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Researches 151-160 |
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151 - La « miliade » et la mise en place du canon centurique au
début du XVIIe siècle |
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152 - Nostradamus et la durée du monde |
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153 - Les années 1530 dans le processus nostradamique. |
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154 - Nostradamus, réformateur de l’Astrologie |
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155 - Les incohérences du Janus Gallicus |
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156 - Nostradamus : de la « divine inspiration » au « naturel
instinct » |
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157 - Nostradamus et la question du CHIREN |
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158 - Nostradamus et les prévisions cycliques |
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159 - Les convergences entre le Mirabilis Liber et le système
prédictif nostradamique |
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160 - Nostradamus et la piste Lichtenberger |
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Researches 151-160
151 - La « miliade » et la mise en place du canon centurique au
début du XVIIe siècle
Par Jacques Halbronn
Le début du XVIIe siècle est un temps fort de la mise en place du
canon centurique. Mais force est de constater que le résultat final ne
correspond pas au projet initial de la « miliade » tel que formulé
dans l’Epitre à Henri II. S’il y a des mazarinades, on pourrait aussi
parler de concinades, lesquelles, l’une comme l’autre, recourent à
Nostradamus. La mort d’Henri IV (d’où l’intérêt pour IV, 14 infra) a
pour pendant celle de son fils Louis XIII, ce qui occasionne une
régence dans les deux cas. Les espoirs concernant le « Dauphin », le
futur Louis XIII, se manifestent bien avant la mort de son père, comme
l’attestent les sixains tout comme le fils de Louis XIII se verra
promettre un avenir radieux(d’où le quatrain cryptogramme, à la fin de
la Xe centurie, visant 1660) que n’a pu atteindre son père.
Pour preuve de cette effervescence de la fin du règne d’Henri IV et
des années qui suivirent, sous la régence de Marie de Médicis,
entourée de son compatriote Concini, deux pièces :
1 Les charmes de Conchine desquels il devoit se servir pour éviter les
coups de pistolet. De la manière que les estrangers doivent vivre en
France. Avec la prédiction de Nostradamus, tiré de la 4. centurie du
fol. 41 (sic). Imprimé à Lyon 1555 (Bib. Arsenal 8°H 7169 (7)
2 Petit Discours ou commentaire sur les Centuries de Maistre Michel
Nostradamus, imprimées en l’année 1555, 1620 (BNF), soit le
commentaire le plus ample depuis celui de Chavigny en 1594-1596, avec
quarante quatrains tirés des seules centuries I à VII.
Ce qui nous frappe, c’est dans les deux cas la mention de l’année 1555
et dans l’une celle de Lyon. C’est là selon nous le signe d’une
tentative de mise en place du canon centurique, Si l’on s’en tient à
la seconde pièce, on a donc bien affaire à une édition à 7centuries, à
l’instar des éditions ligueuses et cela ne nous apprend donc rien sur
l’édition Macé Bonhomme. Il s’agirait d’une autre filière qui conduit
des éditions de Rouen (1588/1589) et Anvers (1590) jusqu’à celle de
Pierre Valentin, à Rouen ; Les Centuries et merveilleuses prédictions
de M. Michel Nostradamus, contenant Sept centuries dont il en y a
(sic) qui n’ont iamais esté imprimées, s. d. (jouxte la copie imprimée
en Avignon, 1611)
Revenons donc à la première pièce, non signalée par Chomarat, Benazra
ou Brind’amour dans son édition critique des « Premières Centuries » (Droz,
Genève, 1996), et relevons une permutation : le quatrain qui s’y
trouve cité ; Il ne s’agit pas de 41 mais 14 de la centurie IV. On
lira « au folio 41 » et non « du folio », le mot folio désignant ici
un quatrain.. « La mort subite du premier personnage/ Aura changé &
mis un autre au regne etc » (p. 6). On aura voulu relier ce quatrain à
l’assassinat d’Henri IV.
Un autre quatrain, celui-ci inventé de toutes pièces, commence par «
En l’an 1617, plains de mots inouys » ce qui vient rimer avec « le
sceptre de Louys » (XIII). Nostradamus est utilisé en rapport avec
l’assassinat de Concini, en 1617, voulu par le jeune Louis XIII.
Deux autres pièces sont à considérer que nous avons déjà abordées dans
une précédente étude :
1 le Discours sur le bonheur des alliances de France & d’Espagne avec
l’explication de deux propheties de Nostradamus sur le mesme subject,
Pierre Bertaud, 1612 (Bib. Arsenal ; autre édition de la veuve Bertaud,
BNF)
On y trouve [1] deux quatrains dont on ignore l’origine :
Le Coq Royal eveille le Lion
Pleure Memphis & ville Macédone
Leurs mariages esjouiront Sion
Bizance aura sa première couronne
Et
De l’Hetrurie on voit naitre la fleur
Qui donnera le fruict au grand Monarque
Du grand CHIREN malgré tout le malheur
Maison d’airain se met dedans la barque
Ce quatrain est censé concerner le fils (le fruit) de feu Henry le
Grand (Marie de Médicis est signalée par l’Hetrurie) et son mariage/
2 Les Prophéties de Morgard.
Prophéties (…)présentées au Roy Henry le Grand pour ses estrennes en
l’an 1600, contrevenant plusieurs predictions sur l’alliance
d’Espagne[2],
Rappelons qu’en 1612, Nostradamus fut au cœur d’une polémique autour
du mariage espagnol[3] entre le jeune Louis XIII et Anne d’Autriche,
c’est alors qu’émergent les 58 sixains, puisque Morgard qui les publie
se réfère au dit mariage espagnol. On lit donc Nostradamus au cours de
cette décennie. Et l’on sait par le Mercure de 1610, que les sixains
étaient alors parus, mais probablement pas encore au sein d’une
édition des centuries. On dispose d’un manuscrit (reproduit par D.
Ruzo, in Testament de Nostradamus, 1982) intitulé : Prédictions de M.
Michel Nostradamus pour le siecle de l’an 1600 présentées au Roy Henri
4. au commencement de l’année par Vincent Aucane de Languedo[4]c
La mention dans les deux premières pièces(cf supra) d’une édition
Lyonnaise 1555 nous apparait comme le premier volet d’une entreprise
qui va s’adjoindre un second volet, l’ensemble étant censé paru en
1568. Rappelons qu’en 1603 paraissait la Nouvelle Prophétie de M.
Michel Nostradamus qui n’ont iamais esté veues, n’y (sic) imprimées
que en ceste presente année. Dédié au Roy, Paris, Sylvestre Moreau
(Bib. Arsenal, 8° S 14343) qui ne comporte que le second volet.
Selon nous, il faut attendre ces premières années du XVIIe siècle, au
lendemain de l’édit de Nantes de 1598, qui entend réconcilier les
esprits, pour que paraisse une édition à dix centuries. En fait, se
met en place alors une dynamique qui intègrera les trois volets avec
trois épitres (à César 1555, à Henri II 1558 et à Henri IV 1605), si
l’on tient compte des sixains, alors que ceux-ci initialement sont
séparés. On peut raisonnablement penser que l’édition lyonnaise de
1555 comportait deux versions, l’une à quatre centuries et l’autre,
disparue à sept centuries, avant que l’on n’envisage de situer
l’achèvement du premier volet un peu plus tard (d’où Antoine du Rosne
1557)
C’est dans un tel chantier qu’il convient de situer la mise en place
des 58 sixains, prévus à l’évidence, au départ, pour compléter la
centurie VII laquelle a atteint 42 quatrains (cf. Du Rosne, 1557,
Bibliothèque d’ Utrecht). Pour on ne sait quelle raison, les sixains
furent finalement déportés en une centurie XI . Selon nous, il est
probable que le volet sixains aurait du, en principe, avec l’épitre de
1605, s’intercaler entre les deux volets mais l’on aura préféré suivre
l’ordre chronologique des épitres. (1555 puis 1558 puis 1605). A
partir de là, l’idée de supposer et de se référer à une édition 1568
pouvait être envisagée sans avoir à dépendre d’une édition 1605.
On aura compris que, selon nous, on doit impérativement tirer un
enseignement du fait qu’il y a 58 sixains. Il est tout à fait anormal
que cette pièce ait été placée en troisième position, même si c’est
présenté ainsi dans l’épitre à Henri IV qui évoque les deux premiers
volets.
Peut-on concevoir ce qui se serait passé si l’on avait intercalé les
58 sixains entre la fin du premier et le début des seconds volets ? On
comprendrait mieux alors pourquoi l’Epitre à Henri II parle
d’atteindre les 1000 articles. Ajoutons que le manuscrit de la BNF[5]
à 56 sixains au lieu de 58 témoigne selon nous du fait que l’état de
la VIIe centurie a été fluctuant : il a probablement atteint 44
quatrains (d’où les 56 sixains) puis est revenu à 42 (d’où la mouture
finale à 58)
« J’ay esté en doute longuement à qui je viendrois consacrer ces trois
Centuries du restant de mes Propheties, parachevant la miliade »On
notera que le mot « quatrain » ne figure pas dans ce passage, même
s’il est placé peu après « la plupart des quatrains prophétiques etc’
» et « comme plus à plain par aulcuns quadrins lon pourra veoir » On
notera que le terme ne s’orthograpie pas de la même manière au sein de
la même épitre de 1558 : quatrain et quadrin.
Nous pensons que la dite épitre a été composée alors que les sixains
se plaçaient dans la continuité de la VII et que l’on aura gardé, par
mégarde, cette présentation après avoir renoncé à une telle
organisation.
Certes, la Première Face du Janus François comporte-t-elle un premier
essai d’intégration exégétique des dix centuries mais nullement de
façon systématique, ordonnée et exhaustive. Bien plus, le projet qui
est à l’œuvre en 1589-1596 ; est centré sur encore un autre volet,
celui des quatrains des almanachs, ce qui selon nous correspond à une
entreprise de recyclage des quatrains-présages en vers qui se passait
fort bien des « quatrains prophétiques », pour reprendre la formule de
l’épitre à Henri II, dont on peut raisonnablement penser qu’elle ne
peut être antérieure, du moins dans la mouture que nous connaissons, à
l’intégration des sixains car sinon on ne pourrait parler de « miliade
»..
. Mais dans le « Brief Discours sur la Vie de M. Michel de Nostredame
», il est indiqué, en tête de cet ouvrage, que trois centuries sont
incomplètes, la VIIe, la XIe et la XIIe. (Ce qui deviendra ensuite du
fait d’une coquille, dans les rééditions du Discours, la VII, la IX et
la XII)
L’épitre à Henri IV 1605 est probablement un produit tardif, qui
correspond au report des sixains dans un troisième volet et elle est
incompatible avec la mention conservée de la miliade figurant dans
l’Epitre à Henri II.
Le cas du texte de Morgard prête à confusion. Il est évident que l’on
ne publie pas un texte avec sa clef sauf si l’on traite d’un texte
déjà existant dont on entend montrer que l’on a la vraie «
interprétation ». Il ne faut donc aucunement supposer que Morgard
affirme sa paternité sur les sixains. Comme il le dit, il veut
répliquer à sa façon aux prédictions de certains se référant à une
édition des Centuries (1555), concernant le mariage espagnol à savoir
(cf supra) le Discours sur le bonheur des alliances de France &
d’Espagne avec l’explication de deux propheties de Nostradamus sur le
mesme subject
Morgard met en place une certain grille de lecture, qui s’applique à
un texte qui est lui-même déjà certainement à clef mais il ajoute à la
dite clef des éléments de son cru, comme Espagne pour Sangsue ou
Anglais pour Loup. Ce quatrain vise évidemment, dans l’esprit de
l’auteur de la pièce (et ce dès 1555) l’assassinat d’Henri IV « la
mort subite du premier personnaige / Aura changé & mis un autre au
regne etc », ce qui ne dit rien de l’alliance espagnole
En réalité, ce qui en constitue la teneur du texte de Morgard- qu’il
faut considérer comme un interprète des sixains, c’est la page finale
(p. 14) sur laquelle figure une liste de 12 noms, sous le titre «
Interprétation des noms ». Le code proposé est en lui-même un
commentaire et le premier nom de la liste est « Espagnol »
correspondant dans les sixains à « sensue ». Rappelons que dans les
quatrains centuriques mais aussi dans ceux de l’année 1555 des
almanachs, on a aussi un tel code quand on considère que Faulx
signifie Saturne ou Estang Jupiter (etain)) ou Verseau.
Ce qui est étrange, dans la grille de Morgard, c’est qu’il y est
question du Dauphin (le Pourvoyeur) alors que depuis 1610, il n’y a
plus de Dauphin, ce dernier étant devenu Louis XIII. Autre anomalie
avec le 50e sixain
« Un peu devant ou apres l’Angleterre/ Par mort de Loup mis aussi bas
que terre » On ne peut relier le Loup à l’Anglais, comme le propose la
clef de Morgard, puisque l’Angleterre est désignée en clair dans le
même sixain. Mais l’on sait qu’un tel exercice exige des
accommodements.
Pour la grille Morgard, le Dauphin est le Pourvoyeur. Louis XIII fera
ce que son père n’a pas su faire. Il est en fait annoncé au sixain 57
(par erreur il est indiqué LXVII, 67) que le Dauphin (Pourvoyeur) se
joindra à l’Empereur (griffon) pour combattre le Turc (Elephant).
C’est donc l’alliance avec l’Allemagne (griffon) qui est préconisée
par la lecture de Morgard et non avec l’Espagne (sangsue) ni avec
l’Angleterre (loup). On aura compris que l’on peut ainsi faire dire
aux sixains ce que l’on veut et c’est pour cela que les sixains
apparaitront dans l’ensemble centurique sans aucune « clef ».
Néanmoins, il nous semble assez évident que les sixains, comportaient
dès l’origine une certaine clef, ce qui les met à part, par delà la
question qu’il s’agit de sixains et non de quatrains. Les dates qui y
figurent sont soit prospectives, soit rétrospectives. Mais d’une
certaine façon, les sixains annoncent une tendance à caractère
symbolique de l’exégèse nostradamique. En revanche, le nom des astres
et des signes zodiacaux y est donné en clair même si l’on peut
s’interroger sur ce à quoi cela renvoie. On a l’impression de bribes
de textes. (voir aussi sixain 49)
On note des connaissances astrologiques assez sûres au sixain IV : «
Saturne en Libra en exaltation. Maison de Vénus en descroissante force
». Ce sont là des éléments du thème natal du futur Louis XIII qui sera
surnommé le Juste du fait qu’il est né sous le signe de la Balance,
domicile de Vénus et lieu d’exaltation de Saturne. Mais en 1601, année
de naissance du fils d’Henri IV et de Marie de Médicis, Saturne venait
de quitter ce signe. Tout se passe comme si l’on avait cru que
l’enfant était né non pas le 29 septembre 1601 mais 1600. Alors
effectivement, Saturne était bien en balance et Vénus en chute, en
Vierge.
Sixain 46
« Quand Mars sera au signe du mouton
Ioinct à Saturne & Saturne à la Lune etc
On pense à propos du 46e sixain au quatrain de l’almanach pour 1555,
pour le mois de mars (repris à la fin de la Pronostication pour cette
même année) :
« O Mars cruel, que tu seras à craindre
Plus est la faux avec l’Argent conioint etc »
Il ne fait guère de doute que l’un des deux textes est repris de
l’autre, si l’on traduit Faux par Saturne et Argent par Lune[6]. En
toute logique c’est le texte qui occulte le nom des astres qui est
l’emprunteur. Si l’on consulte les éphémérides de 1555 (cf Grandes
Ephémérides de Gabriel , tome I, ed Trédaniel- La Grande Conjonction,
c 1990), Mars n’est pas en bélier (mouton) à aucun moment de l’année,
ce qui n’est pas de chance vu qu’il y passe tous les deux ans et qu’il
n’est pas non plus conjoint à Saturne, ce qui ne sera le cas qu’en
mars 1556. Ajoutons que le quatrain 1555 ne donne pas l’information du
sixain relative au bélier et on voit mal le sixain ajouter celle-ci.
L’hypothèse que nous formulerons est la suivante : les sixains
auraient eu accès à un état antérieur du quatrain de mars 1555, avant
que celui-ci ne fasse l’objet d’une transposition. Cela suppose que
les sixains seraient porteurs de certaines données anciennes. On sait
que pour nous le XVIIe siècle est marqué par une certaine résurgence
de pièces disparues, comme dans le cas d’une mouture de la Préface à
César. Quant à la Pronostication pour 1555, nous pensons que les
quatrains qu’elle véhicule ne correspondent pas à ceux de l’almanach
pour 1555, si tant est que celui-ci en ait eu, leur présence dans le
Recueil des Prosaïques ne faisant pas foi. Cette tendance à
allégoriser des éléments astronomiques ne nous semble nullement le
fait de Nostradamus, aucun autre quatrain des almanachs en fournissant
un exemple. En revanche, le quatrain I, 16 est de la même eau. « Faulx
à l’estang, ioint vers le Sagittaire » alors que la source chez
Roussat est (Livre de l’Estat et Mutation du monde, Lyon, 1552[7] p.
131) est « Saturne & Jupiter au Sagittaire ». Les sixains auront
échappé à cette pratique. C’est l’occasion de souligner ce que les
centuries –sinon Nostradamus- doivent à Roussat : ainsi ce passage (p.
155) : « durée de dix révolutions saturnales » qui se retrouve,
d’ailleurs déformé, au quatrain I, 54 « Deux revolts faits du malin
falcigère » en est la transposition. Comme le note Yves Lenoble, il
faut lire « Dix revolts ». Cela dit, on peut penser que Nostradamus
était un lecteur de Roussat dont il épouse le style dans nombre de ses
épitres ; il nous semble qu’il paraphrase celui –ci, à propos de l’Age
de la Lune (dont il est question dans la Préface à César), qui est
celui de l’ange Gabriel « Vrayment, Messieurs les liseurs, je vous
asseure que si Gabriel n’ayde au pauvre Monde, je ne scay que ce sera
sinon que toute perpléxité & désolation ». (p. 95). Mais Nostradamus
va remplacer Gabriel directement par Dieu.
Pour nous résumer, nous dirons que le vrai canon centurique devrait
non seulement comporter les sixains, sans les clefs qui ne sont qu’un
commentaire mais devrait les placer à la fin de la centurie VII.
D’ailleurs, au XVIIe siècle, nombre d’éditions comportaient des
annexes (prises des éditions parisiennes de la Ligue et du Janus
Gallicus), à commencer d’ailleurs par la centurie VII. Nous savons,
d’expérience, à quel point certains revirements laissent des traces
qui échappent à l’attention de ceux qui entendent les mener à bien. A
l’historien d’exploiter de telles traces afin de rétablir les étapes
d’un processus que d’aucuns tentent de télescoper.
Il convient donc selon nous de ne situer aucune des éditions du second
volet avec l’épitre à Henri II 1558 avant le début du XVIIe siècle et
celles que nous connaissons, de par leur contenu, correspondent déjà à
un état relativement tardif, qui a renoncé à compléter la centurie
VII, les états antérieurs, incluant les sixains, entre la centurie VII
et la VIIIe ayant disparu. Si l’on peut situer dans les années 1590 le
premier volet de la série des éditions Rigaud (et cela vaut pour l’éd.
Jaques Rousseau, Cahors 1590), en revanche, le second volet est ajouté
nettement plus tard, ce qui explique qu’il soit mis en page
différemment. .Ce faisant, l’on en arrive à mettre en évidence une
activité nostradamique intense au début du XVIIe siècle alors que l’on
tendait jusqu’alors à la centrer sur la fin du XVIe siècle.
En ce qui concerne les sixains, l’épitre à Henri IV datée de 1605–qui
ne figure ni dans le manuscrit ni dans l’imprimé Morgard- aurait été
rédigée une fois ce statut de troisiéme volet décidé. Le fait que les
sixains comportent un grand nombre de dates du début du XVIIe siècle
n’est nullement incompatible avec l’Epitre à Henri II dont nous savons
qu’elle s’articule autour des annéees 1605 à 1607, du fait de
l’éclipse d’octobre 1605 et de la conjonction de Jupiter et de Saturne
en Sagittaire. On est donc bel et bien avec un tel ensemble de 58
sixains et de 300 quatrains largement axé sur les années 1600.
JHB
07. 11. 12
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[1] Cf Benazra, RCN, p. 174
[2] Ouvrage non signalé par Benazra, ni par Chomarat,
[3] Cf Benazra, RCN, p ; 174
[4] Sur Vincent Sceve le signataire de l’Epitre datée de 1606,- et la
famille de Nostradamus, Cf R. Benazra, Les principales éditions des
prophéties de Nostradamus, sur Espace Nostradamus.
