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Researches 101-110
 
101 - Recherches autour de Nostradamus le Jeune
 
102 - L’héritage intellectuel de Nostradamus
 
103 - Les destins paralléles de Mi. de Nostradamus et de Nostradamus le Jeune.
 
104 - Le cas du diptyque Chevillot 1611.
 
105 - Les tribulations de la fratrie nostradamique : de Michel (le Jeune) à César, de 1555 à 1568.
 
106 - Origine et fortune du mot « centurie » dans la littérature prophétique de la fin du XVIe siècle
 
107 - L’émergence du centurisme prophétique au milieu des années 1580
 
108 - Introduction à une Histoire de la bibliographie nostradamique des origines à nos jours
 
109 - Retour sur la production nostradamique entre 1600 et 1611
 
110 - La double voie du nostradamisme
 
 
 
 

 

 

Researches 101-110

 

101 - Recherches autour de Nostradamus le Jeune
Par Jacques Halbronn

Si la plupart des nostradamologues ne semblent pas avoir su détecter la série de contrefaçons qui truffent le champ nostradamique, en revanche, ils tiennent absolument à parler d’imposteurs quand il s’agit d’Antoine Crespin et plus encore de Nostradamus le Jeune. Il est vrai que l’on dispose même des « aveux » de Mi. de Nostradamus reconnnaissant qu’il n’est qu’un « disciple »[1]. Robert Benazra, quant à lui, met en avant un argument lié aux signatures qui figurent tant chez Mi. de Nostradamus que dans les œuvres de Mi. de Nostradamus le jeune.[2] :« Le cas de ce « Michel Nostradamus le Jeune » a été définitivement résolu par notre enquête bibliographique. Ainsi, ce Michel Nostradamus le jeune, qui usurpa cette identité, publia des ouvrages sous ce nom. Auparavant, il avait publié ses Pronostications, de 1564 à 1568, du vivant de Nostradamus et peu de temps après sa mort, sous le nom de « Mi. de Nostradamus ». Il récidive après la mort de son «maître », en signant « Mi. de Nostradamus le jeune », avec diverses variantes. Nous le retrouverons en 1571, 1574 et 1575. Après cette dernière date, on n'entendit plus parler de lui : la mort a certainement mis un terme à ses activités illicites. La signature de « Mi. de Nostradamus » est identique, dans le graphisme, avec celle de « Nostradamus le Jeune », ainsi que vous pouvez le constater ci-dessous :

