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- Nouvelles réflexions sur les
méthodes de fabrication de faux centuriques antidatés
Nous voudrions insister sur deux points :
d’une part, l’utilisation de documents d’époque
permettant de conférer au faux un cachet ancien, une
patine et d’autre part, le principe d’une sorte de
« double comptabilité », à savoir que les contrefaçons
sont doublement datées et que l’on modifie seulement les
pages de titre pour disposer à la fois d’une date
présente –ou d’une absence de date – et d’une date
ancienne. Certains ont contesté ce second point en
soulignant que les éditions antidatées (1555-1568) n’ont
pas leur pendant exact à la fin du XVIe ou au début du
XVIIe siècle.
I La préparation des fausses éditions
antidatées.
Certains nostradamologues ont montré à
quel point certaines éditions datées du vivant de
Nostradamus et censées avoir été publiées chez tel ou
tel libraire/éditeur sont, au niveau de leur
présentation respectent un certain nombre de traits
caractéristiques des libraires concernés (bandeaux,
lettrines etc.). Patrice Guinard a dévolu beaucoup de
temps à mettre ce point en évidence en faisant appel
évidemment à d’autres documents que les documents
centuriques, à des fins de comparaison. Mais en même
temps, ce faisant, il est à craindre qu’il ne nous
montre surtout comment les faussaires eux-mêmes auront
procédés, en se servant des mêmes données qu’il aura
mises en évidence. On retrouve ainsi certaines lettrines
de la Préface à César dans certains ouvrages produits
par le dit Bonhomme, signe d’authenticité ou au
contraire indication d’imposture ? Dans notre travail
consacré à la prophétie de Saint Malachie (Papes
et prophéties,
Ed. Axiome, 2005), nous avons montré que ce sont les
mêmes documents qui servent à valider le texte et qui
servent à la constituer, à savoir des Histoires de la
Papauté.
Prenons le cas du privilège figurant en
tête des éditions Macé Bonhomme 1555. C’est probablement
un cas unique de privilège figurant au sein d’une
édition centuriques des XVIe ou XVIIe siècle alors même
que les almanachs et pronostications sont très
fréquemment accompagnés de privilèges de tous ordres.
. Au verso de la page de titre comportant « La
permission est insérée à la page suivante. AVEC
PRIVILEGE » on trouve un Extraict des registres de la
Sénéchaussée de Lyon ». Or, il faut savoir que ce type
de document est attesté au sein de pronostications. On a
le cas de l’édition de la Pronostication nouvelle pour 1558,
Lyon, Jean Brotot et Antoine Volant.(cf Catalogue
Scheler, op. cit. p 24) qui diffère d’ailleurs de
l’édition (que nous avions retrouvée à la Bibl. de La
Haye), reprise par B. Chevignard (in Présages de
Nostradamus, op. cit.,p. 442) parue, quant à elle, à
Paris, chez Guillaume Le Noir. Il n’était pas bien
difficile de recycler un tel Extraict et de le retoucher
pour le placer en tête de l’édition Macé Bonhomme 1555
si ce n’est que les privilèges accordés aux libraires
éditant Nostradamus ne visaient jamais, à notre
connaissance, un ouvrage particulier mais plusieurs
catégories, au nombre de trois : Almanachs,
pronostications, présages. (cf. nos Documents,
p. 201).
Cela dit, quand on examine le privilège
concernant les Prophéties datées de l’an 1569 dédiées
à la puissance divine & la Nation Française de « M. Anthoine Crespin Nostradamus »,
il vise cet unique ouvrage (cf. Documents, p. 206) comme
pour Macé Bonhomme 1555 où sont uniquement visées « Les
Prophéties de Michel Nostradamus ».
Le parallèle est d’ailleurs intéressant entre ces deux
« Prophéties », vu que, selon nous, Crespin représentait
le camp protestant et Michel Nostradamus, par delà la
mort, le camp ligueur jusqu’à ce que toutes ces pièces
antidatées, les unes comme les autres, soient fondues en
un seul volume, néanmoins divisé en deux volets
distincts, le second n’étant d’ailleurs, en règle
générale, pas daté. On ne doit pas sous estimer la
surenchère entre les deux camps quant à la production de
documents de plus en plus anciens ou de plus en plus en
expansion quantitative, faisant dire et prédire à
Nostradamus ou à Crespin Nostradamus ce qui convenait au
camp concerné.
II La double « comptabilité » des
éditions néo-centuriques
Nous commencerons par l’étude des
éditions Benoist Rigaud. Le catalogue Scheler comporte
(pp. 56 et 58) un exemplaire que nous avons pu examiner
et qui d’ailleurs détermine les limites chronologiques
du titre du dit catalogue, dressé par Michel Scognamillo :
« 1555-1591 ». Cette date de 1591 ne correspond à aucune
date présente sur l’édition non datée Benoist Rigaud
dont il s’agit. Il s’agit d’une estimation proposée par
certains bibliographes. Date éminemment improbable car
venant trop tôt pour rendre compte de l’existence du
quatrain IX, 86, au second volet, relatif, selon nous,
au couronnement de Chartres qui ne fut pas planifié
avant la fin de 1593..Mais il est possible que des
éditions ne comportant pas ce quatrain sous sa forme
retouchée aient paru – et pas forcément avec le
référencement par centurie et numéro de quatrain - ou en
tout cas qu’un certain matériau devant servi à la
production des dites éditions ait préexisté de quelques
années. Cela dit, il est tentant de penser qu’aucune
édition du second volet n’ait existé avant l’approche ou
le lendemain du couronnement de 1594, à partir de
l’Epitre au Roi de 1556/1557. Quid alors du témoignage
de Crespin citant l’année 1558 pour une épitre au Roi (cf
nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus)
et fournissant divers versets centuriques relevant du
second volet dès 1572 ? Il s’agit vraisemblablement d’un
faux lié à un certain revival crespinien des années
1590/(cf RCN, pp.127-128)
Si l’on examine cette édition, en la
comparant à une édition datée de 1568, sous la houlette
du même libraire (cf. page de titre des deux volets,
catalogue Thomas Scheler, pp.41 et 44) les similitudes
sont frappantes : mêmes vignettes spécifiques à chaque
volet, même mise en page, même vignette centrale,
reprise selon nous des pages de titre des almanachs de
Barbe Regnault. Bien plus, les seconds volets sont
strictement identiques puisqu’ils ne comportent de date,
ni l’un ni l’autre. On comprend mieux d’ailleurs
l’absence de date : soit on ne mettait pas de date, soit
l’on plaçait la date dans un espace vide. Il n’était
donc pas nécessaire de changer la date et de toute façon,
cela n’affectait que le premier volet, qui correspond en
fait à la page de titre de tout l’ensemble, le second
volet n’ayant d’autonomie. Malheureusement, l’on n’a pas
conservé le second volet de l’édition Antoine du Rosne
Bibl. Utrecht. Il était probablement daté du fait qu’il
comportait l’Epitre à Henri II de juin 1558. Mais par la
suite, pour les éditions postérieures, cela ne s’avéra
plus utile.
Il suffisait donc de glisser 1568 dans
certaines pages de titre ou de laisser en blanc :
A LYON
PAR BENOIST RIGAUD
[1568] optionnel
Avec permission
Cette dernière formule ne correspondant
en fait à aucun document, dans le corps du texte, tant
pour les éditions 1568 que les éditions sans date.
C’était d’ailleurs préférable car il aurait fallu deux
« permissions » différentes selon que l’on se situait en
1568 ou à la fin du siècle.
Dans les autres cas, l’analyse est
sensiblement plus complexe et un tel parallèle au titre
est rare. Un des parallèles les plus simples est celui
de l’édition parisienne Veuve N. Buffet (également au
Catalogue Thomas Scheler p. 49) datée de 1561 mais
quasiment superposable sur les éditions parisiennes
datées de1588- 1589, (Veuve Nicolas Roffet, Pierre
Ménier, Charles Roger) tant au titre qu’au contenu.
Quelques différences cependant assez mineures, il nous
semble : 38 articles « additionnés », dans l’édition
1561 au lieu de 39 au titre des éditions ligueuses, une
centurie VIII de 6 quatrains sous la Ligue, inexistante
dans l’édition 1561. En revanche, le même étrange
décalage entre titre et contenu est observable.
Prenons d’autres exemples concernant les
éditions Antoine du Rosne 1557. A peu de choses près,
l’exemplaire de la Bibl. de Budapest correspond à
l’édition d’Anvers 1590, si ce n’est la présence de 5
quatrains supplémentaires à la VIIIe centurie. Même
absence d’avertissement latin et de quatrain 100 de la
centurie VI, outre le fait que ces éditions sont à un
seul volet. En revanche, les pages de titre différent du
fait que l’édition d’Anvers ne comporte pas en son titre
de vignette nostradamique mais la marque du libraire. Le
texte est proche à part le fait que dans un cas l’on a
Les grandes et merveilleuses prédictions et dans l’autre
Prophéties mais à la dernière page, il est renvoyé à une
édition des « Professies » (sic), Avignon 1555. La même
erreur grammaticale est en outre observable au titre « dont
il en y a trois cens » au lieu de ‘dont il y en a »,
comme dans les éditions Benoist Rigaud. Et bien entendu,
le libraire n’est pas le même alors qu’avec Benoist
Rigaud, l’on disposait d’un libraire dont la carrière
s’étendait sur une trentaine d’années mais selon nous
les éditions Rigaud sont toutes postérieures à la mort
du dit Rigaud en 1597.
En ce qui concerne Antoine du Rosne, 1557
Utrecht, on a affaire à deux volets calqués sur les
éditions Benoist Rigaud, passées par le moule troyen :
on y rétablit l’avertissement latin et on ajoute 2
quatrains à la VIIe centurie. Les éditions Rigaud ne
sont en fait, dans ce système, que la réédition
d’Antoine du Rosne Utrecht, ce qui explique qu’elles ne
comportent aucun trait posthume par rapport à la récente
mort de Nostradamus. Mais c’est finalement l’option 1568
qui aura prévalu sur l’option 1557, d’où la multiplicité
des éditions Benoist Rigaud, recensée et classée par
Patrice Guinard, lequel s’en tient à la thèse d’une
véritable parution en 1568, donc avant tout le processus
enclenché sous la Ligue, dont selon nous les dites
éditions Rigaud sont l’aboutissement, la thèse inverse
voulant que le processus ligueur aurait été une
dégradation des éditions Rigaud à deux volets. Un
scénario bien différents et impliquant non plus une
dynamique constructive mais une dynamique destructive.
Terminons avec le cas de Macé Bonhomme
1555. De quelle édition est-issue une telle édition ? On
dispose certes d’une édition 1588 Rouen Raphaël du Petit
Val « divisée en 4 centuries », du moins est-ce qui est
indiqué au titre externe , mais ne correspond guère à
son contenu, son ancien possesseur Daniel Ruzo assurant
– (Testament
de Nostradamus,
op. cit, p. 282) qu’il n’y a pas trace de division en
centuries à l’intérieur. En cela, le contenu se
distingue de la présentation Macé Bonhomme en 4
centuries, laquelle correspond en revanche au titre de
1588. Inversement, le titre Macé Bonhomme, lui n’indique
pas de centuries, en son titre et correspond dès lors au
contenu de l’édition Rouen 1588. Tout se passe comme si
l’on avait interverti les titres. Mais cette fois, le
titre correspond à une antidatation et non pas à une
postdatation. On en arrive à supposer que ces décalages
entre titre et contenu ne relèvent pas nécessairement
d’une quelconque stratégie mais bien d’un manque de
maîtrise du domaine, de confusions et d’interversions de
toutes sortes commises par les faussaires et leurs
éventuels assistants, noyés dans la masse de la
documentation comme le sont d’ailleurs de nos jours ceux
qui abordent la délicate et fort intriquée et
embrouillée question de l’histoire des éditions
centuriques..
On ne connait pas, en définitive,
d’édition des années 1588 qui corresponde à la division
en 4 centuries, avec 53 quatrains à la IV mais les
éditions ligueuses- y compris l’édition Veuve Buffet,
1561 qui fait absolument partie de cet ensemble- ont
gardé la trace d’une telle édition puisqu’elle signale
une addition à la IV, commençant au 54e
quatrain. Chez la veuve Buffet, l’addition commence une
page nouvelle alors que pour les trois autres éditions
parisiennes, dont celle-ci dérive, l’addition s’effectue
sur la même page que la partie d’origine. Mais l’édition
Macé Bonhomme à 4 centuries n’en reste pas moins plus
tardive, par son contenu, que l’édition De Rouen 1588
qui n’a que 49 quatrains à la IV. Ce qui nous amène à la
réflexion suivante : les éditions antidatées ne
représentent qu’une petite part de toutes les éditions
produites à partir des années 1580.En aucune façon, il
ne faudrait croire qu’à chaque édition de cette période
(1580-1600) correspond nécessairement une édition
antidatée des années 1550-1560. En revanche, à chaque
édition antidatée correspond ou devrait correspondre,
une édition plus tardive dont elle est issue car il ne
ferait pas sens qu’une progression de contenu ne se
produise qu’au niveau des éditions antidatées, cela
déséquilibrerait le processus global de formation.
Pour conclure, nous donnerons ci-dessous
la chronologie des titres des éditions centuriques, pour
le premier volet, sans fournir de dates mais en citant
les éditions attestant des dits titres. Il n’est pas ici
question du contenu des éditions de référence mais
uniquement du titre.
1 Les Prophéties de M. Michel
Nostradamus.
(-cf. Macé Bonhomme 1555 et permission)
Note : on n’est pas encore dans un
découpage centurique d’où cette centurie IV qui tient au
fait de ce non découpage.
2 Les Grandes et Merveilleuses prédictions
de M. Michel Nostradamus, divisées en 4 centuries
(Rouen Raphael du Petit Val, 1588)
Note : on entame une Ive Centurie à 49/53
quatrains.
3 Les Centuries et merveilleuses
prédictions contenant six centuries
Note ; sur le modèle Pierre Valentin 1611
indiquant au titre sept et non six centuries) et qui
n’implique pas encore 600 quatrains. Il s’agit ici du
contenu des éditions ligueuses à mi-chemin entre quatre
centuries et six centuries pleines, la VIe centurie
s’arrêtant à 71 quatrains.(‘cf. Benazra, RCN, p. 121 qui
envisage une édition s’arrêtant à ce stade, sans le
supplément de quatrains, présenté sous le terme « septiesme
centurie » et qui ne parvient pas à compléter la Vie
centurie.
4 Les Prophéties de M. Michel
Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encores
iamais esté imprimées
(page de titre édition Antoine du Rosne Budapest 1557 ;
Rouen 1589, Anvers, 1590 avec le titre Grandes et
merveilleuses prédictions)
Note : on passe de 353 quatrains à 600 en
comptant les 53 quatrains de la IV.
5 Les Prophéties de M. Michel
Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encores
jamais esté imprimées (..) Revues & additionnées par
l’Autheur pour l’an mil cinq cens soyxante & un de
trente huit/neuf articles
( Buffet 1561, Ed ligueuses1588-1589)
Note : on ajoute une centurie VII à
35/38/39/40/42 quatrains aux 6 centuries. L’édition à 38
articles serait postérieure au contenu de l’édition
Anvers 1590 à 35 quatrains à la VII.
6 Les Centuries et merveilleuses
prédictions de M. Michel Nostradamus contenant sept
centuries ; dont il en y a trois cens qui n’ont encores
iamais esté imprimées
(cf Ed. Valentin, Rouen 1611)
Note : titre assez bancal.
7 Les Prophéties de M. Michel
Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encores
iamais esté imprimées. Adioustées de nouveau par ledict
Autheur
(page de titre Edition Antoine du Rosne, Utrecht, 1557,
Benoist Rigaud 1568) . Cette présentation annonce un
second volet à la suite.
Note : ce titre du premier volet ne rend
pas compte de la septième centurie comme le faisait le
titre n° 4..
Pour en revenir aux Editions Benoist
Rigaud dont il a été question au début de notre étude,
l’’on ne peut que constater que la thèse d’une première
édition à 10 centuries effectuée en 1568 ne tient pas
puisqu’il est précisé « Adioustées de nouveau par ledict
Autheur », ce qui implique que cela se produise de son
vivant, donc au plus tard en 1566. En ce sens, le choix
de l’année 1566 pour les éditions Pierre Rigaud se
révélait assez judicieux – en ce qu’il laissait encore
possible le fait que Nostradamus ait procédé à une
ultime addition. Il permettait aussi d’intégrer
l’addition de 1560, ce qui n’était pas le cas pour
Antoine du Rosne 1557 qui comportait, sans le signaler,
au titre, une centurie VII. En fait, l’édition Antoine
du Rosne, au regard de son contenu, devrait porter le
titre 4. Ces éditions rigaldiennes, portant toutes le
titre « Prophéties » et le plus souvent lyonnaises,
laisseront la place aux éditions troyennes, rouennaises
et hollandaises, à partir des années 1630, les
premières, conservant le titre « Prophéties » et se
référant d’ailleurs à Rigaud, sous des formes antidatées
(1605 (Du Ruau, Troyes), 1611 (Chevillot, Troyes) et les
autres celui de « Vrayes Centuries « (Rouen , 1649)
puis de « Vraies Centuries et Prophéties » (Leyde,
1650). Cette nouvelle génération comporte des additions,
notamment en ce qui concerne les sixains introduits par
une Epitre à Henri IV, datée de 1605; éléments
totalement absents des éditions rigaldiennes de la fin
du xVIE et du début du XVIIe siècle. La série
rigaldienne ne reprendra le dessus qu’au XVIIIe siècle
avec les éditions maladroitement antidatées Pierre
Rigaud 1566, produites à Avignon vers 1716, alors que le
matériau biographique concernant Nostradamus s’étoffe.
On notera que le nom de Pierre Chevillot sera
instrumenté au XVIIe siècle pour produire des
contrefaçons de 1640, datées 1611, probablement par ses
héritiers.
Les années 1620 correspondront, en fait,
en dépit des apparences dues à des contrefaçons
antidatées qui faussent les perspectives chronologiques,
à un net reflux de la production centurique qui ne
reprendra qu’à la fin de la décennie suivante, à la
suite de la naissance longtemps attendue du dauphin, le
futur Louis XIV, en 1638. En effet, les éditions
lyonnaises et marseillaises censées parues dans les
années 1620 sont antidatées.(cf RCN, pp.187 et seq) et
comportent toutes le quatrain cryptogramme pour 1660.
Elles sont en fait calquées sur le modèle troyen -avec
les sixains et l’épitre de 1605 à Henri IV- et plus du
tout sur le modèle rigaldien. Nous pensons notamment aux
éditions datées de 1627 et 1633. En fait le type
rigaldien à dix centuries sans autres additions va
s’épuiser dès le début du XVIIe siècle (cf RCN, pp/ 145)
avec des éditions non datées Pierre Rigaud et Jean Poyet/Jean
Didier, les éditions Poyet reparaissant prétendument en
1627 ( cf RCN, pp. 187 et seq) mais cette fois dotées du
supplément troyen, et notamment du quatrain cryptogramme
pour 1660.Mais il s’agit en fait d’éditions antidatées
qu’il faut situer vers 1640, liées au renouveau troyen,
fort prolixe et qui meublera rétroactivement le premier
tiers du XVIIe siècle..(1605, 1611, 1627, 1633). On
trouve même chez Poyet un troisiéme volet à part entière,
c'est-à-dire avec reprise du nom du libraire, intitulé
« Centurie XI » (cf RCN, p. 189) et comportant les
sixains et les quelques quatrains des centuries XI et
XII du Janus Gallicus. Le XVIIe siècle n’a rien à envier
au XVIe siècle en matière de contrefaçons centuriques
puisqu’il déploie à la mort de Louis XIII toute une
série d’éditions antidatées à partir de 1605, date
correspondant à une Epitre à Henri IV accompagnant des
sixains, tout comme la date de 1555 de la Préface à
César avait donné lieu à des éditions à partir de cette
année là..
C’est dire que la pratique de
l’antidation est devenue une tradition de la production
néo-centurique, entre 1580 et 1640, environ et qu’elle
se prolongera, comme on sait jusqu’au début du XVIIIe
siècle avec la contrefaçon régentienne de 1716 (début de
la « Régence »), ce qui correspond à un long dix
septiéme siècle, lié aux trois premiers rois Bourbon.
Rappelons qu’Antoine Bourbon ajoutera à son édition une
Epitre à Louis XIV, non datée, due au chevalier Jacques
de Jant, parue au début des années 1670, et qui est tout
à fait en phase avec le quatrain cryptogramme pour 1660.
Le troisiéme Bourbon, qui a alors une trentaine d’années
est enfin en adéquation avec toute l’entreprise
néo-centurique et avec un prophétisme qui s’articule sur
une réussite étonamment précoce. On peut évidemment nous
objecter que rien n’empêchait de lancer des prophéties à
long terme, dès le début du XVIIe siècle mais c’est
ignorer à quel point le prophétisme est lié aux enjeux
politiques du moment et vise un prince qui, au minimum,
doit être déjà né, et non ses éventuels successeurs
virtuels. Une échéance à 20-30 ans de distance constitue
un calendrier politico-prophétique optimal, permettant
une mise en orbite efficace. Ainsi Louis XIII, né en
1601, avait-il commencé à faire de l’ombre à son père,
bien avant de lui succéder mais la naissance de son
premier fils – alors que le roi approche de ses quarante
ans- enclenchera une nouvelle dynamique qui profitera à
un nouveau sursaut néo-centurique, lequel d’ailleurs se
nourrira de la période troublée de la Fronde, faisant
ainsi pendant à celle de la Ligue, dont on sait à quel
point elle fut favorable à notre corpus, à, grosso modo,
soixante ans d’écart...
12 - Des éditions à quatre Centuries
vers les éditions à sept centuries
Ce qui frappe celui qui examine la série
des éditions centuriques concerne probablement le rythme
des additions successives et par là même des éditions
successives. Ne pas prendre la mesure de telles
mutations, quasiment incessantes, du texte, c’est
manquer la dynamique centurique, véritable « work in
progress ». Certains nostradamologues préfèrent y voir
une dégradation par rapport à un document d’origine d’un
seul tenant, d’autres sont disposés à suivre un tel
processus qui semble se dérouler sans très bien savoir
où il va, plus ou moins à la dérive.
La lecture d’une édition récemment
exhumée des prophéties parisiennes de la Ligue (Fonds de
l’Abbe Rigaux cf. Catalogue Thomas Scheler, 2010).nous
invite à faire le point, encore une fois, sur la façon
dont le canon centurique se mit progressivement en
place, sous la Ligue, du moins pour ce qu’on nomme le
« premier volet » de sept centuries. Il s’agit des Prophéties de M. Michel Nostradamus.
Dont il y en a trois cents qui n’ont encores esté
imprimées, reveues & additionnées par l’Auteur pour l’an
Mil cinq cens soixante & un, de trente huict articles à
la dernière centurie »
Paris, pour la veuve N. Buffet, 1561.
Si l’on compare cette édition avec celles
dont le titre et le contenu sont quasiment identiques,
produites à Paris, par au moins trois libraires, en
1588-1589, l’on note que deux d’entre elles ne
comportent pas d’années de publication et que la
troisième (Veuve Nicolas Roffet) comporte mention d’une
année qui semble être 1557, tout en étant datée de
1588.(cf. Guinard, « Historique des éditions des Prophéties de Nostradamus (1555-1615) », Revue française d’histoire du Livre,
n° 129, 2008, p. 67). En revanche, l’édition Buffet,
quant à elle, ne comporte qu’une seule référence, 1561.
Il y a là une évolution : on passe ainsi d’une
reproduction supposée d’une édition ancienne à la
« production » supposée d’une édition ancienne, si ce
n’est qu’apparemment l’édition Veuve Buffet serait
antérieure, ne comportant que 38 articles à la « dernière
centurie » au lieu de 39, ce qui renvoie
vraisemblablement à la centurie VII
. Le problème, qui est propre à toutes
ces éditions ligueuses, (Ve Buffet, Vve Roffet, Charles
Roger, Pierre Ménier) c’est que leur contenu ne
correspond pas au titre.
Afin de se donner les moyens d’établir un
ordre d’ancienneté entres ces éditions, examinons ce qui
caractérise l’édition Veuve Nicolas Buffet par rapport
aux autres du même groupe.
Cette édition ne craint pas de signaler
des additions, ce qui tranche avec les éditions bien
lisses, d’un seul tenant - elles n’ont pas de second
volet séparé puisqu’elles ne sont divisées qu’en sept
centuries- censées être parues chez Antoine du Rosne en
1557
A la Ive centurie, à la différence des
éditions parisiennes, l’édition Buffet change de page
avec un titre chapeautant les quatrains au-delà du 53e
là où les trois autres éditions parisiennes se
contentent d’une mention en milieu de page. L’intitulé
est néanmoins le même dans les quatre éditions alors
qu’une telle mention est absente du premier volet (Ed
Antoine du Rosne 1557, Benoist Rigaud, 1568, etc.)
« Prophéties de M. Nostradamus adioustées
oultre les précédentes impressions. Centurie quatriesme.
Suit un quatrain non numéroté puis, l’on passe au
quatrain 55.
A noter cependant que l’édition de Rouen
1588 à 4 Centuries s’arrête avant le 53e
quatrain de la IV (cf. RCN, pp. 122-123) et pourrait
donc correspondre à un état antérieur à l’édition à 353
quatrains.