[5] Cf Benazran RCN, pp ; 163-164
[6] B. Chevignard ne fait pas ce rapprochement, Présages de
Nostradamus, p. 115
[7] Fac simile gutenberg reprints 1981 avec postface de Jean-Pierre
Brach |
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152 - Nostradamus et la durée du monde
Par Jacques Halbronn
Nostradamus semble avoir été contraint de respecter la chronologie du
monde et d’y soumettre ses calculs astrologiques. Au départ, il avait
plutôt l’approche inverse, c’est l’astrologie qui devait sous tendre
le scénario de la fin des temps. C’est du moins ce qui ressort de
l’Epitre à Henri II dans laquelle figurent deux chronologies du monde
à forte teneur scripturaire. Certains nostradamologues se sont demandé
à quoi pouvaient servir deux chronologies différentes au sein de la
dite Epitre. Comme le note R. Benazra, on trouve en annexe une
chronologie au sein de l’Almanach pour 1566 mais sans commentaire et
qui ne prête guère à conséquence, commençant à la Création du Monde et
s’arrêtant à Jésus Christ.
Dans nos travaux sur le prophétisme (Le texte prophétique en France,
notamment), nous avons souligné l’importance de la chronologie du
passé pour déterminer les dates à venir ( « Pierre Du Moulin et le
thème du pape Antéchrist« in Formes du millénarisme en Europe à l’aube
des temps modernes ; Honoré Champion, 2001, dir JR Fanlo et A. Tournon).
En 1561, Nostradamus prétend encore déterminer la date de naissance-
pour avril 1567, de l’Antéchrist, qu’il prénomme Marcelinus, du fait
qu’il naitra peu avant le jour de la fête de Saint Marcelin. Mais un
tel procédé va déplaire à l’Eglise qui ne permet pas que l’on fixe la
date de la fin du monde aux seuls astrologues à partir de leurs
grandes conjonctions Jupiter-Saturne et des éclipses. Mais on peut se
demander si une telle évolution de la part de Nostradamus correspond à
la réalité ou si c’est ce qu’on lui fait dire. Selon nous, le
contraste reste marqué entre les textes des almanachs et des
pronostications composés sinon parus du vivant de Nostradaùmus et
l’Epitre à Henri II. Dans l’almanach pour 1563, Nostradamus déclare
que « les astres sont courroucés » et que la fin du monde est pour
bientôt si Dieu ne fait pas preuve de miséricorde. Or, pour l’Eglise,
la durée du monde est fixée. Rien ne saurait la modifier. Même pas
Dieu. En 1575 l’astrologue romain Francesco Liberati, fait un rappel à
l’ordre dans son Discours contre Cyprian Leovitius et autres modernes
astrophiles, lesquels pour les effects des quatre eclipses solaires,
unions des planettes [sic] au signe d’Aries, & grande conjonction, qui
doivent ensuivre depuis l’an mil cinq cens soixante dix neuf, jusques
à l’an mil cinq cens quatre vingt Paris, Guillaume Auvray (Bib.
Mazarine 8 °S 26643 (pièce 5) et nous avons déjà indiqué ailleurs que
cette pièce d’une douzaine de pages avait pu servir à composer la
dernière mouture de l’Epitre à Henri II. Il y a en effet d’assez
remarquables similitudes entre les deux textes.
L’idée de Libérati est de montrer que les « chronographes » divergent
entre eux et c’est pour cela qu’il donne deux listes bien différentes
notamment quant à leur durée. Or, l’Epitre à Henri II lui emboite le
pas et fournit, elle aussi, deux chronologies (voir à ce sujet les
études de Theo Van Berkel). La différence, c’est que Liberati s’oppose
aux astrologues qui se servent des grandes conjonctions et des
éclipses ! D’où le titre intérieur ‘Discours des effets merveilleux de
la Grande Conjonction et des quatre éclipses de soleil ». Or,
Nostradamus est un fervent adepte des éclipses et des rencontres
planétaires, dont il use et abuse.
Il importe donc de lire attentivement son propos pour saisir
l’articulation entre ces différents plans. Certes, Nostradamus ou du
moins celui que l’on fait parler sous ce nom, avance-t-il les dates de
1585 et de 1606, mais en se hâtant d’ajouter « & passant outre bien
loing iusques à l’advenement qui sera après au commencement du
septième millénaire (…) où les adversaires de Iesus Christ & de son
eglise commenceront plus fort de pulluler »
Liberati s’explique ainsi sur les chronologies (p. 10) :
Il est « nécessaire de scavoir iustement les annees qui ont esté
depuis la creation du monde iusques à présent et par là voir le temps
qui reste selon la dicte Prophetie de Daniel laquelle sera fort
différent de l’opinion de Cyprian (…) Donc depuis la creation du monde
iusques à la première monarchie des Assyriens (..) 1996 ans etc »
Il ironise sur les astrologues qui « font grans iugemens qu’il doive
s’ensuivre voire la fin du monde »
On assiste dans l’Epitre à Henri II à une sorte de mariage étrange
entre astrologie et chronologie biblique, mais on plus l’impression
d’une juxtaposition de deux corpus sans véritable articulation.
Comment les deux chronologies sont-elles amenées dans l’Epitre à Henri
II ?
Première chronologie :
« me remettant sous la correction du plus sain iugement, que le
premier homme Adam fut devant Noë environ 1242 ans, ne computant les
temps par la supputation des Gentils comme a mis par escrit Varron
mais tant seulement selon les Sacrées Escriptures & selon la foiblesse
de mon esprit, en mes calculations astronomiques » (p. 7, ed 1568, Ed
Chomarat, 2000)
Seconde chronologie
« Toutefois comptant les ans depuis la creation du monde iusques à la
naissance de Noë sont passez 1506 ans etc
(…) Et ainsi par cette supputation que j’ay faicte colligée par les
sacrées lettres sont environ 4673 ans et 8 mois peu ou moins. ». Mais
à la fin, l’épitre revient sur la formule du début « & cela sera
proche du septiesme millénaire »
Alors que Liberati cite ses sources prophétiques et notamment Daniel,
l’Epitre à Henri II se contente d’évoquer les « sacrées lettres » (Saintes
Ecritures) sans autre précision, sans se référer aux « monarchies »
successives que l’on extrait du Livre de Daniel.
Nostradamus d’ailleurs affirme ne pas tout dire :’ iusques à ce, Sire,
que votre maiesté m’aye octroyé ample puissance pour ce faire pour ne
donner cause aux calomniateurs de me mordre »
Nostradamus, dans cette épitre, n’est pas sans nous faire songer à
Galilée. De même que Galilée, au début du XVIIe siècle, affirmait
certaines choses de l’ordre de la Science ne correspondant pas à une
certaine lecture des Ecritures – on pense à Josué arrêtant le soleil-
de même il nous apparait, que Nostradamus rencontre un conflit entre
ses calculs astrologiques et l’affirmation scripturaire selon laquelle
le monde doit durer six millénaires tout comme il a été crée en six
jours. On ajoutera qu’étant donné que cette Epitre à Henri II date en
fait du début du XVIIe siècle, elle se retrouve peu ou prou
contemporaine de l’Affaire Galilée. E pur si muove !
Liberati s’efforce de placer les astrologues dans une situation
intenable en partant du cycle de 800 ans des grandes conjonctions
Jupiter-Saturne qui revient à la fin des poissons et au début du
bélier dans cet intervalle de temps. Soit l’on prend comme échéance
l’année 1584 où la conjonction revient à la fin du zodiaque en
poissons et reprend un nouveau cycle en bélier – mais alors c’est trop
tôt car les 6000 ans ne sont pas accomplis, soit on attend encore 800
ans et le temps imparti sera dépassé. Il crée ainsi un dilemme :
faut-il que les astrologues rompent avec un tel schéma de 6000 ans ?
Peut-on annoncer l’avènement de l’Antéchrist avant ce laps de temps ?
Il y a là un choc de chronologies, l’astrologique est-elle compatible
avec la prophétique ?
Selon nous, Nostradamus n’avait pas de tels scrupules. Les Sainte
Ecritures ne l’intéressaient que par rapport à l’Antéchrist – qui est
également évoqué par Liberati. Il n’avait pas l’intention de repousser
ses échéances sine die. Il pensait que l’astrologie avait voix au
chapitre en matière de temps, laissant à l’Eglise les détails du
scénario.
L’Epitre est un document hybride : elle évoque l’éclipse d’octobre
1605 – et au demeurant ne revient pas sur celle de 1567, ce qui serait
étonnant si l’on devait admettre l’authenticité de l’épitre datée de
1558. Dans sa préface de 1561 (Almanach pour 1562) Nostradamus dit
clairement que l’Antéchrist naitra en avril 1567. Il est probable
qu’il ait été particulièrement marqué par l’état de la France à ce
moment là.
Cette combinatoire planétes-éclipses reste au cœur de l’astrologie «
mondiale » de Nostradamus. Il ne faut pas se tromper : ce qui comptait,
c’était le perfectionnement du modèle des grandes conjonctions en
l’associant à des éclipses, quitte à ne pas s’intéresser
particulièrement au cycle de 800 ans. Dès lors, le report de 20 ou de
40 ans ne faisait pas problème, si les données se représentaient peu
ou prou. En fait, Roussat, dans son Livre de l’Estat et Mutation des
Temps a raison de situer le changement de triplicité (on passe de
l’eau au feu) non pas d’abord en bélier – à moins d’admettre une
petite marge, une orbe- mais en Sagittaire dans les années 1600 – d’où
le quatrain I, 16. En fait, encore une fois, comme dans les années
1580, la conjonction se fait à la fin des poissons, à quelques degrés
près. Mais Roussat a du penser qu’elle se ferait en bélier, du fait
d’une certaine approximation..
« Cette presente triplicité aquatique terminée (dequoy nous reste
seulement du calcul de cette présente année 1548, quatre vingts
quatorze ans) viendra la triplicité du feu & lors se conjoindront
Saturne & Iupiter au Sagittaire, signe de feu ». Or, si l’on ajoute 94
à 1548, cela donne en effet 1642, année où les deux astres supérieurs
se trouvent conjoints au bélier !. Or pour Liberati, la conjonction
Jupiter-Saturne se formant dans les années 1580 était considérée comme
« fin Pisces debut Aries ». Tout est affaire de définition.
L’astrologie devait parfois prendre quelque liberté par rapport à la
réalité astronomique. Il fallait que le changement de triplicité ait
lieu dans les délais. Affirmer qu’en 1642, la conjonction était en
poissons c’était casser le modèle. On ne pouvait pas repasser du
sagittaire aux poissons, il fallait admettre que depuis les années
1580, on était entré dans une nouvelle triplicité avec, de 20 ans en
20 ans bélier, lion, sagittaire et à nouveau bélier[1]..
. On notera que dans l’épitre à Henri II, à la différence du livret de
Liberati, aucune référence n’est faite aux conjonctions Jupiter-Saturne.
Mais cela tendrait à montrer à quel point ce texte est défectueux et
douteux. En effet, dans son épitre liminaire à Pie IV du 17 mars 1561
(almanach nouveau pour 1562), Nostradamus évoque les « grandes
conjonctions que se font de Saturne & Jupiter au commencement d’Aries
qui se font de 960 ans » et il mentionne le ‘commencement de chascune
triplicité commme sont celles que s’ensuyvent & qui s’approchent de
240 ans, pour ce que telles malignes conionctions se font communément
à un chascune triplicité douze fois plus ou moins & quelquefois treize
»
JHB
08. 11. 12
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[1] Il n’est donc pas approprié comme le propose P. Guinard de
souligner qu’en 1642, la conjonction se fait en poissons. C’est vrai
astronomiquement mais pas astrologiquement Cf CORPUS NOSTRADAMUS 63 --
par Patrice Guinard « Le quatrain I.16 et l'annonce de la chute
définitive de la Monarchie (1842-1848) |
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153 - Les années 1530 dans le processus nostradamique.
Par Jacques Halbronn
Certains nostradamologues comme Eugene Parker et avant lui l’auteur
des Lettres critiques de 1724 dans le Mercure de France ont montré que
certains quatrains renvoyaient des événements antérieurs à 1555, date
présumée de la parution des premières centuries. Mais une autre
question se pose : pourquoi la ¨ Première Face du Janus François se
réfère-t-elle en son sous titre à l’an 1534 et pourquoi le commentaire
des quatrains débute-t-il en cette année là ? Même la réédition de
1596 s’en tient à cette date comme point de départ d’une chronologie
qui s’étend jusqu’au temps présent. Que la période correspondant aux
20 années allant de 1534 à 1555 soit traitée en très peu de quatrains
ne change rien à l’affaire et que cette date de 1534 fasse sens
historiquement ne suffit pas à expliquer en quoi cela ferait sens que
Nostradamus ait « prévu » des événements antérieurs à ses
publications. En l’occurrence, les quatrains qui sont proposés pour ce
faire sont tous issus des centuries (III, 67, III 76, II, 35, II, 91,
VI, 70, I, 14 alors que dès que l’on arrive à 1555, l’on passe pour
l’essentiel à des quatrains d’almanachs
Il est vrai que le début du titre du Janus Gallicus se présente comme
un ouvrage d’Histoire et même la mention « extraite et colligée des
centuries et autres commentaires » ne comporte aucune connotation
astrologique ou prophétique, le terme centurie, à l’époque pouvant
s’appliquer à n’importe quel corpus organisé et répertorié au moyen
d’un index. On se garde bien de signaler que Nostradamus est
astrologue. Même la « Pronostication de l’Advenement à la Couronne de
France de (…) Henri de Bourbon Roy de Navarre » devient quand il est
adjoint au Janus Gallicus Discours de l’advenement etc.
Il y a là selon nous, une tentative de ne pas éveiller l’attention qui
correspond assez bien à la rétractation qui a été exigée de Chavigny
et dont il est fait mention en tête de l’ouvrage. Certes, quand on
ouvre le livre, l’on risque fort de découvrir le pot aux roses mais
même, comme on l’ a dit, la chronologie suivie du fait qu’elle démarre
en 1534 donne le change.
Cependant, comme nous l’avons noté, les quatrains centuriques sont
seuls mobilisés pour « couvrir » très succinctement, c’est le moins
que l’on puisse dire, les 20 premières années. : 3 quatrains pour
1534, 1 pour 1545, 1 pour 1547 et un pour 1553. Et c’est tout.
Nous formulerons l’hypothèse suivante :et si les quatrains des
centuries étaient censés couvrir les 20 années allant de 1534 à 1554
inclus et si l’on avait laissé entendre que Nostradamus avait produit
des centaines de quatrains avant de produire ceux de ses almanachs ?
Le titre du Janus est ambigu : « contenant sommairement les troubles &
guerres civiles & autres choses mémorables advenues en la France &
ailleurs dès l’an de salut MDXXXIIII iusques à l’an MDLXXIX » mais en
latin, il prête encore plus à confusion « Historiam Bellorum civilium
(…) breviter complectens » puisque le mot Histoire est présentée.
Les quatrains antérieurs à 1555 détectés par Parker et par quelques
autres avant et après lui auraient d’abord figuré dans le tout premier
« livre », 1555 étant la première année des almanachs à quatrains.
Notons que 20 ans c’est une durée permettant d’intégrer quelques
centaines de quatrains. Selon le scénario initial, Nostradamus aurait
commenté des « livres de prophéties » pour une période précédant
justement 1555, date de la Préface puis une autre série aurait été
expliquée sur la base des données astronomiques commentées par
Nostradamus, sur la base de ses quatrains d’almanachs en deux volets :
ce qui va jusqu’en 1565/1566 (Première Face) et ce qui concerne les
décennies suivantes ;(Seconde Face) et qui resterait à l’état brut de
quatrains non couplés avec des commentaires en prose des données
astronomiques..
On comprendrait dès lors qu’il y ait tant de quatrains couvrant une
période d’avant 1555, surtout si ces quatrains étaient censés avoir
été composés avant 1534- Nostradamus ayant été alors âgé de 30 ans..
C’est alors qu’il se trouve à Agen, se marie et qu’il a des enfants,
d’un premier lit. Il « vint à Agen, ville sur la rivière de Garonne où
Jules Cesar Scaliger l’arresta (…) Là prist à femme une fort honorable
Damoiselle, de laquelle il eut deux enfants, masle & femelle, lesquels
decedez, se voyant seul & sans compagnie, delibera soi retirer du tout
en Provence, son naturel pays (…) A Salon de Craux (..) il se maria en
secondes nopces » (Brief Discours sur la vie de M. deNostredame). On
notera qu’après 1596, la référence à 1534 ne sera jamais plus
mentionnée. On notera d’ailleurs que le Brief Discours comporte très
peu de dates. On ne nous dit pas en quelle année Nostradamus arriva à
Agen. On ne trouve que 1503, l’année de sa naissance puis plus aucune
date pendant 40 ans jusqu’en 1546, à propos de la Peste d’Aix (en
Provence), puis 1556 pour son voyage à Paris et enfin 1566 l’année de
sa mort.
. . Mais pourquoi a-t-on jugé bon de rappeler, dans les années 1590,
une date remontant aux années 1530 avec au demeurant aussi peu de
profit puisque les 20 premières années ne sont pas couvertes ? La
seule date majeure est le 31 mars 1547 qui est celle de l’avènement
d’Henri II (Chiren, VI, 70)..En note, on ajoute 1552, année au cours
de laquelle Henri II « donne secours aux Allemands »/ Le texte latin
ne donne pas la date du début du règne mais indique que le nouveau roi
est âgé de 28 ans. « ad duodetriginta annos « . On a l’impression de
bribes. C’est un ensemble très décousu.
Si l’on examine le texte de la Préface à César, l’on note que
l’astrologie qui y est présentée diffère de celle que Nostradamus
pratiquera dans ses almanachs et pronostications. En revanche,
plusieurs quatrains correspondent à ce système fictif repris de
Trithème, où chaque planète couvre 354 ans. Autrement dit, nous
aurions là un texte qui daterait des années 1530 et qui correspondrait
à une autre posture tant au regard de l’astrologie que de la prophétie,
en contraste net avec l’Epitre à Henri II.
Le système est exposé dans le Livre et Mutation des Temps de Roussat (Seconde
Partie p. 95) et on le retrouve dans la Préface à César.
« Car encores que la planète de Mars parachève son siècle & à la fin
de son dernier période si le reprendra-il (…) Et maintenant que sommes
conduicts par la lune (..) que avant qu’elle aye parachevé son total
circuit, le soleil viendra & puis Saturne. Car selon les signes
celestes, le regne de Saturne sera de retour, que le tout calculé le
monde s’approche d’une anaragonique revolution & que de présent que
ceci j’escriptz avant cent & septante sept ans troys moys unze iours
etc « . 177 est la moitié de 354 qui est la durée d’un âge planétaire.
Chez Roussat, on retrouve la même formule « La Lune qui de présent
gouverne ». Mais Roussat emprunte au Période du Monde de Pierre Turrel.
Quant aux quatrains, signalons I 48
« Vingt ans du regne de la lune passés »,
Pierre Brind’amour nous donne – sans se référer au Janus Gallicus –
une autre piste, dans son commentaire du quatrain ci-dessus. (cf Les
Premières Centuries ou Prophéties, Ed Droz, 1996, pp. 118-119) :
« La chronocratorie de la Lune, dans la doctrine des cycles de 354 ans,
avait commencé à s’exercer vers 1533(cf Les Premières Centuries ou
Prophéties, Ed Droz, 1996, pp. 118-119) :
En effet, Roussat, qui est cité, fixe à 1886 et 8 (soit 1887) mois (de
l’ère chrétienne), le passage à l’âge du soleil. 1887-354= 1533.
On aurait donc commencé la chronologie historique avec le début de
l’âge de la Lune. Et 20 ans après, on arrive aux années 1550, ce qui
confirmerait la date de l’épitre de 1555.
Or, il est clair que Nostradamus revendique un passé sinon
astrologique du moins prophétique remontant vingt ans en arrière et
dont il entend dresser le bilan. Si Nostradamus n’avait commencé à
prophétiser que dans les années 1550, le bilan serait par trop bref en
1555. En resituant l’activité de Nostradamus à partir du début de
l’Age de la Lune, alors qu’il séjournait à Agen et fondait une famille,
l’on comprend mieux le ton de cette Epitre.
Il conviendra donc de retenir les passages de la Préface où
Nostradamus parle de son travail prédictif bien antérieur à son
activité de faiseur d’almanachs.