On ne voit pas pourquoi à la mort de Nostradamus cet imposteur aurait pris le nom de Nostradamus le Jeune. Nous pensons qu’il y a bien eu transmission d’une génération à l’autre en 1566. Autrement dit, il nous parait tout à fait possible que Michel Nostradamus, lui-même ait pu prendre le nom de Mi. de Nostradamus et que son fils Michel ait gardé les deux appellations : Michel de Nostradamus le Jeune et Mi. de Nostradamus le Jeune, la signature n’étant qu’un label. En assimilant les deux noms, Mi de Nostradamus et Mi, de Nostradamus le Jeune, Benazra parvient à une impossibilité car le fils Nostradamus s’il était né du second mariage de Nostradamus eut été trop jeune pour publier en 1564/1565/.
Benazra a dressé la liste de toutes les publications connues portant le nom de Nostradamus le Jeune, toutes variantes confondues plus Mi. de Nostradamus. Cela fait intervenir un nombre de libraires considérable, dans toutes les villes ayant une activité d’édition, même en laissant de côté le cas d’Antoine Crespin Nostradamus. Un Benoist Rigaud, un Guillaume Nyverd, un Michel Jove seraient ainsi complices d’une telle « imposture », et ces imposteurs auraient pu indéfiniment continuer à adresser des épitres à toute la famille royale et leurs éditeurs obtenir des privilèges d’impression ;
Benazra évoque la mort de Michel Nostradamus (« L’ancien ») comme ayant fait apparaitre la forme «Nostradamus le Jeune » et de fait Michel de Nostradamus Le Jeune est présenté comme l’éditeur de prévisions retrouvées dans la bibliothèque du défunt. C’est le cas des Prédictions pour 20 ans, parues à Rouen, Pierre Brenouzer, 1568. La formule complète est « trouvée en La Bibliothèque de nostre defunct dernier décédé (que Dieu absolve) Maistre Michel de nostre Dame (sic) A la supplication de plusieurs, (elles) ont estez à très grand’ diligence revues & mises en lumière par Mi. de Nostradamus le Jeune.
Nostradamus le Jeune ne se présente pas comme le « disciple » de Nostradamus et la formule « Nostre défunct dernier décédé » peut être prise pour une expression familiale.
Il est vrai que dans une réédition de 1571, la formule change :Présages pour 13 ans (…) trouvées en la bibliothèque de défunct maistre Michel de nostre Dame (sic) que Dieu absolve. Mi. de Nostradamus le Jeune est devenu M. Nostradamus le Jeune. Cette fois, la dimension familiale a disparu ou en tout cas deux mots ont sauté « dernier décédé ». Le corps du texte est identique et a simplement été mis à jour. Au départ, ce travail commençait en 1562, puis aura connu des rééditions et des réductions successives.
Il y a eu un passage de relais entre le « père » et le « fils », et il n’est pas dit ici que le fils ait rédigé ces textes. L’épitre au duc d’Alençon est reprise d’une édition à l’autre.
L’édition de 1568 Rouen Brenouzer qui a été conservée comporte même les armes du duc au dessus de l’épitre qui lui est destinée. On peut penser que cette épitre est de Michel Nostradamus.
Passons à un autre ouvrage de Mi. de Nostradamus : la Prognostication ou Revolution avec les présages pour l’an 1565, chez nul autre que Benoist Rigaud[3].
Cette fois l’épitre est adressée à l’autre frère du Roi, le futur Henri III, duc d’Anjou- ce qui est indiqué sur la page de titre. On notera que l’almanach pour 1565 est dédié à Charles IX (en date du 14 avril 1564 pour la dédice, alors que la date de l’épitre à Alençon est du 13 juin 1565) On peut lire une formule qui nous semble bien audacieuse de la part d’un imposteur qui joue carrément son va tout :
« ainsi que l’avons dict & escript par plusieurs fois en noz Almanachs & Prognostications ». Voilà donc notre « imposteur » qui n’hésiterait pas à revendiquer la production annuelle de ce Michel de Nostradamus ! Il évoque « noz œuvres preterites »/. Il est vrai que généralement Nostradamus s’exprime à la première personne du singulier.. L’auteur évoque en cette épitre les interdictions qui menacent les faiseurs d’almanach depuis 1560 : « avions délibéré y mettre plusieurs autres choses dignes de mémoire mais les avons réservé, craignant désobéir aux Edictz & Ordonnances du tres Chrestien Roy » Signé Mi. de Nostradamus. Michel Chomarat cite ce passage mais non celui qui renvoie à « noz almanachs & prognostications ». En revanche, il cite ce passage :
« nous avons de coutume tous les ans extraire pour la prochaine année un advertissement des choses futures », ce que l’on peut comprendre éventuellement comme signifiant qu’un volume sur plusieurs années a été composée que l’on peut aussi découper année par année.
Cela pourrait aussi avoir été le cas d’une Prophétie ou Révolution merveilleuse des quatre saisons de l’an (….) depuis l’an présent iusques en l’an de grande mortalité 1568, par Mi. de Nostradamus, Lyon, Michel Jove avec encore une préface au jeune duc d’Alençon.
Benazra date à tort cette édition de 1568 alors que c’est la date terminale et non initiale.[4] En 1568, Michel de Nostradamus est mort, vive Nostradamus le Jeune !.
L’évocation des 4 saisons (ou des 4 temps) désigne le genre de la Pronostication, qui est le propre des prophéties pluriannuelles, à savoir l’interprétation d’un thème astral par saison, ce qui porte ici le nom de « révolution » car chaque thème est calculé par rapport au passage, au « retour », du Soleil sur les équinoxes ou les solstices...
C’est à rapprocher de la Pronostication et Prédiction des quatre temps pour l’an bissextil 1572 (…) iusques en l’An 1616 (…) contemplé & calculé par M. Anthoine Crespin Nostradamus, Lyon, Melchior Arnoullet. Texte dédié au duc d’Alençon, « frère du Roy ».
Crespin, un autre « imposteur », qui semble avoir pris la succession de ce Nostradamus le Jeune et fréquenter aussi effrontément la famille royale, stipendié par les libraires les plus en vue. Plus c’est gros, mieux ça passe, dit-on. Successeur ne signigie pas imposteur.
Nous pensons que Nostradamus s’était consacré, à une certaine époque de sa vie, à produire des recueils de pronostications sur une très longue période et que par la suite, il en extrayait des éléments. On ne peut exclure qu’il ait d’abord utilisé la forme Mi. de Nostradamus et que celle-ci se maintint pour ce type d’ouvrage alors qu’il avait choisi, par la suite, de fournir son prénom tout entier. On ajoutera que les traductions italiennes concernent surtout ces Prédictions sur plusieurs années - Li Présagi et pronostici - et qu’elles sont attribuées à M. Michel Nostradamo Francese. Elles datent de 1565 donc précédent sa mort/[5] Or, il apparait que c’est Nostradamus lui-même qui en aurait assuré l’édition italienne, son nom, sur la page de titre, à deux reprises, en tant qu’auteur et en tant que libraire[6]. Mais cette fois sous le nom de « Michel nostradamo Medico di Salon di Craux in provenza » :
LI PRESAGI ET PRONOSTICI DI M. MICHELE NOSTRADAMO FRANCESEQVALE PRINCIPIANDO L'ANNO M.D.LXV. diligentemente discorrendo di Anno in Anno fino al 1570. Chiara mente ci dimostra tutto quello che gli influssi Celesti dinotano tanto di bene, quanto di male, si delli raccolti boni, quanto delli rei. ANCORA PREDICE NELLI DETTI ANNI 1565. fina al 1570, (...) Diligentemente estratti dalli originali francesi; nella nostra italica lingua.
Michel nostradamo Medico di Salon di Craux in provenza. Alla S. di Papa Pio. III.
di questo nome Composto;
Il faudrait, par ailleurs s’intéresser aux vignettes[7].
Celle de l’Almanach pour l’an 1566, Lyon, Antoine Volant & Pierre Brotot[8] est celle qui est utilisée pour la Prophétie merveilleuse/ commençant ceste presente année dure jusqu'à l'an de/ grande mortalité, que/ l'on dira M.d.lxviij./ An de bissexte. Par Mi. de Nostradamus. Paris,/ Par Guillaume de Nyverd –par ailleurs également éditeur de la Prognostication et amples prédictions pour 1567-dédié à Alençon- par Mi. de Nostradamus qui s’en sert aussi pour [9] la Prognostication : & Amples Predictions, à tous-jours & jamais, à commencer de ceste presente Année.Composée & calculeé [sic]par Mesaire Panthalamus, grand Docteur en Argorine, Residant es Villes Recreatives & Joyeuses. (vers 1565-1568) . Signalons aussi, chez Benoist Rigaud, les Predictions pour trantesept ans, des choses plus memorables, qui sont à advenir depuis l'an mil cinq cens soixante & dix, jusques à l'an mil six cens sept[10].
C’est aussi celle qui servira pour les fausses éditions Benoist Rigaud 1568, elles-mêmes dérivées de l’édition Pierre Rigaud autour de 1600. L’année 1568 figure justement sur l’édition Nyverd avec la dite vignette. On trouve aussi le portrait de Nostradamus le Jeune in Prédictions pour 20 ans ( jusqu’en 1583…)trouvées en la bibliothèque de nostre dernier défunct décédé, Rouen, Pierre Hubault. Ce portrait sera repris dans les éditions Pierre du Ruau, Troyes, notamment pour les fausses éditions Lyon 1568. il est accompagné d’un quatrain que l’on retrouvera en tête de la première centurie.
La thèse de l’imposture nous parait assez peu probante, même si un Nicolas du Mont, en 1571 se lance dans un violent réquisitoire contre certains imitateurs. Il est clair que le cas Crespin n’est pas comparable au cas Nostradamus Le Jeune, si ce n’est que Crespin reprend dans son œuvre le quatrain I, 1 associé à Nostradamus le Jeune.
Selon nous, Michel Nostradamus utilisait la forme Mi. de Nostradamus dans certains cas, et en fait uniquement quand il s’agissait de « prophéties » couvrant plusieurs années. Elle sera reprise à sa mort, comme le note Benazra, avec l’adjonction Le Jeune tout comme la forme Michel Nostradamus sera complétée de la même façon. Nous avons signalé la référence assez précise dans certains intitulés liés à la bibliothèque qui semblait relever d’un lien de famille.
Il y a certes, une objection de taille qui est celle du testament de 1566 qui ne mentionne pas de Michel, parmi les enfants de Nostradamus mais Benazra, lui-même, a publié des textes qui mentionnent un Michel comme étant l’ainé des enfants qu’eut Michel Nostradamus avec Anne Ponsard. Nous ne pensons pas que le dit testament soit un document si sûr que cela. Il révèle certainement une volonté d’évincer le dit Michel pour quelque raison que ce soit. C’est plutôt de ce côté que nous voyons une contrefaçon. Rappelons que la pierre tombale a été tronquée dans le Brief Discours, d’où le nom d’Anne Ponsard a totalement disparu alors qu’il figure dans la version anglaise de 1672, non seulement sur l’épitaphe mais dans le cours de la biographie. Il faut probablement y voir quelque règlement de compte entre César et le dit Michel, vraisemblablement mort en 1574, devant Le Pouzin, dans des conditions assez troubles..
Patrice Guinard nous met sur une piste[11] en citant César de Nostredame (Histoire de Provence, p. 804) : "Si j'ai composé cette inscription, ce n'est ni par ostension, ni superflue vanité, mais par un juste devoir, accompagné d'un désir de jetter plus loin et plus avant le nom de celui qui m'a mis au monde, laissé quelque trace d'honneur excellent et non commun... Il a bien mérité cette niche tant exiguë et modeste parmi tant d'illustres et magnifiques trophées et marque d'immortalité." (Leroy, 1972, p.107). Guinard commente : « Ce texte a été tronqué et interprété par certains, avec et après Leroy, comme indiquant que César lui-même, âgé de 12 ans en juillet 1566, aurait pu composer l'épitaphe de son père (…) Or, bien évidemment, César ne prétend pas l'avoir composée, mais l'estime digne d'être citée et de figurer dans son texte ! » Mais l’on peut aussi supposer que cette épitaphe ait pu être composée bien après 1566. Au nom de l’honneur de la famille, de quoi César n’était-il pas capable ? Relevons ce passage étrange du testament : « et aussy a prélégué et prélègue ledict Maistre Michel de Nostradamus testateur toutz et ungs chescungs ses livres qu'il a à celluy de ses filz qui proffitera plus à l'estude et qui aura plus beu de la fumée de la lucerne, lesquels livres ensemble toutes les lectres missives que se treuveront dans sa maison dudict testateur, ledict testateur n'a vouleu aulcunement estre invantarizées ne mis par description ains estre serrés en paquetz et banastes jusques ad ce que celluy qui les doybt avoyr soyt de l'eaige de les prandre et mis et serrés dans ungne chambre de la meyson dudict testateur » Autrement dit, Nostradamus ne sait pas encore dans le dit testament à qui il va léguer ses documents.
Et voilà que justement, autour de 1568, ce Mi. de Nostradamus le jeune se réfère à cette bibliothèque, en vue de publier des pièces astrologiques, ce qui fait bel et bien écho au dit testament – dont on peut se demander comment il en aurait eu connaissance s’il n’avait pas été de la famille, et semble ainsi répondre à la question restée en suspens du fils qui aura accès à la dite « chambre ». On peut se demander si César ne se serait pas senti trahi par sa mère pour quelque raison. Or, Chavigny souligne son amitié pour César à la fin du Brief Discours.(p. 6), dans le passage qui précisément traite des enfants de Nostradamus : « De la seconde femme (pas de nom !),il a laissé six enfants, trois fils & trois filles. [Le premier des masles nommé César, personnage d’un fort gaillard &
gentil esprit est celuy auquel il a dédié ses Centuries premières duquel nous devons espérer de grandes choses si vray est que l’en ay trouvé en plusieurs lieux des Commentaires de son dit père (…) où je renvoye le lecteur] » : On a l’impression d’une interpolation, d’une digression (que nous avons mise entre crochets) car immédiatement le texte se poursuit « Entre autres enfantements de son esprit second (..) il a escrit XII Centuries ». « Il », ce n’est évidemment pas César mais Nostradamus et cela devrait faire suite à la phrase « Il a laissé six enfants, trois fils & trois filles ». Le texte du testament tel qu’il nous est parvenu n’a pas été débarrassé de ses passages assez troublants. On a l’impression que l’on cherchait des signes de la faveur de Nostradamus envers tel ou tel de ses fils – on pense à Isaac et au droit d’ainesse que Jacob avait obtenu d’Esaü, son jumeau pour « un plat de lentilles », devant le lit de mort du père. La Préface que Nostradamus aurait laissée à son fils César et qui serait une sorte d’avenant au testament, donnant le nom du fils élu, doit certainement être appréhendée dans un tel contexte.
L’on peut certes nous reprocher de voir des contrefaçons un peu partout. Mais dans le cas de Nostradamus le Jeune, la thèse d’une imposture suppose un ensemble de complicités qui nous semble bien plus invraisemblable par son ampleur démesurée –une bonne dizaine de libraires en diverses villes- que la seule contrefaçon d’une page de texte manuscrit et l’intervention d’une mère. Force en tout cas est de constater que Michel Nostradamus le Jeune semble avoir pris son frère de vitesse, peut être avec la complicité de sa mère laquelle a peut être instrumentalisé son fils. Qu’il y ait eu des complaisances, des intérêts en jeu, probablement mais que ce fils Michel ait été une invention, c’est aller un peu trop vite en besogne Il est probable que la publication des Commentaires de Nostradamus sur ses présages prosaïques parus entre 1550 et 1567 a fort bien pu être assurée, chez Benoist Rigaud, par ce Nostradamus le Jeune.-ouvrage qui n’a pas été retrouvé mais qui est signalé dans la bibliographie- parue sous le nom de Bibliothèque- de Du Verdier (1585) « dix centuries de quatrains. Benoist Rigaud. 1568 ». La substitution d’un autre corpus constitué de centaines de quatrains, précédé d’une pseudo préface de Nostradamus (l’Ancien) à un autre fils, César, va s’effectuer au cours des années 1580 avec pour commencer une série de 349 quatrains, non encore divisés en centuries (mouture restituée, en dépit du titre, dans Rouen Du Petit Val 1588) pour éviter la redondance des titres avec l’ancien corpus naturellement divisé en centuries, selon un critère annuel. Mais très vite, l’idée de présenter ce nouveau corpus lui aussi « divisé en quatre centuries » va s’imposer (cf le titre de Rouen 1588) et on se dirige alors vers un nouvel ensemble de 10 centuries. Chavigny présente ces deux corpus comme un diptyque, en retouchant la fin du Brief Discours ; il semble avoir effectué un certain revirement : au départ, il s’inscrit dans le corpus ancien des présages prosaïques et ensuite, il va basculer en intégrant des éléments de ce nouveau corpus, ce qui d’ailleurs correspond aussi un revirement politique en faveur d’Henri IV, qui correspond à l’émergence d’un nouveau lot de trois centuries.
Le fils de Benoist Rigaud, Pierre, va aller dans le même sens en publiant, autour de 1600, suite à la mort, début 1597, de Benoist Rigaud, lequel avait été partie prenante dans la publication en 1568 du premier corpus, d’une édition du nouveau corpus de 1000 prophéties (environ), à partir de l’édition Cahors Jaques Rousseau 1590. Quant aux libraires troyens, sous le nom de Pierre du Ruau, ils vont confondre allégrement les deux corpus en se référant à une édition Lyon 1568, mais avec le portrait de Nostradamus Le Jeune., pour faire paraitre vers 1643, le nouveau corpus avec quelques éléments de l’ancien, en annexe, à savoir les Présages, tirés des commentaires du Janus Gallicus...
A cette thèse vient, comme on l’a dit plus haut, s’opposer le fait des aveux en règle de Mi. de Nostradamus figurant dans l’Epitre, non datée, du dit Mi. de Nostradamus au très jeune duc d’Alençon, frère du duc d’Anjou et de Charles IX, placée en tête d’une Prognostication pour 1567 (privilège 31 août 1566, soit immédiatement au lendemain de la mort de Nostradamus) : « non sous le nom de Maistre Michel de nostre Dame, de Salon de Craux de Provence, conseiller & medecin ordinaire de la sacrée maiesté du Roy vostre frere mais bien sous le nom de MI. DE NOSTRADAMUS qui n’ay point honte de m’avouer son disciple & sous la main duquel j’ay esté conduit à la cognoissance de plusieurs choses celestes & pour le faire profiter & n’estre ingrat de son bien receu, à son imitation, mesmes de son vivant, j’en ay mis en lumiere, qu’il a trouvez telz soyent de bon tesmoignage de luy, je ne lairay à tenir les mesmes voiles, s’il plaît à Dieu » Et Dupébe de commenter (à propos de la Lettre XXXIV) : « Ainsi cet astrologue révèle son imposture après la mort de son « Maître » et cela vaudrait pour l’ensemble de ses publications antérieures, à commencer par la Prognostication pour 1565..
Il est fait référence dans cette épistre à une précédente, déjà signalée au même dédicataire. « vous dédier encore le Recueil des Prédictions, Prognostications & Présages de cette présente année 1567 » Il semble qu’il soit fait ici référence à une autre Epitre au duc figurant en tête des Prédictions pour vint ans continuant d'an en an jusques en l'an mil cinq cens quatre vintz troys par lesquelles sont prédittes choses merveilleuses et de grande considération selon le seigneur et dominateur de l'année extraictes de divers aucteurs, trouvée en la bibliothèque (sic) de nostre défunct dernier décédé... maistre Michel de Nostre Dame... ont estez...
reveus et mises en lumière par Mi. de Nostradamus le jeune. Rouen: Pierre Brenouzer, 1568, également écrite à la suite de la mort de Michel de Nostredame. Mais cettte épitre, qui sera reprise en 1571 (cf supra), est due à Mi. de Nostradamus le Jeune alors que celui qui s’exprime dans la seconde épitre est Mi. de Nostradamus tout court mais elle ne serait parue qu’en 1568 même si elle concerne un document censé dater du début des années 1560, étant donné que ces Prédictions pour 20 ans, valent jusqu’en 1583..
P. Guinard note[12] à propos de la vignette, assez étrange et en fait unique sous la forme qui est la sienne : « La Prognostication pour 1567 (Paris, Guillaume de Nyverd) du farceur "Mi. de Nostradamus le jeune", parue à Paris chez Guillaume de Nyverd reprend (sic) la vignette "équilibriste" avec un personnage qui serait Jupiter, lequel se tient cette fois sur deux poissons, probablement visqueux et glissants, avec un petit sagittaire se tenant à sa gauche. Il tient désormais une épée dans sa main droite, et lève son bras gauche comme dans la représentation qui lui sert de modèle. Dans la théorie hellénistique des maîtrises astrologiques, la planète Jupiter est domiciliée dans les signes du Sagittaire et des Poissons. L'image jupitérienne est reprise dans une contrefaçon parisienne, la Pronostication fort utile & proffitable à toutes gens (Antoine Houic, vers 1570), et deux siècles plus tard dans une prétendue édition "Benoist Rigaud de 1568", imprimée à Avignon à la fin du XVIIIe siècle (cf. CORPUS NOSTRADAMUS 38). » On ne voit vraiment pas comment cette vignette pourrait « reprendre » d’éditions postérieures, à commencer par celle des éditions Benoist Rigaud 1568 alors que la Prognostication est censée dater de 1566. à moins évidemment que l’édition de la Prognostication pour 1567 ait été antidatée, ce qui nous semble en effet avoir été le cas. Il nous semble que cette épitre, comme cela est reconnu ingénument, s’inspire d’une autre épitre au duc d’Alençon, parue à la mort de « Maistre Michel de nostre Dame » -on notera qu’elle « reprend » la formulation exacte assez singulière du titre de l’édition datée de 1568. (Rouen, Brenouzer), laquelle lui serait en fait postérieure. C’est d’ailleurs l’occasion de préciser que Mi. de Nostradamus se rapproche de Michel de nostre Dame, au moins autant que la forme sans particule de « Michel Nostradamus », On notera que sur la page de titre des Pronostications de Nostradamus, les deux formes cohabitent : d’une part, au titre « Michel Nostradamus » et d’autre part dans le cadre même de la vignette, « M DE/ NOSTRE/ DAME », sur trois niveaux.
Que penser donc des «aveux » de ce Mi. de Nostradamus – il y revient tout à la fin du volume- dans cette « nouvelle » épitre au duc d’Alençon, avec une vignette fantaisiste et hybride ? Pour notre part, nous les trouvons suspects. On notera que la vignette de la Prognostication pour 1565 n’est pas reprise pour celle censée être vouée à l’an 1567. Nous pensons au contraire à cette lettre dédiée au duc d’Anjou, publiée par Benoist Rigaud – Prognostication ou Revolution pour 1565 – dans laquelle Mi. de Nostradamus (alias Michel de Nostre Dame) se réfère (fol A III) à ses « Almanachz & Prognostications » (donc parus sous le nom de Michel Nostradamus) et qui nous semble bien l’œuvre du « premier » Nostradamus. Que penser de la formule de la seconde épitre de Mi. de nostradamus à Alençon : . « vous dédier encore le Recueil (sic) des Prédictions, Prognostications & Présages de cette présente année 1567 », formule assez inhabituelle ?
Ce Mi. de Nostradamus qui déclare prend la suite du fait de la mort de M. de nostre dame, pourrait avoir ensuite préféré adopter le nom de Mi. de Nostradamus le Jeune pour se démarquer. On note que la page de titre comporte un quatrain et que chaque mois est en fait résumé par un quatrain. Cette pratique du quatrain placé au titre va caractériser la production néonostradamique, notamment chez Crespin. En ce cas, il ne faudrait pas confondre Mi. de Nostradamus le Jeune et Michel Nostradamus le Jeune, ce dernier étant bel et bien le fils de Michel Nostradamus, lequel, on l’a vu, se référe à la bibliothèque du défunt et donc indirectement au Testament [13][14] alors que le « Mi. de Nostradamus » ne serait qu’un « disciple ». Mais quelque part de tels aveux ne visaient-ils pas à disréditer, par riccochet, Nostradamus le Jeune ? Cette pratique des quatrains mensuels attestée donc dans la Prognostication pour 1567 va dans le sens de la thèse selon laquelle les « Centuries » auraient été nourries en partie d’une telle production poursuivant celle des almanachs de Nostradamus. On notera que désormais les présages mensuels figurent au sein de la Prognostication.