Le même scénario que pour la IV est suivi
pour la Vie centurie, si ce n’est qu’une erreur fatale
va se glisser. On arrive au 71e
quatrain de la VI et apparemment une édition de ce type
a du exister. Et puis, comme pour la IV, on va placer,
en haut de page, une suite sous un titre, du même ordre
que celui qui annonce la suite de la centurie :
Prophéties de M. M. Nostradamus
adioustées nouvellement ; Centurie septiesme.
Or, l’on passe au 72e
quatrain, si bien que l’on s’attendrait plutôt à
l’indication « Centurie sixième » comme plus haut « Centurie
quatrième » Cette « septième » centurie s’arrête
d’ailleurs au 83e
quatrain. Mais à nos yeux, ce n’est que la suite de la
centurie VI Nous y voyons non pas une intention mais une
inadvertance. Par la suite, la VI sera bel et bien
complétée et servira un temps de « dernière centurie » à
100 quatrains(ou le plus souvent à 99)
A la différence des autres éditions,
l’édition Buffet ne compte pas de huitième centurie,
aussi brève soit-elle. Ce qui la rend effectivement plus
ancienne. Elle aurait du en fait en rester à six
centuries. C’est par inadvertance que cette septième
centurie aura été ainsi générée. Il n’en reste pas moins
que ce faisant, cette édition à sept centuries aura
servi de matrice pour le « premier volet », bel et bien
constitué de six centuries et d’une addition formant une
septième centurie ; si ce n’est que le contenu de la « septième »
centurie ne sera pas conservé dans les éditions finales
à sept centuries. Quant à la version à huit centuries,
celle attestée par les éditions parisiennes autres que
Veuve Buffet (à « 39 articles » au lieu de 38), elle
fera long feu et désignera la première centurie du
second volet, si ce n’est que dans les éditions
troyennes du XVIIe siècle, les additions en question
(VII et VIIIe centuries) seront reprises dans le cadre
d’une recension systématique du corpus nostradamique,
respectivement à la suite des centuries VII et VIII, ce
qui est assez étrange, dans le cas de la VIIIe centurie
ligueuse, qui se trouve dès lors incluse au sein du
second volet... Mais rappelons que les éditions Benoist
Rigaud 1568 ne conservent pas ces additions ligueuses.
Nous pouvons donc considérer l’édition
Veuve Buffet comme ayant servi de modèle, du moins au
niveau structurel, aux éditions centuriques ultérieures,
davantage que les autres éditions ligueuses à huit
centuries. On peut placer à la suite de la dite édition
celles .qui correspondent à son titre mais non pas à son
contenu. Il y a là un paradoxe chronologique qui veut
que toutes ces éditions ligueuses portent un titre
correspondant à un état à venir des éditions centuriques
et ne correspondant point à leur contenu. Inversement,
les éditions centuriques ayant un contenu en rapport
avec ce titre portent, quant à elles, un titre ne
correspondant pas non plus. On pense aux éditions Anvers
1590, Rouen 1611, Du Rosne 1557, Rigaud, 1568 et toute
la série Rigaud non datée (fin XVIe –début XVIIe) qui
signalent simplement une addition de 300 quatrains au
premier volet et, éventuellement, encore 300 quatrains
pour le second. Or, une telle description du premier
volet au titre renvoie, selon nous, à une édition à six
centuries, se terminant par un avertissement latin
conclusif - donc est antérieure au titre annonçant une
addition de « 38/39 article à la dernière centurie ».
Or, une telle édition à six centuries sans addition n’a
pas été conservée.
On peut aussi distinguer entre les
éditions à sept centuries comportant l’avertissement
latin et celles qui ne le comportent plus de façon à
supprimer les traces des états antérieurs. Deux
stratégies sont ici à l’œuvre : l’une qui vise à gommer
toute marque d’addition, tant à la quatrième centurie
qu’à la septième centurie et l’autre qui prend le parti
de produire des éditions datées du vivant de Nostradamus.
Ces deux stratégies conduisent à modifier sensiblement
les représentations liées aux premières éditions
centuriques qui avaient, au contraire, opté pour une
succession d’additions, position qui se maintient
cependant - on l’a vu dans l’annonce aux titres de 300
quatrains/prophéties additionnels mais sans que cela
soit clairement indiqué et signalisé au niveau du
contenu à sept centuries.
On classera donc parmi les éditions qui
maintiennent de facto la marque additionnelle à la fin
de la sixième centurie – en conservant l’avertissement
latin- les éditions Antoine du Rosne 1557 Utrecht,
Benoist Rigaud 1568, Jaques Rousseau, (Cahors, 1590) et
dans le second groupe qui évacue l’avertissement latin,
et donc ipso facto,
la marque additionnelle, les éditions Antoine du Rosne
1557 Budapest, Anvers St Jaure1590..
En fait, selon nous, les éditions
centuriques ont été partagées entre des traitements
successifs et contradictoires, ce qui rend d’autant plus
difficile d’en dresser l’ »Historique » comme a tenté de
le faire Patrice Guinard, dans un précédent texte paru
dans cette même Revue française d’Histoire du Livre
(2008).
Premier temps : on signale les
additions : à la quatrième centurie, à la sixième
centurie, même si dans le cas Buffet, il ne s’agissait
pas de créer une nouvelle centurie mais simplement de
compléter la sixième centurie, comme on l’avait fait
pour la quatrième centurie.
Deuxième temps : on supprime les marques
additionnelles, tant à la Ive qu’à la Vie centurie et
l’on produit ainsi des éditions d’un seul tenant à sept
centuries en laissant entendre que ces sept centuries
ont existé dès l’origine, c’est ce qui ressort justement
de l’édition Anvers St Jaure 1590 se prétendant la copie
conforme d’une édition avignonnaise Pierre Roux 1555,
dont on n’a d’ailleurs pas conservé d’exemplaire, même
contrefait, si ce n’est justement l’édition Antoine du
Rosne 1557 Budapest, qui en serait en quelque sorte la
réédition et qui donc dériverait d’Anvers 1590, avec
quelques quatrains supplémentaires, pour arriver à 40 à
la VII au lieu de 35.. On notera que l’édition Rouen
Pierre Valentin « contenant sept centuries » se présente
au titre « jouxte la copie imprimée en Avignon ». Chez
Saint Jaure, cette mention ne figure qu’à la dernière
page.
Troisième temps, on entre dans le cycle
« troyen » qui instaure une recension systématique de
toutes les formes de centurismes et qui va donc rétablir
ce qui aurait pu être évacué, d’où la réapparition de
l’avertissement latin, à la fin de la VI, comme dans
Antoine du Rosne 1557 Utrecht et comme dans Benoist
Rigaud 1568 ou Cahors Rousseau 1590 (cf. RCN, pp. 126 et
seq) et surtout la plupart des éditions du XVIIe siècle
(dont Amsterdam 1668, une des plus connues, du fait de
son appareil iconographique) etc. .
Quatrième temps : on produit des éditions
antidatées censées correspondre à des états successifs
fictifs ayant abouti aux éditions « modernes ». C’est
alors qu’apparaissent Macé Bonhomme 1555, Antoine du
Rosne Utrecht 1557, laquelle édition, reprenant des
éléments de la précédente contrefaçon Antoine du Rosne
1557 Budapest - ne comporte pas les additions ligueuses
à la VIIe centurie mais pas davantage la marque
d’addition à la Ive centurie, ce qui est une erreur dans
le scénario. En revanche, l’avertissement latin est
maintenu mais sans le quatrain 100 de la VI alors que le
dit quatrain figurera dans les éditions troyennes et
hollandaises. Ajoutons la production de la série Rigaud
qui reprend le premier volet Du Rosne –Utrecht en
rajoutant un second volet, repris probablement de
Sylvestre Moreau 1603 : Nouvelle Prophétie de M. Michel
Nostradamus qui n’ont jamais esté veues n’y (sic)
imprimées que en ceste présente année.
Dédié au Roy. (Bib. Arsenal, Paris) (cf. Benazra, RCN,
pp 153-154) dont il existe une autre édition, en 1650 (BNF).
Benazra commente ainsi (pp 219-220) l’édition 1650 : « Cette
édition est incomplète car elle ne comporte que les
centuries VIII, IX, X lesquelles ne sont évidemment pas
nouvelles. Ceci montre la mauvaise foi, du moins la
méconnaissance des premiers éditeurs des Centuries.
Daniel Ruzo pense qu’il s’agit d’une édition apocryphe
du XVIIIe siècle » Nous ne suivrons pas Benazra dans un
tel jugement : il s’agit bien là d’un état antérieur à
l’intégration d’un « second volet » au sein d’un canon
centurique large et les éditions troyennes l’intégreront
peu après 1603 dans leur système tout comme elles le
feront, à la même époque pour les 58 sixains de Morgard.
Pour en revenir à l’édition Veuve N.
Buffet qui annonce au titre 38 articles à la dernière
centurie, et dont le contenu diffère sensiblement- nous
avons expliqué ailleurs ce phénomène du fait d’enjeux
commerciaux- on ne saurait suivre Patrice Guinard quand
il parle (« Historique », pp. 66-67) d’une copie d’une
édition Barbe Regnault réellement parue en 1561, qui n’a
pas été conservée. .C’est même là une pièce fondamentale
de son travail bibliographique et il fournit toute une
série d’arguments pour étayer sa position. Il nous faut
donc nous y arrêter. Notons qu’au moment de la parution
de son étude, il ne connaissait pas l’édition Veuve N.
Buffet, datée de 1561, qui n’a été présentée au public
qu’en 2010 (cf. Nostradamus et son siècle.
Exceptionnel ensemble d’éditions des Prophéties et des
Pronostications 1555-1591.
Avant propos de Michel Scognamillo, Librairie Thomas
Scheler, pp. 47 et seq.)
Cette édition Buffet 1561 est en fait
fort embarrassante pour les tenants d’une édition
authentique parue du vivant de Nostradamus. Elle
comporte les mêmes bizarreries que les éditions
ligueuses, à savoir le décalage entre le titre et le
contenu dont nous avons dit que c’était un « truc » de
libraire pour écouler ses stocks d’éditions devenues
obsolètes, du fait des changements incessants affectant
alors le corpus centurique. Cette édition, plus que
toute autre – car l’édition Roffet tout en mentionnant
1557 en son titre n’en est pas moins datée de 1588- et
cette libraire a bien exercé sous la Ligue- est placée
sous le nom d’une libraire ayant exercé à une autre
époque, ce qui nous ouvre à un ingénieux trafic des noms
de libraires anciens visant à « vieillir » les
documents. Valérienne Mallet a bien exercé dans les
années 1550-1560 (cf. Dictionnaire des femmes libraires en
France), tout comme Barbe Regnault, Antoine du
Rosne, Pierre Roux ou Macé Bonhomme. Nul n’en
disconvient mais cela ne suffit pas pour en faire des
éditions authentiques. Et puis, comment P. Guinard
explique-t-il – car une bibliographie est un tout- que
soit paru en 1557 des éditions à sept centuries, qui
auraient donc intégré….les additions pour 1561 ? La
seule solution pour Guinard est de contester que
l’addition de 38/39 quatrains à la Vie centurie vise la
septième centurie, il n’identifie pas les « articles » à
des « quatrains ». En outre, il est assez patent que le
contenu, cette fois, de toutes ces éditions prétendument
issues de Barbe Regnault est beaucoup moins achevé que
celui des éditions Du Rosne. On se trouve donc dans une
situation parfaitement ingérable puisque ces éditions
parisiennes- puisque toutes ces éditions sont censées
parues à Paris et non à Lyon ou à Avignon comme les
autres- mais là effectivement, on ne saurait nier le
précédent Barbe Regnault qui publia dans les années
soixante de faux almanachs de Nostradamus-
correspondent, de facto, à un contenu embryonnaire par
rapport aux éditions du Rosne : une centurie VI à 71
quatrains, une centurie VII avec 12 quatrains (et qui
n’est en fait qu’un prolongement de la VI, laquelle
n’atteint même pas encore les 100 quatrains). Il en eut
été autrement, certes, si l’édition Buffet avait
sensiblement différé des autres éditions parisiennes par
son contenu mais nous avons pu vérifier de visu, en mai
2011, à la libraire Thomas Scheler-Clavreuil, grâce à
l’amabilité de M. Scognamillo, qu’il n’en était rien. Il
s’agit simplement d’un état légèrement antérieur aux
autres éditions parisiennes, qui n’a pas encore
l’adjonction (6 quatrains) d’une VIIIe centurie de
quelques quatrains et qui propose au titre 38 articles
au lieu de 39, « additionnés » à la « dernière centurie ».
Que l’édition Veuve Nicolas Roffet mentionne en son
titre l’année 1557- par delà son contenu qui est
totalement décalé- nous oriente vers les tentatives
d’antidatation qui aboutiront à produire à partir d’une
édition Anvers 1590 une édition 1555 et à la suite une
édition Antoine du Rosne 1557. Cette édition Anvers 1590
correspond, à peu de choses près, au titre de l’édition
Buffet 1561. On parle d’une addition de 38 « articles »
à la dernière centurie, alors qu’Anvers 1590 comporte 35
quatrains à la VII. En ce sens, nous dirons que le titre-
mais, encore une fois pas le contenu- de Buffet – mais
aussi des autres éditions parisiennes mentionnant 39
articles- est postérieur à Anvers 1590 St Jaure. Or,
c’est bien cet intitulé que Guinard veut nous faire
considérer comme correspondant à une édition parue du
vivant de Nostradamus, chez la veuve Buffet ou chez
Barbe Regnault. Il faut bien comprendre que les éditions
Antoine du Rosne 1557 sont elles-mêmes postérieures en
leur contenu à Anvers 1590 et même aux éditions
augmentées de 38 ou 39 articles puisqu’elles en
comportent 40 (exemplaire de Budapest) et 42 (exemplaire
d’Utrecht). Rappelons que cette étrangeté d’éditions
1557 plus tardives que des éditions supposées avoir été
augmentées de dizaines d’articles au-delà de la Vie,
tient à un revirement stratégique, à une sorte de
reflux : premier temps : on a une succession d’additions
qui marque une sorte de croissance continue d’un
processus en train de se constituer et second temps : on
a une phase de retour à un point origine, passant par la
négation d’un tel processus progressif. Il est bien
difficile pour le bibliographe de ne pas se perdre dans
un tel dédale et de parvenir à garder le cap.
Quant aux divers arguments présentés par
P. Guinard
à l’appui de l’existence d’une « vraie » édition Barbe
Regnault 1561 des Centuries, qu’en dire ? La plupart
d’entre eux ne font que souligner l’entrelacs des
diverses éditions ligueuses, des postdatations et des
antidations. On ne retiendra qu’un seul point, le
troisième (p. 66) : « l’ajout dans l’édition 1561 des
quatrains de l’almanach pour 1561 (initialement parus à
Lyon et chez un concurrent parisien, Guillaume Le Noir,)
mais que la veuve Regnault n’avait pas inclus dans son
almanach ». Entendons « édition 1561 des Prophéties ».
De fait, Benazra avait noté que pour réaliser la « septième
centurie » des éditions parisiennes. (cf. RCN, pp.
118-119), il nous faut citer son texte de 1990 à propos
de cette centurie VII (en fait suite de VI) :
« 12 quatrains n°s 72 à 83. Dans cette
centurie on a inséré 12 quatrains qui n’en ont jamais
fait partie. » Formule qui ne se conçoit que sous la
plume de quelqu’un qui croit que la centurie VII était
déjà constituée au moment où ce document a été produit,
ce qui à notre avis n’était nullement le cas.(si on
laisse de côté la question du titre puisqu’il s’agit là
d’analyser le contenu) Quant à P. Guinard, concernant
les éditions ligueuses, il n’hésite pas à parler (Corpus
Nostradamus n°65) d’’éditions tronquées de trois
centuries » en référence à un ensemble de dix centuries
qu’il suppose antérieur.
Continuons : en dehors du quatrain 72
« les autres sont ceux qui devaient être publiés comme
présages pour l’almanach pour 1561. Nous ignorons
pourquoi ils furent supprimés de l’almanach imprimé par
Barbe Regnault et intégrés dans l’édition 1561 des
Centuries » Benazra, lui aussi, croit qu’il a existé une
édition 1561 puisque celle-ci est mentionnée….au titre.
Benazra signale « un almanach apocryphe ne contenant pas
de vers prophétiques. Cet almanach pour 1561
a certainement été réalisé par la veuve Barbe Regnault
avec l’édition falsifiée des Centuries en 1561. » (cf.
RCN, p. 44). Notre explication est toute autre : une
fois que les faussaires optèrent pour une addition pour
1561, ils décidèrent de placer du « vrai » Nostradamus
en récupérant les quatrains de l’almanach de Guillaume
Le Noir pour cette année là. On nous objectera qu’ils
n’avaient pas les moyens, sous la Ligue, de connaitre le
contenu d’un almanach paru un quart de siècle plus tôt.
Or, un tel argument ne tient pas et
sous-estime les ressources mises à la disposition des
faussaires et dont d’ailleurs profitera le Janus Gallicus de 1594 et les éditions troyennes
introduisant des Présages dans leur production (1605
etc.), c'est-à-dire des quatrains des almanachs de
Nostradamus, repris au demeurant du dit Janus Gallicus. Bernard Chevignard a édité, en partie,
dans ses
Présages de Nostradamus (Paris, Seuil, 1999, le
Recueil de Présages Prosaïques, dont le manuscrit est conservé à la
Bibliothèque de Lyon La Part Dieu, lequel manuscrit, en
dépit de son titre, comporte les quatrains des almanachs
et dont le Janus Gallicus
s’est certainement servi, et ce d’autant plus que la
page de titre du dit manuscrit comporte le nom de Jean-Aimé
de Chavigny. Le fac simile (Chevignard, Présages, op.
cit., p. 109)–déjà rendu par P. Brind’amour en 1994,
dans son Nostradamus astrophile, Paris, Ed.
Klincksieck, p. 501), qui y avait eu accès avant sa
restauration, précise in fine, au titre, « Extraict des
commentaires d’iceluy et reduit en XII livres par Jean
Aime de Chavigny, Beaunois », Grenoble (en latin) 1589.
On ignore si le manuscrit, prêt à l’impression, fut
réellement imprimé ou si nous sommes en face d’une copie
manuscrite de l’imprimé disparu, cela importe peu.
D’ailleurs P. Guinard n’ignore rien de l’existence de ce
manuscrit et il l’associe lui-même, sur son site, avec
Chavigny, notamment à propos des Présages Merveilleux
pour 1557, qui était la seule source d’information avant
que cet ouvrage soit reproduit en partie par nos soins
avant qu’il ne soit acquis par la Maison de Nostradamus,
lors de la vente de la collection Ruzo.
Guinard note que Barbe Regnault aura
inspiré les éditions ligueuses. Ce ne fut en tout cas
pas le cas pour l’almanach pour 1561 et d’ailleurs,
Benazra a noté, pour l’almanach pour 1563 de la dite
Barbe Regnault que les quatrains qui y figuraient
n’étaient pas ceux de l’almanach de Nostradamus pour
1563 (cf RCN, pp. 58 et seq). En fait, il semble bien
que cette libraire n’avait pas encore commencé à
produire des almanachs de Nostradamus à quatrains, en
1560 et que quand elle s’y décidera, elle préférera
recycler d’anciens quatrains, quitte à en modifier
l’ordre des versets. En revanche, le choix de la
vignette qui servira pour la Veuve N. Buffet, pour la
veuve Nicolas Roffet et pour Pierre Mesnier – seul
Charles Roger ne présente pas de vignette en page de
titre - pourrait effectivement dépendre des faux
almanachs de Barbe Regnault, y compris de son almanach
sans quatrains pour 1561 (dont on a la reproduction sur
le corpus Nostradamus de P. Guinard, cura.free.fr et sur
propheties.it de Mario Gregorio). Cette vignette imitant
celle des pronostications de Nostradamus, et qui ne
comporte pas en son sein, en bas à gauche « M. de
Nostredame », est bien semblable à toute la série des
contrefaçons antidatées Macé Bonhomme 1555 et Antoine du
Rosne 1557 ainsi qu’à celle des éditions ligueuses. Il
semble que les faussaires aient fait fausse route en
optant pour la vignette d’un faux almanach pour 1561 (ou
1563) de Nostradamus, publié par Barbe Regnault. S’ils
avaient opté carrément pour la vignettes des
Pronostications, ils auraient moins éveillé les soupçons.
On notera à ce propos que Nostradamus, dans les années
1550 ne se sert jamais de telles vignettes pour ses
almanachs. Or, Barbe Regnault, elle, place des vignettes
sur les faux almanachs de Nostradamus, ce qui est
également un signe de contrrefaçon.
JHB
18.05.11
13
- Documents postdatés et documents
antidatés dans le corpus nostradamique
Au phénomène d’antidatation que nous
signalions depuis près de vingt ans, est venue,
progressivement, se greffer la prise de conscience d’un
phénomène, en quelque sorte, inverse de post-datation et
c’est la conjonction des deux phénomènes qui aura rendu
la bibliographie centurique un exercice à haut risque,
aussi bien chez ceux qui se contentent de noter les
informations au premier degré que chez ceux, comme
Daniel Ruzo et nous-mêmes, qui s’efforcent de
réorganiser en profondeur l’ensemble des données. La
vigilance est de rigueur dans ce domaine, ce qui
implique de ne rien laisser passer d’insolite et de
suivre toutes les pistes, de tester toutes les
hypothèses, bref de dresser un inventaire extrêmement
exigeant, permettant notamment de faire ressortir des
chainons manquants, lesquels ne manquent pas, ce qui
vient encore compliquer la tâche du nostradamologue
averti et consciencieux. Nous verrons si le problème
affecte également d’autres pièces que les éditions
centuriques proprement dites.
Le phénomène de post-datation est
beaucoup plus familier et même franchement banal que
celui d’antidatation mais il prend dans le cas des
éditions centuriques une dimension assez extraordinaire
et l’on peut dire que cela a pour effet de brouiller les
pistes. On connait tous le procédé des rééditions lequel
s’apparente, peu ou prou, à une forme de postdatation
assez bénigne comme est en apparence innocente le fait
de vouloir retracer l’historique d’un domaine, ce qui
peut se rapprocher de l’antidatation. Le distinguo n’est
pas toujours aisé entre contrefaçons et initiatives
visant à replacer les choses dans une juste perspective
et rétrospective.
S’il fallait classer les éditions
centuriques qui nous sont parvenues en ne gardant que
celles qui ne relèvent ni de l’antidatation, ni de la
postdatation, stricto sensu,
il ne resterait plus grand-chose. On pourrait poser la
question à l’envers : qu’est-ce qu’une édition
centurique qui ne serait ni antidatée, ni postdatée ?
Nous répondrons de façon assez tranchée, sur la base de
nos travaux à ce jour, qu’aucune édition datée du vivant
de Nostradamus ne peut échapper au qualificatif
d’antidatée et que les éditions plus tardives des années
1580 sont de pseudo-éditions postdatées, puisque se
présentant comme des rééditions de quelque document déjà
paru antérieurement. Autrement dit, de telles prétendues
rééditions seraient en fait des éditions ni antidatées,
ni postdatées, dès lors qu’elles ne se présenteraient
pas comme des rééditions, ce qui n’est d’ailleurs pas
nécessairement le cas.
Prenons le cas de l’édition de Rouen,
parue chez le libraire Raphaël du Petit Val (et dont on
ne dispose actuellement d’aucun exemplaire mais qui n’en
est pas moins décrite par son ancien possesseur, Daniel
Ruzo, comme il le reconnait dans son Testament de Nostradamus (Ed.
du Rocher 1982). Cette édition se présente comme « divisée
en 4 centuries » en son titre. Or, selon Ruzo, l’ouvrage
n’est pas réellement structuré ainsi, les quatrains se
suivant sans découpage. Voilà un exemple, dont nous
verrons qu’il est assez courant, d’une édition postdatée
du fait de son titre. Autrement dit, son contenu est
plus ancien que son titre lequel concerne un contenu
différent et plus structuré (en 4 centuries). De la
sorte, reconnaissons que nous faisons coup double
puisque nous avons en quelque sorte deux documents pour
le prix d’un seul comme si le dit document était à
cheval sur deux versions successives ou peut-être pas
tout à fait des éditions centuriques. En fait, l’on peut
conclure que le contenu de cette édition de 1588 doit
être antidaté d’un voire de deux ans, tant il semble
invraisemblable que l’on soit passé en l’espace d’un an
d’une édition à 4 centuries à une édition (celle de
1589, chez le même libraire rouennais) qui en est à 7
centuries et sans même marque de passage entre le début
et la fin de la centurie IV, encore que son état de
conservation ne nous permette pas d’affirmer qu’elle
avait ou non gardé l’avertissement latin ni combien de
quatrains elle avait dans la centurie VII (fort
probablement moins de 40)
Les exemples de décalage, de mismatch, de décalage,
entre contenant et contenu sont nombreux
et lorsque l’on ne connait que la page de titre d’un
ouvrage, mieux vaut ne pas sauter aux conclusions
concernant son contenu, en tout cas dans le champ
centurique. Un autre cas que nous avons déjà eu
l’occasion de signaler est celui des éditions
parisiennes datées de 1588 et 1589, qui correspondent à
trois libraires s’étant en quelque sorte partagé la
distribution. Il est plus que probable que le contenu de
ces éditions soit antérieur à celui des années en
question et notamment quelle différence entre Rouen 1589
et Paris 1589 :
plusieurs stades séparent ces éditions apparemment mais
apparemment seulement exactement contemporaines. C’est
dire que si l’on se concentre sur tout ce qui est daté
1588 et 1589, on obtient un ensemble excessivement
hétérogène, du fait de la post-datation par le biais des
pages de titre, ce qui n’exclut nullement un changement
de libraire entre un état et un autre. Donc avant de
qualifier de « parisiennes » les éditions de 1588-1589,
il convient d’être sur ses gardes car seules les pages
de titre font ici foi et c’est bien insuffisant dans le
contexte qui est celui des éditions centuriques.
