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Researches 141-150 |
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141 - La troisiéme version de l’Epitre à Henri II et les
quatrains centuriques. |
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142 - Jean Aimé de Chavigny, l’intriguant. |
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143 - Le double écueil de la recherche nostradamologique : la
forme et le fond. |
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144 - Les sixains et le canon centurique |
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145 - Considérations (ethno)méthodologiques dans le domaine de la
nostradamologie |
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146 - Le Janus Gallicus et le Recueil des Commentaires sur les
ans 1550-1567 |
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147 - La fausse image d’un Nostradamus historien non prophète |
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148 - L’influence de Jean-Charles de Fontbrune sur les
nostradamologues |
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149 - Le rapport du français au latin dans les formulations
zodiacales au sein de la littérature nostradamique. |
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150 - La question des épitres liminaires dans les almanachs de
Nostradamus. L’épitre oubliée à Marguerite de Savoie. |
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Researches 141-150
141 - La troisiéme version de l’Epitre à Henri II et les quatrains
centuriques.
Par Jacques Halbronn
Dans son épitre à Pie IV, datée de 1561, placée en tête de l’almanach
pour 1562, Nostradamus annonce qu’il a fait parvenir à Catherine de
Médicis, la régente, un mémoire astrologique. On connait celui-ci par
la traduction italienne de la partie finale et par un manuscrit dont
on a la réimpression du début du XXe siècle. Ce texte entretient des
relations étroites avec un autre bien plus connu, l’Epitre à Henri II,
datée de 1558. et donc censé lui être antérieur de trois ans, lequel
texte a été intégré, à la différence du premier, dans le canon
centurique, à la fin du XVIe siècle ou au début du siècle suivant.
Inversement, on ne peut comprendre l’épitre au roi sans disposer du
mémoire à la Reine et des quatrains qui leur font écho.
Par ailleurs, le contraste est frappant entre la Préface à César et
l’Epitre à Henri II. Dans le premier texte, il n’est à aucun moment
question de l’Antéchrist à la différence du second. En cela, les deux
textes se complètent. D’ailleurs dans l’épitre au Roi, Nostradamus se
réfère à l’épitre à César : » Dedans l’epistre que ses/ces ans passez
ay desdiée à mon fils César Nostradamus, j’ay assez apertement declaré
aucuns poincts sans présage. Mais ici (dans l’épitre au Roy)sont
compris plusieurs grands & merveilleux advenemens »
Le premier, antidaté à 1555, vise surtout à prolonger le testament de
1566 au profit de César, en ce qui concerne la transmission des
papiers de Michel de Nostredame/ou Nostradame. Quant à l’épitre au roi
de 1558, elle vient, elle aussi, en quelque sorte compléter la
première version de 1556, placée en tête des Présages Merveilleux.
Encore faut-il préciser que l’on connait un état antérieur, mais datée
de façon identique, conservé dans l’édition Antoine Besson (c 1691) et
que l’épitre, bien plus brève – et dont Torné Chavigny disait à tort
qu’elle était tronquée- sous cette forme ne comporte strictement aucun
élément antéchristique. Ce texte visait à introduire « ces miennes
prophéties » mais il ne les comporte pas. Par la suite, cette
introduction, considérablement amplifiée, sera devenue un document à
part entière mais au lieu de comporter « ces miennes prophéties » on
lit « ces trois Centuries du restant de mes Prophéties, parachevant la
miliade », ce qui est tout à fait approprié en tête des centuries
VIII., IX., X., à quelques quatrains près, la VIIe centurie «
incomplète » (le e après le VII remplace de nos jours le point en
vigueur au milieu du XVIe siècle), ce qui laisserait évidemment
entendre que les VII premières centuries étaient déjà achevées en
1558[1], puisqu’avec l’addition de trois centuries de plus, on atteint
la « miliade »..
On relèvera deux types de données dans cette « troisième » épitre (le
mot epistre est utilisé dans le cours du texte) à Henri II : les
références aux éclipses et celles à l’Antéchrist, ces deux éléments
étant liés dans le mémoire adressé à la Régente du Royaume, la veuve
d’Henri II. L’Antéchrist serait à naitre le jour même de l’éclipse du
mois d’avril 1567. Nous aborderons également, à cette occasion, l’écho
que l’on trouve à ces problématiques dans les quatrains centuriques
auxquels il est fait référence dans cette dernière mouture « la
plupart des quatrains prophétiques sont tellement scabreux etc ».
A Les éclipses
Selon nous, la mention de degré de ‘hauteur », c'est-à-dire de
hauteur, est à associer au phénoméne des éclipses lesquelles sont
localisées de la sorte. Même les données planétaires concernent la
rétrogradation des planétes et figurent dans les ouvrages consacrés
aux éclipses. Il s’agit ici en l’occurrence, sans que cela soit
indiqué, de l’année 1606, année sans éclipse, la date de 1606 figure
plus haut dans l’épître. Mais plus haut, il es bien question d’une
année à éclipse :
« & précédera devant (auparavant) une eclypse solaire le (sic) plus
obscur & le plus tenebreux que soit esté depuis la création du monde
‘(..) & sera au mois d’Octobre que quelque translation sera faite ».
Plusieurs chercheurs ont noté qu’il devait s’agir de l’éclipse du 12
octobre 1605. Nous avons retrouvé cette donnée dans le mémoire d’avril
1566, dans sa traduction italienne.(à la suite de l’almanach pour
1567) : « questo de l’anno 1567 sara molto grande & tale che simile ne
fu ne sara de lungo tempo, eccetto quello che sara l’anno 1605. nel
mese d’Ottobre »
L’auteur de l’Epitre ainsi remaniée aligne de degrés qui sont
pensons-nous fonction des éclipses mais il ne s’en explique pas
directement :
« procédant du cinquantiesme degré qui renouvellera toute l’église
Chrestienne »
« Delaissant le 50. & 52. degrez de hauteur’ » pour les « régions de
l’Europe de Septentrion de 48. (ce point n’a pas de raison d’être,
c’est un nombre cardinal à la différence des deux précédents qui sont
ordinaux) degrez d’hauteur »
« la venue du sainct esprit procédant du 48. degrez »
Mais à la fin « l’année sera pacifique sans éclipse (…) & commençant
icelle année sera faicte plus grande persecution à l’eglise
Chrestienne & durera iusques l’an mil sept cens nonante deux (on
notera l’absence de point après le deux alors que c’est un nombre
ordinal !)»
« à quarante cinq & autres de quarante ung, quarante deux & trente
sept & dans iceluy temps & icelles contrees »
VIII, 15
« Vers Aquilon grands efforts par hommasse
Presque l’Europe & l’univers vexer
Les deux eclypses mettra en teste chasse »
Et aux Pannons vie & mort renforcer »
Le mot Aquilon - qui est associé au vent du nord, que l’on dit froid
et orageux, - se retrouve dans l’epistre à Henri II :
« la persecution des gens Ecclesiastiques prendra son origine par la
puissance des Rois Aquilonaires »
« que par lors defaillira le principal Roy Aquilonaire »
« Par lors le tiers Roy Aquilonaire (..) dressera si grande armée »
Autres quatrains :
« L’an mil sept cens seront grands emmenées
Subjuguant presque le coing Aquilonaire »
Le danger antéchristique viendra donc du Nord. Nostradamus distingue
entre les degrés du septentrion, qui sont les 50e et 52e degrés des
degrés plus méridionaux qui sont les 48e, 45e et plus bas encore.
Paris se trouvant à peu près au niveau du 48e degré de latitude nord.
En définitive, l’Epitre à Henri II couvre les deux années 1605 ‘ et
1606. Pourquoi l’année 1606 est-elle donnée en clair et pas celle de
1605 ? Parce que les effets de l’éclipse d’octobre 1605 ne se feront
sentir que l’année suivante, quand bien même 1606 serait sans éclipse.
Mais tout cela nous interpelle quant à l’année de rédaction de cette
troisiéme version de l’Epitre à Henri II. Il est clair qu’elle est
postérieure à 1567 et que l’on est renvoyé 40 ans plus tard, comme
l’indique le quatrain I, 17:
« Par quarante ans l’iris n’apparaitra »
Par quarante ans tous les jours sera veu
La terre aride en siccité croistra
Et grans deluges quand sera aperceu »
On devrait donc situer l’épitre à Henri II une dizaine d’années plus
tard comme c’est le cas pour la préface à César dont nous plaçons le
texte d’origine en 1566 (mais sans dédicataire autre que « mon fils
»). Crespin au début des années 1570 signale une Epitre à Henri II
datant de juin 1558.
B L’Antéchrist[2]
« les adversaires de Iesus Christ & de son eglise commenceront plus
fort de pulluler »’
« Puis le grand empyre de l’Antechrist commencera »
« deschassant à l’abomination de l’Antechrist faisant guerre contre le
royal (sic) qui sera le grand vicaire de Iesus Christ & contre son
eglise & son regne »
« pour faire naistre le grand Dog & Dogam (pour Gog & Magog) »
« la puissance infernale mettra à l’encontre de l’Eglise de Iesus
Christ la puissance des adversaires de sa loy, qui sera le second
Antechrist, lequel persecutera icelle eglise & son vray vicaire »
« Le susdit regne de l’Antechrist ne durera que iusques au definement
de ce nay pres de l’eage »
« Celle persecution durera unze ans quelque peu moins (…)encore plus
fort par l’espace de trois ans »
« L’antechrist sera le prince infernal, encores par la derniere foy
trembleront tous les Royaumes de la Chrestienté (..) par l’espace de
vingt cinq ans »
« par le moyen de Satan prince infernal »
« Satan sera mis & lyé dans l’abisme du barathre dans la profonde
fosse & adoncq commencera entre Dieu & les hommes une paix universelle
& demeurera lyé environ l’espace de mille ans »
VIII 76 77
Plus Macelin (cf Marcellus in Mémoire de 1561)
que roy en Angleterre
Lieu obscur nay par force aura l’empire
Lasche sans foy, sans loy saignera terre
Son temps s’approche si pres que ie souspire
L’ Antechrist trois bien tost annichilez
Vingt & sept ans sang durera sa guerre
Les heretiques mortz captifs exaltez
Sang corps humain eau iogie gresler terre »
On rapprochera les 27 ans de VIII 77 des 25 ans de l’Epitre au Roi :
« L’antechrist sera le prince infernal, encores par la derniere foy
trembleront tous les Royaumes de la Chrestienté (..) par l’espace de
vingt cinq ans »
Mais il y a aussi le quatrain III, 77 :
« L’an mil sept cens vingt & sept en octobre
Le roy de Perse par ceux d’Egypte prins
Conflit, mort, perte, à la croix grand opprobre’
On peut donc envisager que la bonne leçon de l’Epitre est 27 et non
25.
L’an 1700 (1700 + 27= 1727) acquiert ainsi une certaine importance, ce
que confirme le quatrain I, 49 :.
« L’an mil sept cens seront grand emmenées
Subjuguant presques le coing aquilonaire »
On notera que l’on ne se référe pas dans ce texte aux planètes
thématique développée dans le Mémoire de 1561, mais aussi dans la
brève épitre à Pie IV du 17 mars qui mentionne la conjonction de Mars
et de Saturne puis celle de Jupiter et de Saturne- si ce n’est par la
mention de l’an 1585 qui semble se référer à une grande conjonction
Jupiter- Saturne, dont la fréquence est d’une vingtaine d’années..A
contrario l’épitre au pape ne comporte pas le mot éclipse qui pourtant
est récurrent dans la ‘ »Préface » qu’elle introduit.
La lecture du mémoire du 20 avril 1561 vient compléter la dernière
version de l’Epitre de 1558 et constitue également une source pour de
nombreux quatrains, lesquels ne sont guère compréhensibles sans le
recours aux textes en prose. L’intérêt de ces quatrains est surtout
supplétif. C’est ainsi que durant des siècles, on n’aura connu le
mémoire de 1561- hormis il est vrai la traduction italienne dont il ne
semble pas que l’on ait saisi l’importance jusqu’à présent - que par
le biais de quelques quatrains. L’Epitre à Henri II aura néanmoins
rappelé toute l’importance que Nostradamus accordait à la question de
l’Antéchrist mais sous la forme qui est la sienne, elle est un pâle
reflet du « Discours » de 1561. Quant au document d’une trentaine de
pages figurant à la suite de l’almanach pour 1567, lequel document est
en date du 22 avril 1566, dont on ne connait, encore une fois, que la
traduction italienne, il traite certes de l’éclipse d’avril 1567 dont
les effets s’étendront aux années suivantes jusqu’en 1570 mais le mot
Antéchrist n’y figure pas. Il s’agit d’une besogne purement technique
d’interprétation de thèmes d’éclipse et qui n’a guère de souffle
prophétique : il n’en témoigne pas moins de l’importance de la
question des éclipses à la fin de la vie de Nostradamus :
ALMANACH PER L'ANNO D.M. LXVII COMPOSTO PER M.MICHEL
NOSTRADAMO DOTTOR IN MEDICINA ET CONSIGLIERO DELRE
CHRISTINISSIMO, Tradotto fidelmente del Francese nell'Italiano. Con
duoi diuersi
Calendarii & molto stupende dichiarationi dell'Eclisse del Sole del
presente anno 1567 &
per duoi altri anni seguenti.
L’original français donnait : « ensemble les explications de l’Eclypse
merveilleux & du tout formidable qui sera le IX. d’Avril proche de
l’heure de Midy » (Lyon, Benoist Odo[3]). On notera toutefois que la
version italienne indique que cela couvre les années suivantes alors
que l’original français se concentre, du moins en son titre, sur la
date d’avril 1567.
Michel Chomarat a consacré une étude à la question des dates dans les
« prophéties » de Nostradamus (cf op. cit) mais elle se limite, à une
exception près prise du Recueil des Présages Prosaïques, aux seuls
quatrains des centuries et des almanachs. Or, il nous parait évident
que l’on ne peut séparer les quatrains non seulement des épitres
centuriques mais aussi d’autres pièces comme celle de 1561. C’est
ainsi que dans le texte de Chomarat, on ne trouve pas 1567 ni 1605 ou
1606. Chomarat s’arrête cependant sur l’année 1607 (pp. 88 et seq)
après avoir cité le quatrain VI, 54 « L’an mil six cens & sept de
Liturgie »: « La date ‘1607’ » semble importante dans l’œuvre de
Nostradamus puisque nous la retrouvons à plusieurs reprises , comme
dans le quatrain 71 de la centurie VIII qui ne sera publié qu’en 1568
(sic) (…) Cette date « 1607 » se trouvait déjà en 1554, dans la
Prognostication pour 1555 (…) Plus tard en 1560, dans son Almanach
pour 1561, au dernier quartier de la lune d’avril, Nostradamus revient
encore sur 1607 » Et de conclure « une date répétée au moins à 4
reprises par Nostradamus aurait du attirer l’attention des exégètes
contemporains, il n’en fut rien »
Il nous semble, pour notre part, assez vain, d’aborder la question des
dates chez Nostradamus sans la relier à des configurations
astronomiques et notamment aux éclipses. Dans le cas de 1607, il est
plus que probable que cela ait à voir avec l’éclipse d’octobre 1605 –
année figurant dans les Significations de l’éclipse de 1559 - dont les
effets peuvent jouer au moins sur deux ans tout comme l’éclipse
d’avril 1567 dont les effets s’étendent, nous dit-on, jusqu’à la fin
de 1569 voire jusqu’en 1570. 1567-1570 font pendant à 1605-1608. Cette
éclipse de 1605 est célébre car elle apparaitrait dans le Roi Lear de
Shakespeare.
Le Discours du 22 avril 1566 se termine ainsi « de mense Aprili 1566.
pro anno 1567. 1568. & 1569. cum anno 1570. » .
Chavigny, au IIIe Livre du Discours parénétique (1606) fournit à
propos de Nostradamus le texte suivant se référant au Discours de 1561
:
« De cette piteuse éclipse (dit-il) la calamité sera si grieve, si
terrible & de grande plainte que les Roys, princes & monarques de la
terre devraient adbviser que cecy touche la religion chrestienne & que
par Infidelles de la Loy est menacé quelque cas tel qu’advient es
années 1606. 1607. & 1608 « . Sont quarant cinq ans (soit 1561), ô
monarques souverains, que cela est escrit non en vain. » Visiblement,
Chavigny remplace les années de l’éclipse de 1567- dont il ne dit mot
- par celles de l’éclipse de 1605.
Contrairement à une certaine approche du corpus nostradamique,
Nostradamus ne travaillait pas uniquement sur une base annuelle. A
partir des années 1560, il s’engage dans des perspectives à plus long
terme, comme cela ressort notamment de la Préface accompagnant
l’Epitre à Pie IV de 1561 dont M. Chomarat possède la réimpression de
1906, désormais à la Bibliothèque de Lyon La Part Dieu...
Notons qu’il existe une épitre à Henri IV, en tête des sixains, au
sein des éditions du XVIIe siècle, qui est datée du 19 mars 1605,
l’année de l’éclipse. Une édition d’origine troyenne porte cette date
en chiffres romains MDCV. Il serait bon d’étudier s’il y eut alors des
commentaires non pas sur les quatrains mais sur les prévisions
relatives à ce que l’on pouvait attendre pour les années 1605-1607. Le
document le plus remarquable semble bien être le Discours parénétique
sur les choses turques où est proposé s’il est expédient de prendre
les armes par communes forces & les porter iusqu’en Grece & Thrace
contre ce iuré & pernicieux ennemi du nom Chrestien qui par toutes
voyes cerche d’envahir la Chrestienté. Et où par occasion sont inserez
quelques Présages sur l’horrible eclipse de Soleil qu’on a veu
dernierement au mois d’Octobre 1605 (…) Le premier livre & second
traduit du Latin de B(arth). Georg(iewis). Hongrois, Lyon, Pierre
Rigaud. Or, ce texte figure en annexe de la réédition des Pléiades de
1606.[4]
Le nostradamologue R. Benazra commente en 1990 à ce propos : «
présages insérés sur une (sic) eclipse de soleil vue au mois d’octobre
1605 » comme s’il s’agissait d’une comète. Or, cette éclipse avait été
annoncée quarante ans plus tôt et était au cœur des spéculations
nostradamiques. Elle est, on l’aura compris, au centre même de
l’Epître « amplifiée » de 1558 à Henri II. Tout se passe comme si les
nostradamologues s’étaient épuisés à interpréter les quatrains, à en
colliger les variantes, alors qu’il eut mieux valu exploiter le corpus
en prose, ce qui est encore la meilleure façon d’appréhender les
quatrains. Il faut considérer les Pléiades de Chavigny (P. Rigaud,
1603) comme le mariage adéquat entre la prose de Nostradamus et ses
quatrains alors que l’on tend beaucoup Janus François qui ne se référe
qu’aux trop à ne retenir que la Première Face du Janus François qui ne
se référe qu’aux quatrains. Dans cet ouvrage, dédié à Henri IV,
réédité en 1606, on l’a vu, Chavigny désigne l’ensemble du corpus
relatif à Nostradamus comme « nostradamique »..
JHB
22. 10. 12
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[1] Cf M. Chomarat, De quelques dates exprimées par Michel Nostradamus
dans ses «Prophéties », in Prophétes et prophéties au XVIe siècle,
Presses de l’Ecole Normale Supérieure 1998
[2] Cf G. Polizzi « Le thème millénariste dans les prophéties de
Nostradamus », in Formes du millénarisme en Europe à l’aube des temps
modernes, Pres. J R Fanlo et A. Tournon, Ed Champion, 2001
[3] Cf Bebazra =, RCN, pp. 74 77.
[4] Cf Benazra, RCN, pp ; 165-166 |
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142 - Jean Aimé de Chavigny, l’intriguant.
Par Jacques Halbronn
Chavigny est souvent associé avec la Première Face du Janus François
qui est un ouvrage axé sur les quatrains et qui a vocation historique,
c’est à dire rétrospective, d’où son titre, la Seconde Face- qui ne
paraitra pas - était censée couvrir la période post 1589 jusqu’à 1607
(année qui est dans l’orbite de l’éclipse de 1605). Cet ensemble, dont
il conviendra de se demander à partir de quoi il se constitua ne nous
est d’ailleurs probablement connu que par des rééditions à la fois
censurées – on nous avertit de la rétractation de Chavigny- et
augmentées puisqu’au titre, on nous signale « à la fin est adiousté un
discours de l’advenement à la Couronne de France du Roy Tres Chrestien
à présent regnant ». Or, une page de titre n’est pas une table des
matières : en règle générale quand est indiqué « adiousté », cela
signifie par rapport à une précédente édition, ce qui se comprend
quand on sait que cette addition est consacrée à Henri IV tout comme
d’ailleurs l’épitre d’introduction.
Il convient de revenir une fois de plus sur les deux éditions jumelles
du Janus car cela nous renseigne sur les procédés de Chavigny : nous
nous trouvons en face de deux éditions « jumelles », l’une ayant une
page de titre en latin, l’autre en français. Il semble que l’auteur ou
l’éditeur aient voulu faire croire à une refonte complète de l’ouvrage
qui avait l’objet de remontrances suivies d’une rétractation comme
s’en explique Chavigny en tête de l’édition française. En réalité, à
quelque addition près en tête de l’ouvrage, on a strictement le même
ouvrage sous une page de titre différente (même pagination, même mise
en page). Pour donner le change, Chavigny donne une Epitre à Henri IV
en latin pour l’édition « latine » et en français pour l’édition
française. Dans l’édition française (au titre) il place à la suite de
la dite épitre un texte en son propre honneur mais non signé et
seulement en latin – « Ad Ioan. Amatum Chavigneum, operis huius
collectorem atque interpretem eximium »- à la fois celui qui a
recueilli les œuvres et les a interprétées - puis dans ‘Au lecteur
bienveillant » il s’explique sur sa rétractation, précédant les
certificats requis de la part des autorités, relatifs à une parution
de « la Première Face du Ianus François ».(en date du 21 juillet
1594). L’édition latine (au titre) semble antérieure à l’édition
française (au titre) puisqu’elle ne se réfère pas à une quelconque
rétractation mais il pourrait s’agir au contraire d’une volonté, lors
d’une réédition, de ne pas rappeler cette fâcheuse histoire. Nous
pensons qu’il dut y avoir une édition antérieure (au titre français)
perdue et que les éditions qui nous sont parvenues sont plus tardives,
la pratique de conserver la date de la première édition étant bien
connue, notamment en ce qui concerne le cas de la contrefaçon Anvers
St Jaure 1590 qui mentionne 1555 en dépit de ses 7 centuries. C’est
d’ailleurs à 1555 que Chavigny se réfère quand il dit dans son Epitre
introductive au Roi, que ces prophéties sont « escrites & présagées
dez XL ans par nostre Vaticinateur ». Si l’on soustrait 40 de 1594, on
arrive à 1554, en pratique 1555.
Il y a certainement eu chez Chavigny un revirement lié à l’évolution
des rapports de force. On notera un autre revirement, à savoir que
Chavigny semble d’abord s’être intéressé aux quatrains des almanachs
et fort peu à ceux des centuries. Il aura beaucoup fait pour élaborer
une exégése largement fondées sur les impressions de Nostradamus et
non sur ses manuscrits. Paradoxalement, le manuscrit du Recueil des
Présages Prosaïques (Grenoble, 1589) s’articule sur les imprimés et
notamment sur la prose qui y est très fortement majoritaire, d’où son
nom. Il est possible qu’il ait contribué à ce que les éditions
centuriques ne soient pas totalement dénuées de prose, avec notamment
l’épitre à Henri II. Chavigny, dans les Pléiades (…) prises & tirées
des anciennes Prophéties conférées avec les Oracles (de M. Michel de
Nostradame, semble plus à son aise, en tout cas, pour étayer son
propos en recourant à la prose qu’à la poésie et généralement tend à
associer les deux. Faut-il parler d’un revirement méthodologique de la
part de Chavigny lequel n’aura pas été suivi, par exemple par un
Giffré de Réchac qui préfère s’en tenir aux seuls quatrains
centuriques.(Eclaircissement, 1656) ?. Le succès du « Janus Gallicus »
aura éclipsé celui des 7 Pléiades et de leur avenant, le Discours
parénétique sur les choses turques (…) et où par occasion sont inserez
quelques presages sur l’horrible eclipse de Soleil qu’on a veu
dernierement au mois d’octobre 1605 que Chavigny décrit dans son
épitre à Pierre de Fléhard, comme ‘membre & appentis » de ses Pléiades.
