieu, elle n’est plus placée qu’en troisième position pour l’an 1555. C’est ce même nouvel ordre qui figure dans l’imprimé de la Pronostication pour 1555.
Ce qui nous intéressera au premier chef dans la présente étude est la question du décalage entre le manuscrit et l’imprimé dont il importe d’apprécier le sens et la portée. Dans un premier temps, nous avions, dans de précédentes études, soutenu l’idée selon laquelle l’imprimé venait comme compléter le manuscrits sur certains points techniques.
Or, notre optique semble devoir évoluer. Est-ce que le manuscrit ne censurerait pas, dans certains cas, l’imprimé mais aussi est-ce que l’imprimé ne serait pas lui-même décalé par rapport à un manuscrit qui ne serait pas nécessairement réductible à celui du Recueil des Présages Prosaïques ?
Le travail de B. Chevignard (Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, 1999) n’a pu profiter de la connaissance de cet imprimé qu’est la Pronostication Nouvelle pour 1555, qui n’était pas alors accessible. Diverses études ont été produites concernant cet imprimé, notamment des textes de P. Guinard mais il nous semble que certains points n’ont pas été abordés que l’on ne saurait négliger.

Nous nous concentrerons particulièrement sur les développements signalés plus haut consacrés aux prédictions concernant 4 entités politiques, la France, la Romanie, l’Espagne et l’Allemagne, tant donc dans le manuscrit du Recueil des Présages Prosaïques que dans l’imprimé de 1555..
La lecture comparative de ces quelques pages fait apparaitre des différences assez remarquables dans le sens où le manuscrit semble ne pas fournir certains développements astrologiques figurant – bien que parfois de façon corrompue- dans l’imprimé. Il nous semble que nous sommes ici face à un manuscrit qui aura été privé de certains des arguments techniques qui le sous –tend.
Deux passages retiendront particulièrement notre attention, l’un consacré à la France, l’autre à l’Espagne – et nous avons signalé que l’almanach pour 1553 comportait ce même type d’étude articulé sur ces quatre structures politiques majeures du milieu du XVIe siècle : d’une part le Pape et l’Empereur, tous deux élus, même si le poids des filiations n’y est pas négligeable et de l’autre le Roi de France Tres Chrestien le Roi Catholique, relevant d’un droit dynastique qui n’est pas à l’abri de certaines crises.

Prenons le développement consacré à la France pour 1555, tel qu’il figure dans la Pronostication pour cette année et dont nous avons dit qu’il est déplacé dans le manuscrit pour se situer non pas à la suite d’une pronostication sur les 4 saisons/temps mais à la suite d’une étude mois par mois, qui correspond au plan d’un almanach, étant entendu que nous disposons de deux moutures de l’almanach pour 1555. On notera que la Pronostication a vocation à comporter un développement abordant toute une série de pays, ce qui n’est pas, a priori, le fait des almanachs. C’est ainsi le cas pour la Pronosticatio de Lichtenberger (1488 ) si ce n’est qu’elle n’étudie pas les 4 saisons. La dite pronostication se perpétuera en France jusqu’au XVIIe siècle, à partir de 1515, tant en latin qu’en français, notamment par le biais de la Prognosticatio quaedam Mirabilis , puis du Mirabilis Liber[3] repris dans le Recueil des Prophéties et Révélations tant anciennes que modernes, lequel sera associé aux Centuries dans les éditions troyennes.
Dans la Pronosticatio de Lichtenberger, illustrée par des vignettes représentant chaque souverain, mais qui ne seront pas reprises en France, on trouve successivement : la France, la Bohème, la Hongrie, le Palatinat, l’Empire, les Juifs.


Abordons la comparaison de l’imprimé et du manuscrit du Recueil des Présages Prosaïques :


De la France (1555).
Partie manquante dans le manuscrit :
« Que depuis leage de Charles le Grand iusque à présent tant que les accors que ses maieurs vindrent à translater lhelenisme (sic) les astres mesmes estoient en presque semblable constitution (…) sera surnommé HENRICUS Caesar Germanicus Augustus (..) Et hardiment que messieurs les mathematiques (sic) y avisent ce que nen trouveront pas moins (…) et ne pouvoir esté plus eslevé comme sus le premier point de Aries. Les principaux gubernateurs sont durant ceste année 1555. 1556 iusque à 1560 Jupiter, Mars & Sol ».

Visiblement, ce passage sauté ou ajouté – c’est selon- concerne la théorie des grandes conjonctions et l’on retrouve d’ailleurs peu ou prou un tel exposé dans l’épitre à Pie IV de 1561, placée dans l’almanach nouveau pour 1562.. C’est l’idée selon laquelle le temps de Charlemagne est comparable astrologiquement et donc astronomiquement de celui qui correspond à la seconde moitié du XVIe siècle, à 960 ans de distance ???. Ici le terme « majeurs » désigne les deux planétes les plus lentes que sont Jupiter et Saturne, véritable pivot du système d’Albumasar (Ixe siècle) des grandes conjonctions. Quant à « accors », il signifie « conjonction ».
On imagine mal un tel développement être dévolu par Nostradamus à quelque assistant. C’est un point essentiel d’autant qu’il concerne Henri II : Henricus Caesar Germanicus Augustus dont le père François Ier avait en 1519 concouru pour l’Empire face au futur Charles Quint..
Le texte du manuscrit se voit ainsi totalement privé d’un tel passage astrologique.

Le cas de l’Espagne est probablement encore plus flagrant car on y perçoit plus fortement la coupure de par sa maladresse même.

Du Royaume & terre d’espaigne
(passage absent du manuscrit) :
« Mais à sa personne selon les jugements astronomiques le cœur de son ciel & de Scorpius 24. a vray front de lescorpion qui est vray lieu Royal de la nature de Mars & de Saturne estoille de la troisiéme grandeur & aussi lespy de la vierge laquelle est posée au milieu du ciel, son ascendant est avecq deux estoilles de la nature de Vénus & Saturne de la cinquiesme magnitude &[ de Saturne qui est de présent son principal gouverneur que font apparoir apres estre impatient de labeur & de subtilité dengin que ceste année souffrira beaucoup de fascherie »]

Dans ce cas, la suppression du passage technique n’a pas été effectuée pleinement – on a mis entre crochets la partie qui a été épargnée. Ce qui rend d’autant plus improbable le scénario d’un module complémentaire. On est bien plutôt face à un manuscrit censuré par rapport à l’imprimé et donc d’un manuscrit refondu et non pas initial.
Mais un autre passage technique relatif à l’Espaigne est également absent du manuscrit « car Mars avec le couste dextre de Perseus, de la seconde garde sera ceste année de la nature de Saturne & de Iupiter au principe (début) de la Calitia »
Ce développement relatif à l’Espagne retient en outre notre attention car il révèle certaines pratiques astrologiques concernant les étoiles fixes. Ce ne sont pas ici des planétes dont il s’agit mais des étoiles fixes de la nature des planétes, ce qui est astronomiquement une toute autre affaire. Ce n’est évidemment pas Saturne qui est une « étoile de première grandeur » et qui est signalé avec Spica, l’épi de la vierge, étoile de la constellation du même nom. Nous pensons qu’il s’agit de l’étoile Antarès, dite Cœur du Scorpion, (de la nature de Mars comme son nom l’indique) avec laquelle Jupiter est conjoint au cours de l’année 1555, à 28° en tropique. On est là, à propos de l’Espagne, en présence d’une astrologie combinant planétes et étoiles fixes alors que le développement consacré à la France, on se référait aux grandes conjonctions planétaires qui se référent au zodiaque tropique, sans lien avec les étoiles fixes.
On notera que la pratique d’une étude pays par pays n’est plus attestée dans les pronostications de Nostradamus pour 1557 et 1558 (cf. les fac similes in B. Chevignard . Présages, op. cit) et elle ne l’est pas davantage pour la Prognostication pour 1560 et 1562 (cf en ligne sur propheties.it) et pas non plus dans la pronostication pour 1562 parue chez Barbe Regnault, à Paris, considérée comme une contrefaçon..
Cette étude par pays n’est donc attestée chez Nostradamus que pour les années 1553 et 1555.
Pour 1553, on ne dispose pas de l’imprimé mais à l’évidence, le manuscrit du Recueil n’a pas été élagué comme pour l’année 1555. Pour l’Espagne, on peut ainsi lire : « Au reste une Comete jointe avec Jupiter sera occasion de les faire elever en degré pour ceste année » et pour la Romanie « Rome (…) semble ceste année avoir Iupiter & Mars contraires ». Pour la France « La France ceste année doit estre grandement oppressée mais l’oppression que les signes celestes font desmontrance ne consiste qu’à ceux de son regne collateral (…) Jupiter & Mars luy promettent grand secours etc’

Il semble donc que l’on se soit acharné tout particulièrement sur les considérations astrologiques poir l’an 1555 et l’on peut se demander s’il n’ pas existé un imprimé censuré qui aurait été repris dans le Recueil, l’imprimé nous étant parvenu étant la première mouture non censurée. Nous connaissons ce cas de figure pour l’almanach pour 1562, si ce n’est que c’est l’imprimé conservé qui est tronqué et le manuscrit qui est complet.

Qu’est ce qui a pu rendre les autorités si sensibles aux publications pour l’an 1555 concernant les 4 grandes puissances européennes et conduire dans la foulée à la suppression d’une telle rubrique pour l’avenir à la fin des Pronostications annuelles ? Il reste qu’en 1561, Nostradamus, dans son épitre au pape reviendra sur le retour d’une conjonction au début du Bélier (Ariès), premier signe du zodiaque.

Epitre du 17 mars 1561 :
« adventures non guerres dissemblables aux grandes conjonctions qui se font de Saturne & Iupiter au commencement d’Aries qui se font de 960 ans & par la seconde qui se fait au commencement d’une chascune triplicité etc »
A la lumière de ces observations, il peut être intéressant de revenir sur certains passages de la Préface à César datée de 1555, année du voyage de Nostradamus à la Cour de France.
« Plus à plein au rédigé par escrit aux miennes Prophéties qui sont composées tout au long, limitant les lieux, climats, regions & citez, quoy que sous paroles obnubilées. Mais telles aventurezs seront esclaircies par leur infélice avénement au temps prefix»( Ed Besson, c 1691)
Et la version « canonique » :
« Plus à plain j’ay rédigé par escript aux miennes autres propheties qui sont composées tout au long in soluta oratione, limitant les lieux, temps & le terme prefix que les humains apres venus verront (…) nonobstant que sous nuée »

Il semble que ce texte, en ses diverses moutures, fasse allusion à la question de l’étude pays par pays que ne permet plus la publication des Pronostications et à laquelle faisait référence explicitement la satire de Rabelais, qui accompagnera d’ailleurs ses diverses éditions du Gargantua et du Pantagruel.
Il faudrait élargir notre corpus à d’autres pronostications de langue française[4], mais pour ce qui est du Royaume de France, il semble bien que les astrologues n’étaient plus censés, en gros à partir du milieu des années 1550, de faire paraitre des études pays par pays. Ces pronostications tronquées reprenaient in fine un résumé de l’almanach et dans le cas de la Pronostication pour 1555, elle-même non tronquée comme on a vu, on y trouve exceptionnellement les quatrains de l’almanach de cettte même année..Ces mesures limitatives témoignent d’une certaine méfiance qui se concrétisera en 1560 dans le cadre de l’édit, pris lors des Etats Généraux d’Orléans.
Les centuries auront beau en leur titre réitérer de telles ambitions, cela se réduira à des quatrains sans aucun texte en prose à l’appui. En 1588, à Rouen, on verra paraitre les Grandes et Merveilleuses Prédictions de M. Michel Nostradamus (…) esquelles se voit représenté une partie de ce qui se passe en ce temps tant en France, Espaigne, Angleterre que autres parties du monde »[5]. Mais c’est une enveloppe vide. On ne peut cependant exclure que le titre qui sert ici pour une édition des centuries soit repris d’un ouvrage ayant existé - et dont il ne reste trace que par un titre- lequel aurait repris le propos tronqué des Pronostications du début des années 1550. La formule incantatoire connaitra une certaine fortune à partir de 1649, à Rouen puis ailleurs, notamment à Amsterdam, dans les années 1660, mais toujours sans contrepartie quant au contenu, avec les Vrayes Centuries (..) où se void représenté tout ce qui s’est passé tant en France, Espagne, Italie, Alemagne, Angleterre qu’autres parties du monde/
Cette affirmation quant à l’étude astrologique de l’état des pays d’Europe, l’un après l’autre, est devenue lettre morte à moins, évidemment, d’en rechercher la trace au fil des quatrains.

JHB
24/12/12

[1] L’étude de P. Guinard ignore une telle problématique, cf CORPUS NOSTRADAMUS 56 La redécouverte de la Pronostication pour l'an 1555 (contenant la publication inédite de la préface, des quatrains, et d'un tiers des présages)
CORPUS NOSTRADAMUS 14 -- par Patrice Guinard Pronostication pour l'an 1555 (Prognostication nouvelle, & prediction portenteuse, pour L'an M D L V)
[3] A ne pas confondre, comme le fait Roger Prevost, avec le Livre Merveilleux (Nostradamus, le mythe et la réalité, op. cit. p 230
[4] Cf P. Guinard, « La Vraye Prognostication Nouvelle pour l'An 1552 de Claude Fabri (Une parodie "antidatée" parue à la fin des années 50) « , Site du CURA.
[5] Cf R. Benazra, RCN, pp. 122 et seq
 
172 - Nostradamus et le quatrain des yeux crevés.
Par Jacques Halbronn

Roger Prevost a tout à fait raison de rapprocher le quatrain prétendument liés à la mort en tournoi d’Henri II d’une affaire remontant autour de l’an 1200, soit 350 ans plus tôt. Comme nous l’avons dit dans une précédente étude, il est probable que les centuries aient été conçues comme un jeu de culture générale, une sorte de sport cérébral, un peu à la façon des mots croisés, des rebus, des énigmes. En ce sens, ce jeu exigeait une certaine culture. Une série de mots, au sein d’un distique, d’un quatrain, d’un sixain, devait mettre sur la voie d’un mot à trouver : nom de personnage, nom de région (pour une succession de lieux). On ne dispose pas des solutions mais l’on peut supposer qu’un livret comportant un mot par quatrain, selon un classement par centurie, a pu exister : il devait comporter un millier de lignes, ce qui n’exige pas un bien gros volume. L’usage du futur pour présenter le « cas » ne prêtait pas à conséquence, c’était une façon de faire.
Prevost a le profil du lecteur idéal des quatrains. Il saisit les allusions que devaient capter les lecteurs quelque peu férus d’histoires et à l’époque l’Histoire était friande d’anecdotes, de traits frappants comme pour ces « yeux que l’on crevait ». Parfois, de fait, les exemples pouvaient se chevaucher et ce fut probablement le cas, in fine, pour la mort d’Henri II. C’était là une « curiosité » qui ajoutait un peu de sel à l’exercice sans que l’on allât croire pour autant à quelque prophétie. Mais qui sait si l’on ne se prenait pas au jeu de relier le passé et le présent ?
Ce que l’on peut reprocher à Prévost, c’est de ne pas nous mettre dans la position de l’auteur mais seulement dans celle du lecteur. Car ce qui nous intéresse, c’est de disposer des documents qui servirent à composer certains quatrains et auxquels on avait accès à l’époque. Nous avons procédé de même pour la prophétie de Saint Malachie relative à la succession des papes en reliant les chronologies pontificales du XVIe siècle avec la série des devises (cf. Papes et Prophéties, Ed Axiome, 2005)
Quand nous lûmes donc le passage du livre de Roger Prevost, Nostradamus, le mythe et la réalité, Paris, Seuil, 1999, p. 21) relatif au quatrain I, 35, nous nous demandions comment on en était arrivé là.
Le texte de Prevost énonçait « Byzance, où l’on avait la mauvaise habitude de crever rituellement les yeux de l’empereur déchu (…) à l’époque des Commène » Prévost d’ailleurs ajoute « Pour plus de détails sur cette prise de Byzance, on pourra lire avec intérêt les récits de R. de Clari et de Villehardouin »
Mais nous avions notre propre piste et nous voulions vérifier si des éléments du quatrain n’avaient pas été carrément repris d’un passage d’une chronologie bien précise au sein d’un ouvrage que l’on pouvait dater, ce qui aurait permis de circonscrire au mieux la date de la composition du quatrain..
Cette piste concernait la Chronique de Jehan Carion qui partait de la création du monde et remontait jusqu’au XVIe siècle ;
.. Elle avait déjà été validée par le fait que la chronologie figurant dans certaines éditions de la dite Chronique recoupait les dates de la second chronologie de l’Epitre à Henri II, inspirée par Philon le Juif.
En fait, il existe un nombre considérable d’éditions de la Chronique de Carion, en diverses langues et avec des additions bien au-delà de la mort du dit Carion. Les noms de Philippe Mélanchton, de Gaspar Peucer, et en français de Simon Goulart (par les initiales) figurent au titre à partir de telle ou telle date.
Les premières éditions ne comportent pas de développement relatif à l’empire chrétien d’Orient. Nous tendions d’ailleurs à privilégier une édition en langue française de façon à ce que la comparaison entre le texte en prose et le quatrain soit plus frappante. Jusqu’en 1577, le chapitre sur les empereurs d’Orient ne figure pas.(Historique ou Chronique des choses plus memorables etc, trad. J. Leblond, cf Lyon, François Arnoullet, Bib. Arsenal 8° 1721) ; ce n’est qu’en 1579 (la seconde édition augmentée est de 1611 (BNF G 12265-66[1]) - que le chapitre pouvant nous intéresser à propos du quatrain I, 35 figure, sous le titre « Les Empereurs d’Orient iusques aux François »,(pp. 803 et seq) au sein d’un ensemble de 850 p). Il s’inscrit dans le Ive Livre des Chroniques – alors que jusque là on en était resté à trois livres. Ce Ive livre se place au sein d’une « Troisième Partie des Chroniques » due à Gaspard Peucer, et qui est censée comporter deux livres, le quatriéme et le cinquiéme . Le quatrième commence à Charlemagne jusqu’à Frederic II et le cinquième continue jusqu’à Charles Quint. En revanche, l’édition de 1579 ne comporte pas les développements sur François Ier (et ses successeurs) qui figuraient jusqu’alors dans toutes les éditions en français depuis plus de trente ans. En fait, l’édition de 1579 est en deux tomes, la troisiéme partie étant distribuée entre la fin du premier et le début de second. Dans le second tome, on trouve une « quatriesme partie », elle –même divisée en un sixiéme et un septiéme livre des Chroniques.