Que dire de la traduction anglaise de
1672 ? C’est le type d’une réédition en même temps que
d’une traduction, plus d’un siècle après la mort de
Michel de Nostredame. Mais cette réédition s’avère
extrêmement précieuse car elle nous permet, selon notre
analyse du texte en prose, de restituer un état premier
de la Préface à César, antérieur à celui figurant dans
la totalité des éditions centuriques connues.
Ces post-datations, à quoi tiennent-elles ?
Quel intérêt a-t-on à indiquer un état qui n’est pas
celui du contenu de l’édition ? Nous pensons que cela
peut concerner des stocks d’invendues, rendus obsolètes
par la mise en avant de nouveaux éléments. Pour donner
le change, on va mettre en vente une marchandise
dévaluée en se contentant de remanier la page de titre.
Le tour est joué, et le procédé est si efficace qu’il
continue à faire des victimes parmi les libraires et
leurs lecteurs, mais aussi chez historiens et bio-bibliographes
qui n’y voient que du feu. On ne peut donc pas vraiment
dire qu’il y a, au départ, une volonté de fausser les
représentations de l’histoire des centuries mais cela
peut fort bien produire de facto
un tel résultat, vu que ce ne sont là que des
considérations d’ordre commercial. Il peut s’agir aussi
de libraires qui rachètent à bas prix des stocks
d’invendus et les écoulent – ou du moins tentent de les
écouler-(en changeant la page de titre). Mais on conçoit
que l’historien des textes ne puisse que se réjouir
quand il tombe sur de tels arrangements car cela permet
de combler des lacunes de son corpus en dédoublant
l’information.
A priori, le travail des éditeurs
implique le plus souvent une forme d’antidatation et de
postdatation. En effet, il est normal de rééditer des
documents plus ou moins anciens, de les inscrire dans
une nouvelle modernité tout comme cela l’est de replacer
les choses dans leur contexte d’origine. A quel moment,
alors, peut-on parler d’abus de droits ? C’est le cas
lorsque un document est présenté comme plus récent qu’il
ne l’est ainsi que lorsque un document est présenté
comme plus ancien qu’il ne l’est véritablement. Mais
dans le cas de Nostradamus, la question revêt une plus
grande complexité : les années 1580 sont celles d’un revival nostradamique, après une parenthèse d’une
quinzaine d’années (entre 1569 et 1584 environ), sous la
forme d’ouvrages qui sont censés avoir été composés, par
définition, du vivant de leur auteur. On est donc ipso
facto dans la post-datation. Mais à partir du moment où
l’on attribue au dit Nostradamus des publications qui en
fait datent des dites années 80 et au-delà, on bascule
dans l’antidatation, surtout quand des éditions se
voulant d’époque sont carrément produites. En même
temps, les libraires recyclent des documents bel et bien
parus du vivant de Nostradamus comme l’Epitre à Henri II
mais considérablement retouchés, ils publient des
quatrains inspirés de la Guide des Chemins de France
de Charles Estienne et d’autres ouvrages
littéralement truffés de noms propres, du même genre et
du même auteur, parus dans les années 1550 mais les dits
quatrains sont retouchés pour s’ajuster avec ce qui se
passe dans les années 1590. Les libraires publient
également la Préface à César qui n’a pas été inventée de
toutes pièces mais probablement reçue et conservée par
le dit César.
Le plagiat est un outil important de ce
processus de postdatation-antidatation. Les contrefaçons
recourent volontiers à une forme de recyclage,
donc de postdatation. Ainsi utiliser des passages
d’Estienne pour exhumer de prétendus textes posthumes
pour ensuite prétendre que les dits textes posthumes
sont en fait parus précédemment du vivant de Nostradamus,
recourt aux deux procédés apparemment contradictoires.
Quand Barbe Regnault publie de faux almanachs de
Nostradamus, dans les années 1560, elle se sert, comme
l’a noté R. Benazra (sur l’almanach pour 1563 (Bibl. Mun.
Lille), cf. RCN, pp. 58 et seq), de quatrains
d’almanachs des années antérieures. Quand l’on met en
place au milieu des années 1580 les premières
productions centuriques, l’on se sert pour les centuries
VI et VII ; de quatrains issus de l’almanach de
Nostradamus pour 1561, ce qui ne sera pas conservé dans
les éditions rouennaises et dans les éditions Antoine du
Rosne 1557 (Budapest/Utrecht) mais qui sera repris dans
les éditions troyennes du siècle suivant, lesquelles ne
veulent rien négliger qui relève de près ou de loin de
la production nostradamique, à l’instar de ce que feront
Chomarat et Benazra, dans les années 80 du XXe siècle,
dans leurs bibliographies respectives...
Un autre aspect que l’on ne saurait
ignorer concerne la production se présentant comme
extra-centurique. On a du mal, au départ, à imaginer que
des faussaires prennent la peine de produire des
ouvrages dans le seul but de conforter l’authenticité
des éditions centuriques antidatées.
Nous avons plusieurs cas de
« confirmations » de ce type :
-
Nostradamus Les Significations de l’Eclipse
de 1559, Paris, Guillaume Le Noir (Maison de
Nostradamus)
-
Antoine Crespin Les Prophéties dédiées à la
puissance divine et à la nation française
(BNF Numérisation), 1572, Lyon, François Arnoullet
-
Jean Dorat et Jean de Chevigny, son
traducteur et présentateur, L’Androgyn, 1570, Lyon,
Michel Jove
-
Les Prophéties du Seigneur du
Pavillon,
par Antoine Couillard, 1556., Paris, Antoine Le Clerc
-
Ces quatre documents, deux censés
parus du vivant de Nostradamus à Paris et deux
autres, peu de temps après sa mort, à Lyon viennent
tous, à des titres divers accréditer la parution,
avant la date qu’ils comportent de certaines
éditions centuriques alors qu’ils sont, du moins
sous la forme que nous leur connaissons, des pièces
antidatées.. Sur les 4, trois d’entre eux furent
signalés en premier par nos soins en tant que
témoignages. R. Benazra, dans le RCN, signale (p.
18) que l’ouvrage de Couillard « présente une
parodie des Centuries ». alors que cela ne concerne
que des éléments communs avec la Préface centurique
à César. Quant à Chomarat, il ne signale même pas
l’ouvrage qui ne porte pas le nom Nostradamus en son
titre. Benazra cite certes les Prophéties de Crespin
mais seulement au fait du surnom de l’auteur indiqué
et non de par son contenu. De même Benazra cite-t-il
l’Endrogyn
(sic) de Jean Dorat – non mentionné par Chomarat,
probablement sur la seule base de la page de titre
qui ne comporte pas le nom de Nostradamus - mais
sans mentionner un passage de l’épître comportant un
quatrain des centuries, dument numéroté. De même
pour les Significations,
citées mais sans signaler un renvoie à la « seconde
centurie de mes prophéties », déjà utiilisée pour
l’Androgyn de 1570. Une bonne part de ces
observations fut communiquée directement ou
indirectement à Pierre Brind’amour qui les reprit
dans ses ouvrages.(1994, 1996). Mais le probléme,
c’est qu’il eut fallu tenir compte de l’enseignement
crucial lié à l’édition Rouen du Petit Val, 1588
qui, en dépit de son sous titre « divisée en quarte
(sic) centuries n’est pas organisée en centuries. (cf
D. Ruzo, Testament,
p. 282). C’est ce sous titre qui aura d’ailleurs
induit en erreur les faussaires lesquelles, sans
nécessairement consulter le contenu et s’en tenant à
la page de titre, ont pu croire que la première
édition était constituée en centuries. Nous avons
mis en garde, à plusieurs reprises par rapport au
décalage entre titre et contenu d’une édition
centurique.
I Couillard 1556
R. Benazra et quelques autres ont
consacré du temps à montrer à quel point la Préface à
César se retrouvait en grande partie dans les Prophéties de Couillard.(Paris, 1556), n’hésitant
pas à conclure que cela prouvait la réalité de la
parution de l’édition Macé Bonhomme 1555, dont Couillard,
en quelque sorte aurait fait une sorte de commentaire
satirique. C’était aller un peu vite en besogne. D’une
part, parce que Couillard, à aucun moment, ne signale le
moindre quatrain de Nostradamus, n’utilise même le mot
« centurie » (comme dans les Significations de l’éclipse
de 1559). Si au moins il avait, comme dans l’Androgyn
de 1570 (cf infra) repris un quatrain et avait indiqué
dans quelle centurie il se trouvait, mais même pas ou
s’’il avait produit un texte compilant divers versets
comme le fera un Crespin (Prophéties,
1572)…..Pourquoi une telle omission ? Nous avons
développé, durant quelque temps, la thèse selon laquelle
la Préface à César était d’abord parue en tête d’un
autre texte que celui des Centuries et qu’elle avait été
ensuite recyclée et retouchée, comme pour l’Epître à
Henri II, d’abord présente au début des Présages Merveilleux pour
1557.
Le fait que l’ouvrage de Couillard se nommait Prophéties
confirmait en outre que c’était bien sous ce titre – qui
est celui de la série Bonhomme-Du Rosne- que les
premières centuries seraient initialement parues.
Restait à déterminer ce qu’une telle expression
recouvrait dans le contexte de la production
nostradamique des années 1550. Cependant, en 1560, quand
Couillard publie ses Contreditz à Nostradamus, il ne mentionne pas
davantage les centuries et ne « revient » pas sur la
fameuse Préface qu’il avait brocardée 4 ans plus tôt,
pas plus que Nostradamus n’évoquera dans ses autres
textes la dite Préface à César..Les autres adversaires
de Nostradamus, plus ou moins bien identifiés, dans les
années 1550, n’avaient pas non plus signalé les
centuries, visant bien plutôt les almanachs et les
pronostications. Bref, ces Prophéties
de Couillard étaient un cas isolé dans le contexte de
l’époque alors qu’elles étaient en position centrale
dans le revival des années 1580 d’un Nostradamus « ressuscité »,
comme on le dira en Angleterre de Claude Dariot, un
médecin astrologue contemporaine de Michel de Nostredame,
de confession protestante.
En fait, ne serait -ce point parce que le
Seigneur du Pavillon, alias Antoine Couillard, s’était
fait connaitre par ses Contreditz,
que l’idée en serait venue aux faussaires de lui
attribuer ce document authentifiant les éditions
centuriques antidatées sachant que les dits faussaires
étaient fort bien achalandés concernant tout ce qui
touchait de près ou de loin à Nostradamus, sans
d’ailleurs eux-mêmes, savoir toujours s’y retrouver,
confondant l’authentique et les contrefaçons antérieures
aux leurs..Aurait-on, parallèlement, à l’annonce de
l’existence d’éditions avignonnaises parues sous le nom
de « Professies »- c’est le terme utilisé—dès 1555,
comme cela se trouve dans certaines éditions des Grandes et Merveilleuses Prédictions
(1590), mis en chantier ce faux Couillard dans le style
des Contreditz,
en reprenant bien entendu le texte de la Préface tel
qu’il figurait en tête de toutes les éditions ligueuses ?
Mais pourquoi dans ce cas ne pas avoir évoqué, par la
même occasion, les quatrains centuriques et s’être
focalisé sur la seule Epitre au fils Nostradamus ?
La thèse pour laquelle nous optons
présentement est la suivante : c’est César de Nostredame
lui-même qui aurait commandité les dites Prophéties
de Couillard alors même que les Centuries n’étaient pas
encore parues de façon à authentifier un document qu’il
aurait fait circuler par ailleurs. Rappelons qu’il
n’était pas rare de publier des Epitres se suffisant à
elles-mêmes, et que le terme « préface » a pu apparaitre
par la suite quand ce texte sera placé en tête des
Centuries. Allons plus loin : c’est précisément parce
que cette Epitre à César avait circulé depuis peu qu’on
décida de l’utiliser pour la placer en tête des « Prophéties ».
C’est une pratique qui se confirmera dans la mouvance
nostradamique ou pseudo-nostradamique que de rassembler
en un seul volume des éléments d’abord parus séparément
et qui atteindra son paroxysme encyclopédique avec les
éditions troyennes du début du XVIIe siècle. Signalons
que le texte qui paraitra alors en tête des centuries
reprend largement le
Compendium
de Savonarole, tout en le retouchant à loisir.
II
Significations 1559
Parmi les documents que nous avions
signalés, au début des années Quatre Vingt Dix du siècle
passé, comme faisant assez ponctuellement sinon
vaguement allusion à la production centurique, les Significations
de 1559, lesquelles comportaient une mention assez
fugitive et qui avait échappé à nos prédécesseurs, d’une
« seconde centurie », sans qu’on nous en dise beaucoup
plus. Or, l’ouvrage en question – comme l’avait
notamment confirmé Theo Van Berkel, un chercheur
néerlandais, était un document assez hybride, ce
qu’avait signalé l’abbé Torné Chavigny dans une lettre
figurant dans le fac simile des Significations
qui fut réalisé en 1904 (cf. Benazra, RCN), p. 448),
indiquant un emprunt à l’Eclipsium
de Cyprian Leovitius. On y trouvait en
fait une certaine diversité de documents, qui se
contredisaient parfois, au niveau même du discours
proprement astrologique. Il s’agissait en fait d’une
épître à J-M Sala, datée du mois d’août 1558 et donc
parue, à en croire la pièce en question, sous le nom de Significations de l’Eclipse
de 1559. La proximité avec la date de l’Epître, recyclée,
à Henri second, passée entre temps de 1556 à juin 1558,
nous oriente non plus vers le corpus ligueur comme pour
la préface à César mais vers le
corpus antiligueur, celui du parti d’Henri de
Navarre, puisque l’on sait que l’Epître au Roi figurera
en tête des centuries VIII-X, dont le contenu est
farouchement hostile aux Guises et prétend annoncer le
couronnement du dit Henri à Chartres (IX, 86). Nous
avons émis l’hypothèse que l’Epître d’août 1558 qui
signale la « seconde centurie » avait précédé celle de
juin 1558, en tête de ce que l’on appellera par la suite
le ‘second volet » de centuries ; Dans ce cas « seconde
centurie » renverrait à ce qu’on appellera la centurie
IX.
III Androgyn,
1570
Cette pièce est remarquable en ce qu’elle
est la seule que l’on connaisse, à citer un extrait des
Centuries en se référant au dispositif de localisation
des quatrains, tel qu’il est pratiqué dans les éditions
centuriques. Ce passage n’avait pas été signalé,
cependant, par nos prédécesseurs qui auraient pu en
tirer argument en faveur du premier volet des Centuries,
à laquelle la mention se réfère. C’est bien entendu du
quatrain relatif à l’Androgyn qu’il s’agit.(II, 45), il
est repris dans l’épître de Jean de Chevigny, le
traducteur du poème latin de Jean Dorat sur ce thème,
que celle-ci introduit, avec la traduction faite par
Chevigny, ancien secrétaire de Nostradamus.
En dehors de cette édition de 1570 du dit
poéme, nous disposons d’un recueil de pièces du dit
Dorat, daté de 1586 au sein duquel se trouve
celui-ci.(cf Benazra, RCN, p. 96) Nous pensons que c’est
en fait l’origine de ce que nous considérons comme une
édition antidatée. Non pas que Dorat n’ait pas composé
l’Androgyn à cette date de 1570 mais elle n’aura pas
connu alors d’impression. Comme ce sera souvent la
coutume, une impression antidatée comporte un texte
correspondant à la date ainsi indiquée, ce sera
évidemment le cas pour la Préface à César datée de mars
1555 et donnant lieu une édition antidatée pour cette
même année et ce fut aussi probablement le cas pour une
édition Antoine du Rosne, 1558, par rapport à l’Epitre
au Roi, du mois de juin de la dite année, étant entendu
que même un texte paru de façon posthume a forcément été
rédigé du vivant de l’auteur, ce qui autorise toutes
sortes de manipulations antidatées.
Il faut au demeurant souligner à quel
point une telle citation est insolite car en 1570 était
censé être parue l’’ensemble des 10 centuries (1568) et a fortiori
la centurie II, dont le quatrain 45 est issu (Editions
1555, 1557). Or, Jean de Chevigny, en août 1570, semble
faire une faveur à son dédicataire, le Président Larcher,
en lui transmettant le dit quatrain. Nous en avions
conclu, à un certain moment de notre recherche et de
notre réflexion, que cela témoignait pour le moins d’une
circulation sous le manteau, manuscrite, ou en tout cas
fort peu accessible. Mais il nous semble exclu qu’à
cette date, les quatrains aient été déjà désignés comme
ce sera le cas dans les années 1580, d’autant que Ruzo
nous signale (Testament
de Nostradamus,
op. Cit.,p. 282 ) que la première édition connue à 4
Centuries (Rouen, 1588) ne comportait pas, contrairement
à son titre – et l’on sait à quel point les titres
peuvent être décalés par rapport au contenu du volume
sur lequel ils sont apposés- de classement par centurie.
Il est possible que ce document émane de Jean Aimé de
Chavigny, l’auteur du Janus Gallicus,
qui prétendait ne faire qu’un avec Jean de Chevigny.,
ce qui consolide le lien entre les deux périodes de 1560
et de 1580, également entretenu par la référence à
Benoist Rigaud, déjà actif du temps de Nostradamus.
IV Prophéties à la puissance divine,
1572
On montrera que l’un des successeurs
attitrés de Nostradamus, Antoine Crespin, dit Archidamus,
dit Nostradamus, censé avoir produit tout au long des
années 1570 toutes sortes de « prophéties », d’’’épîtres »,
et correspondant à une seconde génération, ayant pris le
relais de Michel de Nostredame, serait une création du
camp d’Henri de Navarre, faisant ainsi pendant au revival de Michel de Nostredame orchestré par le
camp ligueur.
Abordons enfin un ouvrage et un auteur
auquel nous avons consacré beaucoup de temps, Antoine
Crespin et sa production nostradamique.
Au départ, nous avions pensé que les faussaires avaient
utilisé le travail de Crespin pour produire une partie
des Centuries. L’œuvre de Crespin, auteur dont on ne
sait rien en dehors des nombreux fascicules parus sous
son nom et dont il n’existe aucun élément d’ordre
biographique par ailleurs, est littéralement truffée de
modules que l’on retrouve dans les Centuries- ce que
n’avaient signalé ni Chomarat, ni Benazra, tant celles
du premier que du second volet, ce qui attesterait de
l’existence de l’édition à deux volets Benoist Rigaud
1568, sauf, évidemment, à admettre que ce serait plutôt
Crespin qui aurait inspiré les rédacteurs des Centuries.
Or, comme les deux volets appartiennent à des camps
opposés, il semble assez peu probable qu’ils aient
recouru à une même source. Notons ainsi que le recours à
la Guide des Chemins de France
est réservé au second volet et que le recours à des
données astronomiques est surtout, mais pas
exclusivement, le fait du premier volet, chaque volet
ayant ses sources propres...
Nous avions été notamment frappés par un
texte de Crespin –une
Démonstracion-
paru à Lyon, chez Jean Marcorelle, consacré à une Comète
de 1571 (cf. RCN, p. 99)- dont le privilège est visé par
monsieur L’Archer, « superintendant pour le Roy sur la
Justice de Lyon » dont on a vu qu’il était le
dédicataire de
l’Androgyn,
censé être paru également à Lyon, en 1570. Ce texte
hostile au pape, en effet comportait le verset « Roy de
Bloys en Avignon régner » qui figure à deux reprises- ce
qui est rarissime- au second volet.(VIII, 38 et VIII
52). La seconde occurrence (VIII, 52) témoigne de
l’usage de la Guide des Chemins de France,
en ce que le quatrain réunit de nombreux lieux situés
sur la Loire. Mais précisément ce verset apparait comme
surajouté dans un deuxième temps et concerner les
attaques du camp protestant contre le pape.
Ce Crespin n’était pas inconnu sous la
Ligue. On publie de lui, en 1590 , chez Pierre Ménier,
qui est un des libraires parisiens de la Ligue dont le
nom est attaché à la production des Prophéties de M. Nostradamus
(1589) La Prophétie Merveilleuse
qui couvre plusieurs années à commencer par 1590
jusqu’en 1598. L’épître, datée de mars 1589, année de
l’assassinat d’Henri III, qui eut lieu au mois d’août
(cf. Benazra, RCN, pp. 127-128) est adressée à Charles
X, un prétendant Bourbon, catholique, qui prend ainsi le
titre de roi de France avant même la mort du Valois, au
mois d’août, déconsidéré par l’assassinat duc de Guise,
en 1588 et auquel il est reproché ses contacts avec
Henri de Navarre. Est-ce à dire que le dit Crespin est
une invention ligueuse ? On ne saurait soutenir ce point
de vue puisque l’on a vu qu’il empruntait à des
quatrains du second volet et s’en prenait au pape.
Certes, cette Prophétie Merveilleuse
est-elle typiquement un document que ne pouvait que
rejeter le futur Henri IV mais il nous semble qu’il
s’agit d’une tentative pour récupérer le dit Crespin au
profit de la Ligue, en compilant d’ailleurs d’autres
textes du dit Crespin visant des années bien antérieures.
On aura compris que pour nous Crespin,
qui se dit Archidamus puis Nostradamus et dont la
plupart des publications imitent la vignette des
pronostications de Nostradamus est d’abord du côté
protestant en empruntant comme dans le texte daté de
1571 au « second volet ». Mais le principal document est
constitué par les Prophéties dédiées à la puissance
divine et à la nation française,
Lyon 1572. Ce sont là des années fictives comme pour les
éditions ligueuses des Centuries avec des ajustements
d’une édition à l’autre, d’une année sur l’autre. Avec
ce lot impressionnant de quatrains, véritable
compilation des deux volets, dans le style du Janus Gallicus
(1594), nous passons carrément au règne d’Henri IV quand
les deux corpus de quatrains, le ligueur et le
protestant coexistent, encore que Crespin ne signale pas
qu’il emprunte les dits textes à Nostradamus. Crespin
qui va jusqu’à citer, en date de 1573, dans un de ses
textes, l’Epitre à Henri Second, datée de juin 1558 –
pas la vraie de 1556 - ce qui permet d’en attester
l’existence au début des années 1570. Cette référence se
trouve dans l’Epître à la Reyne mère.
(cf. RCN, p. 105). Nos prédécesseurs n’ont pas relevé
davantage cette référence à l’épître au Roi. Là encore,
une telle référence à l’Epitre de juin 1558 permet de
situer la rédaction et la publication de la dite Epitre
au plus tôt au milieu des années 1590 quand la dite
épître redatée 1558 est placée en tête du second volet
instrumentalisé par le camp réformé.
Il nous semble donc envisageable de
considérer que le dit camp réformé aura préféré se
servir du néo-nostradamiste Crespin-Nostradamus plutôt
que de Nostradamus pour défendre sa cause, à moins qu’il
n’ait été carrément inventé dans les années 1580. Le
probléme, c’est que l’on connait une bonne dizaine de
fascicules parus sous son nom, datés des annes
soixante-dix. La BNF a mieux conservé ceux-ci que ceux
relatifs à Nostradamus. Cela permet ainsi de
rééquilibrer le débat car l’on ne disposait que des
éditions ligueuses et l’on pouvait s’interroger sur la
substance de la production nostradamique du camp opposé
d’autant que celui-ci par la suite sera bel et bien
porteur d’une série de centuries de quatrains et d’une
épître à Henri II. Crespin serait le chaînon manquant et
l’on comprend mieux l’ampleur de la production qui
parait sous son nom puisqu’elle fait pendant à celle de
l’autre camp. Ce n’est que par la suite, nous
apparait-il, que Crespin sera abandonné- non sans avoir
été récupéré en 1590 par le camp ligueur (cf. supra) –
ce qui était de bonne guerre- et que la production qui
lui avait été attribuée par le camp d’Henri de Navarre
sera recyclée sous le nom de Nostradamus.
14 - Avatars des mentions de dates, de nombres de
centuries et de quatrains au titre des éditions.
Le corpus centurique est extrêmement
difficile à traiter et à ordonner en raison
d’informations souvent contradictoires ou incompatibles
entre elles. Le problème est sensiblement aggravé par le
fait que les pages de titres ne coïncident pas forcément
avec leur contenu et manquent souvent, pour le moins, de
précision. On a parfois des bribes : on nous signale des
additions mais on ne sait pas à quoi, on nous parle
d’une addition à une « dernière centurie », d’un
supplément de 300 quatrains mais quand on fait la somme
des quatrains, cela ne correspond pas. Daniel Ruzo, en
1975 (en espagnol) puis en 1982 (Le
Testament de Nostradamus,
Ed Rocher, pp. 279 et seq) développa la thèse selon
laquelle dès l’origine, les centuries seraient parus à
Lyon sous le titre « Prophéties » et à Avignon sous
celui de ‘ »Grandes et Merveilleuses Prédictions »,
titre qui est attesté par les éditions de Rouen (1589)
et d’Anvers (1590). Ruzo possédait dans sa bibliothèque,
depuis dispersée, des éditions rouennaises de 1588 et
1589, l’exemplaire de cette dernière étant au demeurant
incomplet dans ses dernières pages. On ignore où les
originaux de ces deux éditions se trouvent présentement.