Le dit Discours aurait d’ailleurs été adjoint aux Pléiades[1], la même
année 1606 mais nous n’avons trouvé (y compris pour une édition datée
de 1607, conservée à l’Arsenal) que la page de titre.
Les premiers livres des Pléiades – notons que Dorat fera partie de la
Pléiade- ceux qui traitent de Nostradamus ont été composés dès 1589 (cf
Manuscrit Bib. Méjanes) sous le titre de Vaticination, terme que l’on
retrouve au début du Livre II (p. 34) . On peut lire au livre II (p.
90) : « L’année passée furent les Barricades »(en marge Barricades de
l’an 1588). S’adressant à Henri IV (Livre II, p ; 44), il écrit »c’est
nostre Prognostiqueur qui l’a dit, plus de trente ans de vostre
Majesté, par ce beau présage », ce qui renvoie à 1558, date de
l’Epitre à Henri II. Notons que Chavigny, dans l’édition complète des
Pléiades, à partir de la quatrième Pléiade a pris de la distance par
rapport aux « quatrains nostradamiques », comme il les appelle. Il
fait appel à une littérature astrologique beaucoup plus vaste dont
Nostradamus n’est plus dès lors qu’un élément, qu’il convient de «
conférer » avec d’autres.(Livre V, p.127).
Ce que dit Chavigny en tête de la Première Face du Janus Francois
quant à la nécessité de ne pas limiter les almanachs à l’année à
laquelle ils sont en principe consacrés vaut au moins autant pour les
quatrains que pour les « présages » prosaïques. Il est d’ailleurs
étrange que l’on ait présenté au XVIIe siècle les quatrains issus des
almanachs sous le nom de « présages », le terme qualifiant, tout comme
celui de « prédictions » les commentaires en prose..
, Chavigny, dans les Pléiades (cf Livre II, p. 44 Au pronostic de
1562), se réfère au dit almanach et cela inclut la « préface » faisant
suite à l’épitre au pape Pie IV laquelle est absente de l’imprimé
conservé bien qu’annoncée dans la dite épitre..
Chavigny est parfaitement au courant de l’importance de l’almanach
pour 1562, simplement il entend en changer les dates. En 1606, dans le
Discours Parénétique, il rappellera ce texte écrit, dit-il, 45 ans
plus tôt, donc en 1561. « Sont 45 ans ô Monarques souverains que cela
est escrit & non en vain »
Mais le problème, c’est que Chavigny n’est pas très scrupuleux et
n’hésite pas à changer les dates. On dira que c’est de bonne guerre au
regard de la littérature prophétique.[2][3]. il évacue les prédictions
de 1561 concernant l’éclipse de 1567 ou plutôt il les réattribue à
l’éclipse de 1605, près de quarante ans plus tard. .Dans son étude des
éclipses (Discours parénétique, Livre III), Chavigny s’attarde sur
celle de 1544 qu’il relie à l’empereur Charles Quint et ne dit mot de
celle de 1567, peut-être parce qu’il pense que cela n’était pas
concluant ou plutôt parce que Nostradamus lui avait accordé une
signification disproportionné avec forte dimension antéchristique.
Cette éclipse de 1567 sent décidément le soufre.
Mais un tel comportement nous interpelle et nous invite à considérer
deux textes datés de 1558 et qui ne mentionnent ni l’un ni l’autre la
dite éclipse de 1567 mais s’intéressent bel et bien aux années
associés à l’éclipse de 1605 : 1606 et 1607. Rappelons que la
connaissance des éclipses à venir était facilitée par la parution
d’ouvrages couvrant plusieurs décennies comme l’Eclipsium de Leovitius,
paru dans les années 1550 et allant jusqu’à 1606. Selon nous ces deux
« épitres » sont antidatées et toutes les deux d’ailleurs consacrées
aux éclipses, à commencer par celle intitulée Significations de
l’éclipse de septembre 1559. Toutes deux mentionnent des degrés de
latitude, ce qui ne fait sens qu’au regard des éclipses. Il semble
qu’il y ait eu pour le moins une consigne de réajustement,
probablement à l’avénement d’Henri IV qui était bel et bien au cœur
des attentes liées à ces années 1605-1607, lui qui serait assassiné en
1610. L’épitre à Henri IV de 1605, en tête d’un troisième volet des
Centuries pourrait en témoigner si ce n’est qu’elle ne se réfère pas à
quelque éclipse. Mais qu’en est-il des 58 sixains qui l’accompagnent ?
Nombreux sont ceux qui mentionnent les années 1605 à 1607.
Chavigny, dans le Janus Gallicus (1594), fixe la date de 1607 comme
terminus (« Que la Providence de Dieu est très grande » p.13) : « La
Seconde Face doit aller de cette année (1589) jusqu’en 1607 » . 1605,
1606, 1607, cela reléve de la même démarche liée à l’éclipse d’octobre
1605 et à ses séquelles.
Le XVIIe siècle ne boudera, d’ailleurs pas, les éclipses ni d’ailleurs
l’Antéchrist[4]. Les années 1650 seront secouées par ce phénoméne,
bien étudié par Elisabeth Labrousse (Entrée de Saturne au Lion,
Nijhoff, 1974). Jacques Mengau, en 1652, publie (BNF 8° Lb37 3036)
dans un recueil de pièces, faussement intitulé Les Vrayes Centuries de
Me Michel Nostradamus expliquées sur les affaires de ce temps(Paris,
I. Boucher), un « Avertissement à Messieurs les prevost-(sic) des
Marchands et eschevins de Paris contenant l’explication de l’Eclipse
qui se doit faire le huictiesme iour d’Avril de la presente Année &
autres choses (..) prédites par Michel Nostradamus. Cinquiesme Partie.
» déjà paru séparément. On retrouve le ton de Nostradamus (pp. 78 et
seq). C’est l’occasion pour Mengau de réunir et de recycler divers
passages de Nostradamus relatifs aux éclipses. Mais on retiendra
surtout ce qui semble venir, sans qu’il le précise, de l’almanach pour
1562 à propos de l’éclipse de 1567 mais que Mengau reprend pour 1652:
« Quant à ce Monstre qui doit paroistre à mesme temps que cette
Eclipse se fera , je ne voudrois pas asseurer que ce ne fut celuy
duquel nous avons parlé dans nos precedens avertissements, qu’il doit
naistre proche de la ville d’Argone « . Mengau conserve l’idée d’une
durée de l’effet de trois ans d’une éclipse qui est chez Nostradamus «
Quant à moy, déclare Mengau, je crois qu’auparavant que les trois
années se passent etc »
Or cette décennie qui voit les mazarinades accueillir Nostradamus-
correspond à un nouveau souffle de la production centurique mais l’on
ne ressortit pas les textes en prose de Nostradamus, quitte à les
retoucher. Même l’Epitre à Henri II, pourtant en bonne place dans les
éditions centuriques, ne fut pas, à notre connaissance, exploitée au
regard de son traitement des éclipses.
Mais que penser de ce qu’affirme Chavigny quand il fait dire à
Nostradamus qu’il y a une échéance en 1585 dans l’almanach pour 1558
?On pourrait naïvement confirmer avec le Recueil des Présages
Prosaïques. Toutefois, au vu de la Pronostication pour 1558, [5]il
n’est pas question de 1585 mais de 1562[6] : Ce qui signifierait que
Chavigny aurait retouché le manuscrit d’origine de l’almanach.
Toujours ces besoin d’actualisation, de sauter 20 ou 40 ans, au rythme
des conjonctions Jupiter-Saturne. Mais Chavigny se garde bien de
rappeler à quel point les astrologues avaient ameuté les populations à
propos des années 1580. Il faut lire à ce propos les protestations
d’un Francesco Liberati, dès 1575, dans son Discours contre Cyprien
Leovitie contre ces prédictions qui associent les grandes conjonctions
et les éclipses – il y en pas moins de quatre qui se profilent pour
cette décennie 80- à l’instar de ce qu’ a fait Nostradamus pour les
années 1560. Mais le spectacle doit continuer et l’on saute à une
autre échéance, de vingt ans en vingt ans.
Rappelons que dans l’épitre à Henri II, on est vraisemblablement passé
des années soixante aux années quatre vingt puis aux années 1600, ce
qui est le titre des Prophéties de Maistre Noel Léon Morgard (..)
présentées au Roy Henry Le grand pour ses estrennes en l’an 1600,
lesquelles comportent les sixains.. Vu que la rédaction des
Vaticinations qui déboucheront sur les Pléiades est de 1589, quand
Chavigny fait apparaitre 1585 dans son almanach pour 1558 et dans son
épitre de 1558 au Roi, ce n’’est pas pour annoncer quelque chose à
venir mais bien pour auréoler (après coup) Nostradamus d’un succès
prévisionnel : « je me persuade ici sont touchées nos dernières
guerres civiles, les plus furieuses de toutes, lesquelles ont commencé
l’an 1585 »
Au Livre III (p. 57), Chavigny se concentre en effet,
rétrospectivement, sur les années 1580. : Pléiade tierce (…) contenant
une prédiction d’un auteur incertain sur l’an de grace 1580 & quelques
suivants » Il y cite le quatrain VI, 2 «En l’an cinq cens octante,
plus & moins/ On attendra le siecle bien estrange «
Etrangement, à ce propos, M.Chomarat écrit : « Nous ne suivrons pas
Pierre Brind’amour (…) « où il écrit pour le premier vers du quatrain
2 de la centurie VI « En l’an Cinq cents octante plus ou moins » qu’il
faut bien lire « 1580 « car on omettait fréquemment le millésime dans
la désignation des années » Cette affirmation, ajoute Chomarat, est
plus que contestable (..) et veut faire la part trop belle à un
Nostradamus plus astrologue que prophète »[7]. C’est bel et bien
l’astrologie qui détermine de telles échéances, lesquelles sont
associées avec les Ecritures. Mais on remarquera que Chavigny
n’emploie pas le mot « Antéchrist » et dans les Pléiades s’en tient à
«Pronostiqueur » pour désigner Nostradamus : il avait du se rétracter
pour l’usage du mot prophéte à propos de la Première Face du Janus
François. Chavigny parvient à parler de l’Aquilon (Livre I, pp. 10-13)
de l’Epitre à Henri II en évitant soigneusement d’utiliser ce mot qui
y est récurrent. Ce qu’il a annoncé pour les années 1580 à Henri IV,
il le reconduit vingt ans plus tard.
On sait qu’il y a un débat sur la question de savoir si Jean Aimé de
Chavigny est la même personne que Jean de Chevigny. Or, quand Jean
Aimé de Chavigny, qui se veut le « collector » du Janus Gallicus- mais
l’est-il vraiment ou du moins ne succède-t-il pas dans ce rôle à Jean
de Chevigny ?- aborde ce quatrain II 45, il tient des propos assez
surprenants :
. Il signale (JG n°137 pp. 192-193) ainsi une traduction française de
la paraphrase composée par Dorat sans se l’attribuer, ni à lui, ni à
Chevigny[8] ce qui laisse penser que Chavigny n’est pas Chevigny,
l’auteur de la dite traduction. En fait, sur la page de titre, le nom
du traducteur ne figure pas et celui de J. de Chevigny n’est donné
qu’à la fin de l’épitre à Larcher mais apparemment Chavigny ne s’en
est pas aperçu. Chavigny aura bel et bien pris connaissance de la
publication de 1570.[9]
Dans le Janus Gallicus ( p. 192, n° 237, juillet 1570) : Chavigny
écrit- cela ne peut être que lui en la circonstance : « ce quatrain
(II, 45) est diligemment expliqué par I. Dorat au premier livre de ses
Poèmes, disant par un qui le fait parler françoys », citant ainsi un
extrait de la traduction française de Jean de Chevigny ! On pourrait
penser que Chavigny[10] ne connait ce texte que dans l’impression de
1586 des Poematia, et non dans l’édition de 1570 (Lyon, Michel Jove,
Bib. Arsenal) comportant une épitre du dit Chevigny à Larcher, du 19
août, auquel il avait déjà dédié, en la même année, son Hymne de
l’Astrée (Benoist Rigaud)...[11] [12].[13].[14]. Or, dans les Poematia
(Livre I, pp. 27 et seq), il y a bien un texte intitulé « De Androgyno
infante » suivi de « Androgyni interpretatio. Ad Regem » mais aucune
trace de traduction française. Ainsi Chavigny a-t-il bien connaissance
de l’épitre de Jean de Chevigny et de sa traduction française mais
n’entend ni mentionner son nom ni se faire passer pour lui. Ce n’est
pas à ce titre que l’on pourra le traiter d’imposteur. En revanche, il
est de fait, comme le propose Barbier, que le dit Chavigny aura pris
possession, à un certain stade des documents dont Chevigny se flatte
de disposer dans son épitre de 1570. Le fait que ce soit la même
écriture qui se trouve dans les manuscrits du Recueil et de la
Correspondance ne signifie pas ipso facto que Chevigny et Chavigny,
comme le soutient P. Guinard, ne font qu’un car un manuscrit, cela se
recopie.
On peut même penser que le Brief Discours sur la vie de Nostradamus
est repris de Chevigny, du fait de certaines similitudes du propos
avec l’épitre de 1570 concernant les pièces conservées et en quelque
sorte placées sous sa garde.. Chavigny déclare (p. 7) que certains
textes« ont longtemps tenu prison, enfin nous leur ouvrons la porte
(..) Les Centuries s’étendent en beaucoup plus longs siecles, dont
nous avons parlé plus amplement en un autre discours sur la vie de ce
mesme Auteur, qui bien tost verra lumière, où nous remettons le
Lecteur » Qui a écrit ce passage ? Chavigny ou Chevigny ?
Chevigny, quant à lui, dans l’Epitre à Larcher, se présente comme
ayant par devers lui « les œuvres tant en oraison prose que tournée
que bien tost ie mettray en lumière » Il semble qu’il ait été chargé
de cette tâche, à la mort de Nostradamus[15], qu’il convient de
replacer dans le cadre du testament de Nostradamus (Nostradame) qui
indique que Nostradamus renonce pour l’heure à désigner l’un de ses
fils pour s’occuper de ses documents rassemblés dans une pièce de sa
demeure. Il semble que la version du Brief Discours qui figure dans le
Janus Gallicus soit retouchée : le nom de la veuve de Nostradamus a
disparu et il n’y est aucunement question d’un Michel comme étant l’un
des fils alors que d’autres versions qui circuleront au XVIIe siècle
le mentionnent. En revanche, il salue César dans son Brief Discours.
On retrouve peu ou prou la même formule à la fin du « Brief Discours
de la Vie » de Nostradamus, placé en tête de la Première Face du Janus
François.. Si ce texte est authentique, cela signifierait que dès
1570, on aurait classé des quatrains en centuries mais cela contredit
ipso facto toute édition imprimée à cette date...Autrement quel «
contentement » y aurait-il eu pour son dédicataire à se voir délivrer
un quatrain que chacun peut lire ? Une telle parution ne peut donc
qu’être postérieure à cette lettre du mois d’août 1570. On sait qu’il
faudra attendre la décennie suivante pour que des « mises en lumière
aient lieu ». Il semble qu’alors plusieurs moutures soient parues,
dont certaines n’étaient même pas rangées en centuries, comme c’est le
cas pour l’édition Rouen Du Petit Val 1588 et d’autres devaient l’être,
comme en témoigne Chevigny[16].
On aura compris que ce Chavigny est tout à fait capable de
manipulations et de retouches en tous genres, pour « la bonne cause ».
Il se rallie sur le tard à Henri IV mais retouche son travail de façon
à ce que son amour pour les Bourbons ait été de longue date. Il
trafique le Recueil des Présages Prosaïques qui date de 1589, année de
l’assassinat d’Henri III, qui fait d’Henri IV son successeur attitré,
au vu du titre du manuscrit. Il laisse entendre, si l’on lui prête
quelque rôle dans la dernière mouture de l’Epitre à Henri II, que
Nostradamus ne s’intéresse pas plus que cela à l’éclipse de 1567 et a
en tête avant toute chose 1585/86 et 1605/06.. Il est possible qu’il
ait insisté pour que les quatrains cohabitent, dans le corpus
centurique, avec des textes en prose à telle enseigne d’ailleurs que
les uns sont quasiment incompréhensibles sans les autres et vice
versa. Bien qu’il mentionne le mémoire de 1561, il se garde bien de le
reproduire, ce qui lui permet d’y placer des dates qui ne s’y trouvent
pas. Il nous semble que 1605-1606 ait été le temps des dernières
cartouches de Chavigny et d’ailleurs, nous pensons que le second volet
avec l’épitre à Henri II , avec des quatrains retouchés pour annoncer
la victoire des Bourbons sur les Guises, parut peu de temps avant, au
début du XVIIe siècle.. Il faudra attendre ensuite la mort de Louis
XIII pour qu’une nouvelle ère de nostradamistes se mette en place qui
ne pourront plus modifier le texte mais sauront l’interpréter avec un
certain brio. Chavigny est l’homme de la continuité et il est prêt à
corriger le passé pour l’actualiser. Et on ne peut donc exclure qu’il
se soit substitué à un certain stade à un Jean de Chevigny[17] pour
perpétuer une certaine dynamique. En effet, est-ce que le disciple de
Nostradamus aurait accepté de se prêter à des changements de date dans
certains almanachs (par exemple celui pour l’an 1558), ce qui revient
à déconnecter les dates des données astronomiques, aurait cautionné
une édition 1555 des centuries ? Nous avons montré par ailleurs que le
discours nostradamique était indissociable de considérations
astronomiques et bien évidemment les quatrains recourant aux planétes
en clair ou de façon cryptée comme pour la Faux représentant Saturne –
ce qui conduira d’ailleurs le traducteur anglais à traduite par «
false » !- ne sont pas d’ordre mythologique, comme certains
nostradamologues tentent de le faire croire mais correspondent à des
éléments astronomiques bien précis, à savoir des conjonctions se
produisant dans le ciel. Il n’est évidemment pas question, pour autant,
de suivre P. Guinard, quand il prétend que Nostradamus connaissait la
planète Neptune (découverte en 1846)/ sous prétexte qu’il utilise ce
nom à diverses reprises. Le seul fait que Chavigny, dans le Janus
propose d’utiliser les quatrains des almanachs pour d’autres années
que celles auxquelles ils correspondent est en soi un sacrilège au
regard de l’Astrologie. Tout se passe comme ce qui comptait pour
Chavigny était le texte – ce qui a été « écrit, « dit » - et non
l’assise astronomique du dit texte qui devient un épiphénomène.
Chavigny (Pléiades III, p. 77) cite le quatrain V 14 « Saturne & Mars
en Leo, Espaigne captive » sans chercher aucunement à quoi peut
correspondre astronomiquement cette conjonction. Idem (p. 58) pour le
quatrain VI 24 : Mars & le sceptre se trouveront conjoints
Dessous Cancer calamiteuse guerre’, dont il ne retient apparemment que
la mention du dieu Mars alors qu’il s’agit d’une conjonction
caractérisée dans un signe bien précis. C’est surtout le nom du pays,
une date qui l’intéresse. Tout se passe comme si dans un quatrain,
tout l’intéressait hormis le contexte astronomique. Chavigny est
décidément un profane en astrologie.
On comprend qu’initialement, Chavigny ait voulu présenter Nostradamus
comme un prophète, avant de se rétracter pour utiliser le terme »
pronostiqueur » sans en tirer les conséquences. En fait, à un seul
moment, Chavigny s’en remet au raisonnement astrologique, stricto
sensu : c’est dans son épitre à Henri IV (pp. 29-30) mais il n’est pas
alors question de Nostradamus- rappelons que les Pléiades ne sont pas
vouées au seul Nostradamus, comme il est dit clairement au titre -
mais de Leovitius comme si Nostradamus n’avait pas utilisé ce dernier
: « au traité que (Leovitius) a fait des grandes conjonctions &
rencontres des hautes planétes (sans autre précision sur le nom des
dites planétes !), comètes & eclipses advenues en la IIII. Monarchie
».
Et cependant, si on lit le Livre III du Discours parénétique (1606),
le propos astrologique de Chavigny est patent. Certes, il saute
délibérément l’éclipse de 1567 mais c’est pour accorder la plus grande
importance à l’éclipse d’octobre 1605, outre le fait qu’il livre un
traité sur la comète d’octobre 1604. Il utilise le discours de
Nostradamus sur l’éclipse de 1567 comme s’il concernait celle de 1605,
ignorant que, pour Nostradamus, une éclipse est définie par la carte
du ciel du moment où elle se manifeste, ce qui ne permet pas de
reprendre le texte pour une autre occasion, la carte du ciel variant
d’une éclipse à l’autre. (Livre III, p. 77)
Chavigny traite de la conjonction Jupiter-Saturne de 1603 en
sagittaire mais il interprète étrangement (p. 81) le quatrain qui s’y
réfère, dans la première centurie (Saturne et Jupiter en Sagittaire,
signe de feu) « Faux à l’estang » comme concernant les années
1609-1610 : « c'est-à-dire Saturne au signe du verseau [signe d’air]
qui sera 1609. 1610 & ioint à Iupiter vers le Sagittaire qui sont ces
années icy & les prochaines lors qu’il sera dans son Capricorne fort &
puissant & le reste ».
Or, on trouve ce même quatrain interprété autrement dans le Janus
Gallicus (n° 298, p. 238), renvoyant à des dates appartenant au XVIe
siècle.
« Lors que Saturne (qu’il entend par la Faux) se trouvera au signe de
son exaltation, la Balance, qu’est es années de 1569 & 1570 & en son
auge, le Sagittaire qu’a esté 1574 & 1575 & au signe du Verseau (qu’il
appelle Estang qu’est ceste année 1580 & quelques suivants, on sentira
davantage les iustes chastimens & fleaux de l’ire de DIEU, par la
fureur & violence des guerres, cruautez des maladies pestiferes & par
la famine ». Chavigny suit correctement Saturne à la trace dans un
Ephemeridum comme celui de Leovitius, ce qui n’exige pas, en vérité,
un grand savoir astrologique d’autant que tout lecteur d’almanach, à
l’époque, est familier avec les 12 glyphes zodiacaux qui ponctuent la
course de la Lune. La planéte passe en effet du signe de la balance,
où elle est exaltée d’après la tradition astrologique, parvient au
Sagittaire et enfin au Verseau comme il y reviendra trente ans plus
tard (cf supra).Mais cette astrologie zodiacale n’est pas celle de
Nostradamus. Chavigny ne retient ici que la progression de Saturne à
travers les signes alors que Nostradamus se réfère ici à la grande
conjonction de Jupiter et de Saturne dans le signe du Sagittaire et ce
qui compte ici c’est le fait que ce signe soit un signe de la
triplicité de feu. Chavigny part donc sur une fausse piste. On reste
sceptique, dès lors, à la lecture son « traité du nouveau Commete
(sic) qui est apparu le XVII. d’Octobre l’an MDC& IIII contenant une
apologie contre ceux qui disent que les Cometes ne font rien ni ont
signification aucune. », qui se trouve en annexe du Discours
Parénétique. Chavigny en fournit la carte du ciel horoscopique «
figure céleste érigée sur la naissance de ce (sic) Comete ». Pour
notre part, nous avons une certaine réticence à attribuer ce traité à
Chavigny, tant son auteur fait preuve d’une certaine expertise (pp.
100 et seq) dans l’interprétation du thème de la dite comète.[18]
On n’oublie pas Nostradamus dont le nom n’apparait que sous la formule
de « grand Prognostiqueur », ce quatrain (V, 19) à l’appui : « Le
Grand Royal d’or d’airin augmenté/ Pache rompu par Ieune ouverte
guerre/ Peuple affligé par un chef lamenté/ De sang Barbare sera
couverte terre » (p. 106).
Selon nous, Chavigny a récupéré pour « son » Traité du Comète, un
texte d’un astrologue patenté. Même le Livre III nous semble au dessus
des compétences de Chavigny. Tout au plus, y aura-t-il ajouté un
commentaire sur le fameux quatrain de la première centurie « Faux à
l’estang » qu’il interprète étrangement comme signifiant « Saturne au
signe du Verseau que sera 1609. 1610 », tout en indiquant qu’il sera
joint à Jupiter dans le Sagittaire. « qui sont ces années icy & les
prochaines lors qu’il sera dans son Capricorne fort & puissant & le
reste ». Un geai se parant des plumes du paon. Voilà donc soudain
Chavigny interprétant astronomiquement un quatrain comportant le mot «
faux » pour signifier Saturne alors que dans le Commentaire du Janus,
il s’en gardait bien (cf supra). Ces annexes aux Pléiades, qui
d’ailleurs n’y figureront pas apportent une dimension astrologique non
point tant d’ailleurs à Nostradamus qu’à Chavigny qui se les approprie.