Et la lecture de ces quelques pages n’allait pas nous décevoir tant la question des yeux percés revient en une sorte de leit motiv
Chronique et histoire universelle contenant les choses mémorables avenues ès quatre souverains Empires, royaumes, républiques et au gouvernement de l'Eglise depuis le commencement du monde jusques à l'Empereur Charles cinquienne, dressée premièrement par Jean Carion puis augmentée... par Philippe Melanchton et Gaspar Peucer, et réduite en cinq livres traduits du latin en françois, plus deux livres ajoutés de nouveau aux cinq autres, comprenant les choses notables avenues sous l'empire de Charles V, Ferdinand 1er et Maximilian II. [par Simon Goulard.) Tome Ier] [: (S. l.,) par Jean. Berion, 1579. (BNF, G 9255)

A propos d’.Andronic Comméne
« Ce fut un personnage le plus traitre & cruel que lon sceu trouver. Car il creva les yeux ou fit mourir de cruels supplices tous les parents & amis »
On retrouve aussi « cruel » dans le quatrain.
« Deux classes une puis mourir mort cruelle »
Autre passage :
« Richard Roy d’Angleterre, ayant conquis l’isle de Chypre, print cet Alexis & l’emmena prisonnier
(..) son frère lui creva les yeux, le serra dans une sale & obscure prison »
Le second passage fait intervenir Richard dont le surnom était Cœur de Lion, ce qui pourrait avoir été repris, selon nous, dans le quatrain I, 35 : « Le lyon jeune le vieux surmontera (…) Dans cage d’or, les yeux lui crevera »
En fait, le passage concernant le quatrain n’est pas forcément l’épisode signalé par Prevost, vu que cette pratique des yeux percés était récurrente à l’époque mais on est bien dans une fourchette fin XIIe-début XIIIe siècle, et cela peut viser plusieurs croisades successives.
En outre, sur la question des yeux crevés, il semble bien que les Normands avaient également adopté une telle pratique, à l’époque.
Mais Prevost apporte un élément supplémentaire qui nous recentre sur Byzance :
« il suffit, écrit-il, de se reporter aux deux premiers vers du quatrain 69 de la 8e centurie pour y trouver en clair et avec les mêmes mots que dans le quatrain 35 de la Iere centurie la figure de deux empereurs :
« Auprès du jeune le vieux Ange baisser
Et le viendra surmonter à la fin »
Prevost note en effet qu’Ange est « le nom d’une grande famille de l’aristocratie byzantine au XIIe siècle ».
En effet, dans le chapitre concerné, l’on trouve des paragraphes portant le nom d’Isaac l’Ange ainsi qu’« Alexis surnommé l’Ange ».
.
Se pose dès lors la question de la date de rédaction de ces quatrains. Prevost n’a pas d’idées très arrêtées sur le sujet. Il signale (p. 242) certains doutes de Leoni. Cependant, dans certains cas, Prevost relie (pp. 27-28, 129-130 et 250) certains quatrains aux années 1560. Ce qui irait à l’encontre d’éditions des centuries parues dans les années 1550.
Peut-on suivre Prevost quand il écrit « Quoi qu’il en soit- et toutes les suppositions sont permises- il reste que ses quatrains, hormis ceux à caractère eschatologique se référent à des événements du temps passé ou de son temps. Rien n’y fait mention des événements futurs, qu’il s’agisse d’Henri IV, de la Révolution et de l’Empire etc « (p. 250)
Or, il existe une autre thèse, celle de retouches effectuées sous la Ligue et au début du règne d’Henri IV. Nous pensons au quatrain IV, 46, dans la première partie du premier volet, à propos de Tours et au quatrain IX, 86, dans le second volet où Chartres- lieu du couronnement d’Henri IV- remplace Chastres (Arpajon, à partir d’un passage de la Guide des Chemins de France)
Il est vrai que Prevost nous explique (p. 65) ainsi IV, 46
« C’est à Tours que fut envoyé en février 1560 (..) le moine Richelieu (..)Nostradamus conseille aux Tourangeaux de rester à l’écart de ces troubles (…)ce Richelieu y reviendra deux ans plus tard pour tout mettre à feu et à sang ». Encore une fois, Prevost met en avant une année postérieure aux éditions datées de 1555 et 1557. Mais nous rappellerons que l’édition de Rouen Petit Val 1588 à 349 quatrains (cf Benazra, RCN, pp. 122-123) ne comporte pas encore le quatrain IV 46 et sa formule « Garde toy Tours de ta proche ruine », laquelle formule nous semble viser directement la ville qu’a rejointe Henri III au lendemain des Barricades de 1588.[2], capitale de la partie du royaume contrôlée par Henri IV, peu avant l’assassinat du duc de Guise à Blois.
Ce n’est pas sans raison, en effet, que tant d’éditions des Centuries paraissent sous la Ligue, se succédant à un rythme effréné. C’est alors qu’elles prennent le « titre »- dans tous les sens du terme- de Prophéties et c’est avec ces retouches et ces additions que nous apparaissent les éditions (anti)datées de 1555 à 1568 lesquelles passent de moins de 400 à près de 1000.
Voyons par ailleurs, comment est relatée la mort d’Henri II dans l’édition de 1577 de la Chronique de Carion. « De la mort du Roy Henry’ (pp. 680 et seq) : il « fut frappé & blessé d’un coup de lance à la tête duquel coup il demeura malade en son logis des Tournelles ». Il n’y est pas précisé plus spécifiquement que le roi de France eut un œil crevé.
Jean Aimé de Chavigny, dans le Janus Gallicus, ne mentionne pas non plus l’œil : « « La blessure du Roy receue à la teste » (quatrain de décembre 1559, n ° 42). En latin : « vulnus in capite »

C’est donc à Peucer (1525-1602) que nous devons le passage sur les empereurs d’Orient – qui aurait servi pour certains quatrains centuriques - et non à Carion et son traducteur est Simon Goulart, alors que les premiers livres de Carion lui-même avaient été traduits, dans les années 1540, par Leblond. Goulart traduira également de Peucer, en 1584, sous le titre Les devins ou Commentaire des principales sortes de devinations, distingué en quinze livres esquels les ruses & impostures de Satan sont découvertes, solidement réfutées & separées d’avec les saintes prophéties & d’avec les prédictions naturelles, (Anvers,H. Connix Arsenal 4°S 394)
Le quatorziéme livre, qui couvre environ 80 pages, est consacré à l’Astrologie et à ses abus (pp. 549 et seq) mais l’’ensemble peut être qualifié d’apologie de l’Astrologie ; il n’est pas exclus que les épitres centuriques empruntent à Peucer. Avec Peucer, comme avec Carion, le goût de l’Histoire cohabite avec le savoir astrologique.

Nous sommes là dans un environnement antipapiste caractérisé et il nous semble donc qu’un lecteur de Carion et de Peucer (et de Mélanchton dont le nom figure aussi au titre des éditions augmentées) appartiendrait vraisemblablement à une mouvance réformée, ce que vient confirmer l’annonce réitérée (en clair et en anagrammes) de la victoire de la maison de Vendôme sur celle des Guises, au second volet.. On rappellera que le thème de l’Antéchrist était très prisé dans les milieux protestants et le Pape pouvait y être identifié à ce personnage.
Pour notre part, la date de 1579 ne fait pas problème, ce qui exclut évidemment de faire de Nostradamus l’auteur- compilateur des dits quatrains. Nous sommes à la veille des premières impressions connues des centuries, au milieu des années 1580. Cependant en 1572, Crespin présente les deux premiers vers de ce quatrain, dans ses Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation française (« A la maison de monsieur le comte de Tende ») : « Le lyon jeune les vieux (sic) surmontera en champ bellique par singulier duelle »[3]. On notera la variante « les vieux » mais on ne trouve pas le passage du même quatrain sur les yeux crevés.

JHB
27. 12. 12

[1] Impr Iacob Stobe 1611 resac G 12265
[2] « Les prophéties et la Ligue », in Prophetes et Prophéties au XVIe siècle, Paris 1998
[3] Documents inexploités sur le phénommène Nostradamus, Ed Ramkat, 2002, p . 216
 
173 - La Préface de Nostradamus à César et le Liber Rationum
Par Jacques Halbronn

La Préface à César ne comporte qu’un petit nombre de données astrologiques précises qui n’ont par ailleurs que fort peu de réalité astronomique, à la différence de l’Epitre à Henri II, au point que l’on soit en droit de penser que ces deux textes ne sont pas du même auteur ou en tout cas pas de la même « époque » . A quel type d’astrologie fait référence le texte ci-dessous extrait de la Préface à César ?
« Car encores que la planete de Mars paracheve son siecle & à la fin de son dernier période si le reprendra il : mais assemblés les uns en Aquarius par plusieurs années, les autres en Cancer par plus longues & continues. Et maintenant que sommes conduicts par la lune (…) que avant qu’elle aye parachevé son total circuit, le soleil viendra & puis Saturne. Car selon les signes célestes le règne de Saturne sera de retour, que le tout calculé, le monde s’approche d’une anaragonique revolution & que de présent que j’escriptz avant cent & septante sept ans troys moys unze jours, (..) le monde entre cy & ce terme prefix (..) sera si diminué & si peu de monde sera que l’on ne trouvera qui veuille prendre les champs (…) que encores que nous soyons au septiesme nombre de mille qui paracheve le tout nous approchant du huictiesme où est le firmament de la huictiesme sphere (..) ou le grand Dieu viendra parachever la revolution ou les images celestes retourneront à se mouvoir et » On notera que ces 177 ans sont la moitié de 354. Mais qu’est-ce à dire : que l’auteur se trouve pile à la moitié d’un « âge » ?De toute façon, on est quelque peu surpris d’une telle entrée en matière, assez abrupte car le dispositif auquel il est ainsi fait référence n’est aucunement explicité comme si la partie introductive à un tel développement faisait défaut. On ne nous explique pas quelle est la durée en années de ces âges successifs dont on ne fournit même pas la liste complète relative aux sept astres du septénaire, luminaires inclus. Quant à la référence aux deux signes zodiacaux du verseau et du cancer, elle ne saurait se comprendre sans autre précision. En fait, il semble qu’il s’agisse d’une localisation géographique selon une théorie des sept climats (Quatriéme Partie du traité de Roussat, pp. 156 et seq) :tel signe correspond à tel pays. (chorographie)

Ajoutons que ces lignes techniques sont absentes de la mouture de la Préface telle qu’on la trouve chez Antoine Besson, vers 1691.
La lecture du Livre de l’Estat et Mutation des temps, Lyon, Guillaume Rouillé, 1550, repris du Période du Monde de Pierre Turrel, de Dijon – la Bourgogne est très présente dans le texte - apporte, en sa seconde « Particule » certes des éclaircissements au propos en question (p 35). On y « déclare la fin du monde par le mouvement & gouvernement des sept Planétes (…)dont chascune par soy gouverne le Monde l’espace de troys cent cinquante quatre ans & quatre moys ainsi que décrit Abraham Avenara (sic), Libro Rationum, au pénultiesme chapitre d’iceluy » [1]. On ne nous indique pas cependant, à cet endroit, dans quel ordre les « planétes » se suivent.

Dans le système des 7 âges, il n’est jamais question de conjonction entre deux « planétes » puisque leurs « régnes » se succèdent et ne sauraient donc interférer comme c’est le cas pour l’astrologie combinant entre elles les planétes, au gré de l’astronomie/

Dans la « seconde particule » du traité de Roussat est développé ce qui n’avait été qu’esquissé dans l’introduction (cf supra). Chaque planète se trouve associée à un ange. (pp. 88 et seq)

L’ordre planétaire est le suivant : Saturne, Vénus, Jupiter, Mercure, Mars, Lune, Soleil et à nouveau Saturne et ainsi de suite, ce qui correspond à l’ordre des jours de la semaine à l’envers (dimanche, lundi, mardi etc)[2] Depuis le commencement du monde, chacune de ces planétes aura régné 354 ans. Mais le texte imprimé est fautif « Premièrement principa & gouverna Saturne troys cens cinquante ans & quatre moys », alors que cela aurait du être 354 ans et 4 mois. D’ailleurs, on a ensuite Vénus avec 708 ans et huit mois, ce qui est censé être le double. Saturne est revenu une seconde fois « De rechef regna Saturne (…) iusques à l’an de deux mil huict cens trente quatre ans & huict moys ». Puis à nouveau Vénus, Jupiter, Mercure, Mars, Lune, Soleil, Saturne etc On en est au moment où le texte est rédigé revenu à la Lune. »qui de present gouverne », ce qui se terminera à 7086 ans et 8 mois, l’âge du soleil devant suivre jusqu’en 7441 ans depuis la création du monde et enfin Saturne. « si cependant le Monde ne se terminoit ou prenoit sa fin », compte tenu de la durée prévue du monde.

En fait, selon Roussat, la fin du monde se situerait à la fin du règne actuel de la Lune ou au début du règne suivant du Soleil.

Au demeurant, est- ce qu’Abraham Ibn Ezra est bien l’auteur de ces corrélations entre anges et planétes, de cette chronologie de l’Histoire du monde, allant de 354 ans en 354 ans ?A la fin de son Liber Rationum, au chapitre X qui fait pendant au chapitre X de son Principium Sapientiae[3], Ibn Ezra renvoie à son « Livre du Monde », le Sefer Haolam[4] pour ses réflexions en Astrologie Mondiale et notamment au sujet des « grandes conjonctions » Jupiter-Saturne. Mais il n’y est pas question du cycle de 354 ans attribué successivement à chacune des sept « planétes ». Or, il s’agit là de manuscrits. Mais en est-il de même des imprimés auxquels très probablement se référe Roussat ? n aura noté que Roussat renvoie à l’avant-dernier (pénultième) chapitre du Liber Rationum.
Si l’on étudie l’édition vénitienne de 1507, chez P. Liechtenstein, des œuvres complétes d’Abraham Ibn Ezra[5], dans la traduction latine, à partir du français (« in gallico idiomate » (Ed 1507, fol XXI verso), de Petrus de Abano (de Padoue), Abrahae Avenaris astrologi peritissimi in re iudiciali opera- l’on note l’existence de « chapitres » additionnels, placés à la suite du Liber Rationum et qui n’ont pas leur pendant dans l’Introductorium ou Principium Sapentiae que le dit Liber Rationum est censé commenter. Yves Lenoble signale que l’ouvrage de Trithéme reprenant ces notions parut à la même époque, vers 1508 : De septem secundeis[6].
Roussat n’a pas conscience qu’il s’agit d’annexes et c’est pourquoi il emploie les termes de dernier et d’avant-dernier chapitre. Si l’on s’en tient à sa « descriptiion », l’on a en dernier « De quibusdam eclipsis significationibus », c'est-à-dire « de certaines significations de l’éclipse. » et en avant-dernière position un « De gubernatoribus mundi » (Ed. 1507, fol XLII verso), « Des gourverneurs du monde » qui correspond exactement à ce que Roussat aborde à cet endroit de son traité. L’attribution de ce passage à Ibn Ezra est assez improbable. Il convient plutôt de se référer à Albumasar, et à son « Livre des Mille » en arabe Kitab al Uluf car l’auteur a souhaité ne pas le relier à son traité des conjonctions Jupiter-Saturne. Il est vrai que ces deux procédés n’ont pas du tout les mêmes fondements astronomiques.
Shlomo Sela précise[7] à propos d’Albumasar : “he wrote about the conjunctions of Saturn and Jupiter and other related topics in Kitab al Qiranat (Book of Conjunctions) but cyclical world astrology, a complex system of cycles to determine the dominant planetary or zodiacal influences at various points of time was rigorously excluded from that work and dealt with in Kitabl al Uluf””, le Livre des Mille. Les deux astrologies sont ainsi strictement séparées par Albumasar.
Au vrai, ce « chapitre « est extrémement bref, il tient en quelques lignes mais cela suffit pour exposer et illustrer
un systéme assez remarquable auquel se référe la Préface à César. Il comporte une liste de sept anges et de sept planétes, chaque astre couvrant 354 ans et un tiers d’année – « 354 annis & 3. parte anni « , ce que Roussat rend par « quatre mois ». Suite une chronologie du monde : Mars et le Déluge (Noé), la Lune et la division des langues (Tour de Babel). Le régne du soleil et la sortie d’Egypte. Puis lors de la destruction du Premier Temple, c’est le règne de Jupiter. Lorsque fut achevé le Second Temple, Lors de la destruction du Second Temple on était sous Mercure.
En fait Roussat/Turrel traduit littéralement toute une partie du « chapitre » des gouverneurs du monde :
« Saturnus autem precessit quia sol & luna fuerunt creati in principio hore Sa. 354 annis & 3. parte anni. Deinde Venus etc «
Livre de l’Estat et Mutation (p. 91) :
« Saturne meine le premier pource que le Souleil & la lune furent creez à la première heure du jour ou regna Saturne. Après Saturne gouverna Vénus autant d’ans et de moys »
Mais Roussat/Turrel associe Vénus au Déluge - « & soubz son regne & gouvernement veint le grand Deluge etc » - alors que le texte latin indique Mars : « martem servire tempori diluvii »
Alors que dans les textes du Liber Rationum et du Livre de l’Estat et Mutation du Monde, on donne la série des anges, il n’en est aucunement question chez Nostradamus.