JHB
25. 08. 12

 

     

 


[1] Cf J. Dupébe, Intr. Lettres Inédites, Droz , 1983, p.115
[2] Les imposteurs et pièces apocryphes sur Nostradamus, espace Nostradamus
[3] Cf M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, 1989, planche p. 43
[4] Cf M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, op. cit. planche p. 55
[5] Cf Benazra, RCN, pp. 67-68
[6] Voir notre étude in RHR 1990 sur la Contrepronostication de Nostradamus.
[7] CORPUS NOSTRADAMUS 55 -- par Patrice Guinard « Les vignettes de Nostradamus (avec près de 100 vignettes commentées, dont une quinzaine, inédites ou inconnues des nostradamologues) ‘
[8] Cf Chomarat, Bibliographie Nostradamus, op. cit, planche p. 46
[9] CORPUS NOSTRADAMUS 54 -- par Patrice Guinard « Quatre pronostications sous influence nostradamique «
[10] CORPUS NOSTRADAMUS 60 -- par Dr. Patrice Guinard. Biblio-iconographie du Corpus Nostradamus.
[11] CORPUS NOSTRADAMUS 10 –« Naissance de Michel de Nostredame : le 21 décembre 1503 «
[12] (Corpus 55 « Les vignettes de Nostradamus »
[13] Cf texte in Daniel Ruzo, Le Testament de Nostradamus, Ed Du Rocher, 1982, pp ; 21-27
[14]

 

 

102 - L’héritage intellectuel de Nostradamus
Par Jacques Halbronn

La mort de Nostradamus en 1566 fut un moment clef dans la production nostradamique. Tout un ensemble de publications paraissent à cette occasion et célèbrent cet événement, outre la question du testament de Nostradamus et de sa biographie, notamment dans le Brief Discours de la vie de Nostradamus, qui relate la façon dont celui-ci aurait indiqué la date de sa mort sur une éphéméride...
Abordons les documents qui évoquent le décès en notant qu’étrangement les éditions Benoist Rigaud 1568 n’en disent mot alors que la pseudo-édition Pierre Rigaud 1566 prend quand même, dans le cours du XVIIIe siècle, la peine de reproduire l’épitaphe.
D’une part, nous disposons des publications réalisées par Michel Nostradamus le Jeune qui, en leur titre, se référent à la mort du défunt- formule qui sera maintenue dans les rééditions des Présages pluriannuels tout comme d’ailleurs une épitre au Duc d’Alençon, lequel était né en 1555, et donc avait à peine plus de dix ans à la mort de Nostradamus, et de l’autre de la Pronostication pour 1567 de Mi. de Nostradamus dont une autre Epitre au Duc d’Alençon – qui mentionne l’autre- s’arrête sur le dit décès, mais non point au titre. En 1572, une Pronostication et Prédiction d’Anthoine Crespin, Lyon, Melchior Arnoullet, se réfère en sa page de titre au même duc dont il semble que ce soient les successeurs de Nostradamus qui aient éprouvé quelque intérêt pour ce petit Prince.
Cette dernière publication est intéressante en ce qu’elle comporte 12 quatrains, sur le modèle des almanachs de Nostradamus, dont un quatrain sur la page de titre, si ce n’est que cette fois il s’agit d’une Pronostication. Or , ces quatrains ne sont pas ceux de l’almanach pour 1567, paru chez Benoist Odo. On aurait donc deux séries de 12 quatrains pour 1567, l’une due à Michel de Nostredame, l’autre à celui qui se dit son « disciple », dans la dite Epitre au dernier fils de Catherine de Médicis, Mi de Nostradamus.
Ajoutons le cas de l’Almanach & Prédictions pour 1567, par Mi. de Nostradamus, chez le même libraire, avec le même quatrain en page de titre et cette fois dédié non plus au duc d’Alençon mais « Au tres chrestien Roy de France Char. 9. » qui n’est pas actuellement accessible. Sa vignette est celle qui servira pour les éditions Benoist Rigaud 1568. On peut supposer qu’y figurent également les quatrains (prédictions) mensuels de la Pronostication pour 1567, dédiée quant à elle à Alençon. Mais il est également possible, jusqu’à nouvel ordre, que la Pronostication soit une contrefaçon de l’Almanach et que l’épitre au duc d’Alençon soit un faux prenant la place de l’épitre à Charles IX, avec l’adjonction de quatrains mensuels qui ne se pratiquera plus au lendemain de la mort de Nostradamus. Cet ouvrage qui a appartenu à la collection Ruzo fait partie des quelques rares pièces qui ne circulent pas en ce moment. La page de titre est donnée sur le site propheties.it. La page de titre de la Pronostication comporte une vignette atypique et ne donne pas l’adresse du libraire comme le ‘fait l’Almanach ;
1500-1567 »
1568-1599 »
L’almanach pour 1567, Lyon, Benoist Odo- lequel n’a pas été retrouvé récemment mais a fait l’objet d’une copie typographique comporte quatorze quatrains dont « Sur l’an 1567 » et « Fin de l’an ». [1]
Il comporte cette mention nécrologique : Nostradamus « a fait échange de cette vie peineuse et misérable à l’autre meilleure, le second jour de juillet dernier passé et pour ce ne peut conduire à l afin la présente prédiction que peu de jours auparavant il avait commencée et avec grande diligence poursuivie, prévoyant assez que l’heure de son passage estoit venue »[2]
Cette déclaration est révélatrice en ce qui concerne les quatrains mensuels, lesquels ne sont certainement pas son œuvre, puisque, comme le note le libraire, Nostradamus n’a pas achevé son travail et que les quatrains, selon nous, étaient réalisés à partir de sa prose. Les dits quatrains ne sont donc pas plus son œuvre que ceux publiés chez Guillaume de Nyverd si ce n’est qu’ils sont , du moins en partie, extraits de sa « présages prosaïques ».
Mais, en tout état de cause, l’on peut s’interroger sur la vraie date de parution de la Pronostication pour 1557 que nous n’avons pu comparer, on l’a dit, avec l’Almanach pour cette même année, hormis en ce qui concerne le quatrain du titre qui est identique mais cela ne prouve pas qu’il comporte des quatrains mensuels, pas plus que chez Crespin le quatrain au titre n’impliquait des quatrains mensuels.
Il nous reste à aborder la question des parutions posthumes, ce qui nous renvoie au Testament lequel exprime clairement l’idée de la mise en quelque sorte sous clef de divers documents dont la liste n’aurait pas été dressée et dont il semblerait que Michel Nostradamus le Jeune se fut chargé. On pense notamment à des « Commentaires » que Nostradamus (l’Ancien) se serait lui-même chargé concernant ses prédictions annuelles prosaïques.
Mais que penser alors de cet élément bibliographique fourni par Antoine Du Verdier « Dix centuries de prophéties par quatrains qui n’ont sens, rime, ne langage que vaille, imprimées à Lyon par [3] Benoist Rigaud 1568 »
Force est de constater que l’on aurait ainsi accordé quelque importance aux quatrains. Mais est-ce que cela a à voir avec les Commentaires qu’évoque à deux reprises le « Brief Discours de la Vie de Michel de Nostredame » ? Il est probable que Nostradamus n’ait point été le commentateur de plus d’une centaine de quatrains répartie en dix « centuries ». A propos du mot « centurie », signalons que l’on trouve une publication censée être d’Antoine Crespin qui désigne par le mot « centurie » un seul et unique quatrain pour plusieurs années, il s’agit de la Pronostication astronomique pour six annees (1586-1591) qui comportait quatre «centuries » pour couvrir six ans, ce qui implique que telle centurie englobe deux ans. Mais l’exemplaire qui nous est parvenu ne comporte plus que les deux dernières « centuries ». Benazra note que les deux quatrains restants comportent des éléments repris des almanachs pour 1555(mars) et 1558, suivant en cela le conseil de Chavigny quant au recyclage des quatrains-présages. C’est là, en tout cas, une idée bien différente de celle de « centurie » considérée comme un ensemble de dix quatrains et qui peut avoir perduré et dont les états antérieurs n’auraient pas été conservés.
Il faut souligner que la notion de centurie ne renvoie ici nullement à des quatrains exclusivement. Le texte de Crespin ne laisse aucun doute à ce sujet, le quatrain n’étant que la cerise sur le gâteau. Une centurie est selon nous un ensemble de textes en prose pouvant couvrir plusieurs années. Si l’on en revient au titre figurant dans la Bibliothèque de Du Verdier, nous dirons que « Dix centuries de prophéties par quatrains » peuvent couvrir bien plus de dix années, chaque quatrain étant censé résumer l’ensemble du texte en prose. En quelque sorte, c’est une application de la règle d’un quatrain pour 30 jours environ qui est celle des almanachs de Nostradamus à des prédictions sur toute une série d’années, ce qui exactement le principe des prophéties pluriannuelles. Mais alors, quid des Mémoires qui ont pu servir à la parution ultérieure de la Première Face du Janus François ? Ils devaient figurer dans l’ensemble de documents à conserver dans une des chambres de la maison, si l’on en croit le Testament.
Bien évidemment, la mort est la frontière entre les éditions parues du vivant de l’auteur et celles considérées comme posthumes. S’il ne fait pas de doute, bien entendu, que Nostradamus ait publié certaines pièces de son vivant – avec quelque flottement à la fin de sa vie notamment pour l’an 1567- il est également assez clair que certaines œuvres qui sont de sa plume ou qui lui sont attribuées sont parues après sa mort. Son testament suffirait à témoigner- c’est le cas de le dire- de l’existence de textes restés inédits en 1566. Le cas de la Préface à César semble une affaire classée – il est question d’un mémoire laissé après la « corporelle extinction de ton progéniteur’ et cela vise donc toutes les éditions du vivant de Nostradamus comportant la dite Préface. C’est paradoxalement la Préface qui permet de dater les centuries qui l’accompagnent au-delà de 1566. On peut même soutenir que lorsque le testament est rédigé, César n’a pas encore été choisi et que, même sans entrer dans le débat autour de Michel Nostradamus le Jeune, il y a deux autres frères avec lesquels il est en compétition, Charles et André, la qualité, supposée d’ainé, n’étant apparemment pas ici déterminante pour hériter de la charge de poursuivre dans la voie du père., du « progéniteur » En fait, tout se passe comme si le texte initial de la Préface à César ne devait pas désigner un fils en particulier mais devait être complété le moment voulu, là où restaient des points de suspension.
« a prélégué ledict Maistre Michel de Nostradamus testateur toutz et ungs chescungs ses livres qu’il a à celluy de ses filz qui profitera plus à l’estude etc ».
Parmi ces documents, la correspondance de Nostradamus est nommément signalée. Apparemment, le « secrétaire » Jean de Chevigny sera appelé, à un certain moment, à jouer quelque rôle dans la gestion des manuscrits ainsi « délaissés », tant pour constituer le Recueil de Présages Prosaïques que pour les Commentaires des dits présages par Michel de Nostredame, du moins jusqu’en 1565 puisque l’année 1566 n’était qu’entamée à sa mort, pour ne pas parler de 1567..
On note que dans le testament du 17 juin 1566 figurent les termes employés dans l’édition Pierre Rigaud 1566 : »Eglise du convent de saint Françoys dudict Salon ». : « Jean Vallier du Convent de Salon des Mineurs Conventionnels de Sainct François », la forme « convent » étant conservée.
Qu’est ce qui aura conduit les libraires à outrepasser cette limite de 1566 pour remonter jusqu’en 1555 ? Nous pensons que cela tient à une mauvaise interprétation de certains textes pouvant laisser croire que le Recueil des Présages Prosaïques serait paru dès 1555 voire 1550 alors qu’il ne s’agissait que d’un recueil factice constitué au fur et à mesure. A partir de là au lieu de prendre pour point de départ la dernière année, on aura pris la première. Une autre explication, c’est que l’on ait substitué à un corpus de publications annuelles un autre corpus constitué de quatrains en quelque sorte intemporels.
Mais, pour les libraires du XVIIe et du XVIIIe siècles, l’édition à dix centuries ne pouvait dater que de la mort de Nostradamus, d’où les dates de 1566 et 1568 qui de toute façon sont fictives mais qui ont au moins le mérite de respecter un minimum de vraisemblance. Cela dit, il nous revient aussi de restituer le suivi des contrefaçons : il est assez évident qu’il a du exister des contrefaçons des « Prophéties » antidatées d’avant la mort de Nostradamus et notamment une édition à dix centuries annoncée dès le premier volet à sept centuries, daté de 1557, confusion aggravée par le fait que l’on a perdu le second volume vraisemblablement daté de 1558, si l’on se fie aux mentions des sous titres des Vrayes Centuries et Prophéties du milieu du XVIIe siècle...