La fortune de ce quatrain I,16 se perpétue au siècle suivant non sans
quelque retouche, chez Jean Belot, qui se l’approprie dans ses
Centuries Prophétiques, (1622), à la page 28 (centurie III /XXXIX=
«La faux est à l’Estang devers le Sagittaire
En l’auge le plus hault par exultation
Du siecle devoué qui faute d’union
On verra moissonner une main militaire »
Commentaire du curé de Milmonts :
«Notre autheur entend par la faux, la mort à raison que l’on depeinct
le temps & la mort tenant une faux en main ». Belot n’appréhende pas
la dimension astrologique du quatrain, où il est vrai les termes
astrologiques sont en quelque sorte banalisés.
Quand il est question d’astrologie, dans ses Pléiades, il s’agit d’un
large extrait de tel astrologue. C’est ainsi qu’au Livre VI, on
retrouve un développement repris de Francesco Liberati (pp. 278 et seq).
Chavigny le reconnait : « Reste encores beaucoup à dire sur des choses
Turquesques (…) Ains me contenteray d’apporter l’opinion de François
Liberati, excellent Mathematicien qu’autrefois j’ay congnu dans Paris
sus la duration des empires Romain & Turc, retirée d’un discours qu’il
fit en l’an 1582 sur la grande conjonction de Saturne & Iupiter qui
devait apparoistre l’an suivant & dit ainsi. ». On notera que lorsque
Chavigny traite de l’an 1585, il ne fait aucune référence à la
conjonction de 1583. (cf supra). L’astrologie, selon nous,lui est
étrangère et il ne peut guère s’aventurer dans ce domaine quand il
aborde Nostradamus, que par des biais.
Son traité du Comète revient in fine sur la configuration générale (p.
189) avec la combinaison conjonction-éclipse qui nous semble être au
cœur de la technique prédictive dont Nostradamus fut un des artisans
dès le début des années 1560 et dont Liberati (cf infra) montrera
qu’elle ne peut ignorer, par ailleurs, la durée du monde qui a été
fixée de longue date à 6000 ans..
« Certainement la conjonction des deux planetes superieurs qui s’est
faite n’a pas longtemps au Sagittaire, triplicité ignée, (…) Et trois
grandes eclipses de Lune & une horrible du Soleil faites en Aries &
Libra, triplicité en partie ignée, partie aërée ; demonstrent que le
ciel se prépare à un estrange changement de toutes choses, en tous
estats : non sans un pareil chastiment de Dieu envers les peuples
impies, qui ayans de sa part tant d’advertissemens & de signes
célestes, tant s’en faut qu’ils veulent corriger leur méchante &
lubrique vie par change d’icelle, deue repentance & satisfaction »
La piste Liberati est intéressante : l’on peut raisonnablement se
demander, en effet, si cela ne serait pas une des sources de la
troisième mouture de l’Epitre à Henri II. L’influence italienne n’est
pas négligeable dans le champ nostradamique : outre l’emprunt à
Savonarole dans la Préface à César amplifiée (par rapport à la version
Besson), nous avons vu que l’œuvre de Panfilo Riccio avait été reprise
par Nostradamus le Jeune dans son édition des Prédictions pour 20 ans,
également à partir d’une traduction française déjà parue.
Dans un texte paru en 1575, le Discours contre Cyprian Leovice (Bib.
Mazarine) l’on trouve notamment d’importants développements sur les
chronologies bibliques – et donc sur la durée du monde- qui pourraient
expliquer la présence de telles chronologies au sein de l’Epître datée
de 1558. Il s’agit pour l’astrologue italien de repousser sensiblement
les annonces des astrologues concernant la fin du monde, et
singulièrement celles qui affectent les années 1580 en montrant
qu’elles ne respectent pas le timing théologique, lui-même fondé sur
des critères astronomiques autres que les éclipses et grandes
conjonctions.
Liberati, en 1575, s’en prend d’ailleurs à Nostradamus (mort en 1566)
sans le citer : «aucuns nouveaux astrologues (..) en leurs Almanachs,
par metaphore quelques Rythmes & quatrins » (p. 3). Il ne s’agit pas
ici, on l’aura compris des quatrains centuriques – dont il semble tout
ignorer - mais bien des quatrains-présages. Liberati affirme que l’on
ne peut faire du bon travail astrologique à partir des rapports soleil
–lune, et en cela il vise les dits almanachs. Pour Liberati,
l’astrologie qui en est capable est celle qui travaille à partir des
grandes conjonctions, des éclipses et des étoiles fixes « violentes »
et, encore, à un niveau supérieur, il faut considérer encore un cycle
plus lent et surtout respecter la chronologie scripturaire, en évitant
de se mettre en porte à faux..
On observera, enfin, l’évolution des titres du Janus Gallicus. Dans
les éditions datées de 1594- et dont certaines sont probablement plus
tardives- il est dit au titre français « extraite et colligée des
centuries et autres commentaires de M. Michel de Nostredame (…) le
tout fait en françois & Latin pour le contentement de plusieurs par
Iean Aimes de Chavigny » et au titre latin « ex (…) tetrastichis quoe
Michael Nostradamus iam olim Gallice in lucem, edidit liber (…)
redditus atque explicatus per Io. Amatum Chavigneum »
Et l’on a une troisiéme version : Commentaires du Sr de Chavigny (…)
sur les Centuries et prognostications de feu M. Michel de Nostradamus
(Paris, 1596). Cette nouvelle édition a l’avantage, pour Chavigny, de
supprimer la source latine de son propre commentaire ainsi que le
texte latin des quatrains qui explique les majuscules du texte
français sans lesquelles le commentaire français ne ferait guère sens,
notamment à propos de Louis de Bourbon. Dès lors, en effet, Chavigny
peut-il s’approprier le mérite de l’ensemble, d’où le nouveau titre
qui dit bien ce qu’il veut dire.
Le titre français du Janus doit être bien compris. La mention « le
tout fait en Françoys & Latin » doit-il être assigné à Chavigny ou
bien est-il présenté comme ayant « extrait et colligé (les) Centuries
et autres commentaires de M. Michel de Nostredame », colligé renvoyant
à « collector » ? En fait, on a l’impression que les commentaires
seraient de Nostradamus lui-même. Or, c’est ainsi que ses textes en
prose sont présentés, - « extraits des commentaires » - en tête de
chaque « livre » dans le Recueil des Présages Prosaïques : Nostradamus
« commente » telle ou telle année. Dès lors, le titre du Janus laisse
entendre qu’il reprend le « Recueil des Présages Prosaïques », ce qui
n’est cependant nullement le cas ». Le titre ne correspond pas au
contenu. En 1589, Chavigny a prévu de publier séparément le dit
Recueil mais l’on a gardé au titre français de la Première Face du
Janus François la trace du projet initial. Dès lors s’instaure une
confusion dans l’esprit du lecteur qui note que les quatrains font
l’objet de commentaires.
Quant au titre latin, il marque un changement puisque Chavigny se
présente désormais comme celui qui explique (explicatus) les quatrains
(tetrastichis). Le titre latin est donc plus conforme au contenu que
le titre français. Un autre scénario pourrait-être : dans un premier
temps, le titre latin se limitant aux quatrains et parallèlement la
parution du Recueil puis on aurait envisagé de tout mettre en un seul
volume, d’où le titre français mais on n’y serait pas parvenu.
Rappelons que Chavigny ne va pas nécessairement au bout de ce qu’il
annonce, ainsi pour la Seconde Face du Janus François.
Et puis, troisième temps, en 1596, avec les Commentaires du Sr de
Chavigny ». Cette fois, Chavigny s’approprie les commentaires des
quatrains. Mais on joue sur le mot «commentaire » qui initialement
désignait les « présages prosaïques » et qui à présent concerne les
développements en prose qui accompagnent les quatrains.
Dès 1596, Chavigny revendique la paternité des commentaires des
quatrains alors qu’il a probablement récupéré des commentaires de Jean
Dorat, crédité, rappelons-le, d’une aptitude remarquable à interpréter
les quatrains nostradamiques auquel il reproche de ne pas avoir prédit
la fin d’Henri III. On a quand même quelque mal à concevoir que
Chavigny puisse être l’auteur si fortement hostile à la cause
protestante. Selon nous, il aura été décidé de publier cet ensemble
mais à condition d’en dénigrer l’auteur, c'est-à-dire Dorat.
JHB
04. 11. 12
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[1] Cf Benazra, RCN pp. 165-1666, l’édition séparée n’étant pas
signalée dans la Bibliographie Nostradamus de M. Chomarat, probableent
parce que le Diiscours ne comporte pas , en sa page de titre, le nom
de Nostradamus mais seulement les initiales de Chavigny, I. A. D. C.
B/
[2] Voir notre thèse d’Etat Le text prophétique en France, Ed du
Septentrion 1999
[3]
[4] Cf G. Scholem, Sabbatai Zevi, le messie mystique ( 1626-1676), Ed
Verdier, 2008
[5] que nous avons été le premier à localiser à la bibliothèque de La
Haye –ce que confirme P. Brind’amour dans son Nostradamus astrophile
(1993)
[6] Cf les deux textes in Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris,
Seuil, pp. 290 et fac simile p. 422
[7] In « quelqus dates clairement exprimées par Michel Nostradamus s
dans ses Propghéties », in Prophétes et prophéties au seizieme siècle,
Paris, 1998
[8] Sur l’Androgyn, G. Demerson Dorat et son temps. Culture classique
et présence du monde ADOSA 1983 pp. 233 et seq note sans renvoyer à
Chevigny et à l’Androgyn de 1570 : « Chavigny donne aussi une version
française qui n’est pas de lui » (p.. 237)
[9] D. Wilson , A. Moss “Portents, prophecy and poetry in Dorat’s
Androgyn poem of 1570, Neo Latin and the vernacular in Renaissance
France, 1984, pp. 165 et seq
[10] Voir la notice sur Chavigny in Gautheret Comboulot, Les auteurs
beaunois du XVIe au XIXe siècle, Beaune, 1893
[11] WILSON, Dudley et Ann MOSS, « Portents, Prophecy and Poetry in
Dorat' s Androgyn Poem of 1570 », in Neo-Latin and the Vernacular in
Renaissance France, 1984,
[12] Cf Benazra, RCN, pp. 95-96 Non signalé par M. Chomarat, dans sa
Bibliographie Nostradamus.
[13] Texte non signalé par M Chomarat dans sa Bibliographie
Nostradamus.
[14] Cf J. Halbronn Jean Dorat et la miliade de quatrains.
[15] Jean-Paul Barbier-Mueller, « Jean de Chevigny et Jean-Aymé de
Chavigny », dans Bibliothèque d’humanisme et Renaissance, LXIII-2,
Genève, Éditions Droz, 2001, pp. 297-304
[16] Voir étude sur Chevigny in B. Cheviganrd. Présages de Nostradamus.
Paris, Seuil, 1999.
[17] .
[18] Voir notre bibkiograhie sur les cométes au XVIe siècle, in
Colloque de Bayeux 1986. |
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143 - Le double écueil de la recherche nostradamologique : la forme
et le fond.
Par Jacques Halbronn
Ceux qui s’aventurent dans le champ nostradamologique s’exposent à
bien des déboires, et cela vaut aussi bien sur la forme- la question
de la date des éditions- que sur le fond- le problème du contenu du
prophétisme nostradamique. On peut parler de deux enjeux
chronologiques : celui des éditions et celui des prédictions.
Si, nous-mêmes, avons été très vigilant sur le premier volet et ne
nous sommes pas laissé berner par les contrefaçons en fait de datation,
nous n’avons abordé la question du fond que tardivement.
Il est vrai que bien des nostradamologues ont pris de la distance par
rapport au contenu des textes. C’est un biais académique très fréquent
dans le domaine des études ésotériques, qui conduit à ne pas chercher
sérieusement à comprendre ce qui est dit et de quelle façon cela peut
faire sens. Un autre travers concerne évidemment ceux qui utilisent
Nostradamus pour connaitre ce qui se passera dans les siècles futurs
mais ils lui font dire ce qu’ils veulent ou ce qu’ils craignent, à
partir notamment du millier de quatrains des centuries.
Nous avons récemment pris le parti de suivre de près la démarque de
Nostradamus en partant du principe que si le message n’était pas clair,
c’est qu’il avait été délibérément brouillé. L’astrologie est
évidemment au cœur de la chronologie « prophétique » de Nostradamus et
il serait vain de penser que les textes de Nostradamus auraient une
origine autre, si ce n’est scripturaire. A la décharge de certains
chercheurs, il est vrai qu’il existe des textes dont la partie
astrologique a été supprimée, peut être dans le but de se placer dans
une posture plus prophétique qu’astrologique. Autrement dit, quand on
ne sait pas pourquoi il est écrit ceci ou cela, c’est, par défaut, du
prophétisme. Si on nous explique les tenants et aboutissants célestes,
c’est de l’astrologie. Or, l’on sait à quel point bien des
nostradamologues tiennent à dédouaner Nostradamus d’un investissement
d’ordre astrologique, en dehors de ses laborieuses publications
annuelles d’ordre alimentaire.
Deux questions se posent donc à nous qui peuvent d’ailleurs être liées
et interdépendantes :
1 quand Nostradamus a-t-il publié ses textes et quand des textes
portant son nom sont parus dans les décennies qui suivirent sa mort ?
2 Quel était leur contenu ? A-t-il évolué dans ses méthodes ? Quel
rapport entre la prose et les quatrains ?
Sur le premier point, nous sommes formes : toutes les éditions
centuriques imprimées portant mention d’années du vivant de
Nostradamus sont des faux et cela vaut aussi pour celles censées
parues dans les années qui suivirent sa mort.
La question de la redatation des contrefaçons antidatées est complexe.
Cette production s’étale entre la fin du XVIe siècle et la fin du
XVIIIe siècle, soit sur deux siècles environ. C’est ainsi que les
éditions rigaldiennnes datées de 1566 (Pierre Rigaud) et 1568 (Benoist
Rigaud) appartiennent au cours du XVIIIe siècle. En revanche, les
éditions marquées Lyon 1568, sans mention de libraire sont de la
seconde moitié du XVIIe siècle tandis que les éditions indiquées comme
étant parues du vivant de Nostradamus seraient de la fin du XVIe
siècle.
On peut évidemment supposer que certaines impressions ne nous sont
point parvenues mais par ailleurs, la collecte des témoignages
relatifs aux centuries s’avère dérisoire : les publications de
Nostradamus parues à la même date que les contrefaçons centuriques ne
les signalent pas. C’est ainsi qu’on s’est aperçu récemment que les
Prophéties du Seigneur du Pavillon, datées de 1556, qui mentionnaient
le nom de César, le fils de Nostradamus étaient posthumes, comme c’est
indiqué noir sur blanc dans le volume. Cette pratique consistant à
publier des textes avec la mention de la date de leur rédaction semble
avoir été assez répandue. Il semble qu’à partir du XVIIe siècle, l’on
ait préfère opter pour la thèse posthume et d’ailleurs Chavigny dans
le Brief Discours de la vie de Nostradamus ne mentionne pas d’édition
pour les années 1550-1560 qui aurait été parallèle à celle des
almanachs et pronostications, dont les quatrains sont dument datés. Il
est possible que pendant un certain temps, on ait confondu les
centuries avec les dites publications annuelles. Quand les quatrains
des almanachs de Nostradamus furent redécouverts, dans les années
1590, les autres quatrains non datés apparurent ipso facto comme
posthumes. C’est alors que l’on commence à se référer à une édition
Benoist Rigaud 1568 mais sans en produire comme cela sera le cas à
Avignon au siècle suivant.
Mais passons à notre second volet, relatif au contenu. Le phénoméne
des éclipses va jouer un rôle majeur pour le balisage temporel de
Nostradamus. Or, pour ce qui est des centuries, le mot éclipse ne
figure pas dans la Préface à César mais l’on peut voir quelque
allusion dans ce passage à un phénoméne cosmique « le mortel glaive
s’approche de nous (…) par peste, guerre plus horrible que (depuis
trois générations) n’a esté & famine, lequel (glaive) tombera en terre
& y retournera souvent ». En revanche, certains quatrains fournissent
sinon des dates du moins des données astronomiques qui visent la
conjonction Jupiter-Saturne en sagittaire de 1603 (I, 16) dont le
quatrain concerné promet « peste, famine, mort de main militaire ».
D’ailleurs, le quatrain qui fait suite (I, 17) parle à deux reprises
de 40 ans, ce qui fait 1606, à partir de la date du testament -1566-
qui est aussi selon nous la véritable date de l’épitre « au fils » et
non 1555. Le quatrain I, 37 traite carrément d’une éclipse : «Un peu
devant que le soleil s’esconse », c'est-à-dire se cache. Eclipse de
soleil. Mais ailleurs de lune ; I, 84 « Lune obscurcie aux profondes
tenebres/ Son frère (le soleil) passe de couleur ferrugine. Le grand
caché long temps sous les latebres. Tiendra fer dans la plaie sanguine
»
Nous voyons une allusion à la conjonction Jupiter- Saturne de 1564 en
poissons :
II, 48 « Saturne en l’Arq (Jupiter, maitre du Sagittaire, l’archer)
tournant du poissson Mars. »
En III, 4 et 5 il est question des « défauts des luminaires », défaut
signifiant éclipse.
III 34 « Quand le défaut du Soleil lors sera »
Nous voyons, par ailleurs, une référence à l’Antéchrist sous le nom de
« boucher », qui correspond au « macelin » nom sous lequel Nostradamus
dans sa « Préface » de 1561 désigne l’Antéchrist ( Marcellinus devient
Macelin signifiant boucher, en italien)
I, 60 : « Un Empereur naistra pres d’Italie (…) Qu’on trouvera moins
prince que boucher’
I, 80 : Puis naistra monstre de tres hideuse beste’
Le mot Antéchrist et le mot Eclipse apparaissent à plusieurs reprises,
en revanche dans l’Epitre à Henri II de 1558. Mais on y oublie de
préciser du mois d’octobre de quelle année. Or il s’agit de celle de
l’an 1605, marqué par une puissante éclipse. Pas un mot de l’éclipse
de 1567 qui se trouvait en ligne de mire.
Que dit Leovitius sur l’éclipse d’avril 1567 ?
« Haec eclipsis Solis est magna & terribilis qualem multis annis ante
non habuimus nec habebimus. Ego ab anno 1544 usque in annum domini
1605 maiorem reperire non possum » », qu’il n’y en a pas de plus
importante entre 1544 et 1605. Comment en effet, si l’épitre au roi
avait réellement été publiée mais même simplement compisée, son auteur
aurait-il pu ignorer 1567, échéance tellement plus proche. ? Une telle
omission reporte, ipso facto, la rédaction après la mort de
Nostradamus en 1566.
C’est dire que sur le fond, nous sommes également entrainés hors des
années 1560, alors qu’il est assez évident que Nostradamus pensait à
ces années soixante.
On voit donc à quel point les dates d’édition des pièces doivent être
déterminées d’après le contexte astronomique auquel il est fait
référence. Tout indique que l’on se situe entre 1585 et 1606, les deux
dates signalées dans l’Epitre à Henri II (datée de 1558), l’une ayant
valeur pour le passé et l’autre pour l’avenir, ce qui est aussi la
date de parution de tout un train d’impressions centuriques, signalées
par les bibliographias (Chomarat/ Benazra) à partir de 1588..Au vrai,
on ne connait guère d’édition centurique avant 1585 ni après 1606.
On peut parler d’une contrefaçon sur le fond qui est le pendant de
celles commises sur la forme.(cf supra). En évacuant délibérément
toute référence à l’éclipse si importante dans la Préface de 1561 du
mois d’avril 1567, on modifie singulièrement le texte. Même s’il n’y
avait pas eu d’éditions antidatées pour les années 1550 ou 1560, ce
problème là se poserait avec force.
Si l’on combine les défaillances des nostradamologues au niveau de la
forme ainsi que celles sur le fond, l’on nous accordera que l’image de
Nostradamus se trouve singulièrement brouillée.
Edgar Leroy (Nostradamus. Ses origines, sa vie, son œuvre, Bergerac
1972) divise l’œuvre prédictive de Nostradamus en « Pronostications
annuelles et almanachs (1550-1567) » ; ‘ »Prophéties » ; c'est-à-dire
les quatrains et les épitres qui les accompagnent ». Leroy ne signale
pas l’importance de l’éclipse de 1567 qui préoccupe longtemps à
l’avance et jusqu’à sa mort qui la précède de peu, Nostradamus. Mais
qu’en est-il vingt ans plus tard de l’ouvrage de P. Brind’amour
intitulé Nostradamus astrophile. Les astres et l’astrologie dans la
vie et l’œuvre de Nostradamus », Ottawa, 1994 ? Dans la table des
matières, il est question des « deux éclipses du printemps 1540’ Il
écrit que le quatrain VIII, 15 « se réfère sans doute » aux éclipses
de 1540, du fait de la mention « Les deux éclypses » . En fait, le
nostradamologue québécois s’intéresse bien plus aux « grandes
conjonctions » Jupiter-Saturne. (pp. 209-214) se produisant tous les
20 ans et changeant de triplicité (d’élément) tous les 200 ans
environ. Il passe complètement à côté de l’éclipse de 1567 avec les
éditions italiennes qu’il classe comme « contrefaçons », « supercherie
».(pp. 491-492). Il ne s’aperçoit pas qu’il s’agit d’une traduction
partielle de l’almanach 1562 dans sa version longue, réimprimée en
1906.. Il cite l’épitre à Pie IV des éditions italiennes sans la
relier au texte français de Nostradamus. « Et cette autre de l’éclipse
de Soleil du 9 avril 1567 dans l’adresse à Pie IV »’, se contentant de
commenter : « les circonstances de ces «éclipses n’ont pas été prises
aux éphémérides de Leovitius, Moletius, Simus ou Stadius » alors que
l’éclipse de soleil du 9 avril 1567 est bien signalée dans Leovitius
tant dans l’Eclipsium omnium ab anno domini 1554 usque ad annum domini
1606 » : « Anno Domini 1567 Eclipsis Solis » (fol D3 verso) Die nona
Aprilis etc que dans l’Ephemeridum Novum (..) ab AD 1556 usque in
1606, Augsbourg, Ph. Ulhard 1556 : « Ephemeris ad annum Domini 1567
Eclipsis Solis Die 9 Aprilis »
En fait, l’édition italienne intitule épitre à Pie IV la « Préface »
que Nostradamus lui avait adjointe mais qui ne figure pas dans
l’imprimé français de l’almanach nouveau pour 1562 (Archives du
Royaume, Bruxelles)
d’autre part , il ne traite pas correctement le cas de l’éclipse de
1605 et de l’an 1606, malgré son intérêt pour les Significations de
l’éclipse de septembre 1559, ouvrage qui la mentionne.(pp. 253-259).
Certes, il complète l’Epitre à Henri II qui évoque une éclipse pour un
certain mois d’octobre : « la seule eclipse d’importance visible en
Europe en octobre julien, de l’an 1555 à l’an 2000 est celle du 2
octobre 1605 ». Il montre clairement que certaines données figurant
dans la dite Epitre émanent de l’année 1606, dans l’Eclipsium de
Leovitius, année qui figure d’ailleurs dans la dite Epitre,
remarque-t-il. Brind’amour ne comprend pas que les deux années sont
liées du fait que l’éclipse d’octobre 1605 produira ses effets sur
1606 et 1607. Leovitius écrit à ce sujet que les deux ans qui suivront
en subiront les effets : « duos annos revolutiones mundi extendere,
quibus antedictae eclipsis Solaris effectus durant »
Nous signalons que dans l’imprimé de l’ almanach de Nostradamus pour
1561 (Bib. Ste Geneviéve, en ligne sur propheties.it), on trouve le
passage suivant (qui ne figure pas, à notre connaissance dans le RPP,
il est vrai fort peu lisible, par endroits) :
« Les alternations des sectes repulseront. Tout se fera par personnes
ignares mais abreuvées de paroles frivoles qui demanderont & ne
sauront quoy, la pénitence en sortira mais bien tard en l’an 1607.