Quatrains faisant écho au sytéme 354 :

I 25
« Ains que la Lune achève son grand cycle »
I 48
« Vingt ans du regne de la Lune passés
Sept mil ans autres tiendra sa monarchie
Quand le Soleil prendra ses jours passés
Lors accomplir & mine ma prophetie »

Le régne du Soleil fait suite à celui de la Lune (cf infra) et celui de Saturne à celui du soleil.

I 51
Puis par long siecle son malin temps retourne (Saturne)

III 73
Quand dans le regne parviendra le boiteux (Saturne)
III 91
Le monde proche du dernier période
Saturne encore tard sera de retour

Les autres parties du traité de Roussat ne sont pas,en revanche, représentées dans la Préface à César mais bien dans la première centurie qui lui fait immédiatement suite.
Qu’en est-il de la première partie du Livre de l’Estat et Mutation du Monde ? Roussat en parle ainsi (pp ; 34-35) : « la coniecture de la fin du monde & dernier Période par le mouvement de deux petits Cercles qui se feront & accompliront en sept mille ans, par le premier poinct du signe d’Aries & Libra (…) faisant quatre stations » de l’Histoire de l’Humanité. Roussat distingue 4 planétes supérieures, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne qui ont leur exaltation – attribution sans aucun fondement astronomique - dans les 4 signes cardinaux, respectivement le bélier le cancer, la balance et le capricorne, correspondant aux deux équinoxes et aux deux solstices. On a là une clef intéressante –et peu connue-
pour comprendre le dispositif dit exaltations. Le fait d’associer le soleil aux trois planétes « supérieures » (au-delà de la Terre) est également peu signalé par les spécialistes.(cf nos travaux sur les exaltations)
Nous n’avons pas trouvé de quatrain illustrant cette première partie.

Quant à la tierce Partie, elle comporte en son milieu, des quatrains : « Me semble bon & m’est advis qu’il ne se trouvera de maulvais goust ny fascheux pour gens qui apperent scavoir, aulsi pour ce certiorer messieurs les lecteurs, présentement t’amener & inscrire aulcuns Quatrains sur l’antiquité & fondation de ladocte cité de Langres qui sont tels (pp. 120-124) On s’arrêtera sur le début d’ un quatrain consacré à la toison d’or, qui est un thème bourguignon[8] :
« Donc ce Dieu eut figure d’un mouton
A toyson d’or, voyre du tout massif »

On trouve un écho presque littéral avec I, 16 d’un passage de la troisiéme partie mais le dernier vers du dit quatrain a des relents de la première partie.
« Faulx (Saturne) à l’estang (Jupiter/estaing) ioinct vers le Sagittaire (…) Le siecle approche de renovation »
Si cette configuration se retrouve en 1603 au début du XV IIe siècle, il convient tout de même de rappeler qu’elle a eu lieu antérieurement, 800 ans plus tot,ce qui correspond au temps d’Albumasar, peu ou prou.


Pour ce qui est de la quatriéme partie, elle concerne la technique des dix révolutions de Saturne et leur passage dans les signes cardinaux.
Le quatrain I,54 lui correspond si l’on remplace deux par dix[9] !
« Deux revoltz (révolutions) faictz du maling falcigere
De regnes & siecles faict permutation »

On notera que le terme « falciger » est synonyme de falcifer qui figure dans Roussat (p. 155) : ‘la malice du falcifer[porteur de faulx]Saturne » au chapitre consacré aux révolutions Saturnales[10].
Ce système qui va de 300 ans en 300 ans semble prendre son point de départ de la création du monde, comme c’était déjà le cas pour les cycles de 354 ans. En cela, l’astrologie mondiale dépend des chronologies. Le grand apport d’Albumasar avec les Grandes Conjonctions de Jupiter et de Saturne, c’est de ne plus dépendre d’un tel point de départ. Mais un Pierre d’Ailly (1414) tend à combiner et à croiser plusieurs systémes et la date avancée de 1789 apparait donc comme un amalgame de plusieurs paramétres.

Un point qui nous semble venir confirmer l’influence de l’ouvrage de Roussat serait l’usage même du mot « Préface ». En effet, au début du Livre de l’Estat et Mutation des Temps, on trouve certes une épitre dans laquelle Roussat reconnait d’ailleurs qu’il s’est servi d’un ouvrage antérieur qu’il a cherché à améliorer mais aussi- ce qui est moins banal, une « Préface du présent Traicté » qui se termine par la mention « Fin de la Préface »
Dans cette Préface de Roussat, truffée de citations latines en italique – ce qui est le cas de la Préface à César, on trouve mention, dès la première phrase du Livre biblique de l’Ecclésiastique, Chapitre 43.[11]. Ce mot figure notamment au quatrain 1, 15 « Auge & ruyne de l’Ecclésiastique ».
Cette préface de Roussat, chanoine de Langres, n’est pas datée ni ne comporte de destinataire à la différence de son épitre à Joachim de la Baulme. La date de l’ouvrage figure in fine : « terminé & fini le quinziesme iour du moys de Febvrier, l’an de grace mil cinq cens quarante huict »

La « préface à César » semble être un amalgame de l’épitre et de la préface de Roussat à son « traicté ». On notera aussi que l’une des premières éditions comporte quatre « centuries », ce qui n’est pas sans évoquer les quatre « particules » de Roussat, que ce premier ensemble s’est figé à un certain stade à 353 quatrains, ce qui n’est guère éloigné des 7 règnes planétaires de 354 ans, 353 correspondant à l’année lunaire de 353 jours..
On a l’impression que le Traité de Roussat s’est fait en deux temps : ce qu’on appelle la « première partie » constituait un tout se divisant en un certain nombre de sections chacune débutant par une lettrine. Elle ne porte pas la mention « ou particule », les trois autres parties ne comportant de lettrine qu’au début. Dans l’avis au lecteur qui suit la « Préface » (p. 35), la présentation des deuxième, troisième et quatrième particules diffère, de celle de la première. La « première partie » se termine d’ailleurs par une date, ce qui n’est pas le cas des autres parties, qui fait écho à ce qui figure à la fin de tout le livre :
« Maintenant donc ie dis que nous sommes en l’instant & approchons de la future renovation du monde ou de grandes altérations ou d’iceluy l’anichilation environ deux cens quarante troys ans selon la commune supputation des Hystoriographes, en prenant à la date de la compilation de ce present traicté laquelle date est posée & escripte à la fin d’iceluy » (p. 86), ce qui donne 243 + 1548, soir 1791, date qui figure à un an près dans l’Epitre à Henri II.(1792), étant entendu que Roussat –Turrel cite le cardinal de Cambrai, Pierre d’Ailly qui avança la date de 1789 dès 1414.
Nostradamus ne semble pas avoir retenu dans ses publications le système des 7 fois 354 qui a pour inconvénient de dépendre de la chronologie du monde, de l’An 1 de la « Création ». Dans la Préface à César, on nous parle du règne de Mars, suivi par celui de la Lune puis par celui du Soleil, sans aucun souci didactique Il reste que dans l’Epitre à Henri II, l’on trouve deux chronologies du monde qui auraient pu s’articuler sur la question des âges, si ce n’est que celles-ci diffèrent entre elles, ce qui assez dissuasif.. Nous avons noté que la deuxiéme partie marquée par le chapitre placé au-delà du Xe chapitre du Liber Rationum (Ed 1507) découpait le temps de façon assez comparable à ce que l’on trouve dans l’Epitre à Henri II, où les chronologies, cependant, ne sont pas articulées sur un quelconque systéme astrologique.
Cela dit, l’on trouve déjà au Livre IV de la Tétrabible (IIe siècle) un exposé de la succession des âges planétairesn mais selon un autre ordre et à l’échelle d’une vie humain :
« En tous les hommes, il y a une naturelle conjecture qui est universelle, qui commence par le premier âge et par l’orbe qui nous est le plus voisin, à savoir celui de la Lune et qui finit au dernier âge et au plus haut orbe des planètes, c'est-à-dire celui de Saturne. Aussi arrivera-t-il à chaque âge des choses qui sont convenables à la nature de sa planète » Les âges se suivent ici dans l’ordre suivant : Lune, Mercure, Vénus, Soleil, Mars, Jupiter et Saturne »
(trad Bourdin, 1640). Le probléme, c’est que plusieurs spécialistes considérent que ce dernier chapitre aurait été rajouté bien plus tard. On s’interroge sur l’authenticité des textes parus sous le nom de Ptolémée. Dans son diptyque astrologique ( Commencement de sapience et Livre des fondements), Ibn Ezra se référe à Ptolémée à propos des Quatre Eléments. Or, si chez Ptolémée, il est bien question des quatre « trigones », chacun constitué de 3 signes, ceux-ci ne sont pas associés aux Eléments, du moins dans les éditions qui nous sont parvenues : Pourtant, Abraham Ibn Ezra (Ch. II du Liber Rationum, p. 149 de notre édition de 1977) attribue à Ptolémée les 4 Eléments astrologique s :
« Et Ptolémée discute au sujet des Anciens et dit que les signes de feu relévent du vent du nord et les signes d’eau du vent d’Est. Mais il reconnait que les signes de terre sont méridionaux et ceux d’air occidentaux. Et Yakub Al Kindi soutient que les signes de feu sont orientaux et inclinent vers le nord. Et c’est cela qui est juste »
De deux choses l’une : ou bien Ptolémée n’a pas traité ce point ou bien les éditions conservées ne correspondent pas à ce qu’en dit Ibn Ezra. Un des commentateurs de Ptolémée, Proclus, dans sa Paraphrase, ne dit mot des Eléments. En revanche, un contemporain de Ptolémée Vettius Valens est considéré comme ayant été le premier à associer les Quatre Eléments aux triplicités. Celle du feu est à l’Est, celle de la terre, au sud, celle de l’air à l’ouest celle de l’eau au nord, lit-on dans les Flores Astrologiae d’Albumasar (BNF. pV 1296). Rappelons que la théorie des 4 Eléments associée aux signes zodiacaux est au cœur de la théorie des grandes conjonctions Jupiter Saturne, développée par Albumasar. Ibn Ezra rappelle pour chaque signe à quel Elément il est rattaché mais il ne semble pas que la typologie zodiacale ait été fortement marquée avant le XIXe siècle, par les Eléments. A la fin du XVe siècle, le Kalendrier et Compost des Bergers qui comporte une description des 12 personnages zodiacaux n’en dit mot.(cf notre étude sur ce sujet)
Etudions ce que dit Trithème de cette succession des âges, étant évident que le recours aux planétes n’a rien à voir avec une quelconque réalité astronomique, comme on l’a vu à plusieurs occasions dans le Livre de Roussat.
Trithème (Traité des causes secondes), qui écrit en 1508, relie les cycles aux lettres de l’alphabet hébraique (Ed Sebastiani, 1974, pp. 137 et seq). Au début du XVIe siècle, on arrive à la dix-neuviéme lettre, le qoph (sur 22). C’est la période Mars alias Samaël qui va jusqu’en 1525.Entre 1508 et 1525, il y a 17 ans et la Préface à César comporte une erreur : il ne faut pas lire 177 ans mais 17 ans.
Préface à César :
« le monde s’approche d’une anaragonique revolution & que de present que ceci j’’escriptz avant cent & septante sept ans troys moys unze jours etc «
Préface à César : « Car encores que la planète de Mars parachève son siècle (lire : sa période de 354 ans) »
Trithème : « Il reste, à partir de cette présente année 1508 de l’Ere Chrétienne 17 ans avant l’expiration du régne de Samaël »
Brind’amour (Les Premières centuries, Droz 1996) note « Il s’agit de la moitié de la grande année de 354 ans ». Mais c’est là une simple coincidence. En fait, 17 est devenu 177. D’ailleurs, s’il restait 177 ans à courir, cela ne ferait aucun sens chronologiquement, dans le contexte considéré. Et d’ailleurs trois mois et unze jours ajoutés à 177 ans ne font plus la moitié.
Ce qui ajoute à la confusion, c’est que tout en reprenant littéralement ce passage de Trithème- et ici c’est la seule source possible- le texte de la Préface poursuit « Et maintenant que sommes conduicts par la Lune », ce qui est une addition ne concernant plus 1508 mais la date à la quelle Nostradamus (ne en 1503) est censé écrire. Sachant que le régne de la Lune a commencé en 1525 (1508+ 17), et qu’un quatrain (I, 48) parle de « vingt ans du regne de la lune passés », cela donne 1545 et non pas 1555. Mais nous pensons, comme on s’en est expliqué dans d’autres textes, que Nostradamus avait laissé des notes fort antérieures aux années 1550, ce que sous entend d’ailleurs le Janus Gallicus, qui débute sa chronologie en 1534.
Ajoutons que Trithèmé s’adresse à César : « Je ne garantis pas les choses que j’écris, très sage César, mais on peut raisonnablement y croire sans préjudice pour la foi orthodoxe ». Le traité est en effet adressé à Maximilien Ier, « empereur et César » et débute ainsi « Tres Sage [12]César ». N’est-ce pas la raison pour laquelle Nostradamus adresse sa Préface « Ad Caesarem Nostradamum filium » ? La période allant de 1525 à 1879/1880 est la vingtiéme période.[13]
On peut, dans le même sens, penser que l’échéance avancée dans la dite Préface de 3797 est une déformation de 1879, qui correspond à la fin du régne de la Lune de 354 ans (1525 + 354) : on aurait inversé 79 et 97. »« & sont perpétuelles vaticinations pour d’icy à l’an 3797’ (Préface à César)
Trithème : « Pour la vingtième période, Gabriel, Ange de la Lunen reprendra la direction du monde, le 4e jour du mois de juin de l’an 6732 de la création, qui est ‘année 1525 de l’Ere Chrétienne. Il gouvernera l’Univers pendant 354 ans et 4 mois jusqu’à l’an du monde 7086 au huitième mois ou 1879 de la Nativité du Seigneur »(Traité des causes secondes, Reed.Ed Sebastiani, 1974, pp. 148-149)[14]
On ajoutera que ce n’est probablement pas par hasard que l’on ait un premier « jet » de 353 quatrains. Il y a là certainement un rapport avec les 354 ans d’un cycle. (lui-même dérivé des 354 jours de l’année lunaire). Mais là encore, il faut faire la part de la transmission corruptrice. Il semble en effet que l’on ait supprimé certains quatrains puis qu’on en ait mis d’autres à la place, sans parvenir à restituer ce nombre de 354 qui entre temps ne faisait plus forcément sens.

JHB
25 01. 13

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Tritemius and Nostradamus comparison

From: http://www.propheties.it/trithemius.htm

"Mars first of all in the Government of Samael foretold the Flood, in his second rurn, the siege and destruction of Troy: in his third toward the end thereof will be found great want of Unity: from matters preceding may be Judged what will or ought to succeed. This third Revolution of Mars shall not be consummated without Prophecy, and the Institution of some new Religion, from this year of our Lord 1508. here yet remains until the end of the Government of Samael 17. years wherein signs and figures shall be given, foreshowing the beginnings of evil. For in Anno. 1525".

in vis a vis Preface to Cesar:
page B III verso of Macé Bonhomme 1555 edition
"le monde s'approche d'une anaragonique revolution & que de present que ceci j'escriptz avant cent & septante sept ans troys moys unze iours etc"

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[1] Nous avons consacré des travaux au Liber Rationum d’Abraham Ibn Ezra. « Le livre des fondements astrologiques » ed Retz, 1977 avec une préface de G. Vajda et vingt ans après « Le diptyque astrologique d'Abraham Ibn Ezra” in Revue des Etudes Juives, Vol. CLV, Paris. 1997
[2] Nostradamica CORPUS NOSTRADAMUS 112 -- par Patrice Guinard « Le monde s'approche de bouleversements majeurs (2065/2066) suivis d'une anaragonique révolution (2242/2243) »
[3] Le Livre des fondements astrologiques, op. cit. pp ; 302, 218-219
[4] Shlomo Sela, “ Abraham Ibn Ezra "Book of the World": A Parallel Hebrew English Critical Edition of the Two Versions of the Text "Abraham Ibn Era's Astrological Writings, Volume 2" (annotated edition), Brill, 2009
[5] BNF Gallica, NUMM 58947
[6] Voir aussi nos développements in Le texte prophétique en France, repris sur le site ramkat.free.fr
[7] Abraham Ibn Ezra The Book of Reasons . A parallel Hebrew Englisj Critical Edition of the two versions of the text, Brill 2007
[8] Voir notre étude sur le Splendor Solis, Revue Française d’Histoire du Livre, 2012
[9] Yves Lenoble « Nostradamus et l’éclipse du 11 août 1999 (sur Espace Nostradamus, ramkat.free.fr et in Journal of the Astrological association en 1999 (Vol 41, n° 5) sous le titre “Nostradamus and the Eclipse of August 11 1999”.
[10] Cf P. Brind’amour, ed Les Premières centuries ou propheties, op. cit. p. 125
[11] Cf Papes et prophéties. Décodages et influence, Ed Axiome, 2005, pp. 171 et seq
[12] Cf R. Benazra, Répertoire chronologique nostradamique, Paris, Trédaniel- Grande Conjonction, 1990, pp. 122-123
[13] Paul Chacornac a consacré un ouvrage à Trithème « Grandeur et adversité de Jean Trithème, Paris, Ed. traditionnelles, 1973) et un chapitre s’intitule « Le Kabbaliste et les cycles », (pp. 171 et seq).
[14] On notera par ailleurs que 3797 est quasiment le double de 1879.
 