JHB
26. 08. 12




[1] cf B. Chevignard ; Présages de Nostramus, p. 190)
[2] Cf M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, p. 48
[3] Cf Benazra , RCN, pp. 116-117

 


103 - Les destins paralléles de Mi. de Nostradamus et de Nostradamus le Jeune.
Par Jacques Halbronn

La personnalité de Nostradamus le Jeune n’a pas été appréciée par les nostradamologues à sa juste importance, ce qui n’aura fait qu’aggraver divers errements méthodologiques dont nous avons traité tout au long de nos « estudes » et « recherches ». Il conviendra également de faire apparaitre certaines filiations entre imitateurs comme dans le cas de Florent de Crox qui pourrait être le nouveau nom choisi à la mort de Michel de Nostredame par Mi. de Nostradamus..
Ce n’est pas par hasard si la vignette de ce Nostradamus le Jeune est utilisée au XVIIe siècle, dans la production troyenne paraissant soit sans nom de libraire (1605) soit sous celui de Pierre Du Ruau, à la mort de Louis XIII, sous la régence d’Anne d’Autriche, laquelle vignette est reprise de diverses éditions du siècle précédent, dès le lendemain de la mort de Michel Nostradamus et tout au long des années 1570, y compris en 1575 au début du second volet- intitulé « Les Augmentations de plusieurs revelations extraictes de divers livres par Nostradamus le Jeune « du « RECUEIL DES/ REVELATIONS ET PROPHE-/ ties merveilleuses de Saincte Brigide, Sainct/ Cyrille & plusieurs autres Saincts &/ religieux personnages./ Outre les precedentes impressions ont este augmen-/ tees de plusieurs autres Revelations./ Par Nostra Damus le Jeune./ A VENISE,/ par le seigneur Castavino d'Alexandrie,/ Rue Samaritaine./ M.D.LXXV., récemment devenu accessible (site propheties.it), lequel Recueil reparaitra en partie au siècle suivant avec les éditions troyennes des Centuries, sous les enseignes de Pierre Du Ruau et Pierre Chevillot[1]
Cet ouvrage avait été décrit imparfaitement par Chomarat et Benazra, produisant un fâcheux raccourci : « Révélations (…) par Nostradamus le Jeune alors que le titre ne le mentionnait qu’au titre des « Augmentations » qui constituent un second volet avec sa propre page de titre, come dans le cas des deux volets des Centuries.

Ce Nostradamus le Jeune – usant de la même signature que Mi. de Nostradamus le Jeune comme le signale R. Benazra- apparait dans la bibliographie nostradamique comme une sorte de bibliothécaire ou d’archiviste, extrayant notamment des documents de la « bibliothèque » de Michel Nostradamus, à sa mort (1566)[2]. Mais il n’est pas limité au champ nostradamique : en 1571, paraissent, à Troyes,, chez Claude Garnier, des Prédictions des choses plus mémorables qui sont advenues depuis cette présente année iusques à l’an mil cinq cens quatre vingt cinq (…) prinse (sic) tant des Eclipses de soleil et de la lune que du livre merveilleux de Cyprian Leovitie, Samuel Syderocrate, C. du Garnier, Broussart & autres. Lesquelles ont esté en grande d’iligence (sic) mise en lumière par M. Michel de Nostradamus le jeune.
On notera une erreur au titre : il faut lire « tant des Eclipses de soleil et de la lune de Cyprian Leovitie que du livre merveileux etc « , le « Livre Merveillleux » n’ayant rien à voir avec Leovitius, auteur d’un Eclipsium lequel a servi pour composer les Significations de l’éclipse de 1559.²Visiblement, ce recueil reprend des éléments parus en 1563 sous le titre Prédictions des choses plus memorables qui sont à advenir depuis l’an 1564 iusqu ‘à l’an mil six cens & sept, prise tant des éclipses & grosses Ephemerides de Cyprian Leovitie que des prédictions de Samuel Syderocrate.
. Ce Nostradamus le Jeune est présenté comme un « éditeur », au sens anglais du terme- qui « met en lumière » diverses pièces, un statut qui est à rapprocher de celui d’un Jean-Aimé de Chavigny en ce qui concerne le Recueil des Présages Prosaïques (1589) et la Première Face du Janus François.(1594)
Mais l’on peut se demander si son nom n’aura pas figuré, à un stade initial (celui d’un ensemble de 349 quatrains) en ce qui concerne les « Prophéties » puisque ce Nostradamus le Jeune apparait comme un canal, une interface. Et ce serait en raison de cette première édition perdure –et cela peut avoir inclus des additions- que l’on aurait tout naturellement repris la vignette « Nostradamus le Jeune », avec sa devise latine, inscrite au sein de la vignette, «ad augusta per angusta », que l’on peut traduire « Vers de grandes choses, vers la gloire, en passant par des voies étroites, tortueuses. » pour la réédition des dites Prophéties. Dès lors, la Préface à César nous semble assez incongrue, au début du premier volet. Selon nous, il y aurait pu avoir substitution : on serait passé de Nostradamus le Jeune au « jeune » César Nostradamus. Guerre fratricide. Observations intéressante car elle laisse entendre qu’auraient disparu toutes les éditions des Centuries portant la mention en tant qu’ »éditeur » de Nostradamus le Jeune, lesquelles éditions ayant été néanmoins conservées puisque visiblement certains libraires troyens s’y référent implicitement en recourant à la vignette censée représenter le dit Nostradamus le Jeune.
Un autre indice de cette « filiation » entre Nostradamus le Jeune et l’édition troyenne, tient au fait, comme on l’a dit, que l’on ait publié conjointement aux Prophéties un Recueil des Prophéties et revelations tant anciennes que modernes (…) nouvellement reveues & corrigées et de nouveau augmentees outre les precedentes impressions
.
Or ce titre est à rapprocher de l’édition « Nostradamus le Jeune » de 1575 déjà signalé : RECUEIL DES/ REVELATIONS ET PROPHE-/ ties merveilleuses de Saincte Brigide, Sainct/ Cyrille & plusieurs autres Saincts &/ religieux personnages./ Outre les precedentes impressions ont este augmen-/ tees de plusieurs autres Revelations./ Par Nostra Damus le Jeune./ A VENISE,/ par le seigneur Castavino d'Alexandrie,/ Rue Samaritaine./ M.D.LXXV.,
En effet, la mention de l’addition nous apparait comme reprise directement de l’édition 1575, si ce n’est que cette addition ne figure pas en annexe des éditions troyennes Du Ruau et Chevillot, ce qui nous montre que le fait que tel titre comporte telle mention ne doit pas nous faire préjuger du contenu du volume, bien des emprunts étant voués à être partiels et lacunaires.. On connait également une édition parue en 1572, à Lyon, chez Benoist Rigaud du dit Recueil.[3], donc trois ans avant l’édition de 1575, laquelle n’était peut être qu’une réédition d’une parution antérieure du dit Nostradamus Le Jeune, réputé avoir été tué en 1574 devant Le Pouzin.
On aurait donc pour le moins des traces d’une influence de Nostradamus le Jeune au XVIIe siècle même si son nom ne figure jamais tel quel. On notera que ce Nostradamus le Jeune n’est pas un inconnu pour le monde troyen puisque nous avons vu qu’en 1571, un recueil portant son nom était paru à Troyes chez Claude Garnier.
Etrangement, cette présentation comportant des additions successives au titre nous fait penser à celle des deux volets des Prophéties : « dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées. Adioustée de nouveau par ledict Autheur » (premier volet Rousseau (1590), Chevillot (non daté)-Rigaud (non daté) et Benoist Rigaud 1568) « qui n’ont iamais esté imprimées »(second volet Rousseau- Chevillot- Rigaud)
En ce qui concerne les « sources » du Recueil de Nostradamus le Jeune, il convient de rappeler qu’il reprend le contenu de « La première partie du Recueil des Prophéties et Révélations », Paris, Robert Le Mangnier (et Vincent Sertenas), 1561, paru au début de la régence de Catherine de Médicis. R. Benazra écrit à ce sujet (RCN, p. 54) : « Citons une publication de François Gruget qui sera reprise en 1575 par Michel Nostradamus le Jeune puis incluse dès 1611 dans les éditions des Centuries ». En fait ce Gruget est une attribution douteuse. Cet ouvrage est la traduction du Mirabilis Liber paru dans les années 1520, en latin pour la « première partie » et en français pour la seconde, qui ne sera pas reprise, d’où le titre « Première Partie »[4] . On connait une première édition en français dès 1535, sous le titre de Prophétie Merveilleuse (Bib. des Beaux Arts, Paris). Cela pourrait expliquer l’utilisation de cette formule en 1568, par Mi. de nostradamus, chez Guillaume de Nyverd et chez Michel Jove (Prophétie et Révolution Merveilleuse). On retrouve cette formule en 1590, sous le nom de Crespin.[5][6]. » Merveilleux » rendant ici le latin Mirabilis.
Est-ce qu’à la lumière de ces dernières données, l’on peut avancer sur la question embrouillée Nostradamus Le Jeune et Mi. de Nostradamus le jeune ? Un cas remarquable est celui des Prédictions pour vint (sic) ans iusques en l’An 1583 qui paraissent en 1568 à Rouen sous le nom de Mi. de Nostradamus le Jeune puis en 1571 sous celui de M. Michel Nostradamus le Jeune (Présages pour 13 ans, à Paris, chez Nicolas du Mont, sous celui de M. de Nostradamus le Jeune, avec dans les deux cas référence à la « bibliothèque » du défunt. On retrouve la même Epitre au Duc d’Alençon qu’en 1568 ave cette fois, à la suite, un texte prophétique tiré des Chroniques de Magdebourg.
Le cas Mi. de Nostradamus semble plus délicat. On connait le passage de la Pronostication pour 1567 comportant un aveu selon lequel Mi. de Nostradamus- à la suite de la mort de Michel de nostre Dame – c’est ainsi qu’il le désigne - ne serait que son « disciple » et donc pas le dit Michel de Nostredame, dans une épitre au duc d’Alençon, auquel il se serait déjà adressé mais dont on n’a pas trace. Mi. de Nostradamus le Jeune, à la même époque, s’adresse également au jeune prince mais dans un style très différent dans l’épitre ouvrant les Prédictions pour 20 ans, Rouen, Brenouzer. Ces Prédictions débutent en fait pour l’année 1564 bien que l’édition soit datée de 1568 et se référe à la mort de Michel de Nostredame..
En tout cas, Mi. de Nostradamus ne se réfère pas à un Mi. de Nostradamus le Jeune mais à lui-même, Mi. de Nostradamus, nom qu’il semble vouloir abandonner à l’avenir.
« qu’il a trouvez telz qu’après sa mort soyent du bon tesmoignage de luy, je ne larray à tenir les mesmes voiles s’il plait à Dieu » (Epitre au duc d’Alençon). On peut donc raisonnablement supposer que par la suite, il ait pris par exemple le nom de Florent de Crox. (référence à Salon de Craux)
En effet, ce Mi. de Nostradamus, du moins dans la Pronostication pour 1557, compose un quatrain pour chaque mois, à l’instar de son maître défunt mais aussi comme le fera le dit Florent de Crox lequel se présente comme « disciple de defunct M. Michel de Nostradamus » dans son Almanach pour l’an 1570 dédié au Duc d’Anjou, chez Antoine Houic. Or Mi. de Nostradamus avait adressé sa Prognostication de 1565 à ce même duc d’Anjou. La dite Pronostication ne nous est parvenue que dans un exemplaire très incomplet, ce qui ne permet pas de se faire une idée claire de l’ouvrage, en dehors de l’épitre qui est intacte. Patrice Guinard a consacré une étude (Corpus Nostradamus n°92) à Florent de Crox mais sans envisager notre proposition[7], Il s’est doté d’une signature assez semblable à celle de Mi. de Nostradamus. Il note « L’intérêt de l’almanach réside dans le style « nostradamien » des quatrains imprimés. (..) ceux de Florent de Crox les imite assez bien. ». Selon
La Croix du Maine (Bibliothèque, 1584), précise P. Guinard, l'auteur serait un certain Jean Le Peletier, docteur en médecine parisien et auteur d'almanachs et pronostications parus à Paris et en divers lieux (Bibliothèque, 1584, p.85), qu'on ne confondra pas -- comme Benazra (1990, p.115) -- avec le poète, mathématicien » Jacques Le Peletier du Mans.
C’est d’ailleurs, ferons-nous observer, le tout premier des imitateurs de Nostradamus après l’auteur de la Prognostication pour 1567 à avoir produit des quatrains mensuels. Florent de Crox affichera, on l’a vu, cette qualité de « disciple » qu’il revendiquait dans son épitre au duc d’Alençon. On aurait pu certes penser à Antoine Crespin mais celui-ci n’a pas laissé de quatrains mensuels comme c’est le cas dans la Pronostication pour 1567 de Mi. de Nostradamus lequel a pu d’ailleurs produire certains quatrains des années précédents et a fortiori ceux de l’alamanach pour 1567, paru chez Benoist Odo et qu’il avait fallu compléter.
Si l’on fait le point : Mi de Nostradamus est le futur Florent de Crox (ou de Crolz).[8] Nostradamus le Jeune est l’éditeur de la production de Michel de Nostredame. Mais alors qui est Mi. de Nostradamus le Jeune ? Vu que Mi. de Nostradamus déclare ne plus vouloir se « voiler » derrière le nom d’un Nostradamus désormais décédé, ce qui signifie que pour lui, ce rôle de Mi. de Nostradamus ne faisait sens que du vivant de Nostradamus, nous pensons que Mi. de Nostradamus le Jeune et Nostradamus le Jeune ne font qu’un. Notons que l’épitre de Nostradamus le Jeune au duc d’Alençon, en dehors de la dédicace, n’a pas le ton d’une épitre et ne fait même pas allusion au jeune âge du prince, à la différence du texte plus vivant de Mi. de Nostradamus. Nous aborderons dans une prochaine étude l’éventualité d’une influence du dit Recueil sur la composition de l’Epitre à Henri II datée de 1558 ainsi que celle des retouches chronologiques au niveau des dates avancées.