« Depuis longtemps, j’ai plusieurs fois prédit longtemps à l’avance ce
qui s’est produit et en quelles régions, attribuant le fait à la
puissance et à l’inspiration divines etc. »
Il est clair que Nostradamus remonte bien plus haut dans le temps que
quatre ou cinq ans. La thèse donc d’un Nostradamus qui n’aurait
commencé à prévoir que dans les années 1550 doit être abandonnée et
c’est bien là le sens de la mention de 1534 comme point de départ du
Janus Gallicus. Les quatrains centuriques pourraient être issus de la
prose produite par Nostradamus au cours de ces 20 ans. Et il ne faut
donc pas s’étonner qu’il y soit évoqué des événements antérieurs à
1555 puisque Nostradamus dresse un bilan de ses prévisions. Il
faudrait même remonter plus haut jusque dans les années 1520, s’il est
vrai que certains quatrains, comme le propose Parker, renvoient à
cette décennie tel II, 72 qui évoquerait le désastre de Pavie, en,
1525.
« Armée Celtique en Italie vexée (…) Près du Thesin etc. »
Pierre Brind’amour apporte de nombreux éléments au dossier sans pour
autant conclure que Nostradamus aurait pu prophétiser avant d’arriver
à Salon. Il signale notamment, au prix de recoupements, les deux
éclipses du printemps 1540 (Nostradamus astrophile, pp. 221 et seq) et
les quatrains III, 4 et 5. mais aussi VIII, 15. qui parle des « deux
éclypses ». Dans l’almanach pour 1567, dans le mémoire italien,
Nostradamus remonte en effet à l’an 1540 et à l’année 1544 avec ses 4
éclipses. Cela nous indique que Nostradamus s’intéressait déjà à ces
sujets à la fin des années 1530. Le chercheur québécois s’intéresse
également (pp/ 225 et seq) à une « tentative d’empoisonnement en 1546.
(II, 48, VII, 24, VII, 42). Puis il passe (pp. 227 et seq) au «
tremblement de terre du 4 mai 1549 » qu’il met en rapport avec X 67.
Mais là c’est tout à fait évident étant donné que les positions
planétaires sont fournies. Mais il ne s’agit évidemment pas de
prévisions mais de notes prises après coup qui sont le fait
d’astrologues tenant une sorte de journal. Ainsi, Brind’amour à propos
d’un théatre qui correspondrait à III, 40, écrit ‘ »Nostradamus nous
livre son diagnostic de l’accident. Nostradamus n’agit point là en
tant qu’historien mais bien en tant que spectateur astrophile du
monde.
Jetons un coup d’œil sur la mouture de la Préface à César, publiée
vers 1691 par Antoine Besson. On retrouve le passage « Combien que
depuis long-temps (…) j’ay prédit (…) A donc ay mieux aymé m’estendre
declarant (…) par obstruses & perplexes sentences etc’ » On n’y trouve
pas, en revanche, l’exposé sur les âges planétaires. Rappelons aussi
que des emprunts ont été effectués au Compendium Revelationum de
Savonarole, comme l’a relevé Torné-Chavigny. Mais même sous la forme
dépouillée de l’édition Besson, nous ne pouvons que constater – peut
être encore plus nettement, que Nostradamus en 1555 se présente doté
d’un bilan d’une activité prédictive de probablement plus de 20 ans.
Apparemment, le Brief Discours ne met pas en évidence une telle
activité et laisse entendre que Nostradamus n’aurait « prophétisé »
qu’à partir de son installation à Salon, ce qui est contredit à la
fois par le sous titre même du Janus Gallicus et par le contenu de la
Préface à César..
La renovation du monde, l’ »anaragonique révolution », dans le systéme
des 7 âges et des 7 anges, correspond à un changement de planéte.
L’avénement de l’âge de la Lune devrait donc correspondre à une telle
rénovation mais cela implique que Nostradamus ait commencé à prédire à
la veille du changement de planéte, donc avant 1533/34. C’est l’époque
à laquelle Turrel publie son Période du Monde..(Bib. Ste Geneviève),
repris par Roussat dans les annés 1550. Le fait que la préface à César
parle de 177 ans, signifie qu’à la moitié de l’âge de la Lune, il faut
s’attendre à une échéance majeure, ce qui désignerait l’an
1710.(1533+177). Cela suppose que l’auteur écrive en 1533, sinon ce
nombre de 177 ne ferait pas sens. : « que de present que ceci
j’escriptz avant 177 ans etc ». Le point de départ ne saurait être
1555 mais un début de cycle dont la mi-temps serait décisive. Tout
nous raméne vers les années 1530. Mais par la suite, il semble que
Nostradamus ait exploré d’autres pistes et notammen celle des années
1560, ce qui peut surprendre car les années 1580 du fait qu’elles
correspondairent, dans un autre systéme qui est celui du cycle des
Grandes Conjonctions de 800 ans, à un retour au premier signe du
Zodiaque, semblaient plus indiquées, si ce n’est que Nostradamus prend
en compre l’éclipse de 1567, les années 1580 n’étant marquées que par
des éclipses de second ordre. Sinon il falllait attendre jusqu’en
1605, avec la conjonction en Sagittaire, avec un retard de 20 ans. Que
préférer : être en avance de 20 ans ou en retard de 20 ans ? En fait,
Nostradamus finira par considérer que les éclipses ont la préséance
par rapport aux planétes.
JHB
08. 11. 12 |
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154 - Nostradamus, réformateur de l’Astrologie
Par Jacques Halbronn
En hommage à Pierre Brind’amour
Il importe de comprendre comment travaillait Nostradamus au niveau des
prévisions mondiales. On ne trouve pas ces éléments dans sa
correspondance et bien évidemment pas dans ses quatrains. Même sa
production annuelle se présente de façon très classique avec ses «
commentaires » de semaine en semaine, sur la base des aspects
soleil-lune, plus encore que de mois en mois.
La façon dont Nostradamus aborde les enjeux à long terme peut sembler
assez déconcertante en ce qu’il procède par anticipation ou/et étudie
les effets sur plusieurs années. Autrement dit, la position proprement
dite de la configuration planétaire ou de l’éclipse s’étend bien au-delà
de l’année concernée, comme il ressort notamment des annexes à
l’almanach pour 1562, qui n’ont en principe rien à y faire. Tout se
passe comme si Nostradamus instrumentalisait ses almanachs pour y
placer ses prévisions sur plusieurs années, par-dessus le marché,
l’almanach étant un support privilégié. On peut parler d’un certain
abus et il est possible que la condamnation par le pouvoir des
almanachs soit liée à de telles dérives...
Lire la prose de Nostradamus exige une grande attention- et celui qui
ne pratique que « ses » quatrains risque fort d’avoir pris l’habitude
de ne pas chercher à comprendre sérieusement ce qui est écrit, tant la
lecture des quatrains favorise un certain imaginaire. Les
nostradamologues de la prose ne travaillent pas comme les
nostradamologues des quatrains.
Prenons, pour commencer, la brève Epitre de 1561 à Pie IV. Nostradamus
commence par y évoquer la conjonction de Mars et de Saturne puis le
cycle des grandes conjonctions Jupiter- Saturne ! Il déclare que ces
deux types de conjonctions ne sont « guère dissemblable(s) ». Il
rappelle que la rencontre des deux planétes supérieures au début du
signe du Bélier (Aries) se fait de « 960 en 960 ans’. Puis il précise
que le changement de triplicité a lieu tous les 240 ans, soit le quart
du temps/ Il qualifie ces conjonctions de « malignes » C’est alors que
Nostradamus aborde la situation du moment : « comme sont celles qui
s’ensuyvent et s’aprochent (sic) de deux cens quarante ans » Puis il
annonce qu’il a « calculé (…) iusques à l’année 1570, là environ »
Passons à présent à la « Préface » qui fait suite à l’Epitre :
Il explique pourquoi cette année 1562, qui est celle de l’année à
venir a toujours été « doubtée » (lire redoutée). Pourquoi,
demande-t-il. Réponse « Pour cause de cette année icy redondant par
intelligence de l’année 1564 »qui est en fait, noterons-nous, celle
d’une grande conjonction dans le signe du Cancer mais Nostradamus ne
le précise pas. « Et Nostradamus d’ajouter ‘ « Et depuis la présente
année 1562. iusques là , le fait ecclésiastique temporisera » Mais «
vrayment parvenu en iceluy temps que sera faicte la grande conjonction
sera le temps de (…) plus sinistres avantures que iamais advinrent sus
la terre » (p 7 de la réimpression de 1906). L’année 1562 serait donc
« concatenée [enchaînée] avec l’année 1563 & 1564 à la proximité d’un
temps à l’autre !,
Le changement de triplicité est déterminant, affirme Nostradamus. Il
mentionne l’an 1425, au 30 août, quand la conjonction se fit en
Scorpion, un des trois signes de la triplicité d’eau/(cf B. Tuckerman,
Planetary, Lunar & solar Position,1964). Ce fut, dit Nostradamus, le
début du déclin de la « puissance temporelle » de l’Eglise. Et cette
période se prolongera jusqu’au passage des grandes conjonctions dans
une nouvelle triplicité, celle de feu, avec une conjonction en «
Sagittarius », en 1603 - ce qui correspond, mais ce n’est pas
Nostradamus qui le signale, au quatrain I, 16, ( Faulx à l’estang
etc). On est donc à quarante ans, en 1562, de cette échéance mais
dit-il il faut s’y préparer. Et de citer le 4e aphorisme du Centiloque.-
en réalité c’est le 5 (cf notre édition des Remarques Astrologiques
sur le Commentaire du Centiloque de Ptolémée de J. B. Morin (1654), Ed
Retz, 1975, p. 69) que Nicolas Bourdin rend ainsi : « Celui qui est
savant peut éviter plusieurs événements des astre lorsqu’il aura connu
leur nature et se préparer avant leur venue » . Rappelons que cette
œuvre n’est pas de Ptolémée mais est un abrégé de la Tétrabible par
Albumasar, selon Richard Lemay (Beyrouth, 1972)
On aura compris que Nostradamus préconise une astrologie préventive.
Et d’ailleurs il signale qu’il a publié son almanach « devant temps
pour donner advertissement aux Monarques, si tels sinistres evenements
se pourrayent divertir » (p.20).
Après avoir anticipé sur la grande conjonction à venir pour l563 qui
sera toujours en signe d’eau en cancer il aborde les années qui s’en
suivront 1565 et 1566. Quant à celle qui aura lieu 20 ans plus tard,
il semble qu’il la situe encore en signe d’eau, en poissons, bien que
pour d’autres astrologues, il faille associer les poissons au bélier,
le signe suivant pour disposer d’une première conjonction de feu dans
le premier signe de feu, ce qui correspond à la fin d’un cycle de 960
ans (ou de 800 ans selon la nouvelle école). Nostradamus n’adhère
apparemment pas à l’idée que la triplicité de feu commence dans les
années 1580 et il reporte son début de 20 ans, ce qui lui permettra de
relier la conjonction à l’éclipse d’octobre 1605 (cf Epitre à Henri
II). En fait, il n’évoque pas la conjonction de 1583 en « Pisces-Aries
» comme le fera Liberati en 1575. Rappelons l’importance accordée
notamment à l’an 1588 par un Regiomontanus –plus tard la date sera
changée en 1788 (cf notre étude in Politica Hermetica)
Nostradamus va faire naitre un certain Marcelinus, que l’on peut
assimiler à l’Antéchrist- bien que ce mot ne figure pas dans
l’almanach pour 1562 – ce terme en revanche est récurrent dans
l’Epitre à Henri II datée de 1558- avec la grande éclipse de 1567. Il
est entré dans une logique de la fin des temps, selon la vision
apocalyptique. On va donc vivre 40 années terribles jusqu’à ce que
Saturne et Jupiter cessent de se retrouver en signe d’eau et que
Jupiter rejoigne Saturne dans son domicile en Sagittaire.
Comparons avec le mémoire « italien » de l’almanach pour 1567, en date
du 22 avril 1566, donc cinq ans plus tard. Plus un mot désormais sur
le cycle des grandes conjonctions. On ne parle plus que des éclipses
de 1567 et de 1605, pas même de la grande conjonction en Sagittaire de
1603 qui devait sonner la sortie de la triplicité d’eau, si néfaste
pour l’Eglise. A l’évidence, Nostradamus ne jure plus que par les
éclipses qui sont un phénoméne visible alors que le passage des
conjonctions Jupiter-Saturne est un artefact intellectuel, toute
conjonction de ce type, survenant tous les 20 ans, ressemblant à la
suivante, selon une mécanique imperturbable. Seuls les astrologues se
retrouvent dans ces histoires de triplicités de tel ou tel Elément.
Notons que l’épitre à Henri II ne dit mot des grandes conjonctions, ce
qui montre qu’elle appartient à une période plus tardive que cette
année 1558 qui est celle où elle aurait été écrite. Il évoque certes
le « règne de Saturne » & siècle d’or » mais c’est dans le cadre des
cycles fictifs de 354 ans, sans rapport avec les données astronomiques.
Terminons notre investigation avec un texte daté du 14 août 1558 et
qui s’intitule Significations de l’éclipse de septembre 1559, donc
deux ans et demi avant l’épitre au pape d’avril 1561, du moins si
cette épitre est authentique, étant par ailleurs en partie reprise de
Leovitius . Point de trace de propos sur les triplicités articulées
sur les rencontres Jupiter Saturne. Les positions planétaires
signalées ne sont que celles des « révolutions », c'est-à-dire des
thèmes qui englobent toutes les planétes. En revanche, il est question
de 1605 mais pas un mot sur l’éclipse de 1567, pourtant signalée dans
l’almanach pour 1567. On peut donc dire que cette épitre a été
composée après cette date, ce qui explique qu’on n’en fasse plus
mention.
Nostradamus aura donc jugé que la conjonction Jupiter-Saturne de 1583
n’était pas la fin du cycle « aquatique » qu’il repousse de 20 ans.
Qu’en est-il de Roussat sur cette question en 1548, ? Dans la tierce
partie du Livre de l’Estat et Mutation des Temps, le chanoine de
Langres écrit : «Il est heure de dire plus oulte de la triplicité
aquatique, soubz laquelle nous vivons en assez grandes fascheries (..)
mesment nous Chrestiens. Laquelle triplicité commencea (sic) soubz le
Scorpion, mil quatre cens & deux »(p. 144). Cette date ne veut rien
dire. C’est Nostradamus qui a raison :c’est 1425. 20 ans ; plutôt, on
était dans la triplicité d’Air. Pour Roussat (p. 131), ce qui est
repris par Nostradamus
« Cette présente triplicité aquatique terminée (..) viendra la
triplicité du feu & lors se conioindront Saturne & Jupiter au
Sagittaire, Signe de feu ». En fait, selon Roussat, il faudra attendre
1702 pour que la dite conjonction se fasse en Bélier. Si 1702 est bien
une année où les deux planétes se retrouveront en bélier, Roussat se
trompe quant à la première occurrence : ce sera en 1644 soit 60 ans
après celle de 1583, après être passée en Sagittaire et en Lion.
Roussat repousse donc considérablement les échéances liées à un
nouveau cycle conjonctionnel de 960 ans.
En fait, il faut reconnaitre que la conjonction en sagittaire est bien
la première de la triplicité de feu. En effet, si la première
conjonction en Eau eut lieu en Scorpion en 1425, il faut se situer
deux siècles plus tard pour changer de triplicité, donc au XVIIe
siècle. La conjonction des années 1580 appartiendrait donc bel et bien
encore à la triplicité aquatique
Il nous faut revenir, à la lumière de ces développements sur les 177
ans avancés dans la Préface à César[1]. Selon Laurent Videl, un des
critiques de Nostradamus, en effet, l’âge de la Lune aurait commencé
en 1525 alors que pour P. Brind’amour, cela aurait eu lieu 10 ans plus
tard. Nous avons expliqué dans une précédente étude que 1534
correspondait au début de la chronologie de la Première Face du Janus
François (1594), ce qui apparait déjà en son titre
complet..Nostradamus dit qu’il y a 177 ans, à partir du temps où il
écrit, soit la moitié d’un règne de la Lune de 354 ans. avant de
parvenir à un seuil important. Or, il est évident qu’il ne peut écrire
ainsi qu’au début du dit règne, donc en 1534. Il ne peut donc
s’adresser à César qui ne naitra qu’en 1553. Mais là encore, il semble
que Nostradamus ait renoncé à ce système exposé dans la Préface à
César et qui marque sa jeunesse.
Pierre Brind’amour, dans un ouvrage (Nostradamus astrophile) sous
titré « Les astres et l’astrologie dans la vie et l’œuvre de
Nostradamus » consacre un chapitre (pp. 199 et seq) aux grandes
conjonctions mais non point aux éclipses si ce n’est celles de 1540
qui montrent que Nostradamus était déjà très féru d’astrologie à la
fin des années 1530. A propos de Leovitius, Brind’amour traduit un
passage de son De conjonctionibus (1564) où il est clair que si l’on
reconnait que la grande conjonction de 1564 a bien lieu « dans le
dernier décan des poissons’, il n’en faut pas moins signaler « un très
grand rassemblement de presque toutes les planètes dans le Bélier vers
la fin du mois de mars et vers le début d’avril » Mais voyons ce que
dit Brind’amour sur l’intérêt que Nostradamus portait aux grandes
conjonctions (pp 209 et seq) Le quatrain VI, 2 associerait deux
grandes conjonctions en 1584 et 1702 dans le Bélier :
« En l’an cinq cens octante plus & moins
On attendra le siecle bien estrange
En l’an sept cens & trois cieux en tesmoings
Que plusieurs regnes un à cinq feront change
Selon nous, il serait fâcheux de percevoir Nostradamus comme ayant une
position constante sur ces questions ou de vouloir concilier entre
elles des positions successives. Ce n’est pas parce que tel quatrain
renvoie à telle technique que Nostradamus aura conservé celle-ci dans
son arsenal jusqu’à la fin de sa vie. De toute l’astrologie mondiale,
Nostradamus ne gardera plus, dans ses dernières années, que les
éclipses et, ce faisant, il se démarque non pas de l’astrologie mais
des astrologues de son temps qui privilégient les grandes conjonctions
et ont convaincu le monde que les années 1580 seraient cruciales. Il
est vrai qu’elles marquèrent en France une crise dynastique majeure,
bien plus que la fin du règne d’Henri IV. Pour Nostradamus, les
planétes ne sont à considérer qu’en rapport avec les éclipses
principales. On peut donc parler d’une réforme nostradamienne de
l’astrologie comme il y aura peu après, au début du XVIIe siècle, une
réforme képlerienne de l’astrologie (cf Gérard Simon ; Kepler,
astrologue, astronome, 1979), laquelle ne voulait retenir que les
aspects et évacuer le zodiaque du champ de l’astrologie. Dans les deux
cas, un désir de simplification de l’outil astrologique.
JHB
10.11.12
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[1] Voir J. Halbronn « La prophétisme antéchristique », site
ramkat.free.fr |
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155 - Les incohérences du Janus Gallicus
Par Jacques Halbronn
La lecture de la Préface à César nous montre en 1555 un Nostradamus
ayant dressé un bilan d’une longue activité prédictive qui n’a guère à
voir avec sa récente production d’almanachs et de pronostications qui
ne remonte pas avant 1550, donc à 1549 pour la rédaction, si l’on en
croit le Recueil des Présages Prosaïques (cf B. Chevignard, Présages
de Nostradamus, Paris, 1999) : « Combien que de long temps par
plusieurs fois j’aye predict long temps au paravant ce que depuis est
advenu (…) le tout estre faict par la vertu & inspiration divine etc
». Si l’on rappelle que le Janus Gallicus commence à couvrir une
période qui débute en 1534, tout s’explique. Ce sont 20 ans dont il a
été dressé le bilan. Jean Aimé de Chavigny semble assez peu au courant
des raisons d’être d’une telle indication et ce ne sont pas les
quelques quatrains censés correspondre à une telle durée qui suffiront
à donner le change. C’est dérisoire et il est étonnant que l’on ne
s’en soit aussi peu soucié jusqu’à présent. Pourquoi ne pas commencer
carrément à 1550, en accord avec le dit Recueil des Présages
Prosaïques ? Probablement parce qu’il n’ pas osé changer un titre dont
il n’était visiblement pas l’auteur. Plus que jamais le décalage entre
Jean de Chevigny et Jean Aimé de Chavigny nous semble flagrant, n’en
déplaise à B. Chevignard, justement responsable – ironie du sort- de
l’édition du RPP qui ne dit mot de la période antérieure à 1550.. . A
la fin du Brief Discours de la Vie de M. Michel de Nostredame, les
deux séries de documents sont présentées de la façon suivante (p.7) :
« Il a escrit XII Centuries de prédictions comprises briévement en
quatrains (qu’il a ) intitulé Propheties. (..) Nous avons de luy
d’autres présages en prise faits puis l’an 1550 iusques à 67 qui
colligez par moy la plus part & redigez en XII livres sont dignes
d’êstre recommandez à la postérité. Ceux cy comprennent nostre
histoire d’environ cent ans & tous nos troubles, guerres & menées dez
un bout iusques à l’autre. Ceux là, scavoir les Centuries s’estendent
en beaucoup plus longs siecles dont nous avons parle plus amplement en
un autre discours sur la vie de ce mesme Auteur, qui bien tost verra
la lumière »
Le texte latin de la Vita Auctoris offre toutefois de nombreuses
variantes. Si le nom de César y figure, il n’y est pas indiqué que
Nostradamus lui a adressé une préface ni l’an 1559 – non pas la
production pour l’an 1559 mais celle qui est associée à cette année là
par le rédacteur- qui se référerait à César comme cela figure dans la
version française. Le nom de Dorat a disparu dans la dite version du
Brief Discours, dont le dialogue n’est d’ailleurs fourni qu’en latin
dans la Première Face du Janus François.