 
174 - Le caractère décousu des épitres centuriques
Par Jacques Halbronn

L’on peut, grosso modo, classer la production nostradamique, sur un plan formel, en trois catégories : I les almanachs (avec leurs quatrains) et les pronostications annuelles, II les « mémoires » sur plusieurs années et III les épitres et quatrains centuriques.
Dans le premier groupe, nous avons affaire à un travail assez ingrat de dressage de thèmes, avec une étude systématique des configurations successives. Les quatrains des almanachs sont dérivés des textes en prose des prédictions mensuelles.
Dans le deuxième groupe, il s’agit de textes adjoints aux almanachs annuels mais couvrant des périodes plus importantes. On en connait deux majeurs : celui figurant avec l’almanach pour 1562 et celui accompagnant l’almanach pour 1567. Ni l’un ni l’autre ne nous sont présentement accessibles dans leur version imprimée d’origine : on ne connait l’un que par le biais d’un manuscrit (l’imprimé conservé étant tronqué) et l’autre que par celui d’une impression italienne, le reprint français du début du XXe siècle (1904) étant introuvable. Ces textes marqués par l’éclipse de 1567 et avec une teneur antéchrist que assez marquée, ont inspiré un certain nombre de quatrains centuriques.
Ces deux ensembles de textes essentiellement en prose, constituent un ensemble relativement cohérent et consistant. Il n’en est pas de même du troisième groupe qui nous apparait atypique au sein de la production nostradamique, non pas tant d’ailleurs sur le fond que sur la forme.. Or, la plupart des gens ne connaissent Nostradamus que par le biais de ce troisième groupe qui est le seul à avoir été réédité jusqu’à nos jours., si bien que le lecteur type des « Centuries »- épitres et quatrains réunis- tend à ne pas chercher à comprendre ce qu’il lit mais est incité à y plaquer des commentaires, à partir de quelques sondages superficiels, sur un matériau qui lui échappe, qui se dérobe à son intelligence. Mais est-ce qu’il en est ainsi délibérément ou par le fait de quelque négligence ou corruption du matériau d’origine ? Qu’il en soit pour les quatrains, passe encore mais les deux épitres, elles-mêmes, ne sont pas sans une part d’obscurité.
Ce qui nous frappe, dans les deux épitres, c’est en effet, le caractère d’ébauche des informations fournies. En fait, on a l’impression qu’il y a des omissions, des trous dans l’exposé, ce qui ne le rend pas intelligible pour le lecteur non initié à toute une littérature astrologique, ce qui pose la question du type de lecteur auquel de telles épitres s’adressent. Il est clair que celui qui connait assez bien cette littérature astrologique technique aura plus de chances de s’y retrouver que le profane. Et les choses peuvent-elles s’arranger quand on aborde les quatrains ?
On donnera quatre exemples d’exposés que l’on peut qualifié d’insuffisants.
I Dans la Préface à César, il y a une esquisse de la théorie des 354 ans attribués à chaque planète ou faudrait-il mieux dire un extrait. Le nombre de 354 ne figure à aucun endroit de la préface et l’on ne nous donne que la succession incomplète des planétes. Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est allusif et que cela renvoie le lecteur à un exposé liminaire qui fait défaut. Il est question de 177 ans, qui sont certes la moitié de 354 mais que peut comprendre celui qui n’est pas averti ? Quant aux quatrains qui sont en rapport avec une telle théorie, l’un d’entre eux évoque que l’on serait sous le règne de la Lune depuis déjà 20 ans. (.I ; 48) mais à quelle date se situe-t-on ? En 1555, date de la Préface ? Tout cela est très vague. Le lecteur serait bien inspiré de se servir du Livre de l’Estat et Mutation des Temps, de R. Roussat (Lyon, 1550) pour décoder un tel passage.
II Dans l’Epitre à Henri II, on trouve une série de positions planétaires, mais on ne précise pas pour quelle date cela correspond. Il s’agit de 1606 mais ce n’est pas indiqué au bon endroit, même si cette année est mentionnée par ailleurs. Là encore, il faut jouer aux devinettes.
III Toujours dans l’épitre au Roi, l’on trouve deux chronologies qui couvrent des siècles et des siècles et s’originent dans l’histoire biblique. Mais quelle est la raison de leur présence dans ce texte et pourquoi, de surcroit, nous donne-t-on deux séries discordantes et quelque peu redondantes? Certes, comme on l’a noté dans un précédent texte, on trouve des chronologies de ce type à l’époque mais que viennent-elles faire dans un tel contexte prophétique ? En lisant, le « Liber Rationum » cité par Richard Roussat, dans le Livre de l’Estat et Mutation des Temps, l’on comprend que de telles chronologies puissent être reliées à des positions planétaires.[1] C’est ainsi que dans le cas des règnes de 354 ans, le chapitre du Liber Rationum appelé « De gubernatoribus mundi » (fol XLI verso) associe le déluge au règne de Mars, la Tour de Babel à la Lune et la Sortie d’Egypte au Soleil, la destruction du Premier Temple de Jérusalem à Jupiter, celle de l’achèvement du second Temple à Mercure elle pas les différentes périodes ainsi découpées à telle ou telle configuration t-? En ce qui concerne le cycle saturnal de 300 ans, Roussat apporte les correspondances suivantes (pp. 158 et seq) : « Quand dix révolutions Saturnales furent complétées , du temps de Darius (..) Alexandre le Grand (..) feit ses grandes conquestes (…) & apres dix aultres revolutions Saturnales, s’apparut nostre Seigneur Iesuschrist (..) avec une ou plusieurs des susdites conjonctions, du temps de l’Empereur Frederic, il sortit de Tartarie une si grande turbe & multitude de gens etc »
Or, dans l’épitre à Henry Second, les deux chronologies sont « sèches », sans corrélation planétaire d’aucune sorte.


IV Enfin, il nous faut traiter de la célèbre mention de 1792 dans la dite Epitre à Henri II. Dans ce texte, cette année n’est aucunement explicitée astrologiquement. En revanche, chez Roussat, des données techniques sont fournies, reprise de Pierre d’Ailly : (p. 162 ) :
« Venons à parler de grande & merveilleuse conionction que messieurs les Astrologues disent estre à venir environ (…) mil sept cens octante & neuf avec dix Revolutions Saturnales » . Le propos est d’ailleurs confus car il s’agit en fait d’une combinaison entre deux paramètres : une conjonction Jupiter- Saturne et le retour d’un cycle saturnales de 300 ans. Ailleurs (p. 86), Rousset procède par énigme et propose d’ajouter 243 à 1548, ce qui donne 1791.

Or, dans l’épitre à Henri II, on se contente d’indiquer, sans autre forme de procès :
« & commençans icelle année sera faicte plus grande persecution à l’Eglise Chrestienne (…) & durera ceste ci iusques à l’an mil sept cens nonante deux que l’on cuidera estre une renovation de siecle » et ce sans autre explication technique.
On a l’impression que le véritable auteur de cette épitre maîtrise mal les notions astrologiques. Ce qui semble exclure qu’il puisse s’agir de Nostradamus. On peut supposer néanmoins que l’on ait mis ensemble des pages, avec plus ou moins de bonheur, comme ce sera le cas au XVIIe siècle pour les Pensées de Pascal, des notes de travail qui n’étaient pas destinées à être publiées en vrac.Qu’on ait trouvé, dans un volume de pièces, deux moutures chronologiques, pourquoi pas ? Qu’on les publie l’une à la suite de l’autre, quel intérêt ? Les deux épitres posent le même type de problème même si la Préface à César semble un peu moins décousue. La comparaison avec d’autres exposés astrologiques d’autres auteurs souligne une certaine incurie. On notera qu’au niveau des quatrains, il y a des impropriétés comme pour I, 54 où « deux revolts » de Saturne sont mis à la place de « dix revolts » ou pour I, 52, juste avant où «Les deux malins de Scorpion’ doivent être lus « en Scorpion » à propos de Mars et de Saturne, Roussat consacrant de longs développements à ce signe qu’il met en rapport avec l’Allemagne. Ou encore, toujours dans la première centurie, le quatrain I, 16 « Faulx à l’estang ioinct vers le Sagittaire « où il faut lire « estaing » (étain) pour Jupiter, texte directement repris de Roussat.

Mais s’agit-il même de notes de Nostradamus ? Pour certains quatrains, la réponse semble devoir être positive : on pense à ceux comportant le nom « macelin » qui nous semble être une formule propre à Nostradamus pour désigner un personnage redoutable qu’il prénomme Marcellinus (cf son addition à l’almanach pour 1562). Mais nous avons signalé, dans une précédente étude, que l’une des chronologies dont l’épitre à Henri II se sert quasi littéralement ne serait pas parue avant 1579, dans une édition française de la Chronologie de Carion, augmentée par Peucer, donc peu avant le processus de publication des sept premières Centuries, au cours de la décennie suivante. Rappelons que l’épitre à Henri II, quant à elle, est marquée par le début du XVIIe siècle, autour de l’éclipse de 1605 et de la grande conjonction de Jupiter et Saturne en sagittaire de 1603. Une seule chose est certaine : Nostradamus ne peut être l’auteur de ces deux épitres pas plus qu’elles ne peuvent décemment avoir été adressées telles quelles à leur destinataire affiché. Si l’on compare avec le texte de Roussat, on note que le titre même de Liber Rationum ne figure pas dans la Préface à César alors qu’il est signalé dans le Livre du chanoine de Langres. Ce sont donc là des emprunts qui ne s’assument pas comme tels et qui nous semblent être un travail de seconde main réalisé par des gens pressés et qui bâclent leur tâche de façon éhontée. En ce sens, on peut dire que si les quatrains ne s’entendent que par référence au texte en prose, le texte en prose lui-même ne fait sens que par rapport à la source ainsi plagiée. Rappelons que la Préface à César, dans sa mouture augmentée (par rapport à l’édition Besson) reprend, par ailleurs, des pages entières du Compendium Revelationum de Savonarole. Le plagiat est chose courante en matière de contrefaçon[2]. Les deux maux vont de pair.


JHB
04. 01. 13

[1] Cf Le Monde Juif et l’Astrologie, Milan, Arché, 1985
[2] Cf le plagiat d’un texte de Maurice Joly dans la fabrication des Protocoles des Sages de Sion
 
175 - L’almanach contrefait de Nostradamus pour 1565, Lyon, Benoist Odo.
Par Jacques Halbronn

L’almanach pour l’an 1565, composé en 1564, comporte des développements assez atypiques si on le compare avec celui pour l’an 1566 et pour l’an 1567 en ce qu’il s’arrête sur les années 1580 alors même que l’échéance jugée cruciale de la fin des années 1560 est en ligne de mire. Dans le développement consacré au mois de novembre 1565, il est question de l’an 1585 (soit 20 ans plus tard) et « cent fois pire lan 1588 ». L’an 1584 est également signalé comme celui de l’un des plus grands « tresbuchements qui advint jamais depuis le siege de Sainct Pierre ». On y traite d’une «maligne conjonction de Saturne à Mars ». On a l’impression qu’un tel texte appartient à une autre époque, non sans résonance d’ailleurs avec l’épistre à Henri II, datée de 1558, qui désigne, elle aussi, l’an 1585.
Tout cela est en discordance avec le suivi de la production nostradamique des années 1560.
On y trouve une dédicace à Pie IV en rapport avec le mois d’Août 1565 et rappelons que l’almanach pour 1562 comportait une épitre dédiée à ce pape qui décédera en cette même année 1565.
On y trouve aussi un développement polémique qui fait écho, selon nous, aux Significations de l’éclipse de septembre 1559, dont nous savons que le texte est en partie un plagiat de Leovitius, comme l’avait déjà signalé Torné Chavigny, dans une lettre reprise dans la réimpression du début du XXe siècle.. Dans ces Significations, l’échéance avancée est 1605, ce qui vient recouper l’Epitre à Henri II qui avance 1606 mais qui est liée à l’éclipse de l’année précédente 1605. Là encore, une échéance décalée par rapport aux vaticinations nostradamiques des années 1560.
On s’arrêtera sur un passage polémique peu connu, répliquant à une attaque réformée, placé à la fin de l’almanach pour 1565 que nous rapprocherons d’un autre passage des Significations.

Almanach pour 1565
« Il y a quelques jours que ceux de la religion me monstrèrent quelque almanach qui estoit imprimé à Genéve faict par quelque grand asne (…) quelque idiot bien ignorant où tacitement voulant médire & calumnier de l’astronomie iudiciaire. Et viens ça grosse pecore ; gros animal & penses –tu que Dieu eust fait les cieux, le soleil, la lune & tous les astres (…) asne brutal etc » Et apparemment, Nostradamus a été directement attaqué. On connait un certain nombre d’attaques réformées des années 1560, comme celle de Conrad Badius « Les vertus de nostre maistre Nostradamus », Genéve 1562) ou encore la « Contre-prognostication » [1]Le texte de l’almanach pour 1565 s’achève ainsi :
« Ne mesdis de celuy qui oncques ne à toy ni à nul aultre n’a meffaict ne mesdit par escrit ni par la langue etc »

Significations 1559 « Avec une sommaire responce à ses detracteurs »
« Tu es une grande beste pour un Almanach (…) Quelle cause te vient esmouvoir de calumnier celuy qui ne faict ne dict mal à personne du monde (…) mais cet heretique ou plutost heresiarche n’entend pas cela & encore moins ce fol temeraire, cette grosse beste (..) O la grosse bestiasse (..) Donne toy garde d’oresnavant de mesdire etc’

Rappelons que ces Significations se polarisent sur l’an 1605 : « l’an 1605 que combien que le terme soit fort long , ce nonobstant les effects de cestuy ne seront gueres dissemblables à celuy d’icelle année comme plus amplement est déclaré à l’interprétation de la seconde centurie de mes Propheties »