Il avait également une édition (Pierre Valentin) datée
de 1611 du même type (désormais conservée à la Maison de
Nostradamus, à Salon de Provence)
.En revanche, l’édition d’Anvers, offrant en gros les
mêmes caractéristiques est conservée à Paris, à la
Bibliothèque de l’Arsenal.
Le chercheur qui aborde le corpus
centurique, tel qu’il se présente sous la Ligue, par le
biais des éditions rouennaises risque de ne pas
développer la même perception que s’il avait débuté par
celui des éditions parisiennes.
Nous disposons de trois éditions
rouennaises et d’une édition anversoise, qui en est très
proche, notamment au titre assez grandiloquent qui jure
avec la sobriété des éditions parisiennes, uniquement
désignées par le mot « Prophéties » : Grandes et merveilleuses Prédictions
(..) Esquelles se voit représenté une partie de ce qui
se passe en ce temps, tant en France, Espaigne,
Angleterre que autres parties du monde
Tous ces documents portent des titres
avec des indications chiffrées :
Rouen 1588 (Raphaël du Petit Val) « divisées
en quarte (sic) centuries
Rouen 1589 (Raphaël du Petit Val » « dont
il en y a (sic)trois cents qui n’ont encores jamais esté
imprimées »
Anvers 1590 (François Sainct Jaure) « dont
il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais
esté imprimées »
Rouen 1611
(Pierre Valentin) « contenant sept centuries dont il en
y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais esté
imprimées »
En ce qui concerne les éditions
parisiennes, des chiffres sont également fournis mais
uniquement de façon supplétive :
Paris 1588 : « additionnées (…) de 39
articles à la dernière centurie »
Quant aux éditions censées parue du
vivant de Nostradamus, celle de Macé Bonhomme 1555 ne
comporte aucun chiffre en son titre tandis que celles
d’Antoine du Rosne (tant Budapest qu’Utrecht) comportent
la même mention que certaines éditions rouennaise : « dont
il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais
esté imprimées », avec la même inversion « dont il en y
a ». Mais rappelons que les éditions parisiennes
comportent aussi la mention « dont il en y a (sic) trois
cents qui n’ont encores jamais esté imprimées » mais
sans la faute propre aux éditions de Rouen et d’Anvers.
Tel est l’état brut des lieux..
Quelles premières conclusions peut-on
tirer ? Rappelons préalablement que, selon nous, les
titres des éditions parisiennes conservées ne
correspondent pas à leur contenu. On nous parle de 39
articles « additionnées » mais on ne voit pas à quoi
cela correspond quand on les ouvre. Cependant, il y a
une indication d’addition mais elle se trouve dans la
centurie IV, au-delà du 53e
quatrain, laquelle centurie est à 100 quatrains tout
comme la Ve. Nous pensons que cette addition désigne la
centurie VII, mais concerne un contenu plus tardif,
comme si l’on avait apposé à une ancienne édition un
intitulé plus récent. De même nous pensons que l’édition
rouennaise à 4 centuries est une réédition d’une
impression plus ancienne. Nous dirons également que
l’édition Valentin 1611 est une réédition d’une pièce
sensiblement plus ancienne. On notera que si l’on peut
antidater un document pour une date déjà passée, on ne
peut postdater un document au plus tard que pour l’année
en cours. On n’imagine pas un libraire publiant un texte
daté d’une année non encore advenue, ce qui n’empêche
pas d’annoncer une date à venir au titre.
Focalisons-nous sur l’édition Antoine du
Rosne 1557–Budapest, étudiée par R. Benazra (1983) et G.
Morisse (2004)- dont on a dit qu’elle semblait se placer
à la jonction entre éditions rouennaises et parisiennes,
de par la corruption du titre. Elle comporte, rappelons-le,
le mot « Prophéties » au titre, lequel est absent des
éditions rouennaises ainsi que de l’édition anversoise
et c’est ce titre, très sobre, moins grandiloquent, qui
s’imposera pour la réalisation de ce que nous
considérons comme des éditions antidatées (1555-1557-
1566- 1568), titre néanmoins voué à une fortune
remarquable en ce qu’il contribuera singulièrement à
l’image d’un Nostradamus, « prophète » et qui sera
repris au XVIIe siècle par les éditions troyennes
(1605-1611) de préférence à un autre dont elles
ignoraient probablement l’existence, sur la base du
corpus dont elles disposaient. . .
A un certain stade, donc, le corpus des
éditions « Prophéties » est en contact avec le corpus
des éditions « Grandes et Merveilleuses Prédictions »,
il en sort un titre hybride qui relève
des deux corpus concurrents selon un dosage assez
savant. Du Rosne 1557 Budapest – qui sera copié par Du
Rosne 1557- Utrecht- récupère la formule « dont il en y
a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais esté
imprimées », laquelle reste assez obscure en ce que l’on
ne nous dit pas, au titre, combien au total il y a de
quatrains mais uniquement combien on en aurait rajouté.
Or, quand on prend connaissance du volume, on trouve une
centurie VII à 40 quatrains, qui ne semble pas
correspondre au titre mais qui, en revanche, correspond
d’assez près, à un quatrain de différence, à celui des
éditions parisiennes « additionnées de 39 articles »,
qui sont donc à 7 centuries (si l’on fait abstraction de
leur contenu).
Autrement dit, l’édition Du Rosne
Budapest est à 7 centuries mais semble indiquer en son
titre une édition à six centuries, l’addition à la
centurie IV ayant été absorbé par un nouvel ensemble de
trois centuries (IV, V et VI). Elle mériterait de porter
le titre de l’édition Valentin 1611 (conservé à la
Maison de Nostradamus, Salon de Provence ) « contenant
sept centuries » si le titre de la dite édition Valentin
ne se prolongeait pas par « dont il en y a trois cens
qui n’ont encores iamais esté imprimées », ce qui fait
abstraction de l’addition à la VII. Ce titre de 1611 est
d’ailleurs insolite et hybride dans sa construction :
Les Centuries (…) contenant sept centuries dont il en y
a trois cents… »Il est évident qu’il n’y a pas trois
cents centuries et que trois cents renvoie à un nombre
de quatrains, et qui sont appelés « prophéties » dans
les éditions Du Rosne et Rigaud ainsi que dans les
éditions parisiennes.
On nous objectera que l’on ne saurait
exclure une autre hypothèse, à savoir que ce seraient
les éditions de Rouen et Anvers qui auraient emprunté la
faute au titre à l’édition Antoine du Rosne Budapest
1557, ce qui poserait le problème de la date de la
fabrication de cette contrefaçon dont nous avons dit
qu’elle était sensiblement antérieure à Antoine du Rosne
Utrecht. Serait-elle antérieure à Rouen Du Petit Val
1589 qui comporte cette erreur ? Pour nous, c’est
effectivement la première génération de fausses éditions
centuriques antidatées avec l’édition Rouen 1588 à 4
Centuries dont nous avons dit qu’elle reprenait
probablement une édition antérieure étant entendu
qu’elle fait suite au contenu des éditions parisiennes,
qui sont un chainon intermédiaire entre une édition à 53
quatrains à la IV, donc postérieure à Rouen Du Petit Val
1588 qui n’a encore que 49 quatrains à la IV, et la dite
édition Du Rosne Budapest à 7 centuries.(qui correspond
quant à elle au titre des dites éditions parisiennes
mais non, cette fois, à leur contenu). Notons que l’on
ignore le contenu des centuries VI e VII de Rouen Du
Petit Val 1589 car le seul exemplaire disponible est
tronqué. (cf. copie dans la collection Mario Gregorio
(site propheties.it), et à la Bibliotheca Astrologica,
Paris). On ne peut que supposer qu’il est assez proche
de celui d’Anvers 1590 mais aussi de celui de Pierre
Valentin 1611 qui a moins de quatrains à la VII
qu’Anvers. Il lui manque le quatrain 2, le 33 et le 35,
mais en revanche, on y trouve le quatrain 8 qui n’est
pas dans l’édition Anvers( la désignation des quatrains
, soulignons-le, se réfère à Antoine du Rosne Budapest,
mais il est clair que l’on ne saurait souscrire à la
thèse de quatrains qui auraient disparu et que l’on
aurait retrouvés, l’autre thèse d’une addition de
quatrains, par la suite, nous semblant plus envisageable)
En effet, Antoine du Rosne Budapest est
plus « complet » qu’Anvers 1590 et Rouen 1611 (dont la
date est évidemment celle d’une réédition) et devrait
donc lui être postérieur mais si c’est le cas ce serait
bien Du Rosne Budapest qui aurait emprunté l’’erreur « dont
il en y a « aux éditions Rouen-Anvers et pas l’inverse.
Or, à la fin d’Anvers St Jaure, il est fait mention
d’éditions datant du vivant de Nostradamus avec la date
de 1555. (Pierre Roux, Avignon). Est-ce qu’Antoine du
Rosne Budapest ne serait pas la réédition supposée de la
dite édition 1555 et ne serait-elle pas marquée par une
faute figurant dans cette édition non retrouvée ? Dans
ce cas, les faussaires d’Antoine du Ronse 1557
n’auraient pas été en contact direct avec les éditions
Rouen-Anvers mais avec une contrefaçon 1555 comportant
les mêmes caractéristiques. On voit qu’il faut se garder
de conclusions trop hâtives en ce qui concerne les
sources car dans bien des cas, le lien est indirect et
biaisé.
On supposera donc qu’Antoine du Rosne
1557 est influencé par Pierre Roux 1555, lui-même
influencé et annoncé par Anvers 1590, avec quelques
quatrains supplémentaires, ce qui rejaillira sur Antoine
du Rosne 1557 Utrecht (avec deux quatrains
supplémentaires)
Anvers 1590
« Fin des professies de Nostradamus
réimprimées de nouveau sur l’ancienne impression
imprimée premièrement en Avignon par Pierre Roux
Imprimeur du Légat en l’an mil cinq cens cinquante cinq.
Avec privilège du dit seigneur » (Bib. Arsenal). La
formule « avec privilège » trouve un écho dans le fait
que l’édition Macé Bonhomme comporte cette mention en sa
page de titre et une forme de privilège au verso, ce qui
ne se pratiquera plus ensuite.
On notera toutefois la formule
inhabituelle à l’époque, sauf chez les adversaires : « Professies
de Nostradamus » sans le prénom et sans une formule de
respect (M., Maistre), ce qui pourtant est le cas au
titre. On comparera d’ailleurs avec la formulation plus
civile de Rouen 1611. Elle atteste en tout cas d’un
succès populaire.
Rouen 1611
« Fin des Centuries et merveilleuses
prédictions de maistre Michel Nostradamus de nouveau
imprimées sur l’ancienne impression, premièrement
imprimée en Avignon, par Pierre le Roux (sic, au lieu de
Pierre Roux, libraire attesté), imprimeur du Légat »
Mais comment expliquer que l’on désigne
par « Professies » une édition de 1555 alors que le
titre anversois de 1590 ne comporte même pas ce mot ? On
retrouve donc au sein même d’Anvers 1590 la dualité des
deux titres, ce qui compromet la thèse de Ruzo qui
voyait dans le titre « Grandes et merveilleuses
prédictions » la marque des éditions Avignon 1555.En
fait, Anvers 1590 choisit de nommer « Prophéties » les
anciennes éditions parues du vivant de Nostradamus,
titre qui rappelons-le était en usage dans les éditions
parisiennes de la Ligue. C’est dire les intercalations
et les interférences entre les diverses éditions.
Citons Ruzo (Testament,
op. cit. , p. 279) :
« Les éditions d’Avignon ont paru
parallèlement à celles de Lyon avec un titre différent.
Malheureusement, la totalité des exemplaires de ces
éditions publiées du vivant de Nostradamus a disparu.
Nous sommes obligés d’en chercher les traces dans des
éditions très postérieures à leurs premières
publications. C’est dans ces reproductions que nous
avons trouvé le titre que portaient les deux plus
anciennes de ces éditions d’Avignon, Les Grandes et Merveilleuses
prédictions de M. Michel Nostradamus »’
Ruzo signale (Testament,
op. cit. p. 281) que le privilége de 1611 comporte bien
« Grandes et merveilleuses prédictions ». Nous situerons
l’original de cette édition un peu avant Anvers 1590, au
vu de la centurie VII disposant de moins de quatrains.
On a dit qu’elle faisait pendant à Antoine du Rosne 1557
Budapest en ce qu’elle annonçait carrément 7 centuries,
faisant suite à Rouen 1588 annonçant 4 centuries( mais à
ce stade sans prétention antidatée mais plutôt postdatée,
par rapport la date de la préface, 1555). On a noté
aussi la redondance au titre (qui elle peut être tardive
puisque Rouen 1611 est forcément, dans le contexte
abordé, une réédition d’une autre édition disparue) :
Centuries (…) contenant sept centuries » et « dont il en
y a trois cents », ce qui ne renvoie plus aux centuries
mais à des quatrains, c'est-à-dire à des « prophéties ».(Paris
1588-1589) ou à des « prédictions » (Rouen 1589 ; Anvers
1590). Le titre Valentin est perturbé : on devrait
trouver « Prédictions dont il en y a trois cents « ou
bien « Prédictions contenant sept centuries », sur le
modèle Rouen 1588 ‘Prédictions divisées en quarte(sic)
Centuries ». Quant au fait que l’on ait remplacé « Grandes
et merveilleuses prédictions » par « Centuries et
merveilleuses prédictions », ce n’est qu’une maladresse
de plus dont on ignore à quel stade elle est apparue. On
retiendra que nous parvenons là à une formulation
récapitulative à 7 centuries (Rouen 1611, reprise d’une
édition antérieure) qui semble devoir clore un processus
engagé sur la base de 4 centuries (Rouen 1588). Quant à
la date de 1611, elle fait également question car à
cette date, c’est un cas très rare d’une édition ne
comportant que 7 centuries, sans adjonction d’un volet
supplémentaire à 3 centuries. Tout se passe comme si
l’on avait voulu faire paraitre, en 1611, un stade
antérieur de la formation des centuries, ce qui
attesterait d’une stratégie de rééditions d’éditions
plus anciennes se voulant elles-mêmes reprises
d’éditions datées de 1555 (mention de cette année chez
St Jaure mais pas chez Valentin qui ne donne pas d’année).
Par la suite, ce sont les années 1556 et 1558 qui
figureront au titre de nombre d’éditions du XVIIe
siècle, à commencer, pour rester sur Rouen, l’édition
1649, parue sous la Fronde. elle a pour titre Les vrayes centuries de Me Michel
Nostradamus (..) revues & corrigées suyvant les
premières éditions imprimées en Avignon en l’an 1556 & à
Lyon en l’an 1558 avec la vie de l’autheur
La formule sera reprise l’année suivante à Leyde, chez
Pierre Leffen, en Hollande sous un titre augmenté : Les Vrayes Centuries et Prophéties….titre
qui sera celui des éditions d’Amsterdam 1667 et 1668
ainsi que de Paris, chez Jean Ribou, d’après les dites
éditions, est-il indiqué au titre en la même année 1668.
Décalage de 1555 (Avignon) à 1556 et de 1557 (Lyon) à
1558,
bien que 1558 puisse valoir pour le second volet,
disparu, d’Antoine du Rosne Utrecht.….Rappelons qu’il
est question d’une édition Sixte Denyse, Lyon, 1556,
mentionnée, dès 1584, dans la Bibliothèque de La Croix
Du Maine (cf. RCN, pp17-18) si ce n’est qu’elle concerne
« Les quatrains ou prophéties de Nostradamus » et que
selon nous, cela ne vise pas à cette date de 1584 les
centuries au sens où le terme sera entendu à partir de
la fin des années 1580 mais un almanach avec ses
quatrains mensuels désignés sous le nom de prophéties,
comme ce sera le cas dans les éditions parisiennes :
Prophéties dont il y en a 300 cents etc. »
Il semble qu’il y ait antériorité de
Valentin Rouen 1611 par rapport à St Jaure 1590, du fait
d’un nombre moindre de quatrains à la VII. L’édition
1611 ne mentionne pas le mot « professies » (sic) in fine
à la différence de St Jaure mais reprend purement et
simplement le titre de couverture. Il est bien difficile
– de déterminer ce qui a pu être modifié jusqu’en 1611 à
partir d’un original qui ne nous est pas parvenu mais
dont on peut supposer qu’il était très proche d’Anvers
1590. On notera d’ailleurs l’absence de mention de l’an
1555 chez Valentin 1611. On assiste là à des états
successifs de formation de la centurie VII, dont
l’édition Du Rosne 1557 Budapest ne fait que
correspondre à un état plus avancé à 40 quatrains en
rappelant l’existence de stades encore plus anciens,
attestés par les éditions parisiennes en leur contenu.
En revanche, le titre (oublions ici le contenu) des
dites éditions parisiennes convient tout à fait à une
édition dont la VIIe centurie ne comprendrait que 39
quatrains, ce qui constituerait un état intermédiaire
entre Anvers 1590 (à 35 quatrains à la VII) et Du Rosne
Budapest 1557.(à 40 quatrains à la VII), à moins que
cela n’ait à voir avec le fait que la centurie VI dans
ces éditions n’a que 99 quatrains à la VI.(soit 40-1=
39). .Un grand absent est l’édition à six centuries qui
se place entre les éditions parisiennes (contenu) et les
éditions parisiennes (titre) avec entre temps la
suppression mais non le remplacement de VI, 100 (rétabli
par la suite dans le Janus Gallicus
et dans les éditions troyennes). L’édition Budapest 1557
ne comporte même plus l’avertissement latin, indiquant
l’existence d’une édition antérieure à six centuries Cet
avertissement (restitué dans Antoine du Rosne Utrecht)
sera rétabli par les éditions troyennes, fort bien
documentées qui tenteront de restaurer l’ensemble à
partir de diverses pièces réunies, mais néanmoins sans
VI, 100...
Ruzo donne (Testament,
p. 282) des détails précieux sur les exemplaires qu’il a
en sa possession et notamment Rouen 1588 ;
« Dans l’édition de Raphaël du Petit Val
(…) les quatrains ne sont pas séparés en Centuries. Les
349 quatrains sont précédés non seulement de l’en-tête
« Prophéties de Maistre Michel Nostradamus » mais encore
par un autre titre, antérieur, « La Prophétie de
Nostradamus ». A nouveau, force est de constater un
décalage entre le titre « divisées en quarte centuries »
et le contenu qui est constitué d’un ensemble de 349
quatrains mis à la suite les uns des autres. Quant à
l’autre titre « La Prophétie de Nostradamus », il fait
écho à l’édition d’Anvers 1590, mentionnant in fine « Professies de Nostradamus ». Ruzo nous
met ainsi sur la voie de la toute première mouture des
quatrains de Nostradamus (hors Présages des almanachs).
On aurait utilisé un singulier et ce n’est qu’ensuite,
que chaque quatrain aurait, du moins dans les éditions
1557-1558- 1568 était qualifiée de prophéties, au
pluriel. Notons cependant que le second volet des dites
Prophéties s’intitule « Les Prophéties de M. Michel
Nostradamus. Centuries VIII. IX. X qui n’ont encores
iamais esté imprimées », reprenant la formule « qui
n’ont encores jamais esté imprimées » non plus en
l’apposant comme pour le premier volet à Prophéties mais
à Centuries. De nos jours, il est rare que les
nostradamologues emploient « prophéties » comme synonyme
de quatrains, le terme désigne désormais soit l’ensemble
centurique, ce à quoi correspondrait mieux, dans ce cas,
l’usage du singulier : la Prophétie de Nostradamus.
. Nous ne suivrons pas Ruzo dans la
direction qu’il propose. Certes, les deux titres ont-ils
coexisté dans les années 1588-1590. De là à croire
qu’ils coexistèrent en une période pour nous
immédiatement antérieure, même dans le cadre de
chronologies fictives- ce qui nous intéresse ici – pour
Ruzo ces chronologies ne le sont nullement, c’est une
toute autre affaire. Ruzo n’a pas accordé assez
d’importance au fait que dans l’édition d’Anvers 1590,
le titre proposé pour 1555 est bien « Professies » et
non « Grandes et Merveilleuses Prédictions ». C’est
uniquement dans l’édition Pierre Valentin 1611 que la
substitution aura été tentée avec une référence à une
édition avignonnaise « Pierre Le Roux (sic) appelée
« Centuries et Merveilleuses Prédictions », sans que
l’on sache si cette mention était dans l’original des
années 1580 (avec moins de quatrains à la VII) ou n’est
apparue qu’ultérieurement entre temps (c'est-à-dire
1611). Cela dit, il n’est pas impossible que le titre
d’origine de ce qu’on nomme habituellement « Centuries »
ou « Prophéties » ait pu être celui de Grandes et Merveilleuses Prédictions.
Ruzo n’oublié pas l’édition rouennaise
1649 (Testament
,
op. cit. p. 283) dont il note qu’elle se référe en leur
titre à des éditions de 1556 (Avignon) et 1558 (Lyon),
et que la liste des pays concernés s’est élargie à
l’Italie et à l’Allemagne. Pour Ruzo, chaque édition
lyonnaise des « Prophéties » aurait été jumelée avec une
édition avignonnaise « Grandes et merveilleuses
prédictions », la mention au titre des éditions du XVIIe
siècle, à partir de 1649, à Rouen, des éditions 1556 et
1558 aurait été simplement fonction des éditions alors
conservées et seul le hasard aurait conduit à ce que
l’édition conservée la plus ancienne serait celle
d’Avignon.
Désormais « Vrayes Centuries » remplace Grandes et Merveilleuses Prédictions »,
elle englobe la partie biographique du Janus Gallicus
sous le nom de « Vie de l Autheur », elle a rétabli le
quatrain 100 de la Vie centurie. Autrement dit, ce que
ne reléve pas Ruzo, elle doit beaucoup aux éditions
troyennes et à leur entreprise encyclopédique. Le mot « Prophéties
« ne figure pas au titre. Il sera rajouté dans les
éditions hollandaises qui en émanent et ce dès 1650, à
Leyde puis en 1667 et 1668. : les Vrayes Centuries et
Prophéties. Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que
le titre « Prophéties », tout court, s’impose, avec la
vraie contrefaçon avignonnaise- puisque celle signalée
en 1590 n’est qu’une invention- de l’édition Pierre
Rigaud, Lyon 1566. Ces éditions hollandaises poursuivent
l’orientation donnée par les éditions troyennes en
récupérant de façon syncrétique tout ce qui touche à
Nostradamus. Elles associent ainsi le titre rouennais de
1649 (Vrayes Prophéties) au titre troyen « Prophéties »
(cf RCN, pp. 191 et seq)
pensik
15
- La contribution du long
dix-septième siècle à l'édition centurique.
Notre propos consistera à montrer que le
Nostradamus qui a connu la fortune que l'on sait est un
produit du XVIIe siècle ou en tout cas du regard projeté
par le XVIIe siècle sur le XVIe lequel est réinventé
par le grand siècle Bourbon, qui va de la mort du duc
d'Alençon en 1584, par ailleurs très jeune dédicataire,
déjà vers 1570, de nombre de textes néonostradamiques -
laissant la couronne de France à la merci d'une nouvelle
dynastie jusqu'à la mort du Roi Soleil en 1715. Le duc
était né le 18 mars 1555 et la préface à César date du
Ier mars de cette année. On comprend mieux ainsi les
retards pris par les études nostradamologiques face à
cet obstacle épistémologique consistant à partir du
temps de Nostradamus et en considérant que tout est déjà
joué et installé à la mort de Michel de Nostredame.
Certes, pour le XVIIe siècle - et c'est là toute son
ambigüité par rapport au siècle précédent- la matrice
semble bien être le dit Nostradamus mais il vaudrait
mieux parler ici d'une instrumentalisation.
Nous avons montré que les éditions à dix
centuries qui nous sont parvenues ne seraient que les
rééditions retouchées d’éditions disparues parues sous
la Ligue. Ces rééditions, qui ne se présentent pas comme
telles, sont à l’évidence réorientées vers le siècle
suivant, ce qui est le prix habituel à la survie et au
recyclage d’un texte prophétique au-delà de ses
premières échéances. Ces éditions accompagnent Henri IV
dans sa conquéte du pouvoir mais aussi interviennent
dans la politique de son régne jusqu’à sa mort. Derrière
la façade bien lisse des 300 quatrains du second volet
nombre d’ajustements furent effectués, y compris dans
l’Epitre à Henri II, mais à la différence du premier
volet, il ne nous reste plus qu’un ultime état que l’on
tend, qui plus est, à situer en 1568, ce qui est
totalement anachronique et explique en partie à quel
point le décryptage des quatrains sera devenue en
quelque sorte intemporel, au regard de leur exégése. Il
est vrai que même pour le premier volet, la plupart des
chercheurs semblent se refuser à le situer dans le
contexte ligueur, en dépit de l’intense production à
cette époque. Si le premier volet fait sens au regard
des enjeux de la ligue, le second est à situer, sous sa
forme « achevée » au lendemain de l’édit de Nantes
(1598) et en fait autour des promesses du siècle
naissant.
Dans les années 1630, l’édition troyenne
reprend et amplifie singulièrement les tentatives de
rassemblement déjà engagées par Benoist Rigaud à partir
de 1585 environ, lequel avait publié successivement les
quatrains tirés des publications annuelles – comme
signalé par Du Verdier dans sa Bibliothèque-
puis une dizaine d’années plus tard, les deux ensembles
centuriques antagonistes,en se référant dans les deux
cas à 1568, soit au lendemain de la mort de Nostradamus.