Pourquoi indiquer que ces quatrains d’almanachs de 1550 à 1567
couvriraient 100 ans d’histoire ? Un tel programme ne correspond pas à
une série limitée à 1550-1567. Il a été à l’évidence tronqué et si
l’on en revient à la Préface à César, Nostradamus prétendait avoir
fait des prédictions de longue date. Il est possible que Nostradamus
ait tenté d’expliquer a posteriori astrologiquement les événements
depuis le début du XVIe siècle, activité assez typique d’un «
astrophile » et qu’il ait recopié le récit de certains de ces
événements en vue de les expliquer. Ce sont là des notes de travail
qui auraient ainsi été mises en quatrains et pas forcément par
Nostradamus. Certains nostradamologues, comme Brind’amour ou Roger
Prevost (Nostradamus, le mythe et la réalité. Un historien au temps
des astrologues, Ed Laffont, 1999, ont fait le chemin inverse,
reconstituant la prose à partir des vers. Bien entendu, les quatrains
centuriques ne constituent, au mieux, qu’un résumé assez baroque des
études qui ont pu être menées par Nostradamus sur la suite des
événements, au minimum depuis 1534... Ce serait donc une erreur
d’optique que de laisser entendre que Nostradamus aurait attendu de
s’installer à Salon pour entamer une carrière de pronostiqueur. Il
faut probablement remonter à son premier mariage et à son séjour à
Agen, dans les années 1530, point qui n’est pas abordé dans le Brief
Discours décidément bien insuffisant au niveau
biographique..Etrangement, le Discours ne signale pas que le recueil
de textes de 1550 à 1567 comporte des quatrains, comme si le rédacteur
l’ignorait au moment où il écrit. Il est vrai que le titre du recueil
renvoie aux Présages Prosaïques qu’il désigne comme « autres présages
en prose ». Nous pensons que Chavigny, quand il compléta le Brief
Discours n’avait pas encore étudié de près les XII livres du dit
Recueil.
On aura noté que, dans le Discours, l’on mentionne d’abord les «
centuries de prédictions » réduites en quatrains dont il aurait été
question dans un autre texte sur lequel Chavigny ne reviendra jamais,
et ensuite seulement la série 1550-1567.
L’ordre est inversé par rapport à la chronologie des impressions mais
Chavigny insiste sur le fait que certains éléments sont longtemps
restés inédits.
Selon nous, c’est à ces « centuries de prédictions » que Nostradamus
fait référence dans son épitre de 1555. et dont il affirme avoir
vérifié le bien fondé. On ne trouve d’allusion à un tel recueil que
dans les Significations de l’éclipse de septembre 1559 :
« adviendra l’an 1605 que combien que le terme soit fort long, ce
nonobstant les effects de cestuy ne seront gueres dissemblables à
celuy d’icelle année comme plus amplement est declaré à
l’interprétation de la seconde centurie de mes Propheties » (B.
Chevignard, Présages de Nostradamus, fac simile p. 455).
Il convient ici de faire un point terminologique : on appelle «
commentaire » l’étude que Nostradamus fait de telle « révolution «
dans ses publications 1550-1567 - et « interprétation » ce qui
consiste à expliquer les centuries de quatrains.
On notera que les quatrains centuriques sont le parent pauvre de la
Première Face du Janus François. Mais là encore, on a une cote mal
taillée. Ils s’y trouvent néanmoins mais comme en surplus. On a
l’impression que le texte contenu dans le Janus Gallicus se trouve
bien trop au large, tant sur le plan chronologique que sur celui des
quatrains centuriques alors même que le sous titre donne la priorité
aux Centuries : « Extraite et colligée des Centuries et autres
commentaires de M. Michel de Nostredame ». Quant au titre latin, il ne
mentionne que les quatrains « ex decantissimis illis tetrastichis »
sans évoquer d’autres pièces.
L’on voit à quel point il est impératif de distinguer entre le titre
d’un ouvrage et son contenu ainsi que de son « programme » tel
qu’exposé liminairement. Nous l’avons signalé dans nos travaux à
maintes reprises. A l’évidence, nous sommes là face à un tel décalage
entre ce qui est annoncé et ce qui est exposé.
C’est également le cas de la Préface à César qui annonce un étude
rétrospective des prédictions de Nostradamus sur de nombreuses années
et non un exposé relatif au futur consistant en des centuries de
quatrains. Il semble que Nostradamus n’aurait pas songé à présenter
ses centuries de quatrains sans « explication ». Mais on n’a rien
gardé d’une telle explication si ce n’est peut être quelques extraits
épars dans le Janus Gallicus, à propos de tel ou tel quatrain
centurique. Mais il semble bien qu’au bout du compte, plutôt que de
revenir sur le bilan de 1555 – le Brief Discours (en français) se
référe à la Préface à César mais sans donner la date de 1555 qui est
celle des premiers quatrains mensuels) relatif à la période 1534-1549
(date correspondant à la composition du premier almanach signalé pour
1550 ) on ait préféré dressé le bilan de la période allant de 1550 à
1589. Mais tout cela s’est fait tout en cherchant à donner le change
et à faire croire que le contenu correspondait au titre et au
programme tel qu’annoncé à la fin du Brief Discours.
Etrangement, on nous dit à la fin du Discours dans la plus grande
confusion que les présages de 1550 à 1567 « comprennent notre histoire
d’environ cent ans & tous nos troubles, guerres & menées dez un bout
iusques à l’autre ». Que l’on nous explique comment ces présages sur
une douzaine d’années pourraient convenir. Par ailleurs, comment
Nostradamus aurait pu, comme il le promet dans la Préface à César,
faire le bilan sur des événements non encore survenus comme il est
annoncé « les Centuries s’estendent en beaucoup plus longs siecles ».
C’est probablement ce qui explique que Chavigny annonce une Seconde
Face du Janus François qui ne nous est pas connue. C’est ce à quoi il
est apparemment fait allusion, mais sans mentionner la « Seconde Face
» alors que l’ouvrage s’intitule « Première Face « ou « Iani Gallicis
facies prior’. On trouve à la place « «les centuries s’estendent en
beaucoup plus longs siecles dont nous avons parlé plus amplement un
autre discours sur la vie de ce mesme auteur », autrement dit ce texte
serait déjà prêt. Quant au latin, il y a « videbit Lector in alio
opere Centuriarum scilicet etc’ Tout se passe comme si Chavigny avait
placé son double titre Première et Seconde Face du Janus François sur
un contenu qui n’aurait pas été ajusté à une telle dénomination. A
l’évidence, il semble bien qu’il a du exister un volume consacré à
l’explication des centuries de quatrains qui ne nous est pas parvenu
et qui concernait la période antérieure à 1555. Or, il apparait que
l’on ait voulu nous faire croire que les centuries en question
traitaient d’une période s’étendant sur les siècles à venir et c’est
d’ailleurs ainsi que la postérité l’aura compris.
On perçoit chez Jean Aimé de Chavigny une mauvaise conscience qui le
conduit à se référer à 1534 alors qu’il n’a aucune intention de
couvrir ce qui n’appartient pas ce qui précède 1555, ce qui montre
bien que toute tourne pour lui autour des quatrains. Il ne consacre
que 8 numéros sur près de 350 à la période antérieure 1534-1554 et
encore les deux premiers quatrains étudiés ne sont pas associés à une
quelconque année. Selon nous, Chavigny ne s’intéresse- du moins au
départ, qu’aux quatrains et aux « commentaires » des almanachs et des
pronostications, soit au contenu du Recueil des Présages Prosaïques,
qu’il avait l’intention de publier séparément. Il semble qu’il ait
alors opté pour une autre solution consistant à publier son
commentaire du dit Recueil – il avait prévu initialement quelques
notes en marge du dit Recueil- sous couvert d’un volume consacré aux
centuries, dont il n’aurait conservé que quelques quatrains – le
vidant en quelque sorte, en grande partie, de son contenu initial pour
le remplacer par son travail sur les quatrains présages.. Ce volume
aurait en fait, au départ, correspondu à ce qui était annoncé dans la
Préface à César, à savoir une « interprétation » d’un certain nombre
de quatrains centriques. Il en garde la chronologie, y compris au
titre mais il escamote allégrement les 20 premières années. On notera
que les années 1534 à 1554 font appel à six quatrains centuriques dont
un de la centurie XI, (quatrain 91) probablement ajouté par Chavigny
–on nous dit qu’il y a 12 centuries de quatrains - que l’on peut
considérer comme ayant figuré dans la version d’origine du volume. En
fait, aucun des cinq autres quatrains ne dépasse le cadre des six
premières centuries. Néanmoins, il ouvre l’ensemble avec le quatrain
général de l’an 1555, seul quatrain qui est mentionné dans le Brief
Discours.
Il est probable par conséquent que Chavigny ait eu entre les mains un
volume traitant de ce qui était annoncé dans la Préface à César lequel
ne pouvait se limiter à des quatrains mais impliquait leur
interprétation. Nous pensons que ce qui accompagnait la dite Préface
ne devait pas dépasser six centuries, et se terminait par
l’Avertisssement latin Legis cautio/cantio. On sait que Chavigny est
le premier à restituer le quatrain 100 de la Vie centurie (« Fille de
l’Aure etc) qui manque à toutes les éditions antidatées de 1557 et
1568 mais aussi celles de Rouen, d’Anvers, de Cahors et de Lyon, dans
les années 1580-1590 qui en sont les matrices- et bien entendu de
Paris, sous la Ligue. Le quatrain VI, 70 (pour 1547, année de
l’avènement d’Henri II et qui comporte l’anagramme CHIREN, c’est le
seul événement significatif sur 20 ans à être signalé !) est le seul à
comporter des mots entièrement en capitales. Il y a 3 quatrains pour
l’an 1534 et trois quatrains pour couvrir les années 1535 à 1554 !Le
troisième quatrain proposé pour 1534 (II, 35) est ainsi commenté en
son dernier vers « Sol, Arc, Caper, tous seront amortis » : « Le
Soleil se pourméne dans l’Arc ou Sagittaire dez la my-Novembre iusques
à my décembre & dans le Chevrecorne dez la my Décembre iusques à my
Ianvier, là environ. » On peut penser qu’il s’agit en fait de Jupiter
et de Saturne en (grande) conjonction représentés par leurs domiciles
zodiacaux respectifs. Ce n’est certainement pas le cas de l’an 1534
mais bien plutôt de 1544 en scorpion.
Est-ce que Nostradamus, en 1566, à la veille de sa mort, proposa comme
il l’avait fait en 1555, mais sans qu’il y ait eu édition une
interprétation du contenu du Recueil des Présages Prosaïques ? Nous
pensons qu’à cette date, Nostradamus ne s’intéressait plus guère à un
tel exercice et avait bien d’autres enjeux à considérer, avec ses
éclipses. L/’on peut penser que Chavigny entendit réaliser ce que
Nostradamus avait entrepris en 1555. L’on sait que l’entreprise de
Chavigny fit long feu et qu’il ne parvint pas à substituer aux
centuries les quatrains des almanachs, même en les recyclant bien au-delà
de l’année initialement concernée, comme il s’en explique. Ce sont
bien les quatrains évoqués en 1555 qui accompagneront l’epitre à César
mais dépourvus de toute explication, hormis celles figurant dans le
Janus Gallicus et qui ne seront même pas reprises dans les éditions
centuriques. Ce n’est que dans la seconde partie du xVIIe siècle qu’un
commentaire sera placé en annexe des éditions avec dans certains cas
des illustrations (éxécution de Charles Ier (1649) et Incendie de
Londres (1666). En réalité, durant cette période, les centuries
étaient lues pour elles-mêmes, à ce détail près qu’elles véhiculaient
de nouveaux quatrains ou des quatrains retouchés,(IV, 46, IX, 86 etc)
dont le public était averti par la rumeur..
Il est probable que ces centuries aient figuré dans les papiers
laissés par Nostradamus à sa mort. Elles commencèrent alors à circuler
très discrétement mais ne parurent qu’au milieu des années 1580 avec
l’épitre d’origine mais adressée à César, ce qui n’était pas à notre
avis le cas initialement puisqu encore en 1566 dans son testament,
Nostradamus déclare ne pouvoir désigner lequel de ses fils serait
chargé de s’occuper des documents rassemblés dans une pièce de la
maison..
JHB
10. 11. 12
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156 - Nostradamus : de la « divine inspiration » au « naturel
instinct »
Par Jacques Halbronn
Quand on aborde le canon nostradamique, l’écueil tient notamment au
fait que les étapes successives s’entrecroisent du fait des éditions
et des rééditions La confusion est due à ce que l’on veuille qu’il n’y
ait eu qu’un seul Nostradamus tout au long de la carrière de Michel de
Nostredame. Or, il apparait que sa démarche a évolué entre les années
1530 et les années 1560, qu’il s’est présenté sous des statuts
différents. Il est alors vain de vouloir tenter quelque synthèse
synchronique alors que la seule voie est celle de la méthode
diachronique.
La thèse que nous défendrons ici est que Nostradamus est une sorte de
voyant, de « mage » - qui se mêlera peu à peu d’astrologie. Un des
rares documents qui attestent de ce fort penchant pour une certaine
forme d’inspiration est la Préface à César qui semble être le
révélateur d’une époque antérieure de la vie de Nostradamus. Or, c’est
cette époque pré-astrologique, antérieure aux années 1550 qui marquera
son nom au regard de la postérité, par le truchement des quatrains «
prophétiques »...Les années 1580 sont le temps d’une résurgence de
cette première époque de Nostradamus. D’où l’emploi du mot Prophéties
pour désigner l’œuvre comportant des centuries de quatrains.
La comparaison entre la Préface à César et les autres épitres que nous
connaissons est assez saisissante. Dans la Préface à César,
Nostradamus avoue ingénument des pratiques qui n’ont vraiment rien
d’astrologique et que l’on retrouve dans les deux premiers quatrains
de la première centurie, tout en présentant le thème astral (astronomique
revolution) comme un support.
I Nous commencerons par la version courte publiée par Antoine Besson,
avant l’interpolation du Compendium Revelationum de Savonarole.
« »un mémoire (…) des singularitez & absconses evenemens dont la
divine Essence m’a donné connoissance par calculs & astronomique
revolutions ».
« mes revolues calculations qui ont esté accordantes à reveler (sic))
inspiration »
Il est possible que dans cette première époque, les quatrains aient
été l’expression première à la différence de la seconde époque, celle
des Présages Prosaïques.
« Vu qu’il n’est loisible te laisser par trop clair escrit «
Il semble bien qu’après quelques précautions, Nostradamus finisse par
dévoiler le fonds de sa pensée :
« Je ne dis pas, mon fils, que par naturelle intelligence on ne puisse
à la fin arriver au but de notions intellectuelles de choses
lointaines & non ja advenues (…) mais que ma parfaite notice des
causes obstruses ne se peut conquérir sans cette divine inspiration,
vu que toute inspiration prophétique prend son principal & originaire
mouvement de Dieu créateur & benin dispensateur »
Dans ce texte, Nostradamus ne cesse de tergiverser en disant une chose
et son contraire, d’une phrase à l’autre, comme pour ne pas donner
prise à aucun angle. Il réitère, in fine, qu’il faut suivre ses «
revolues calculations qui sont accordantes à révélée inspiration ». Le
plagiat commis à l’encontre de Savonarole ne fera que renforcer le
pole prophétique de l’Epitre, dans sa version longue..
On ne trouve pas dans cette version courte le développement consacré
aux différents âges planétaires de 354 ans chacun ni aux 177 ans qui
sont la moitié d’un âge planétaire. Mais il n’est jamais fait mention
d’une éclipse ou d’une conjonction planétaire.
La comparaison avec l’Epitre à Henri II est assez frappante et là
encore on dispose de deux moutures grâce à Besson (cf document
numérisé in Halbronn’s library, propheties.it) mais celle de Besson
est assez insignifiante. En ce qui concerne la version longue,
Nostradamus récuse le nom de prophète « je ne m’attribue nullement tel
titre »/ Il n’’est plus question, notamment d’inspiration divine comme
cela était repris si souvent dans la Préface à César. Il préfère
parler de « naturel instinct ».
En revanche, Nostradamus aborde la question de l’Antéchrist mais il ne
prétend plus être « inspiré ». L’astrologie doit désormais se suffire
à elle-même. Elle n’est plus un simple support divinatoire, elle est
une science à part entière et c’est dans cet esprit qu’il publiera
année après année ses almanachs et pronostications, à partir des
années 1550. Il ne doute certes pas que Dieu se trouve derrière toute
cette mécanique céleste mais il pense plus- ou du moins n’affirme plus
- qu’il soit en contact direct avec lui, si ce n’est par la prière
pour sa miséricorde.
Selon nous, la Préface à César a valeur rétrospective, elle concerne
les vingt années qui ont précédé 1555 et il s’agit pour Nostradamus
non point tant de prédire l’avenir que de prouver que cela est
possible au regard de ses prédictions par quatrains. A contrario,
l’Epitre à Henri II traite du futur. On pourrait dire que la Préface à
César est une sorte de Première Face du Janus François et l’Epitre à
Henri II une manière de Seconde Face du Janus François, à base
notamment d’éclipses. Balisage du passé et balisage du futur. L’heure
du bilan n’a pas sonné pour ce second volet. On peut penser que les
six premières centuries (et accessoirement la VIIe) correspondent
comme il est indiqué à des quatrains déjà fort anciens, produits bien
des années auparavant alors que les trois dernières sont pour l’avenir.
Le Janus Gallicus, comme on l’a dit ailleurs, ne fournit quasiment
aucun développement sur la période antérieure à 1555 et par ailleurs
certains quatrains centuriques sont utilisés pour après 1555.
On trouve un avis explicatif à ce sujet dans le Janus dont on pouvait
penser qu’il concernait les quatrains des almanachs mais qui pourrait
tout aussi bien concerner les premières centuries.
« Afin que tu ne sois trompé Lecteur, lisant ceste histoire, ie
t’advertis que sont plusieurs quatrains (non tous)qui sur le front
portent le nom & tiltre de telle & telle année, qui n’est pas celle à
qui le présage doibt estre veritablement donné etc »
Mais rien ne dit que les sept premières centuries s’arrêtent à 1555 et
donc leur présence pour les années suivantes n’a rien d’extraordinaire.
Ce qui l’est davantage, c’est que les explications couvrant les années
1534-1554 ne figurent quasiment pas dans le Janus Gallicus. On ignore
donc quels sont les quatrains qui ont fait l’objet d’une
interprétation pour les dites années. On peut se demander quel fut le
rôle de Dorat dans un tel volume disparu mais dont on essaie de nous
faire croire, au titre du Janus qu’il y est inclus...
Rappelons que pour nous les sixains avaient vocation, au départ, à
s’intercaler à la fin de la centurie VII. Dans l’Epitre à Henri II, il
est indiqué que l’on parachève avec les trois nouvelles centuries une
« miliade », ce qui signifierait qu l’epitre que nous connaissons fut
rédigée à la suite de l’insertion des 58 sixains à la suite des 42
quatrains de la VIIe centurie.
Le caractère prédictif de l’épitre à Henri II est flagrant. Il met en
place tout un scénario antéchristique. Un historien comme Roger
Prévost ( Nostradamus. Le mythe et la réalité, Paris Laffont 1999) a
tendance à situer les quatrains dans le passé du fait de sa formation.