Ces trois textes – l’Epitre à Henri II, les Significations et l’almanach pour 1565 nous semblent décalés par rapports aux enjeux prophétiques des années 1560, du moins au regard de la production nostradamique jusqu’à la mort de Nostradamus en 1566. .
En outre, la rédaction de l’almanach pour 1565 reprend de longs passages pris dans Albumasar, lequel est cité à plusieurs reprises. Si Nostradamus cite volontiers cet auteur, dans son almanach pour 1562, ce n’est pas dans de telles proportions. Rappelons qu’en ce qui concerne les Significations, sans jamais citer Leovitius, ce sont également de longs développements qui en sont repris. Or, pour nous, le plagiat est souvent concomitant de la contrefaçon.
C’est l’occasion de rappeler que dans la Préface à César, on reprend de larges extraits du Compendium Revelationum de Savonarole sans nommer l’auteur tout en empruntant au Livre de l’Estat et Mutation des Temps de Richard Roussat, sans le citer ni sans citer le Liber Rationum qui fait référence pour la théorie des régnes de 354 ans.
Or, nous pensons que Nostradamus ne rechignait pas à citer ses sources. Il le fait constamment dans les années 1560 pour Albumasar – le désignant volontiers tant en français qu’en latin comme le « Grand Albumazar » mais aussi pour le Centiloque ptolémaîque et pour « Haly », ce qui ne constitue d’ailleurs pas une grosse bibliothèque en soi mais pourrait se résumer à deux ou trois volumes latins parus à la fin du xVe ou au début du xVIe siècle
En fait, nous pensons que l’almanach pour 1565 (conservé à Pérouse) est une contrefaçon que nous n’avions pas encore signalée. Il est dédié à Charles IX (14 avril 1564) dont on a déjà une épitre pour l’an 1564.(conservée en italien). Il parait chez Benoist Odo, à Lyon, comme l’almanach pour 1567 alors que l’almanach pour 1566 était paru chez Antoine Volant et Pierre Brotot.[2] Dans l’almanach pour 1567, il est fait mention de l’an 1605 et de l’éclipse d’octobre.(cf la version italienne conservée à Cracovie, en ligne sur propheties.it), en phase avec l’Epitre à Henri II.
Les vignettes des almanachs pour 1565 et 1567 sont assez atypiques et sont «en extérieur » et non « en intérieur « . On ajoutera que les faussaires ont omis de placer un point- marquant l’ordinalité- après l’an 1565 : « Almanach pour l’an M. D. LXV » au lieu de « M.D.LXV. »
P. Guinard écrit [3]: « Je reste sceptique sur l'authenticité de ces publications, comme pour la plupart de celles qui subsistent et qui ont été imprimées sous son nom à partir de 1563. Le fait que Nostradamus ait pu changer d'éditeur à cette date pour ses publications annuelles n'implique pas que les quelques rares textes qui nous sont parvenus ne soient pas des contrefaçons. »
L’existence même de telles contrefaçons témoigne d’ailleurs de la nécessité de relativiser l’impact du canon centurique à la fin du xVIe siècle. Si de fausses éditions des quatrains des sept premières centuries, avec la préface à César, sont parues sous la Ligue, à partir du milieu des années 1580, la production de faux almanachs comportant un texte sensiblement plus explicite a du exister parallèlement, dont les centuries n’étaient finalement, au départ, qu’un prolongement, ce qui confère une plus grande vraisemblance au dispositif, les centuries ne constituant pas un ensemble se suffisant à lui-même, du moins pas avant que ne se mette en place une exégèse en prose. Rappelons aussi que le Janus Gallicus accorde la part la plus importante aux quatrains des almanachs, y compris ceux pour les années 1565 et 1567,.
On complétera donc le dit dispositif en place dans les années 1580 par la pièce maitresse de l’almanach pour 1565 idéalement en phase avec les enjeux de la décennie(cf supra), ce qui évidemment ne peut que souligner la complicité de Chavigny incluant le dit almanach au sein du Recueil des Présages Prosaïques[4]. On comprend mieux pourquoi en tête de son commentaire, Jean-Aimé de Chavigny affirmait que les almanachs ne valaient pas uniquement pour leur année de parution.
Selon nous, c’est un faux almanach et il semble que l’on ait retrouvé la trace de l’original[5]. En revanche, l’almanach pour 1567 (disparu en français), chez le même Odo, avec la même vignette, serait authentique et aurait pu servir de modèle. Le dit almanach pour 1567 ne comporte pas de développement sur les années 1580 comme le fait l’almanach pour 1565.
.Laisser croire que le nostradamisme de la fin du xVIe siècle s’articulait sur les seules centuries est un contresens anachronique et d’ailleurs la présence des deux épitres au sein du canon témoigne de l’importance de la prose...
En tant qu’historien du prophétisme, nous n’avons eu cesse de montrer, dans notre thèse d’Etat, l’ardente nécessité de fournir de nouvelles échéances, une fois que celles mises en avant antérieurement aient fait long feu..
L’almanach pour 1565 place Nostradamus comme un disciple d’Albumasar alors que la Préface à César ne cite aucun nom d’auteur alors même que ses emprunts sont flagrants. Nous pensons que l’on est en face d’un phénoméne assez proche de celui du Kalendriers des Bergers, à savoir que l’on présente faussement un ouvrage comme n’étant pas du à une certaine érudition, à des lectures mais étant le fait d’observations sur le terrain. On tend à faire basculer, dans les Centuries, le personnage de Nostradamus de l’astrologie savante vers l’astrologie populaire, plus marquée par une tradition orale qu’écrite, un personnage plus ou moins incapable de s’exprimer autrement que par le biais d’un discours éclaté, déconstruit. Face à un Nostradamus, lecteur de la littérature astrologique de son temps – comme il ressort de l’almanach pour 1565 - émerge un Nostradamus dont les épitres centuriques sont expurgés de toute référence explicite à une quelconque œuvre astrologique.

JHB
12. 01. 13

[1] (cf notre étude in RHR, 1990).
[2] Cf R. Benazra, RCN, pp. 65 et seq.
[3] CORPUS NOSTRADAMUS 55 –« Les vignettes de Nostradamus (avec près de 100 vignettes commentées, dont une quinzaine, inédites ou inconnues des nostradamologues) «
[4] Cf B. Chevignard. Pésages de Nostradamus. Paris, Seuil , 1999
[5] CORPUS NOSTRADAMUS 104 -- par Patrice Guinard « Nouveaux documents relatifs à l'Almanach pour l'an 1565 « cf Revue Française d'Histoire du Livre (Bordeaux, 2008 : cf. CN 102).
 
176 - Nostradamus, du Centiloque aux Centuries
Par Jacques Halbronn

Il est possible que Nostradamus ait utilisé le mot « Centurie » mais probablement en dehors du contexte prophétique qui sera celui qui sera par la suite associé à ce terme.
Si le mot « centurie » n’apparait qu’une fois, dans les Significations de l’éclipse de septembre 1559, que nous considérons comme une contrefaçon (cf nos études dans ce sens), en revanche, Nostradamus connait et pratique le Centiloque attribué à Ptolémée – débat sur lequel nous ne reviendrons pas ici.
Dans sa « préface » de l’Almanach pour 1562 – que l’on ne connait qu’en manuscrit (imprimé en 1906) et, sous forme imprimée, partiellement en italien- on lit « Selon la sentence de Ptolémée au 4. aphorisme de son Centiloque » (p. 12). D’autres mentions ou emprunts au Centiloque ont été signalés notamment par Pierre Brind’amour. Le concept de « centiloque » était, en tout état de cause, familier à Nostradamus, à savoir une succession numérotée d’aphorismes ou sentences. Etrangement, nous-mêmes, avant de nous intéresser aux Centuries, avons consacré un premier travail aux Remarques Astrologiques de Jean-Baptiste Morin sur le commentaire du Centiloque de Nicolas Bourdin (Paris, 1654 et 1657, reed 1975). On peut dire que centiloque et centurie sont synonymes, le mot centurie n’impliquant pas en soi le recours à une forme rimée (comme c’est le cas chez Guillaume de La Peyrière, publié par Macé Bonhomme, au début des années 1550).
Selon nous, un tel agencement devait initialement s’articuler sur une sorte d’index (indice) permettant à partir d’un mot d’être orienté vers un aphorisme. Cette « table » manque dans le Centiloque, paraissant sous le nom de Ptolémée, tel qu’il nous est parvenu comme elle manque dans les éditions des Centuries qui paraitront sous le nom de Nostradamus.
En revanche, dans la Première Face du Janus François (1594) édité par Jean-Aimé de Chavigny, on trouve un système de tables permettant de s’orienter, soit en partant d’un verset, soit d’un thème.
On peut dès lors se demander si la publication de « centuries » nostradamiques n’était pas, au départ, articulée sur de telles « tables » qui auraient par la suite disparu..
Nous avons d’ailleurs le cas d’Antoine Mizauld, médecin astrologue de Montluçon (étudié par Jean Dupèbe, dans sa thèse d’Etat, Paris X, 1999) qui publia des Centuriae memorabiliae accompagnées de tels outils.
On peut donc envisager que dans les manuscrits retrouvés à la mort de Michel de Nostredame, on ait pu trouver des « centuries », c'est-à-dire une certaine présentation rationnelle d’un corpus dès lors qu’un classement est proposé, selon un modèle qui fait penser aux concordances bibliques, d’où le classement par chapitres et versets. Rappelons aussi, dans le cours du XVIe siècle, les Centuries de Magdebourg qui recensaient toute une littérature depuis l’origine du christianisme.
Il est clair que le terme en lui-même ne comporte aucune connotation prophétique ni même astrologique si ce n’est que tant le Centiloque que les Centuries ont fini par être associés au domaine de l’astrologie, sans autre besoin de précision, à l’instar de la Tétrabible de Ptolémée d’ailleurs qui en soi n’indique aucune dimension astrologique et qui n’est certainement pas le titre complet d’origine de l’œuvre.(connue aussi comme Apotelesmatika, tout comme le Centiloque sous celui de Karpos, le fruit)..Le contenant prend ici le dessus sur le contenu, la forme sur le fond.
La première mention du mot Centurie au titre d’une édition des quatrains, est connue par une édition datée de 1588, parue à Rouen, chez Raphaël du Petit Val, Les Grandes et Merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus divisées en quatre centuries, ouvrage actuellement introuvable, sauf en sa page de titre. On notera que l’édition Macé Bonhomme 1555- qui est selon nous une contrefaçon- ne comporte pas en son titre une telle mention.
Or, selon nous, le recours à une présentation de type centurique était un atout pour l’ouvrage à condition bien entendu qu’y soient jointes des tables à l’instar, on l’a dit, du Janus Gallicus, ouvrage dont l’éditeur aurait pu avoir accès à une édition proprement « centurisée »..
Grâce à de telles tables, il devenait beaucoup plus aisé de guider le lecteur dans le dédale des quatrains. A contrario, sans ces tables, le lecteur est condamné à une certaine errance.
Certes, la forme du Centiloque ou de la Centurie convient au commentateur qui peut à loisir se référer à tel ou tel passage. Ce sera le cas par la suite, à partir du XVIIe siècle, comme pour le Petit Discours ou Commentaire sur les Centuries de Maistre Michel Nostradamus imprimées en l’année 1555, 1620. Mais force est de constater que pour ce qui est du XVIe siècle, hormis le cas particulier du Janus Gallicus, on ne connait que des éditions qui ne sont ni agrémentées de tables ou d’index ni de commentaires.
On sait qu’il y a un débat autour du Centiloque quant à son attribution à Ptolémée[1]. Le Centiloque serait le « fruit », c'est-à-dire un résumé d’un ensemble plus vaste. On pourrait être tenté de dire que par certains côtés les quatrains sont une sorte de résumé –ou plutôt d’extrait- de l’œuvre en prose de Nostradamus. C’est ainsi que pour en rester à l’almanach pour 1562, certains quatrains font, selon nous, écho, de façon explicite, à tel passage en prose de la « Préface » (censurée à l’impression), comme les deux versets qui comportent le nom de « macelin » (cf ed 1906, p. 31)...Les quatrains des almanachs de Nostradamus sont déjà caractérisés par un tel processus ou expédient.
Nous pensons d’ailleurs que dans le Centiloque, l’on trouve certaines informations qui manquent dans la Tétrabible, notamment en ce qui concerne les techniques prédictives. De même, certains quatrains centuriques pourraient recéler des éléments correspondant à des passages en prose qui n’auraient pas été conservés.
Récemment, nous avons regardé l’émission »L’ombre d’un doute » consacrée à Molière. Nous nous étions fait récemment l’écho, il y a quelques semaines de cette même émission à propos de Nostradamus dont nous déplorions le médiocre niveau. La comparaison entre les deux soirées, celle consacrées à Nostradamus et celle autour de Molière – deux de nos gloires nationales -est édifiante. On a fait pour Molière ce qu’on n’avait pas réussi pour Nostradamus.
L’ »Ombre d’un doute « quant à la paternité de Molière sur « son » œuvre a fait entendre des avis fort divergents alors que l’émission sur Nostradamus avait été beaucoup trop consensuelle. Rappelons que l’on nous avait contacté à cette occasion mais que l’on avait finalement préféré, pour quelque raison, ne pas nous laisser la parole ni même faire écho à mes thèses. Il est d’ailleurs probable que si l’émission sur Molière avait eu lieu en premier, cela se serait passé autrement.
Que retenir des arguments attribuant à Pierre Corneille une partie considérable de ce qui est de nos jours associé au nom de Jean-Baptiste Poquelin dit Molière ? On nous dit que ce n’est que sous la Révolution que Molière va disposer d’un statut d’auteur alors que de son vivant, il ne l’avait guère. Des recherches très poussées informatiquement ont comparé la langue des deux œuvres. D’aucuns soutiennent que Molière a pu intégrer dans son œuvre toutes sortes d’emprunts à Corneille dont, en tant que comédien, il connaissait nombre d’œuvres par cœur, sans que pour autant on puisse lui retirer la paternité de ses comédies (cf. ces deux émissions en replay)
Sur quoi avait porté l’émission concernant Nostradamus ? Sur le fait que certains quatrains étaient consacrés à des périodes antérieures à la vie d’auteur de Nostradamus. C’est notamment le dossier défendu par Roger Prevost (Ed. Laffont, 1999, cf ses interventions sur teleprovidence, enregistrées en 2000 et 2004)
Les centuries sont trop souvent lues sans confrontation avec les textes en prose, ce qui ne se limite aucunement à la Préface à César et à l’épitre à Henri II. Sur un autre plan, il en est de même du Zodiaque dont la symbolique ne saurait s’appréhender sans se référer à l’iconographie des mois de l’année ( comme pour les Très Riches Heures du Duc de Berry), le zodiaque étant en fait un résumé d’un tel corpus qu’il est imprudent de tenter d’appréhender isolément.
Le corpus nostradamique actuel fait donc doublement problème : d’une part en raison des éditions contrefaites et antidatées et de l’autre en raison des carences des dites éditions qui nous sont parvenues sans leur appareil.
En fait, le dossier Nostradamus nous renverrait plutôt à Blaise Pascal et à ses Pensées, œuvre posthume et reconstituée avec plus ou moins de bonheur à partir de notes laissées à sa mort. L’étude des épitres centuriques révéle en effet que ces deux textes ont été constitués de brouillons dépareillés mis bout à bout. Dans le cas de l’épitre au Roi, on a réuni deux chronologies, sans connection avec un quelconque systéme prévisionnel , comme l’un de ceux exposés dans le Livre de l’Estat et Mutation des Temps de Roussat, sans oublier les périodes de rétrogradation des cinq planétes – information sans grande importance- pour l’année 1606. C’est un fouillis.
Quant à la Préface à César, nos dernières recherches onyt fait également apparaitre des juxtapositions inconsistantes, ce qui vient s’ajouter au fait que l’on y ait intégré des pages du Compendium Revelationum de Savonarole, ce qui était déjà signalé de longue date. Nous avons récemment montré que les 177 ans qui figuraient dans la dite Préface étaient en fait 17 ans, c'est-à-dire le temps séparant la date de rédaction du traité de l’abbé Trithème sur les causes secondes, à savoir 1508, du début d’une nouvelle période (révolution anaragonique) de 354 ans, en 1525. Dans laPréface, l’auteur est donc censé écrire en 1508 ! Mais quelques lignes plus loin, le dit auteur déclare qu’on est à présent entré dans la période suivante – non plus celle de Mars mais celle de la Lune (l’ordre de succession est celui des jours de la semaine inversé, Mardi précéde Lundi). En outre, la première centurie signale que l’on est sous ce nouveau régne depuis 20 ans.(I,48), soit non plus 1508 mais 1545. Et à cela on ajoutera donc l’an 1555, qui est la date de rédaction mise en avant à la fin de la dite Préface, soit encore 10 plus tard..
L’atttribution à Nostradamus de ces épitres est donc spécieuse. Même si les notes utilisées sont de lui, elles ne forment aucunement un texte significatif alors même que l’on dispose d’épitres de sa plume, au sein de ses almanachs notamment (en particulier pour 1562 et 1567). Les quatrains de la première centurie sont, selon nous, eux-mêmes une versification de notes, formant des quatrains se suivant dans un ordre aléatoire. Un tel ensemble ne peut intéresser qu’un biographe.Si l’on ajoute le fait que l’on a produit des éditions antidatées faisant paraitre ces épitres dès 1555 pour la préface à César (et les 7 premières centuries) et dès 1568 (date posthume, poyr les centuries VIII à X), peu après 1566), pour l’épitre au roi, le moins que l’on puisse dire que cela justifiait un exposé d’une toute autre qualité que celui dont le public a été gratifié, dans le cadre de l’ »Ombre d’un doute » comme d’ailleurs dans « Secrets d’Histoire », il ya déjà quelque temps, pour ne parler que des prestations télévisuelles.. ..