Elle leur ajoute les sixains, regroupe les deux
productions rigaldiennes et récupére des quatrains
figurant dans le Janus Gallicus
et dans les éditions parisiennes ligueuses. Nous dirons
que l’édition Pierre Chevillot est une première
tentative d’amplification des éditions Rigaud et que
l’édition Pierre Du Ruau prolonge et développe encore
davantage cette entreprise en intégrant les quatrains
mensuels des publications de Nostradamus entre 1555 et
1567. On pourrait considérer que l’édition anglaise de
1672 se situe dans la suite de celle de Du Ruau, en
récupérant des versions correspondant à des états plus
anciens des épitres à César et à Henri II.
Il faut situer le processus centurique
troyen du milieu des années 1640- et l’édition datée de
1605 est antidatée, sur la base de l’épitre à Henri IV
comme le furent les éditions dont la date avancée
correspondait aux dates des épitres à César et à Henri
II, dans l’hypothèse d’une édition perdue Antoine du
Rosne antidatée de 1558 (Bibl Utrecht), faisant suite à
une édition antidatée à sept centuries, également perdue
de 1555. La date de 1611 de l’édition Chevillot est
selon nous tout aussi douteuse et d’ailleurs cette date
ne figure pas sur les exemplaires des Centuries mais
uniquement sur d’autres textes reliés ensemble, comme la
traduction française du Mirabilis Liber..
Cela dit, il n’est pas du tout exclus qu’ait existé une
épitre centurique autour de 1605, à l’occasion du
baptéme du Dauphin Louis, mais elle était accompagnée de
quatrains et non de sixains
(cf Les signes merveilleux (..) après les
cérémonies du baptesme de Mgr le Dauphin,
Paris, 1606)
Les éditions troyennes intégrent, autour
de 1640, au début de la régence d’Anne d’Autriche, dans
le canon rigaldien et lyonnais tout un ensemble de
documents : sixains, quatrains des almanachs, quatrains
des éditions ligueuses, et l’on peut parler d’une
renaissance nostradamienne qui va conduire à la
réapparition de très anciens états des épitres
centuriques, de la Vie de Nostradamus, ce dont témoigne
la traduction anglaise de 1672 et l’édition Antoine
Besson une vingtaine d’années plus tard..En fait, tout
se passe comme si dans les éditions troyennes, l’on
restituait le contexte posthume des années 1580 alors
même que pendant une cinquantaine d’années, l’on avait
voulu persuader le public que le processus centurique
avait émergé du vivant même de Nostradamus. Or, même la
fixation de l’édition Rigaud sur l’année 1568 – reprise
dans l’édition de 1605 - allait dans le sens d’une
parution posthume faisant écho d’ailleurs à la
production néo ou post –nostradamique- mais extra-centurique-
des années 1560-1570.
Prédictions pour 20 ans (…) extraictes
de divers auteurs & trouvées en la bibliothèque de
defunct maistre Michel de Nostredame (…) par M. de
Nostradamus le jeune »
« Présages
pour treize ans (…) recueillies de divers auteurs &
trouvées en la bibliothèque de defunct maistre Michel de
Nostredame (…) par M. de Nostradamus le jeune »,
Paris, Nicolas du Mont, 1571
(cf RCN, pp ;90 et. 98)
On notera au passage que ce genre des
prédictions ou présages pour un certain nombre d’années,
qui joue un rôle important dans la production
néo-nostradamique, nous semble témoigner fortement en
faveur de l’idée selon laquelle Nostradamus lui-même
aurait contribué de son vivant à un tel type d’ouvrage,
bien que cela n’ait pas été retrouvé, à moins que l’on
ne considère la possibilité que cela ait pu être désigné
sous le nom de « prophéties »- comme il ressort de
recueils de librairie, signalés par Gérard Morisse. A ce
propos, on observera à quel point les termes employés
sont interchangeables, le même type d’ouvrage se
voyant-ci-dessus, désigné sous le nom de « Prédictions »
et de « Présages ».Rappelons que sous la Ligue,
certaines éditions des centuries, parurent à Rouen et à
Anvers sous le nom de Grandes et Merveilleuses Prédictions,
alors qu’à Paris –elles paraissaient sous le nom de
Prophéties. En 1672, l’édition anglaise emploiera la
formule « The true propheties or
prognostications »,
formule que l’on retrouve au début de l’Epitre à Henri
IV datée de 1605 qui rapporte avoir « recouvert
certaines Prophéties ou Pronostications faictes par feu
Michel Nostradamus ». Expression que l’on retrouve
étrangement dans l’ »Extraict des registres de la
Sénéchaussée de Lyon », placé en tête de l’édition Macé
Bonhomme 1555 : « sur ce que Macé Bonhomme (..) ha dict
avoir recouvert certain livre intitulé Les Propheties de
Michel Nostradamus », étrange formule en effet quand on
sait que Nostradamus, à cette date de 1555 était encore
en pleine activité et qui ne diffère guère de la formule
signalée pour 1605. Notons dans l’extraict que la
mention du livre est fautive en ce qu’elle omet le
« M. » devant Michel Nostradamus, qui pourtant figure au
titre de l’ouvrage qui fait suite.. Ajoutons que les
privilèges en tête des productions de Nostradamus avait
une valeur globale « (cf. nos Documents inexploités sur le phénomène
Nostradamus,
Feyzin, Ed. Ramkat, 2002, p. 201), cela comporte « les
almanachz, presages & Pronostications de Maistre Michel
Nostradamus » bien plutôt qu’un privilège pour un
ouvrage en particulier. Quant à Crespin, un « successeur »
de Nostradamus, l’on sait qu’il utilisait couramment le
mot Prophéties (cf. Privilège, in Documents,
p. 206) « certaines profecies », ce qui n’introduit
pas, faut-il le souligner, des quatrains mais bien des
« présages prosaïques », pour reprendre le titre du
recueil manuscrit de la production nostradamique dont B.
Chevignard a donné une édition (Présages
de Nostradamus,
Seuil, 1999), c’est dire que le terme présage ne désigne
pas d’office des quatrains, même si par la suite, dans
le cadre notamment de la production troyenne il en
arrivera à désigner une série de quatrains tirés des
almanachs, en les reprenant en fait du Janus Gallicus
(1594), d’où leur recension incomplète.
Nous en arrivons ainsi au cœur de notre
exposé, à savoir le caractère compilatoire et en quelque
sorte encyclopédique de la production troyenne des
années 1630-1640 du XVIIe siècle Tout se passe en effet,
comme si les éditeurs troyens – prenons, ici, cette
expression pour ce qu’elle vaut- avaient engagé une
entreprise de rassemblement systématique de tout ce qui
touchait à Nostradamus, de près ou de loin. On a vu que
la série des Présages était récupérée, patiemment, des
commentaires du Janus Gallicus
qui en cite, de temps à autre, quelques uns au service
de son exégèse. On a vu que des sixains étaient ainsi
également présents dans l’ensemble (Chevillot) daté de
1611 (comprenant le Recueil des Prophéties anciennes et
modernes),
ceux-ci ayant paru sous le nom de Morgard, qu’il les ait
emprunté ou non à quelque corpus nostradamique (cf nos Documents,
pp. 227 et seq). Mais cela va plus loin encore puisque
les libraires ont dépouillé ou fait dépouiller des
éditions de 1588-1589, dont nombre de quatrains ne
figuraient pas dans les éditions de Rouen et Anvers
(1589-1590), faisant d’ailleurs le tri en observant que
certains quatrains étaient repris de la série des
présages, puisque ces éditions parisiennes avaient puisé, in fine,
dans les quatrains de l’almanach pour 1561 de
Nostradamus, année qui figurait au titre.. Mais les
éditeurs ne disposaient pas cependant de la totalité des
« présages ».(cf. Benazra, RCN, p. 121). On trouve ainsi
des annexes : « Autres prophéties cy devant imprimées
soubz la Centurie septiesme » »Autres propheties
imprimées soubz la Centurie huictiesme ». (car le
premier volet des éditions parisiennes avait amorcé une
centurie VIII, sans rapport avec ce qui se trouve dans
le deuxième volet et qui prendra également cette
appellation de centurie VIII.
Les éditions Du Ruau vont plus loin que
les éditions Chevillot dans la reconstitution du puzzle
nostradamique. C’est ainsi que la pseudo édition 1605
fournit le quatrain 100 de la Vie centurie- repris du Janus Gallicus-
tandis que la pseudo édition Chevillot 1611 en reste à
99 quatrains à la VI, suivi de l’avertissement latin,
comme si la trouvaille du dit quatrain n’avait pas
encore été effectuée par le dit Chevillot, ce qui
placerait Chevillot- ou du moins ce qui parait sous son
nom - plus tôt que Du Ruau.. De même Chevillot
n’inclut-il pas les quatrains d’almanachs (présages) du Janus Gallicus,
ce qui vient confirmer une exploitation plus
systématique menée par Du Ruau, éventuellement dans un
deuxième temps d’exploration du dit corpus chavignien.
Mais venons-en à présent au cas des
éditions Benoist Rigaud 1568 auxquelles se réfère, en
son titre même, l’édition de 1605, formule qui, au
demeurant, n’est pas présente au titre des éditions
Chevillot 1611. On observe d’entrée de jeu que le
contenu de l’édition du Ruau ne coïncide évidemment pas
avec celui de la série des éditions 1568, longuement
étudiée et décrite par Patrice Guinard, si ce n’est
qu’il est précisé « reveues & corrigées sur la coppie
imprimée à Lyon par Benoist Rigaud. 1568 ». Que faut-il
entendre par là ? Que l’édition 1605 se serait alignée
sur l’édition 1568 mais l’on sait pertinemment que les
éditeurs ont recouru à des sources bien plus récentes
chronologiquement, encore qu’ils ne les citent jamais
nommément. En fait Du Ruau quand il se référe à Rigaud
1568, sait pertinemment que dans son volume, il intégre
une Epitre datée de 1605 ou que les quatrains mensuels
ne vont pas au-delà de 1567. Et quand il publie une
édition datée de 1605, s’agit-il davantage d’une
supercherie ? Ce qui est sûr, c’est que les
bibliographes de la seconde partie du XXe siècle seront
les victimes de tout ce jeu de dates.
Comment donc reconstituer la chronologie
de ces diverses éditions – et plus largement celles des
éditions que nous jugeons antidatées (cf. nos divers
travaux) Macé Bonhomme 1555 et Antoine du Rosne 1557.
Rappelons préalablement que l’exemplaire de la
Bibliothèque d’Utrecht est très proche du premier volet
de l’édition Benoist (pas de quatrain VI, 100), le
second volet ne nous étant pas parvenu mais déjà annoncé
à la page de titre du premier., avec une vignette qui
est identique à Macé Bonhomme 1555 ainsi qu’à Veuve
Nicolas Roffet 1588 (British
Library),
dont on a dit que l’édition troyenne avait pris
connaissance pour « compléter » les centuries VII et
VIII. A contrario, l’édition Benoist Rigaud 1568 ne
comporte pas la dite vignette pas plus d’ailleurs que
les éditions troyennes.
Il semble néanmoins que le « dernier »
Benoist Rigaud, celui de ce « long dix-septiéme siècle »
que nous faisons démarrer autour de 1584 (avec la crise
dynastique enclenchée par la mort du duc d’Alençon),
après avoir encouragé la poursuite de la filiation
nostradamique au travers de divers « successeurs »
deviendra un artisan majeur d’un premier « revival »
lyonnais précédant le second qui est troyen, lequel en
est le prolongement. Rappelons que Rigaud publiera
successivement les quatrains des publications annuelles
et rassemblera, une fois le processus centurique
enclenché auquel il ne participe guère, les deux
ensembles en un seul volume, lequel sera intégré dans le
commentaire du Janus Gallicus, en 1594.
. Selon nous, à partir d’une recension
considérable de pièces, il devenait techniquement
possible de produire toute une série d’éditions se
succédant selon une chronologie impliquant, à chaque
reprise, une certaine addition de pièces dont il
convenait de doser la progression pour en arriver à un
état ultime, celui de l’édition 1605. C’est ainsi que
nos libraires, secondés certainement par des
collaborateurs très experts, remarquèrent que dans les
éditions parisiennes de1588, qu’ils avaient pratiquées
on l’a vu, figurait l’indication d’une addition après le
53e
quatrain de la Ive centurie. ¨Pourquoi ne pas produire
une « première » édition à 353 quatrains ? De là
l’édition lyonnaise Macé Bonhomme 1555. On notera ce
parti pris lyonnais qui ne se démentira pas. Certes, on
nous objectera qu’il est bien paru à Rouen en 1588 une
édition à 4 centuries, mais qui ne parvenait pas,
faut-il le préciser, à 53 quatrains à la IV. Mais
personne ne nie qu’une telle édition à 4 centuries ait
précédé l’entreprise troyenne puisque l’on vient de dire
que celle-ci s’était inspirée d’éditions de 1588 ou
1589. Mais force est de constater que la première
tentative d’édition à 4 centuries ne correspondait pas
au format 353. Cette édition à 4 centuries, actuellement
introuvable mais décrite (RCN, pp. 122-123) par Benazra,
suivant les informations de Daniel Ruzo qui l’avait dans
sa collection, en copie (microfilm) ou en original). Il
faut bien comprendre que les libraires troyens ne sont
évidemment pas la première génération de faussaires, la
première datant du temps même de Nostradamus, la
deuxième du temps de la Ligue, ce qui produisit
notamment l’édition Antoine du Rosne 1557 (exemplaire de
la Bibliothèque de Budapest, décrit successivement par
Benazra et Gérard Morisse) sans oublier Benoist Rigaud
qui antidate ses diverses éditions des années 1580-1590
pour 1568. Ce qui ne signifie pas nécessairement que les
dits Troyens avaient conscience du caractère de
contrefaçon de la production centurique antérieure, mais
ce n’est pas tout à fait inconcevable. Apparemment, ils
devaient ignorer l’édition à 4 centuries de Rouen, sinon,
ils auraient peut être produit une édition Macé Bonhomme
à 49 quatrains.
Ensuite, nos libraires troyens, selon
notre scénario, auraient envisagé un deuxième étage avec
l’édition 1557 Antoine du Rosne. Il suffisait d’en faire
une réédition, à nouveaux frais, refaire la gravure, qui
serait identique à l’édition Macé Bonhomme 1555. C’est
l’exemplaire de la Bibliothèque d’Utrecht qui ne
comporte aucune marque d’addition à la Ive centurie mais
qui annonce des ajouts au titre. Toutefois, comme on l’a
dit, cette édition Utrecht est déjà un diptyque à la
différence de l’édition Budapest. On aurait donc sauté
directement entre 1555 et 1557 de 4 à 10 centuries, en
plaçant le volet désormais VIII-X récupéré par les
Troyens- mais sans citer nommément les éditions
parisiennes - et qui correspondait au parti d’Henri de
Navarre, centuries totalement exclues de la production
ligueuse, on s’en doute. Il reste que le premier volet
1557 (le second volet fut peut être daté de 1558 et
comportait une nouvelle Epitre à Henri II, qui ne
figurait pas selon nous dans le volume initial à 3
centuries, du fait même que la dite épître se référé à
la préface à César. Cette refonde d’une précédente
épître placée en tête des Présages Merveilleux
pour 1557 (cf. nos Documents, pp. 194 et seq) fut
probablement réalisée dans le cadre troyen et remplaçait
selon nous une épître à J-M Sala (Significations de l’éclipse
pour 1559), les deux épîtres étant datées de 1558, à
quelques semaines d’intervalle, donc à la veille de la
mort tragique d’Henri II, d’où le choix du destinataire
et le changement de date de l’épître initiale de 1556.
Nous ne connaissons ce diptyque de 1557-1558 que par les
éditions Benoist Rigaud 1568 qui en sont la copie. On a
dit que ce qui distinguait les éditions Chevillot des
éditions Rigaud, était l’adjonction de quelques pièces
(issues des éditions parisiennes 1588-1589) tout comme
ce qui distinguait les éditions Chevillot des éditions
du Ruau était encore d’autres additions (quatrains
d’almanachs, VI, 100). Notons que la série des sixains
est intitulé chez Chevillot Centurie XI, ce qui n’est
pas le cas chez Du Ruau. Visiblement, c’est à partir du
niveau précédant le niveau Chevillot que l’on aurait
fabriqué Benoist Rigaud 1568 mais aussi des éditions non
datées sous son nom ou ceux de la famille Rigaud, avec
ou non leur accord, notamment pour Pierre Rigaud. Par la
suite, Du Ruau, en dépit de nouvelles additions,
continuera à se référer (1605) au dit Benoist Rigaud.
Un trait essentiel permettant de
distinguer la série des faux antidatés de celle des faux
d’époque, tient au fait que l’ensemble des premiers ne
restitue que très partiellement le processus des faux
d’origine, c'est-à-dire- la chronologie étant inversée,
d’époque, du temps des libraires troyens. Logiquement,
ce qui vient après n’a pas à repasser par tout un
enchainement de progressions, on se sert carrément de
l’édition la plus complète. Or, ici, la diversité des
éditions parues sous la Ligue et au-delà surclasse
totalement celle des éditions supposées parues dans les
années 1550-1560 et ce d’autant plus que toutes les
étapes n’ont pas été conservées, nous pensons notamment
à un état à 6 centuries qui est attesté par les éditions
indiquant pour 1561 une addition de 39 quatrains à la « dernière
centurie ». On est là, on l’aura compris, à la deuxième
et non à la troisième génération de faux. Etrangement
d’ailleurs, cette édition à 39 « article » à la dernière
centurie est incompatible avec l’existence d’une édition
à 7 centuries, censée parue (exemplaire Budapest) dès
1557, chez le libraire imprimeur lyonnais Lyserot alias
Antoine du Rosne. Reconstituons cette première
chronologie –pré-troyenne- de faux relatifs au premier
volet : une édition à 4 centuries (49 quatrains à la IV)
puis une édition à six centuries (avec indication d’une
addition à la Ive centurie), disparue, puis une édition
avec une centurie VII, indiquée comme ajoutée, puis une
édition à VII centuries ne comportant aucune mention
d’addition et ce parallèlement à la parution d’éditions
du temps de la Ligue avec lesquelles elles sont en
dialectique diachronique. Que s’est-il passé ? Les
faussaires de deuxième génération, après avoir mis en
avant l’addition de 1561 ont préféré en revenir à l’idée
d’une édition déjà à 7 centuries, parue déjà en 1557.
Malheureusement pour eux, ces éditions 1561 ont été
conservées, du moins au niveau de leur intitulé, ce qui
n’a d’ailleurs pas conduit les bibliographes du XXe
siècle à en tirer toutes les implications, à savoir
qu’on était dans une chronologique fictive et virtuelle,
susceptible de revirements à loisir...
En conclusion nous dirons qu’il faut
probablement situer la production de plusieurs éditions
datées des années 1550-1560 au début du XVIIe siècle
mais que la dite production ne fait que poursuivre une
tradition de contrefaçons enclenchée une vingtaine
d’années plus tôt, au cours des années 80 du précédent
siècle, elle –même tributaire des contrefaçons des
années soixante, auxquelles elles empruntent les
vignettes représentant l’auteur en son étude, gravées
pour les faux almanachs des dites années soixante,
notamment chez la libraire Veuve Barbe Regnault, date à
laquelle seront situées les éditions censées dater de
1560-1561. Ce sont ces mêmes vignettes reprises en 1588
par la Veuve Nicolas Roffet, dans son édition du
« premier volet » de centuries que l’on retrouvera dans
la production des contrefaçons troyennes pour les années
1550. En tout état de cause, nous avons là une diversité
d’initiatives, pas forcément compatibles entre elles et
brouillant d’autant – ce dont diverses tentatives, même
récentes, témoignent- la possibilité d’une recension
bibliographique digne de ce nom.
A ces trois générations de contrefaçons
et d’éditions- le sens anglais (edit)
sous-tend une idée de retouche, de mise en forme, en
page, il convient d’ajouter une quatrième, qui
correspond, à la fin du XVIe siècle et au début du
XVIIIe siècle, lequel est marqué par un nouvel élan du
nostradamisme, du commentaire, et dont le produit le
plus emblématique est la production des éditions Pierre
Rigaud 1566 qui va éclipser les grosses compilations du
XVIIe siècle, au lendemain de la mort de Louis XIV
(1715). Désormais, il n’est plus besoin des additions
aux VIIe et VIIIe Centuries, plus besoin des sixains et
de l’Epitre à Henri II ; plus besoin des Présages issus
des almanachs de Nostradamus, lesquels apportaient, au
moins, une certaine présence authentique de Nostradamus
–encore que les dits quatrains ne soient probablement
pas formellement son œuvre propre mais une compilation
versifiée de ses « présages prosaïques-, on assiste à
une sorte de repli stratégique, voulu en 1656 par Giffré
de Réchac, au nom d’une « critique » nostradamique
pendant, en quelque sorte, de la critique biblique qui
se développe dans la seconde partie du XVIIe siècle chez
certains membres des ordres religieux (cf. notre post
doctorat, EPHE Ve section, 2007, sur le site
propheties.it). C’est cette fois Avignon qui prend le
relais, avec l’imprimeur Toussaint Domergue qui n’hésite
donc pas à faire le grand écart en produisant des
documents qui ne sont pas antidatés de quelques
décennies mais carrément d’un siècle et demi, pour le
cent cinquantième anniversaire de la mort de Michel de
Nostredame. Mais, comme le note Robert Benazra,
l’illusion n’existe que dans les éditions tronquées dans
lesquelles un portrait dument daté de 1716 figurait le
plus souvent disparu ; ce n’est pas par hasard que cette
édition parait au début de la période dite de la Régence
dans la mesure où le prophétisme français rebondit à
chaque fois que le nouveau roi est trop jeune pour
régner, comme en 1643 (avec une édition antidatée à
1611, correspondant au début de la régence de Marie de
Médicis). On a placé dans cette édition antidatée à
1566, des éléments liés à la mort de Nostradamus, comme
la reproduction de la pierre tombale, ce qui manquait
chez Benoit Rigaud 1568, dont on a vu qu’il ne
s’agissait pas d’une édition censée être liée à la mort
de Nostradamus mais une réédition d’un document censé
être paru au moment même de la rédaction d’une épître à
Henri II, retouchée et redatée, pour les besoins de la
cause. L’édition avignonnaise du cent cinquantième
anniversaire est ainsi la seule véritable édition
posthume, d’où sa date qui est celle même de la mort de
Nostradamus. Mais, au XIXe siècle, les éditions
troyennes prendront leur revanche, dans la seconde
moitié du siècle, avec notamment la réédition parisienne,
cent cinquante ans plus tard, de la version Chevillot
1611 qui, tout en étant moins ample que la version Du
Ruau – elle ne prend pas en compte les « présages » dont
chacun est lié à un mois et à une année, ce qui fait
problème face à des centuries dont les quatrains ne sont
pas datés. Rappelons en en effet le titre dans l édition
de 1605 : « Présages tirez de ceux faictz par M. Nostradamus,
es années 1555 & suyvantes iusques en 1567 ».
Paradoxalement, ces présages qui auraient du être le
cœur du dispositif nostradamique, sa matrice, sont ainsi
passés par-dessus bord. D’aucuns avaient d’ailleurs
douté de leur authenticité en comparaison avec les
quatrains centuriques...
Le XVIIe siècle se présente à nous, dans
son rapport au siècle précédent, du moins au regard de
l’entreprise nostradamique, comme celui qui met en forme
ce qui a été produit par le XVIe siècle. On l’a vu, plus
haut, un Pierre Du Ruau aura recueilli précieusement la
moindre bribe de ce qui portait la marque, réelle ou
fictive, de Nostradamus, ordonnant chaque élément de
l’ensemble en un certain nombre de volets, tout en
veillant à ce qu’à cette synchronie structurelle fasse
pendant une diachronie d’éditions antidatées C’est ce
siècle qui aura ainsi établi la présentation en deux
volets des centuries, avec ses deux épîtres censées être
introductives et qui surtout confèrent leur datation
interne aux dits volets, outre le fait que des éditions
datées des années des épîtres sont également mises en
circulation. La résistance de la part des modernes
seiziémistes à cette OPA troyenne un XVIIe siècle qui
débute en fait avec l’avènement de la dynastie Bourbon,
dans les années 1590, autour de l’édit de Nantes (1598)
sur « leur » siècle nous semble assez manifeste.
Nostradamus se voit ainsi revendiqué tant par le monde
valois que par le monde bourbon, poursuivant ainsi la
guerre civile qui aura clivé le discours centurique et
dont témoigne encore l’existence des deux volets.
16 - Sur la date de la première
impression des Centuries VIII-X (« second volet « )
A l’occasion de la parution de Nostradamus et l’éclat des empires,
de Patrice Guinard
En centrant son ouvrage (paru chez BoD,
en Allemagne) sur la centurie VIII, Patrice Guinard nous
donne l’occasion de faire le point, une fois de plus,
sur le statut de ce qu’on appelle généralement le second
volet des Centuries, bien qu’il ne consacre que fort peu
de pages à cette question du contexte dans lequel
parurent les Centuries VIII à X.