Sera encores quelque plus grande diversité qui ne sera guère
dissemblable à ce que fut 1504. » Mais déjà l’an 1607 est mis en avant
au mois de juillet de l’almanach de l’an 1555 (cf Chevignard, Présages
de Nostradamus, p. 233) « A la fin de ceste Lune & une partie de
l’autre, l’on doubtera en plusieurs païs la conflagration de Veseve
(le volcan du Vésuve). ou de Phaëton revenir une autre foix. Combien
qu’une partie de son feu est à venir infailliblement 1607 » Cette date
est certainement liée à l’éclipse de 1605 et à ses effets sur les deux
années suivantes.
- Pierre Brind’amour ne s’étonne évidemment pas du fait qu’en 1558,
Nostradamus ne s’intéresse pas à l’éclipse de 1567. Autrement dit, il
croit déceler une supercherie qui n’existe pas dans les publications
italiennes relatives à la dite éclipse d’avril 1567 et qui restituent
finalement le mémoire de 1561. En revanche, Brind’amour ne signale pas
l’improbabilité extrême d’un texte daté de 1558 qui s’intéresserait
aux années 1605-1606 mais non à l’éclipse de 1567. Et cela vaut tout
autant pour les Significations de l’éclipse de 1559 qui évoque 1605
mais pas 1567. Rappelons que l’almanach de 1567 –dont le sous titre
évoque « l’éclypse merveilleux & du tout formidable qui sera le IX
d’avril proche de l’heure de midy’ dont l’original français et sa
réimpression de 1904 ne sont pas accessibles- a une traduction
italienne conservée à Cracovie. On y trouve une chronologie allant de
l’éclipse de 1544 (janvier) à 1567 et de 1567 à 1605 (octobre)
Or, en 1990, donc quatre ans avant la sortie de l’ouvrage de
Brind’amour, le Répertoire Chronologique nostradamique de R. Benazra
avait été publié par nos soins et signalait (p. 77) cette édition
italienne de l’almanach pour 1567, ce qui aurait du conduire
Brind’amour à considérer les éditions italiennes qui en faisaient état
avec plus de respect. Il est vrai que Benazra ne donne pas (p. 67) un
avis très clair sur ces éditions : « la Bibliothèque Nationale possède
deux almanachs traduits en italien (de Nostradamus !) » De même
Benazra signalait-il (pp. 52- et seq) l’existence du manuscrit pour
l’an 1562 et sa réimpression. L’édition par Jean Dupébe en 1983 de la
Correspondance aurait pu apporter à P. Brind’amour un début de piste
si tant est que Dupébe ait signalé à quel document se référait le
correspondant de Nostradamus, Hans Rosenberg, dans une lettre de la
fin 1561.
« Quod Ephemeridum anni 1562 in qua multae calamitae, quae Europae
nostrae imminent, latius explicantur, Gallice more tuo confecisti
Pioque IIII Pont. Maximo dedicasti”
Dupébe résume ainsi ce passage “Je voudrais bien voir votre
pronostication de 1562 dédiée à Pie IIV”, j’en aurais commandé à Lyon
si je ne savais que beaucoup de faux circulent sous votre nom », sans
reprendre l’allusion de Rosenberger aux « calamités » dont l’Europe se
voit chargée dans l’almanach – et non la Pronostication qui elle n’est
pas dédiée au pape- de Nostradamus. Il est vrai que ce ne sont pas les
éclipses qui manquent. Nostradamus s’arrête dans l’almanach de l’année
suivante (daté du 7 mai 1562) sur une éclipse pour le mois de juin
1563 dont les « malins effets’ se poursuivront « jusqu’à 1564 & 1565 »
voire jusqu’en 1566 (cf pp. 63 et 66 de la réimpression de l’almanach,
en 1905) et d’avertir « les astres sont tellement courroucés contre
nous (..) j’ay bien peur que nous soyons proches de ce grand chaos &
fin de ce miserable monde ». On voit que la prose de Nostradamus n’a
pas besoin des quatrains pour nous interpeller.
Par la suite, Brind’amour accordera plus d’importance à l’éclipse de
1567, dans son édition critique posthume des premières centuries (Droz,
1996, p. 381) et il accorde désormais toute son importance à la «
Pronostication inédite pour 1562, p. 32). Il considère que dès
l’almanach pour 1556, Nostradamus avait en vue l’éclipse d’avril 1567
tout en se demandant comment Nostradamus avait pu en prendre
connaissance dans l’ Eclipsium de Leovitius paru en 1556. Or, cet
ouvrage commence en 1554 et l’on peut raisonnablement supposer qu’il
dut exister une édition antérieure à 1556, dont Nostradamus put
prendre connaissance et qui lui servit d’outil de travail à partir de
sa parution.. En effet, ces ouvrages sont conçus pour 50 ans. De fait,
l’Ephemeridum se présente comme couvrant 51 ans., ce qui semble un peu
incongru du moins pour une première édition : « Calculus Ephemeridum
LI annorum numeratus ». Quant à l’Eclipsium, il se dit aller jusqu’en
1606 alors qu’en réalité, il s’arrête à 1605.
Brind’amour attire notre attention sur la production de Nostradamus
pour l’an 1556. On ne connait pas les quatrains de cette année mais,
comme le suggère Benazra, il est possible que l’almanach anglais pour
1564 (cf sur le site propheties.it) au nom de Nostradamus en donne la
traduction. En effet Benazra note que les données célestes de cet
almanach correspondent à celles de l’an 1556. On aurait un phénoméne
comparable avec l’almanach anglais Nostradamus pour 1562 qui comporte,
quant à lui, la traduction des quatrains de l’année 1555 lesquels
quatrains ont été conservés, en revanche, en français.
Dans les textes du Recueil des Présages Prosaïques (Livre second)
concernant l’an 1556, on trouve en effet un avant gout de ce qu’on
lira dans l’almanach pour 1562. Septembre 1556 : « grand peuple
pensera estre à la fin du monde »
Nostradamus déclare écrire en date du 9 janvier 1555 (n°53 du Recueil,
Chevignard, Présages, p. 257), soit peu de temps avant la date de la
Préface à César. Nous avons émis l’hypothèse que celle-ci – qui nous
apparait comme antidatée - avait recyclé un texte de cette époque : «
Le mortel glaive s’approche de nous pour asture par peste, guerre plus
horrible que à vie de trois hommes n’a esté & famine, lequel tombera
en terre & y retournera souvent etc »
Nous pensons que l’on ne peut comprendre la démarche prophétique de
Nostradamus sans placer au centre les deux éclipses de 1567 et de
1605, qu’il prolonge de deux-trois ans quant à leurs effets. Certes,
Nostradamus n’est-il pas indifférent aux grandes conjonctions qui se
tiennent d’ailleurs –et c’est justement ce qui le frappe- à des dates
assez proches de celles des dites éclipses et qui permettent également
de dresser des listes de régions et de villes touchées. Mais cela
conduit Nostradamus à négliger la conjonction des années 1580, si
importante pour tant d’astrologues de l’époque, du fait qu’elle n’est
pas liée à une éclipse. Si l’année 1585 figure dans l’épitre à Henri
II, il s’agit d’une interpolation d’ordre historique, qu’il entend
mettre au crédit de Nostradamus, comme s’en explique Chavigny dans les
Pléiades, en 1603..
On résumera en disant que Nostradamus avait énormément «misé » sur
l’éclipse du 9 avril 1567 qu’il fait correspondre carrément à la
naissance d’un Antéchrist, d’un certain Marcellinus, comme il s’en
explique dans le mémoire du 20 avril 1561. D’où vient ce prénom ? Nous
observons dans l’almanach pour 1563, pour le mois d’avril, que l’on y
fétait sur trois jours, successivement, Sainte Marcellina, une sainte
du Ive siècle, sœur de Saint Ambroise de Milan (il y a actuellemment
des sœurs de Sainte Marcelline) la Saint Marc et la Saint Marcel. Or
l’éclipse de 1567 a lieu en ce mois d’avril. Nostradamus qui est très
au fait de tout ce qui touche au calendrier, a certainement été
inspiré par ce fait, tout comme l’on prénomme souvent un enfant du nom
du saint du jour de naissance.
Qu’il ait considéré que le laps de temps -40 ans-(en fait 38 ans)
entre cette éclipse de 1567 et la suivante de 1605 était significative,
c’est possible. Mais ce qui fit la réputation de Nostradamus de son
vivant en Europe et notamment en Italie, ce fut, à n’en pas douter, ce
qu’il annonçait non seulement pour 1567 mais jusqu’en 1570, comme cela
figure sur les pages de titre des éditions italiennes. 1570 devait
être une date absolument cruciale qu’il associait aux Ecritures
Saintes et notamment à l’Apocalypse. Que Chavigny ait cherché à
relancer l’attente prophétique pour la nouvelle éclipse de 1605 est
une chose, qu’il ait laissé entendre que Nostradamus avait accordé de
l’importance à cette échéance reléve de la contrefaçon.
On aura donc compris que, pour nous, il existe deux catégories
d’impostures, celle qui traite des titres des ouvrages, des dates qui
y figurent, des mentions de libraires et celle qui est concernée par
leur contenu, par les facteurs considérés. Il est commode, pour
certains, d’évacuer des données astronomiques trop précises car elles
bloquent l’actualisation des textes. Car la contrefaçon ne consiste
pas uniquement à changer une date pour une autre. Elle peut se limiter
à supprimer les références astronomiques sous jacentes, ce qui permet
au texte d’accéder à une sorte d’intemporalité.
JHB
25. 10. 12 |
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144 - Les sixains et le canon centurique
Par Jacques Halbronn
Il est de bon ton chez les nostradamologues de rejeter les sixains du
canon centurique. Mais certains points nous invitent à la prudence. Il
ne suffit pas en effet que l’on ait des sixains et non des quatrains
pour que l’on puisse ainsi statuer. Quant au fait que ceux-ci soient
introduits, dans certains cas, par une épitre datée de 1605, cela n’a
rien de rédhibitoire quand on se situe dans une publication qui se
veut posthume. Et puis, encore faudrait-il montrer, pour justifier
leur mise à l’écart, que les sixains ne traitent pas des mêmes sujets
que les quatrains centuriques. Encore conviendrait-il d’avoir
déterminé quels sont les thèmes qui parcourent les dits quatrains.
Nos derniers travaux ont mis en évidence l’importance du thème de
l’Antéchrist et de l’almanach pour 1562[1], dans sa version longue qui
ne nous est parvenue que par les traductions italiennes et par un
manuscrit dont une réimpression datée de 1904 nous fournit la copie.
On attirera l’attention, sous cet angle, sur le sixain XXIe :
« L’autheur des maux commencera regner
En l’an six cens & sept sans epargner »
On y trouve d’une part l’année 1607 qui fait écho à l’Epitre
centurique à Henri II – qui s’articule sur les années 1605-1606 et à
toute une série de textes notamment dans les Pléiades de Chavigny et
les Significations de l’Eclipse de 1559, empruntant à Leovitius, comme
pour ce passage des Significations repris de l’Eclipsium : «
Praedictio astrologica ad annum domini 1559 & 1560. « ab Antare
constitutus, stella fixa” : « non esloignée d’Antarés qui est une
étoile fixe etc ». Et d’autre part, on est bien là dans une évocation
d’un personnage qui se rapproche de celui de l’Antéchrist[2].
Signalons, in fine, une référence à la « terre saincte », au sixain
56.
Mais il convient de revenir sur l’Epitre à Henri IV, datée de 1605 (année
d’éclipse précisément) ! On retrouve d’entrée de jeu une présentation
qui nous ramène à Chevigny dans son épitre à Larcher (1570) et à la
conclusion du Brief Discours de la vie de Nostradamus :
« Ayant (il y a quelques années) recouvert certaines Propheties ou
Pronostications, faictes par feu Michel Nostradamus des mains d’un
nommé Henry Nostradamus, neveu dudit Michel, qu’il me donna avant de
mourir & par moy tenues en secret iusques à présent (..) j’ay pris la
hardiesse (..) vous les presenter transcrits en ce petit Livret non
moins digne & admirable que les autres deux Livres qu’il fit, dont le
dernier finit en l’an mil cinq cent nonante sept » Cela fait écho au
titre du « livret » : « Prédictions admirables (…) recueillies des
Mémoires de feu Maistre Michel Nostradamus, ». Etrangement, d’ailleurs,
cette présentation posthume n’avait pas été de mise à la fin du XVIe
siècle où l’on avait préféré la thèse d’une parution du vivant de
Nostradamus. Mais au XVIIe siècle, c’est bien la thèse posthume qui va
l’emporter, d’où la référence récurrente à 1568 (et par la suite à
1566).
On se demande d’où vient cette date de 1597 qui est avancée comme si
elle constituait un élément bien connu. Quel intérêt aurait eu un
faussaire à lancer une telle date d’ailleurs révolue en 1605 ? Selon
nous, le signataire de l’Epitre n’a pas inventé 1597. C’est à
rapprocher de l’épitre au même Henri IV, datée de 1594 , figurant en
tête de la Première Face du Janus François, tant dans l’édition
française (par le titre) que dans l’édition latine (par le titre) qui
donne 1607 comme échéance finale des quatrains centuriques et de la
Seconde Face, à paraitre, du dit Janus François. :Mais pourquoi ce
décalage de dix années ? L’on sait que Chavigny prenait des libertés
avec les dates annoncées et nous pensons qu’il aura jugé bon de
proroger 1597 en 1607 d’autant que la Première Face va de 1534
jusqu’en 1589 « fin de la maison Valésienne » (voir le titre) : Dans
l’édition de 1596 (Commentaires du Sr de Chavigny), la formule change
: « depuis l’an 1534 iusques à présent »)
Nous pensons aussi qu’il convient de rapprocher cette date de 1597 qui
ressort en ce XVIIe siècle de l’an 3797 de la Préface de Nostradamus à
César : « J’ay composé Livres de Propheties contenant chacun cent
quatrains astronomiques de propheties (..) & sont perpétuelles
vaticinations pour d’icy à l’année 3797 ».
On ne peut exclure qu’une première mouture –perdue-de la Préface à
César comportait non pas 3797, date si éloignée qu’elle ne fait guère
sens – d’autant qu’elle dépasse la durée du monde de 6000 ans depuis
sa Création –mais bien 1597 (soit 2200 ans de moins, soit
approximativement la durée d’une ère précessionnelle de 2160 ans). Si
l’on admet que Nostradamus a en réalité rédigé le texte de la dite
Préface (par ailleurs retouchée) en 1566, année de sa mort, cela donne
une période de 30 ans, soit approximativement un cycle de Saturne ou
de la Lune (si l’on prend un jour pour un an). Si l’on ajoute que pour
Nostradamus, l’éclipse d’avril 1567 était une donnée cruciale, cela
donne 30 ans exactement pour atteindre 1597. Ce qui est indiqué dans
les sixains signalés pour 1607 aurait pu se référer initialement à
1597. Le sixain aurait donc été remanié pour comporter une nouvelle
date, une fois celle de 1597 dépassée. Il y a donc bel et bien une
continuité entre les quatrains centuriques et les sixains lesquels
comportent un nombre considérable de dates situées au début du XVIIe
siècle, devenu le siècle fatal Cet afflux de dates est certes
inhabituel dans les quatrains mais il correspond à une certaine
exigence de précision qui fait sens si l’on admet que ces 58 sixains
étaient censés se situer à la suite des 42 quatrains de la VIIe
centurie. L’existence d’un manuscrit comportant plus d’une centaine de
sixains est compatible avec ce cas de figure. Il est clair, en effet,
que le nombre 58 a été fixé de façon aléatoire, du fait que la
centurie VII a connu une succession d’additions depuis une trentaine
jusqu’à la quarantaine.
. Là encore, on ne connait pas d’édition les plaçant à cet endroit et
ils seront déjetés en un troisième volet, parfois, sous le titre de
XIe centurie (chez Chevillot). Mais la raison de leur absence à la fin
de la VIIe centurie n’est-elle pas due précisément à la précision des
dates qui finira, avec le temps, par faire problème ? Ce n’est donc
qu’avec quelque délai que les dits sixains auraient été réhabilités,
au prix d’une mise à jour de leur calendrier, tout se trouvant décalé
de 10 ans, soit 40 ans au lieu de 30 ans et l’on sait que l’on trouve
ce nombre de 40 ans à deux reprises dans un quatrain : I, 17 :
« Par quarante ans l’Iris n’apparoistra/ Par quarante ans tous les
jours sera veu. La terre aride en siccité croistra/ Et grands deluges
quand sera apperceu ».
Cela dit, la version des sixains qui nous est parvenue aura été
remaniée pour inclure des événements survenus au début du nouveau
siècle, comme la crise du marquisat de Saluces (1600), la naissance du
dauphin, en 1601, le futur Louis XIII ou l’affaire Biron (1602). On y
trouve même la mention de la Saint Barthélémy, en toutes lettres, ce
qui nous situe en 1572 pour la rédaction (sixain 52). On pense à Noel
Léon Morgard, dont les Prophéties (…)présentées au Roy Henry le Grand
pour ses estrennes en l’an 1600, contrevenant plusieurs predictions
sur l’alliance d’Espagne[3], auront repris les 58 sixains[4]. Il
convient de dater ce texte autour de 1612, au lendemain de
l’assassinat d’Henri IV, si l’on admet qu’il réplique directement à un
texte paru cette année là, à savoir Discours sur ce qui s’est passé à
l’arrivée de Monsieur le Duc de Pastrane, Ambassadeur d’Espagne.
Ensemble une resjouissance sur le bonheur des Alliances de France &
d’Espagne avec l’explication d’une Prophetie de Nostradamus sur le
mesme suject, par le S. D. S.A, Paris, Pierre Bertaud (Bib. Arsenal,
autre éd Veuve Pierre Bertaud, BNF).
R. Benazra (RCN, pp. 163-164) signale un manuscrit (BNF FF 4744 ; fol.
76-78) se référant, tout comme Morgard, non pas à 1605 mais à 1600,
qui ajoute « les Sixains n’ont jamais été composés par Nostradamus ».
En ce qui nous concerne, un tel jugement expéditif fait probléme car
l’on peut y voir une certaine inspiration qui ne diffère pas forcément
de celle des quatrains.
Par la suite, c’est cette mouture à 58 sixains (celle du manuscrit
n’en a que 54) qui sera intégrée dans le nouveau canon centurique et
non l’ancienne apparemment disparue. La clef accompagnant le texte de
Morgard, quant à elle, ne sera pas reprise.
Le tort des sixains (dont le Mercure de 1610 évoque la parution) est
d’adopter une présentation chronologique qui va se retrouver très vite
obsolète mais qui n’en sera pas moins perpétuée tout au long du XVIIe
siècle. On ne pouvait pas indéfiniment changer les dates et on aura
finalement préféré s’en tenir à une centurie VII incomplète, ce qui
est quand même gênant pour un ensemble se présentant in fine, dans
l’Epitre à Henri II de 1558 comme une « miliade », soit dix centuries
pleines, encore qu’il soit fait référence à la fin du Brief Discours à
des centuries XI et XII dont quelques quatrains sont commentés dans le
Janus Gallicus et qui seront repris en annexe dans les éditions du
XVIIe siècle..
Quant au fait que ces sixains aient fait l’objet d’interpolations,
cela ne saurait être un argument car ce fut également le sort des
quatrains comme nous l’avons montré ailleurs à maintes reprises. Il ne
faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
JHB
28. 10. 12
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[1] Sur les réactions à cet almanach, voir CORPUS NOSTRADAMUS 23 --
par Patrice Guinard « La fol s'y fie de Monstradabus, 1558
(Un document inconnu des nostradamologues parmi d'autres textes
réformés) «
[2] Cf Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus
[3] Ouvrage non signalé par Benazra, ni par Chomarat,
[4] Cf fac simile in Documents Inexploités sur le phénoméne
Nostradamus, Ed Ramkat, 2002 |
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145 - Considérations (ethno)méthodologiques dans le domaine de la
nostradamologie
Par Jacques Halbronn
On retrouve fréquemment le terme « faussaire », « imposteur »,«
usurpateur », sous la plume des nostradamologues et pas toujours à bon
escient. Dans ce domaine, il convient de ne pas recourir à des termes
excessifs et expéditifs et de faire preuve d’une certaine modération
dans les propos. Paradoxalement, les vrais faussaires ne sont pas
nécessairement signalés.
Il y a bien entendu le cas de ces auteurs qui empruntent le nom de
Nostradamus et qui se trouvent ipso facto étiquetés comme imposteurs.
Il semble bien qu’il y ait eu un des fils de Nostradamus qui s’appela
Michel et qui ait fait paraitre des textes censés avoir été trouvés
dans la bibliothèque de Nostradamus, sans les lui attribuer ni se les
attribuer II aurait eu des démêlés avec César, son frère.Quant à
Antoine Crespin, le fait de perpétuer le nom de Nostradamus ne
signifie pas qu’il cherche à se faire passer pour lui. On connaitra en
Angleterre, des lignées d’astrologues reprenant le même nom. Quant à
Mi.de Nostradamus, autre bête noire des nostradamologues, son statut
de collaborateur de Nostradamus semble avéré. Qu’il ait jugé bon de ne
plus écrire sous ce nom à la mort de Nostradamus est tout à son
honneur. Il est en effet évident que Nostradamus n’était pas seul pour
la réalisation de sa production annuelle, notamment dans les dernières
années. Cette forme « Mi. de Nostradamus » pourrait d’ailleurs fort
bien avoir été utilisée par Nostradamus qui semble avoir changé de
dénomination à plusieurs reprises. C’est ainsi que dans ses
pronostications pour 1557, il apparait comme« Maistre Michel de nostre
Dame’ et pour 1558 comme ‘maistre Michel Nostradamus ».Il a fort bien
pu souhaiter se servir, à un certain stade, de la forme « Mi. de
Nostradamus », tout en ayant un assistant à sa solde.
En revanche, l’on ne se demande si le testament ne mentionnant pas un
certain Michel parmi les fils n’est pas un faux, tout comme le Brief
Discours sur la Vie de Nostradamus, tel qu’il figure dans le Janus
Gallicus, avec une épitaphe douteuse ou encore une épitre antidatée de
Nostradamus à l’un de ses fils. Les initiales H T H N S figurant dans
les Significations de l’Eclipse de 1559 sont décryptées par Chavigny (
B. Chevignard, Présages de Nostradamus, p ; 380, n° 458) : « Hic
testamentum heredes non sequuntur ». Ce testament n’est pas respecté
par les héritiers. Cette mention apparait de façon assez incongrue
dans le texte et si l’on admet que ce texte est paru après la mort de
Nostradamus pourrait témoigner d’un probléme à propos du testament
dont certaines clauses n’auraient pas été suivies d’effet..
Nous avons la naïveté de penser que les libraires ayant pignon sur rue
comme Benoist Rigaud, ne se seraient pas prêtés à certaines
contrefaçons grossières au niveau des personnes. Ils étaient,
cependant, probablement moins sourcilleux en ce qui concerne les
textes et cela ne posait pas un énorme problème que de réaliser des
éditions datées de la date présumée de leur rédaction. Ces libraires
pensaient probablement rendre service en restituant des documents
jugés manquants. Imaginaient-ils, d’ailleurs, que cela pourrait
tromper la vigilance des historiens des siècles postérieurs ? Pas plus
peut être qu’une pièce de théâtre située dans l’Antiquité ne saurait
tromper nul autre qu’un enfant ou un idiot. En fait, ce sont plutôt
les nostradamologues de nos jours qui instrumentalisent des procédés
assez innocents en les prenant pour argent comptant. Le cas Couillard
est à ce propos édifiant : voilà des Prophéties du Seigneur du
Pavillon, portant la date de 1556, qui correspond à leur contenu alors
même qu’il est précisé, in fine, sans qu’aucun nostradamologue ne le
remarque (de Robert Benazra à Olivier Millet) que l’auteur est décédé
alors que l’on sait qu’il était encore en vie au début du règne
d’Henri III et que la liste des ouvrages restant à paraitre a été
dressée à la fin des Antiquitez et Singularitez par son neveu Muireau.
Il est vrai qu’en prenant cette date au pied de la lettre, cela
permettait de valider la thèse d’une édition authentique parue du
vivant de Nostradamus dès 1555. Par ailleurs, on nous parle du faux
Pierre Rigaud 1566 fabriqué à Avignon et dont on se demande si le
libraire du XVIIIe siècle croyait réellement que l’on prendrait une
telle production au sérieux, plus de 150 ans après la date indiquée.