Mais il est plus que probable que nombre de quatrains visent des
événements non encore accomplis et qui relévent des représentations
scripturaires de la fin du monde. Il convient donc de relier les
quatrains non seulement à l’Histoire événementielle mais aussi à toute
une littérature prophétique. Prevost confond (p. 230) le Mirabilis
Liber et le Livre Merveilleux. Par ailleurs, le référentiel
astronomique ne saurait être négligé non seulement pour le passé mais
aussi pour l’avenir. Enfin,il est clair que les quatrains doivent
impérativement être reliés à la prose de Nostradamus, ce que Prevost
ne fait jamais, l’empêchant de situer « macelin » (VIII, 76) en
rapport avec un personnage censé, selon Nostradamus (Almanach pour
1562), apparaitre à la fin du seiziéme siècle et non comme référence à
Frederic Barberousse (p. 219)
On notera la parenté entre le Discours sur l’advenement d’Henri de
Navarre à la Couronne de France et les quatrains des dernières
centuries qui visiblement traitent de ce qui s’est passé après 1589,
on pense notamment à l’annonce réitérée de la victoire de Mendosus (
Vendôme) sur Norlaris (Lorraine). Néanmoins, certains quatrains issus
de ce groupe sont commentés dans le Janus Gallicus. Logiquement, les
années 1534-1589 auraient du être réservées aux six premières
centuries. On peut penser que dans un premier temps, Chavigny ne
devait pas disposer des quatrains centuriques non encore imprimés et
qu’il aura voulu compenser ce manque en recyclant les présages en vers
pour les années 1555-1567. Par la suite, ces quatrains centuriques
seraient apparus et il leur aurait accordé une petite place au sein de
l’ensemble.
JHB
12.11 12
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157 - Nostradamus et la question du CHIREN
Par Jacques Halbronn
Dans le Janus Gallicus, on ne trouve quasiment rien sur la période
1534-1554 qui est pourtant censée être couverte par les commentaires
et les centuries de Nostradamus. Une seule date importante est mise en
avant, celle de 1547, qui est celle de la mort de François Ier et de
l’avènement du dauphin Henri, né en 1519, qui avait cette position
depuis 1536, du fait de la mort de son frère aîné. C’est le quatrain
VI, 70 :
Au chef du monde le grand Chyren sera/
Plus oultre apres aymé craint redoubté/
Son bruit & loz les cieux surpassera/
Et du seul titre victeur fort contenté
On nous explique que Chyren est l’anagramme d’Henri.
« Henri II vient à la couronne de France le 31. de Mars 1547/ CHIREN
mot contourné de HENRIC. Le latin place carrément HENRICUS dans le
quatrain, ce qui évite d’avoir à expliquer qu’il s’agit d’un anagramme/
On ne donne pas la date du couronnement dans le texte latin mais l’on
précise que le roi est alors âgé de 28 ans « ad duodetriginta annos »
Ce commentaire est remarquable en ce que c’est la seule fois où Chiren
est associé à Henri II, alors que pour les autres quatrains, il l’est
à Henri III ou Henri IV.
Mais quand ce quatrain a-t-il été écrit ? Cela ne pouvait être
qu’avant son avènement si l’on relie ce quatrain à 1547. Il n’y a pas
de mérite à annoncer quelque chose qui a déjà eu lieu. Cela ne peut
pas non plus avoir été avant 1536 quand son frère François était alors
le dauphin. On retrouve une période qui correspond assez bien à ce qui
précède 1539, qui est, aux dires de la Première Face du Janus
François, la date de départ de la validation des centuries.
Cette espérance mise sur le dos d’un jeune prince n’est pas
inhabituelle au regard du prophétisme. On verra le même phénoméne se
produire avec le futur Louis XIII comme pour le futur Louis XIV, au
siècle suivant mais cela s’observera autour de François d’Alençon, le
dernier fils d’Henri II, dès la fin des années 1560 et la mort de ce
dernier en 1584 déclenchera une crise dynastique autour d’un autre
Henri, roi de Navarre, un Bourbon. Ce prénom d’Henri sera porteur de
bien des ambigüités, il est porté par Henri III mais aussi par Henri
de Guise et Chiren peut servir dans chaque cas. Chavigny reprochera,
en 1589, à Dorat de s’être trompé d’Henri dans ses interprétations des
centuries..
Mais il nous semble évident que le Henri dont il s’agit dans les
Centuries n’est autre que Henri II, ce prince auquel Nostradamus
s’adressera en 1556 et surtout en 1558, si l’on en croit la date de
cette dernière épitre. Mais par de là la question de l’authenticité de
celle-ci, on en retiendra l’intitulé des deux épitres : « Au tres
invincible & trespuissant Roy, Henry second de ce nom, Michel de
Nostradame (sic) souhaite victoire & félicité » qui devient « A
l’Invictissime tres puissant et tres chrestien Henry Roy de France
second, Michel Nostradamus (…) victoire & félicité » On notera en
passant que Nostradamus semble devoir être relié non pas à Nostredame
mais à Nostradame..
Selon nous, Nostradamus a beaucoup cru dans le jeune Henri de Valois,
marié à Catherine de Médicis, en 1536, l’année de la mort du frère
d’Henri qui en fait, de façon inespérée, le nouveau dauphin, qui prend
le titre de duc de Bretagne.
Reconnaissons que ce prince ne parvint pas aux sommets auxquels le
destinait Nostradamus dès la fin des années Trente, notamment du fait
de sa disparition soudaine en 1559, à l’âge de 40 ans mais déjà
l’étoile du Roi avait singulièrement pâli et pâti, avec la signature
peu glorieuse traité du Cateau Cambrésis avec Charles Quint, en cette
même année 1559..
Pourquoi cet anagramme « Chiren » ? Probablement parce que justement
Henri n’était pas encore sur le trône et qu’il aurait été quelque peu
indélicat de louer le fils du vivant de son père François Ier, autour
duquel certaines espérances avaient été déçues, à commencer par
l’échec à l’élection impériale face à Charles Quint, en 1519 et la
captivité espagnole à la suite du désastre de Pavie (1525).
L’historien du prophétisme est familier du report des attentes sur le
dauphin, même à l’âge le plus tendre. L’on retrouve cette attente dans
le quatrain cryptogramme placé à la fin de la Xe centurie, en surplus
et qui annonce 1660. Il s’agit bien évidemment du futur Louis XIV, né
en 1638 et succédant à son père en 1643, à l’âge de cinq ans, ce qui
permet de dater ce quatrain au plus tôt de 1644 et donc les éditions
centuriques qui le comportent (Chiren ou Chyren).
II 79 IV 34 VI 70 VIII 54 VI 27 IX 41
On peut ainsi rassembler tout ce qui pèse sur le destin imaginaire
d’Henri II :
II, 79 « Le grand Chiren ostera du longin. Tous les captifs par Seline
banière
IV 34 Le grand mené captif d’estrange terre
D’or enchainé au Roy Chyren offert
VI 27 Par le croissant du grand Chyren Selin
Selin renvoie à l’Islam marqué par la Lune, le croissant (en grec
Séléné)
Ajoutons ces deux quatrains du second volet :
VIII 54 Fait magnanime par grand Chyren selin, qui rime avec «macelin
» nom sous lequel Nostradamus désigne l’Antéchrisr.
IX 41 Le grand Chyren soy saisir d’Avignon
Le destin d’Henri II semble devoir être lié à quelque croisade contre
le Turc, tant son nom est associé à Selin.
Selon nous, si Chiren est par la suite repris dans d’autres acceptions,
il va d’abord désigner le futur Henri II. Il y a cette analogie entre
le prophétisme et le dynastisme, c’est que dans les deux cas, l’on est
amené à reporter les attentes d’une génération à l’autre. Quand on
étudie les textes prophétiques, il faut éviter de tomber dans le piège
consistant à se reporter à des événements réels. Une grande part du
discours prophétique est constituée d’espérances vaines et il est
toujours loisible de les replacer dans un futur plus lointain mais
dans ce cas, l’on risque l’anachronisme. L’échec prophétique doit
absolument être intégré dans le propos de l’historien du texte
prophétique et il lui revient de rechercher les traces de telles
attentes, dans les coulisses de l’Histoire. Bien des textes
prophétiques s’articulent autour de dates qui ne sont pas restées dans
la mémoire collective, de « non événements ». C’est la rançon de toute
approche prospective que d’en rester souvent au stade du balbutiement.
JHB
12. 11. 12
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158 - Nostradamus et les prévisions cycliques
par Jacques Halbronn
Quelque part, Nostradamus incarne par le destin littéraire qui fut le
sien un certain déclin de l’image de l’astrologie. La façon dont
Nostradamus a été traité depuis quatre siècles et demi est scandaleuse,
du point de vue d’un astrologue qui se respecte mais le pire, c’est
que la plupart des astrologues ont une idée totalement fausse de
l’œuvre de Nostradamus. C’est donc un cercle vicieux. Ces astrologues,
en effet, n’ont pas la formation historique leur permettant d’aller
au-delà du mythe. .
Le malaise astrologique dont nous parlons tient au fait que de plus en
plus on ne s’intéresse pas tant au raisonnement des astrologues mais à
leur pronostic brut du genre ‘il a prévu ou il n’a pas prévu ça’.
C’est là un propos de béotien. Et cela nous conduit à parler d’une
nostradamisation de l’astrologie, entendant par là, le fait de ne
considérer l’astrologue que comme un oracle dont on se moque bien des
méthodes, ce qui le réduit à l’état de voyant alors qu’en astrologie,
seule la méthode importe, plus encore que les résultats qui peuvent se
jouer souvent à pile ou face.
Il est vrai que les astrologues sont les premiers responsables de cet
état de fait puisque leur astrologie est devenue une véritable usine à
gaz et que l’on n’en retient que la conclusion « Cause toujours ! »
Ile le reconnaissent d’ailleurs eux-mêmes quand ils prétendent qu’il
faut des années pour devenir astrologues car en disant cela, ils
condamnent la consultation astrologique à n’être qu’un propos
oraculaire enrobé dans un jargon opaque.
Réduire Nostradamus à ses centuries, c’est se moquer du monde. Mais
comme on l’a dit, dans bien des cas, les astrologues ne peuvent que
prendre le train en marche et n’ont pas les moyens de se démarquer
d’un certain consensus. Ils ignorent donc le plus souvent le vrai
visage de Nostradamus. Or, Nostradamus était fondamentalement un
astrologue, passionné par l’astrologie mondiale et pas seulement par
le travail alimentaire des almanachs annuels, avec des prévisions
semaine après semaine, comme de jours certains rédigent les horoscopes
des hebdomadaires..
Certes, on peut penser qu’en tant qu’astrologue, NOstradamus a échoué
alors que ses quatrains auront connu une fortune inouïe. Mais on ne
juge pas un astrologue comme un vulgaire devin. Ce qui compte avant
tout c’est la méthode et quant à ses applications, elle peut donner
des résultats variables et perfectibles. L’astrologie n’est pas une
carabine à un coup. Elle est d’abord un outil dont on se sert plus ou
moins heureusement. L’astrologue n’avance rien sans le situer dans une
chronologie articulée sur un processus cyclique donc qui se reproduit
périodiquement.
Pour notre part, nous avons découvert un autre Nostradamus que celui
que nous a laissé la postérité et en tant que chercheur nous ne
saurions nous contenter de ce type de mémoire du passé décalé par
rapport aux réalités, se substituant à la vérité Réduite Nostradamus à
des quatrains est donc une fumisterie. Mais c’est peut être au prix
d’un tel subterfuge que Nostradamus a pu survivre. Quel dilemme !...
On imagine tel astrologue interprétant le thème de Nostradamus pour le
faire correspondre à des données bibliographiques en grande partie
fausses. Cela résume en fait le cas fréquent dans lequel des
astrologues biographes se mettent quand ils étudient tel ou tel
personnage. Ils se contentent de faire correspondre le thème avec
quelques lieux communs, la seule recherche sérieuse qu’ils aient menée
se réduisant, en définitive, à trouver l’heure de naissance auprès de
l’état civil. C’est d’ailleurs cette obtention d’une telle donnée qui
légitime leur démarche comparative et analogique..
Que s’est-il passé avec Nostradamus ? Nostradamus a abusé du genre
bien installé de l’almanach qui se présentait, en principe, comme une
étude semaine après semaine, consistant à dresser le thème de la
conjonction, du carré et de l’opposition Lune-Soleil, soit environ 52
cartes à interpréter par an ! Il s’est permis d’y glisser des
développements à plus long terme, au-delà même du cadre annuel. Cela a
conduit en 1560, à une réglementation, à un contrôle plus strict du
contenu des almanachs. Et il est possible que cela ait été ce « plus »
qui en ait fait le succès un peu sulfureux. Ce ne sont pas tant ses
prédictions à court terme qui marquèrent les esprits mais ses «
prophéties » sur plusieurs années. C’est d’ailleurs ce contenu qui
sera traduit en italien et en allemand dans les années soixante, sous
des titres évocateurs et provocateurs alors qu’en France, le titre des
ouvrages n’indiquait rien de dramatique et se contentait d’annoncer
les prédictions ordinaires pour l’an qui venait, ce qui ne
correspondait pas vraiment à leur contenu, en dépit des apparences. Il
y avait là une certaine duplicité rendue nécessaire probablement par
une certaine politique décidée par les autorités, visant à ne pas
affoler les populations. Cela avait été le cas du Mirabilis Liber,
ouvrage reprenant des publications allemandes mais sans les gravures
évocatrices alors qu’en Italie les dites graveurs n’avaient pas été
censurées. .La France nous apparait donc tout au long du XVIe siècle,
de François Ier à Henri III, voire bien au-delà, comme un espace qui
ne permet l’expression des spéculations prophétiques du moins au
niveau des titres qui sont soumis au privilège royal, et à celui des
images (cf. notre catalogue d’exposition à la BNF, Merveilles sans
images, Paris, BN, 1994). On aura compris que Nostradamus était d’une
certaine façon plus connu, au moment de sa mort en 1566, hors des
frontières du royaume, dans les territoires impériaux et pontificaux.
Restaient ses quatrains qui se prêtaient à des interprétations qui
furent d’abord orales. Ces quatrains ne s’inscrivaient dans aucun
cadre chronologique précis, ce qui les rendait assez insignifiants au
premier abord. Ces quatrains extraits de sa prose n’en étaient qu’une
expression désarticulée, même si des spécialistes peuvent y retrouver
la trace de pronostics astrologiques liées aux conjonctions
planétaires et aux éclipses.
C’est en Italie que la pensée astrologique de Nostradamus aura été le
mieux observée. On peut trouver en italien (toscan) une demi-douzaine
d’éditions successives des « commentaires » de Nostradamus sur les
années 1560 relatifs aux données astronomiques. Le cas de l’almanach
pour 1567 est emblématique- nous n’en connaissons pour notre part que
la traduction italienne. On y trouve pas moins de 30 pages couvrant
une période nullement circonscrite à la dite année.On aura compris que
par nostradamisation de l’astrologie, nous entendons des textes
déconnectés de leur substrat astronomique matriciel et qui référent
une prédiction à son auteur sans se soucier de la façon dont il y est
parvenu. Ce sont les utilisateurs qui se servent et qui font leur
cuisine, sans prendre la peine de déterminer ce que l’auteur a voulu (pré)dire.
Le centurisme est le triomphe de l’anarchie. Le public prévaut sur
l’auteur et impose sa lecture par la rumeur, ce qui explique l’absence
de commentaires dans les éditions centuriques jusqu’au milieu du xVIIe
siècle, ceux –ci relevant d’une tradition orale dont d’ailleurs les
commentaires écrits seront la réplique tardive.
Toujours est-il que personne ne se préoccupe sérieusement de ce que
Nostradamus avait vraiment et clairement annoncé notamment à partir de
1560. En fait, Nostradamus s’inscrit dans un courant qui accorde la
plus grande importance aux éclipses et d’ailleurs plusieurs des
quatrains centuriques y font référence mais sans précision d’année.
Or, pour Nostradamus, la datation est la clef de son travail. S’il
parle de l’Antéchrist, comme dans l’épitre à Henri II qu’on lui
attribue dans le canon centurique, cela ne peut se concevoir sans un
substrat astronomique encore qu’il admette une « orbe » de deux voire
trois ans à partir de l’éclipse considérée. Leovitius avait publié,
outre Rhin, dans les années 1550 un Eclipsium pour une cinquantaine
d’années dans lequel Nostradamus a du puiser. Il avait jeté son dévolu
sur l’éclipse d’avril 1567 qui était la plus importante d’ici celle de
1605 et dans une épitre de 1561, il avait annoncé que naitrait au jour
de l’éclipse un personnage assez terrifiant, qui ressemble
singulièrement à l’Antéchrist. Mais comme on sait Nostradamus
décéderait en 1566.
Ajoutons que l’activité astrologique de Nostradamus a certainement
débuté bien avant les années 1550, comme ses biographes l’affirment
ordinairement. La preuve en est que le grand commentaire de son œuvre,
datant de 1594, débute sa rétrospective de l’an 1534. La Première Face
du Janus François. Certains spécialistes s’étonnent du fait que
certains quatrains semblent bien se référer à des événements
antérieurs à 1555. Et en fait, dès 1555, Nostradamus semble avoir
voulu dresser le bilan d’un travail engagé depuis déjà longtemps.
Le plus souvent, on ne connait de son œuvre en prose que deux épitres
datées respectivement de 1555 (à son fils César) et de 1558 (à Henri
II). Celles-ci sont d’une lecture rendue difficile par des ellipses,
des allusions. Il y a certes des dates mais on ne nous dit pas à quoi
elles correspondent astronomiquement. Ce qui est clair, c’est que ces
dates ne visent pas la fin des années 1560, comme l’avait annoncé
Nostradamus mais le début du siècle suivant. Les échéances auront été
repoussées, faute d’accomplissement des prédictions, en temps et en
heure. C’est bien là tout le problème : on garde le pronostic mais on
change la date et on laisse croire que cette nouvelle date avait été
avancée par l’auteur, en son temps. Une telle façon de procéder n’est
d’ailleurs pas totalement inacceptable en astrologie, à condition de
s’en expliquer et de montrer que la prévision reportée reste valable
si la configuration est comparable et si l’on peut expliquer ce qui
manquait pour que la précédente échéance n’ait pas donné ce qu’on en
attendait. Ces épitres intégrées dans le canon centurique- alors que
d’autres beaucoup plus explicites ne le sont pas -.prennent en compte
la durée du monde, d’où la présence de chronologies commençant lors de
la Création du monde. On aura compris que Nostradamus s’intéressait à
la fin du monde et que la technique des almanachs ne l’inspirait que
médiocrement
Cette image d’un Nostradamus prophète de la fin des temps a d’ailleurs
été rappelée récemment par Stéphane Gerson.(en anglais) mais ne
s’appuie que sur le canon centurique, elle reste donc à la merci des
interprètes successifs au cours des siècles qui ne cessent de
réactualiser le texte. Or, ce texte de référence n’est pas
satisfaisant et ne resitue pas la pensée de l’auteur comme il se doit.
On voit à quel point le flou a envahi l’œuvre et la pensée de
Nostradamus. On ne le connait qu’au travers d’un miroir déformant et
notamment au travers de quatrains dont, de toute façon, la paternité
et l’authenticité fait débat.
Nostradamisation de l’astrologie, disions-nous, dans la mesure où
c’est toute l’astrologie qui risque de se voir ainsi traitée. Les
astrologues avancent des dates mais on ne s’intéresse pas à la façon
dont ils s’y prennent. On saute les explications qui d’ailleurs sont
alambiquées et embrouillées. On ne changera cet état de choses que
lorsque l’astrologie se sera dotée d’un modèle chronologique
transparent, quitte à ce que son discours se réduise à quelques termes
abstraits mais bien dont la problématique aura été bien cernée.
Cela dit, il est vrai que du fait que l’astrologie est par essence
cyclique, elle présuppose que ce qu’elle annonce soit récurrent et que
le nombre de cas de figure soit limité. Le couple conjonction-éclipse,
si prisé au XVIe siècle, tant chez Lichtenberger (mort en 1503) que
chez Nostradamus (né en 1503), est en lui-même récurrent et vient
compléter le système d’Albumasar (Xe siècle de notre ère). Ce qui lui
correspond au niveau de la signification doit l’être également.