Il est un point sur lequel nous serons
d’accord avec Guinard (p.14) - à moins que ce ne soit
plutôt l’inverse- à savoir qu’il a du exister une
édition, « introuvable » du second volet chez Antoine du
Rosne. Cela tient notamment, de notre point de vue, à la
similitude entre la page de titre de l’édition Du Rosne
1557(Bibl. Utrecht) et celle du premier volet des
éditions Benoist Rigaud 1568. La différence, c’est que
pour nous toutes ces éditions furent réalisées dans les
dernières années du XVIe siècle et non en 1558 ou 1568,
elles sont donc antidatées. Cette édition du second
volet était-elle datée ? C’est peu probable comme
l’atteste l’édition Benoist Rigaud 1568, qui en est la
réédition, dont le second volet n’est jamais daté, ce
qui a l’avantage de pouvoir servir à la fois pour une
édition antidatée que pour une édition non datée. Elle
devait en revanche comporter le nom d’Antoine du Rosne.
Dans le cas de l’exemplaire de la
Bibliothèque d’Utrecht, nous dirons qu’il est
sensiblement plus tardif que l’exemplaire de la
Bibliothèque de Budapest qui, lui ne concerne que le
premier volet, comme il ressort également de la page de
titre. Le dessin de la vignette de l’exemplaire de
Budapest (voir les fac similis édités successivement par
Robert Benazra, en 1993 et par Gérard Morisse, en 2004)
diffère de toutes les vignettes nostradamiques
représentant un homme devant une table (sur le modèle du
mois de janvier dans les almanachs), par sa facture,
qu’il s’agisse des pronostications de Nostradamus ou des
éditions Macé Bonhomme 1555 ou ligueuses (Paris,
1588-1589) ou encore de celle des faux almanachs
produits dans les années 1560 par Barbe Regnault.
Vignette qui diffère également de celle d’une
pronostication de Jean Sconners, parue chez le même
Antoine du Rosne.(cf Catalogue Thomas Scheler, 2010, p.
32) ..
Il est notamment intéressant de revenir
sur le fait que l’édition Macé Bonhomme 1555 comporte la
même vignette que l’édition « Utrecht ». Or, comme le
note Guinard, il y a de fortes similitudes entre
l’édition Utrecht 1557 et les éditions Benoist Rigaud
1568 et nous dirons qu’elles sont contemporaines. On
notera que les éditions Rigaud 1568 ne comportent pas le
type de vignette que nous avons décrite plus haut, ce
qui nous conduit à penser qu’elles ne visaient pas à
prendre l’apparence des éditions nostradamiques de
l’époque de Nostradamus, à la différence de l’édition
qui en dérive, Antoine du Rosne, 1557/1558 Utrecht.
Il faut comprendre qu’aucune édition
comprenant les deux volets n’a du paraitre avant la
réconciliation nationale correspondant au sacre d’Henri
IV, donc reconverti au catholicisme romain- autrement
dit les deux volumes Antoine du Rosne 1557 (dont la
Bibliothèque d’Utrecht ne conserve que le premier volet)
ne sauraient être antérieures à cet événement. Nous
n’avons pas d’ailleurs la certitude d’une parution
antérieure aux premières années du XVIIe siècle pour les
éditions à 2 volets. Si le Janus Gallicus(1594) reprend certains quatrains du second
volet, rien ne nous assure que c’est issu d’une édition
à deux volets, tout comme le dit recueil commente des
quatrains des almanachs alors que ceux-ci n’étaient pas
parus depuis le temps de Nostradamus si ce n’est
éventuellement sous la forme d’un Recueil des Présages Prosaïques,
dont le titre même ne renvoie d’ailleurs pas à des
quatrains, recueil qui fut peut être imprimée mais dont
le manuscrit a été conservé (Bibl. Lyon La Part Dieu).
A partir de là, il nous faut nous
interroger sur la date de fabrication de l’édition Macé
Bonhomme 1555 dont nous avons dit que la vignette
ressemblait fortement à celle de l’exemplaire Utrecht.
Il nous semble très improbable en effet que cette fausse
édition ait été réalisée avant Antoine du Rosne, 1557
Budapest, du fait de la différence des vignettes et même
si selon une logique chronologique primaire, l’édition
1555 devrait être antérieure aux éditions du Rosne 1557,
tant Budapest qu’Utrecht. Selon nous, il dut y avoir
d’abord une édition 1555 à 7 centuries (signalée dans
l’édition Anvers St Jaure, 1590) reprise par l’édition
Antoine du Rosne 1557 Budapest et qui devait porter la
même vignette qu’Antoine Du Rosne Budapest qui en serait
la copie.
On ne doit pas ici négliger l’apport des
éditions troyennes, à commencer par celle datée de 1605.
Chez ces libraires – et notamment chez Pierre Du Ruau,
la connaissance des éditions ligueuses est attestée par
les annexes à certaines centuries, réalisées à partir de
quatrains des dites éditions ligueuses, éliminés par la
suite et d’ailleurs empruntant aux quatrains de
l’almanach de Nostradamus pour 1561..Or, dans ces
éditions ligueuses, la marque d’addition après le 53e
quatrain de la Centurie IV aura mis sur la piste d’une
édition initiale s’arrêtant à IV 53, d’où, selon nous,
l’idée de fabriquer ce premier état et de le dater de
1555, comme état antérieur de l’édition 1557 Utrecht,
avec la même vignette. Nous aurions ainsi d’ailleurs
deux « couples » d’édition dont deux éléments nous
manquent (1555 à 7 centurie et Utrecht Second volet,
1558, date de l’Epitre à Henri II) :
Premier couple ;
Une édition à 7 centuries, non conservée,
mais attestée en 1590 et correspondant d’ailleurs à un
état qui ne saurait être antérieur à cette date, du fait
que l’édition d’Anvers n’a encore que 35 quatrains à la
VII, alors que sa réédition Du Rosne 1557 Budapest a 40
quatrains à la VII, et qu’elle n’a plus, à l’instar
d’Anvers 1590, de centième quatrain à la VI ni
d’avertissement latin.
Second couple
Une édition à 4 centuries, dont 53 à la
IV, Lyon Macé Bonhomme que nous daterons vers 1600-1605,
couplée avec l’édition Antoine du Rosne Utrecht
regroupant toutes sortes de quatrains de type
nostradamique et que l’on avait donc collecté et
rassemblé, à commencer par le second volet. Le second
volet a disparu. On ne le connait que par son
« original » daté de 1568, qui en est en quelque sorte
la réédition.
Quelques observations sur ce second volet
dont est issue la Centurie VIII commentée par Patrice
Guinard. Nous noterons que certains quatrains semblent
relever d’un autre mode de communication que d’autres,
les uns étant « cryptés », recourant à des anagrammes
tandis que d’autres sont « en clair ».
Comment se fait-il, en effet, que l’on
trouve au sein du même « volet » des quatrains recourant
aux anagrammes Mendosus (pour Vendôme) et (pour Lorrain)
Norlaris (IX, 50 cf aussi IX 45 et VIII, 60)- cf Guinard,
p. 104- ?
« Mandosus tost viendra à son hault régne
Mettant arrière un peu de Norlaris »
Notons que dans ses almanachs, Nostradamus se servait
d’une autre anagramme pour Lorrain, à savoir Lorvarin
(présage d’octobre 1562), ce qui permet de douter
sérieusement, au niveau du texte, de sa paternité sur
les quatrains concernés du second volet.(cf B.
Chevignard, Présages de Nostradamus,
p. 155)
et d’autres annonçant directement la
victoire d
X, 18 « Le rang lorrain fera place à
Vendosme »
Autre exemple de ce double niveau de
langage, au cœur même de la VIIIe Centurie.
Guinard s’interroge (p. 111) sur le
quatrain VIII, 67 :
PAR CAR NERSAF, à ruine grand discorde
(…)Nersaf du peuple aura amour & concorde
Il note que Nersaf est l’anagramme de
France. Mais il ne fait pas le rapprochement avec VIII,
4, tout au début de la VIIIe Centurie :
Dedans Monech le coq sera receu
Le Cardinal de France apparoistra
Par Logarion Romain sera déceu
Foiblesse à l’aigle & force au coq
naistra
Or, il nous semble bien que ce Car Nersaf
– en capitales- renvoie au Cardinal de France. Quant à
PAR de VIII 67, on pourrait le rapprocher de VIII 4 :
Par, se trouvant dans « apparoistra » suivi de par.
Guinard, quant à lui, rapproche PAR de Paris et CAR de
Carcassonne.
A quoi bon dans ce cas, comme pour
Norlaris et Mendosus, avoir à la fois des anagrammes et
leur clef ? Nous expliquerons cette bizarrerie de la
façon suivante : le second volet serait une compilation
hybride et un peu désordonnée de toute une littérature
nosrtradamique favorable à Henri IV, dont l’anagramme
est Chyren (VIII, 54, cf Guinard, p. 96 qui y voit Henri
II), d’où le regroupement de données redondantes et
formulées dans des styles divers. On aura complété un
tel assemblage par des quatrains fabriqués un peu à la
va vite, empruntés à la Guide des Chemins de France
d’Henri Estienne (cf. Guinard ; p. 12) - nous avons
montré qu’il fallait se servir d’autres guides du même
auteur, comme les Voyages
- et à d’autres récits régionaux. La mise en évidence de
tels emprunts par Chantal Liaroutzos est d’un intérêt
inépuisable. Cela nous aura permis d’étudier la façon
dont certains de ces quatrains géographiques avaient été
retouchés, notamment IX, 86, avec Chartres remplaçant
Chastres. Mais, si l’on en reste à la centurie VIII, on
remarquera (cf. Guinard, pp. 20-21) que le quatrain VIII
20 est extrait des
Voyages
de 1552.
mais l’on voit aussi que ce quatrain a été interpolé et
vise les Lorrains, dont la capitale est Nancy.
Au fort chasteau de Viglanne & Resviers
Sera serré le puisnay de Nancy
Dedans Turin seront ards les premiers
Lors que de dueil Lyon sera transy.
Signalons aussi VIII, 52, qui semble
recopier de quelque atlas de la France :
Le roy de Bloys dans Avignon régner
D’Amboise & Séme viendra le long de
Lyndre
Ongle & Poitiers sainctes aesles ruiner
Devant Boni
Guinard (p. 94) relève quelques noms de
villes mais n’en repère point d’autres : il ne note pas
la référence à la Ville de Saintes, ni probablement à
Saumur (Sème). « Ongle » est probablement une corruption
d’un nom de lieu, peut être Orléans ? Quant à Boni, il
pourrait bien s’agir comme le note Guinard de « Bonny
sur Loire (sous Briare et à hauteur de Blois) ».
L’existence d’un verset manifestement incomplet dans les
diverses éditions, y compris celle marquées Benoist
Rigaud 1568, nous fait souligner le fait que les
éditions prétendument les plus anciennes des centuries
ne différent guère de celles jugées plus tardives par
les bibliographes, ce point a visiblement été négligé
par les faussaires.
Là encore, n’a –t-il pas eu retouche du
quatrain initial avec l’introduction d’Avignon (référence
au pape) qui n’appartient pas à cette région. Le premier
verset semble comporter un message politique pas plus
que Chartres n’appartenait à la région parisienne. On
notera le quatrième verset tronqué, ce qui vient
confirmer le caractère rétrospectif d’archivage de
l’entreprise post-centurique du début du XVIIe siècle.
Nous voudrions terminer en mettant en
avant un critère qui ne semble guère avoir retenu
l’attention de P. Guinard, à savoir le recours aux
lettres capitales (majuscules). L’on notera que
l’édition Budapest ne comporte pas de mots en capitales
du moins dans les quatrains alors que l’exemplaire
Utrecht en comprend un certain nombre – et cela vaut
pour les deux volets dans les éditions Benoist Rigaud
1568. Or, l’édition Macé Bonhomme 1555 dispose aussi de
quatrains dont certains mots sont en capitales. Il
suffit de s’arrêter aux premiers quatrains de la
première centurie pour en convenir. ¨Par exemple le
BRANCHES de II, 2/ Voilà qui vient confirmer la parenté
que nous proposions entre Macé Bonhomme 1555 et Utrecht
1557 avec Benoist Rigaud 1568 et nous conclurons que
l’exemplaire Antoine du Rosne 1557 Budapest est d’une
autre mouture. Quant aux raisons d’un tel procédé, elles
devaient correspondre à un certain mode de cryptage,
mettant en avant une certaine série de mots. Ce cryptage
n’était pas encore de mise lors de la fabrication de
l’édition Budapest pas plus d’ailleurs que dans les
éditions parisiennes ligueuses, ou de Rouen/Anvers
1588/1589. Nous daterons ce procédé d’une période plus
tardive autour de 1600-1605.
En forme de conclusion, nous relèverons
que dans ses « repères biographiques » qui mélangent
fâcheusement données biographiques et bibliographiques,
ces deux domaines relevant de méthodologies distinctes,
(pp. 166 et seq), Guinard propose :
« 1555 ; parution en mai, à Lyon, chez
Macé Bonhomme de la Ière édition des «Prophéties ». (353
quatrains). Retirage en juin 1555
« 1557 : Parution en septembre, à Lyon,
chez Antoine du Rosne, de la 2e
édition des « Prophéties » (642 quatrains). Réédition en
novembre 1557
-Parution à Lyon, chez le même imprimeur
de la « Paraphrase de C. Galien. » Réédition postdatée
de 1558
1558 Parution à Lyon, probablement
toujours chez Antoine du Rosne du second livre des « Prophéties »
(300 quatrains)
(…) 1568 Parution à Lyon, chez Benoist
Rigaud de l’Ière édition complète des Prophéties (942
quatrains)
Prudemment, Guinard ne mentionne pas le
cas d’une édition pour 1561 à 39 articles à la dernière
centurie et dont nous avons montré ailleurs qu’il
s’agissait non seulement d’une contrefaçon antidatée
mais probablement correspondant à un état antérieur aux
éditions Antoine du Rosne 1557 (Budapest et Utrecht). On
n’a gardé de ces éditions que des pages de titre
utilisées de façon assez étrange par les libraires
parisiens de la Ligue. En effet, ces éditions 1561
indiquent pour cette date la mise en place de la
centurie VII, appendice à la Vie centurie qui fut un
temps conclusive donc « dernière » terminée par
l’avertissement latin. On n’a pas conservé d’édition à
six centuries mais elle a du exister, dans les années
1580. Ces éditions 1561 complètent l’édition à six
centuries. On peut ainsi penser – milieu 1580 - à un
premier « train » de contrefaçons sur la base de 600 +
VIIe centurie, qui sera suivi d’un deuxième train de
contrefaçons – début 1590- comportant Antoine du Rosne
Budapest 1557 et d’un troisième train, début XVIIe
siècle, comportant Antoine du Rosne Utrecht à 2 volets
et Benoist Rigaud 1568. On ne peut évidemment pas
souscrire à l’indication de P. Guinard, dont, selon la
quatrième de couverture, « les études bibliographiques
et (les) recherches sur l’histoire du texte
nostradamique font autorité en France et à l’étranger »-
sur la seule base des mentions finales, plaçant la
parution d’Antoine du Rosne Utrecht avant Antoine du
Rosne Budapest, position d’autant plus intenable qu’il
considère que cette dernière édition était complétée par
un second volet, ce qui n’était pas le cas de la
première. Quant à sa mention (1557/1558) de la Paraphrase de Galien,
laquelle comporte la même vignette que celle d’Utrecht
1557 chez le même libraire, nous ne pensons pas qu’elle
date davantage de cette période, il s’agit probablement
d’une traduction manuscrite trouvée dans la bibliothèque
de Michel de Nostredame et imprimée également vers 1600,
conjointement avec l’exemplaire Utrecht...
Il faut bien comprendre que les
contrefaçons ne restituent aucunement tout le cours de
la production centurique tel qu’il se développe à partir
des années 1580 avec un « revival »
de Nostradamus, personnage d’une autre époque mais bien
qu’elles n’en reprennent que quelques états. Il est donc
regrettable que ce sont ces contrefaçons bien partielles
qui sont présentées comme le commencement de la genèse
des Centuries. Ce faisant, l’on parvient peut être à
sauver la paternité de Nostradamus sur les centuries
mais par ailleurs, l’on donne naissance à une genèse
assez invraisemblable de cette œuvre qu’il vaut mieux
qualifier de collective – les deux volets sont liés et
marqués par des camps opposés - qui fut le vecteur de sa
postérité.
17
- Les filiations improbables des
recherches astrologiques et nostradamologiques.
Le débat autour de l’astrologie et de
Nostradamus est délibérément faussé par certains de ceux
qui prétendent défendre les couleurs de ces deux
domaines qui ne sont pas sans traits communs quant aux
pathologies dont ils sont victimes par delà ce qui peut
les rapprocher quant à leur extraordinaire fortune à
travers les siècles.
Le tort que font nombre de chercheurs et
de commentateurs marqués par une certaine tendance
apologétique tient au fait qu’ils sont en quête de
filiations improbables. Tout serait tellement plus
simple si les spécialistes des centuries renonçaient à
démontrer que celles-ci sont dues à Nostradamus ou si
les experts en astrologie cessaient de placer leur
pratique sous le signe de l’Astronomie. On sait que la
tentation est forte de se placer sous la houlette d’une
autorité prestigieuse mais cela se révèle le plus
souvent assez contre-productif et génère des amalgames
fâcheux.
Tout comme l’astronomie s’est séparée de
l’astrologie- nous renvoyons à la polémique de Videl –
ce qui ne suffit nullement à expliquer le déclin de
cette dernière- Colbert a bon dos ! – de même les
spécialistes de Nostradamus n’ont pas grand-chose à voir
avec les interprètes des Centuries. Certains ont
cependant tenté de faire le grand écart et d’affirmer
une unité de l’astrologie tout comme – car ce sont
parfois les mêmes- une unité du nostradamisme..
LE XXIe siècle devrait voir entériner le
clivage entre des plans que d’aucuns voudraient à tout
prix voir converger. Dans le cas de Nostradamus, on voit
encore mener des combats d’arrière garde, assez
désespérés et désespérants, pour valider les
manipulations des éditeurs de la fin du XVIe siècle qui
ont monté le «canular » d’un Nostradamus auteur des
Centuries. Dans un premier temps, nos libraires ont joué
la carte de publications tardives, que l’on fait émerger
sous la Ligue, jamais encore « imprimées ». C’est
d’ailleurs la formule utilisée : « dont il y en a trois
cens qui n’ont encores iamais esté imprimées » et par la
suite, « Centuries VIII, IX X Qui n’ont encores iamais
esté imprimées ». Puis ils s’enhardirent – tout en
gardant les mêmes intitulés ! - et n’hésitèrent plus à
dater certaines éditions en indiquant l’année des
épîtres : puisqu’il y avait une préface de 1555 eh bien
on dirait que les Centuries sont de cette année là et
puisqu’il y a une épître de 1558, qu’à cela ne tienne,
on produirait des Centuries parues en la dite année.(Du
Rosne, Bibliothèque Utrecht – le second volet est
manquant mais la page de titre témoigne). Même l’édition
Benoist Rigaud 1568 n’est pas posthume –elle n’en a pas
le style en son titre- mais n’est qu’une supposée
réédition de celle (perdue) de 1558. [1]
Ce qui n’était au départ qu’un stratagème
de libraire rencontra un écho considérable chez certains
chercheurs et ce dès le XVIIe siècle, qui se
persuadèrent que les Centuries ne faisaient
véritablement sens que si elles étaient l’œuvre de
Nostradamus, preuves à l’appui, d’où leur attachement en
quelque sorte viscéral à toutes les éditions des années
1550-1560 des Centuries et par voie de conséquence une
forme d’hostilité, de mépris affiché à l’encontre des
éditions « ligueuses » et «post-ligueuses » des années
1580-1590. Leur idée est asses simple et circulaire :
les centuries sont prophétiques parce qu’elles sont
l’œuvre d’un « prophète » et si elles se vérifient,
c’est bien que leur auteur méritait bien ce nom de
prophète. CQFD. Il ne leur suffit pas d’interpréter les
quatrains, il leur faut aussi que ces quatrains soient
impérativement l’œuvre de Michel de Nostredame. Si on
leur dit que ces quatrains n’ont pas besoin d’être de
Nostradamus pour être prophétiques –puisque eux-mêmes
nous donnent des « preuves » de leur validité
prophétique – ils répondent que leur joie serait
singulièrement compromise, entachée, si l’on devait
découvrir un jour que l’ensemble ne se constitua qu’en
plusieurs temps, après une éclipse de 20 ans entre la
mort de Nostradamus en 1566 et les toutes premières
éditions des Centuries. Evidemment, si les quatrains ne
sont pas de Nostradamus, ils pourraient aussi bien avoir
été composés après coup. Mais qu’est ce que cela
change ? De toute façon, on a encore trois siècles
(1700-2000) pour déployer l’exégèse, même en considérant
que les Centuries ont continué à se former au XVIIe
siècle. En fait, nous savons que les Centuries
constituent une addition à l’œuvre de Nostradamus,
qu’elles en sont le prolongement, à telle enseigne que
sur l’ensemble considérable des documents manuscrits et
imprimés, dont l’authenticité ne fait point problème, on
ne trouve pas de mention des quatrains centuriques du
vivant de Nostradamus..
Mais passons à l’astrologie que nous
avons placée en parallèle. Tout, là encore, serait
tellement plus simple, si les astrologues avaient la
sagesse de ne pas confondre l’axe central de
l’astrologie avec ses divers prolongements et avatars se
prêtant à une appréhension du réel dans ses plus infimes
méandres. Là encore, même syndrome, même obsession de
valider des additions successives en faisant croire
qu’elles font partie intégrante d’un plan initial. Même
incapacité, impuissance, à séparer, à dégager ce qui est
au centre, à l’origine et ce qui est à la périphérie. Là
encore, qu’est ce qu’il en couterait de ne pas parler
d’astrologie pour des techniques qui ne sont qu’un
simulacre que l’on peut traiter à sa guise, à l’instar
des quatrains ? Si ces procédés « marchent », eh bien
tant mieux mais quel besoin de les qualifier
d’astrologiques ? Déjà il y a 800 ans Ptolémée mettait
en garde dans la Tétrabible : « Beaucoup d’individus
appâtés par le gain abusent le profane en exerçant sous
le couvert d’art astrologique un autre art »(Livre I ;
trad. Pascal Charvet, Paris, Ed Nil, p. 33)
Il est vrai qu’il n’est pas si simple de
dégager le vrai du faux. Et quand nous employons ces
termes, nous ne disons pas que les centuries ont « tout
faux » mais qu’elles sont des contrefaçons. Or un texte
peut être un faux et être « dans le vrai ». Un
astrologue peut désigner pour astrologique ce qui ne
l’est pas – et usurper un certain titre- et néanmoins
être « dans le vrai ». Inversement, quelqu’un peut dire
des choses « vraies » mais se les attribuer faussement,
commettre un plagiat. Etrangement, le contraire du
plagiat est aussi répréhensible, quand on attribué à
autrui ce qui est notre propre œuvre ! Il faudrait
trouver un mot pour désigner un tel forfait. Dans les
deux cas, il y a un problème de paternité usurpée.
Est-ce qu’attribuer à quelqu’un ce qu’il n’a pas fait
n’est pas un acte condamnable, quand bien même cela
pourrait être considéré comme flatteur. Peut être que
ceux qui attribuent ces « merveilleux » quatrains
croient se libérer la conscience en se disant que c’est
plutôt flatteur pour l’intéressé, qu’ils lui font un
beau cadeau. C’est pourquoi plus ils pratiquent
l’interprétation des quatrains ou des thèmes, avec
succès, plus ils se sentent dans leur bon droit de
pouvoir associer tel personnage ou tel savoir à leurs
pratiques présentées sous leurs parrainages.
On ne sera donc pas surpris de voir
Patrice Guinard se hasarder dans le champ exégétique,
par le biais de son Nostradamus ou l'Éclat des Empires - "Nostradamus
et ses visions passées et à venir"- édition BoD, 2O11) « L'objet de cet
ouvrage, écrit-il, est de montrer, voire démontrer, la
réalité des visions du prophète provençal, mal lu, mal
interprété, mal compris, depuis plus de quatre siècles »
mais Guinard n’en revendique pas moins le statut de
bibliographe expert dans les premières éditions, de
façon à pouvoir consolider l’historicité de Nostradamus,
comme si celle-ci était fonction des ouvrages qui lui
étaient attribués. Ce faisant, PG , en voulant jouer sur
plusieurs tableaux, hypothèque son discours, le
fragilise, le mettant à la merci de la critique alors
qu’il pourrait se contenter de montrer, puisqu’il
prétend pouvoir y parvenir- que les Centuries ont vu « juste »,
quelle qu’en soit la provenance. En fait, tout se passe
comme si la validation du texte nostradamique au regard
des événements validait ipso facto
le lien ainsi instauré, bibliographiquement, entre
Nostradamus et« ses »centuries.
De même, il serait beaucoup plus simple,
pour tout le monde, que l’on ne confondît pas le tronc
central de l’astrologie avec des prolongements
aléatoires et souvent déformés avec le temps - et que le
même Guinard, dans sa production astrologique laquelle
obéit à la même problématique que sa production
nostradamique- qualifie pompeusement de « structures »
alors qu’il ne s’agit que d’échafaudages amovibles - ce
qui ne les empêche d’ailleurs nullement, de «marcher ».
Cette affirmation unitaire : une Astrologie – et l’emploi du singulier est
ici crucial- un
Nostradamus. Si l’on devait psychanalyser un tel rejet
de ce qui pourrait séparer, défaire, déconstruire, on
songerait au syndrome d’une famille se décomposant, au
traumatisme d’une unité défaillante. En s’évertuant à
plaider l’unité d’un corpus, d’un savoir, l’on vient
ainsi au secours d’un enfant terrorisé par une unité
parentale à la dérive. A partir de là, la dimension
proprement scientifique du travail devient très
relative, elle ne sert plus que de prétexte à la
résolution d’une problématique existentielle et les
personnes ainsi affectées s’efforcent de faire partager
à autrui leurs fantasmes unitaires.