En revanche, l’on considère que les éditions Benoist Rigaud 1568 sont«
vraies » du moment qu’elles ne comportent pas une épitre datée de 1605
et qu’elles respectent les dates d’activité du libraire lyonnais, à la
différence du cas de Pierre Rigaud. Le dossier Benoist Rigaud 1568 est
un cas d’école, vu que les éditions Rigaud de la fin du XVIe siècle ne
signalent aucunement une telle édition dont elles seraient censées
dériver. A contrario, au XVIIe siècle, le libraire troyen Pierre du
Ruau évoque une telle édition et il en produit parallèlement une qui
corresponde si ce n’est qu’il place comme vignette l’image utilisée
par Nostradamus le Jeune vers 1568 pour d’autres ouvrages qui ne se
présentent même pas comme étant de Nostradamus mais trouvés dans sa
bibliothèque. Mais une chose est de se tromper en ce qui concerne une
information, une autre d’accréditer cette information en produisant
une édition probablement à l’intention de quelques bibliophiles..
Cette date de 1568 est d’ailleurs indissociable des dernières éditions
de Nostradamus. Certes, il décéde en 1566, certes son dernier almanach
est de l’an 1567 mais dans le systéme des éclipses, l’année qui suit
celle de l’éclipse est cruciale et l’on dispose ainsi de divers
documents qui vont jusques à l’an 1568 mais qui ne sont pas parus en
cette année là. C’est là une erreur qui aura été commise tout au long
du XVIIe siècle...
Il y a un cas de libraire qui de toute évidence cherche à tromper le
public, c’est celui de la veuve Barbe Regnault qui publie à Paris des
almanachs de Nostradamus, au début des années 1560, avec une vignette
différente de celle dont se servent les libraires attitrés de
Nostradamus, et des quatrains d’almanachs de Nostradamus des années
1550 qui sont recyclés et retouchés pour d’autres années.....
D’ailleurs, les almanachs Nostradamus Barbe Regnault comportent une
vignette, ce qui n’était pas le cas à l’époque pour les almanachs
Nostradamus autorisés, la vignette étant réservée aux seuls
Pronostications. C’est cette même vignette Nostradamus Barbe Regnault
qui par erreur sera utilisée par les vrais faussaires pour produire
les éditions centuriques Macé Bonhomme 1555 et Antoine du Rosne 1557.
Pour ce faire, il aura fallu antidater à 1555 une épitre de
Nostradamus rédigée très probablement en 1566, peu avant sa mort mais
utilisant peut être une pièce datant de 1555.. Les raisons de ces
antidations antérieures à la mort de Nostradamus sont probablement
liées à des histoires de famille, César de Nostredame voulant à tout
prix faire croire que son père l’avait désigné bien avant qu’il ne
rédigeât un testament – qu’il valait mieux contrefaire ou supprimer -
qui ne le reconnaissait pas comme son successeur attitré au regard de
ses manuscrits. Les libraires ont certainement agi avec l’aval de
César.
L’affaire des Centuries est il est vrai complexe : il est avéré que
des quatrains issus d’un manuscrit disparu ont circulé et ont même été
commentés par un Jean Dorat mais sans le signaler expressément.
Chavigny aura beau jeu, dans les années 1590 de reprocher au poète
d’avoir plagié Nostradamus dans ses poésies latines mais il ne semble
pas qu’une édition des Centuries ait été imprimée avant le milieu des
années 1580, lorsque la confusion politique rendait cela possible. On
peut penser que l’impression de ces quatrains de Nostradamus annonçant
la venue de l’Antéchrist était interdite. Si certaines éditions du
XVIIe siècle perpétuent la mascarade des éditions antérieures à 1566,
d’autres se situent clairement après la mort de Nostradamus et
notamment en 1568. (cf. supra)
Il ne faut pas avoir la dent trop dure envers tous ces protagonistes
qui sont tentés, irrésistiblement, vers l’antidations pour conférer
plus de poids, de crédit aux textes prophétiques. Nous avons plusieurs
fois dénoncé le recyclage de certaines prédictions au-delà de leur
échéance initiale. Mais, cela n’a rien de si scandaleux que cela quand
on se situe dans le champ astrologique. Il est des configurations
astronomiques qui sont vouées à se reproduire au bout d’un certain
temps. Certes, celles-ci sont parfois interprétées en tenant compte de
tout le contexte céleste lequel ne cesse de varier. Toutefois, si l’on
s’en tient aux configurations stricto sensu comme celles de Jupiter
avec Saturne, l’on peut fort bien considérer que leur signification
reste fondamentalement la même d’une fois sur l’autre, ce qui autorise
tout à fait à reconduite un texte à leur sujet. Si une configuration
se reproduit, il est assez logique que l’on puisse en attendre grosso
modo les mêmes effets, et il n’est pas forcément épistémologiquement
pertinent de différencier à tout prix une configuration d’une autre,
même si elle n’a pas lieu dans les mêmes signes du zodiaque, ce que
les astrologues médiévaux avaient relativisé en ne tenant compte que
de l’Elément (4) et non du signe (12) dans lequel une conjonction de
deux mêmes astres aurait lieu ..Il est vrai que lorsque l’on annonce
la fin du monde, la marge de manœuvre est plus étroite puisqu’il faut
alors prouver que la configuration est unique en son genre, ce qui,
quelque part, est contraire à l’esprit de l’astrologie.
Il y a parfois des mauvais procès comme en ce qui concerne la version
latine des quatrains dans la Première Face du Janus François. Nous
avons montré que les quatrains latins n’étaient pas censés traduire
les quatrains français mais plutôt résumer les commentaires en prose.
En ce qui concerne le Janus, on a du mal à imaginer un seul et unique
auteur. En effet, le contraste est frappant entre la série des
quatrains interprétés dans une perspective anti-bourbonienne (du fait
de Louis de Bourbon dont les défaites sont saluées avec quelque
jubilation) et les préfaces et postfaces en l’honneur d’Henri de
Navarre, un autre Bourbon. Etant donné que Chavigny s’en prend, dans
la postface (épitre à Dornano) à Dorat qui a eu le tort d’annoncer un
destin radieux pour Henri III, nous n’excluons pas que la dite série
de quatrains complétée par des présages prosaïques, ne soit due, du
moins en grande partie, à Dorat, assisté par Jean de Chevigny, lequel
Dorat est ainsi présenté par La Croix du Maine ( Bibliothèque, 1584) :
" "M. d'Aurat (...) lequel est si heureux truchement ou fidel (sic)
interpréte des Quadrains & Prophéties dudit Nostradamus". Le titre
français de 1594 indique simplement que Chavigny a rassemblé des
documents, le titre latin qu'il a "expliqué" les quatrains et
l'édition 1596 qu'il est l'auteur des 'Commentaires",ce qui est une
absurdité puisque ce terme désigne les Présages Prosaïques.
On notera que, dans The True Propheties or Prognostications, Théophile
de Garencières en 1672 traduira en anglais, sans le préciser, les
commentaires des quatrains de l’Eclaircisssement des véritables
quatrains (1656) dont l’auteur est Jean Giffré de Réchac, dominicain.
Dans l’édition anglaise, on trouve une version atypique de la Préface
à César, dont on ne connait pas l’original français ou plutôt qui ne
nous est parvenu que par le biais de l’édition du libraire lyonnais
Antoine Besson (Les Vrayes Centuries et Prophéties, c 1691). Les
nostradamologues ont pris le parti de ne pas prendre au sérieux ces
moutures qui sont qualifiées de « tronquées » ou de trafiquées. Mais
nous pensons bien plutôt qu’il s’agit d’un état antérieur à la Préface
à César telle qu’elle figure en tête des premières centuries. Et il en
est de même pour l’état particulier et singulièrement plus court de
l’Epitre à Henri II dont Besson est le seul dépositaire. Selon nous,
il s’agit de résurgences d’états très anciens- non conservés- des deux
épitres qui ne seraient réapparues que dans le dernier tiers du XVIIe
siècle, éventuellement sous forme manuscrite. Il pourrait s’agir d’un
recueil d’épitres réalisé parallèlement à celui des des Présages
Prosaïques qui ne les comporte pas. Peut-être, d’ailleurs, comme dans
le cas des textes du dit Recueil des Présages Prosaïques, ces textes
n’ont-ils jamais été imprimés sous cette forme mais correspondent à un
premier état.. On pourrait poursuivre indéfiniment la liste des
malentendus, comme lorsque Robert Amadou ne reconnait pas dans les
éditions italiennes parues, dans les années 1560, sous le nom de
Nostradamus des éléments de l’almanach pour 1562, dont on ne connait
la teneur en français que par le biais d’un manuscrit, réimprimé en
1906 (Reproduction très fidele d’un manuscrit inédit de M.de
Nostredame dédié à S.S. le Pape Pie IV (Mariebourg)
JHB
31. 10. 12 |
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146 - Le Janus Gallicus et le Recueil des Commentaires sur les ans
1550-1567
Par Jacques Halbronn
La Première Face du Janus François se présente comme « extraite et
colligée des Centuries et autres commentaires de M. Michel de
Nostredame ». Etrangement, le nom de Nostradamus n’est jamais prononcé
tout au long de l’étude des quatrains. Il est désigné en français
comme l’Auteur, le Pronostiqueur et en latin comme Vates, le prophète,
le vaticinateur. Ce distinguo n’est pas indifférent (cf. infra) Sous
le mot « commentaire », il faut entendre « présages prosaïques’ comme
l’atteste le fait que chacun des douze livres du dit Recueil a pour
sous - titre ‘ »extrait des commentaires sur » telle année. En fait,
le titre de départ du Recueil aurait du être « Recueil des
commentaires de Michel Nostradamus sur les années 1550 à 1567 » ;
D’ailleurs, le sous titre du Recueil des Présages prosaïques est bien
« Extrait des Commentaires d’iceluy & réduit en XII livres par Iean
Aime de Chavigny Beaunois », sans précision quant aux années ainsi «
commentées » Pour éviter toute confusion nous appellerons «
explication » le texte placé sous le quatrain, réservant le mot «
commentaire » au seul texte de Nostradamus. On relévera l’étrange
façon propre à certains nostradamologues dont P. Guinard (Corpus
Nostradamus 16 L’almanach pour 1555) consistant à considérer que
chaque segment numéroté de chaque Livre du Recueil des Présages
Prosaïques est un « présage ». Il y aurait ainsi 298 « présages » pour
1555 et 87 pour 1558. C’est là un contresens qui a été introduit par
P. Brind’amour et que nous avons évité à B. Chevignard, il y a
quelques années, lors d’un entretien à la Bibliothèque de Lyon La Part
Dieu, en présence du conservateur en chef. En fait, chaque publication
est un présage et un seul et chacun des 12 « livres » du Recueil
comporte un, deux ou trois « présages » tout au plus, le texte en
prose étant divisé en segments numérotés comme dans la Bible, ce qui
permet de retrouver rapidement un passage, c’est d’ailleurs le
principe des « Centuriae » d’Antoine Mizauld, qui inspirèrent, selon
nous, la présentation des centuries nostradamiques..On notera une
certaine évolution de la terminologie, Chavigny ayant fini par
préférer «Oracles » à Présages ou à Commentaires, dans ses Pléiades «
où en l’explication des antiques prophéties conférées avec les Oracles
(de) Nostradamus est traicté du renouvellement des siecles etc, le
titre initial ayant été Vaticination fort ancienne interprétée du Tres
Chrestien Henry III, Roy de France & de Navarre confée avec les
oracles et présages de M. Michel de Nostredame. Le mot présages a, en
l’espace de 20 ans, carrément disparu. C’est cet intitulé que
reprendra en 1867 un Anataole Le Pelletier au profit d’un terme plus
prophétique qu’astrologique..
En général, on présente le Janus Gallicus comme le commentaire d’un
certain nombre de quatrains mais dans ce cas que signifie la formule «
extrait des commentaires » Cela dit, il peut arriver qu’un quatrain
centurique puisse être désigné comme « présage » (p. 286 Epitre à
Dornano) : cela est clair non seulement par ce presage, Cent. 10, qua.
18 Le rang Lorrain fera place à Vendosme ». D’où la précision «
présage prosaïque ».
La présente étude répond à cette objection : nous sommes bel et bien
en face d’extraits des commentaires de Nostradamus dans la mesure où
le « commentaire » des quatrains est constitué- du moins pour une
bonne part, d’extraits des « commentaires » de Nostradamus que nous
avons recensés ci après. L’usage des « présages Prosaïques » n’est pas
le seul lot des Pléiades, d’ailleurs composées, du moins pour les
premières en même temps que la Première Face, soit en 1589, date à
laquelle le texte s’arrête, au regard des événements, date qui figure
au demeurant sur la page de titre de la Première Face et de son
pendant latin, mais point dans la réédition partielle de 1596 qui ne
comporte que le texte français et non bilingue. On notera que B.
Chevignard dans son édition du Recueil des Présages Prosaïque ne fait
que très peu usage du Janus Gallicus pour les textes en prose qui en
sont extraits. Il préfère se servir des citations qu’en donne Laurent
Videl.(Déclaration des abus ignorances et seditions de Michel
Nostradamus, Avignon, Pierre Roux & Jean Tramblay, 1558), ce qui ne
couvre que les commentaires allant jusqu’en 1559. Etant donné que
Chavigny est concerné par les deux ensembles, il eut, quand même, été
logique de traiter ceux-ci de façon systématique. Bien entendu, les
Pléiades, en partie composées en 1589, sous le premier titre de
Vaticination fort ancienne interprétée du Tres Chrestien Henry III,
Roy de France & de Navarre confée avec les oracles et présages de M.
Michel de Nostredame ( manuscrit Bib. Méjanes 451), font également
appel aux « commentaires « du Recueil mais nous n’avons pas jugé bon
de nous y intéresser, du moins pas dans ce cadre.
L’enjeu de la présente étude n’aura pas été de comparer les textes du
Janus avec ceux du Recueil mais de réfléchir sur la genèse du Janus et
notamment sur le rapport entre texte français et texte latin. Nous
montrerons que le quatrain latin n’est pas la traduction du quatrain
français mais la mise en rime de l’explication du dit quatrain. Le
Janus Gallicus ne saurait donc être considéré comme comportant la
traduction latine des quatrains nostradamiques lesquels ne seront
traduits en anglais que dans quelques almanachs (pour 1556 (dans
l’almanach pour 1564) et 1559 – les autres sont issus de faux
almanachs notamment celui de 1562 et de 1563 - et en italien dans
l’almanach pour 1562. Quand aux quatrains centuriques, ils ne seront
traduits- en anglais- qu’en 1672.
Mais préalablement, nous collecterons les passages constituant des «
extraits des commentaires », titre sous lequel le travail de
Nostradamus est désigné, l’idée ayant été apparemment de présenter
Nostradamus comme le « commentateur » des années qui se succèdent,
terme au demeurant assez neutre et qui n’implique même pas la notion
de « présage » ou de « prédiction ».
Ajoutons que l’auteur du Janus se sert en parallèle de sources
historiques (que nous avons recensées dans une précédente étude) qu’il
cite d’ailleurs, à l’appui de son travail. Il est clair en tout cas
que les quatrains, par eux-mêmes, ceux des almanachs et les autres, ne
sont pas en soi qualifiés de « commentaires ». Nous avons affaire à un
agencement à 3 niveaux de textes : le quatrain, le commentaire,
l’événement relaté par les chroniqueurs.
Il ne faut pas confondre les « extraits des commentaires » pour telle
année et les renvois que l’auteur du Janus fait ses propres
observations sur telle ou telle année, l’ouvrage étant organisé selon
une chronologie année par année. Jusqu’à la partie consacrée à l’an
1563, donc depuis l’an 1534 nous ne trouvons aucune référence aux «
commentaires ».(soit de la page 36 qui est le début de
l’interprétation des quatrains (essentiellement ceux figurant dans le
Recueil et donc issus des almanachs) jusqu’à la page 124), soit des
numéros 1 à 133.
9 « De ce vieil Comte de Tende nous avons une plaisante histoire dans
les Presages prosaiques de nostre Auteur par moy colligez, li. (vre)
premier »
94 (VI ; 75) Ces deux vers ont esté expliquez sur l’an 1555 (…) Dez
l’an 1555 nostre Vaticinateur n’avoit-il pas dit ainsi d’iceluy. Le
Neptune second etc Haec sunt explicata super anno 1555 (…) Sed & decem
ante annos in Prognostico quodam sic de eodem cecinerat Vates /
95 (février 1559) ;, Ces deux premiers vers sont semblablement
expliquez sur l’an 1559
101 (juin 1562)
Et sur 1560 Merveilleux faits de Typhon
N° 105 (VI, 9)
C’est au présage sur 1561 Alibi scribit Autor, commentario nempe in
annum 1561 »
N° 116( VIII, 17) :
« Il escrivoit cela 1559 » En latin, le texte est plus complet « De
quibus est & hoc Autoris nostri praesagium super an. 1559 »
N° 134, l’auteur de l’ »explication » déclare au sujet d’un verset de
III, 55, au numéro 134 : « de quoy toutefois ie ne trouve rien aux
Presages de l’Auteur » ce qui traduit « De quo tamen nihil invento
apud Vatem », Le français recourt à un terme singulièrement plus
neutre. (p. 122) : « Voicy ce qui est dit du meurtrier sur 1556 : Le
crime de celuy qui sera surpris etc « qui est également rendu en latin
mais sans mention de l’an 1556. »
N°124 (sur Mars 1563): De la perte duquel pour lors, l’Auteur
escrivoit ainsi sur l’an 1555 La perte de quelques personnages etc. On
a l’équivalent en latin avec cette fois mention de la date «
ephemeride in an. 1555. »
N° 139 (IX 66) : « laquelle nostre Auteur baille l’honneur à la Roine
mere & Sieur Cardinal de Lorraine par ces mots tirez du Pronostic sur
1561. Quelque Grande bien grande etc ». Le latin donne le texte mais
pas l’année avec cette formule vague « hoc prognostico » ( !)
N ° 141 (et non 140) le français devient vague : « Icy (dit ailleurs
nostre Autheur » commencera la ruine’ Le latin donne « hoc loco (ait
Vates alibi) »
N° 146 (février 1564) « L’auteur disoit dez l’an 1553. Il faut qu’un
nouveau siecle soit renouvelé » Le latin donne les mêmes précisions
N° 149 ( Mai 1564)/ « Au Prognostic de l’an 1553 dressant toujours ses
coups sur l’avenir, l’Auteur disoit : Les maladies seront bien autant
à craindre etc » (…) Et sur 58 Icy se préparent trois principaux
fléaux/ Le latin donne les mêmes précisions.
150 ‘Juin 1564 « Non moins est à noter ce qu’apporte nostre dict
Prognostiqueur (& l’avons veu sur 1562 Sera la pestilence si grande (dit-il)
aux plus grandes citez. Le latin donne les mêmes précisions.
183 (Aout 1566) « Sur 1558, presageant ce temps, l’Auteur disoit Le
commun populaire se trouvera tant en arriere etc’ Idem en latin
193 (février 1566) : »
Le quatrain est interprété comme concernant les Flandres (en latin
Belgium) et le duc d’Albe :
« Dez l’an 1553 l’Auteur avoit dit. Le pais devers l’inferieure
Germanie demi occidentale & septentrionale se mutinera qui voudra
estre à un, qui à un autre. Il sera fort dépeuplé etc » On retrouve le
passage au premier livre du Recueil (n°80 et 81, cf Chevignard,
Présages, pp. 202) On trouve en latin cette fois un texte qui ne
correspond pas au français. « sic noster Vates comment. in an. 1555.
Populis Maximinus alter apparebit Principi suo Sulla foelix ». Il est
possible que cela soit la traduction d’un passage supprimé en français
vu que ce n’est probablement pas la première édition du Janus qui nous
est parvenue.
197 II 36 « Ie trouve que ce point mesme est touché par nostre Auteur,
bien qu’avec dissimulation, es Pronostiqs de 1561 & 1562 quand il dit
Sera l’erreur plus grand qu’auparavant etc Le latin est plus vague «
prognosticis duobus » sans mention de date/
200 (Octobre 1563) « L’auteur presque par tous ses Présages precedens
fait ses plaintes sur ce mois, comme icy l’an 1560. Pleust à Dieu
qu’il m’eut fallu passer outre sans rien dire etc » Idem en latin
204 (II, 11) « Je trouve cecy Iuillet 1559 Le Lion icy causera etc En
latin De quo haec invenio‘in commentario quodam. Sans autre précision.
225 (juin 1567) Et ce point de ceux cy dont parle nostre Auteur sur
1559 Combien que j’estime etc Idem en latin
246 (L’an 1566) : Dez l’an 1559, l’Auteur disoit Seront des plus
Grands etc Idem en latin
250 (Mai 1567) « De ce mariage l’auteur parloit encores ainsi l’an
1559 Vénus & Mars proches l’un de l’autre presagent etc Idem en latin
253 (février 1563) :Chose merveilleuse est ce qu’il disoit sur l’an
1555 etc Idem latin
254 (Aout 1564) : « selon un presage fait 1557 sur ce mois d’Aoust.
Quelques sinistres accidents adviendront etc « Idem en latin
274 (VI 11) : Au prognosticq de l’an 1560, l’Auteur disoit le mesme.
Du grand tronc plusieurs branches etc Idem en latin
On s’arrêtera sur le cas ci-dessous pour l’an 1573 car il apporte
quelque lumière sur le pronostic de la mort d’Henri II, à l’occasion
de l’arrestation de son adversaire: de 1559
276 III, 30 « Sur quoy fut tant célébré (il m’en souvient) ce présage
de l’Auteur qu’il avoit annoncé dez 1552 Certes le Grain (entendant
d’orge) sera cause de grande mutinerie & trouble & chacun scait qu’on
appelait autrement (que Montgommery) ce Comte, le Capitaine Lorges.
Chevignard note (Présages de Nostradamus, p. 196) que le texte du
Recueil de commentaires est : « Certes le grain sera cause de grande
mutinerie »
L’auteur de l’Explication dit se souvenir de la rumeur qui se
poursuivit probablement des années durant. Il n’est pas question d’un
quatrain I, 35 lequel d’ailleurs, selon nous, reprendra le même jeu de
mots en son troisième verset : Dans cage d’or les yeux luy crevera »
Car on peut lire « orge » dans « cage d’or, en tant qu’anagramme.
296 Octobre 1565
« Sur 1555, l’Auteur disoit Bonté changée etc idem latin
Le cas du n° 298 pour l’an 1580 autour d’un quatrain astronomique fort
connu (I, 16) retient notre attention en ce qu’exceptionnellement,
l’explication latine est plus longue que celle en français. En outre
la traduction latine du quatrain centurique est assez différente de
l’original. Mais relevons d’abord une nouvelle référence à un
commentaire : « Et a dit sur 1555 Les cieux & ses images font
demonstrance En latin « Alibi idem asserit Vates », sans précision
d’année. A plus d’une reprise, on notera que le texte latin est moins
précis que le texte français en matière de date de pronostic, ce qui
conduirait à penser qu’il dérive du français et non l’inverse.
Il convient de présenter, la plus grande partie des deux textes,
français et latin, quatrain centurique et sa traduction compris.
« Lors que Saturne (qu’il entend par la Faux) se trouvera au signe de
son exaltation, la Balance, qu’est es années de 1569 & 1570 & en son
auge, le Sagittaire qu’a esté 1574 & 1575 & au signe du Verseau (qu’il
appelle Estang) qu’est ceste année 1580 & quelques suivants, on
sentira davantage les iustes chastimens & fleaux de l’ire de DIEU, par
la fureur & violence des guerres, cruautez des maladies pestiferes &
par la famine »
Le latin donne « ab an. Domini 1568. ad 1582. », soit des dates
différentes du texte français. En revanche, le texte latin ne comporte
pas mention des années 1569-1570 et pas plus des années 1574-1575
Il semble que le quatrain latin reprenne l’explication plus qu’il ne
traduise le quatrain français :
« Arcum Saturno stellasque tenente micantes
Idei pueri, tecta & sublimia Libra »
On retrouve Libra, la Balance, qui n’est pas dans le quatrain mais
dans l’explication. De même on a Saturne, qui correspond à
l’interprétation proposée de Faulx.
Nous pensons donc pouvoir conclure que dans l’ensemble c’est
l’explication française du quatrain qui est peu ou prou reprise dans
le quatrain latin qui n’est en fait pas la traduction du quatrain
français. Le quatrain latin est tiré de la prose française, selon un
processus courant dans le champ nostradamique, où le quatrain –tant
dans les almanachs que dans les centuries- a pour fonction de rependre
la prose et n’est pas censé être autonome. Même l’explication en prose
du Janus va dans ce sens comme si le quatrain ne pouvait être
appréhendé isolément. A aucun moment le lecteur n’y est laissé face au
seul quatrain..