Certes, la fin du monde n’est pas censée se reproduire et c’est bien
là que le bât blesse quand on se sert de l’astrologie pour sous tendre
le prophétisme biblique, car telle n’est pas la vocation de
l’astrologie que de basculer dans l’eschatologie, elle peut tout au
plus signaler que les conditions d’une fin des temps sont réunies pour
telle année. D’où l’importance qu’il y a pour l’astrologue à étayer
systématiquement son discours par des données cycliques et
reproductibles...
JHB
17.11. 12
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159 - Les convergences entre le Mirabilis Liber et le système
prédictif nostradamique
Par Jacques Halbronn
En 1999, dans notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France.
Formation et fortune (en ligne sur propheties.it, voir aussi SUDOC),
nous avions consacré une partie au Mirabilis Liber et une autre à
Nostradamus. Nous ouvrons à présent une série d’études consacrées aux
liens existant entre ces deux corpus. La récente relecture de la
traduction française du Mirabilis Liber nous a en effet prendre
conscience d’une probable empreinte du premier corpus qui appartient à
la fin du XVe siècle et au début du siècle suivant sur le texte
nostradamique. Il est vrai que ces rapprochements ont été déjà mis en
évidence par d’autres chercheurs[1] mais leur connaissance de la prose
de Nostradamus était souvent assez limitée, notamment en ce qui
concerne la version longue de l’almanach pour 1562, rédigée en 1561,
année de la parution de la Première Partie du Recueil des Prophetis et
revelations », Paris, Robert Le Mangnier/ Vincent Sertenas (les deux
éditions sont à la Bibliothèque de l’Arsenal), qui n’est autre que la
traduction française de la partie latine du Mirabilis Liber[2].. Ce
texte ne nous est connu que par un manuscrit (imprimé au début du XXe
siècle[3]) et par une traduction italienne partielle de l’époque. Par
ailleurs, ce recueil est directement dérivé d’un ouvrage, la
Pronosticatio – dont les gravures sont supprimées dans le Mirabilis
Liber[4] - de la fin du XVe siècle de l’astrologue rhénan Johannes
Lichtenberger, ce qui n’est pas toujours signalé et donc antérieur à
la production de Heinrich Von Hutten au début du XVIe siècle avec
lequel certaines similitudes ont été signalées, notamment par Patrice
Guinard.[5].
L’étude qui suit n’ambitionne que de défricher le terrain mais elle
sera suivie d’autres travaux car il est probable que le Mirabilis
Liber soit une clef de la production nostradamique, qu’il s’agisse de
Nostradamus lui-même ou de ses prolongements. Mais il est essentiel de
reconstituer avec la plus grande précision possible tout ce qui sous
tend, notamment astronomiquement, certains passage. On ne peut exclure
notamment que certains passages du Mirabilis Liber relatifs à la
naissance de vrais et de faux prophétes n’aient été interprétés par
certains comme annonçant Nostradamus, né en 1503, donc lors d’une
grande conjonction Jupiter-Saturne en cancer, en 1504. Nostradamus
tout au long de sa vie ne put en tout cas ignorer un tel ouvrage et ce
dès les années 1520. Il est essentiel de ne pas situer l’intérêt de
Nostradamus pour l’astrologie et le prophétisme dans les années 1550.
Nous avons montré, ailleurs, qu’il fallait remonter au moins au début
des années 1530.
On rappellera que le corpus dont reléve le Mirabilis Liber est d’une
grande richesse par la diversité de ses éditions dans toute
l’Europe[6]. On en trouvera une bibliographie dans la « On line
Bibliography of Saint Birgitta and the Birgittine order » par Stephan
Borge Hamman & Ulla Sander Olsen (2003) et notamment dans une liste
des œuvres improprement attribuées à Sainte Brigitte. On y trouve
notamment une série sur les 12 Sibylles qui comporte en annexe de tels
textes. Or, en 1586, Dorat, dont on connait les liens avec le texte
nostradamique, publia, en latin, un ouvrage sur ce sujet. Sibyllarum
duodecim oracula, Paris, J. Rabel, 1586
Rappelons qu’au XVIIe siècle, plusieurs éditions des Centuries
paraissent conjointement avec le Recueil des Prophéties et Révélations
tant anciennes que modernes contenant un sommaire des révélations de
saincte Brigide, S. Cyrille & plusieurs autres Saincts & religieux
personnages : nouvellement reveues & corrigées. Et de nouveau
augmentées outre les precedentes impressions[7], daté de 1611, et à
l’enseigne de Pierre Chevillot, Troyes, qui n’est autre qu’une version
française du Mirabilis Liber, lui-même issu de la Pronosticatio de
Johannes Lichtenberger[8], astrologue mort en 1503, année de la
naissance de Nostradamus. Mais dès 1575, le même texte avait été édité
par Nostradamus le Jeune. Cet ouvrage longtemps introuvable est
désormais en ligne du fait de la dispersion de la collection Ruzo
(site propheties.it). Nostradamus le Jeune accompagne cette réédition
d’ »Augmentations »- jamais rééditées- ornées de son portrait officiel
(qui sera repris par Pierre du Ruau, au xVIIE siècle, à Troyes pour
ses éditions des Centuries) dont le thème central est l’avènement de
l’Antéchrist, en rapport avec Arnauld de Villeneuve et le XIVe siècle.
On notera que dans sa présentation, le dit Nostradamus Le Jeune (il
serait en fait mort, peu avant, en 1574) se présente comme une sorte
d’élu.
Le Mirabilis Liber comporte une proportion non négligeable de
chapitres et de développements relatifs à l’Astrologie, notamment
concernant les grandes conjonctions et les éclipses et sur la durée de
leurs effets, combinatoire qui est au cœur des spéculations de
Nostradamus sur l’Antéchrist (cf le « deuxiéme livre » du Mirabilis
Liber) Les dates qui figurent dans les version successives ont fait
l’objet de réajustements successifs et de fait, certaines dates
recoupent celles figurant dans le texte nostradamique. Il est possible
que Nostradamus le Jeune ait trouvé cet ouvrage dans la bibliothèque
de son père, référence qui est récurrente dans ce qui parait associé à
son nom.
Arrêtons- nous sur un chapitre traitant de la question de savoir «
comment l’influence des corps célestes peut durer longtemps », point
que nous avons abordé dans de précédentes « researches ». Le chapitre
s’ouvre ainsi « Les effects des conjonctions des planettes & des
eclipses ont accoustumé d’estre continuez & fortifiez par longtemps »
On y mentionne la « grande conjonction (qui) fut faicte au signe du
Scorpion dessus l’image d’Eridanus (…) qui durera iusques à l’an 1566
ou environ ». Rappelons l’importance que Nostradamus accorde à l’an
1567, du fait de l’éclipse d’avril, qu’il associe à la naissance d’un
certain Marcellinus (Macelin). Mais une question se pose : ces
interpolations ne sont-elles pas précisément dues à une influence
d’almanach de Nostradamus pour 1562 ? Il faudrait pour cela vérifier
le texte des éditions françaises antérieures aux années 1560.
On ajoute « Apres en viendra un (sic) autre mauvaise (conjonction) au
signe de Aquarius dessous l’image d’Alpheras ». On notera la
combinatoire planète-étoile fixe (Eridanus, Alpheras). Les mentions de
signes zodiacaux, dans le Mirabilis Liber, nous font penser à un
passage assez obscur de la Préface à César :
« Car encores que la planette de Mars paracheve son siecle & à la fin
de son dernier période si le reprendra il mais assemblés les uns en
Aquarius par plusieurs années, les autres en Cancer par plus longues &
continues ». Les signes peuvent désigner des pays selon une certaine
chorographie. Mais rappelons que la Préface à César emprunte, comme le
nota au XIXe siècle Torné-Chavigny, au Compendium Revelationum qui
figure dans le Mirabilis Liber. Or, cet ouvrage est constitué d’un
dialogue et l’on trouve à plusieurs reprises la forme « mon fils » qui
est récurrente dans la dite Préface..
Il y est question, au chapitre suivant, d’Albumazar (De magnis
coniunctionibus), auteur fréquemment cité dans le texte nostradamique
sur « l’élévation de Saturne dessus Iupiter », ce qui n’est pas sans
nous faire penser à tel passage de Nostradamus qui en serait inspiré.
Autre chapitre sur « ‘la qualité, le lieu & le temps d’une
constellation admirable : « Nous devons considérer une conjonction des
planetes principales c’est à savoir de Saturne & de Iupiter laquelle
fut faicte l’an 1484 le 25 novembre à six heures & quatre minutes
après midy, lors que Cancer estoit dessus nostre horizon & horoscope »
Au chapitre suivant « De la duration de ceste constellation », on
trouve en ligne de mire l’an 1567, qui est celui de l’éclipse à
laquelle Nostradamus accordait tant d’importance. On trouve cette
mention dans les éditions françaises parues en 1561, en 1575 – dont
une de Benoist Rigaud (Bib. Arsenal)- mais dans l’édition de 1611,
1567 devient 1667. Or, dans le Mirabilis Liber, ce passage n’existe
pas, c’est donc une interpolation. Ailleurs, on trouve 1566 mais cette
fois même l’édition de 1611 ne corrige pas. Et là encore, pas de trace
de cette année dans le Mirabilis Liber.
« Et pour ce que l’effect de ceste maligne conionction durera
longtemps c’est à savoir depuis le temps nommé iusques à l’an 1567/
1667 ». Cette mention de 1667 est à rapprocher du quatrain
cryptogramme à la fin de la centurie X ; qui comporte la date de 1660.
Par ailleurs, signalons la mention de l’an 1572 (année de la Saint
Barthélémy) alors que dans le Mirabilis Liber, on avait 1576.
/ Plus loin, il est question d’une éclipse : »il advint en l’an mil
quatre cens LXXV le XVI de Mars une horrible & cruelle éclipse de
Soleil laquelle est survenue en la conionction dessus nommée & rendra
l’effect d’icelle encore pire que paravant. Or, cette théorie qui
considère qu’une grande conjonction associée à une éclipse majeure est
une échéance terrible se retrouve chez Nostradamus.
Les dates ne manquent certainement pas, Un chapitre s’intitule : » La
dissension de l’Eglise sera depuis l’an mil quatre cens nonante deux &
seront de diverses rebellions iusques en l’an 1642. », Année qui se
trouve être celle qui précède la mort de Louis XIII. On notera la
possibilité d’un rapprochement entre 1492 et 1792 (Epitre à Henri II)
Un chapitre se réfère explicitement en son titre à une Eclipse « Par
l’Eclipse dessus nommée », référence reprise au chapitre suivant « les
indices de l’éclipse nommée seront cruels & horribles qui n’ont esté
veuz de mémoire d’homme tellement que la signification d’icelle me
donne crainte »
Dans les Augmentations de Nostradamus le Jeune, Lichtenberger est cité
nommément, tant en latin qu’en français –l’ouvrage, censé paru à
Venise, étant bilingue à propos de Saint Cyrille : « L’ »éclypse qui
se fera l’an 1585 le XV. Jour de Mars décide qu’il se fera une
destruction & opression du Clergé par la tyrannie du bras seculier
»-Or, nous savons que dans l’Epitre à Henri II, l’année 1585 est en
bonne place. On notera enfin que cette édition de 1575 parait à Venise,
si l’on en croit la page de titre. Or, dans l’épitre à Henri II,
Venise est mentionnée.
« Venise en apres en grande force & puissance levera ses aysles etc »
Les prochaines études viendront compléter et préciser ces
problématiques. Le fait que l’on trouve dans les centuries des
quatrains se référant à des événements antérieurs aux années 1530[9],
comme le sac de Rome de 1527 par Charles Quint, tiendrait à
l’utilisation du Mirabilis Liber, où l’on trouve un chapitre à ce
sujet : « Un Empereur entrera dedans Rome à main armée & fera de
grandes persecutions aux Prelats & aux Clercs ».
Une autre piste concerne le quatrain « Varennes) IX, 20 « Le moine
noir en gris dedans Varennes ». On peut se demander s’il ne s’agit pas
là d’un ajout à un quatrain géographique, à l’instar de IX, 86, qui a
été retouché pour faire apparaitre le nom de Chartres, ville du
couronnement d’Hentri IV, en 1594 ; on trouve, en effet, dans la
version française du Mirabilis Liber un chapitre (XXXII), au Livre II,
ainsi résumé « Il viendra un Moine gris etc » , sorte de faux prophéte,
à partir du latin « Monachus quidam griseus » ( cap XXXII). Luther se
reconnaissait dans le moine de la gravure correspondante et écrivit à
ce sujet en 1527 dans une édition de la Pronosticatio de Lichtenberger
reprise dans le Mirabilis liber.
Il est assez clair que la parution conjointe des deux ouvages au XVIIe
siècle – sans parler d’une réédition au XIXe siècle- n’est pas
insignifiante. Quelque part, le recueil des prophéties et révélations
vient compléter la partie en prose défectueuse du canon centurique et
apporter un éclairage approprié aux quatrains.
JHB
23.11. 12
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[1]Site Arche de Marie Mirabilis Liber, prophéties anciennes (déformées),
compilation du 16ème siècle par Alchy, 19 Avr 2011 -
[2] Patrice Guinard. Corpus Nostradamus... 136- Contenu et postérité
du Mirabilis liber, cet attrape-mouches des études nostradamiques
[3] Cf R. Benazra, RCN, pp.52 et seq.
[4] Cf notre catalogue d’exposition à la BNF, Astrologie et prophétie.
Merveilles sans images, Paris, 1994
[5] CORPUS NOSTRADAMUS 47 -Pronostication pour l'an 1557
[6] Britnell, J. and Stubbs, D., “The Mirabilis liber, its Compilation
and Influence” in the Journal of the Warburg and Courtauld Institutes,
Volume 49, 1986
[7] Cf Benazra, RCN, pp. 272-173
[8] Dietrich Kurze (1960) Johannes Lichtenberger (+1503) : eine Studie
zur Geschichte der Prophetie und Astrologie
[9] Cf R. Prevost, Nostradamus, le mythe et la réalité. Paris, Laffont,
1999 |
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160 - Nostradamus et la piste Lichtenberger.
Par Jacques Halbronn
Il importe de désenclaver le champ nostradamique en l’intégrant dans
un ensemble plus vaste, tant dans l’espace que dans le temps et ne pas
s’enfermer dans un corpus Nostradamus étroit, ce qui peut générer des
erreurs de perspective et d’appréciation mais il convient aussi
d’éviter des rapprochements fondés sur des similitudes aléatoires,
notamment en ce qui concerne l’importance accordée à l’an 1567 tant
dans le corpus lichtenbergerien que dans le corpus nostradamique..
Nous avions développé une approche très extensive dans notre thèse
d’Etat, soutenue en 1999,- ce qu’exprimait le titre même « Le Texte
prophétique en France », mais en œuvre dès le début des années 90,
dans la foulée de la publication par nos soins du Répertoire
Chronologique Nostradamique de Robert Benazra, préfacé par Jean Céard,
notre directeur de thèse. Mais, il va de soi que cela ne dispense en
aucune façon d’avoir une approche aussi exhaustive que possible de la
production proprement nostradamique, faute de quoi les passerelles
entre les différents corpus prophétiques ne pourront être signalées.
Or, dans Le Texte prophétique en France, formation et fortune, notre
connaissance de la prose de Nostradamus était insuffisante pour que
certains liens puissent être mis en évidence. Notamment, nous n’avions
pas pris la mesure de la place qu’y occupait la question des éclipses
en liaison avec les grandes conjonctions, et ce, en dépit du fait, que
nous avions consacré dès 1991 une étude à l’Epître à Pie IV de
1561.(in revue Réforme Humanisme Renaissance), ce qui nous aurait
permis de mieux saisir les liens existant des Centuries avec le
Mirabilis Liber, ouvrage auquel nous avions consacré une place
importante au sein de la dite thèse et qui comporte des annexes ne
figurant pas dans la Pronosticatio, comme le Compendium Revelationum
de Savonarole, que l’on retrouve en partie dans la Préface à César. En
2007, quand nous avons soutenu notre thèse de post doctorat, centrée
autour de Nostradamus, nous n’avions toujours pas pleinement
appréhendé cette dimension et même en 2011, dans notre dossier paru
dans la Revue Française d’Histoire du Livre, qui constituait une sorte
de troisième volet.
Pourtant Denis Crouzet, dans les Guerriers de Dieu. La violence au
temps des troubles de religion (c 1525-1610) avait, dès 1990 ( Ed
Champ Vallon, Reed 2005), avait suggéré un lien entre l’importance que
Nostradamus accorde à l’an 1567 et la mention de cette même année chez
Lichtenberger, alias Johannes Gruembach[1]. De fait Bernard Capp,
qu’il signale, avait associé (p. 165) le nom de l’astrologue rhénan à
l’année 1567 sur la base d’un recueil de divers auteurs, datant de
1549 : Propheceien und Weissagungen …Doctoris Paracelsi, Johan
Lichtenbergers.
Cette coïncidence va nous obliger à investiguer en profondeur la
chronologie de la production liée à Lichtenberger de façon à
comprendre les raisons d’un tel rapprochement, alimenté par la
parution au XVIIe siècle, dans des recueils troyens factices des
Prophéties de Nostradamus et du Recueil des Prophéties et Révélations,
constituant après coup une sorte de diptyque, à partir des années
1630..
En effet, la présence de telle ou telle date dans un texte prophétique
n’a souvent aucun rapport avec l’auteur du dit texte mais n’est
souvent qu’une interpolation voire dans ce cas une coquille (cf.
infra). Il est toujours périlleux de relier un passage d’un texte
prophétique à un auteur précis, notamment en matière de dates,
lesquelles sont vouées, comme on va le voir, à changer. Il importe
notamment de se demander sur quelles bases ces dates sont avancées
pour déterminer si l’on peut les lier entre elles. La question des
dates qui peut sembler cruciale dans ce domaine apparait en fin de
compte quasiment comme subsidiaire, les dates étant d’une certaine
façon indéfiniment interchangeables, c’est ce qui a d’ailleurs
probablement fait la fortune des Centuries, dont les quatrains, à de
rares exceptions près, ne sont pas datés ni datables. Il nous semble
d’ailleurs que le propre de toute cyclicité renvoie à une sorte
d’éternel retour, ce qui permet de recycler les textes sur de
nouvelles bases. Il est clair notamment qu’il faille remonter jusque
dans les années 1480 pour inclure Lichtenberger dans ses premières
éditions et pas seulement dans celles des années 1520 – il meurt en
1503 ! - tout comme il importe de ne pas s’arrêter avant la mort de
Louis XIII (1643) et non pas celle d’Henri IV (1610), soit en gros des
Guerres d’Italie à la Fronde, du fait des éditions tant antidatées que
postdatées. D’ailleurs, Johann de Lichtenberg – dont le nom n’apparait
pas au départ au titre de la Pronosticatio – il se sert notamment d’un
pseudonyme féminin biblique, Ruth, la glaneuse- emprunte lui-même-
comme le signala le premier Aby Warburg[2] puis Kurze- aux Prognostica
ad viginti annos duratura de Paul de Middelburg. (Cologne, 1484)[3].
En fait c’est Middelburg lui-même qui, en 1492, dénonça le plagiat
dans ses Invectiva in superstitiosum quendam astrologum, Lubeck.
On notera que l’article de 1986 de Britnell et Stubbs (Journal of the
Warburg and Courtauld Institute) ne signale, à aucun moment un lien
entre la Pronosticatio de Lichtenberger et le Mirabilis Liber alors
qu’en 1960[4], D. Kurze (que nous avions rencontré, à Berlin, dans les
années 1980), dans son étude sur Lichtenberger donnait quelques pistes
dans ce sens, ce qui montre que l’étude du texte prophétique doit être
extensive et ne pas se restreindre par avance à un auteur ou à un
texte spécifique, surtout quand il s’agit de compilation ; Les mérites
de l’éditeur du Mirabilis Liber s’en trouvent évidemment
singulièrement amoindris..
Au départ, en effet, la Pronosticatio de Lichtenberger, parue en latin
en 1488 puis en allemand en 1490, tourne autour des années 1480 et
notamment de la grande conjonction Jupiter-Saturne de 1484 en
scorpion, de la triplicité d’Eau, qui correspond d’ailleurs à une
vignette spécifique puisque, à la différence des éditions françaises
censurées, celle-ci est truffée de vignettes suggestives. L’année 1488
est également pointée, car Saturne arrive alors en Capricorne, puis en
Verseau, à la suite, ses deux « domiciles ». Par la suite, la « scène
» prophétique sera transférée dans les décennies suivantes pour que
dans les années 1520, on en arrive à mettre en avant- on verra plus
loin dans quelles circonstances - l’an 1567 au titre même de certaines
éditions de la Prognosticatio.