Au vrai, quand on examine de plus près
les dossiers ainsi présentés, il nous est bien difficile
de nous extasier face à des mises en relation d’un
corpus et d’une certaine réalité du terrain, quand
celles-ci laissent à l’interprète une si grande
latitude. Mille quatrains pour chaque fois rendre compte
d’un événement et peu importe quel quatrain l’on
choisira….. Quant au dédale protéiforme de l’étude des
configurations astrales, il est bien évident que plus on
connait l’astrologie, moins on est dupe, contrairement à
l’idée, démagogique, selon laquelle ceux qui n’y
connaissent rien seraient mieux placés pour en juger.
Nous pensons que Saturne doit dévorer ses
enfants, légitimes ou non, autrement dit que tout ce qui
émane d’une source ne doit pas se maintenir indéfiniment
mais doit être évacué périodiquement. Sinon ce serait
garder le bébé avec l’eau du bain.
18
- L’étude
négligée des épîtres centuriques en prose
Daniel Ruzo est l’auteur
d’un ouvrage bien connu des chercheurs, Le Testament de
Nostradamus
(Ed. du Rocher, 1982) et l’on sait que Patrice Guinard
s’est beaucoup intéressé au « testament » laissé par
Michel de Nostredame, dont il tire toutes sortes
d’enseignements et de renseignements, la succession des
éditions et des découpages centuriques obéirait à un
plan d’ensemble, ce qui poursuit, semble-t-il, la
démarche d’un Ruzo..
Par définition, un testament se rédige de
son vivant et parfois longtemps avant le décès.
Nostradamus, né en 1503 eut un fils, en 1553, César,
quand il atteignait la cinquantaine. On sait qu’il
s’adressa à lui par un texte auquel fait écho Antoine
Couillard, en 1556, dans texte satirique intitulé « Prophéties »
et dont il semble concevable que le dit Couillard ait
pris connaissance non pas du fait d’une quelconque
parution mais du fait de quelque « fuite ». D’ailleurs,
quel intérêt y aurait-il eu à reproduire largement un
document qui venait d’être mis en circulation par voie
d’impression ? C’est l’occasion de rappeler l’importance
des manuscrits dans la communication des années
1550-1560 et au-delà parallèlement à celle des imprimés.
On connaît le cas assez étrange des « emprunts »
d’Antoine Crespin ainsi que notre lecture de la lettre
de Jean de Chevigny à Larcher
Nous voudrions revenir
ici sur un mot synonyme de testament qui est celui de
mémoire, qui existe également en anglais. Dans son
adresse à son très jeune fils César, datée de 1555,
Michel de Nostredame, évoque l’existence ou en tout cas
le projet d’un « mémoire ». Cette adresse sera reprise
dans les années 1580 en tête des premières éditions
imprimées des Centuries, qui ne comportaient
initialement que 4 sections. (cf l’édition de Rouen de
1588, chez Raphaël du Petitval, malheureusement
introuvable, mais dont la description fut transmise par
Ruzo à Robert Benazra, lors du Colloque de Salon de
Provence de 1985, il y a donc un bon quart de siècle)
mais cette description ne fournit pas de précision sur
le contenu exact de la Préface qui nous intéresse ici).
Dans les années 1580, César de Nostradamus parvenait à
la trentaine. Il est possible qu’il ait eu en mains un
« mémoire » que son père lui aurait laissé et qu’il ait
souhaité le publier, d’où la présence de la dite Préface
à lui adressée par son père car nous n’excluons
aucunement que César ait participé peu ou prou à ce
revival nostradamique des années 1580. Son nom est cité
par Jean Aimé de Chavigny à la fin de sa biographie de
Nostradamus, en tête du Janus Gallicus
(1594) d’une façon qui laisse entendre une certaine
proximité. D’ailleurs César publiera des textes touchant,
par endroits, aux « prophéties » paternelles.
Le mot « mémoire » figure expressément
dans les premières lignes de la « Préface » mais il est
souvent mal interprété, y compris par Pierre Brind’amour,
auteur d’une édition des 4 premières Centuries, sous
leur forme à 353 quatrains. (Droz, 1996). Le plus
souvent la forme « délaisser mémoire » n’est nullement
interprétée comme renvoyant à un quelconque mémoire et
ce, en dépit du contexte :
« referer par escript, toy délaisser
mémoire, après la corporelle extinction de ton
progéniteur (….)vu qu’il n’est possible te laisser par
escript ce que seroit par l’injure du temps oblitéré. »
Nous reproduisons ici le texte « classique »
mais nous avons déjà par le passé signalé des versions
quelque peu différentes et selon nous sensiblement plus
fiables comme la version – certes tardive (fin XVIIe
siècle) du libraire lyonnais Antoine Besson- « vu qu’il
n’est loisible te laisser par trop clair escript », où
l’on trouve carrément « à toy laisser un mémoire ». ce
qui correspond à l’anglais de Theophilus de Garencières
(1672) « a memorial », on est bien loin de la mémoire
dont on se satisfait habituellement, ce qui occulte la
question de l’existence d’un document. Peu nous importe
ici que ces impressions soient tardives tout comme nous
était indifférent que Crespin ait ou non été un
faussaire : ce qui compte ici c’est le texte et le fait
que si l’on compare les versions en question de la fin
du XVIIe siècle à celles de la fin du siècle précédent,
force est de constater que les sources des unes nous
apparaissent comme moins corrompues que celles des
autres. Nous ne reviendrons pas en détail ici sur
l’inconsistance des premières lignes de la Préface en
rapport avec la naissance « tardive » de César, dans les
versions du XVIe siècle.
Mais revenons au texte et que faut-il
entendre par le fait que d’une part il soit question d’
un mémoire et de l’autre de ce qu’on peut laisser par
écrit. On a d’abord un développement où il semble assez
évident que Nostradamus envisage de laisser une sorte de
testament qui sera transmis à sa mort. Précisons que
nous ne sommes pas ici en train de commenter un document
authentique mais bien celui qui émerge dans les années
80 et qui est inspiré d’une version recueillie
partiellement par Antoine Couillard dès 1556. Il semble
d’ailleurs assez patent que les 353 quatrains qui font
suite à la Préface pourraient bel et bien constituer le
dit mémoire, en précisant que si une telle édition à 4
centuries parait en 1588, c’est parce qu’il n’y a pas eu
d’édition à 7 ou à 10 centuries antérieurement car quel
intérêt y aurait-il eu, vingt ans après, à restituer la
genèse des éditions successives alors même que l’on
était censé disposer d’une édition compléte à 10
centuries ou en tout cas à 640 quatrains, depuis 1557 ?.
Nous pensons d’ailleurs que l’idée d’une Epître à César
accompagnée de diverses notes prises lors de « vigilations
nocturnes » et mises par la suite en quatrains, par
d’autres, est en gros acceptable, vu que nous pensons
que la première présentation des Centuries fut posthume
avant qu’il y ait un revirement en faveur d’une thèse
selon laquelle une partie des textes serait parue du
vivant de Nostradamus, ce qui est en contradiction avec
le contenu de la Préface tel que nous venons de le
décrire.
On est en effet un peu perplexe par les
formes négatives que l’on trouve à propos de la mise par
escript. En fait, comme le note la version Besson, ce
n’est pas l’impossibilité de mettre par écrit qui est
posée mais celle d’une présentation par trop directe,
« par trop clair ». En supprimant délibérément ou par
mégarde « par trop clair », on produit une contradiction
et nous rappelons que le texte « canonique » de la
Préface souffre de telles suppressions. On s’est souvent
plaint de l’obscurité des quatrains mais celle des
textes en prose n’a guère à leur envier alors que, d’une
façon générale, l’on est en droit d’ être plus exigeant
à leur égard. Il semble que les quatrains ont contaminé
les préfaces et aient conduit à un certain laxisme de la
lecture des dites Epîtres. Une des retombées fâcheuses –du
moins pour certains- de nos observations est évidemment
de mettre en cause les premières éditions des deux
volets, encore que l’on puisse toujours penser que les
éditions du XVIIe siècle signalées viendraient d’un
manuscrit d’origine.
On notera cependant que Garencières est
également victime de cette suppression du « par trop
clair » : « since it is not possible to leave thee in
Writing », on n’y trouve pas le « too clearly ».
Revenons à Brind’amour qui traduit « mémoire », dans son
édition critique –il n’a visiblement pas lu Garencières
ni Besson dont il ne mentionne pas les « variantes » -
par « souvenir » (p. 2). On ne voit pas très bien ce que
cela pourrait avoir signifié. Quant à la négation devant
« possible », le chercheur québécois préfère la
considérer comme un »ne explétif » (p.4) et de proposer
« vu qu’il est possible de te laisser par écrit. »
En conclusion, nous dirons que certaines
erreurs méthodologiques ont été commises par divers
chercheurs, ce qui a conduit à une fausse représentation
de l’historique du processus de formation du corpus
centurique. On n’a pas pris la peine de comparer les
diverses versions des Epitres, sous quelque prétexte,
alors que celles-ci étaient disponibles et accessibles,
mais non décrites par Chomarat ou Benazra. Michel
Chomarat va même, cependant, jusqu’ à reproduire (p. 165
de sa Bibliographie Nostradamus, 1989) le frontispice de
l’édition Besson. (Voir aussi sa notice sur Garencières
pp. 144-145). Quant à Benazra, l’année suivante, (pp.
265-268) en dépit d’une assez longue notice, il ne
signale aucunement à quel point les deux préfaces
différent des éditions françaises précédentes. Pour
Garencières,¨( pp 246-247), pas un mot sur les
importantes différences entre le texte anglais et un
original français qui ne semble pas être celui des
éditions françaises connues des Centuries.
Rétrospectivement, il nous parait assez évident qu’il
fallait commencer par une étude rigoureuse des textes en
prose. Or, nos bibliographes se sont exclusivement
intéressés à la question des quatrains et de leur
interprétation, au nombre de quatrains de chaque édition
voire à certaines variantes d’un même quatrain mais ils
ont fait totalement l’impasse sur les deux grands textes
en prose qui ouvraient les 10 centuries.
Encore conviendrait-il de ne pas négliger
la « troisième » Préface, celle adressée à Henri IV et
placée en tête des « Sixains », en date de 1605. C’est
elle qui vraisemblablement donne son nom à l’ouvrage de
Garencières, « Prophecies or Prognostications ». On y
trouve enfin une dimension posthume qui évidemment ne
figure pas ou plus dans les autres préfaces, rédigées
par Michel de Nostredame. Mais cela vaut la peine de s’y
attarder : « Ayant (…) revouvert certaines Prophéties ou
pronostications faites par feu Michel Nostradamus (…)
par moy tenues en secret iusques à présent & vu qu’elles
traitaient des affaires etc »
Un tel scénario nous
semble, en effet, avoir été calqué sur celui qui présida
aux toutes premières éditions : au départ, on se
référait à « feu Michel de Nostredame » et l’on exhumait
un texte, un « mémoire » adressé à son fils César qui
aurait été conservé « en secret ». On notera d’ailleurs
la bévue de Benoist Rigaud quand il publie des éditions
datées de 1568 et ne prend même pas la peine, au titre,
de signaler que Nostradamus vient juste de mourir, ce
que l’on n’aurait pas manqué de faire si c’était
vraiment paru en 1568 comme l’attestent de vraies
parutions « nostradamiques » de cette année, dans
certains cas des faux authentiques en quelque sorte. La
mention d’une dédicace au Roi ne figure même pas. Or,
encore une fois, le XVIIe siècle vient à notre secours
avec la parution chez Sylvestre Moreau d’une ‘ »Nouvelle
prophétie de M. Michel Nostradamus…. DEDIE AV ROY »et
qui ne comporte que l’Epitre à Henri II et le second
volet de quatrains » (Sylvestre Moreau, cf Benazra, pp.
153-154). Il semble donc que le second volet des
Centuries serait d’abord paru séparément sous la Ligue –
on n’a pas gardé l’impression d’origine mais elle est
reprise, on l’a vu, au siècle suivant - ce qui se
conçoit puisqu’il émanait du camp d’Henri de Navarre –
puis repris, sans la mention « Au Roy » par Benoist
Rigault.
Rappelons que nous avons
montré que les 58 sixains en question parurent, en tant
que « Prophéties »,
sous le nom de Noel Léon Morgard sans aucune référence à
Nostradamus, en 1600 (1) ce qui laisse entendre que les
sixains n’étaient pas encore parus à cette date, avec la
dite Epître, ce qui alimente évidemment la thèse selon
laquelle on aurait attribué à Nostradamus des textes qui
n’étaient pas nécessairement de sa plume et qui
n’appartenaient même pas initialement à la mouvance
pseudo-nostradamique. Mais l’on peut aussi penser, dans
le cas de Morgard, qu’il ait pu « pirater » un manuscrit
nostradamique-comme celui conservé à la BNF, qui n’avait
pas encore de circulation officielle.
Ajoutons que si ces deux
épîtres à César et à Henri II furent retouchées – on a
l’original de l’Epitre à Henri II en tête des Présages Merveilleux
pour 1557 – il convient d’étudier d’autres épîtres de
Nostradamus, moins suspectes d’avoir été retouchées –et
elles ne manquent pas - lesquelles ne mentionnent jamais
l’existence des Centuries, si ce n’est dans le cas, que
nous avions signalé à Brind’amour – des Significations de
l’Eclipse de
1559, qui sont une sorte de longue épître, dont le
contenu est en partie repris de Léovitius comme l’avait
déjà remarqué Torné-Chavigny, au XIXe siècle, où il est
question d’une « seconde centurie » sans que l’on sache
de quoi il pouvait s’agir. On ne peut exclure cependant
que ce terme de « centurie » ait correspondu à un
travail que menait parallèlement Nostradamus ou dont il
avait en tout cas le projet. Car il n’y a pas de fumée
sans feu. Le travail des faussaires reprend autant que
possible certaines données authentiques ou du moins
jugées telles. Le mot de « Prophéties » ne devait pas
être étranger à l’activité de Nostradamus mais il ne
désignait point des quatrains ou pas seulement.
Rappelons que les almanachs de Nostradamus comportaient
des quatrains dont il n’était d’ailleurs pas forcément
l’auteur. Nous avons déjà évoqué l’existence d’une
véritable bibliothèque nostradamique dont les faussaires
firent grand usage, non sans parfois se fourvoyer,
confondant allégrement les éditions authentiques et
les
contrefaçons déjà abondantes du vivant de Nostradamus.
C’est la mésaventure de l’arroseur arrosé.
19
- La culture de l’imposture dans le
champ nostradamique
Nostradamus est à l'honneur dans la Revue Française d'Histoire du Livre
(n° 129, fin 2008) et accueille une grosse étude de
Patrice Guinard, directeur du CURA, bien connu du milieu
astrologique, notamment par son Manifeste et son site
trilingue (Cura.free.fr), mais depuis quelques années,
(re) converti aux études nostradamiennes, suivant en
cela, en partie, notre propre exemple, ce qu'il faut
prendre à la lettre en raison de la masse de documents
que nous avons mises à sa disposition (voir en décembre
2000, sur teleprovidence, le Colloque "Frontières de
l'astrologie").
Son étude volumineuse - et qui correspond
à une certaine consécration dans une revue publiée par
les éditions Droz, qui font référence au niveau
académique- a été parrainée par Gérard Morisse (voir son
exposé sur teleprovidence, Colloque de novembre 2004).
Ceux qui connaissent le monde des
nostradamistes savent que nous divergeons sur
l'essentiel, à savoir la question de la paternité des
Centuries et il eut été plus équitable de la part de M.
Morisse de nous laisser nous exprimer sur ce point, ce
qui fait que le dossier présenté est loin d'être placé
dans une perspective suffisamment documentée au point
d'ailleurs que notre nom ne figure nulle part, pas même
en note, si ce n'est indirectement dans certaines études
auxquelles Guinard renvoie et qui me citent. C'est ainsi
que notre post doctorat de 2007 "Le
dominicain Giffré de Réchac et la naissance de la
critique nostradamienne au XVIIe siècle" n'est même pas mentionné alors que
Guinard y avait fait écho sur son site, de façon
d'ailleurs diffamatoire. Il ne semble d'ailleurs pas
qu'il l'ait lu alors qu'il est accessible sur Internet,
sur le site propheties.it. Guinard ne cite pas
davantage des travaux plus anciens comme notre thèse
d'Etat, Le texte prophétique en France,
formation et fortune,
dont un tiers environ est consacré à Nostradamus pas
plus que l'ouvrage publié aux Ed. Ramkat, en 2002 "Documents
Inexploités sur le phénoméne Nostradamus
Nous reviendrons sur deux points:
-le premier est l'absence remarquable des
vignettes des pronostications et des almanachs de
Nostradamus ou pseudo-nostradamiques - sans parler de la
vignette de la Paraphrase de Galien. On nous répondra
que ce n'était pas le sujet qui était de traiter des
Centuries si ce n'est que précisément tout le problème
tient à l'interférence entre les Centuries et ces
publications annuelles. Et il eut été équitable de
signaler que les vignettes différent pour les mêmes
années entre celles des pronostications et celles des
Prophéties (Centuries).
- le second point tient à la question de
la "vraisemblance" d'éditions antidatées réalisées dans
les années 1580 et se présentant comme parues trente ans
plus tôt environ. Sans nous citer, Guinard passe son
temps à nous répondre mais en se gardant bien de
développer de façon satisfaisante nos positions qui sont
évoquées le plus vaguement du monde et nous donnerons
ici, préalablement, quelques échantillons de ces
allusions qui ne nous semblent pas dignes d'un travail
universitaire quand elles ne prennent même pas la peine
d'exposer ou de référer:<
"Quelques récentes études refusent
d'accorder à Nostradamus la paternité des quatrains au
profit de supposés clans organisées de faussaires".
On confond le débat sur la paternité de
Nostradamus sur les quatrains et le problème d'éditions
antidatées. La première question restant évidemment en
partie ouverte et l'on peut parler de quatrains
retouchés mais dont l'origine reste obscure.
Autre exemple:
"Cette étude invalide définitivement le
hypothèses tendant à disqualifier les premières et
authentiques (sic) éditions au profit d'éditions
ultérieures (...) Quelques amateurs ici ou là le plus
souvent débarqués dans le champ miné des études
nostradamienes, mal informés, ou n'ayant pas effectué
les recherches et vérifications nécessaires ont pu
mollement prété l'oreille à ces tentatives"
Que l'on se mette à la place du lecteur
de la dite Etude parue dans la vénérable Revue Française d'histoire du Livre.
On est en plein obscurantisme, on ne sait
pas de qui ni de quoi il est question, on est dans
l'allusion, dans la rumeur.....
Donc voilà Patrice Guinard réfutant des
thèses dont il ne dit ni où ni quand elles ont été
émises, ni par qui ni si elles sont toujours soutenus
par l'auteur des dites thèses. En fait, Guinard choisit
de s'en prendre à un point que nous avons depuis belle
lurette reconsidéré mais cela lui convient d'en rester
là. On appréciera le procédé!
Guinard met en avant l'argument selon
lequel on ne peut avoir mis en circulation un nombre
excessif de faux documents antidatés et notamment de
publications annuelles:
"Peut-on considérer l'ensemble des
impressions Regnault comme des contrefaçons antidatées
parues à la fin des années 80 ou au début des années 90?
C'est peu vraisemblable (..) Le scénario parfois soutenu
est plus qu'invraisemblable". Ce qui est amusant, c'est
que précisément l'argument des éditions Regnault que
nous avions, il y a quelques années insuffisamment
exploité est au cœur de notre dossier- puisque le « scénario »
en question serait nôtre- mais plus du tout sous la
forme relatée par P. Guinard
Pour notre part, nous ne soutenons
absolument plus que ces éditions d'almanachs aient pu
être antidatées et nous tenons tout à fait compte des
révélations bibliographiques de la Collection Ruzo,
vendue avant la soutenance de notre post-doctorat. En
fait guinard se comporte comme si nous étions morts
autour des années 2005 en se refusant à prendre
connaissance de notre....production en quelque sorte
posthume, ce qui est assez ironique compte tenu du fait
que précisément les Centuries, selon nous, se sont
d'abord présentées comme une oeuvre posthume.
Rappelons notre position actuelle : les
faussaires, disposant de bibliothèques remplies de
toutes sortes de publications portant le nom de
Nostradamus ou un anagramme assez transparent,
notamment chez ses adversaires, mais aussi chez ses
imitateurs, ont été victimes des contrefaçons! En
voulant faire du Nostradamus à partir de la bibliothèque
ainsi constituée et conservée, ils ont utilisé, par
mégarde, du pseudo-Nostradamus, ignorant que des
générations de faussaires se sont succédé avant eux. Ce
faisant, ils ont pris les faux almanachs de Nostradamus,
publiés par Regnault, pour de vrais almanachs et ils en
ont adopté les vignettes, ces fameuses vignettes que M.
Guinard se garde bien de montrer à ses lecteurs.
Guinard fait preuve d'une certaine
naiveté ce qui hypothèque une grande partie de ses
conclusions et de ses datations. Il cite (p. 40) une
édition datée de 1588 et qui se référe en sa page de
titre à une édition de 1557 et de conclure "Cette
indication ne peut être l'invention d'une édition
tardive parue une trentaine d'années après l'original".
Or, précisément, tout le débat est là : puisque
précisément il existe des éditions bel et bien datées de
1555, 1557, 1568 et que selon nous elles sont calquées
sur des éditions datées des années 1580, cela signifie
que les libraires des années 1580 avaient toutes les
raisons de mentionner de fausses éditions anciennes qui
leur étaient d'autant plus connues qu'ils en étaient les
maitres d'oeuvre!
Si on lit entre les lignes, l'on se rend
compte que le bilan de M. Guinard est bien maigre et ce
en dépit de la vente Ruzo qui n'a nullement apporté de
confirmation relative aux Centuries et Guinard de
promettre (p. 43) des "surprises" qui n'ont pas encore
eu lieu qui mettraient définitivement un terme aux "dénégations
hasardeuses", à la "mise en doute par certains". (p. 66)
On connait le maigre dossier des tenants
d'éditions parues du vivant de Nostradamus et notamment
le fait que Nostradamus ait pu de son vivant publier des
"prophéties", ce qu'a bien montré Gérard Morisse, au vu
d’archives de librairie mentionnant ce titre, d’ailleurs
assez peu vendu. Mais le problème, c'est que nous
ignorons tout de ce qui parut sous ce titre d'une part
et que d'autre part, la logique des faussaires ne
consiste-t-elle pas - on a vu qu'ils sont profusément -même
un peu trop-documentés- à fabriquer du faux avec du vrai.?
C'est pourquoi, ironie du sort, le
principal mérite qui restera des effots de M. Guinard,
consistera à avoir montré comment les faussaires
procédérent, leur volonté d'éviter au maximum les
anachronismes, en recyclant des éléments d"époque,
réalisant ainsi un travail "scientifique" de
reconstitution d'un passé, comme de nos jours, l'on
produit des films de fiction en costume.
. Il est évident que le passé ne nous est
connu que par rapport à ce qui nous en est connu et que
nous projetons ce qui nous est parvenu du passé sur le
dit passé. D’ailleurs, ne dit-on pas que l’on ne
décrypte les quatrains qu’après coup ? C’est le futur
qui nous éclairerait sur ce que « Nostradamus » a « prophétisé » .
Dans son article consacré à Pierre
Brind’amour, sur le site du CURA, Patrice Guinard s’en
prend à la question des sources, qui était un sujet
d’intérêt du chercheur québécois. Il insiste sur le fait
que d’une façon générale les sources ne sont pas
reprises exactement telles quelles dans la production
nostradamique et que même quand elles le sont, elles
peuvent revêtir un sens bien différent, hors du contexte
de départ. Autrement dit, celui qui emprunte, qui reçoit
serait plus à l’image d’un conquérant que d’un disciple,
il se sert de ce bon lui semble, à sa guise..
Ce serait une façon de dédouaner Nostradamus de
certaines accusations de plagiat qui vont mal avec
l’image, la légende dorée, d’un prophéte inspiré.
Certes, il y a bien Chantal Liaroutzos
qui nous apprend que plusieurs quatrains sont repris de
la Guide des Chemins de France.
Mais peut-être est-ce là, à en croire P.
Guinard, quelque code mystérieux qui aura permis de
citer le nom de Varennes? Pour notre part, profitant des
observations de Chantal Liaroutzos, parues en 1986 dans
la revue Réforme Humanisme Renaissance,
nous avons montré d’ailleurs que certains noms de lieux
avaient été modifiés, comme Chastres en Chartres (VIII,
86). Mais ne pourrait-on nous rétorquer que cette
« coquille » a valeur prophétique en vue d’annoncer le
couronnement d’Henri IV dans la cathédrale de Chartres
et non de Reims ? Il est vrai que l’enjeu est de taille
puisque si jamais ce changement avait bien eu lieu à
l’approche du dit couronnement, les éditions 1568
comportant « Chartres » ne pourraient être antérieures à
1593.La seule solution dans ce cas est la fuite en avant :
Nostradamus était prophète et donc il savait ce qui
allait se passer, plus de 25 ans à l’avance.