309 (May 1565) Nostre Prognostiqueur sur l’an 1558 en parloit ainsi
comme effrayé de tel acte « Par la mer (il entend dans un pays proche
de la mer) seront de grandes mutations (…) Et sur 59 On passera les
mers (..) Et sur 1560 Se feront de grandes & secrettes conspirations
Idem en latin
320 I, 52
« Sur 1560 iceluy l’avoit dit ainsi. Quelcun sera apprehendé etc « (…)
Et sur 59 il avoit ia dit Oncques à vie homme (…) que dans ce mois (il
entend Decemb.) etc « Idem latin
329 (Mai 1561) : La reine meurt (..) Sur 1559, se trouve aussi le
trespas d’icelle par ces mots Encore s travaillera la belle Venus
parachevee aux calendes de ianvier. Et sur 1561 il prédit que le decez
du Roy son fils n’en sera eslogné Danger est que quelque grand Dame
etc Idem en latin
330 (VIII, 18) Au Prognosticq de 1559 il dit quasi le mesme Et sera
coniointe Flora d’une perpetuelle amour’ Idem latin
332 ( V 96) ; Un présage de l’auteur fort beau escrit sur l’an 58
obscur toutefois m’a fait repeter en cest endroit ce quatrain Au temps
(dit-il) que plusieurs Citez etc Le latin ne donne pas l’année.
335 Janvier 1557
« Il appelle icy Paris la grand fornaise & aux Presages de 1559
fornaise d’or Idem latin
342 III 46
« ‘Ce qu’apparemment il a remarqué ailleurs quand il dit Le gros
traffic du grand Lyon change. Mais on dira que ceci luy a esté commun
avec plusieurs autres » Idem latin . Scribit alibi Vates.
344 XII 62 renvoie à III 100 Idem latin
On est en 1589, la dernière année abordée dans le Janus.
«345 X 43
« Je pourrois apporter lieux infinis où la mort de ce Prince & Roy
(Henri III) est presagée mais ie me contente de cestui-cy Pour le seur
(dit l’Auteur sur 1561 regardant icy) quelque sinistre inconvenient
(…) et peu apres notant ce mois (avril – may 1589) Idem en Latin
346 (IX 36)
« Un jeune Religieux Iacobin tua le (..) Roy Henry estant à Saint Clou
(…) Ce qu’au Prognostiq de 1562 l’Auteur montre plus clairement qu’en
ce quatrain, quand il dit Les Roys auront des ennemis & adversaires du
peuple (… )Et en celuy de 63 , il dit Sera entendu la mort idem latin
Il convient d’ajouter à cette série l’Epitre à Alphonse Dornano(19
février 1594) qui cloture le Janus Gallicus intitulé « De l’Advenement
à la Couronne de France (…) le tout tiré des Centuries et autres
commentaires de M. Michel Nostradamus. » dans lequel Chavigny glisse
un certain nombre de « commentaires-présages « aux côtés des
quatrains.
Chavigny demande (p. 288) : « En ses autres Commentaires qu’il a faits
dez 1555 iusqu’à 67 qu’a dit nostre Prophete ? » Ce qui est rendu en
latin « Quid Vates noster aliis suis commentariis quos ab anno Domini
1555 ad 67, oratione prosa confecit ? » Il est bien précisé qu’il
s’agit de prose.
Il semble que si le texte latin comporte Vates au lieu d’Auteur, c’est
qu’il est plus tardif. On note que dans l’Epitre à Dornano, l’on
n’hésite plus, en français, à utiliser le nom de Prophète. La
situation de 1589 n’est pas celle de 1594. En tête de l’Epitre on
parle de « ce grand Prophete de nostre temps Michel de Nostredame,
lequel j’avois congneu privément autrefois » (p ; 283)
Mais Chavigny ne fournit guère de matériau nouveau si ce n’est assez
vaguement pour l’an 1559 et pour l’an 1567 car ce qui l’intéresse ici,
apparemment, c’est surtout de montrer que tant Jean Dorat que Jean
Bodin ont été inspirés par Nostradamus et cela nous conduira à penser
qu’il ne saurait être l’auteur de cette somme consacrée précisément à
fustiger les Protestants et leurs chefs, le parallèle entre Louis de
Bourbon et Henri de Bourbon semblant assez patent tout comme le
meurtre du duc de Guise qui annonce l’assassinat de 1588 de son
descendant.
Chavigny commente Dorat en recourant à un présage prosaïque (p. 297) :
« Ceci est pris d’un présage escrit sur l’an 1559 qui est tel. Et ceux
qui sont et seront enchainez etc »
A propos de IX 76 (p. 287), il s’en prend à Bodin :
« Nostre Prognostiqueur a dit quelque part ‘ Le triumvirat durera sept
ans (…) M. Iean Bodin (..) qui a fait ces beaux livres de la
Republique semble avoir pesche en cette rivière, interprétant ainsi le
presage sus dit en une Lettre sienne imprimée 1590. (..) Il dit ainsi
& commence lesdits sept ans à l’an 1588 & mois de May etc »
« Le tiers (vers de IX 2 Loin de la Cour fera contremander)) sera tiré
d’un presage de l’Auteur fait sur l’an 1567 où il dit (p. 285) Du père
au fils s’approche etc
Quelles conclusions tirer à partir de la présente étude ? D’abord, la
clarification d’un certain imbroglio terminologique relatif à l’emploi
du mot Commentaire qui vise directement au départ le travail de
Nostradamus année par année et qui est parfois préféré à celui de
pronostic, de prédiction, de présage. Il faut préciser que le
commentaire n’est qu’un élément du texte qui fait suite aux quatrains.
On peut donc dire que le dit texte est également un commentaire qui se
sert des commentaires de Nostradamus sur les années 1550 à 1567, ce
qui se produira en 1596 quand le Janus François reparaitra sous le
titre de Commentaires du Sr De Chavigny.
Ensuite, la primauté du français est affirmée, le latin n’étant qu’une
adaptation du français, parfois abrégée – sauf dans un cas (cf. supra)
où des éléments du texte latin ne figurent pas dans le texte français
mais cela peut être du à la suppression d’un passage du texte français
par rapport à une édition antérieure perdue. (n °193 (février 1566) :
»
. « sic noster Vates comment. in an. 1555. Populis Maximinus alter
apparebit Principi suo Sulla foelix ». Il faudrait étudier le quatrain
latin pour restituer en partie certains éléments du texte français,
apparemment tronqué. On ajoutera que le texte français est édulcoré
par rapport au texte latin : le mot « prophète » n’y est jamais
utilisé alors qu’il l’est presque constamment dans le texte latin –une
seule fois trouve-t- on « Auctor »- qui a du conserver un état
antérieur, le fait que le texte soit en latin aura fait écran. On ne
retrouve le terme « prophete », en français, que dans l’épitre à
Dornano de 1594 qui a été ajoutée, comme indiqué au titre.
Nous pensons que Chavigny n’est pas l’auteur du « commentaire » des
commentaires et des quatrains ; et qu’il aura interpolé deux passages
consacrés à Dorat auquel il s’en prend par ailleurs dans l’épitre à
Dornano. Chavigny reproche à Dorat d’avoir vu dans Nostradamus le
triomphe d’Henri III mais son assassinat en 1589 met fin à de telles
espérances. Or, force est de constater que le corps du Janus est tout
entier voué au combat entre Catholiques et Protestants, avec notamment
les déboires de Louis de Bourbon, un des principaux chefs de la «
Religion Prétendue Réformée »/
I, 96 est ainsi expliqué (n° 132, p. 120) : « les Guise (le duc et le
cardinal) « s’estoyent proposez d’exterminer tous les Protestants de
France qui ont abandonné l’ancienne religion pour ie ne scay quelle
fantaisie’.. Au n° 127, on célèbre la capture de Louis de Condé
attribuée à Guise.,ce qui conduit à rendre LOIN par LODOICUS en latin.
Déjà en 1570, Dorat avait montré qu’il était inspiré par Nostradamus
dans son poéme sur l’Androgyn. Les quatrains annonçant la victoire des
Bourbons ne figurent que dans la préface et la postface dues à
Chavigny et fortement favorables à Henri de Bourbon, roi de Navarre.
On se demandera si la présentation des « commentaires » dans les
Pléiades est semblable à celle qui s’observe dans le Janus.
p. 8 : « Mich. De Nostredame au Prognosticq fait sur l’an 1555 a dit.
P. 20 « Celle mesme sentence a esté exprimée par Michel de Nostredame
au Pronostic qu’il a fait sur 1558 par ces mots « (pour toute une
série de « commentaires » de Nostradamus, voir p. 36) Rappelons que
dans le Janus, le nom de Nostradamus est systématiquement remplacé par
‘Autheur ». Or, ce n’est nullement le cas dans les Pléiades dont une
première mouture datant de 1589 a été conservée (cf supra)
Chavigny, dans l’épitre à Dornano révèle, il est vrai, un certain
talent en ce qui concerne les rapprochements de textes, lorsqu’il
recherche chez Dorat des emprunts à Nostradamus mais ses
démonstrations ne nous semblent pas toujours concluantes et valoir, en
tout cas, celles du volet central, qui œuvre sur trois niveaux : les
quatrains, les chroniques et les commentaires, sans oublier, toute
fois, le substrat astronomique qui nous est connu d’office par les
éphémérides et auquel il est bon de se référer puisqu’il est en
définitive la seule donnée vraiment fiable mais aussi les données
scripturaires fournissant un cadre et un terme chronologique- d’où
l’importance qu’il y a à dresser des chronologies comme dans l’Epitre
à Henri II- que ne fournit pas le cosmos lequel tourne indéfiniment.
Le principe d’économie étant déterminant, il est probable que l’on
découvre, par delà le cas du quatrain extrait de l’Epitre Liminaire de
l’an 1555, d’autres cas de quatrains recyclés pour se changer en
quatrains centuriques ou d’almanachs comme c’est d’ailleurs le cas
pour l’almanach Barbe Regnault 1563 ou pour les éditions ligueuses des
Centuries. .
JHB
31. 10. 12 |
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147 - La fausse image d’un Nostradamus historien non prophète
Par Jacques Halbronn
Une récente émission de télévision –L’ombre d’un doute- a été
consacrée à Nostradamus avec comme sous titre « La vérité sur ses
prophéties ». Les intervenants (Jean Céard, Michel Chomarat, Roger
Prevost, Olivier Millet, dont certains sont des spécialistes du XVIe
siècle) soulignent le fait que certains quatrains relateraient des
événements antérieurs au temps de Nostradamus ou lui étant
contemporains. Et à partir de là, on tendrait à nier que Nostradamus
se soit sérieusement intéressé à l’avenir de l’Humanité et qu’il ait
avancé des échéances relativement rapprochées.
Ce qui est étonnant, c’est qu’un tel débat repose exclusivement sur
les quatrains et ne se référe aucunement aux textes en prose. En effet,
il n’est certainement pas conseillé d’aborder la pensée de Nostradamus
en commençant par les centuries de quatrains, du moins dès lors que
l’on dispose de tous les textes en prose qui nous ont été conservés,
tant en français qu’en d’autres langues, tant manuscrits qu’imprimés.
A la fin, les intervenants ne sont pas en mesure d’expliquer la raison
d’être de ces séries de quatrains et de les resituer au sein de
l’ensemble de l’œuvre de Nostradamus.
Certes, tous les quatrains centuriques ne sont pas en résonance avec
la prose de Nostradamus et l’on sait que certains ont été par exemple
recopiés de certains ouvrages qui n’avaient même pas de dimension
astrologique ou prophétique mais plutôt historique ou géographique.
Mais de quel droit réduire l’œuvre de Nostradamus à de tels quatrains
lesquels servaient peut –être de façade ? En tout état de cause
Nostradamus ne saurait être circonscrit à des quatrains qui ne sont
pas le support le plus probant, d’autant qu’ils comportent rarement de
dates explicites. Ces quatrains peuvent difficilement être compris
sans leur arrière-plan en prose que l’on trouve dans ses almanachs et
ses pronostications, ouvrages qui parfois comportaient des annexes
dépassant singulièrement le cadre annuel caractérisant le genre comme
dans le cas de l’almanach pour 1562 qui fut largement répandu, pendant
la décennie, en Italie probablement plus encore qu’en France. Il
semble d’ailleurs que Nostradamus connut des difficultés du fait de
certaines de ses publications et cela ne s’explique que parce que ses
textes alarmaient les populations ce qui n’aurait pu être le cas du
fait des seuls quatrains. Rappelons que le Janus Gallicus, le premier
grand ensemble de quatrains interprétés (1594) n’est pas seulement un
recueil de quatrains mais fait appel également à nombre de « présages
prosaïques » ? Il aurait d’ailleurs suffi de citer des passages de
l’Epitre à Henri II traitant notamment de l’Antéchrist pour
relativiser sensiblement la thèse d’un Nostradamus « historien » et
d’ailleurs le seul fait de mettre en vers quelque événement suffit-il
à faire de quelqu’un un historien ? Tout au plus un amoureux de
l’Histoire. Car si le passé ressemble au futur,, le futur- ou plutôt
sa représentation- peut, quant à lui, ressembler au passé.
Prenons le cas du quatrain I, 4 : »
Par l’univers sera faict un monarque
Qu’en paix &vie ne sera longuement
Lors se perdra la piscature barque
Sera regie en plus grand détriment
Nul doute que l’on puisse relier ce quatrain à des événements du passé
mais rien n’interdit de penser que l’on songe ici à des événements que
l’on déclare vouloir advenir et qui peut –être n’adviendront pas.
Autrement dit, une prévision qui ne s’accomplit pas deviendrait ipso
facto une discours rétrospectif. L’échec prédictif nous renverrait au
passé. Certains astrologues ont la manie de citer des listes de noms
de villes, de pays, déterminés par les classements astrologiques (chorographie).
Ces noms peuvent tout à fait renvoyer un lecteur à un événement ancien
mais cela n’empêche pas qu’il puisse viser à décrire un futur. Par une
certaine ironie, il serait plus facile de prédire le passé que le
futur, dans la mesure où nous sommes mieux informés de l’un que de
l’autre, que nous avons plus prise sur ce qui a déjà eu lieu que sur
ce qui pourrait avoir lieu mais qui reste virtuel et abstrait.
Le quatrain I, 16 ne peut être compris que dans le cadre de la théorie
des grandes conjonctions. Le passage de la conjonction Jupiter Saturne
en Sagittaire vise le début du XVIIe siècle. Le quatrain I, 50 se
réfère aussi au cycle des deux planétes les plus lentes, à l’époque :
« De l’aquatique triplicité naistra (etc) . Le quatrain I, 51 peut
tout à fait signifier pour le futur( « Chefs d’Aries (Mars), Iupiter &
Saturne./ Dieu éternel quelles mutations. Puis par long siecle son
maling temps retourne etc ». Idem pour I, 52, « Les deux malins de
Scorpion conioinct (..) Peste à l’Eglise par le nouveau roy ioinct etc
». et cela vaut pour I, 53, I 54, 55, 56, 57. S’il faut de
l’imagination pour lier les quatrains à quelque futur, il en faut tout
autant concernant leur application au passé. La seule approche valable
serait de se situer dans le présent, non pas dans ce qui a été ou sera
mais dans ce qu’on voudrait ou craindrait qu’il advint.
Ce qui est clair, c’est que le rapprochement d’un quatrain avec un
événement quel qu’il soit peut être contesté. Ce qui nous intéresse,
c’est restituer le discours prédictif et nullement de le valider au
regard de tel ou tel événement.
Et le quatrain qui vient ensuite (I, 17) annonce bel et bien – à tort
ou à raison- une période cruciale : » Par quarante ans l’Iris
n’apparoistra etc » Le quatrain I, 32 n’ a aucune raison a priori de
désigner le passé : « Le grand empire sera tost translaté etc’ ou
encore I, 43 « Avant qu’advienne le changement d’empire etc »
Passons au second volet, à la centurie VIII. Est-ce que, par exemple,
le quatrain 15 est « historique » ou « prophétique » ?
Presque l’Europe & l’univers vexer et quid du quatrain VIII 71 « L’an
mil six cens & sept, par sacre glomes » ?
VIII 15 « Les deux éclypses mettra en telle chasse
Mais surtout VIII, 76 et 77 tout entiers consacrés à l’Antéchrist.
- Plus Macelin que roy en Angleterre
Lieu obscur nay par force aura l’empire
A rapprocher de I,60
Qu’on trouvera moins prince que boucher
Signalons que macelin veut dire boucher et que Nostradamus dans
l’almanach pour 1562 associe l’Antéchrist à ce mot (Marcellinus sans
R)
- L’antechrist trois bien tost annichilez
Vingt sept ans sang durera la guerr
Au cours de la dite émission , il n’a même pas été question d’étudier
si les prédictions de Nostradamus s’étaient réalisées, dans les
décennies voir » les années qui les suivirent ou si les textes
n’avaient pas été retouchés pour correspondre à de nouvelles dates et
des échéances ainsi repoussées/
En fait, au lieu de relier les quatrains à la prose de Nostradamus
avec tout ce qu’elle peut comporter d’événements virtuels, trop de
chercheurs se contentent de rapprocher les quatrains des ouvrages
d’histoire et font fausse route en adoptant la démarche des
interprètes de Nostradamus, même si c’est pour la réfuter..
De mauvaises habitudes ont été prises consistant à réduire Nostradamus
au seul livre des centuries et de confronter le dit livre aux ouvrages
d’Histoire. C’est une certaine pénurie des documents nostradamiques
qui a produit de tels pis allers. L’émission a en fait essentiellement
tourné autour de l’œuvre de Jean-Charles de Fontbrune, Nostradamus
historien et prophète (Ed du Rocher 1980, paru juste avant le
Testament de Nostradamus de D. Ruzo, chez le même éditeur, Le Rocher,
1982) : il ne s’agissait pas tant de déterminer ce que Nostradamus
avait dit que de contester ce qu’on lui faisait dire. En outre, à
aucun moment a-t-on abordé la question des fausses impressions des
Centuries et le fait que celles-ci n’ont été publiées que dans les
années 1580.
Mais revenons à la critique des quelques quatrains qui ont été abordés
à cette occasion.
Roger Prevost a probablement raison de relier le quatrain prétendument
lié à la mort d’Henri II – encore faut-il préciser que ce quatrain
n’est même pas signalé dans le Janus Gallicus en 1594, ce qui veut
dire qu’il n’a joué aucun rôle au XVIe siècle. Ce quatrain concerne
Constantinople et sa prise par les Vénitiens alliés des Croisés, en
1204. Mais encore faut-il tenir compte du fait que l’épitre à Henri II
accorde une certaine importance à Venise et que Nostradamus avait du
évoquer le précédent de la Quatrième Croisade dans ses notes. Ce n’est
donc nullement par hasard qu’il est question de Venise, même si le nom
de Venise ne figure pas dans ce quatrain mais figurant en toutes
lettres dans l’épitre au roi : « Venise en apres en grande force &
puissance levera ses aysles si tres hault ne distant gueres aux forces
de l’antique Rome & en iceluy temps grandes voiles Bisantines
associées aux ligustique par l’appuy & puissance Aquilonaire (…) en
l’Adriatique sera faicte discorde grande, ce que sera uny sera séparé
etc ». Le contexte est évidement différent puisqu’en 1204, les
Chrétiens contrôlaient Constantinople prise par les Turcs en 1453. Il
eut donc fallu resituer ce quatrain évoquant cette ville au regard des
enjeux du temps de Nostradamus qui invoque ici un précédent. En ce
sens, Nostradamus est historien si l’on admet que l’historien
s’intéresse aux récurrences au sein d’un même espace comme celui de la
Méditerranée (cf l’ouvrage de F. Braudel). Le mot Venise- peut aussi
être rapprochée de Vénus et de Adrie (pour Adriatique)
« Octobre 1555 :
Venus Neptune poursuivra l’entreprise
(…) Classe en Adrie ».
Novembre1555 « Secours Adrie »
Il eut été heureux que Prévost reliât le quatrain à tout ce qui
touchait à Venise (cf M. Dufresne, Dictionnaire Nostradamus, Québec,
1989 ; 378). Il n’a pas su exploiter et resituer pleinement sa
découverte mais il sait se servir de celle des autres. Prevost, quand
il aborde le quatrain Varennes ne mentionne pas ce que l’on doit à
Chantal Liaroutzos (en 1986, dans la revue Réforme Humanisme
Renaissance-donc bien avant son livre de 1999, chez Laffont) et donne
la fausse impression d’être l’auteur de l’analyse qu’il propose. A ce
propos, nous avons récemment découvert à la Bibliothèque de l’Arsenal
(cote 8°S 13755, non catalogué, après la pièce 16 d’un recueil factice
d’almanachs de la fin du XVIIe siècle) un fasicule qui apporte peut
être un nouvel éclairage sur le fait que l’on ait recouru à la (sic)
Guide des Chemins de France de Charles Estienne (ou à une autre de ses
œuvres, intitulée les Saint Voyages), lequel fasicule s’intitule Le
transport de la Chambre Angélique de Nostre Dame de Lorette. s.l.n.d.
On y trouve, à la fin deux textes assez brefs: «La guide des Chemins
sortant de la ville de Rouen pour aller à Rome » et « La Guide des
Chemins de Rome à notre Dame de Lorette ». Ce sont des renseignements
utiles et il est possible que l’on ait envisagé d’agrémenter certaines
publications de Nostradamus de ce genre d’information pratique et que
par la suite, on en ait fait des quatrains comme on a pu en faire de
toutes sortes de notes retrouvées dans l’étude de Nostradamus et qui
se sont mélés avec des travaux autrement plus importants de son point
de vue.
En ce qui concerne le quatrain associé à Napoléon, il est clair que sa
lecture est très contestable –encore qu’il faille se demander si
l’exégèse nostradamique ne se contente pas d’isoler quelques mots d’un
quatrain, un texte en vers ne devant pas nécessairement être lu comme
un texte en prose. Ce quatrain qui associe un « boucher » à un Empire,
vise en fait l’Antéchrist (Sic). Le mot « prince » est acolé à
Antéchrist dans l’épitre à Henri II : « L’antechrist sera le prince
infernal’ » tout comme le mot « empire »
»Puis le grand empyre de l’Antéchrist commencera », si l’on rappelle
(cf. supra), que boucher, en ancien français (cf. Godefroy) se dit
macelier et est aussi à rapprocher de bourreau, Nostradamus associant
l’Antéchrist, dans son almanach pour 1562 à un boucher.(macelin).
C’est bien au prisme de la prose que le quatrain fait pleinement sens.
Le quatrain, en tant que tel, ne saurait se suffire à lui-même. Quant
au texte en prose de l’Epitre, il doit être appréhené au regard de
l’almanach pour 1562, dont il dérive peu ou prou, la date de 1558 ne
faisant pas foi.
En ce qui concerne le quatrain sur 1999, on peut effectivement, comme
le propose Prevost, associer ce texte encore une fois à la croisade :
prise de Jérusalem en 1099. Il semble que Nostradamus ait eu
l’intention de déclencher une nouvelle croisade d’où son adresse au
pape Pie IV et il est normal qu’il ait passé en revue l’histoire des
Croisades, où les Français jouèrent un rôle éminent. Il est pour le
moins étonnant qu’au cours de l’émission, l’on n’ait pas tenté de
resituer Nostradamus en prise avec son temps, en dehors de l’affaire
du quatrain associé à la mort d’Henri II, en tournoi, à Paris. Il
semble que l’on ait confondu l’apport des interprètes des centuries
avec la question de l’œuvre, proprement dite, de Nostradamus.
A 90 ans de distance, on retrouve, en copié collé, l’argumentation
développée par Eugene F. Parker, en 1923 ; dans un article intitulé «
La légende de Nostradamus et la vie réelle » (in Revue du XVIe siècle
(série X),
A 90AA
« Pour se donner de bons sujets de prophétie a-t-il eu recours à
l’histoire passée, d’où il a extrait des événements frappants en les
déguisant si habilement qu’ils ne se laissent pas facilement
reconnaitre » (p. 17). On oublie qu’avant tout Nostradamus est un
astrologue et il convient de le replacer au sein de l’Histoire de
l’Astrologie, sans ignorer la dimension scripturaire de son discours
qui pése davantage que quelques références à l’Histoire de son
temps..»