JHB
22. 01. 13

[1] Etudes autour des éditions ptolémaïques de Nicolas de Bourdin (1640-1651), 1993
 
177 - Le cas Fontbrune révisité
(reprise d'un texte mis en ligne en 2008, à l'occasion du récent décés de Jean-Charles de Fontbrune, début 2012)
par Jacques Halbronn

En 2006, les Editions Privat - qui ont racheté Le Rocher- ont publié de Jean-Charles de Fontbrune, 1555-2025. 470 ans d'histoire prédits par Nostradamus. L'auteur y est présenté comme "le spécialiste incontesté en France et à l'étranger des écrits de Nostradamus". La formule ne saurait être admise à moins que l'on ne se fasse une idée très spéciale de sa signification et de sa portée.
Voilà donc 28 ans que Fontbrune a publié la première édition de son Nostradamus, historien et prophée, au Rocher, où paraitra, peu et après, et probablement dans la foulée, l'ouvrage de Daniel Ruzo, en 1982, Le Testament de Nostradamus. Mais en fait, le fils de Max de Fontbrune peut se targuer d'étudier la question depuis une quarantaine d'années. Quant à l'ouvrage paru en 2006, il ne fait le plus souvent que reprendre des éditions antérieures du même Jean-Charles de Fontbrune.
Etrangement, comme dans les Centuries, les coquilles se multiplient et ne sont pas corrigées d'une édition à l'autre comme si l'on n'avait pu demander à quelqu'un de toiletter par exemple la bibliographie curieusement désignée sous le nom de "ouvrages critiques" (pp. 532 et seq) : sous ce titre l'on retrouve en vrac - le seul ordre étant alphabétique - les publications les plus diverses de par leur ton comme de par leur époque de parution (supposée). Cette bibliographie contient péle méle ouvrages du XVIe et du XXe siècle et il nous a plu de nous y arrêter un moment tant pour signaler ce qu'on y trouve que ce qui ne s'y trouve pas.
En ce qui concerne les Centuries, Fontbrune junior ne gratifie son lecteur que d'un seul titre "Les prophéties" comme si toutes les éditions qu'il indique portaient toutes un tel titre.
Nous avions parlé de coquilles non corrigées, en voici quelques exemples: 1573 au lieu de 1563, pour un Almanach paru à Avignon. Charles Roger 1569 alors que c'est 1589, Pierre Meunier 1589 au lieu de Pierre Mesnier, Winckermans, 1657 au lieu de 1667, un Jean Ribon au lieu de Ribou, 1669, Pierre Abesson et Armand Solane au lieu de Pierre Abegou et Arnaud Lalane., 1689, Tout cela sur la seule page 549 qui contient, à elle seule, toute la liste des éditions de 1555 à 1792.... Au passage, on relévera un Olivier de Harsy, 1557, une édition fantôme, un Barbe Regnault de 1560, que Fontbrune serait bien en peine de nous montrer et un Pierre Rigaud qui aurait publié dès 1566 - et ce en dépit d'un consensus contre cette date - et aurait continué jusqu'en 1649!!! Fontbrune aurait aisément pu corriger en se servant des bibliographies de Benazra ou de Chomarat, mais il ne cite pas ces ouvrages parus en 1990 et 1989.
Parmi les auteurs qui ne figurent pas dans sa Bibliographie, la plus grande absence est probablement celle d'Antoine Crespin, dont il mentionne cependant un ouvrage qui ne comporte pas son nom au titre; Prophéties par l'astrologue du Très Chrestien Roy de France, Lyon, 1572. Fontbrune attribue carrément ce texte à Nostradamus,, puisque, apparemment,il n'a pas entendu parler des faux Nostradamus ou de ceux qui prétendent lui avoir succédé. Tout cela est classé sous le titre général de "Nostradamus Michel'. Fontbrune nous fait penser à ces faussaires de la fin du XVIe siècle qui,eux aussi, avaient rassemblé tout ce qui avait trait à Nostradamus, et ce indistinctement, ce qui les conduisit à faire du faux Nostradamus.....à partir de contrefaçons!
Etrangement, Fontbrune distingue deux Chavigny, dans sa bibliographie, l'un auteur des Pléiades et l'autre du Janus Gallicus, l'un étant prénommé A. et l'autre J.A. Dans bien des cas, les titres anciens sont tronqués comme pour cette Déclaration des abus, ignorances, séditions, 1558. Cela vaut aussi pour l'ouvrage de B. Chevignard dont le titre est fort raccourci.(1999) Mais surtout, la Première Invective du Seigneur Hercules le François; également de 1558, est adressée à Nostradamus alors que l'ouvrage comporte Monstradamus!
Bien entendu, Fontbrune ne prononcera tout au long de son pavé de plus de 500 pages ni notre nom, ni celui de Patrice Guinard , de Jean Dupébe, de Chantal Liaroutzos, et quant à Robert Amadou, il ne signale pas - donc n'a vraisemblablement pas lu, ses contributions principales.. Il est d'ailleurs des auteurs qui ont bénéficié d'un traitement de faveur, tel cet Edgar Leroy avec pas moins de 9 références.
En fait, Fontbrune n'apparait nullement à son aise en ce qui concerne la chronologie des éditions et l'on ne sera pas surpris qu'il s'en tienne à l'idée que Nostradamus aurait publié ses Centuries dès 1555, donc plus de dix ans avant sa mort, ce qui le fait commencer son commentaire du vivant de Michel de Nostredame...Son étude de la seconde moitié du XVIe siècle serait d'un certain intéret si Fontbrune reconnaissait que les Centuries sont parues à la fin du dit siècle et donc ont eu tout le temps de prendre en compte et de se faire l'écho, à l'instar de chroniques versifiées - genre bien représenté-d'événements s'étant produits durant ces décennies.
C'est donc avec un grand intérêt que nous étudierons comment Fontbrune au lieu de prouver que Nostradamus est prophéte déjà pour le XVIe siècle parvient, en réalité, à nous expliquer, involontairement, comment les rédacteurs des Centuries ont été puiser leur inspiration dans l'actualité de l'époque tout autant que dans la Guide des Voyages de Charles Estienne (1986) dont Fontbrune n'a pas connaissance de
l'apport, ce qui ressort notamment de son interprétation de IX, 86, quatrain auquel nous avons accordé une importance extréme pour la datation des éditions centuriques le comportant. Rappelons que les éditions de la Ligue ne comprennent pas les centuries VIII, IX et x. (cf nos Estudes Nostradamiennes, in Grande Conjonction.org)
Accordons, en tout cas, le mérite à Fontbrune d'avoir mis en évidence- et ce dès ses premières éditions- la portée de ce quatrain, en dépit du fait que ses prédécesseurs ne s'y soient pas atardés, ce qui est dommage car l'on aurait pu parvenir plus tôt à nos conclusions. On peut aussi regretter que les nostradamologues n'aient pas davantage réfléchi sur les implications découlant du rapprochement entre IX 89 et les années 1593-1594 qui sont celles où parait le Janus Gallicus, le premier commentaire- certes partiel - de l'ensemble des 10 Centuries. Cependant, ignorant les emprunts à Charles Estienne et à la Guide, Fontbrune ne remarque pas que les noms de lieux qui truffent le dit quatrain comme d'ailleurs le suivant (87) impliquent une première mouture avec non pas Chartres mais Chastres. Dès lors, Fontbrune ne se donne pas les moyens, faute de repére, de relever une retouche du quatrain en l'honneur du couronnement du roi
de Navarre à Chartres. D'ailleurs, Fontbrune associe X, 18 à cette même période :'Le grand Lorrain fera place à Vendôme". Il ne se rend pas compte que nous avons affaire à deux séries de centuries, les unes mises au service de la Ligue- Guise-Lorraine (I-VII) et les autres à celui de Navarre-Bourbon-Vendôme-Mendosus (VIII-X): En fait, le quatrain IX 86 ne faisait que répliquer au quatrain IV, 86 qui annonce lui un couronnement à Reims, avec la bénédiction de la Ligue d'un autre candidat.
Il semble, cependant, que Fontbrune atteigne des sommets de crédulité, quand il relie le sixain 52 à la Saint Barthélémy(p. 72); :
La grand Cité qui n'a pain qu'à demy
Encore un coup de la Sainct Barthelemy..."
On touche là le fond du probléme, à savoir celui des versets écrits après coup, post eventum! La plupart des nostradamologues ont rejeté les sixains comme ayant été rédigé au XVIIe siècle et nous avons montré ce qu'ils devaient à un Morgard (voir aussi son "disciple" François Rabin, également auteur de centuries, BNF). Pour Fontbrune, vraisemblablement, les éditions comportant les dits sixains sont bien de 1568, date à laquelle elles se référent, et ce en dépit de l'êpitre à Henri IV, datée de 1605, laquelle, il est vrai, prétend avoir retrouvé des textes de Nostradamus longtemps restés cachés...
Fontbrune accorde de la place au quatrain I, 35 (pp. 60-61) sous le titre "la mort d'Henri II".: Le Lyon jeune le vieux surmontera etc". A vrai dire, le débat ne revêt qu'une importance toute relative dès lors que les éditions prétendument antérieures à 1559 sont, comme nous le pensons, antidatées. Nous ferons remarquer qu'il est en effet probable que le quatrain ait visé cet événement,sinon dès sa conception, du moinsau prix de quelques retouches. En effet, le troisième verset comporte 'cage d'or" et dans cette expression l'on trouve, inversé, (ge-or) "Orge" qui est le nom de Montgomery, celui qui frappa mortellement le roi en tournoi :Gabriel de Lorges, comte de Montgomery. Cette observation contribue, paradoxalement, à rendre ce quatrain suspect de par ce luxe de détail notamment en ce qui concerne les patronimes. Que l'on songe à Robin pour Biron dans les sixains ou aux anagrammes de Mazarin, sous la Fronde sans parler de ceux
utilisés pour les Lorrains....
L'idée de Centuries d'un seul tenant, d'une seule époque, d'une seule inspiration doit être abandonnée. Cela ne signifie pas que les Centuries n'aient pas d'intérêt mais il faut attendre longtemps avant de passer le cap des quatrains écrits ou retouchés après coup et d'ouvrir l'ère des commentaires d'un texte devenu immuable. D'une façon générale, le "canon" nostradamique ne fait foi, d'un point de vue prophétique, que pour les événements postérieurs à la Fronde, soit le milieu du XVIIe siècle. Ce qui laisse quand même trois siècles et demi de marge jusqu'à nos jours. Avant cette date, l'affaire est dans les mains du club fermé de spécialistes dont M. de Fontbrune ne fait pas partie.

JH
30 12. 08
 
 
178 - Nostradamus et Eliphas Lévi, l’année 1879 et les errements de Torné.
Par Jacques Halbronn

Dans les années 1860, l’échéance de l’an 1879 circule assez largement. On la trouve (pp. 327 et seq) en 1861 dans le tome II du Dogme et Rituel de la Haute Magie d’Eliphas Lévi (qui meurt en 1875). Lévi (alias Adoplphe Constant) cite l’ouvrage de Trithème : « Ses calculs rigoureux le conduisent jusqu’au mois de novembre de l’année 1879, époque du régne de Michael et de la fondation d’un nouveau royaume universel. Ce royaume aura été préparé par trois siècles et demi d’angoisses et trois siècles et demi d’espérances (..) Nous voyons donc, d’après ce calcul, qu’en 1879 ; c'est-à-dire dans 24 ans, un empire universel sera fondé et donnera la paix au monde (…) Il durera 354 ans et 4 mois puis reviendra le régne d’Orifiel ; c'est-à-dire une époque de silence et de nuit » (…) Tous les peuples du monde reconnaitront et suivront dans 24 ans l’étendard de la France victorieuse toujours ou miraculeusement ressuscitée. Telle est la prophétie de Trithème, confirmée par toutes nos prévisions et appuyée par tous nos vœux » (p 331)
A la même époque, l’abbé Torné Chavigny publie un important travail sur Nostradamus, signale certains emprunts à Leovitius
(cf en 1879, sa lettre à Raoul de Tricqueville, concernant les Significations de l’Eclipse de septembre 1559[1]) mais ne prend pas la mesure de l’influence de Trithème sur la Préface à César (cf infra). La jonction entre Eliphas Lévi et Nostradamus ne s’opérera pas et cela pour la simple raison que l’an 1879 ne figure pas dans la Préface à César en aucune édition. Mais cela tient aussi, on va le voir, au fait que Torné-Chavigny, à force de chercher des sources au texte nostradamique est parti sur une fausse piste qui a pour nom Roussat, entrainant dans son sillage pour un siècle et demi des générations de nostradamologues.
Nous avons récemment montré que la Préface à César, se calquant, ce faisant, sur le Traité des Causes Secondes de Trithème (1508), paru juste après la parution d’une édition du Liber Rationum d’Abraham Ibn Ezra, avait fixé le champ de son étude à l’an 1879, soit 354 ans après 1525, date censée être, selon la chronologie du monde considérée ; le début d’un nouvel Age.[2]
L’auteur de la Préface annonce qu’il a réalisé des vaticinations perpétuelles jusqu’à la fin de l’âge de la lune commencé en 1525.
Reprenons brièvement ce passage fortement corrompu de la Préface. On y lit 177 ans alors qu’il est écrit au départ 17 ans (depuis 1508). On y lit 3797 alors qu’il est indiqué en fait 1879, le 9 et le 7 ayant notamment permuté.
L’auteur annonce qu’il a « composé livres de prophéties contenant chascun cent quatrains astronomiques de propheties (…) & sont perpétuelles vaticinations pour d’icy à l’an [1879] ». Le parallèle avec le texte de Trithème ne laisse guère de doute sur la bonne « leçon ».
Or, ce terme de 1879, qui intéressera un Eliphas Lévi, est totalement absent de l’exégèse nostradamique, d’autant que cela interdirait celle-ci pour le XXe siècle. Nous avons rencontré le même phénoméne pour la prophétie de saint Malachie sur les papes (cf notre ouvrage Papes et Prophéties, Ed Axiome, 2005) où l’on a tenté de proroger l’échéance initialement avancée, en recourant à certains stratagèmes.
Mais on notera, par ailleurs, que le texte annonce des « prophéties perpétuelles » couvrant plus de 300 ans, si l’on admet que la rédaction supposée se situe dans les années 1550 voire dans les années 1540.
Est- ce que les quatrains centuriques correspondent à ces « vaticinations perpétuelles » censées baliser le temps jusqu’en 1879 ? On ignore tout du mode de balisage si ce n’est que l’on peut raisonnablement supposer une division en 7 du cycle de 354 ans (inspiré du cycle lunaire de 354 jours et donc à caractère saturnien, un jour de la lune correspondant à un an de Saturne), 354 ans correspondant environ à 12 révolutions sidérales de Saturne. On peut donc supposer 12 sous périodes de 28 ans, chacune associée à un signe zodiacal. D’où un passage de la préface « Car encores que la planète de Mars parachève son siecle (cycle) (..) mais assemblés les uns en Aquarius par plusieurs années, les autres en Cancer par plus longues & continues. Et maintenant que sommes conduicts par la lune etc » à moins de diviser les 354 ans en 7, ce qui donnerait une cinquantaine d’années par phase (7x7).
Après 1879, nous sommes entrés dans un nouvel âge, celui du Soleil.- l’ordre étant inversé par rapport à celui des jours de la semaine mais la Préface à César se limite à l’âge de la Lune.
Il convient évidemment de prendre le terme « perpétuel » au sens d’une cyclicité récurrente et répétitive.
Ce qui est clair, c’est que les éditions réputées les plus anciennes de la Préface à César, censées parues dans les années 1550-1560 comportent les mêmes corruptions : 177 au lieu de 17, 3797 au lieu de 1879. Notons que le bref texte de Trithème (on pense à l’édition de 1545, BNF) donne des chiffres arabes et non romains, ce qui rend encore plus vraisemblable le passage de 17 à 177.
Rappelons que les éditions parisiennes de la Ligue comportent 3767[3] et que nous avons une version brève (chez A. Besson, c 1691, en ligne sur propheties.it) qui donne 1767.
« j’ay composé livres de prophéties (…) contenant chacun cent quatrains astronomiques qui enveloppent perpétuelles vaticinations pour d’icy es années 1767 »./ Mais cette version ne mentionne pas autrement la théorie trithémienne des règnes planétaires à la différence des autres versions qui lui empruntent sensiblement plus, à commencer par la mention de 17(7) années. Mais aucune version ne donne le nombre de 354 ans ni la série complète de la succession des planétes.
Il est très intéressant de disposer des sources surtout quand il semble qu’elles ont été reproduites au départ littéralement et n’ont été modifiées que par la suite, par inadvertance, comme dans la préface à César ou délibérément comme dans le quatrain IX, 86 où le texte de la Guide des Chemins de France de Charles Estienne, qui comporte la ville de Chastres est corrigé en Chartres, en raison du sacre d’Henri IV de 1594. Ces changements permettent de dater les documents concernés par de telles retouches, tout comme IV 46 pour le premier volet, dont un des quatrains remplacés évoque les événements des années 1588-1589, » quand Henri III quitte Paris, à la suite des Barricades. « Garde toi Tours de ta proche ruyne »..
A l’approche de 1879, on annonce un nouvel âge,, le » Royaume Universel », celui de l’ange Michaël, c'est-à-dire du soleil, qui fait suite à 3 siècles et demi du règne de la Lune mais Nostradamus n’est pas de la partie alors que tant d’éléments soulignent l’influence de Trithème sur la Préface à César et sur un certain nombre de quatrains. Ce nouvel âge va donc durer 354 ans, jusqu’à l’an 2233.
Il semble que les théosophes aient mal transmis le propos trithémien. Ils font autour de 1880 succéder l’âge du soleil à celui de Mars alors qu’entre les deux, il y a l’âge de la Lune.[4], tout comme le Lundi sépare le Mardi du Dimanche.
Parmi ceux qui ont été marqué par une telle échéance, signalons le cas de Léon Bloy[5]. Il semble que l’on ne puisse comprendre la seconde moitié du XIXe siècle sans cette perspective de 1879 qui influera notamment sur la littérature symboliste.[6]. Rudolf Steiner attachera une grande importance à cette année liée à l’avénement de l’Archange Michaël[7].
Cette coquille de la Préface à César qui fixe une échéance totalement inconcevable et décalée, n’aura donc jamais été corrigée, ce qui dénote une certaine incurie critique des études nostradamistes et c’est cette année totalement déconnectée de 3797 qui se perpétuera indéfiniment, y compris en pleine résurgence du trithémisme..
Le paralléle entre Eliphas Lévi et Trithème est assez remarquable, à trois siècles et demi de distance. En 1855 (un an avant la sortie de la première édition du Dogme et Rituel, chez G. Baillère), l’esotériste français annonce que le prochain bouleversement est dans 24 ans tout comme en 1508, l’ésotériste allemand se donnait encore 17 ans avant la prochaine échéance.
Torné Chavigny avait eu raison en 1872 (Nostradamus et l’Astrologie)
de rapprocher la Préface à César d’une pièce de la partie latine du Mirabilis Liber – il le note lui-même avec la date de 1522- consistant dans le Compendium Revelationum de Savonarole. En revanche, son autre piste est une impasse, lorsqu’il se référe au Livre de l’Estat et Mutation des Temps de Richard Roussat, dont il note qu’il parait 5 ans avant la Préface à César. Certes, on trouve dans le recueil de Roussat (repris de Turrel) des éléments qui correspondent au contenu de la Préface mais ce n’est pas pour autant la source directe de la dite Préface comme il nous sera aisé de le démontrer.
En effet, Roussat ne fixe pas les mêmes échéances que Trithème. Ses sources sont autres et le calendrier différe de quelques années, ce qui décale tout, tant et si bien que l’abbé Torné ne se fixe pas sur l’année 1879 comme Eliphas Lévi mais sur la décennie suivante, à savoir la fin des années 1880..Dès lors, il était bien dans l’incapacité de corriger 177 en 17, le 17 ne figurant que chez Trithème, à partir de l’an 1508 et en vue de l’an 1525,deux dates qui n’ont pas droit de cité chez Roussat/.
Torné mentionne le texte de Roussat « Dès ceste année cy 1548 Mars a fini sa menée et gouvernement il y a 13 ans et 8 moys ou 15 ans et 8 moys ». Ce qui nous fait un changement de régne planétaire, non pas en 1525 mais en 1535.
Le texte complet du Livre de l’Estat et Mutation des Temps » est tel :
« des ceste année cy ; mil cinq cens quarante huict, selon Jaques de Bourgongne & d’autres, Mars a finy sa menée & gouvernement il y a treize ans & huict moys & selon Eusebe Césarien (…) en son livre De temporibus il y a quinze ans & huict moys dont au temps de présent (..) la Lune gouverne & meine le Monde avec l’Ange Gabriel, c'est-à-dire Puissance de Dieu » (p. 95). On a une fourchette chez Roussat entre 13 ans et 15 ans, en amont, donc 1533/1535. Si l’on ajoute 354, cela donne 1887-1889 et ce sont bien ces années là que Torné annonce comme marquant le passage du règné de la Lune à celui du Soleil.
« Nostradamus a copié plusieurs endroits de ce livre d’Astrologie (…) Le Soleil ne peut régner avant que la Lune ait achevé son régne en 1887 ou 1889 », précise ainsi l’abbé Torné..
Etrangement, Torné s’intéresse à la prédiction de Roussat et non pas au texte de Nostradamus. Par une sorte de tour de passe passe, il se sert de Roussat pour faire prophétiser Nostradamus. Puisque la Préface à César se référe, selon lui, au Livre de l’Estat et Mutation des Temps, l’on peut supposer, selon lui, que ce qu’annonce Roussat correspond à ce que pense Nostradamus !