Prognosticatio Iohannis Liechtenberger quam olim scripsit super magna
illa Saturni ac Iovis coniunctione qua fuit Anno MCCCCLXXXIIII
praeterea ad eclipsim Solis anni sequentis videlicet LXXXV durans in
annum usque MDLXVII etc Ed. Cologne 1526 (BNF, Réserve)
Ce titre est à comparer à celui des premières éditions :
« Prognosticatio Joannis Lichtenberger (…) super magna illa Saturni ac
Iovis coniunctione quae fuit anno 1484 praeterea ad Eclypsim solis,
anni sequentis, videlicet $ (BNF Res M. 3605) et
Pronosticatio Latina anno .LXXXVIII. ad magnam coniunctionem Saturni &
Jovis quam fuit anno . LXXXIIII ac eclipsim Solis anni sequentis LXXXV
(…) durabit pluribus annis etc» (BNF Réserve).
A noter la forme abrégée avec seulement les dizaines et les unités
mais qu’il faut lire précédée de MD. Dans la Pronosticatio, il est
clairement indiqué le lien entre la grande conjonction et l’éclipse
qui la suite. C’est bien un tel principe qu’appliquera Nostradamus en
1561 et qu’il appliquera cette fois pour les années 1560 et non plus
pour les années 1480, à 80 ans de distance..
L’on est désormais averti de l’importance de cette échéance liée à
l’éclipse d’avril 1567 pour Nostradamus, et ce notamment dans ses
épitres de 1561, autour de l’almanach pour 1562, dédié au pape Pie IV.
Mais l’on retrouve aussi la mention de cette année à deux reprises au
début du Mirabilis Liber donc dès les années 1520. Etrangement, elle
ne figure pas au début de la Première Partie du Recueil des Prophéties
et Révélations (privilège de janvier 1560) paru à Paris chez V.
Sertenas ainsi que chez R. Le Mangnier en 1561 –étrangement attribué
par le catalogue de la BNF à François Gruget et non à Lichtenberger-
qui n’est autre que la traduction française de la partie latine du
Mirabilis Liber, la seconde partie(en français et sans rapport direct
avec la Pronosticatio de Lichtenberger) étant annoncée comme à
paraitre au cas où la première partie se serait bien vendue. Seules
les premières pages de la seconde partie font suite pour donner
quelque avant goût mais cette seconde partie, pourtant en français, ne
reparaitra pas avant l’édition partielle d’Edouard Bricon, en 1830,
avec une traduction complète du latin et à nouveaux frais.. Dans le
premier cas, on trouve 1572 et non 1567 – nous verrons plus loin
quelles conclusions en tirer- et dans le deuxiéme, le passage n’est
pas reproduit. En revanche, on trouve 1567 dans une interpolation dans
le cours de l’ouvrage, alors qu’à ce même endroit cela ne se trouve
pas dans le Mirabilis Liber.
Dans l’édition de 1611, le passage de l’édition de 1561 sur 1567 est
changé en 1667. A ce propos, on dispose d’éditions séparées, chez P.
Chevillot et P. Du Ruau (Bib. Arsenal) n’accompagnant pas les
Centuries, comme dans le cas des éditions généralement signalées dans
les bibliographies nostradamiques, cette association des deux ouvrages,
montrant les convergences perçues ou voulues entre eux. On a trop
souvent conclu que dans les diptyques ainsi constitués la date de 1611
valait aussi pour les Centuries alors que celles-ci sont plus tardives.
On note que l’écusson du Recueil, en page de titre, est sensiblement
plus petit que celui des Prophéties, sauf dans l’édition de 1866 qui
place la même taille d’écusson dans les deux cas. C’est bien là le
signe de compositions qui n’ont pas eu lieu en même temps.
A propos de Louis XIII, nous disposons d’une édition de la traduction
de la première partie du Mirabilis Liber datée de 1633 (Bib. Arsenal)
et dont le titre est consacré à Louis XIII, âgé de plus de trente ans,
dont le fils n’est pas alors encore né (1638).Or, dans cette édition
datée de 1633 et portant le portrait du roi, figure déjà la mention de
1642.
Recueil des prédictions et révélations tant anciennes que modernes
esquelles nous en voyons à présent les effects, tant de la venue du
Roy de Suède en Allemagne que ce qui doit arriver du regne du tres
Chrestien Louys XIII. Roy de France & de Navarre (Bib. Arsenal 8 S
14364).
L’on peut penser que contrairement à ce que l’on pouvait supposer,
l’an 1642 ait été annoncé sans rapport avec la mort de Louis XIII. En
revanche, l’on ne trouve pas encore la mention de 1667 alors que
celle-ci figure dans les éditions datées de 1611. On peut donc
raisonnablement situer les éditions 1611 postérieurement à 1633 et
probablement après la mort de Louis XIII en 1643. (Richelieu étant
mort l’année précédente, 1642), c’est à cette date qu’apparait, selon
nous, le quatrain supplémentaire de la centurie X, constitué d’un
cryptogramme pointant l’an 1660. Le prophétisme aime les prétendants
jeunes et l’on n’allait pas annoncer le triomphe d’un souverain
sexagénaire mais bien plus tôt de Louis XIV, qui serait âgé en 1660 de
22 ans et en 1667 de 29 ans. La publication en 1633 de ce texte
consacré à Louis XIII correspond, en revanche, à cette exigence de
jeunesse.
Revenons sur le procédé d’interpolation, il est vrai, fort maladroit.
« De la duration de ceste constellation » ( « constellation » à
prendre dans le sens de configuration, associant notamment planétes et
éclipse)
« Et pour ce que l’effect de ceste maligne conjonction durera long
temps depuis le temps nommé iusques à l’an mil cinq cens LXVII. » Et
après on repasse au texte d’origine, avec 1485 avec une éclipse de
soleil et c’est d’ailleurs pour cela que l’interpolation a été faite à
cet endroit : «une horrible & cruelle eclipse de soleil, laquelle est
survenue à la conjonction dessus nommée et rendra l’effect d’icelle
encore pire que paravant ».
On voit donc étrangement au début des années 1560, l’an 1567 figurer,
en France (mais aussi en Allemagne cf supra) tant dans l’almanach pour
1562 de Nostradamus que dans la « Première Partie du Recueil ». Qui
influence qui ? Nous pensons que les publications allemandes et
françaises ne sont pas liées, sinon par leur objet, l’éclipse d’avril
1567, signalée dans l’Eclipsium de Leovitius depuis déjà les années
1550 comme une éclipse majeure. Si effectivement le Mirabilis Liber
dérive de la Pronosticatio allemande, paraissant tant en latin qu’en
allemand- il n’en suit pas pour autant les ajustements successifs. Il
serait d’ailleurs utile de déterminer quelle est l’édition de la
Pronosticatio qui servit pour le Mirabilis Liber. Une édition se
référant à 1567 vraisemblablement, puisque l’an 1567 figure bien au
titre de plusieurs éditions allemandes, y compris dans une édition se
présentant certes, en son titre, comme imprimée à Mayence en 1492 mais
indiquant in fine qu’elle date de 1526 (Arsenal S 252 (2).
Dise Practica unnd Prenostication ist gedruckt worden zu Mentz im
M.CCCC. XCII. Jar and werdt bisz man zelt M.D. LXVII. Jar. On note que
tout en bas de la page de titre figure “Johannes Lichtenberger”.
Rappelons cette autre édition (cf supra), en latin:.
Prognosticatio Iohannis Liechtenberger quam olim scripsit super magna
illa Saturni ac Iovis coniunctione qua fuit Anno MCCCCLXXXIIII
praeterea ad eclipsim Solis anni sequentis videlicet LXXXV durans in
annum usque MDLXVII etc Ed. Cologne 1526 (BNF, Réserve)
On notera que dans un cas le nom de Lichtenberger ne figure pas et
dans la plus tardive, il s’y trouve (cf infra)
On nous parle de l’éclipse de 1485 accompagnant la grande conjonction
de 1484 mais on ne nous dit rien de l’éclipse de 1567 qui sous tend la
dite échéance pour cette année là.
Il reste que dans l’édition de 1561 et celle de 1611, on trouve la
mention de 1566.
« Dessus ceste presente conjonction qui durera iusques à l’an 1566 ou
environ l’Eglise Romaine & toutes gens d’Eglise auront à souffrir des
persecutions sans nombre »
Or, cette mention ne figure pas dans le Mirabilis Liber et encore
moins dans la Pronosticatio. Il s’agit d’un passage assez obscur
couvrant une période allant jusqu’à la fin des temps. Le choix de cet
endroit pour interpoler 1566 –est laborieux on s’y reprend à deux fois
: «une nouvelle secte laquelle print fondement [de l’an]Vuiclef (..).
Dessus ceste présente conjonction [qui durera iusques à l’an 1566 ou
environ] »
Tout se passe comme si les corrections et les ajustements n’avaient
pas été réalisés de manière systématique et que diverses couches
chronologiques se juxtaposaient ou se superposaient, comme on a pu le
signaler au sein même de l’épitre à Henri II où 1606 est relié à
1585.. En fait, il suffisait pour le public que telle date figurât
quelque part, au sein d’un ensemble aussi touffu fût –il par ailleurs-
pour que cela produisît son effet. Ce sera encore le cas sous la
Révolution Française pour le Mirabilis Liber.[5]
Abordons, à ce propos, les glissements de dates autour des éditions de
1522 (Mirabilis Liber), 1561, 1575 (l’édition de Nostradamus Le Jeune,
Venise) et 1611, comme on les trouve en tête de l’ouvrage. Ces trois
pièces sont en ligne sur le site propheties.it.
« Et commença l’an mil (….) Et durera iusques à l’an mil (…) :
Pour 1522, la fourchette est 1484-1567
Pour 1561, la fourchette est 1484-1572
Pour 1575 : 1484 – 1585
Et pour 1611 : 1584- 1682
Dans les deux premiers cas, on garde le point de départ d’origine, à
savoir 1484, qui correspond aux premières éditions de la Pronosticatio
de Lichtenberger. Mais en 1575, la date de 1572 étant passée (celle de
la Saint Barthélémy), on repousse l’échéance à 1585, date que l’on
retrouve dans l’Epitre à Henri II en tête du second volet des
Centuries.
Dans le troisième cas, 1484 devient 1584. Il y a décrochage par
rapport au XVe siècle et la nouvelle ligne de mire est 1682.
Signalons que dans l’édition de 1535, en français, si le titre indique
1567, c’est 1572 (et non 1576) qui est avancé à l’intérieur en tête de
la présentation.
Lichtenberger signale que c’est en 1325 que la conjonction Jupiter-Saturne
changea d’élément pour entrer en Scorpion. Elle quitte la série des
signes d’air qui durait depuis 200//240 ans (Gémeaux en 1325, Verseau
en 1345) et passe dans la triplicité d’eau. Et c’est encore en
Scorpion qu’elle se produisit en 1425 puis en novembre 1484, soit tous
les soixante ans. Par la suite, on notera que Martin Luther naquit en
cette même année. Elle passera en signe de feu à la fin du XVIe
siècle. En 1564, elle est encore en signe d’eau, en cancer et 20 ans
plus tard cheval sur un signe d’eau (poissons) et un signe de feu (bélier)
pour arriver en Sagittaire en 1603, autre signe de feu, dont un
quatrain centurique se fera l’écho..(I, 16)
Il est probable que les Centuries aient été marquées par la Première
Partie du Recueil et pas uniquement par le Mirabilis Liber. C’est
ainsi que l’avertissement latin (« Legis Cautio/Cantio contra ineptos
criticos ») qui conclut la centurie VI – et probablement un ensemble
de six centuries qui n’a pas été retrouvé- fait écho aux mises en
garde placées en tête du Recueil de 1560 : « Contre les devineurs &
prognostiqueurs² » et s’appuyant sur Deutéronome XVIII. En effet,
l’édition de 1561 de la « Première Partie » comporte toutes sortes de
mises en garde, liée aux dernières mesures prises lors des Etats
Généraux, tenus à Orléans, en 1560 : « les Prognostications avoient
esté défendues , en tant mesmement qu’aucuns resveurs passant les
termes d’Astrologie, se mesloient de prognostiquer des choses advenir
contre l’expres commandement de Dieu ». L’ »Epitre du typographe au
lecteur » constitue une apologie à propos d’une telle publication : «
Je ne fay doute (…) que plusieurs médisans en leur manière accoustumée
ne trouvent quelque chose à redire en ce petit livre, encores qu’il y
ait passée quarante ans que premièrement il a esté mis en lumière,
tant en langage vulgaire qu’en latin » (cela correspond à la parution
du Mirabilis Liber, au début des années 1520 , lequel parut d’abord
avec une épitre au Roi de France, qui fut tronquée puis supprimée).
Les deux épitres Brevis auctoris prefatio suivie de Ejusdem ad
Serenissimum Gallorum regem n’en feront plus qu’une. Mais qui est cet
« auteur » du Mirabilis Liber qui s’adresse ainsi au roi ?
On trouve même tout au début un « sonnet »
« Ne cherche point (Lecteur) ces fols ambicieux
Qui des astres ayant un peu de cognoissance
Veulent ravir à Dieu sa divine puissance
Predisans l’advenir au peuple soucieux
Sont abuseurs de peuple et gens pernicieux etc »
On trouve une référence à 1530 dans la Première Partie du Recueil,
rajoutée au texte du Mirabilis Liber.. C’est le lieu de rappeler que
la traduction française ne date nullement de 1561 mais que des
éditions sont connues pour les décennies antérieures. : « Et apres
viendront de grands maux vers l’an 1530, si le peuple ne delaisse
iniquité & ayme iustice » . Cette date ne sera ni supprimée ni
corrigée par la suite, probablement par mégarde..
Récapitulons : l’an 1567 est présentée dans le Mirabilis Liber comme
un terminus majeur sans qu’il en soit donné une explication. Cette
mention de 1567 est sensiblement moins nette dans la Première Partie
du Recueil des Prophéties et révélations (Paris 1561) et dans les
éditions qui suivirent (1575, 1611) alors même que Nostradamus met
cette année 1567 en exergue. Même l’édition de Nostra Damus le Jeune
ne met pas 1567 en avant et se contente d’actualiser l’échéance de
1572 en 1585. Si Nostradamus est un lecteur du Mirabilis Liber, il
aura pris connaisance d’entré de jeu de cette échéance figurant dans
le Mirabilis Liber, laquelle est également signalée comme terme dans
certaines éditions de la Pronosticatio.
Mais subsistent certaines questions : on ignore sur quelle base
l’année 1567 est signalée tant par le Mirabilis Liber que par
certaines éditions probablement des années 1520 de la Pronosticatio.
Vu qu’une autre échéance mise en avant est 1576, ne s’agirait-il pas
d’une permutation aléatoire en 1567 reprise par le Mirabilis Liber ?
Cette date figure déjà au titre de la première édition française
(1515) de la Pronosticatio de Lichtenberger, en latin puis rendue en
français en tant que Prophétie Merveilleuse, formule figurant au début
de la Première Partie du Recueil ? En effet, on connait (cf infra) des
éditions antérieures à 1561 sous ce titre. (cf Bibl des Beaux Arts,
Paris)
Si l’on admet que le Mirabilis Liber est paru en 1522, cela
impliquerait qu’une édition de la Pronosticatio comportant cette
mention avait du paraitre précédemment. Cette mention de 1567 ne
figure pas dans les éditions de 1488 ni de 1499 mais probablement dans
l’édition de 1492, conservée à la Bayerische Bibliothek de Munich (en
ligne) en tout cas aussi des années 1490.(cf infra) et rééditée en
1526.
Cela nous incite à établir une chronologie raisonnée des éditions de
la Pronosticatio de Lichtenberger sur le modèle de notre travail sur
les Centuries et sur le Splendor Solis ( voir in Revue Française
d’Histoire du Livre), et dont toutes les éditions n’ont peut être pas
été conservées. Par ailleurs, la date exacte de parution du Mirabilis
Liber fait probléme car elle est peu ou prou contemporaine de la
captivité de François Ier à la suite du désastre de Pavie, au début de
l’an 1525 (1524 dans l’ancien style), ce qui conduira à une sorte de
régence de la mère du roi[6]. Or, ce recueil reparaitra en 1561 et en
1611, voire en 1644, lors de régences dues à la disparition soudaine
du souverain.(Henri II, Henri IV, Louis XIII). En 1611, à Paris, chez
Pierre Chevallier, un Recueil Chrestien[7], dédié à Marie de Médicis,
la Régente, reprendra le texte français de la Première Partie du
Recueil, concernant Sainte Brigide. : « Belle Prophétie de Sainte
Brigitte Royne d’Escosse ».(à partir d’un recueil de Claude Du Pré,
1608)
Déjà en 1515, lors de la mort de Louis XII, alors que l’on s’interroge
sur la possibilité d’une régence de Marie d’Angleterre (Tudor), sœur
d’Henri VIII, épouse de Louis XII, réputée, un temps, enceinte d’un
fils, parait une première édition à Lyon de la Pronosticatio de
Lichtenberger.(cf infra), donc avant le Mirabilis Liber. Finalement,
c’est François Ier du nom qui succèdera en cette année qui fut celle
de la bataille de Marignan.
On connait deux versions du Mirabilis Liber, l’une adressée au roi
(Arsenal 8° T 6702), probablement avant Pavie et l’autre où le texte
de l’épitre est .sensiblement remanié, sans plus mentionner le roi de
France (Arsenal 8° T 6700), et qui pourrait correspondre à la période
de captivité en Espagne.. Le Mirabilis Liber atteste, nous semble-t-il,
de l’existence d’une édition de la Pronosticatio de Lichtenberger avec
la mention 1567 avant 1525, donc avant l’édition de Cologne de 1526.
Sinon, il conviendrait de se demander si la parution du Mirabilis
Liber ne doit pas être placée après Pavie même si l’on connait des
éditions datées de 1522 du dit Mirabilis Liber. Quant à l’édition 1492
se référant à 1567, c’est très certainement une contrefaçon antidatée,
qui annonce des pratiques bien connues dans le domaine du texte
ésotérique.
Le texte de la Pronosticatio au niveau de sa chronologie finale sera
interpolé assez gauchement dans les éditions allemandes des années
1520-1530 (ce qui sera repris dans les éditions françaises) ; on passe
ainsi d’un exposé sur les ans 1492-1493 aux années 1494-1495 avec un
passage relatif aux années 1520, suivi ensuite à nouveau d’une étude
des années 1490. « Et ces maux reviendront derechef l’an 1521 & 1523
».. Mais cette interpolation est absente du Mirabilis Liber qui aurait
donc utilisé une version plus ancienne de la Pronosticatio,
probablement l’édition lyonnaise de 1515. Ce qui nous conduit à penser
que la traduction française n’émane pas du Mirabilis Liber mais
directement d’une édition des années 1520 de la Pronosticatio, ce qui
expliquerait l’absence de la mention 1567 qui figurait nettement dans
le Mirabilis Liber et qui aurait du exister s’il y avait eu usage du
dit Mirabilis Liber. Le seul élément qui plaide en faveur d’un usage
du Mirabilis Liber est l’usage du Compendium de Savonarole mais ce
texte était accessible en dehors de ce recueil et d’autre part, il
concerne le cas spécifique de la Préface (augmentée) à César.
Toutefois, force est de constater que le nom même de « Première Partie
du Recueil etc » ne fait sens que par rapport au plan du Mirabilis
Liber et que la dite partie se termine par le début de la « seconde
partie de ce livre» : « Un Roy sera en Gaule nommé K etc », ce qui
peut évoquer Charles IX, qui succède à son frère François II, en 1561.
Il nous semble que l’on peut supposer que la traduction française
s’est faite dès les années 1520 à partir de la Pronosticatio puis aura
été rapprochée du Mirabilis Liber, ce recueil pouvant d’ailleurs avoir
été composé – ce qui est le propre des recueils - après que soit parue
une édition française, en latin, de la Pronosticatio, dès 1515, à
Lyon.[8]
En ce qui concerne la mention de l’année 1567, elle figure sur
plusieurs pièces, la plus ancienne étant la Pronosticatio quedam
mirabilis (…) ab anno MCCCCLXXXIIII duratura ad annum MCCCCCLXVII/
(ref B8)/ En 1530 parait à Paris, la Prognosticatio Ioannis
Liechtenberger (B12) qui a pour terme également 1567, comme c’est le
cas dans le Mirabilis Liber mais non en son titre. Nous avons aussi
reproduit la page de titre (B14) de la Prophétie Merveilleuse de
madame Saincte Brigide, datant de 1535, qui comporte, en son titre,
les dates suivantes : « depuis l’an mil CCCC LXXXIIII iusques à ceste
presente année mil CCCXXXV (…) & durera la dicte prophetie iusques à
l’an mil CCCCCLXVII, translatée nouvellement de latin en françoys/ »,
mais la première traduction française en date serait de 1527 soit 24
ans avant l’édition de la Première Partie du Recueil. A l’évidence
cette édition de 1535, également présentée sous le nom de « Revelation
pronosticale de saincte Brigide » est dérivée de l’édition parue vingt
ans plus tôt et dont il aurait existé une première traduction dès
1527..