JHB
27. 08. 12


[1] Cf M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, planches pp. 96-97 et 126-127
[2] Cf R. Benazra, RCN, pp 90 et 98
[3] Cf reproduction in Le texte prophétique en France, Vol III planche B 16
[4] Cf Le texte prophétique en France, Ed. du Septentrion, sur propheties.it.
[5] Cf Chomarat, Bibliographie Nostradamus, p. 81
[6] Cf planche in Chomarat, Bbliographie Nostradamus, p ; 55
[7] « Florent de Crox, le plus doué des imitateurs de Nostradamus », in Revue Française d’Histoire du Livre, n °°129, 2008, pp. 261 et seq
[8] Cf Benazra, RCN, pp. 91 et seq

 
 

104 - Le cas du diptyque Chevillot 1611.
Par Jacques Halbronn

Si le Recueil des Prophéties et Révélations est publié au xVIIe siècle, tant chez Chevillot[1]que chez Du Ruau – avec toutes les réserves sur l’identité réelle des deux libraires mentionnés pour la circonstance, il conviendrait de s’interroger sur certains recoupements entre les textes en prose des deux volumes.-On pense notamment à l’Epitre à Henri II qui comporte un passage célèbre relatif à l’an Mil Sept cens Nonante deux.
Etant donné que les diverses éditions du dit Recueil comportent des variantes quant aux dates et aux échéances, nous recenserons celles-ci. Notre corpus est constitué du Mirabilis liber qui prophetias revelationesque, necnon res mirandas, preteritas, presentes et futuras, aperte demonstrat, , de la traduction française de 1561, de l’édition de Nostradamus Le Jeune de 1575 et de l’édition Chevillot. Mais il existe aussi une édition datant de 1572 de Benoist Rigaud, sans parler bien entendu du second volet des éditions des Prophéties.[2]
Nous partirons de l’édition de Nostradamus le Jeune, Venise, 1575. Au chapitre IX, le chapeau est le suivant : « la dissension de l’Eglise sera depuis l’an mil quatre cens nonante deux » Mais l’édition Chevillot ajoute « & seront de diverses rebellions iusques en l’an 1642. », ce qui correspond à la mort de Richelieu précédant de peu celle de Louis XIII, l’année suivante. Cela dit, il nous semble étrange que l’on donne un point de départ 1492 et pas de point d’arrivée, ce qui rend logique l’ajout d’une date. N’aurait-on point, à un certain stade, supprimé la date d’échéance avant d’en rajouter une par la suite ? Nous aurions tendance, en tout cas, à rapprocher la date de 1492 de celle de 1792, en bonne place dans l’Epistre à Henri II, d’autant que le texte du Recueil traite largement du sort de l’ »Eglise Romaine » et de ses « tribulations » : le terme « Eglise Chrestienne » se retrouve également dans le dit Recueil.
« & sera le commencement comprenant se (sic) de que durera & commençant icelle année sera faicte plus grande persecution ) l’église Chrestienne que n’a esté faicte en Affrique & durera ceste icy iusques l’an mil sept cens nonante deux que l’on cuydera estre une renovation de siecle : après commencera le peuple Romain de se redresser » Pour ceux qui seraient sceptiques quant à une telle possibilité de changer les dates, nous signalerons que dans l’édition Chevillot, le Chapitre X du premier traité du Recueil des Révélations, comporte l’année 1667 au lieu de 1567 dans l’édition 1575.
« Et pour ce que l’effect de ceste maligne conjonction durera long temps, c’est à scavoir depuis le temps nommé iusques à l’an 1667 », ce qui recoupe le quatrain X, 100, dont le cryptogramme donne 1661. On notera que la technique, ici, consiste à ne changer qu’un chiffre : 1492 devient 1792, 1567 devient 1667, comme si la chose était moins grave et pouvait s’excuser par une erreur de copiste.. Mais on a vu pour 1642, qu’il s’agissait là d’une addition. Un exemple est le passage de 1588 (attribuée à Regiomontanus) à 1788 qui sera pratiqué au xVIIIe siècle[3] Une autre date est marquante pour l’Epitre à Henri II, c’est celle de 1585 :
« Espérant de laisser par escrit les ans (…) mesmes de l’année 1585 et de l’année 1606 ». 1606 a été ajouté comme on peut le voir dans l’édition Cahors 1590, quand cette date a été dépassée. Or, dans le Recueil, il est question d’une « Prophétie Merveilleuse » qui couvre la période 1484-1585, qui correspond au temps de la Prognosticatio de Lichtenberger (cf infra) mais dans l’édition Chevillot (et Du Ruau) on est passé, on a ajouté 100 ans :
1575 : «Et commença dès l’an 1484 & (durera) iusques en l’an 1585 » Chevillot (c 1650) : « Et commence l’an mil cinq cens LXXXIIII. Et durera iusques à l’an mil six cens LXXXIII. »
Mais à la fin du XVIe siècle, c’est encore la première version qui est en cours et donc l’an 1585 est un terminus et non un commencement, comme il en sera ainsi dans l’Epître centurique de 1558 à Henri II dont nous pensons qu’elle est composée dans les années 1580, dans le climat faisant suite à l’effervescence prophétique des années 1570...
Les années 1570 sont marquées en effet par une certaine agitation prophétique : l’année 1572 est mis en avant dans le Recueil : « Et alors demeurera l’Empire en paix iusques à l’an 1572 » Dans ses Annotations, dans le second volet de son ouvrage, Nostradamus le Jeune – qui publie à cette époque (1575) - met en avant une Epitre d’Arnauld de Villeneuve au roi Jacques d’Aragon – une Epitre au Roi comme celle à Henri II - en date de 1305, relative à l’avénement de l’Antéchrist, ce qui est fondé sur des chronologies comme on en trouve dans l’Epître à Henri II.
Cette Epitre à Henri II combine astrologie et prophétie, comme le recommande le Recueil de révélations et prophéties.
Le Mirabilis Liber[4]qui est à l’origine du dit Recueil est lui-même une traduction de la Pronosticatio de Johannes Lichtenberger, parue à la fin du XVe siècle, d’où l’importance accordée à l’an 1484. Cet ouvrage était articulé autour d’une série de gravures qui n’ont pas été admises lors de l’édition française , parue sous François Ier.
Il semble que les quatrains, dans le cas des Centuries, aient en quelque sorte servi d’ornement en lieu et place des gravures.[5].
L’on donne souvent la date de 1611 pour l’édition Chevillot auquel serait adjoint leRecueil des Prophéties et Revelations tant anciennes que modernes.[6].Il existe en effet une édition du Recueil portant cette année. Il est certes concevable qu’une édition du dit Recueil soit parue en 1611, au lendemain de la mort d’Henri IV, comme il en était paru un en 1561, au lendemain de la mort de Charles IX. Dans les deux cas, nous avons un état de régence, ce qui se représentera en 1643.
On notera que dans le diptyque Chevillot, la devise Manet ultima coelo donec totum compleat orbem qui figure sur l’enseigne du libraire est absente de la page de titre duRecueil de prophéties et révélations. Selon nous, il a bien existé une édition Chevillot 1611 du dit Recueil mais elle a été par la suite retouchée. A cette date, Chevillot ne devait pas avoir adopté cette devise qu’il appliquera par la suite pour les Prophéties sans recomposer la page de titre du dit Recueil. Toutefois, dans l’édition 1866, la correction a été faite, probablement parce qu’elle se sert d’une réédition ultérieure.
Il y a effectivement dans le Recueil, un passage qui a été interprété comme concernant l’exercice féminin du pouvoir, d’où sa forrtune liée à l’histoire des régences successives dont la France fut largement dotée. D’ailleurs, nous pensons que le Mirabilis Liber doit son existence à la captivité de François Ier (après Pavie, 1525), laquelle déclencha une régence de fait, même si les dates de parution commencent en 1522. On peut donc aussi jouer sur les dates de parution des documents. Mais dans le cas de 1611, la présence d’une addition (cf supra) portant sur une échéance pour 1642 nous invite à penser que l’édition dont on dispose est une contrefaçon, se substituant probablement à une réédition de celle de 1561. A fortiori, il n’y eut pas d’édition Chevillot des Centuries à cette date, du fait que le quatrain 101 de la Xe centurie comporte, de façon cryptée, la date de 1661, Louis XIII aurait eu alors soixante ans. En fait, cette date ne vaut que pour son fils et correspond à une édition autour de 1643, la date de 1642, on l’a vu, figurant dans la fausse édition 1611 du Recueil. Mais l’existence de volumes réunissant à la fois le Recueil daté de 1611 et l’édition Chevillot non datée, quant à elle, aura abouti à ce que les bibliographies signalent une édition Chevillot pour 1611[7]. Plus grave, on nous dit que la dernière édition du Recueil est de cette année là alors que celui-ci aura connu des éditions au milieu du XVIIe siècle. En fait, nous situerons les éditions Chevillot vers 1650. Elles sont selon nous postérieures aux éditions Du Ruau, du fait qu’elles sont mieux toilettées, notamment pour la présentation de X, 101, où le quatrain 101 est dument numéroté alors qu’il est encore additionnel chez Du Ruau. En cela nous différons toalement des conclusions de P. Guinard.[8]
En ce qui concerne la date de 1792, il est vrai que cela se recoupe avec celle avancée par Pierre d’Ailly en 1414 pour 1789 ainsi qu’avec certains passages de Richard Roussat. Toutefois, nous pensons que le choix précis de cette année « nonante deux » s’explique par le passage traitant de l’année « 1492 ». L’ajout de 300 ans se retrouve d’ailleurs dans les calculs de Pierre d’Ailly, soit dix révolutions de Saturne. On retrouve dans le quatrain I, 54 ; « Deux revoltz faicts du malin falcigere/ De regne & siecles faict permutation etc, si comme le propose Yves Lenoble, on remplace Deux par Dix. Revenons sur ce passage de l’Epitre à Henri II et du chapitre IX du premier traité du Recueil. L’année de départ (« commençant icelle année ») qui conduit jusqu’en 1792 semble être 1606, si l’on tient compte des positions planétaires qui figurent juste avant le passage concerné. Dans le Recueil, c’est 1492 qui est un point de départ avec comme point d’arrivée 1642 (pour les éditions retouchées), mais un point d’arrivée est aussi le début d’une nouvelle ère.
En 1866, pour le trois centiéme anniversaire de la mort de Nostradamus, ce diptyque Chevillot reparaitra à Paris, accompagné d’un troisiéme volet qui n’est autre que celui des Prophéties Perpétuelles de Moult (1740), ce que l’on peut rendre par « Perpétuelles Vaticinations », expression figurant dans la Préface à César.
Rappelons le caractère aléatoire des épitres lesquelles sont souvent sans aucun rapport avec le texte qui leur fait suite et qui sont interchangeables quitte à remplacer quelques mentions, comme s’il y avait des points de suspension. Citons ces propos du libraire Delarue qui préfaçait son volume des Centuries de 1866: [9]. « Il a bien fallu pour arriver à donner un sens à ces fameux quatrains transposer des dates, refaire des mots avec des mots, mais de quoi ne s’avisent pas des enthousiastes ? et aussi avec cette méthode est-on arrivé à faire dire bien des choses à Nostradamus « (p. XI)
Le prophétisme, on l’ a vu, a ses procédés pour se recycler et se renouveler en faisant en sorte que de nouvelles dates à venir soient toujours en perspective. Parfois une date éloignée a pour but de calmer les esprits. Ajoutons que dans le cas du Mirabilis Liber et de ses avatars, il s’agit d’un ouvrage marqué par la culture politique allemande, ce qui ne l’empêcha pas de faire carrière en France, il est vrai que la France joue un rôle important dans l’imaginaire prophétique germanique, le coq apparaissant auprès de l’aigle dans nombre de gravures[10]. Le Mirabilis Liber continuera sous la Révolution à fasciner les esprits et fera l’objet d’une nouvelle traduction, partielle, en 1831, par Edouard Bricon.[11], auquel on attribue encore parfois bien à tort la première traduction en français du recueil[12]. On observe aussi que l’origine allemande du Mirabilis Liber n’est pas non plus toujours signalée. C’est dire que le corpus nostradamique n’est pas le seul à souffrir de certaines incuries.
La datation obéit, au vrai, à un faisceau de critères : il peut s’agir d’enjeux politiques à court terme, de calculs astrologiques du genre conjonction planétaire ou de recyclage de textes « prophétiques » qui ont l’ancienneté pour eux, et dont on réactualise le calendrier. Il s’agit dans ce cas d’une forme de contrefaçon passant souvent inaperçu.