A aucun moment, Torné n’a confronté le texte de Trithème avec celui de la Préface, ce qui ne lui aura pas permis d’en corriger le texte. Il se retrouve encombré de ces 177 ans, dont il ne perçoit pas la raison d’etre et qu’il n’a d’autre issue que d’y voir quelque annonce prophétique se suffisant à elle-même et renvoyant,à toutes fins utiles, à l’année 1732 (1555 + 177).
Nous verrons dans un prochain texte comment Torné Chavigny présente le dossier Nostradamus et quelle influence cela a exercé sur la recherche nostradamologique du XXe siècle..

A propos du cycle de Trithème, il convient de signaler une variante qui apparait à la fin du XIXe siecle qui se prétend être une correction nécessaire du systéme exposé en 1508 de la succession des âges de 354 ans ( (‘A key to the Work of Abbot Trithemius entitled « The Secondaries or Ruling Intelligences Who After Gate Rule the Universe
In The Hermeric Brotherhood of Luxor. Initiatic and Historical Documents of an Order of Practiacl Occultism, 1995, dossier realise par C Channel et al pp. 169 et seq)[8]
Le systéme exposé dans l’HBL se référe à la précession des équinoxes (25920 ans)/ Si l’on divise chaque ère de 2160 ans en 7 périodes, on arrive à 308 ans et 208 jours. Mais même l’ordre des âges planétaires n’est pas le même. Au lieu de la série correspondant à l’inverse des jours de la semaine, on a une série qui suit l’ordre astronomique, avec le Soleil au centre, entre Mars et Vénus. Cettte école situe l’entrée dans l’âge solaire à l’an 1881, soit à deux ans seulement de l’autre systéme qui donne 1879. Par ailleurs, les auteurs indiquent que l’entrée du point vernal dans le Verseau serait fixé par les astronomes à 1897 (p. 171). La fin du XIXe siècle était donc désignée dès le début du XVIe siècle comme une échéance majeure. On pourrait y voir, entre autres, un élément qui aura influé sur les tentatives de restaurer une présence juive en Palestine, notamment sous le nom de sionisme. Bien entendu, passé ce cap, on se concentra sur une nouvelle échéance, celle de la fin du XXe siècle, tout comme précédemment, la fin du XVIIIe siècle avait occupé les esprits, notamment du fait de Pierre d’Ailly qui, dès 1414, avait avancé l’an 1789. Quand à l’Epitre à Henri II, elle véhiculait l’an 1792, probablement sous l’influence du Livre de l’Estat et Mutation des Temps de Richard Roussat alors que la Préfacé à César est, quant à elle, marquée directement par la lecture de Trithème, ce qui tendrait à montrer que les deux épitres ont été composés par des auteurs différents..
Voilà donc trois dates cruciales qui se recoupent, selon des systémes différents sur moins de vingt ans.
On notera que cette tendance de la cyclologie à opter pour des périodes longues nous semble venir de l’Orient. Déjà au Xe siècle, Albumasar avait mis en place un systéme de plus de 9 siècles, articulé sur les conjonctions Jupiter-Saturne. Mais l’on sait que le monde arabo-musulman communiquait avec la Perse et l’Inde, notamment du fait des écrits d’Albiruni. Au XVIIIe siècle, la fréquentation de l’Inde, notamment par les Anglais, correspond à l’émergence de la théorie des ères précessionnelles de 2160 ans.

JHB
26 01 13

[1] Lettre reproduite dans l e fac simile de 1904, par les soins d’Henri Douchet
[2] Cf Le texte prophétique en France, Ed du Septentrion (Google books)
[3] Cf Benazra, RCN, p. 118
[4] The Hermetic Brotherhood of Luxor, par J. Godwin, C. Channel, P. Deveney, , Ed Samuel Weiser, 1995, Pp. 166-167. Cette version est reprise par J. Godwin, in Atlantis and the cycles of time, 2010
[5] R. Barbeau, Un prophete luciférien, Léon Bloy, Ed Montaigne, 1957, p. 22
[6] Cf Alain Mercier, Le symbolisme français, 1969, Gustave Moreau’s La Vie de l’Humanité, Madison 1986
[7] Voir aussi Oswald Wirth dans la revue Le Symbolisme
[8] Cf Jonathan Black, L’Histoire secréte du monde. Ed J’ai Lu, pp. 551-552 sur la fourchette 1878-1881 et l’impact chez les Francs- maçons.
 
179 - Torné Chavigny et la présentation du dossier Nostradamus
Par Jacques Halbronn

Dans son Calendrier pour l’année 1879 (BNF 8° Lc22 587 (A), Torné Chavigny s’était mis en tête à faire le point sur le cas Nostradamus. Il demandait : « Oui ou non Nostradamus a –t il existé ?. Les Centuries publiées sous son nom sont elles authentiques : y trouve-t-on selon les déclarations de l’auteur le passé ‘tout au long, limitant les lieux et temps » ?. Leur interprétation publiée de 1860 à 1872 annonçait –elle tout ce qui s’accomplit depuis 1860. ? »
Un des arguments (sans appel) que l’abbé- dont la branche maternelle est Chavigny- met en avant est celui des éditions dont on dispose. Ci-dessous le corps du dossier constitué par Torné-Chavigny, il y a un siècle et demi :
« Toute objection tombe quand il s’agit de l’authenticité des Centuries. On a encore aujourd’hui des exemplaires de la première édition, dont le titre est « Les prophéties de M. Michel Nostradamus Lyon, chez Macé Bonhomme ; MDLV/ On lit à la dernière page « Ce présent livre a été achevé d’imprimer le IIIIe jour de may %DLV »/ M/ A/ Claudin , libraire, rue Guénégaud ; 3, vient de vendre un exemplaire de cette édition, Je l’ai eu en main il y a quelques mois et je me suis assuré que M/ Eug. Bareste avait comme il le dit réimprimé les 4 premières Centuries en 1840, d’après un exemplaire de cette édition que M. James lui avait confié (…) M. l’abbé Rigaux, curé d’Argoeuves posséde un exemplaire d’une autre édition, la seconde sans doute dont voici le titre « Les prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y a en a (sic) trois cens qui n’ont encores esté iamais esté imprimées, à Lyon, ches Antoine du Rosne, 1557 etc (…) Répétons-le, nous possédons des exemplaires des éditions que Nostradamus a fait imprimer lui-même, les complétant à diverses reprises de 1555 à 1558, des années avant sa mort alors qu’il était dans la force de l’âge te la plénitude de son jugement. Il n’a rien changé au texte durant les huit années qui s’écoulèrent depuis la publication des dix centuries jusqu’à sa mort (…) Personne n’a dit et personne ne pourra jamais dire que les Centuries publiées sous le nom de Nostradamus ne sont pas authentiques » (p ; 12)
Torné ajoute :
« La lettre à César a été suivie immédiatement de la publication des premières centuries ; la lettre à Henri II a été aussi suivie immédiatement de la publication des dernières Centuries. Il en existe une sans date sous ce titre « Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encore jamais esté imprimées. A Lyon, chez Pierre Rigaud, rue Mercière au coing de la rue Ferrandière/ Avec permission. Elle a été rééditée par le meme éditeur aussitôt la mort du Prophete avec ces mots dans le titre « Imprimées par les soins du Fr. Jean Vallier du couvent de Salon des Mineurs de Saint François, 1566. Avec permission » C’est cette édition que j’ai reproduite textuellement en 1862 dans ma Réédition des Centuries (…) Ce livre (..) a donc le texte le plus authentique qui fut jamais ».
Que valent de nos jours, en 2013, de telles « données » supposées décisives dans les années 1870 ? Il y a encore une vingtaine d’années, on aurait pu dire que c’était bien là une pierre de touche de tout l’édifice nostradamique. Mais de nos jours, on se met à sourire face à une telle candeur comme si le milieu nostradamologique s’était entre temps déniaisé. Encore, dans les années 80 et au début des années 90 du siècle dernier, la réédition lyonnaise de certaines publications justement mentionnées par Torné Chavigny semblait faire écho aux déclarations du Calendrier pour 1879. Oui, on avait retrouvé l’édition Macé Bonhomme 1555 et aussi l’édition Antoine du Rosne 1557. Et après ?
Là où la plupart des chercheurs ne suivraient pas l’abbé, c’est autour des éditions Pierre Rigaud. L’abbé n’hésite pas à placer en 1558 une édition Pierre Rigaud non datée, que l’on s’accorde à situer tout à la fin du siècle pour la simple et unique raison que le dit Pierre Rigaud n’exerça pas avant cette période. Torné place l’édition Pierre Rigaud datée de 1566 à la suite de l’édition Pierre Rigaud non datée et le tour est joué. Etrangement, il ne mentionne pas dans son dossier l’édition Benoist Rigaud 1568 et s’en tient à la thèse d’une parution du second volet immédiatement après la date de l’épitre à Henri II, soit en 1558.
Mais comment Torné Chavigny peut-il se tromper de dix ans à propos de l’ouvrage piloté par Jean-Aimé de Chavigny ( p. 13) : « Chavigny le premier en date publia en 1604 ( sic) La Première Face du Janus François » ?
Rappelons que Torné a un comportement assez ambigu dans la mesure où il signale complaisamment tout ce que Nostradamus, selon lui, aurait emprunté, dans ses textes en prose, à des auteurs comme Richard Roussat, Savonarole ou Leovitius (cf nos récentes études à ce sujet). Il ne craint pas de signaler certaines incongruités de l’Epitre à Henri II ( p. 32). Nostradamus
« donne (…) une calculation d’après laquelle JC serait né l’an 4757 et plus loin dans la même lettre une autre calculation d’après laquelle il serait né l’an 4173 si l’on s’en tient à l’addition qu’il a fait des diverses époques mais en l’an 4092 si l’on rectifie cette addition qui est fausse«

L’abbé a le mérite (dans Nostradamus et l’Astrologie, 1872) de signaler et de reproduire des passages issus d’autres textes que les épitres « centuriques », comme la Prophétie Merveilleuse, Paris (c 1568), Nyverd, ou la Pronostication pour 1555, dont il rappelle qu’elle est de peu antérieure à la Préface à César. Pour Torné, il semble que Nostradamus subvertisse l’Astrologie au profit de la prophétie. Il ne se demande pas si les textes attribués à Nostradamus et aussi bizarrement constitués, sont bien de Nostradamus, ce qui éviterait d’en faire un plagiaire éhonté. Il souligne le fait que le texte reste quasiment inchangé d’une édition à l’autre, en dehors évidemment des additions mais cela aurait pu tout aussi bien l’alerter en ce que cela peut laisser soupçonner précisément un processus d’antidatation qui conduit souvent à ce que les éditions les plus anciennes ressemblent un peu trop aux éditions les plus tardives, alors que certains « archaïsmes » insolites marquent les éditions intermédiaires, en l’occurrence celles parues sous la Ligue. Pourquoi ainsi sous la Ligue ne publie-t-on plus que les « premières centuries » et la seule Préface à César semblant tout ignorer de l’épitre à Henri II et des « dernières » centuries ? Pourquoi aucune édition des Centuries ne porte la date des années 1570 ? Pourquoi les vignettes des éditions 1555 et 1557 diffèrent-elles de celle de la Pronostication pour 1555 que Torné décrit, on l’a vu, par ailleurs ?
Le but de Torné est le suivant : réhabiliter la mémoire de Nostradamus : « on le regarde depuis trois cents ans, comme un imposteur ».
Mais quels documents Torné Chavigny apporte-t-il en dehors des éditions des Centuries ? Cela fait belle lurette, depuis le début des années 90 du XXe siècle, que les nostradamologues sont partis en quête de témoignages permettant des recoupements et sont d’ailleurs rentrés bredouille.
Ce n’est pas tant Nostradamus qui se fait taxer d’imposteur que tout un milieu qui l’instrumentalise de son vivant mais surtout depuis sa mort et qui est tout à fait capable tant moralement que techniquement de produire des faux, notamment grâce à une certaine expertise de la production du temps de Nostradamus.
Torné réalise pour les textes en prose de Nostradamus – les épitres centuriques et les Significations de l’Eclipse qui se présentent aussi comme une épitre, datée d’ailleurs de 1558 comme l’Epitre à Henri II.- ce que d’autres chercheurs effectueront au XXe siècle pour toute une série de quatrains à l’instar d’une Chantal Liaroutzos à propos de la Guide des Chemins de France de Charles Estienne qui se retrouvent dans les dernières centuries. D’ailleurs, nombre de quatrains font écho à certaines épitres.
Mais quelle image de Nostradamus de telles observations véhiculent ? On a l’impression d’une œuvre créée de toutes pièces et qui ne serait précisément pas l’œuvre « authentique » d’un auteur précis. Torné Chavigny pressent l’objection et cela doit constituer pour lui un dilemme commun à bien des nostradamologues : à mesure que leurs travaux avancent, ils aboutissent à une déconstruction de Nostradamus, à la mise en évidence d’une certaine inconsistance. Torné Chavigny en est quitte pour laisser entendre que Nostradamus cherche à casser son image, en commettant un plagiat pour « réduire à néant l’astrologie » lorsque celui-ci sera découvert (Lettre de 1879 à Raoul de Triqueville, placée en tête d’une reproduction des Significations de l’éclipse[1]). L’idée d’un Nostradamus rejetant l’Astrologie est une contrevérité. Jusqu’à la fin de sa vie, en réalité, Nostradamus a basé son travail sur des données astronomiques précises, et notamment sur l’éclipse de 1567.
Torné Chavigny n’a pas compris que les épitres centuriques n’étaient que des fragments mis bout à bout – pourtant il signale la double chronologie de l’épitre à Henri II. Mais dans la préface à César, l’on trouve des éléments visiblement rédigés à des périodes différentes et qui sont juxtaposés, notamment en ce qui concerne les règnes planétaires. Tantôt, le texte annonce un prochain âge, tantôt, il déclare que l’on est déjà dans un nouvel âge.
. En fait, avec Torné, l’idée d’un Nostradamus astrologue est bafouée et à partir de là, il n’est plus besoin de rechercher une quelconque cohérence du propos, ce qui interdit toute approche critique du texte. Le prophète n’a pas un devoir de clarté. Les voies qu’il emprunte sont censées être mystérieuses. Ce faisant, Torné se condamne à l’impuissance et son seul recours, c’est de signaler des emprunts et des plagiats non pas pour restituer du sens au texte mais au contraire pour laisser entendre que Nostradamus se veut étranger à tout discours intelligible, comme si Torné voulait enfermer Nostradamus dans un délire prophétique. Ce courant anti-astrologique marquera une grande partie du nostradamisme du XXe siècle et contribuera au piétinement de la critique nostradamique.