JHB
03. 11. 12
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148 - L’influence de Jean-Charles de Fontbrune sur les
nostradamologues
Par Jacques Halbronn
Un récent débat à la télévision (L’ombre d’un doute) a semblé centré
sur la démystification de certaines interprétations de quatrains que
l’on retrouve chez Fontbrune. De la fuite de Varennes (IX, 20), à la
naissance de Bonaparte (I, 60) en passant par la mort d’Henri II, On
peut se demander si une telle approche critique de cet auteur n’en
vient pas à passer à côté des vrais enjeux de la recherche
nostradamologique et si ce n’est pas l’arbre qui cache, un peu
complaisamment, la forêt d’une certaine incompétence des participants
et des organisateurs qui les ont choisis, tant au niveau des éditions
des centuries que du contenu du propos de Michel de Nostredame..
Cela dit, il n’est pas inintéressant de se pencher sur « Nostradamus,
historien et prophète », paru il y a une trentaine d’années, dont on
ne contestera pas la culture historique. Il nous apparait que
Fontbrune met ainsi en évidence, sans le vouloir, les retouches et les
ajouts qu’a du subir le corpus centurique initial, d’autant qu’il
prend en compte les sixains 6 et 52 en attribuant à Nostradamus le
mérite d’avoir annoncé la « trahison de Biron » (p. 84) en 1602 ou
d’avoir annoncé la Saint Barthélemy (p. 68). Un cas d’école est le
quatrain IX, 86, que Fontbrune à juste titre associe au couronnement
de Chartres du début 1594, d’autant que nous pensons qu’il s’agit d’un
quatrain retouché, modifiant Chastres (l’actuel Arpajon) en Chartres,
qui fut le théâtre du couronnement du roi de Navarre. . Il semble que
Fontbrune air procédé comme l’interprète de la Première Face du Janus
François : on met en avant les événements les plus marquants et puis
l’on va à la pèche aux quatrains. Mais dans le Janus, le travail est
mené sur deux plans : le rapport du quatrain à l’événement et le
rapport du quatrain aux présages prosaïques, ce que ne réalise ,nullement
Fontbrune lequel ne se demande pas si Nostradamus a pu annoncer des
échéances qui n’auraient pas été validées par l’Histoire mais encore
eut-il fallu qu’il disposât de la documentation voulue.
Un des quatrains dont l’interprétation (pp. 56-57) nous semble parmi
les moins contestables est VII 29 et nous renvoie à des événements
italiens de 1557.
« Le grand duc d’Albe se viendra rebeller
A ses grands pères fera le tradiment
Le grand de Guise le viendra debeller
Captif mené et dressé monument »
Si l’on évacue toute « voyance » de Nostradamus à ce propos, avant
l’événement, il s’agit bien d’un quatrain composé post eventum. Mais
n’est-ce pas là un ajout opéré sous la Ligue par le camp Guise, cette
centurie VII étant une addition à un premier ensemble de 600
quatrains? Ce quatrain ne sera pas commenté par Chavigny ou du moins
ne figure pas dans les moutures qui nous sont parvenues de la Première
Face du Janus François..En tout état de cause, à quoi bon s’évertuer à
nier que tel quatrain vise tel événement dès lors que le dit quatrain
a pu être composé après coup ? Le probléme, c’est que la plupart des
nostradamologues ne veulent pas corriger la chronologie des éditions
et donc ne peuvent se permettre d’affirmer que tel quatrain est plus
tardif qu’on ne le prétend. Quel dilemme !
Le chapitre le plus intéressant est peut être le dernier intitulé « la
fin de la civilisation occidentale » (pp 523 et seq) car il ne se
réfère pas à des événements connus. Or, ,nous avons remarqué que tout
ce qui était chez Nostradamus et ne correspondait à aucune donnée
historique était mis de côté. Il est dommage que ce chapitre n’ait pas
nourri le débat. Fontbrune mentionne l’Antéchrist pour plusieurs
quatrains où ce nom d’ailleurs ne figure qu’une fois (VIII, 77) ;(I,
95, V, 84, III, 42, X, 10, II, 7, VIII 41, X 66, IX 50)
Le problème avec Fontbrune, c’est qu’il n’a absolument pas compris
l’astrologie qui sous –tendait son propos. C’est l’astrologie,
cependant, qui fournit le calendrier et le contenu de tout ce qui
émane de lui. L’Antéchrist n’intéresse Nostradamus que s’il y a une
éclipse à la clef. Quand on demande aux nostradamologues ce qu’était
l’astrologie de Nostradamus, ils ne savent que rappeler qu’il faisait
des almanachs et dressait des thèmes pour ses clients ou ses patients,
puisqu’il était médecin.
Fontbrune ne reproduit pas l’épitre à Henri II, si ce n’est par
bribes.
Le sixain 46 qui est à l’évidence marqué par l’astrologie
Quand Mars sera au signe du Mouton
Joint à Saturne, et Sature à la Lune
Le Soleil lors en exaltation
On lit en note(p. 401) que « le mouton a été donné pour attribut à
l’Innocence (…) Il a été donné pour attribut au Bon Pasteur ». Or, ici
le Mouton traduit le latin Aries, que l’on rendra en astrologie
moderne par Bélier. Et quand il est question , en V, 98 du Cancer,
Fontbrune pense au Tropique du Cancer ! Le quatrain V, 23 « les deux
contents seront unis ensemble/ Quand la plupart à Mars seront
conjointe ne justifie chez Fontbrune aucune explication astrologique
(p. 405). Idem pour IV 33 (p. 407) ! Jupiter, joinct plus Venus qu’à
la Lune etc
III, 42 Le monde proche du dernier période/ Saturne encore tard sera
de retour » (p. 422) ne justifie pas davantage d’exposé technique. On
garde le propos et l’on oublie ce sur quoi il s’articule, à savoir un
raisonnement astrologique.
Pour I, 48 Vingt ans du regne de la Lune passez ….est traduit par «
Après 20 ans de pouvoir républicain
Il commente même des présages en vers, sans en donner l’année mais
donne le mois, juin (se contenant de donner le numéro de l’édition
1611, le 8). Loin près de l’Urne, le malin tourne arrière etc,
renverrait à l’ère du Verseau (p. 473), alors qu’il s’agit d’une
rétrogradation. Pas davantage d’astrologie en VIII, 49 ! Satur au bœuf,
Iove en l’eau, Mars en fleiche. (p. 475). Le sixain 4 n’est pas
davantage renvoyé à son substrat astronomique. Le quatrain IV 86 ne
trouve pas non plus grâce face à Fontbrune « L’an que Saturne en eau
sera conjoinct/avecques Sol etc » (p 507) Pas plus I, 51 ‘ »Chefs
d’Aries, Jupiter et Saturne (p. 534).Rien d’étonnant à ce que
l’astrologie ait quasiment absente de l’émission si on n’accède à ces
quatrains que par le commentaire qu’en donne Fontbrune :! En revanche,
on l’a vu, Fontbrune est marqué par une certaine idée de la fin du
monde- il s’est intéressé à la prophétie de saint Malachie qui se
termine par l’annonce de l’Antéchrist et il se réfère (p. 536) à X, 72
avec l’an 1999, ce qui est longuement commenté dans l’émission.. « En
juillet 1999, un grand chef terrifiant….etc »
Or, il faut lire la prose de Nostradamus pour comprendre de tels
quatrains et on ne peut s’en dispenser pour confronter directement les
quatrains aux données historiques.
Quand le nom du signe est en français, il devient aisé de l’intégrer
dans le paysage. Il en est autrement quand il est donné en latin. Or,
si la prose de Nostradamus appelle les signes de leur nom latin, les
quatrains centuriques, en revanche, recourent à leur nom français., ce
qui explique que l’on puisse, dans de nombreux cas, nier leur teneur
astrologique. Mais que signifie un tel contraste entre deux
terminologies, celle des almanachs et des pronostications d’un côté et
celle des quatrains centuriques de l’autre ? On notera d’ailleurs que
les quatrains des almanachs, de 1555 à 1567, ne mentionnent
explicitement aucun signe zodiacal (à l’exception de juin 1555, où il
est question de l’Urne, ce qui peut évoquer le signe du verseau) à la
différence de ce que nous enseigne notre recension des quatrains
centuriques. Selon nous, les quatrains centuriques auront été réécrits
et ne correspondent pas à la mouture initiale : on ne voit pas
pourquoi Nostradamus aurait pris la peine de recourir à une
terminologie pour lui inhabituelle.(cf supra), y compris dans cette
façon de remplacer le nom d’une planète par un symbole, comme faux
pour Saturne, estaing pour Jupiter. Là encore, on assiste à une
tentative de banalisation du discours astrologique, perçu par
Fontbrune comme mythologique chaque fois que figure un nom de planète,
ce qui est d’ailleurs juste dans le cas de Neptune. A contrario, un
Patrice Guinard se met à soutenir que Nostradamus évoque, ce faisant,
la planète qui fut baptisée ainsi en 1846.
Fontbrune se lance dans l’interprétation de la pensée de Nostradamus
sans prendre la peine d’en prendre connaissance, pas plus qu’il ne
resitue pas la production des éditions centuriques au sein de
l’ensemble de ce qui est paru sous son nom. Ces deux lacunes sont à
observer également chez la plupart des nostradamologues qui semblent
avoir pris pour postulat que les centuries constituaient un corpus qui
se suffisait à lui-même. Le mot « corpus », terme d’ailleurs, cher à
Patrice Guinard, autorise toutes les omissions.
En fait, la perspective de l’an 1567 obsède Nostradamus depuis 1559,
avant même la mort d’Henri II. Dans une épitre à Claude de Savoie,
comte de Tende, gouverneur de Provence, datée du 10 mars 1559, placée
au sein de l’Almanach pour 1560, il est vrai longtemps inaccessible
jusqu’à il y a peu et issu de la collection Ruzo (cf en ligne, sur
bibliotheque Nostradamus. Prophéties.it), Nostradamus met en avant
cette échéance
« tant formidable de l’an 1567 » et annonce la venue de
« quelqu’un tout nouveau qui apparoistra estre non dissemblable a
flagello Dei qui ne sera du tout ses cruelles apparences », « un
second Attila », « le tout est assez amplement manifesté par le
jugement des eclipses ». Il est vrai que Nostradamus avait déjà
adressé, cinq ans plus tôt, une épitre assez effrayante à ce
personnage en mars 1554, probablement en tête de l’almanach pour 1555,
dont on connnait seulement une traduction allemande. Elle ne figure
pas dans le Recueil des Présages Prosaiques (cf Chevignard, Présages
de Nostradamus, p. 229) qui n’en fournit aucune, pour on ne sait
quelle raison si ce n’est un quatrain dit « de l’Epitre Liminaire sur
l’an 1555 ». Or, ce quatrain comporte précisément le nom de Tende. «
Provence seure par la main du grand Tende »,
Ces termes inquiétants on les retrouvera deux ans plus tard dans
l’almanach pour 1562, dans la ‘préface » jointe à l’épitre à Pie IV.
Entre temps, Henri II est mort en tournoi, ce qui a du énormément
décevoir Nostradamus lequel voulait le revoir et avoir ‘la grâce,
écrit-il dans son épitre de 1559, qu’avant que je meure je puisse
encores une autre fois voir & parler au souverain monarque Gaulois
».Or, à partir du moment où 1567 est une échéance majeure, cela
disqualifie d’office les deux épitres de 1558, celle à Henri II et
celle J. M. Marsa, aucune des deux ne faisant mention de l’éclipse de
1567 alors même qu’elles désignent une éclipse de 1605 et ses effets
sur les deux années suivantes. Pour notre part, notre « critique
nostradamique » s’est longtemps cantonnée à des considérations
conduisant à rejeter la chronologie proposée notamment par les
bibliographies de Chomarat et de Benazra, deux nostradamologues
lyonnais.(parues en 1989 et 1990). La morale de cette histoire c’est
qu’il ne faut pas se limiter à analyser ce qui a été exposé par les
uns et les autres, il importe aussi de conduire ses propres
investigations. Il reste que par deux voies bien différentes, nous
sommes parvenus aux mêmes conclusions, à savoir que l’on nous présente
un Nostradamus fantomatique, une sorte de voyant qui profère des
propos sans aucune architecture sous-jacente. Il est vrai que ce
faisant, l’on protège la mémoire de Nostradamus, on efface l’échec
prévisionnel des années 1560 par une sorte de tour de passe-passe, un
« plan B », les quatrains centuriques se substituant aux textes en
prose dont on ne donne plus qu’une version tronquée. Cela nous fait
penser à cet astrologue contemporain qui ayant échoué dans son système
prévisionnel central se voit créditer d’une prédiction de jeunesse
dont il ne parlait plus mais qui près de 40 ans plus tard allait «
tomber » juste.
La très récente parution, aux Etats Unis, de l’ouvrage du belge
Stéphane Gerson, enseignant à l’Université de New York, au département
de français, Nostradamus. How an obscure Renaissance astrologer became
the Modern Prophet of Doom (St Martin ‘s Press, 2012) est emblématique
d’une approche biaisée de l’œuvre de Nostradamus. Il y déclare
s’appuyer sur les résultats bibliographiques de Patrice Guinard[1] (in
Revue Française d’Histoire du Livre, 2008). Gerson part donc du « fait
» sociologique que constitue le succès des quatrains et c’est en fait
le Nostradamus associé aux centuries qui est son objet d’étude. Au
cours de son enquête, à aucun moment, il ne remet en question les «
acquis » antérieurs tant en ce qui concerne la date des « premières »
éditions qu’en ce qui concerne la place des quatrains au sein de
l’œuvre de Michel de Nostredame. C’est ce qui se passe en aval qui
intéresse Gerson, tant en aval de ce qui s’est joué au XVIe siècle
dans l’élaboration du canon centurique qu’en aval en ce qui concerne
la recherche bibliographique représentée par Chomarat, Benazra et
Guinard. En fait, Gerson ne se sent pas de taille à reprendre le
dossier, il construit son travail sur des bases dont il sait
probablement qu’elles sont incertaines, au vu de la critique
nostradamique que nous représentons (il cite quelques uns de nos
textes dans sa bibliographie) et il se limite à étudier la réception
des centuries au cours des siècles, ce qui reléve d’un travail
d’ethnométhodologie (Garfinkel) plutôt que d’historien des textes. Le
titre de son ouvrage pouvait laisser croire qu’il allait dresser le
portrait d’un Nostradamus happé par les éclipses et l’Antéchrist, au
vu de sa prose – il ne cite pas dans sa bibliographie le manuscrit
majeur de l’almanach pour 1562 (réimprimé, il y a plus de 100 ans !),
ni d’ailleurs les Prophéties d’Antoine Couillard datées de 1556 (qu’il
orthographie Couillart). Les connaissances en astrologie du XVIe
siècle, de Gerson sont, il est vrai, très moyennes et l’on comprend
qu’il n’ait pas voulu pénétrer dans le discours proprement
astrologique de Nostradamus. C’est ainsi que dans un descriptif des
règles de l’astrologie, Gerson déclare que les maisons astrologiques
recourent à la symbolique zodiacale, ce qui est totalement faux, même
si dans la pratique actuelle, certains astrologues tendent à assimiler
ces deux procédés. Ajoutons que le même Gerson propose également en
parallèle une édition bilingue (français-anglais) des Centuries. C’est
donc, pour la connaissance globale de l’œuvre de Nostradamus un
travail de seconde main qui ne constitue un événement scientifique que
dans le contexte nord américain, très en retard par rapport à ce qui
se passe en Europe..
JHB
08.11.12
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[1] Cf le bilan que Guinard dresse de son propre travail, in Corpus
Nostradamus 165 Nostradamus célébrissime et méconnu, à l’occasion d’un
Colloque « Apotelesma » tenu à Génes (Italie) en octobre 2012
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149 - Le rapport du français au latin dans les formulations
zodiacales au sein de la littérature nostradamique.
Par Jacques Halbronn
Quand, dans les années 1690, Balthazar Guynaud rend compte de l’épitre
à Henri II de 1558, il transpose, dans son commentaire Aquarius en
Verseau et Cancer en Ecrevisse.(Concordance des prophéties de
Nostradamus avec l’Histoire, 1693,, p. 179). On ignore pourquoi on est
revenu par la suite au Cancer, comme c’est le cas de nos jours alors
même que les autres signes portent un nom français ou en tout cas
francisé, peut être est-ce à cause du tropique du cancer ?. En
revanche, pour les quatrains centuriques, il n’aura pas a effectuer ce
travail.
Lorsque l’ on examine les noms des signes zodiacaux, en usage de nos
jours, on a l’impression d’un ensemble hybride avec d’une part des
noms qui appartiennent à la langue française courante (Bélier, taureau,
lion, vierge, balance, scorpion, poissons) et d’autres qui sont plus
spécialisés et jargonnants (Gémeaux, Sagittaire, Capricorne mais aussi
Cancer (qui n’est utilisé, autrement, qu’en médecine). Mais comment en
est-on arrivé là ? Il faut pour le comprendre revenir aux pratiques du
xVIe siècle, du temps de Nostradamus, et conclure que le processus
d’intégration dans la langue française n’a pas été mené jusqu’au bout,
ce qui pourrait être valeur de symptôme. Ce recensement terminologique
peut se révéler utile pour la datation de certains documents dont la
date fait problème. En effet, il semble que chaque astrologue ait sa
façon à lui, au XVIe et au XVIIe siècle de doser le rapport
latin-français dans l’appellation des 12 signes. L’avantage d’un tel
critère pourrait être de faire apparaitre des contrefaçons, des
anachronismes. Signalons que si les Allemands ont trouvé des
équivalents dans leur langue pour les signes, avec plus de réussite
qu’en France où la formule trouvée est assez hybride, les Anglais,
quant à eux, s’en tiennent au latin, à l’instar d’ailleurs des
astronomes. Rappelons aussi que chaque signe a un glyphe et que cela
laisse à chacun le soin de le lire comme il l’entend.
Le latin est la règle dans les années 1550-1560 pour les noms des
signes tant chez Nostradamus que chez ceux qui le copient. Le problème
ne se pose pas pour le signe du Scorpion, tant les deux appellations
sont proches dans les deux langues. On s’interroge en revanche, sur la
formation de nom comme « sagittaire » ( à partir de sagitarius), «
gémeaux » (à partir de gemini), « capricorne » (à partir de
capricornus), qui sont des mots latins francisés et qui n’ont pas
d’usage en dehors de l’astrologie. C’est ainsi que capricorne peut
être préféré à capricornus au sein d’une série latine. Comme on l’a
dit, chacun fait son dosage, ce qui constitue sa signature zodiacale
en quelque sorte. Mais c’est aussi une question d’époque et l’on ne
trouvera jamais le mot « écrevisse » au XVIe siècle en tant que signe
du zodiaque. Cela dit, les traductions françaises peuvent varier : on
trouve ainsi « mi-bouc » à la place de capricorne qui ne rend pas
compte du fait que ce monstre n’est chèvre qu’à moitié. Aquarius a
certes donné Verseau mais on trouve aussi Urne. (Mais non estang,
comme certains interprètes du quatrain I, 16 le préconisent),
Sagittaire donne parfois Archer, Arq ou encore flèche, jamais centaure.
Mais l’emploi de sagittaire – un barbarisme - peut cohabiter, comme
chez Richard Roussat (Livre de l’Estat et Mutation des temps), avec
une terminologie proprement latine.
Si l’on se focalise sur le cas Nostradamus, la règle dans ses
publications (entre 1550 et 1567) est la forme latine des signes
zodiacaux. Cela vaut aussi pour l’Epitre à Henri II avec les signes
Cancer, Aquarius, scorpio, Pisces, Libra. En revanche, on trouve
Capricorne.
En revanche, si l’on passe en revue près d’un millier de quatrains, on
ne trouve quasiment qu’un zodiaque latin, à l’exception de Capricornus
rendu par le latin Caper, le bouc, (II, 35 et X, 87), qui n’est pas
une traduction habituelle. Ce qui est clair, c’est que de telles
traductions en français, dans les Centuries, conduisent de facto à
gommer le caractère astrologique du discours nostradamien.
Plus le cas de pisces (Poissons), une fois rencontré (VIII, 91), c’est
surtout le cas de Aries (Bélier), le premier signe du zodiaque, qui
nous intéressera.
On a a contrario le cas d’un quatrain qui aura échappé à un tel
processus de francisation et qui est probablement un quatrain
d’origine :seule la Vierge (en latin Virgo), ici, est en français,
peut- être pour la rime :
VI 35
Pres de Rion & proche à blanche laine
Aries, Taurus, Cancer, Leo, la Vierge
Mars, Iupiter, le Sol ardra grand plaine
Bois & citez, lettres cachez au cierge
Ou encore I, 51
« Chefs d’Aries, Iupiter & Saturne »
Cela concerne la grande conjonction devant se produire au commencement
(chef) du signe du bélier, en 1584. Alors que le quatrain sur la même
conjonction dans un autre signe de feu, le sagittaire (I, 16) est pour
20 ans plus tard. Quel quatrain désigne la conjonction des années 1560
en cancer, signe d’eau, la triplicité « aquatique » (cancer, scorpion,
poissons) qui s’achève ? On reste dans la centurie première, un
quatrain juste avant (I, 50) celui de la conjonction en bélier :
«De l’aquatique triplicité naistra etc »
Quant au quatrain I, 52, il traite du scorpion. Il faut lire Mars et
Saturne, les deux maléfiques (malins), en scorpion et non « de
scorpion). Le quatrain I 54 traite également d’astrologie : Deux (lire
Dix) revoltz faictz du malin falcigere (Saturne), soit 300 ans environ
Dans bien des cas, on en conviendra, la dimension astrologique est
occultée et quand elle ne l’est pas, personne ne prend la peine, du
moins dans les premières éditions, d’indiquer à quelles dates cela
renvoie, ce qui exigerait d’avoir accès aux textes en prose et montre
à quel point l’approche par le biais des quatrains est absurde. C’est
le texte en prose qui est en prise sur les événements, non le quatrain
qui n’est qu’un sous-produit, une sécrétion, une émanation, un
appendice. Privilégier ce qui est en aval sur ce qui est en amont :
tout un programme !
Dans le Janus Gallicus, le texte en prose – qu’on appelle «
commentaire sur les années « - de Nostradamus fait souvent suite au
quatrain ou du moins celui que l’interprète propose à tort ou à
raison. Cela dit, la traduction latine est située en vis-à-vis. Même
dans le canon centurique, les textes en prose jouxtent les quatrains
et en sont la clef.
Pour sa part, dans sa prose, Nostradamus ne semble pas chercher à
désigner les planétes sous des expressions particulières. Saturne y
est Saturne et non la Faux ou le falcigère.
Ce mélange de latin et de langue vernaculaire est assez typique de la
littérature savante – on connait le cas des médecins caricaturés par
Molière. C’est en Allemagne, toutefois, que le phénoméne est le plus
remarquable [1] avec des titres en latin qui se prolongent en allemand
comme l’Aureum Vellus de Salomon Trismosin ou le Tertius Interveniens
de Kepler, à la charnière du XVIIe siècle.
JHB
04. 11. 12
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[1] Cf notrs étude à paraitre dans la Revue Française d’Histoire du
Livre, fin 2012, sur le Splendor Solis |
|
150 - La question des épitres liminaires dans les almanachs de
Nostradamus. L’épitre oubliée à Marguerite de Savoie.
Par Jacques Halbronn
Tous les almanachs de Nostradamus comportent une épitre adressée à
quelque personnage masculin. Deux exceptions à notre connaissance –
car l’on n’a pas la liste complète de tous les dédicataires, tous les
almanachs n’ayant pas été conservés et leur nom ne figurant pas dans
le Recueil des Présages Prosaïques, volume manuscrit, qui est censé
réunir tous les textes à caractère annueel, almanachs et
pronostications confondus. D’une part, l’almanach pour 1557 adressé à
Catherine de Médicis et de l’autre, comme nous allons le montrer,
l’almanach pour 1561 adressé à Marguerite de Savoie (1523- 1574), sa
belle-sœur, fille de François Ier, qui devint duchesse de Savoie en
1569, lors du Traité du Cateau Cambrésis, à la veille de la mort
d’Henri II. Antoine Crespin Nostradamus se présentera au lendemain de
la mort de Nostradamus comme l’astrologue du Roi de France(Charles IX)
et de sa tante, la duchesse de Savoie ainsi que de l’aùmiral du
Royaume. A la mort de celle-ci, en 1574, Crespin devenu Arhidamus, se
présentera en 1576 comme astrologue du roi et du prince dauphin[1]
ainsi que de l’Amiral du Royaume puis en 1578, uniquement commme
Astrologue de France et conseiller du roi et de « Monsieur son frère
unique », il s’agit du duc d’Anjou, François d’Alençon, qui avait été
le dédicataire de publications de Nostradamus le Jeune et de Mi. de
Nostradamus..