Le grand reproche que nous ferons, pour
notre part, à Brind’amour est paradoxal, c’est celui
d’avoir recherché ses sources en amont et non pas en
aval. Il est vrai qu’en général, une source se place
chronologiquement avant et non après. Mais précisément,
il convient d’aborder cette problématique sans idées
préconçues, c'est-à-dire en gardant un doute sur la date
du document étudié, lequel peut avoir été antidaté.
Avouons que le cauchemar du chercheur dans le domaine du
prophétique est double : selon qu’il rencontre des « collègues »
qui considèrent que tel auteur pouvait savoir ce qui
allait se passer bien après sa mort ou d’autres qui
voient partout des contrefaçons, des faux aux dates
suspectes. P. Guinard correspond plutôt au premier type,
et nous-mêmes plutôt au second.
Il reste que Brind’amour n’aura à aucun
moment envisagé que certains quatrains – notamment post
eventum - s’origineraient non pas avant mais après la
date de certaines éditions dument datées. Pour lui,
comme pour bien d’autres bibliographes du champ
nostradamique, ce qui est daté – comme c’est marqué -
d’après vient après. Si une édition de 1588 ressemble à
une édition 1557, c’est forcément que celle de 1588 aura
« copié » sur celle de 1557. Si l’on objecte que l’on
voit mal pourquoi on aurait publié sous la Ligue des
états antérieurs à l’édition de 1568, comme telle
édition à 4 centuries ou telle autre à six ou sept
centuries, alors que l’on avait déjà à sa disposition un
volume de 10 centuries, chez Benoist Rigaud, l’on est
tout disposé à expliquer que des quatrains se sont
perdus en route ou ont été confisqués, séquestrés
pendant vingt ans puisqu’aucune édition des Centuries ne
nous a été conservée, dument datée en tout cas, entre
1568 et 1588.
A propos de « sources », d’aucuns
n’hésitent pas à souligner que ce n’est pas par hasard
que l’on appelé certaines éditions des Centuries du nom
de « prophéties » car Nostradamus a bien publié des
ouvrages sous ce titre. Mais n’oubliait-on pas alors que
le mot « prophéties » pouvait désigner non pas des
textes obscurs et sans rapport avec une année précise
mais tout au contraire, des prédictions –éventuellement
sur plusieurs années comme le sont les « vaticinations
perpétuelles » évoquées dans la préface à César. ? De là
à conclure que ce que Nostradamus a publié sous ce titre
coïncide forcément à ce qui paraitra par la suite sous
ce même titre, il n’y a qu’un pas assez vite franchi,
apparemment. De même, ne sait-on pas que Nostradamus a
publié des quatrains dans ses almanachs, n’est-ce pas
assez pour que l’on puisse, sans état d’âme, lui
attribuer d’autres quatrains paraissant sous son nom
dans le cadre de Centuries ? On trouve dans une
bibliographie des années 1580 mention de quatrains à
l’article Nostradamus, c’est forcément des Centuries
qu’il s’agit et si en plus le mot « centurie » est
employé dans telle autre « bibliothèque », le doute
n’est plus permis. Il est impératif, entend-on, que
Nostradamus soit à la source de tout ce qui est paru en
matière d’éditions centuriques. Même la répartition des
quatrains dans telle ou telle édition aurait été
programmée par le dit Nostradamus.
Il y a dans de tels comportements une
certaine méconnaissance du travail des faussaires quand
ceux-ci sont payés pour œuvrer avec art. Il est assez
évident qu’ils se documentent, qu’ils font du vrai avec
du faux, qu’ils récupèrent éventuellement du papier
d’une autre époque, que s’ils attribuent tel ouvrage à
tel libraire, ils ne procèdent pas n’importe comment
mais dans les règles à telle enseigne que de modernes
bibliographes n’y voient que du feu, à plus de trois
siècles de distance. Ici, la « source » n’est plus mise
en doute quand elle vient conforter telle position et on
n’est même pas très regardant à son endroit.. Mais
parfois, ces faussaires commettent des bévues, se
trompent de modèle ou bien prennent des libertés. Il est
vrai qu’ils ne songent pas à nous modernes chercheurs,
ayant réuni des collections impressionnantes de
documents permettant des recoupements mais ne songeaient
qu’à satisfaire un public certes exigeant mais pas
omniscient. Qui, sous la Ligue, irait ergoter sur le
fait que des éditions Antoine du Rosne datées de 1557 ne
correspondaient pas tout à fait – mais suffisamment pour
authentifier la source - de par leurs vignettes à celles
que le dit Antoine du Rosne utilisait, ce que montre
obligeamment le récent catalogue de nostradamica de la
librairie Thomas Scheler 2010 à la planche de la page 32
ou encore que les vignettes des éditions de 1555 et de
1557 différaient de celles des pronostications
authentiques publiées par Michel de Nostredame ? Qui
irait, alors, montrer que l’Epître à Henri II a été
reprise, largement retouchée, d’une précédente épître de
Nostradamus en tête des Présages Merveilleux
de 1557, dont déjà l’authenticité se discute ? Mais là
encore, certains se satisfont d’approximations pour
certifier la source. Et ceux là sont souvent les mêmes
que ceux qui contestaient le droit d’un Brind’amour à
situer telle ou telle source des quatrains centuriques.
On aurait dit à Pierre Brind’amour que
l’état le plus ancien de la préface à César était à
chercher dans la traduction anglaise de Théophile de
Garencières, de 1672, il aurait- nous l’avons bien connu
– gentiment haussé les épaules. Quelle idée d’aller
chercher si loin et si tard- une « source » de ce texte
en prose daté de 1555 ? Et si l’on avait ajouté que le
texte français ayant servi de modèle à Garencières
n’était attesté que vers 1690, chez le libraire Antoine
Besson, cela n’aurait vraisemblablement pas accru notre
crédit. Aurions-nous dit que le texte était nettement
meilleur et cohérent, aurait-il soutenu que c’était du
fait du zèle de certains « éditeurs » par trop zélés du
XVIIe siècle. ? En tout cas Brind’amour ne signalera
même pas ces variantes dans son édition critique parue
chez Droz en 1996 !
Ah, nous confiait l’autre jour un « nostradamologue »,
que ne peut-on dater les documents au moyen de quelque
produit chimique ?, avouant ainsi son impuissance à
s’orienter dans un tel dédale.
En conclusion, nous prônons une nouvelle
méthodologie concernant des corpus comportant un grand
nombre de pièces, d’éditions. Il importe de ranger
celles-ci selon un odore logique sans tenir compte du
moins, dans un premier temps, des dates indiquées. On
s’apercevrait ainsi que les éditions Antoine du Rosne se
placent – selon leur stade d’achèvement- postérieurement
aux éditions parisiennes de 1588. en cela qu’elles
n’indiquent même pas l’addition survenue après le 53e
quatrain de la Ive centurie, ce qui est en revanche
signalé en 1588. Par quel extraordinaire concours de
circonstance une édition de 1588 serait-elle dans un
état d’ancienneté plus marqué qu’une édition de 1557 où
la centurie IV est d’un seul tenant alors même qu’une
telle présentation n’est pas attestée antérieurement ?
Peut-on sérieusement affirmer que l’édition Antoine du
Rosne 1557 (que ce soit l’exemplaire de Budapest ou
celui d’Utrecht) serait la « source » des éditions
Pierre Ménier, Veuve Nicolas Roffet ou Charles Roger,
apparues trente ans plus tard ? Comment se fait-il que
les éditions se référant à 1561 annoncent une addition à
la « dernière centurie », ce qui correspond à la VIIe,
ajoutée à la sixième se terminant par un avertissement
conclusif en latin alors même que la dite VIIe centurie
est déjà « attestée » en 1557 ? Selon nous, après une
période de mise en chantier assez brouillonne donnant
lieu à la contrefaçon à 4 centuries, et à diverses
additions subséquentes, le mot d’ordre aura été de
mettre en place une édition finale à sept centuries et
datée de 1555, comme l’atteste le colophon de l’édition
St Jaure d’Anvers 1555. Cette édition de 1555 à sept
centuries n’a pas été retrouvée mais elle était
certainement très semblable à l’édition Antoine du Rosne
1557 qui en serait, en quelque sorte, la réédition.
Ironie de l’Histoire, l’édition à 4 centuries Macé
Bonhomme n’avait pas été totalement supprimée : on en a
retrouvé quelques exemplaires sans compter celle de
Raphael du Petit Val datée de 1588, pièce à conviction.
Quand dans les années 1980, Robert Benazra retrouva
l’exemplaire de la bibliothèque d’Albi et localisa celui
de la bibliothèque de Vienne- puis un peu plus tard
quand il éditera l’édition 1557 Budapest, il ne lui
viendra pas à l’esprit que la seconde contredisait
jusqu’à l’existence de la première alors même qu’en
1588, l’on avait pris la peine –avant le revirement
stratégique- d’indiquer l’ajout au-delà du 53e
quatrain. .Cette découverte des éditions 1555 aurait du,
il y a près de 30 ans maintenant, sonné le glas de
l’édition 1557. Or, tout au contraire, il semblait tout
à fait normal que l’on soit passé d’une édition à 4
centuries à une édition à sept centuries et l’on n’avait
vaiment aucunement à se soucier de « sources » se
situant trente ans en aval ! Attitude d’autant plus
étonnante chez l’auteur du
Répertoire Chronologique Nostradamique
(1990) qui était parfaitement au courant de l’existence
des éditions successives, vu que sa recension remonte
jusqu’à la fin du XXe siècle. Elle ne saurait donc être
mise sur le compte de l’ignorance des documents. Il y a
là, aurait dit Gaston Bachelard, un sérieux ‘obstacle
épistémologique » qui a fait perdre des décennies à la
recherche nostradamologique. Mais, au vrai, si la
méthodologie que nous préconisons avait été en usage
pour d’autres corpus littéraires, pourquoi n’aurait-elle
pas été aussi appliquée dans le nostradamique ? Pourquoi
dans ce cas des historiens du XVIe siècle auraient-ils
adopté, encore jusqu’à nos jours, des exposés
bibliographiques obsolètes et décalés concernant
Nostradamus et l’œuvre à lui attribuée ? That is the
question.
On ne saurait trop insister, en effet,
sur le fait qu’aucune biographie de Nostradamus n’est
envisageable sans avoir résolu les questions
bibliographiques. La dernière biographie de Nostradamus,
chez Payot, en 2011, Un médecin des âmes à la Renaissance
de Denis Crouzet,
, dans une collection dirigée par Sophie
Bajard, ne prend aucune précaution méthodologique. Il
est clair que dans le cas de Nostradamus, une biographie
valable doit traiter ou en tout cas signaler les
questionnements quant à l’authenticité et à la datation
d’une œuvre à l’évidence collective. Le fait d’attribuer
d’office à Nostradamus la paternité de tout le corpus
nostradamique, tel qu’il se présente dans des éditions à
dix centuries, en approchant le dit corpus comme étant
d’un seul tenant avec une unité d’inspiration, fait de
cet ouvrage un travail scientifiquement obsolète avant
même sa sortie. Rien ne nous est évidemment épargné
quant à la date exacte de parution de la première
édition à 353 quatrains chez Macé Bonhomme. (p. 21)
d’autant que la biographie se dote d’une chronologie, où
se côtoient faits historiques et dates de publication
des Centuries, 1555, p. 422, 1557, p. 424 et cela se
termine par 1568, p. 432 avec une énorme bévue : « Lyon,
Chez Antoine du Rosne (sic), 1568 Il eut été bien plus
prudent de se référer au corpus centurique sans
l’inscrire impérieusement dans le cadre d’une biographie
à moins de le présenter dans une partie consacrée à la
fortune posthume du personnage, étant entendu qu’il
importait de travailler avec les textes en vers et en
prose des almanachs et pronostications (notamment celui
rendu par B. Chevignard),
en laissant prudemment de côté les épîtres intégrées
dans le dit corpus.
20
- Les titres des éditions et la
question des 39 articles ajoutés à la « dernière « centurie
La vigilance est de rigueur, dans le
domaine nostradamologique, probablement plus qu’ailleurs,
en ce qui concerne la terminologie. Un même mot peut
recouvrir des acceptions diverses, un même titre peut
concerner des contenus bien différents, il en est ainsi
pour les mots « centuries » ou ‘prophéties » dont
d’aucuns voudraient qu’ils renvoient nécessairement à
des quatrains nostradamiques... Bien des erreurs
d’appréciation ont été dues à une certaine précipitation
à conclure que tel terme renvoie nécessairement à tel
type d’ouvrage.
Le chercheur dans le champ nostradamique
ne peut pas ne pas avoir été intrigué, de temps à autre,
par le décalage entre le titre d’un volume et son
contenu, tel qu’au premier abord en tout cas il lui
apparaît. On pourrait parler de découplage entre ces
deux niveaux. Un des cas les plus flagrants concerne les
éditions parisiennes parues sous la Ligue, dans les
années 1588-1589 et dont le titre a déjà fait couler pas
mal d’encre.
Ces éditions comportent en effet un
intitulé fort alambiqué à propos duquel on ne peut que
s’interroger.
Les Prophéties de M. Michel
Nostradamus. Dont il y en a trois cens qui n’ont encores
est imprimées, lesquels sont en ceste présente édition.
Reveues & corrigées par l’Autheur, pour l’an mil cinq
cens soixante & un, de trente-neuf articles en la
dernière centurie »
D’entrée de jeu, pourquoi un tel luxe de
détails à l’attention du lecteur des Centuries ?
Pourquoi ce besoin, en 1588 de renvoyer à une édition
vieille de près de 30 ans, pourquoi indiquer une telle
addition de 39 « articles » ? On observe là en tout cas
un souci bibliographique assez remarquable pour une
littérature somme toute populaire. Et l’on sait que les
contrefaçons étaient réalisées avec le plus grand souci
du détail « vrai », ce qu’atteste sans le vouloir
nécessairement Gérard Morisse, dans son Nostradamus, cet humaniste,
(Budapest, 2004) et à sa suite un Patrice Guinard.
Mais quand on ouvre le livre, y trouve-t-on
ce qui correspond à un tel titre ? Où sont donc les 39
articles, c'est-à-dire des quatrains ? Où commence
l’addition pour 1561 ? On trouve bien une addition, non
datée, à la Ive centurie, après le 53e
quatrain mais il reste alors 47 quatrains pour finir la
centurie « Prophéties de M. Nostradamus adioustées outre
les précédentes impressions » et plus loin « Prophéties
de M. Nostradamus adioustées nouvellement. Centurie
septième » . Quid des 300 prophéties, c'est-à-dire des
quatrains, dont on nous dit, au titre général, qu’elles
ont été ajoutées à un premier lot ?
On notera le recours à des synonymes : le
mot quatrain n’est même pas employé, il est remplacé par
« prophétie », par «article », chaque centurie comporte
un certain nombre de « prophéties » si bien que l’on a
affaire ainsi à des centaines de « prophéties ». Un
autre terme sera également employé par la suite, à la
place de quatrain, celui de ‘présages ». La chose semble
en tout cas entendu, on attribue à Nostradamus non pas
une prophétie, mais, comme l’indique le pluriel, déjà au
titre, des Prophéties, terme sous lequel il semble bien
que l’on désigne des quatrains, dont on sait qu’il en
figurait dans ses almanachs, ceux là mêmes que l’on
désigne, dans les éditions compilatoires du XVIIe
siècle, sous le nom de « présages ».
Tout se passe comme si le titre de ces
éditions ligueuses avait été emprunté à d’autres
éditions dont le contenu était plus conforme au titre.
Peut-on identifier de telles éditions correspondant au
dit titre mais qui pourraient nous être parvenus sous un
autre titre ? Prenons justement le cas de l’édition
Antoine du Rosne, 1557 de la Bibliothèque Nationale de
Budapest, dont Gérard Morisse fournit le fac simile,
dont la brochure citée plus haut est un commentaire.
Cette édition porte le titre : Les prophéties de M. Michel
Nostradamus dont il en y a trois cens qui n’ont encores
jamais esté imprimées. Arrêtons-nous sur une anomalie du titre
« dont il en y a » que l’on retrouve dans l’édition de
Rouen de 1589, chez Raphaël du Petit Val, mais sous un
titre différent » Les Grandes et merveilleuses
prédictions » et cette fois on donne »prédiction » pour
quatrain. En effet, les éditions parisiennes de la Ligue
ne comportent pas cette inversion et ont bien «dont il y
en a ». Voilà donc bien quatre façons de désigner un
quatrain : prophétie, présage, prédiction et très
probablement article. Le mot « prophétie » ne nous
apparait plus ainsi que comme un terme interchangeable,
sans que l’on comprenne bien les raisons de telles
circonvolutions. Bientôt, d’ailleurs, c’est le mot même
de «centurie » qui parfois désignera un quatrain comme
si le mot quatrain n’était pas assez explicite ou était
réservé à quelque usage, dans un autre domaine.!
Mais revenons à l’exemplaire de Budapest
dont Gérard Morisse nous dit (p. 23) qu’il comporte 639
quatrains. En relisant ce nombre il y a peu, nous
n’avons pu en effet, nous empêcher de faire le
rapprochement avec les « 39 articles » des éditions
ligueuses et des prétendues éditions de 1561 auxquelles
leur titre est censé renvoyer. Récemment, le catalogue
« Nostradamus en son siècle » de la librairie Thomas
Scheler (2010) a fourni un document remarquable (p.
49) : Prophéties (..) reveues & additionnées
(…) de trente huict articles à la dernière centurie »,
Veuve N. Buffet, 1561. A première vue, nous aurions là
le type d’édition auquel il aurait été fait allusion en
1588, en tout point conforme, par son contenu, à celui
des éditions ligueuses, avec le même type de vignette
représentant un personnage dans son étude, si ce n’est
qu’au titre, ce ne sont pas 39 mais 38 articles qui sont
annoncés. Michel Scognamillo, qui introduit le dit
catalogue Scheler a raison de situer cette pièces sous
la Ligue mais ce faisant il laisse entendre que l’on
pouvait donc tout à fait produire à cette époque des
éditions antidatées. Il était en effet de bonne guerre,
tant qu’à faire, de produire conjointement, la copie et
son prétendu original.
Il nous semble, en tout cas, que le titre
de ces éditions ligueuses, toutes parisiennes, et dont
les libraires avaient accès à des archives de leurs
prédécesseurs – on restait sur Paris- décrive assez bien
le contenu de l’exemplaire de Budapest dont nous pensons
par ailleurs qu’il s’agit également d’une contrefaçon
datant de la Ligue. D’abord, en ce qui concerne les 300
« prophéties » ajoutées, l’on peut penser que cela
concerne les centuries IV à VI. On nous objectera, un
peu naïvement, que l’on ne peut prendre les 100
quatrains de la IV puisqu’ils étaient déjà parus
précédemment. Mais on notera que dans l’édition
Budapest, il n’y a justement pas la marque d’addition
après le 53e
quatrain de la IV. Le lecteur se trouve donc face à deux
lots de 300 quatrains. Mais en plus, il y a une septième
centurie à 40 quatrains, ce qui n’est pas sans faire
songer non plus aux « 39 articles à la dernière
centurie », à un quatrain près (et à deux si l’on se
réfère au titre, mais non au contenu, de l’édition 1561
Buffet (cf Catalogue Scheler) ; c’est qu’en effet, le
contenu des éditions ligueuses est sensiblement
différent de celui de l’exemplaire de Budapest : il
indique l’addition dans la Ive centurie, il comporte des
centuries VI et VII bien moins fournies et qui
d’ailleurs récupèrent certains quatrains de l’almanach
de Nostradamus pour la dite année 1561, conservé à la
Bibliothèque Sainte Geneviève mais aussi dans les
Présages et le Recueil
de présages prosaïques,
édité partiellement par Bernard Chevignard (Présages
de Nostradamus,
Seuil, 1999) Autrement dit, l’édition 1557 semble
paradoxalement bien plus achevée que celles qui seraient
parues trente ans plus tard ! Bien plus, cette édition
1557 serait plus accomplie que l’édition 1561 alors
qu’en son titre elle n’annonce aucune addition
d’articles » à la dernière Centurie, qui serait
logiquement la sixième, concluant, par un avertissement
latin, un ensemble de 600 « prophéties ».
En d’autres termes, l’édition 1557
Antoine du Rosne Budapest- l’exemplaire d’Utrecht
comporte 42 quatrains à la VII- serait plus récente par
son contenu que les éditions ligueuses mais plus
ancienne par son titre. En quelque sorte, on aurait
affaire à une
double contrefaçon : d’une part en ce qu’elle se
présente comme parue du vivant de Nostradamus et d’autre
part parce qu’elle comporte l’année 1557 alors qu’ont
précédé des contrefaçons datées de 1561. Que s’est-il
passé ? Un revirement dans la politique éditoriale des
faussaires qui ont préféré mettre fin à des rajouts
successifs en produisant une édition « compacte » et en
la plaçant probablement en 1555, comme l’indique
l’édition 1590 d’Anvers (Saint Jaure) en sa dernière
page.
Mais revenons au décompte de Gérard
Morisse quant à ces 639 quatrains. D’où vient-il ? Si
l’on a 600 quatrains disposés en six centuries plus une
centurie VII à 40 quatrains, ne devrait-on pas en
arriver plutôt à 640 quatrains ? C’est que la fin de la
Vie centurie comporte certaines particularités. Il y a
manque le quatrain 100 ! Dans l’exemplaire d’Utrecht, on
trouve un quatrain latin, l’avertissement qu’étudie
d’ailleurs d’assez près Gérard Morisse. D’aucuns y ont
vu un 100e
quatrain mais il est bien plus probable qu’il clôtura
initialement un ensemble de six centuries pleines (c'est-à-dire
complétées par rapport à une première édition à 353
quatrains, on y reviendra). Or, ce quatrain 100, il va
réapparaitre en 1594 dans le Janus
Gallicus
de Chavigny et de là dans les éditions troyennes et
autres du XVIIe siècle.(Fille de l’aure etc , allusion à
Catherine de Médicis, fille de Laurent)‘. On nous dira
que tout cela n’explique pas pourquoi l’on annonce une
addition de 39 articles. Selon nous, il doit s’agir
d’une erreur de lecture. Voyant le nombre recensé
quelque pat de 639 articles, quelqu’un aura probablement
pensé que cela devait se décomposer logiquement en 600 +
39, sans aller voir le contenu, comme de toute façon,
il y avait un décalage entre le titre et le contenu, une
telle éventualité nous semble somme toute envisageable..
Quant à la mention de 38 articles qui figure dans la
contrefaçon de 1561, il doit s’agir de quelque
initiative, de surenchère, visant à laisser entendre
qu’il s’agissait d’une édition plus ancienne.
Mais pourquoi des éditions parisiennes de
la Ligue purent-elles adopter des titres correspondant à
un état plus tardif de leur contenu ? Nous proposerons
l’explication suivante : les titres ont été rajoutés par
la suite à partir d’éditions aux contenus plus « complets ».
Voilà donc encore une autre catégorie de faux : ayant
des stocks à écouler, les libraires parisiens auraient
changé le titre de leurs parutions pour « fourguer » ce
qu’ils avaient sur les bras. Ils optèrent non pas
cependant pour la forme finale type Budapest (reprenant
on l’a vu des éléments du titre de l’édition de Rouen de
1589) qui n’était probablement pas encore en circulation
mais pour une forme intermédiaire supposant une addition
pour 1561. On ignore donc quel fut le titre d’origine
des éditions ligueuses, portaient-elles même le titre de
« Prophéties » ? On peut en douter et penser qu’elles
s’intitulaient, initialement, comme les éditions de
Rouen et d’Anvers, Grandes et merveilleuses Prédictions.
Rappelons enfin que ces contrefaçons
furent, de surcroit, elles-mêmes victimes des
contrefaçons du temps de Nostradamus – qu’évoque Gérard
Morisse, avec notamment les almanachs publiés par Barbe
Regnault. Et il se passa la chose suivante : ne sachant
pas faire la différence, les faussaires prirent modèle
non pas sur les vignettes des pronostications de
Nostradamus mais sur celles des almanachs de Barbe
Regnault., que l’on retrouve donc tant en 1588, à Paris
(mais pas à Rouen ni à Anvers) que pour les contrefaçons
de 1555 (Macé Bonhomme) et 1557 (Antoine du Rosne). On
nous objectera que l’on a deux éditions (1557 et 1558)
de la Paraphrase de Galien, traduite par Nostradamus. Il
est probable que cette édition ne date pas de ces années
là. Il s’agit au mieux d’une traduction manuscrite de
Nostradamus- à l’instar de celle d’Horapollon- qui sera
produite en même temps que les fausses éditions Antoine
du Rosne des centuries. A ce propos, le catalogue
Scheler (p. 32) nous fournit la page de titre d’une
pronostication d’un autre astrologue (Jean Sconners),
parue bel et bien chez Antoine du Rosne en 1558, avec
une vignette assez différente de celles des fausses
éditions Antoine du Rosne, mais dont on aura pu tout à
fait s’inspirer. On peut suivre ainsi les faussaires à
la trace, compulsant une bibliothèque et des archives
assez considérables mais devenant victimes d’une telle
richesse au point de ne pas pouvoir distinguer,
eux-mêmes, le vrai du faux. C’est ce qu’on appelle
l’arroseur arrosé.
On aura compris que nous avons là trois
niveaux bien distincts : celui des titres, des contenus
et bien entendu des dates. Croire que les trois
coïncident appartient à un autre temps, désormais
obsolète, de la recherche nostradamologique dont les
bibliographies parues en 1989-1990 furent le chant du
cygne.
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