JHB
26. 01.13

[1] Reproduite in B. Chevignard. Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, 1999
 
180 - La fortune posthume de Michel de Nostredame et de Jean-Baptiste Morin de Villefranche
Par Jacques Halbronn

Il est rare que l’on publie des biographies d’astrologues. Les deux plus connues, en France, sont celles de Michel de Nostredame , de Saint Rémy de Provence(1503-1566) et de Jean-Baptiste Morin, de Villefranche en Beaujolais.(1583-1656). Leurs portraits respectifs figurent dans leurs éditions et œuvres posthumes.
On pourrait parler de « vies parallèles », à la façon d’un Plutarque. Tous deux auront connu une certaine carrière posthume. Nous ne connaissons pas cependant de référence de Morin à Nostradamus. En revanche, il nous semble que la biographie de Morin a pu suivre l’exemple de celle de Nostradamus. On y indique, dans les deux cas, le profil familial du père et de la mère. Jean Baptiste est ainsi l’enfant, nous apprend-on, de Pierre Morin et d’ Anne de Monceaux.
La mort joue par ailleurs pour les deux hommes un rôle majeur puisque c’est alors que se construit leur postérité.
On le sait abondamment pour Nostradamus. Son testament laisse entendre qu’il laisse derrière lui divers textes, ce qui n’est pas sans faire songer au cas d’un Blaise Pascal dont les notes seront classées et arrangées sous le nom de Pensées. Quant à Morin, quand il meurt son œuvre majeure n’est imprimée qu’à moitié, comme le note son biographe, à savoir les 14 premiers « livres » de son Astrologia Gallica. On ignore si ce premier volet a circulé. Pour notre part, nous penchons plutôt pour un premier volet de 13 livres totalisant 300 pages exactement, suivi de tableaux annexes (reproduits dans notre édition des Remarques Astrologiques de 1654, Paris, 1975) . Tabula de Dominio Universali Planetarum. De même, dès 1660, et donc avant l’édition de La Haye de 1661, était parue une biographie de Nostradamus dont on retrouve la traduction latine en tête de l’Astrologia Gallica : La Vie de Maistre Jean Baptiste Morin Paris, Jean Henault (Bib. Arsenal, 8° S 14127). La biographie française comporte une annexe, truffée de cartes du ciel, qui nous semble avoir été reprise dans l’Astrologia Gallica tout en l’attribuant à Morin, intitulée « Reflections astronomiques sur la vie de Monsieur Morin » (pp. 126 et seq), le texte latin ayant été traduit par Jean Hieroz en 1943 sous le titre « Ma vie devant les astres ». (Nice, Ed. Des Cahiers Astrologiques)
L’Astrologia Gallica est introduite par un certain G. Y.D. G.V. qui signe aussi l’épitre à la reine de Pologne.
Or, dans les années 1660, on trouvait souvent une Vie de Nostradamus dans les éditions des centuries. Dans les deux cas de nos deux auteurs, la biographie se termine par une épitaphe en latin.
L’élément biographique chez Nostradamus est connu mais on ne connait rien biographiquement le concernant avant 1594, ce qui ne laisse d’étonner, d’où l’intérêt de notre parallèle. On ajoutera que le fils de Nostradamus, César (1553-1629) aurait pu croiser Morin, né en 1586..
On ignore en fait quand et par qui a été rédigé le « Brief Discours de la Vie de Michel de Nostredame », figurant en tête de la ¨Facies Prior de 1594 puis dans une version corrigée, reprenant la même date, la Première Face du Janus François. Il existe en fait plusieurs versions de cette biographie avec des différences concernant l’identité même des enfants de Nostradamus, certaines mentionnant un ainé du nom de Michel et d’autres présentant César comme l’ainé.
La mouture omettant le fils Michel, repris du Janus Gallicus, figurera au sein même des éditions des Centuries, et signalé au titre « Vie de l’Auteur ».
Ce point divise les biographes de Nostradamus. Dans un manuscrit du XVIIIe siècle, du à Palamadés Tronc de Coudoulet, arrière petit fils de Nostradamus, qui avait publié en 1701 un Abrégé de la vie de Michel Nostradamus etc (les deux documents sont conservés à la Bibliothèque. Méjanes, Aix en Provence), réimprimé en 2001 (p. 63), Abrégé de la Vie et de l’Histoire de Michel Nostradamus, on lit « l’ainé qui fut appelé Michel mourut après avoir fait imprimer à Paris un traité d’astrologie, le second (fils) qui fut César naquit en 1555 ». on notera qu’il n’est pas dit que Michel Le Jeune se prétendit l’auteur d’un traité d’astrologie mais qu’il en fit imprimer un. En effet, ce fils édita plusieurs ouvrages (cf RCN, pp. 92 et seq) dont un à Paris, chez Nicolas Du Mont, en 1571, censés trouvés chez Nostradamus mais pas nécessairement de la plume de ce dernier. S’il y a un imposteur, comme l’affirme Robert Benazra, c’est plus probablement César dont l’epitre à lui adressée, datée de 1555, est un faux, constitué de fragments dépareillés, paru dans les années 1580, dont certains (repris de Trithème) adressés à l’empereur du Saint Empire Romain Germanique, Maximilien, alias César..
Jean Aimé de Chavigny, on l’a dit, insère dans son Janus Gallicus une Vie de Nostradamus mais celle-ci est défectueuse, notamment en ce qui concerne l’épitaphe où ne figure pas le nom de la seconde femme de Nostradamus, Anne Ponsard. En outre, si l’édition au titre latin est bien de 1594, en revanche (cf les deux éditions à la Bibliothèque de l’Arsenal), l’édition française est antidatée, c'est-à-dire que l’on garde les dates, jour pour jour, de la première édition y compris pour les autorisations d’imprimer, alors même que l’on sait qu’une édition a été censurée, comme le reconnait Chavigny dans un avis.

Si l’on peut être tenté de comparer à près d’un siècle de distance les deux ouvrages posthumes : les Cenuturies (Lyon, Benoist Rigaud, 1568) et l’Astrologia Gallica (1661), la question de la parution des Centuries fait débat puisque d’aucuns veulent qu’elles soient parues, du moins pour le premier volet de 7 centuries du vivant de l’auteur alors que d’autres situent les premières impressions dans les années 1580. Dans le dossier Nostradamus, l’élément biographique tardif ne permet évidemment pas d’arbitrer. On peut d’ailleurs se demander pourquoi n’a pas été fabriqué une biographie censée parue dès la fin des années 1560. Au début du XVIIIe siècle, paraissent des travaux biographiques relatifs à Nostradamus, comme ceux de Joseph de Haitze[1] lequel précise en 1711, dans la Vie de Nostradamus, à Aix : « Si dans le cours de cette histoire, je donne, ce semble, la qualité de prophète à mon héros, je ne prétends pas la prendre dans le sens des écritures sacrées à l’égard des saints hommes inspirez de Dieu pour annoncer les choses futures mais seulement dans le sens naturel et grammatical qui dénote une personne ordinere (sic) qui se mêle de prédire (…) Nous ne pouvons porter un jugement si favorable en faveur de Michel de Notradame (sic) ». Cette première édition reparait en 1712 mais sans l’épitre dédicatoire (les deux éditions sont à la Bibliothèque de l’Arsenal)
Quant à la mémoire de Morin, elle est entretenue par Pierre Bayle et par Nicèron.
En ce qui concerne le contenu des « vies », les deux astrologues présentent des points communs ; de même que l’on donne le nom du père comme de la mère de Nostradamus[2], on le fait pour Morin. Les deux jeunes hommes sont formés à la médecine de leur temps – Morin étudie à Avignon même s’il bifurque, comme il est raconté dans sa « Vie ».
En 1638, à l’occasion de la naissance tant attendue du « Dauphin », le futur Louis XIV Morin, professeur au Collège Royal, avait été invité, par Richelieu, à la Cour des Bourbons– pour dresser le thème du prince - comme l’avait été Nostradamus en 1555, trois quarts de siècle plus tôt. sous les Valois. L’un comme l’autre ont un certain statut officiel. Ni Nostradamus, ni Morin ne manquent, l’un comme l’autre, de détracteurs de leur vivant, à une siècle d’écart. La bête noire de Morin est Gassendi (et ses amis), dans les années 1650..Le parallèle entre les deux siècles est assez édifiant. Il faut noter que le XVIIe siècle verra le triomphe de Nostradamus avec notamment les événements d’Angleterre, en 1649 et 1666. Morin a certes des ambitions plus scientifiques que prophétiques. Mais, en fait, l’un comme l’autre sont bel et bien en quête, d’une clef astrologique et auraient pu débattre entre eux de l’avenir du monde, au prisme du cosmos. Quant à l’idée d’Antéchrist, elle sera également traitée par Morin, mais en passant, comme le note cette apologie qu’est en fait la Vie de Maistre Morin[3]. Si Nostradamus est peu ou prou visé par certaines mesures prises contre les faiseurs d’almanachs (1560), ce qui peut expliquer la diffusion de centuries non datées, qui éclipseront son œuvre proprement dite, l’on rappellera que la fondation de l’Académie Royale des Sciences, en 1666, par Colbert, prendra par la suite position contre le statut scientifique de l’Astrologie, signant ainsi un échec de réhabilitation tenté par Jean-Baptiste Morin ;
On note que Nostradamus parait en 1650, à Leyde, puis en 1667 et 1668 à Amsterdam, alors même qu’en 1661 l’Astrologia Gallica parait à La Haye. Les deux astrologues français se côtoient ainsi dans les librairies.
Au XXe siècle, le parallèle reprend peu ou prou dans la mesure où l’Astrologia Gallica est partiellement traduite en français et ce dès 1902, avec Henri Selva (alias Vlès), et qu’en 1943, parait[4] ,
Ma vie devant les astres. Collationné dans l'astrologia Gallica (1661) et traduit par Jean Hiezroz avec les reproductions de 39 thèmes originaux de Morin,
Nice, Ed. Cahiers Astrologiques, où il est déclaré que l’ona regroupé des développements autobiographiques figurant dans l’Astrologie Gallica. Or, il nous aparait que Hiéroz a utilisé en réalité La Vie de maître Jean-Baptiste Morin,... docteur en médecine et professeur royal aux mathématiques à Paris, Paris : J. Hénault, 1660 qu’il a mise à la première personne tout en la remaniant et transposant quelque peu. En 1663, le même libraire publiera les tables astronomiques du Comte de Pagan, ouvrage qui se référe favorablement à Morin.
Cette même Vie avait été traduite en latin et placé en tête de l’Astrologia Gallica mais sans les annexes et ce sont ces annexes que Hieroz remanie pour « Ma vie devant les astres ». Il est vrai qu’une autobiographie d’un grand astrologue pouvait faire sensation. En fait, ni Morin ni Nostradamus ne semblent s’être pliés à un tel exercice d’autobiographie astrologique.
Selon nous, donc, Hieroz aura brodé sur les « Reflections astronomiques sur la vie de Monsieur Morin » . On en donnera pour exemple la cinquiéme
Réflexion( pp. 133 et seq)

Vie de 1660 à la troisiéme personne :
« Cet assemblage de planétes qui se voit dans la douzième maison de l’Horoscope de Monsieur Morin luy signifiait nombre de prisons & peu s’en est fallu qu’il n’y ait ésté mis plusieurs fois tant à cause des suites de ses promptitudes & de ses impatiences à souffrir que pour l’amour des femmes dont nous avons déjà assez parlé & qui luy estoient imprimez par Mars & Vénus Seigneur de la première (maison)

Vie de 1943, à la première personne (Ma vie devant les astres)
« On sait qu’il existe un Axiome Astrologique « Autant de planétes en XII, autant d’incarcerations . Il s’en faillit de peu pour qu’au cours de ma jeunesse, j’en donnase une éclatante confirmation du fait de mon amour pour la vengeance et la volupté, conséquence de la Maîtrise de Mars et de Vénus sur ma maison I »

Autre passage :
Vie (1660)

« Mais ces menaces se sont accompagnée dans la servitude y ayant demeuré presque toujours l’espace d’une trentaine d’années, pendant lesquelles il a eu quinze ou seize maistres differents, qu’il a tous quittez par accident, par leur ingratitude ou pour querelles avec leurs femmes dont il ne pouvoit souffrir le commandement & qui pour cela le haïssoient : la cause en est claire dans le Ciel, la Lune & Vénus estoient en la douziesme qui signifioient ces différendsl, Saturne s’y trouvoit aussi, lequel estant maistre du milieu du Ciel luy presagéoit des servitudes & des maitres avares, »

Ma vie devant les astres :
« Toutefois si ce cumul de planétes dont Saturne Maitre du MC ne put se réaliser complétement par des emprisonnements, il le fit par des servitudes (…) De seize à 46 ans, ma vie fut un véritable esclavage ; j’eus 16 maîtres successifs que j’ai tous quittés : les uns à la suite de disputes avec leurs épouses dont je ne pus supporter l’autorité (et ce furent Vénus et la Lune en XII qui me procurèrent maux et préjudices de la part des femmes) »

Nous avons la preuve que le texte latin de la Vita est bien repris du texte français de la Vie. Dans cette Vie d Morin, il est fait mention (VI) d’ »un discours qu’il (le biographe) a trouvé manuscript parmy les papiers de cet habile homme »
-(pp. 91 et seq). Il s’agit d’un « Petit discours de la verité des prédictions astrologiques & si l’on doit y adiouster foy qui a esté trouvé parmy ses papiers escrit en François de sa propre main »
« Il y a trois sortes de personnes qui errent touchant les Predictions astrologiques, les uns ny croient point du tout, les autres y croient trop peu & les derniers plus qu’il ne faut’
On retiendra ce passage où Morin note ce qui peut empêcher une prédiction de se réaliser :
« Il y a plusieurs choses qui éludent les predictions, quoy que bien faites selon les Astres, comme sont les prisons, les bannissemens, les maladies, la Religion & les autres que rapporte Cardan » (jusqu’à la page 100
Nous disposons donc avec ce texte d’un exposé en français que nous n’avions pas signalé en 1975 dans la présentation des Remarques Astrologiques.(cf infra)
On s’interroge sur la raison d’un tel titre : « Astrologie Française », parue, en latin,sous le régne du Roi Soleil, le soleil figurant sur la page de titre, en vis à vis d’un livre ouvert.
Dans les années soixante dix, nous-mêmes avons consacré un travail à Jean-Baptiste Morin, suivi vingt ans plus tard d’un second volume, alors que nous avions par ailleurs commencé à publier sur Nostradamus. L’un comme l’autre pratiquent le Centiloque de Ptolémée, souvent cité dans les publications annuelles de Nostradamus. . Morin lui consacrera un ouvrage (Remarques Astrologiques sur le Commentaire du Centiloque de Ptolémée)), en s’en prenant à un astrologue du nom de Nicolas Bourdin, marquis de Villennes, qui avait produit un commentaire du dit Centiloque.
Mais au cours des années 1650, une éclipse va défrayer la chronique (cf l’Entrée de Saturne au Lion, d’E. Labrousse, La Haye, Nijhoff, 1974), ce qui crée un climat fort proche de celui du siècle précédent.
On dira que si Morin a traversé l’époque de la Fronde, Nostradamus connait sous la Ligue un revival remarquable qui voit le lancement de ses Centuries.
Cela dit, Morin n’a jamais publié, à notre connaissance d’almanach annuel à l’instar d’un Nostradamus ou de son contemporain anglais du XVIIe siècle, William Lilly, auteur d’une Christian Astrology..Mais dans les Remarques Astrologiques, il consacre une incidente assez substantielle à l’éclipse de 1654 et ce n’est d’ailleurs pas par hasard que son ouvrage parait à ce moment là, en français et non comme il en avait l’habitude en latin, langue de la caste savante au XVIIe siècle. Morin fut parfois son propre éditeur, il s’était installé dans le Faubourg Saint Marcel (l’actuel XIIIe arrondissement de Paris), non loin de la rue Mouffetard. Il en fut ainsi en 1654 pour la première édition des Remarques, la seconde, posthume, paraissant chez Pierre Ménard, à Paris, lequel Ménard réédite les Tabulae Rudolphinae que Morin avait publié en 1650, de son propre chef.. Le même libraire fait paraitre en 1657 le Traité Astrologique des Jugements des thèmes généthliaques, traduit du latin du Danois Rantzau qui est une compilation de toute une bibliothèque astrologique (comportant notamment des extraits de Carion) et dont P. E. A. Gillet a donné une édition singulièrement abrégée et quelque peu aménagée en 1947 (avec préface de J. Hièroz)...
Il reste que son biographe insiste sur le bilan prédictif de Morin et présente son travail dans le même style dithyrambique que le Brief Discours sur la Vie de M. Michel de Nostredame, iadis conseiller et médecin ordinaire des rois tres chrestiens Henry II. du nom, François II. et Charles IX. » :
« Abrégé de la vie d’un des plus grands astrologues qui ait jusques icy paru sur le globe terrestre »
Un astrologue contemporain de Morin réalisa en revanche une telle autobiographie, il s’agit de William Lilly (1602-1681) [5]..History of his life and times, from the year 1602 to 1684 written by himself. Mais cela ne parait qu’en1715 (Londres, J. Roberts), l’ouvrage ayant été complété°.par Elias Ashmole[6].

JHB
16 02. 13

[1] Abrégé de la vie et de l’Histoire de Michel Nostradamus par Palaméde Tronc de Coudoulet (arrière petit-neveu de Nostradamus). Présenté par R. Benazra, Ed Ramkat, 2001)

[2] D’acsendance juive. Par sa branche Carcassonne, nous avons un probable lien de cousinage avec lui. Cf arbre généalogique in R. Benazra Intr. Abrégé de la vie et de l’Histoire de Michel Nostradamus, Ed. Ramkat, 2011, pp. 15 et seq
[3] Cf notre post doctorat. Giffré de Réchac et la naissance de la critique nostradamique au XVIIe siècle, EPHE Ve section ;, 2007
[4] Extraits de Ma Vie devant les astres, sur le site Desphaeris.
[5] Cf G. Cornelius, « Afterword », Reed. Fac simile Exeter, 1985
[6] Reprint: The Last of the Astrologers, éd. K. M. Briggs (Londres, 1974) 108 pp.
 

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Updated Tuesday, 07 April 2015

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