JHB
28.
08. 12




[1] J. Halbronn « Le libraire Pierre Chevillot. De Paris à Troyes, »
[2]Patrice Guinard.. »Le Mirabilis liber, cet attrape-mouches des études nostradamiques », CN 136...
[3] Cf notre étude in revue Politica Hermetica
[4] cf sur le Mirabilis Liber, article de - J. Britnell et D. Stubbs, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Volume 49, 1986
[5] Voir notre catalogue d’ exposition à la BNF « Merveiilles sans images », Paris, 1994
[6]Cf planche in Bibliographie Nostradamus, p. 97
[7] Cf Benazra, RCN, pp ; 169 et seq
[8]CORPUS NOSTRADAMUS 80 –« Les éditions Chevillot des Prophéties (c.1611-1620)«
[9] Cf Benazra, RCN, pp. 412 et seq
[10]Dietrich Kurze (1960) Johannes Lichtenberger (+1503) : eine Studie zur Geschichte der Prophetie und Astrologie
[11]Cf le Texte prophétique en France, sur propheties.it
[12] Cf article Wikipedia sur Le Mirabilis Liber

 

 

105 - Les tribulations de la fratrie nostradamique : de Michel (le Jeune) à César, de 1555 à 1568.
Par Jacques Halbronn

Quand on étudie les Vies de Nostradamus (notamment Pierre de Haitze alias Pierre Joseph, Aix 1711 et 1712, Vie et Testament de Nostradamus, Paris, 1789) qui sont parues au XVIIIe siècle, on remarque que deux erreurs sont véhiculées, l’une d’ordre biographique et correspondant à une réalité humaine dissimulée et l’autre d’autre bibliographique et relevant d’une reconstruction fictive de la chronologie des contrefaçons des « Prophéties »
On lit ainsi que la première fausse édition datée de 1555 comportait sept centuries. L’auteur de la Vie et Testament parle de « sept centuries qu’il donna au Public en 1555 »
On sait désormais qu’il n’en a rien été et qu’il y eut des éditions à 349 puis à 353 quatrains avant de passer à six puis à sept centuries mais les nouvelles éditions augmentées continuèrent à se dire datées de 1555 à l’instar de l’édition d’Anvers 1590 qui se présente comme prise d’une édition d’Avignon parue en la dite année 1555. Mais il semble que d’autres initiatives aient conduit à dater de 1556 la dite édition augmentée, et c’est cette date qui figure au sous titres des Vrayes Centuries et Prophéties du XVIIe siècle, à partir de 1649.
En se référant à 1555, les faussaires ont pensé qu’il n’était pas utile de signaler que les choses s’étaient faites en plusieurs fois, par à coups. Ils ont d’ailleurs effacé, entre autres, les traces de l’addition à la Ive centurie qui figurent dans les éditions parisiennes de la Ligue. C’était plus « clean » ! La mode va être aux éditions les plus anciennes, les plus pures : « il faut avoir quelques unes de ses premières éditions si l’on veut avoir les Centuries de Nostradamus sans changement, sans additions », lit-on dans un supplément au Dictionnaire Moréri.

Quant à la thèse de la parution des « Centuries » du vivant de Nostradamus ou même au lendemain de son décès, elle se heurte à l’absence totale de recoupements alors que l’on dispose d’un corpus considérable de documents de toutes sortes, tant imprimés que manuscrits. Si Nostradamus s’était prêté à une telle supercherie, nul doute qu’il s’y fut référé dans ses publications annuelles, dans ses multiples épitres, dans sa correspondance. Et ceux que l’on appelle les « imposteurs », les « imitateurs », sans parler de ses adversaires, s’en seraient fait l’écho avant sa mort, à sa mort, après sa mort. Et qu’a-t-on dans le dossier en faveur de la parution des Centuries entre 1555 et 1568 ? Cinq éditions : 1555, 1557 et 1557 bis , 1561, 1568 plus des éditions de la fin du XVI e siècle et du courant du siècle suivant qui s’y référent comme celle, troyenne, de Pierre Du Ruau qui ne cesse de mentionner une édition Benoist Rigaud 1568 alors même que les éditions d’un Pierre Rigaud, vers 1600 ne s’y référent pas en leur titre. Jusqu’à la fin des années 1980, on a cru que l’existence même de ces éditions constituait une preuve suffisante et puis le doute s’est peu à peu instillé et commença la chasse aux « preuves ». Vingt ans après, un bien piètre bilan. On a cru que l’on avait trouvé la parade décisive avec les Prophéties de Couillard (Paris, 1556) ou avec celles de Crespin. Dans le premier cas, le fait que le dit Couillard alias Seigneur du Pavillon, semblait si bien informé du contenu de la Préface à César fut utilisé pour valider la parution de l’édition de 1555 des Centuries. Mais nous avons montré que cette parution était posthume, comme cela est d’ailleurs clairement indiqué dans la dite édition, de la même façon d’ailleurs que l’épitre datée de 1555 est censée l’être si ce n’est qu’initialement la dite préface devait être datée de 1566 ou plus, faisant écho au Testament rédigé l’année de la mort de Michel de Nostredame. Mais nous y reviendrons puisque cela concerne la fratrie des enfants Nostradamus. Quant à Crespin, il pouvait sembler prouvé qu’au plus tard au début des années 1570 les dix centuries étaient bien parues vu qu’on en retrouvait des bribes dispersés dans son œuvre. Le fameux quatrain I, 1 d’ailleurs ne figurait-il pas chez Nostradamus le Jeune dont il va être question. Mais peu à peu le soupçon a développé une autre thèse : et si c’était plutôt les « fourreurs » (d’où l’expression coup fourré), c'est-à-dire comme on appelait alors les faussaires, qui avaient récupéré des textes pour les inclure dans les Centuries tant il était flagrant que certains quatrains résumaient certains textes en prose de Crespin, à l’instar des quatrains des almanachs pour les présages de Michel de Nostredame ? Mais comme l’on sait, le succès des Centuries du vivant de Nostradamus est devenu un passage obligé de la biographia nostradamique, de Louis Schlosser jusqu’à récemment Denis Crouzet. Car la bibliographie déborde sur la biographie.
Or l’affaire « Nostradamus le Jeune » nous apparait comme une réécriture de la biographie de Nostradamus si ce n’est qu’il ne s’agit plus de problèmes de vrais faux ou de faux faux supposés s’être produits du vivant de Nostradamus mais bien de la vraie vie de Michel de Nostredame. Et dans les deux cas se pose d’ailleurs la question de la complicité du dit Michel de Nostredame dans la menée et la préparation de telles entreprises de désinformation. En fait, il ne s’agit plus d’affirmer vainement qu’il y a eu quelque chose mais d’affirmer tout aussi vainement qu’il ne s’est rien passé au sein de la fratrie Nostradamus. Circulez, il n’y a rien à voir.
Mais là au contraire, ce sont les preuves qui sont surabondantes et plutôt embarrassantes et à l’encontre de ces preuves deux documents, le manuscrit du testament de Nostradamus et la préface à César.
Dans le premier document, la fratrie ne comprend que trois garçons, César, Charles et André avec une étrange mention à savoir que celui qui aura accès aux textes laissés par Nostradamus à sa mort sera désigné ultérieurement. Dans le second, visiblement, c’est César qui a été jugé digne d’un tel honneur. Passons sur l’anachronisme total d’une épitre datée de 1555 puisque plus de dix ans plus tard, la question du « successeur » n’est pas encore tranchée : « a de plus légué le dit testateur tous ses livres à icelui de ses fils qui profitera le plus à l’estude » Ce qui est étonnant, c’est que ce passage n’ait pas été supprimé du Testament mais ce texte n’était pas censé circuler.
Or, un personnage manque dans cette fratrie, c’est un certain Michel, prénommé comme son père qui aurait ainsi eu quatre fils à l’instar des quatre fils de la famille royale (François II, Charles IX, Henri III, duc d’Anjou (et roi de Pologne) et le duc François d’Alençon, mort avant son roi de frère, en 1584). Un personnage doublement encombrant si on souhaite le faire disparaitre de la légende familiale. D’une part, sa mort a défrayé la chronique, il aurait été abattu devant le Pouzin en train de créer un incendie, en 1574 et d’autre part, on connait toutes sortes de publications portant le nom de Nostradamus le Jeune (Michel ou Mi. de Nostradamus). Cela fait beaucoup à effacer ! Mais on peut toujours parler d’imitation, d’imposture. Ceux qui rechignaient tant à parler de contrefaçons pour les livres, n’ont pas de mots trop durs pour désigner ce faux fils de Nostradamus.
Mais comme on dit, il n’y a pas de fumée sans feu et surtout on connait des biographies qui ne correspondent pas au récit officiel figurant dans le Brief Discours de la Vie de Michel de Nostredame, à moins que le mot « brief » ne signifie ici abrégé, tronqué. En 1672, Théophile de Garencières, dans son édition anglaise des Centuries, fait paraitre une biographie non autorisée, qui place Michel comme le premier des fils de Nostradamus. Garencières, un auteur bien informé qui ressort aussi une mouture moins corrompue de la Préface à César. Dans les deux cas, on ne connait pas d’original français antérieur à 1672. Mais à la même époque François La Mothe Le Vayer considère que César a été abattu au Pouzin, autrement dit, il confond en un seul et même personnage deux frères ou supposés tels dans certaines biographies. Ce propos est repris dans le Dictionnaire de Moréri, maintes fois réédité et remanié. On a beau jeu de signaler que le dit César a atteint allégrement le siècle suivant.
Or, il nous semble qu’une telle présentation visait maladroitement et rétroactivement à accréditer la thèse des trois fils, sans Michel.Nous trouvons dans la Vie et Testament de Nostradamus trace (p. 99) d’une mouture disparue.
« Dans le dernier Moréri, on rapporte d’après la Mothe le Vayer, que César de Nostredame se meloit de parler de l’avenir comme Michel son père avoir fait, & que désirant succéder à son crédit, il se hasarda de dire que le Poussin (Pouzin lieu dans le Vivarais) sur le bord du Rhône (…) Je voudrois une preuve très assurée de ce fait qui me paroit hors de toute vraisemblance vu l’âge de 74 ans qu’avoit César Nostradame (…) Le troisiéme des fils de Nostradame fut Charles. (…) Le quatrième qui s’appeloit André ». On trouve aussi un passage dans la Vie de Pierre Joseph qui ne correspond pas non plus au testament (p. 156) « le troisiesme des enfans mâles de Nostradame est celui dont on ignore le nom » et qui laisse perplexe.