Dans le Recueil des Présages Prosaïques, on trouve fréquemment en tête
la mention « Epitre Liminaire », à ne pas confondre avec le « Sommaire
de l’an ». Le quatrain général précède l’Epître/. En général, le nom
du dédicataire ne figure pas mais nous trouvons au Livre IV, à propos
‘une pronostication pour l’an 1559, la mention « De l’epistre
liminaire dédiée au Reverendissime Card . de Lorr. » (cf Chevignard,
Présages, p. 360). On ne connait pas le contenu de cette Epitre qui
n’est pas celle de l’almanach.
On ne dispose d’une Epitre liminaire que pour les almanachs dans le
Recueil, alors que les impressions attestent de ce que les
Pronostications étaient toutes précédées d’une épitre. On ajoutera
qu’il est assez évident que Chavigny ne connait pas les dédicataires
des épitres car il aurait pu apporter cette information dans les notes
marginales du Recueil des Présages Prosaïques. Il ne connait la
production de Nostradamus que par le biais du dit Recueil alors que
Jean de Chevigny, lui – et nous pensons que ce n’est pas la même
personne- devait être en mesure de l’indiquer. Chavigny se contente de
faire quelques réflexions qui ne témoignent guère d’une connaissance
de première main. Signalons qu’à la fin de l’almanach pour 1563 on
trouve un texte latin de Chevigny : « Ad Galliam nostrorum temporum
miseriam deflens » se terminant par cette injonction ‘ » Credite
divinis, credite Nostradamo. Io. Chevignei Belnensis. Encore dans
l’almanach pour 1566, deux textes latins signés Io. Chevignaei
Belnensis, se référent à Nostradamus :
On observera aussi que dans le RPP, les épitres ne sont pas datées et
plus généralement aucun textes n’est daté. Cette information aurait pu
être ajoutée si l’éditeur avait disposé de la collection d’imprimés.
Cela montre que l’éditeur ne disposait que du manuscrit. Rappelons
toutefois que ce manuscrit n’est pas une copie des imprimés mais
constitue leur matrice/
On se demandera si ce qui est indiqué comme Epitre liminaire
correspond à l’épitre que l’on trouve systématiquement dans les
almanachs et les pronostications, du moins sa substance ou bien s’il
s’agit d’un autre élément placé en tête de l’exposé annuel tant pour
les almanachs que pour les pronostications. On pense à l’almanach pour
1557, dont on a, par ailleurs, l’imprimé et que l’on mettra en
parallèle à ce qui lui correspond peu ou prou dans le dit Recueil (cf.
Chevignard, Présages, p. 268.). Cette Epitre est nettement séparée de
l’étude des mois et couvre généralement une période qui dépasse celle
de l’année comme dans le cas de l’almanach pour 1562. La recension de
Chevignard s’arrête à 1559 mais on dispose du manuscrit.
Prenons le cas de l’almanach pour 1557, dédié à Catherine de Médicis (cf
bibliotheque Nostradamus,. Propheties.it). On notera cependant que
dans l’épitre (Au Roi de Navarre) en tête de la Pronostication pour
1557, Nostradamus déclare avoir dédié son Almanach à Henri II et non à
son épouse : « combien que plus amplement je l’aye declaré en
l’Almanach avec les prédictions que j’aye consacré au plus grand des
Roys ». En fin de compte, l’épitre à Henri II figurera en tête des
Présages Merveilleux pour cette même année 1557.
Recueil des Présages Prosaïques :
Je trouve que d’icy à l’an 1559 les astres sont indication de tant &
si divers troubles que la charte ne seroit suffisante pour en recevoir
les discours qui s’en peuvent faire mais ce sera pour un autre temps &
loisir. Outre la présente année ces présages contiennent une partie de
ceux qui appartiennent à celle qui suit & encore quelque chose de 1559
qui sera l’année de la paix universelle par la grâce de celuy qui par
son éternelle providence fait mouvoir les astres »
Almanach
A la Christianisssime et Serenissime Catherine Reine de France.
Ma Dame, en m’essayant à tout mon pouvoir de satisfaire au vouloir de
vostre maiesté, après avoir parachevé la nativité de monseigneur le
Daulphin me suis remis sur mon estude ordinaire pour supputer
l’Almanach de l’Année MDLVII. qui est pour maintenant le présent (…)
C’est le particulier.
« Quant au general, je trouve que d’icy l’an mil cinq cens
cinquanteneuf les astres sont indication de tant & si divers troubles
que la carte ne seroit suffisante pour en recevoir les discours qui
s’en peuvent faire, mais ce sera pour un autre temps & loisir. Par les
présages & par le présent Almanach est amplement déclarée la
constitution de la présente année, comprenant d’abondant une partie de
l’année merveilleuse LVIII. & encores quelque chose de l’année LIX.
qui sera l’année de la paix universelle : par la grâce de celuy qui
par son éternelle providence fait mouvoir les Astres. Auquel, je prie,
Ma dame, vous tenir longuement en ce plus que Royale mariage. De
Salon, ce 13 de Ianvier 1556
Nous disposons de l’Epitre liminaire de l’an 1554, faute de disposer
de l’imprimé. On ignore l’identité du dédicataire. Epitre nettement
plus développée que pour l’almanach pour 1557 (cf Chevignard, op. cit.
pp ; 203-205)
Qu’en est-il pour 1555 ? Le texte du RPP se retrouve dans l’imprimé
mais il est agrémenté à la fois d’un prologue et d’un appendice qui
aborde les différentes puissances, lequel appendice est absent du RPP.
Pas de trace non plus dans le manuscrit d’une épitre liminaire pour la
pronostication alors que l’imprimé en comporte une.
.(B. Chevignard, Présages de Nostradamus, op. cit. pp.226-229). Quant
au texte de l’almanach, il fait suite dans le RPP, ses quatrains étant
d’ailleurs repris en annexe de l’imprimé de la Pronostication. Mais
dans le RPP, on ne trouve pas de quatrain sur l’an 1555 ou plutôt ce
quatrain est placé en tête des Présages de l’an 1550. « D’esprit divin
l’ame présage atteinte etc »
Il existe une épitre au Comte de Tende, gouverneur de Provence, à 18
ans, en 1525 jusqu’en 1566, en date du 19 mars 1554, dont on a
seulement la traduction allemande[2]. Or, cette date correspond tout à
fait à la date d’une épitre pour l’année 1555/[3]. Le texte français
sera paru fin 1554 et vraisemblablement publié, dans la traduction de
Joachim Heller, en allemand en 1555. C’est d’ailleurs la position de
P. Guinard que de relier le texte allemand à l’épitre liminaire
manquante.[4]
,Nous avons confirmation de cette déduction par l’étude du quatrain «
de l’épistre liminaire sur l’an 1555 », dont le statut fait débat à
plus d’un titre[5] .
La mer Tyrrhene, l’Océan par la garde
Du grand Neptun & ses tridents soldars
Provence seure par la main du grand Tende
Plus Mars Narbon l’heroiq de Vilars
Selon P. Guinard (Corpus Nostradamus 15), ce quatrain serait une
invention de Chavigny incapable de faire rimer les noms des
personnages recommandés par Nostradamus.
On ne trouve pas ce quatrain dans le RPP mais uniquement dans le Janus
Gallicus. Signalons que dans le Janus Gallicus on a conservé le
quatrain 100 de la sixiéme centurie que l’on ne trouve dans aucune
édition antérieure connue et qui n’en a pas moins existé.
Le quatrain tiré de l’épitre liminaire a été rapproché d’un quatrain
centurique II, 59
Classe Gauloyse par apuy de grand garde
Du Grand Neptune & ses tridents souldars
Rongée Provence pour sostenir grand bande
Plus Mars Narbon par iavelotz & dards
L’un des quatrains est issu vraisemblablement de l’autre.
Or, cette épitre liminaire de l’almanach pour 1555 si elle a bien été
dédiée au comte de Tende, lequel décédera en 1566 comme Nostadamus,
correspondrait fort bien à ce quatrain de l’épitre liminaire qui
manque. Notons que c’est un cas unique de quatrain d’une épitre
liminaire.
On trouve en revanche dans le RPP le texte du dit almanach, du moins
sa matrice. Le mot, assez rare,Tyrrhene y figure au mois d’avril 1555
(n° 231)
: « Plusieurs ravissemens es rivages marins aux mers de l’Orient,
Tyrrhene, Ligustique, etc’ » On y trouve aussi « Neptune » et à de
nombreuses reprises, qui plus est, comme au présage d’octobre « Le
Neptune de la mer (…) Grand trouble en la mer etc’. Le mot Gaulois
figure aussi ainsi que Garde et « gardeurs » mais il faut aussi
rapprocher ce mot du Baron de La Garde. Quant à Villars, ce nom est
associé à la maison de Savoie et à Tende. On nous dit que ce quatrain
est une création de Chavigny.à partir du quatrain centurique. A quelle
date cela aurait-il eu lieu ? Autour de 1589 lors de la cloture du
Recueil des Présages Prosaïques ? C’est oublier le premier verset du
prétendu faux quatrain « La mer Tyrrhene, l’Océan par la garde », le
mot Tyrrhene ne figure aucunement dans le quatrain centurique.
Chavigny l’aurait-il introduit en connaissance de cause pour le mettre
en accord avec le texte en prose ? Et qu’est-ce que cela lui aurait
rapporté ? On se le demande ! Il nous semble que ce quatrain de
l’épitre liminaire est une pratique qui a été abandonnée par la suite
et qui n’est pas plus absurde qu’une autre.
Certes, dans l’explication du Janus Gallicus, pour la même année 1555,
sur ce quatrain, il est écrit que Nostradamus « loue trois Gouverneurs
de ce temps là, le Baron de la Garde Admiral des Mers du Ponant & du
Levant, pour le fait maritime, le Comte de Tende & Seigneur de Vilars
pour la songnieuse garde & vigilance sur les provinces à iceux
ordonnées, Languedoc & Provence. L’auteur de l’explication en profite
pour rappeler qu’il a colligé les « Présages Prosaïques » du dit
Nostradamus (au Livre Ier qui concerne l’an 1555). En latin, sont mis
en majuscule, mais non en français, les noms de ces trois personnages,
GARDA, TENDA et VILARSUM.
On notera cependant un détail qui a son importance : il est écrit « DE
l’epist. Liminaire sur l’an 1555 : Ex Epist. Limin. Progn. In An/
1555. Cela signifie que le quatrain est extrait de l’Epitre Liminaire
et non au sujet de celle-ci, le « de » étant rendu par « ex » en latin.
En fait, c’est bien le lot de ces quatrains d’être composé, comme nous
le pensons, d’éléments existants dans le « présage prosaïque » et non
écrits à leur sujet, ce qui signifie que les mots du quatrains doivent
figurer dans le présage en prose.
Un tel quatrain ne pouvait faire sens que pour l’époque comme le note
d’ailleurs Chavigny : « gouverneurs de ce temps là » qui n’est donc
pas celui où il écrit cette phrase. Sachant que le Comte de Tende
meurt en 1566 et que les quatrains centuriques n’étaient pas encore
imprimés à cette date ultime, nous pensons que ce quatrain issu de
l’Epître Liminaire a du paraitre en la dite année 1555 qui est
d’ailleurs l’année de la Préface à César, antidatée, le quatrain II,
59 appartenant aux premières centuries, et qu’il aura servi à composer
le dit quatrain de ce premier lot censé paru alors. On note que le
nouveau quatrain ne comporte pas la référence à la mer Thyrrhene, il
conserve le vers « Du grand Neptune & ses tridens souldars », le mot
Provence, le mot garde et « plus Mars Narbon ».
Classe Gauloyse par apuy de grand garde
Du Grand Neptune & ses tridents souldars
Rongée Provence pour sostenir grand bande
Plus Mars Narbon par iavelotz & dards
Le texte de l’Epitre liminaire est au demeurant plus clair : «
Provence seure par la main du grand Tende » rend un hommage évident au
comte de Tende, gouverneur de Provence et Narbonne n’est-elle pas une
des principales villes de ce Languedoc dont Villars est le gouverneur,
tout comme l’Océan est le domaine réservé du Baron de la Garde,
Admiral des Mers du Ponant et du Levant , d’où ce Neptune et ces
tridents, embléme de ce dieu, comme il est d’ailleurs expliqué dans le
Janus Gallicus (cf supra). Ce qu’il est fait de ce quatrain limpide
ainsi recyclé est sans commentaire, c’est le cas de le dire, mais
cette nouvelle mouture entend véhiculer un certain message avec
l’introduction du participe « Rongée » devant Provence..Comment un tel
quatrain II, 59, pourrait-il avoir existé, comportant « Garde », «
Provence » et « Narbon » et dont on se serait servi pour célébrer nos
trois personnages ? Coincidence hautement improbable !
Nous avons également, dans le RPP, une Epitre liminaire pour 1556 (cf
Chevignard, op. cit. pp. 252-253) assez brève. Le texte se termine
ainsi ‘Je laisse à mettre plusieurs cas & sinistres evenemens advenir
aux regions Italiques, une autre fois subjettes au vray sang Troien ».
Ce passage ne figurera évidemment pas dans le texte final de l’Epitre
; c’est une instruction à son secrétaire qui devra compléter. Mais là
encore, nous n’avons pas d’élément de comparaison.
Les années 1558 et 1559 nous fournissent également leurs épitres
liminaires respectives.
Celle de 1558 est très ample et l’on note que le dédicataire n’est
fixé que dans un deuxième temps :
(cf B. Chevinard, op. cit ; pp 287-290)
Comme on l’a dit le rôle de cette épitre est de déborder du cadre
annuel : celle de 1558, donc datée vraisemblablement de 1557 couvre «
cest an 1558 & 59 iusques à 62 »/ L’épitre se termine ainsi : » Autres
innumerables factions se préparent non seulement pour la présente
année mais presque iusques à l’an 1585 lors que je treuve encores plus
grand tumulte qu’il ne fut jamais ». En fait, on aura changé 1562 en
1585 comme le confirme la Pronostication pour 1558, dont nous
disposons (en fac simile in Chevignard, Présages de Nostradamus, op
cit)
Brin d’amour ne semble pas envisager cette hypothèse (Nostradamus,
astrophile, p. 211). Il signale d’ailleurs, à juste titre un passage
de l’almanach pour 1565 où figure une telle mention (nouvelle lune de
novembre) :
« le plus proche definement du monde l’an 1585 & cent fois pire l’an
1588 (…) A l’an 1584, à la sacressainte eglise Romaine catholique
viendra un des plus grands tresbuchemens qui advinst iamais depuis le
siege de sainct Pierre »(cf Recueil des présages prosaïques, Livre X,
n° 674-675, fol 565). Comment se fait-il que cette mention ne soit pas
reprises dans l’almanach pour 1566 ? Selon nous, il s’agit de
l’intervention d’un collaborateur qui souhaita se faire l’écho de
certaines attentes dans toute l’Europe pour dans 20 ans, autour d’une
configuration en 1584 à cheval sur le dernier signe (Poissons) du
zodiaque et le premier (bélier), l’année même d’une conjonction
Jupiter-Saturne en cancer, en 1564. On ne saurait attribuer ce passage
à Nostradamus polarisé sur l’éclipse de 1567 et la présence de cette
année 1585 dans l’Epitre à Henri II témoigne d’une interpolation.
Selon nous, Nostradamus avait pris le parti de ne pas accorder trop
d’importance aux années 1580, du fait de l’absence d’éclipses majeures
tout au long de la décennie. D’autre part, Nostradamus tend, dans les
dernières années de sa vie, à ne plus accorder grand crédit aux
grandes conjonctions..
Quant à l’Epitre liminaire de l’almanach pour 1559, elle est fort
brève et tourne autour de l’ »éclipse équinoxial’ (sur l’axe bélier-balance)
dont on connaît les Significations. Nous disposons exceptionnellement
(cf supra) de l’Epitre liminaire pour la Pronostication de 1559 mais
non des imprimés français (il y a une traduction anglaise)
Les almanachs qui suivent correspondent à la partie du RPP qui n’ a
pas été éditée par B. Chevignard. L’état du manuscrit est souvent très
médiocre mais l’on est aidé par les imprimés, plus nombreux (on ne
dispose que de l’almanach pour 1557), pour ce qui est des almanachs,
que lors de la décennie précédente.
Almanach pour 1560. Epitre à Claude de Savoie (qui se saisira de lui
fin 1561 sur ordre du roi) datée du 10 mars 1559. Livre V, dans
laquelle il est déjà évoqué, avant l’épitre de 1561 de l’almanach 1562
ce qu’il faut attendre de l’an 1567. Le texte du RPP (Livre V, n°1 à
38) recoupe celui de l’imprimé, une fois de plus, mais il est
sensiblement augmenté dans l’imprimé. Or, dans cette addition qui ne
figure pas au RPP, Nostradamus y exprime son désir de revoir le Roi,
avant de mourir, sans se douter de la disparition prochaine de
celui-ci quelques mois plus tard. Il est possible qu’il lui ait écrit
une épitre qui servira pour constituer celle datée de 1558 et qui en
tout état de cause aura été retouchée- dans la mouture qui nous est
connue, le texte récupérant des éléments de la première épitre datée
de 1556 et, pour cette raison, ne s’y référant pas.
Almanach pour 1561 : Epitre à Marguerite de Savoie. On dispose de
celle-ci, qui est assez longue dans le Recueil. Livre VI et des
fragments dans l’imprimé dont il n’a été retrouvé que des défets de
trois exemplaires. Selon la reconstitution de Catherine Amadou, on ne
disposerait pas de l’Epitre alors que le nom de Marguerite de Savoie
figure.
A Madame la duchesse de Savoye. (..) Michaël Nostradamus dedistiss. D.
D. En réalité, comme le relève P. Brind’amour[6], on a bel et bien
l’Epitre Liminaire dans le RPP et une partie du texte dans l’imprimé à
l’instar du passage ci-dessous qui conclut l’épitre (numéros du Livre
VI de 1 à 29) :
« & surtout qui est de craindre, c’est tremblement de terre, qui sera
devers les Orientaux, Meridionaux, ensemble l’estoille crinite qui
fera ce tremblement de terre, s’estendra iusques icy & non sans grande
expedition de gens de guerre qui sera faite guide de beaucoup de maux
».
La dernière phrase, ci-dessous, est ajoutée et ne figure pas dans le
RPP puisque le dédicataire est choisi au dernier moment :
Pour ne pas faire par trop longue narration de l’année calamiteuse qui
s’apreste par les plus petitz, je feray fin, Madame, priant à Dieu
l’Eternel qu’il vous donne santé, vie longue, parvenir en bonne
convalescence & atteindre à ce que plus aspirez. » .
Ce qui caractérise l’Epitre, c’est qu’elle ne se réfère pas aux
configurations soli-lunaires hebdomadaires (nouvelle lune, pleine lune
etc.), avec toutes sortes de détails techniques tirés des éphémérides,
mais se situe sur un plan plus ample, moins technique pour ménager un
dédicataire supposé ne pas entendre l’astrologie. Pie IV occupe une
place importante dans l’Epitre à Marguerite de Savoie, et Nostradamus
s’attarde sur les configurations astrales de son élection de 1559. Il
ne régnera, au final, que six ans.
Nous disposons dans l’imprimé en combinant plusieurs fragments –ce que
n’avait aucunement perçu Catherine Amadou dont la reconstitution
s’avère fautive, laquelle intègre l’Epitre au milieu des prédictions
mensuelles- de la seconde moitié de l’épitre, telle qu’elle a été
conservée dans le RPP. Et dans cette partie, Pie IV est déjà cité : «
La sainteté de nostre Saint Père le Pape Pius 4. de ce nom, je treuve
le iour de son election & par le jour & heure du siege qu’il demourera
longuement en son siege, en toute felice & heureuse prosperité, aymé
d’un chascun, mesme de tous les bons & rendra le Sénat & peuple Romain
sain, sauve, libre & en tranquille pacification & par sa sainteté la
Chrestienté sera réunie & mise en sa parfaite tranquilité. Et natus ad
eternitatem Rom. Nominis & combien qu’aucuns supputateurs
astronomiques ayent supputé que cancer erat ascendens in hora & die
electionis, qui manifestoit un souverain thresor en l’Eglise Romaine,
si est ce que par mes calculations, je trouvois Capricorn & aussi
est-il désignant principium fine fine, ce qu’est vraye, aussi avant
son election, par le jour de la S. Martin je trouvois »
Nostradamus pour le « régne de France » ne signale pas (le privilège
est du 24 octobre 1560) que les mois qui viendront seront marqués par
la mort, le 5 décembre, quelques jours plus tard, d’un François II
malade et le début de la régence de Catherine de Médicis. Il est vrai
que cela relevait de l’almanach pour 1560.
Almanach pour 1562, Epitre à Pie IV. On retrouve dans le Recueil les
textes qui ouvrent l’almanach sur des perspectives qui dépassent
largement l’année 1562, c'est-à-dire l’épitre et la préface qui elle
ne figure pas dans l’impression mais dans un manuscrit repris de
l’impression d’origine et rendue en partie en italien. Livre VII (numéros
1 à 436)
Almanach pour 1563 Epitre à François Fabrice de Serbellon dans
l’imprimé. Désormais, on ne dispose plus dans le manuscrit du RPP
d’aucune épitre liminaire pour 1563, 1564 alors que les imprimés en
comportent.
Almanach pour 1564 dont on ignore le dédicataire. Epitre à Charles IX
en tête de la Pronostication dont ne connait le texte que par
l’imprimé italien.(cf sur propheties.it) en date du 15 décembre 1563,
avec un quatrain latin de Chevigny évoquant Saturne (Io. Ch. Beln.)
Almanach pour 1565 Seconde Epitre au roi, la précédente étant parue
dans la Pronostication pour 1564. C’est certainement lié au passage du
roi à Salon lors de sa grande «ronde ».. Le Recueil fournit un texte
qui précède l’exposé des 12 mois mais sans le mot Epitre Liminaire (ns
1 à 133 du Livre X.). Ces deux épitres sont assez insignifiantes.
Chevigny ne contribue plus comme lors des deux années précédentes.
Dans le cours de l’almanach, le présage du mois d’août est dédié à Pie
IV qui meurt cette année là.
« J’ay adressé ce mois à nostre sainct Père le pape » pour qu’il
unisse les Chrétiens contre le Turc.
Par erreur, le quatrain général est désigné comme celui de Janvier
dans l’imprimé, suivi des « Significations de Janvier » ( !)
Almanach pour 1566 Epitre autographe du 16 octobre 1564 à Honorat de
Savoie, Comte de Tende, le fils de Claude qui décédera en 1566, peu
après.. Pas de mention d’Epitre Liminaire. (Livre XI). Des petits
textes latins de Jean de Chevigny, à la fin.
Almanach pour 1567. Livre XII du RPP (p. 647). Epitre à Mgr de Birague.
On a la version italienne de l’ épitre, écrite dans les journées qui
précédèrent le décès de Nostradamus, laquelle se veut une Apologie ou
Défense contre les Calomniateurs. L’état du manuscrit ne permet pas de
vérifier ce qui est indiqué dans le RPP. Nostradamus se réfère
désormais à Pie V.
On aura compris que Nostradamus rédigeait ses Epitres liminaires sans
avoir la moindre idée de l’identité de son interlocuteur et que des
ajustements ultimes s’effectuaient une fois fixé le choix du
dédicataire. On ignore pour quelle raison, cependant, le RPP comporte
les épitres liminaires des almanachs et non celles des pronostications,
à une exception près.
JHB
11. 11. 12
--------------------------------------------------------------------------------
[1] Qui est ce « prince Dauphin » ? Le jeune fils de Marguerite de
Savoie, Charles Emmanuel ? Est- ce le duc d’Alençon, succsseur d’Henri
III ?
[2] Cf M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, Baden Baden, Koerner,
1989, pp. 12 (pla nche 2) -13
[3] Cette possibilité n’est pas envisagée par P. Guinard, in CORPUS
NOSTRADAMUS 17 « Un signe effroyable et merveilleux . une lettre de
Nostradamus au comte de Tende (19 mars 1554) «
[4] CORPUS NOSTRADAMUS 15 -- par Patrice Guinard « Les 13 premiers
quatrains de Nostradamus «
[5] B. Chevignard, Présages de Nostradamus, pp. 113-114
[6] In Nostradamus astrophile, 1993, p ; 36 |
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