Ce qui est remarquable, c’est la présence de cette année 1567 qui ne
figure, avant les années 1520, chez Lichtenberger que dans l’édition
de Mayence de 1592 (BNF) et dans des éditions italiennes de
l’époque[9] – du moins si l’on suppose que la reproduction est
correcte- et dans ses dérivés à partir de 1527. Cela est confirmé par
l’édition parisienne de 1530 qui se réfère à Lichtenberger, ce qui
n’est le cas d’aucune autre édition française de l’époque.
En fait, l’année mise en avant comme terme aux prédictions de
Lichtenberger n’est pas 1567 mais 1576. Il y a eu permutation de
chiffres dans le titre mais pas dans le texte. Lichtenberger parvient
jusqu’en 1576 laborieusement et sans d’ailleurs s’en expliquer
astrologiquement. Dans un chapitre constitue d’une véritable
chronologie prophétique, allant de la fin du XVe siècle aux années
1570, il procède par petites touches successives, dont le total
aboutit à cette année 1576 (qui devient 1572 dans la Première Partie
du Recueil (1561).
Force est de constater que les différents corpus concernés ne sont
généralement pas reliés entre eux par les historiens des textes. C’est
ainsi que dans leur bibliographie de la littérature « brigidienne », «
On line Bibliography of Saint Birgitta and the Birgittine order »,
Stephan Borge Hamman et Ulla Sander Olsen (2003) ne suivent à aucun
moment la piste de la Pronosticatio de Lichtenberger, dans la partie
consacrée aux fausses attributions. En revanche, ils signalent une
série dont les titres sont plus tardifs puisque datant au plus tôt de
1515, et qui renvoient non pas à 1567 mais à 1581, sous le titre de
Auszug etlicher Practica und Propheceyen (Extrait (c'est-à-dire
Recueil) de plusieurs pronostications et prophéties). Selon la
recension de Kurze (J. Lichtenberger, op. cit. pp. 81 et seq) selon
nous des éditions tardives de la Pronosticatio avec l’annonce, en leur
titre, de 1’an 1567 qui serviront à produire tant l »édition lyonnaise
latine de 1515 qui sera traduite en français dans les années 1520 que
l’Auszug allemand lequel adoptera, en son titre, la date terminale
pour 1581. A l’origine du Mirabilis Liber, l’on pense à l’édition
conservée à Munich de la Pronosticatio de 1492, à Mayence, chez Jakob
Meydenbach, Eyn Pronosticatio zu theutsch im jar LXXXVIII gemacht….
Und wirt weren byss man schreibt MCCCCCLXVII jar. Cette édition
fautive qui mentionne en son titre 1567 (au lieu de 1576) sera
reproduite en 1526 sous le titre de Dise Practica unnd Prenostication
ist gedruckt worden zu Mentz im MCCCCXCII Jar.. Il nous semble très
improbable que le texte allemand ait été rendu en latin par le
compilateur français du Mirabilis Liber. On notera toutefois qu’il
existe une édition en italien de 1492 de la Pronosticatio (cf BNF)
alors que nous n’avons pas eu accès à l’édition allemande de 1492 si
ce n’est par une reproduction. A ce propos, le procédé de 1526 ne peut
qualifier une contrefaçon antidatée puisque la date de 1526 y est
dument indiquée.
Il est plus vraisemblable que le ML ait repris la traduction latine
lyonnaise de 1515 dont il reproduit le titre et dont il reprend en son
début la référence à 1567.
« Pronosticatio quedam mirabilis divinitus partim revelata partim
celesti constellatione premonstrata….... duratura ad annum domini
MCCCCCLXII (sic). On l’a dit, cette présentation figure certes dans le
Mirabilis Liber, mais non point en tête car elle est précédée de
diverses pièces ajoutées qui ont peut-être pour but de ne pas
faciliter l’identification du corpus d’origine. Mais les éditeurs de
1561 ne s’y sont pas trompés et sont allés chercher une traduction,
même partielle, existante, laquelle d’ailleurs était issue de la
source reprise dans le Mirabilis Liber.
Nous en arrivons ainsi à une généalogie partant de l’édition de 1592,
à Mayence (en allemand), de la Pronosticatio, sans mention du nom de
Lichtenberger (ou en italien, de Modéne, même année[10]), à partir de
la quelle il y a divers embranchements
1 les éditions de 1520 de la Pronosticatio, à partir de la réédition
en 1526 de l’édition de 1492, chez P. Quentel.
2 L’édition latine de 1515 se référant au titre à Sainte Brigitte et
dont se servira le Mirabilis Liber de 1522, d’où l’emploi de
l’épithète Mirabilis.
3 La traduction française de 1527 de l’édition latine de 1515, dont se
servira la Première Partie du Recueil (1561) pour rendre partiellement
la partie latine du Mirabilis Liber tout en s’inscrivant dans le cadre
de celui-ci pour le début de la parti française et sans traduire en
français le reste de la première partie latine mais en restituant le
début de la seconde partie française du dit Mirabilis Liber.
L’édition de 1561 est une fausse réédition en français du Mirabilis
Liber dont elle ne restitue du latin que ce qui est paru en 1527,
omettant de rendre tant les pièces placées avant la Pronosticatio que
celles se situant après, faisant ainsi la part belle à Lichtenberger
sans toutefois que son nom soit une seule fois mentionné.
On y notera une bizarrerie qui remonte à l’édition latine de 1515, à
savoir la mention de Saint Cyrille dans la liste des « saints
personnages »- et même en tête au titre du Recueil - alors que ce
saint ne figure pas dans la liste qui en est donnée par Lichtenberger,
au début de sa Prognosticatio. On retrouve cependant ce Cyrille tout à
la fin de la traduction française calquée sur l’édition latine de 1515
: « Bréve Monition du traducteur. Pour ce que plusieurs prennent
delectation à savoir des choses nouvelles nous avons mis en vulgaire
ce petit livre lequel contient des choses dignes de mémoire cogneues
par Saincte Brigide, S. Cirille, Joachim abbé et Lolhardus ermite tant
revelées par le sainct esprit etc « [11]
Le sous titre du Mirabilis Liber nous semble reprendre une formulation
allemande que nous retrouvons en 1549
: Propheceyen und Weissagungen. Vergangne/ Gegenwertige und Kunftige
Sachen[12], littérament « des choses passées, présentes et à venir »,
et dont il a pu exister une mouture latine, ce qui donne Mirabilis
liber qui prophetias revelationesque, necnon res mirandas, preteritas,
presentes et futuras, aperte demonstra à part l’addition de »mirandas
» qui semble appartenir au style prophétique français, à rapprocher de
mirabilis.
(Prophetia quaedam mirabilus, Mirabilis Liber)
En France, le nom de Lichtenberger ne sera jamais associé ni à la
Prophétie de Dame Brigitte ni au Mirabilis Liber. Il est vrai que le
nom de Lichtenberger n’est fourni, avant les années 1520, que très
discrétement à la fin de l’Oratio Autoris[13], annoncé par une
vignettee. G. Petrella signale le passage en question: « expande
pallium gratie tue supra me Ruth (…) indigno servo tuo Iohann
Lychtenberger explicandas reveles mentemque meam eterni tui etc »[14]
Pendant la période allant de 1588 à 1599, nous dirons que l’œuvre met
en avant divers auteurs- représentés sur une même vignette, alors que
le compilateur reste en retrait, et simplement désignée sous le titre
de Prognosticatio, en latin, en allemand, en italien .(cf la
collection numérisée de la Bibliothèque de Munich).
En 1515, la Pronosticatio avait débuté son périple français sous les
auspices de Sainte Brigitte. On a la preuve que le Mirabilis Liber
dérive de l’édition de 1515 du fait que celle-ci comporte des
interpolations présentes au tout début de la Prophétie de Sainte
Brigitte, figurant dans le Mirabilis Liber mais absentes dans la
Pronosticatio, relatives à une série de pays : Empire (Romain
Germanique), France, Espagne, Angleterre, Dace (Roumanie), Hongrie ;
Bohème et Allemagne, ce qui donne dans les éditions latines françaises
(1515 et 1522) « per romanum imperium etc », et en français. «
Pareillement des choses qui doivent advenir à l’empire romain, au
reaulme de France, Despaigne, Dangleterre, de Dace, de Hongrie, de
Boesme & des Allemaignes »
On ne connait qu’un seul cas, en 1530, d’une édition française, en
latin, de la Pronosticatio sous le nom de Lichtenberger, à la suite du
renouveau de 1526 outre Rhin, sans qu’apparemment, l’on se soit douté
aucunement à l’époque de la circulation en France de sa compilation,
il est vrai dépourvue de toutes ses vignettes. En 1614, toutefois,
parait un Vaticinium S. Brigitae Reginae Scotiae ex Iohannis
Lichtenbergii praedictionibus, au sein d’un recueil de Claude Du Pré,
le Pratum, paru à Paris, chez Jean Libert[15]. Ce bref passage est
probablement repris d’une édition latine parue en 1530 sous le nom de
Lichtenberger alors qu’à la même date paraissait une traduction
française de ce même texte au sein du Recueil des Prophéties et
Révélations, sans aucune référence à Lichtenberger..
Autre étrangeté, on l’a signalé, la présence de l’année 1567 dans
l’ensemble du corpus du xVIIe siècle, tous pays confondus, sans que
jamais on ne trouve, dans le contenu, la moindre explication à ce
propos alors même qu’à partir de 1560, cette date va être mise en
avant par Nostradamus, mais cette fois sur des bases astronomiques
bien définies. Encore récemment une réédition de la Pronosticatio en
langue vulgaire (par opposition au latin) signale[16] cette date de
1567 au titre de certaines éditions sans noter que rien n’en rend
compte dans le corps du livre. On se perd en conjectures à ce propos.
D’une certaine façon 1567 semble bel et bien une échéance
vraisemblable, comme il ressort du cas Nostradamus. Cette année se
situe dans le prolongement d’une grande conjonction –il n’y en a
qu’une fois tous les 20 ans- et d’une éclipse, exactement comme pour
les années 1464-1465, à un siècle de distance. Nous pensons que l’on
ne peut exclure que certaines éditions de la Pronosticatio aient
disparu qui comportaient bel et bien 1567 autrement qu’au titre et en
ce sens, Nostradamus, de facto, aurait ainsi rétabli la chronologie
d’origine, sur la base d’une étude des données astronomiques, telles
que figurant dans les ouvrages de Leovitius ou de Stadius..
Le corpus nostradamique après la mort de Nostradamus comportera des
éléments associés à cette littérature pseudo brigidienne, mais avec un
contenu très différent.
La prophétie ou revolution merveilleuse (…)iusques en l’an de grande
mortalité 1568 par Mi. de Nostradamus, Lyon, Michel Jove, 1567 [17] A
rapprocher du titre de l’édition de 1535 : Prophétie Merveilleuse de
Madame Saincte Brigide (….) & durera la dicte prophétie iusques à l’an
mil CCCCCLXVII.
En 1575, nous avons vu que sous le nom de Nostradamus le Jeune,
paraitra à Venise une nouvelle édition de la Première Partie du
Recueil de revelations et prophéties, avec l’addition de l’adjectif «
merveilleuses »[18]
La dimension allemande du dit recueil de Lichtenberger n’est pas liée
au compilateur dont l’identité restera inconnue tout au long du XVIIe
siècle. Quand Jacques Barret en 1621 réédite le dit recueil au sein
d’un ensemble plus vaste qu’il intitule le Chant du Coq François
(Paris, Denis Langloys), il parle d’un Hermite Allemand mais il pense
à Reinhardt Lolhardt dont le nom est mentionné et non à Lichtenberger
dont le nom ne figure dans un ouvrage en français que du fait de la
traduction des Chroniques de Jean Carion (alias Nägelein) historien et
astrologue allemand dont nous étudierons par ailleurs l’influence
possible sur Nostradamus.
Leovitius est l’auteur allemand par excellence qui droit de cité
officiellement en France, auréolé du prestige de son Ephemeridum et de
son Eclipsium mais cela concerne une période plus tardive, celle des
années 1560 : en 1565 paraissent des Prédictions des choses plus
mémorables qui sont à advenir depuis l’an MDLXIII jusqu’à l’an Mil six
cens et sept prise tant des éclipses et grosses Ephémérides de C.
Leovitie que des prédictions de Samuel Syderocrate[19], Bâle. Benoist
Rigaud, en 1570 fait paraitre à Lyon des Prédictions pour trente sept
ans des choses plus mémorables qui sont à advenir après l’an miil cinq
cens soixante et dix jusques en l’an 1607. Extrait des Eclipses et des
Grosses Ephémérides de Cyprien Leovitie et en 1574, le même Rigaud
réédite cet ouvrage avec toujours cette échéance de 1607.[20]
Un tel intitulé sera repris par Nostradamus Le Jeune, en 1571 :
Prédictions des choses plus mémorables qui sont à advenir depuis cette
présente année iusques à l’An mil cinq cens quatre vingt & cinq (…)
prinses tant des Eclipses de Soleil & de la lune que du livre
merveilleux de Cyprian Leovitie, Samuel Syderocrate etc (…) lesquelles
ont esté en grande diligence mise en lumière par M. Michel de
Nostradamus le Jeune, Docteur en médecine «, Troyes, Claude Garnier La
date de 1607 est remplacée par une date plus proche, celle de 1585..
On note que les attributions sont emmêlées et l’on rappellera que le
Livre Merveilleux n’est nullement l’œuvre de Leovitius.[21]
Le traitement des recueils prophétiques est chose délicate car on a
affaire à des compilations de recueils s’emboitant les uns dans les
autres. Si Peter Lemesurier a probablement raison d’accorder une
certaine importance au Mirabilis Liber en tant que source de certains
quatrains voire de certaines épitres, sa description de ce recueil
laisse à désirer. C’est ainsi qu’il cite comme des pièces distinctes
ce qui vient de Johann Lichtenberger « a composite collection from
various named sources, first printed in 1488) » et « Another composite
source combining (among others) St Brigid of Sweden, S. Hildegard of
Bingen, the Cretan Sibyl, the Hermit Reynard and the celebrated Abbot
Joachim of Flore”, alors qu’il s’agit dans les deux cas du même
recueil compilé par le dit Lichtenberger.[22]
L’étude du Livre de l’Estat et Mutation des Temps, Lyon, 1550, qui ne
fait que réaménager, comme le signale Richard Roussat dans son épitre
à Joachim de la Baulme, un document plus ancien (Le Période du Monde
de Pierre Turrel[23]). « iceluy tombé entre mes mains, imparfaict,
sans goust, & fort mal en ordre (néantmoins copieux en substance & en
occultes vertus) & l’ayant depuys non sans labeur instauré & orné
voyre non moins que ressuscité & engendré par mon tel quel esprit,
vous le presente & dédie »
Roussat y cite (pp. 97-98) le nom de Lichtenberger dont on a dit qu’il
ne figurait pas dans le Mirabilis Liber et pas davantage dans le
Recueil des Prophéties et Révélations. « Jean de Listember (sic) dit
que ce planète s’estend & iette son influence sur les Germains (..)Et
pourtant que par cest auteur de Listember (sic), lesdictz Germains
sont nommez Scorpionnistes, fault entendre que le Scorpion qui est
venimeux est (…) la tour (sic) & domicile de Mars etc ». Le chanoine
Roussat, dans son développement sur les éclipses se référe (p. 174) à
celle de 1485, qui est précisément celle qui est au cœur de la
Pronosticatio de Lichtenberger : « Car il fut l’an mil quatre cens
octante & cinq, au moys de Mars, une Eclipse de Souleil (sic) (..)
avec quatre aultres subsecutives & de nostre temps ont influx en ce
Monde ia plus que la rage etc ». Turrel n’est pas ici un lecteur du
Mirabilis Liber mais bien d’une édition de la Pronosticatio Ioannis
Lichtenbergers, probablement celle parue à Paris, en 1530 « apud
Collegium Sorbonae » et qui porte en son titre même référence à la
dite éclipse : » eclipsim Solis anni squentis, videlicet LXXXV. Durans
in annum usque MDLXVII », toujours cette référence insolite à l’an
1567, celui de l’éclipse élue par Nostradamus.. En outre, l’intérêt de
Roussat pour Methodius (pp. 164, 169, nom parfois corrompu en
Bemechobus dans le Mirabilis Liber[24]) semble lié à la lecture du
recueil de Lichtenberger. « il m’a semblé bon & fort convenable
adiouster en ce present œuvre ou livret les preambules que monsieur
sainct Methodius martyr (..) met estre à regner & apparoir avant
l’advenement & naissance d’iceluy Antechrist »
JHB
01. 01. 13
[1] Cf Capp, Bernard. Astrology and the Popular Press, English
Almanacs 1500-1800. London : Faber and Faber, 1979.
[2] A. Warburg, Gesammelte Schriften 2. Die Erneuerung der Heidnische
Antike. Kulturwissenschaftliche Beiträge zur Geschichte der
Europäischen Ren aissance, (Leipzig, 1932), pp. 514-515. Reed Berlin,
1998
[3] Cf Gustave Adolf Schoener, The coming of a « Little Prophet ».
Astrological Pamphlets and the Reformation,”
[4] Johannes Lichtenberger (1503)Eine Studie zur Geschichte
deruProphetie und Astrologie. Historische Studien Heft 379, Lübeck et
Hambourg
[5] Jean Harmand Une prophétie du XVIe siècle sur la Révolution. Le
liber Mirabilis. Revue des études historiques Sept Oct 1913
[6] Cf l’analyse des deux moutures de la Préface dans l’article de
Britnell et Stubs sur le Mirabilis Liber.(1986)
[7] Cf le Texte Prophétique en France, op. cit.
[8] Dans notre thèse d’Etat, nous avons rassemblé une collection de
pages de titre concernant ce dossier, ces images ne sont pas en ligne,
à la différence du corps du texte - mais consultable sur microfiche
dans les bibliothèques universitaires et à la BNF (SUDOC).
[9] Giancarlo Petrella « La Pronosticatio di Johannes Lichtenberger.
Un testo profetico nell’ Italia del Rinascimento”, Oudine, Forum,
2010,
[10] BNF res D 8548 (1) Pronosticatione in vulgare ... infino al anno
MCCCCCLXVIJ, Modena : Pierre Maufer, 14 IV 1492
[11] Exemplaire de la Collection Masson de la Bibliotheque de l’Ecole
Supérieure des Beaux Arts, Paris, (catalogue en ligne « Cat’zarts) .
La fin de l’exemplaire est tronquée.
[12] Fonds Masson, 1430 Bibl. de l’Ecole Sup. des Beaux Arts
[13] Cf W. Harry Rylands, Pronosticatio in Latino by John
Lichtenberger A reproduction of the first edition (printed in
Strasburh 1488), Manchester, Holbein Society, 1890, Intr. p.II
[14] voir aussi en italien le même passage in Pronosticatione in
Vulgare, Milan, Antonio di Farre, 1500, p.116 de son édition 2010)
[15] Cf notre recension in CATAF (site grande-conjonction.org) n° 519
[16] Giancarlo Petrella. La Pronosticatio di Johannes Lichtenberger.
Un testo profetico nell’ Italia del Rinascimento Forum, Oudine, 2010,
[17] Cf R. Benazra, RCN, pp. 79, 80 , 90
[18] Cf on line, Bibliotheque Nostradamus, propheties.it
[19] Alias Eisenmenger
[20] Cf notre recension dans le CATAF, op. cit, n°863. entrée Karasek
z Lvovittsky
[21] Cf R. Benazra, RCN, pp. 90 et seq
[22] Cf Nostradamus. The illustrated Prophécies, Winchester, 2003, p.
X
[23] Voir l’étude de J. P. Brach sur cet ouvrage de Roussat, Gutenberg
Reprints, 1981
[24] Cf Le texte prophetique en France, op |
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