L’auteur anonyme de cette compilation de 1789, de la Première Face du Janus François et d’autres notices, nous restitue un texte assez bancal qui ne fait sens que s’il y a bien quatre frères : si César ne peut être Michel, et si le « troisième » est Charles et le « quatrième » André, qui est donc le premier frère sinon ce Michel ? C’est d’ailleurs la version d’un autre biographe, étudié par Robert Benazra, Palamède Tronc du Coudoulet, auteur, notamment, d’un « Abrégé de l’Histoire de Michel Nostradamus »[1], resté manuscrit qui évoque directement le fait que Nostradamus eut 4 fils. Cet Abrégé a été lu par l’auteur de 1789, qui cite son « Sommaire du testament de Nostre Dame » (p. 100) mais dans cette version qui relie César au Pouzin qui ne figure pas dans le manuscrit conservé à Aix, à la Bibliothèque Méjanes.
Toute notre étude converge ainsi sur César de Nostredame, dont la préface de son père, en 1555 introduit la première édition des Centuries, parue en cette même année 1555. A la lumière des données que nous avons rapportées, cette préface ne fait aucun sens en 1555 mais fait tout à fait sens au prisme du testament de Nostradamus en consacrant César comme étant celui qui succédera à son père, décision qui n’a pu être prise qu’à sa mort, au plus tôt et non pas par le dit père mais par on ne sait quelle instance, à commencer par la veuve Anne Ponsard qui doit surveiller les études de ses quatre gamins pour voir qui est le plus doué. Au vu des pièces dont nous disposons, celui qui fut choisi fut Michel, probablement l’ainé et qui était de ce fait avantagé pour faire ses preuves. Dès 1568, on voit Michel publier des textes de la bibliothèque du défunt, ce qui était précisément l’enjeu. On pense à cette édition parue à Rouen, en 1568, et comportant une épitre au jeune duc d’Alençon, né en1555, laquelle édition mentionne la bibliothèque du défunt.
Donc si Epitre il y a de Nostradamus, celle-ci ne comportait pas le nom d’un de ses fils puisque ce point restait en suspens. Or, si l’on supprime le nom de César qui est d’ailleurs surajouté en latin et ne figure qu’à une seule reprise puisque c’est la formule passe partout « mon fils » qui est récurrente, cette Epitre peut s’adresser à n’importe lequel des quatre fils, Michel, César, André ou Charles et nous pensons qu’il est clair que le manuscrit du testament a été retouché et tronqué de façon à ce qu’il ne soit plus question que de « trois fils »..
Préface de M. Michel Nostradamus ; Ad Caesarem Nostradamum filium Vie et Félicité. Ton tard advenement CESAR NOSTRADAME mon filz, m’a fait mettre… » Ensuite, plus un mot sur César. Seule la première page compte et donne le la.
Quelle est donc la raison d’être de ce « trucage » au profit de César ? Il est clair que le premier à avoir reçu, post mortem, une telle lettre ne fut pas César mais Michel Nostradamus Le Jeune. On peut d’ailleurs supposer que cette Lettre réadressée à César soit postérieure à la mort de son frère, dans les conditions assez infamantes que l’on sait. En tout état de cause, elle ne semble être parue que dans les années 1580 en tête des dites Prophéties.
Ce qui pose un autre problème : quels étaient les éléments que Nostradamus entendait transmettre à son fils jugé le plus doué ? On répondra immédiatement : probablement pas les Centuries, ce qui n’empêche pas que le mot Prophéties puisse désigner autre chose que des centaines de quatrains qui atteindraient finalement la « miliade ». Si l’on reprend certains passages de la Préface qui, à notre avis, sont authentiques – une fois que l’on a évacué le nom du destinataire et quelques allusions interpolées à des quatrains- il s’agit d’un « Commentaire » rétrospectif de Nostradamus sur ses « prophéties », c'est-à-dire sur la collection qui a été rassemblée dans le Recueil de Présages Prosaïques, le mot « commentaire » étant d’ailleurs à deux reprises utilisé dans le Brief Discours de la Vie de Michel de Nostradame, un tel commentaire correspondant en partie avec la Première Face du Janus François à cela près que cet ouvrage est axé sur les seuls quatrains des almanachs, augmenté de nouveaux quatrains récupérés ici et là (cf. supra) et prolongé par les Pléiades, où il est davantage question de la Prose de Nostradamus. On aurait certes aimé voir de quelle façon Nostradamus faisait le bilan de ses prédictions. D’aucuns ont cru comprendre, par une fausse lecture de la fin du Brief Discours que Nostradamus avait publié dès les années 1550 une série de prophéties allant jusqu’en 1567, ce qui aurait étrangement coïncidé avec la date de sa mort en 1566. C’est finalement la date de 1555 qui apparaitra comme le point de départ et c’est à cette date que sera fixée la rédaction par Nostradamus de son Epitre. C’est là une contre vérité de la bibliographie nostradamique. On sait que Chavigny faisait allusion à la collection de tous les brouillons de Nostradamus, accumulés au cours des années mais une telle erreur n’est pas innocente en ce sens qu’un tel genre a bel et bien existé, comme on peut le voir avec ces Prédictions pour 20 ans, que Nostradamus le Jeune réédite en 1568 sous le nom de Mi. de Nostradamus le Jeune et qui reparaitront encore sous le nom de Présages pour 13 ans, sous celui de Michel Nostradamus le Jeune, tous ces termes étant synonymes avec prophéties. Or, ce n’est pas par hasard que l’on trouve la formule « Perpétuelles Vaticinations » dans la Préface à César, ce qui correspond à un produit bas de gamme, en quelque sorte plus industriel qu’artisanal comme le sont les almanachs, de mois en mois et non d’an en an.
Tout se passe comme si cette Préface aux Prophéties avait été adressée à Michel le fils pour figurer justement en tête de Prédictions pour 20 ans qui sont des textes en prose et non en tête de quatrains sans aucun cadre chronologique qui plus est. Cela dit, l’on peut concevoir que chaque texte en prose soit résumé par un quatrain, ce qui pourrait s’appeler des « prophéties par quatrains » et le mot « centurie » ne désigne pas nécessairement et exclusivement des quatrains. ;
On fait donc ainsi endosser à Nostradamus, dans une Préface désormais adressée à César, mais restée peu ou prou inchangée, ce qui n’est même pas un commentaire et qui constitue en fait un nouveau corpus de quatrains. Il y a là un tour de passe passe qui fait triompher les rimes sur la prose. Or César fera la preuve qu’il est un poète de grand talent (on lire son Songe de Scipion, entre autres) ce que n’était probablement pas son père. Il reste que Nostradamus le Jeune jouera le jeu des quatrains, puisque comme on l’a dit le fameux premier quatrain de la première centurie figure sous son portrait, lequel portrait est repris par du Ruau, à Troyes, dans nombre de ses éditions des Prophéties, ce qui vient apporter une preuve supplémentaire d’un lien avéré entre ce Nostradamus le Jeune et la production nostradamique posthume si ce n’est que le libraire troyen – ou ceux qui se servent de ce nom- n’en utilise pas moins la Préface à César datée de 1555, associant ainsi les deux frères les plus marquants..
On nous objectera, en désespoir de cause, que le dit testament n’aurait pas pu être modifié, « trafiqué » pour évincer Michel, lequel n’apparait plus comme membre de la fratrie. Nous pensons que ce changement a du intervenir après la mort du dit Michel, ce qui fait que quelque part, il correspond à la nouvelle réalité, puisqu’il n’y a plus que trois frères en vie et dès lors, on peut à nouveau reposer la question de la dévolution des papiers au fils (restant) le plus méritant, à savoir César lequel, à son tour, aura la charge, plus de 15 ans après son frère, de présenter des textes restés inédits, c’est ce qui sera fait en tête des « Centuries », à cela près que le nom de César n’apparait pas sur la page de titre comme c’était le cas pour Nostradamus le Jeune, nom que peut désormais revendiquer César. On peut se demander si la toute première édition (perdue) de ces nouveaux quatrains ne reprenait pas la formule utilisée en 1568 : « à la supplication de plusieurs ont estez (…) reveues & mises en lumière par » César Nostradamus.


JHB
28. 08. 12


[1] J. Halbronn « Contribution aux recherches biographiques sur Michel de Nostredame », Espace Nostradamus.

 
 

106 - Origine et fortune du mot « centurie » dans la littérature prophétique de la fin du XVIe siècle
Par Jacques Halbronn

A partir de quand se sert-on du mot « centurie » dans la littérature prophetico-astrologique , en dehors des « Centuries » de Nostradamus ? Or, on note que dans les années 1550-1570, le terme n’apparait pas en rapport avec des textes tant en prose qu’en vers. En revanche, les années 1580 le voient figurer dans un certain nombre de publications, probablement pas d’ailleurs avant 1586.
Robert Benazra se révèle d’une aide précieuse pour l’identification des quatrains figurant hors du champ strictement centurique, tant pour les productions des années 1560 – à propos des almanachs Barbe Regnault - et 1570 – à propos des Prophéties de Crespin-- que pour celles des années 1580-90. C’est ainsi qu’il signale le cas de l’Almanach des almanachs le plus certain de Cormopéde, dont une édition parait chez Benoist Rigaud. En revanche, il ne signale pas toujours chez Rigaud l’Almanach d’Himbert de Billy pour 1587 qui comporte déjà un quatrain pour chaque mois dont trois au moins reprise des premières centuries de Prophéties.
Au moment où Benazra publia, il y a plus de 20 ans, son Répertoire Chronologique Nostradamique – titre que nous lui avions proposé- certaines informations ne revêtaient pas l’importance qu’elles ont à présent. En effet, c’était encore l’époque où personne ne remettait en doute la date des « premières » éditions et où l’on ne se demandait pas trop de quand dataient les «vraies » éditions par rapport auxquelles s’étaient calquées les « fausses ». Le cas d’Antoine Crespin ou du moins de ce qui paraît sous son nom est également intéressant car on y trouve un usage particulier du mot « centurie » dans sa Prognostication astronomique pour six années. C’est autour de la production liée à ces deux personnages, pour les années cruciales pour le phénoméne centurique que sont les décennies 80 et 90 du XVIe siècle- quelle que soit, par ailleurs, leur réalité intrinsèque, aux dates concernées - que portera la présente étude ;

A Les quatrains véhiculés par Billy et Cormopéde.

Il y aurait une filiation de Corneille (Cornelius) de Blockland à Himbert de Billy et également vers Cormopéde.(cf infra) Or, l’Almanach de Billy couvre une période antérieure à celui de Cormopéde – qui pourrait être le même auteur- puisque nous disposons de son almanach pour 1587, lequel date donc de l’année précédente ; Un des exemplaires (sur Gallica) est annoté et l’on nous indique que trois quatrains sont issus des « Centuries », dont le premier « altéré »- mais peut-être cette version est-elle plus ancienne ?-, ce que nous avons vérifié et nous n’avons pas été surpris de noter que les dits quatrains ne correspondaient qu’aux premières centuries à savoir
IV 18 pour février, III, 20 pour septembre et I, 67 pour décembre 1587. Car en 1586, on est au tout début du processus centurique sous la Ligue. On ne pouvait donc s’attendre qu’à des quatrains ne dépassant pas le milieu de la Ive Centurie et même n’allant pas au-delà du 49e quatrain, dans le cas de la toute première édition dont on a gardé le contenu, dans Rouen Du Petit Val 1588 si ce n’est qu’on là la preuve que la première édition doit se situer deux ans plus tôt, ce qui vient confirmer la thèse selon laquelle les éditions datées de 1588 -1589 ont été précédées d’autres dans les années immédiatement antérieures. Mais cela témoigne aussi de l’usage qui était fait de ces séries de quatrains dans le cadre de la fabrication des almanachs. Les quatrains issus des almanachs y retournent ainsi. Billy publie aussi, chez Coudret, à Paris, une Première centurie des choses plus mémorables qui sont à advenir depuis l'an mil cinq cens quatre vingts et sept jusques à la fin de la douziesme centurie, présagées pour trente-six ans, extrète des plus illustres mathématiciens, mise en lumière par Conrad Leovitius[1],
Il apparaitrait donc que Billy ait publié au même moment, autour de 1587 les deux types de quatrains, ceux des centuries dans son almanach et ceux de l’almanach de Nostradamus dans sa « Première Centurie », ce panachage nous faisant penser à la Première Face du Janus François de Chavigny, qui commente conjointement les deux séries ;,.
Cormopéde qui semble avoir été associé au nom de Billy est également un connaisseur des quatrains centuriques.

La liste Benazra est la suivante
Janvier à décembre 1593:
I, 4, I, 3, IV 86, VIII, 2, VI, 99, IV 12, IX 52, IX 51,
Un poème porte mention de Nostradamus et l’on trouve les initiales de Jean Aimé de Chauvigny Beaunois, ce qu’omet d’indiquer Benazra.
Janvier à décembre 1594 :
I, 4, IX 52, VI 70, I, 3,, I, 9, V 14, IV, 48, VI, 8, III, 46, X, 20, VI, 42
Seul le quatrain de janvier est le même pour les deux années.
Ce que nous retenons c’est qu’en 1592, les centuries VIII-X du second volet faisaient apparemment déjà partie d’un diptyque, ce qui correspondrait à l’édition 1590 Jaques Rousseau, qui a pu servir au commentaire de la Première Face du Janus François, datée de 1594, si ce n’est que le quatrain VI, 100 qui y est interprété ne figure pas dans l’édition de Cahors 1590, ce qui suppose que Chavigny ait eu accès à une édition disparue du premier volet. Est-on là dans un cas de figure très différent de celui des Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation française de Crespin, Lyon 1572 et 1573 qui comportent un grand choix également de quatrains et surtout de morceaux de quatrains appartenant aux 10 centuries ou bien les dites Prophéties de Crespin ont-elles été antidatées, vu que le nom de Crespin continue à être utilisée à la fin des années 1580 (cf. infra) ?
Ce qui est étonnant, c’est que de la sorte les quatrains centriques se trouvent ainsi reconvertis en quatrains-présages et attribués à des mois et des trimestres, à l’instar de ce que Nostradamus pratiquait (pas pour les saisons cependant, dans ses Pronostications). Les Centuries seraient ainsi devenues un vivier dans lequel les auteurs d’almanachs pouvaient puiser et non pas un document à utiliser tel quel, en dehors de toute structure chronologique bien définie.
On dispose également de l’Almanach Billy pour 1582. On y trouve certes des quatrains mais le mot « Centurie » n’y figure pas encore. Or, les « Centuries » prophétiques ne semblent être apparues que durant ce laps de temps entre 1582 et 1586..

B De Crespin à Billy
Benazra signale un document assez étonnant sans se rendre compte qu’il comporte deux pièces distinctes qui ont été placées à la suite l’une de l’autre. Il s’agit de la Prognostication astronomique pour six années par M. Anthoine Crespin Archidamus, Astrologue ordinaire du Roy, sans marque de libraire mais qui traite des années 1586 à 1591. On dispose aussi des Pronostiquations astronomiques (…) commençant l’an MDLXXX & sept & iusques en l’an MDLXXX, (…) par A. Crespin Archidamus, Paris , Gilles de S. Gilles. Signalons enfin la Prophétie Merveilleuse (…) depuis ceste année 1590 iusques en l’an 1598, Paris, Pierre Ménier.
Mais, la première pièce comporte une sorte de prolongement et Benazra ajoute sans relier avec La Première Centurie, puisque la page de titre a disparu : » nous avons relevé ces deux quatrains intitulés « Troisiesme Centurie de l’An 1593 » (…) « Quatriesme Centurie de l’An 1596 ». Il précise : « les deux premiers vers du premier quatrain appartiennent au présage de mars 1555 et le deuxiesme quatrain est celui du Présage de juin 1558 »
Comment, en effet, pourrait-on trouver des présages pour 1593 et , 1596 au sein d’un ouvrage censé couvrir les cinq années 1586 à 1591 ? Et quel étrange usage du mot Centurie ne trouve-t-on pas dans cette pièce à l’évidence rapportée et en fait totalement distincte et dont, du coup, on ignore l’auteur d’autant que ce type de présentation est, à notre connaissance, unique en son genre, pour cette période qui voit paraitre des « Centuries » non associées à une année donnée. En revanche, dans les années 1620, on trouve un Almanach ou Ephemeride pour l’an 1622 (…) Par Jean Belot, Paris, Fleury Bourriquant, comportant 12 « centuries » pour chaque mois du calendrier plus, dans la seconde partie, des « Centuries », au nombre de quatre, qui pourraient correspondre aux quatre saisons de cette année 1622, comme si le mot « centurie » signifiait un quatrain résumant les tendances d’un certain mois ou d’une certaine saison de trois mois.
Mais revenons au cas de l’exemplaire hybride de la Bibliothèque Municipale de Lyon La Part Dieu (Res. 315920) dont la seconde pièce qu’il faudrait donc coter différemment (315920 (2) propose des « centuries » sous la forme d’un quatrain associé à une année spécifique.
.En réalité, ce document ne doit pas être lu comme le propose Benazra - par ailleurs conscient qu’il s’agit d’un recueil de pièces[2] - chaque « centurie » couvre en fait deux ans. Il est écrit « troisième centurie » et en dessous « de l’an 1593 » et plus loin, sans qu’arrive une nouvelle centurie ou un nouveau quatrain « de l’an 1594 « et idem pour la « quatrième centurie pour les ans 1595 et 1596. Autrement dit, il y a une centurie par tranche de deux ans, ce qui est un cas assez particulier. Il est assez évident que la pièce en question devait comporter en son commencement une « première « centurie pour 1589 et 1590 et une deuxième pour 1591 et 1592, ce qui recouvre à peu près les années de la Prophétie Merveilleuse « depuis ceste année 1590 iusques en l’année 1598 », soit 9 ans – sans « centuries » alors que la pièce à 4 centuries couvre 8 ans. Il s’agit d’une des éditions d’un ouvrage intitulé Première centurie des choses plus mémorables qui sont à advenir depuis l'an mil cinq cens quatre vingtz et sept, jusques à la fin de la douziesme centurie, présagée pour trente six ans extraites des plus illustres mathematiciens, mises en lumiere par Conrad Leovitius Alleman selon le calcul de M. Imber de Billy... - Paris, Laurent Du Coudret, (1586-1587), qui reparaitra chez sa veuve. En fait les éditions que nous connaissons ne comportent, en dépit du titre, que quatre « centuries », chaque centurie devant normalement couvrir trois ans pour que le résultat soit de ’36 ans. On en connait qui en leur titre disent commencer pour l’an 1588 mais en fait le contenu est le même.
Cette pièce ne saurait donc être attribuée à Crespin. Elle est la rescapée d’un genre qui se nourrissait, comme l’a noté Benazra, de certains quatrains de l’almanach de Nostradamus, mais non pas des-prophéties, puisque c’est ainsi qu’ils sont désignés dans le titre du premier volet des éditions Rousseau et Rigaud des années 1590 et seq. Mais on a vu que de tels quatrains figuraient dans les années 1590 dans la série des almanachs Cormopéde, mais sans désignation d’origine.
On est donc confronté à une question d’ordre sémantique, à savoir la signification du mot « centurie » à partir de 1588, si l’on admet que la pièce en question est parue en cette année pour couvrir les années à partir de 1589. Or, 1588 est une année faste au niveau de la circulation des « Centuries ». Comment deux acceptions sensiblement différentes, si ce n’est que cela implique chaque fois au moins un quatrain, ont pu coexisté et comment le mot, dans les années 1620, chez Belot, a pu désigner des quatrains mensuels et trimestriels alors que les almanachs et pronostications de Nostradamus n’employaient pas ce terme pour qualifier les quatrains ?
On retiendra que cet ensemble de 4 centuries et donc de 4 quatrains mais couvrant 8 ans, se sert de quatrains d’almanachs et non de quatrains « centuriques ». Cela signifie que les dits quatrains d’almanachs étaient accessibles à la fin des années 1580, ce qui n’est pas si évident, même si on les trouve en grand nombre dans la Première Face du Janus François (1594), sans que l’on ait eu à passer par le truchement Chavigny. On sait aussi que les éditions parisiennes de la Ligue reprennent pour la centurie VII les quatrains de l’almanach pour 1561, y compris ceux non retenus par Chavigny. On sait aussi que Du Verdier en 1585 évoque « dix centuries par quatrains « , dans sa Bibliothèque, parus en 1568 chez Benoist Rigaud, ce qui évidemment semble se référer à une édition à 10 centuries et à deux volets comme celles que l’on connait et dont nous pensons qu’il s’agit de contrefaçons du XVIIe voire, plus probablement, du XVIIIe siècles.
On sait qu’en 1589, Chavigny peut avoir publié son Recueil de Présages Prosaïques dont on a une maquette manuscrite, conservée à la Bibliothèque de Lyon La part Dieu, et dans lesquels figurent les quatrains-présages sans aucun quatrain-prophétie.

C Le cas des Prophéties Crespin de 1572
Pour en revenir au dossier Crespin et en rapport avec le cas Cormopéde, on ne peut exclure que les dites Prophéties ne soient une contrefaçon antidatée, et que de tels emprunts que nous y avons observé, avec la collaboration de R. Benazra, en 2002, soient du même ordre que ceux identifiés chez Cormopéde, d’autant que le nom de Crespin circule encore à cette époque, comme on vient de le voir, accessoirement avec la série des Pronostications Astronomiques.
Nous avons en effet deux scénarios : soit les Centuries apparues dans les années 1580 ont emprunté assez massivement à Crespin, soit c’est Crespin ou ceux qui se servent de son nom qui ont récupéré des quatrains des Centuries qui commençaient à paraitre dans les années 1580, parallèlement aux dites Pronostications Astronomiques (1585 et seq) Il est possible que la vérité se situe entre les deux extrêmes. Il est manifeste que Crespin a publié d’autres œuvres qui comportent des éléments récupérés lors de la formation des Centuries – comme dans le cas de sa diatribe contre les « Juifs du pape », à Avignon- mais on ne peut exclure que dans le cas des dites Prophéties, le processus n’ait été inversé. On sait aussi, par ailleurs, que le quatrain I, 1 a circulé très tôt, dès la fin des années 1560 chez Nostradamus le Jeune, au dessous de son portrait.

D La chronologisation des quatrains-prophéties
Cela dit, on ignore les raisons qui ont poussé ceux qui ont « fabriqué » les Almanachs de Cormopéde à « piller » les Centuries, avec apparemment la bénédiction de Chavigny, si ce n’est dans l’idée de relier les dits quatrains à une chronologie plus encore qu’à un commentaire. Autrement dit, il existe une tendance à placer et à replacer tout quatrain au sein d’un référentiel de temps. C’est ce que nous avons pu observer dans tous les exemples donnés et cela vaut aussi pour les quatrains présages des almanachs de Nostradamus.Il semble que les Centuries de prophéties non chronologisées – comme celles de la miliade de quatrains soient des signifiants et que le signifié apparait quand le dit signifiant est référé à un mois, une saison, une année ou un groupe d’années. Ces quatrains ne feraient sens que mis en situation chronologique. On peut même concevoir une sorte de bibliomancie consistant à tirer au sort, à partir d’un stock de quatrains, les 12 quatrains des 12 mois d’une année donnée avec un tirage pour la centurie et un tirage pour le quatrain. C’est ainsi que Chavigny nous explique qu’un quatrain- présage même daté peut être redaté, qu’un quatrain-prophétie peut valoir pour plusieurs années, d’où la division d’un quatrain en une partie a, une partie b etc. Tel est selon nous le vrai mode d’emploi de ces centuries du moins au départ, c'est-à-dire dans les premières décennies de leur lancement, à partir des années 1580.
Revenons sur la mention figurant chez Antoine Du Verdier (Bibliothèque, 1585, p.881) "Dix Centuries de prophéties par Quatrains », Benoist Rigaud 1568. En 1585, il est totalement hors de question que l’ensemble des dix centuries de quatrains-prophéties ait été déjà en place. Il s’agit donc d’autre chose qui a peut être servi ensuite de matrice. Si l’on prend le cas de la pièce du recueil lyonnais, dix centuries, cela peut couvrir 20 ans avec dix quatrains mais bien entendu les prophéties ne se réduisent pas aux quatrains. On connait des Présages pour 20 ans, mis en lumière en 1568 par Mi. de Nostradamus le Jeune.(Rouen, Pierre Brenouzer, BNF Res pV 715 (1) et reconduits par la suite sous le nom, cette fois, de Michel Nostradamus le Jeune. Cet exemplaire (qui couvre les années 1564-1583) ne comporte pas de quatrains et est simplement divisé en années. Mais l’on peut supposer que soit parue chez Benoist Rigaud une édition réunissant les années deux par deux autour d’un quatrain, dont la seconde pièce du recueil lyonnais – qui est en fait une partie de la Première Centurie d’Himbert de Billy, serait une récurrence. On peut tout à fait supposer, au demeurant, que Du Verdier ait confondu Michel Nostradamus avec Mi. de Nostradamus, n’étant pas nécessairement initié à certaines subtilités familiales au point que l’on puisse se demander s’il n’y a pas eu un malentendu et si le Nostradamus des années 1580 n’est pas Nostradamus le Jeune, ce qui expliquerait pourquoi Du Ruau publie, au XVIIe siècle, les Centuries avec le portrait du dit Nostradamus le Jeune, tel qu’il figurait dans les années 1560, dont on ne connait pas forcément, d’ailleurs, toute la production. Ce portrait servira en 1650 pour l’almanach pour 1651 d’Antoine Chevillot, à Troyes, chez Blanchard, date à laquelle paraissent selon nous les éditions Pierre Chevillot des Centuries.
Et c’est bien le quatrain devise de Nostradamus le Jeune qui ouvre la première Centurie et donc l’ensemble du premier volet et par extension du second : Estant assis de nuict secret estude etc ».
Toujours est-il qu’il semble démontré qu’en 1588, paraissaient simultanément d’une part des recueils de quatrains rassemblés en un certain nombre de « centuries » de cent quatrains non chronologisés- on finira par atteindre, un peu plus tard, au début des années 1590, la dizaine et de l’autre des pièces comportant quatre centuries et couvrant huit années bien déterminées et comportant d’importants développements en prose, ce qui expliquerait d’ailleurs l’adjonction d’Epitres en prose aux dites centuries-prophéties.. Mais l’on a vu que l’exercice valait aussi bien en puisant dans les quatrains-présages comme dans le recueil lyonnais, ce qui a pu être aussi le cas des « centuries de prophéties par quatrains » signalées par Du Verdier. Ce n’est que dans les années 1590 que l’on aurait commencé à chronologiser les quatrains-signifiants du corpus centurique, comme chez Cormopéde. Ainsi, en 1588 auraient en fait cohabité les quatrains-présages recyclés, rechronologisés et les quatrains-prophéties à chronologiser et qui commenceront à l’être peu après dans l’Almanach des Almanachs de Cormopéde. Or, un personnage qui aurait précédé Cormopéde[3] , Himbert de Billy auteur d’un almanach pour 1587 comportant trois quatrains « centuriques » et d’une

Première centurie des choses plus mémorables qui sont à advenir depuis l'an 1587 [- 1588]... selon le calcul de M. Imber de Bélly, Paris, L. Du Coudret, (s. d.), à la BNF.
Cet usage chronologique à la Billy puis à la Cormopéde des quatrains nous semble une application logique, à partir de 1586, de la parution de ces séries de quatrains par centaines.
Il nous semble assez clair qu’à la fin des années 1580 deux corpus de centuries sont en concurrence, un ancien ensemble du à Michel Nostradamus et un nouveau qui serait posthume, ce dernier devant à la longue l’emporter. Le recours aux deux corpus semble, du moins au départ, ne point devoir différer et intéresser similairement les faiseurs d’almanachs qui vont y piocher.
En fait, quand on lit le document du recueil lyonnais, une centurie ne comporte qu’un quatrain et pas cents. Dans le volume des « centuries » des Prophéties de M. (Michel) Nostradamus, on trouve bien la formule « Première Centurie », puis « Seconde Centurie » mais au lieu que l’on ne nous propose qu’un seul quatrain comme cela devrait être le cas, on nous propose toute une série de « premières centuries », et de même pour les « secondes centuries » etc. On a vraiment l’embarras du choix du quatrain mais aussi du mois, de l’année. Mais, ce qui nous parait assez incontestable, c’est que l’on n’était pas initialement dans l’idée qu’il fallait cent quatrains par centurie, du fait de l’étymologie du mot car il semble que nul n’en ait eu cure pour ce qui est de l’usage ponctuel du mot dans le recueil de Lyon ou chez Belot, au début des années 1620.Quant à Cormopéde, son Almanach se sert des quatrains prophétiques issus des « Centuries » sans les qualifier, pour autant, de « centuries »..Belot, lui, utilise le mot centurie mais sans puiser dans les « Centuries ». Donc, le premier usage pratique connu du mot « centurie » remonterait à cette pièce lyonnaise sans titre et sans auteur mais sans rapport non plus avec les dites Propheties divisées en centuries de quatrains et se servant des quatrains-présages. Cela montre qu’encore en 1588, les quatrains présages étaient utilisés pour pimenter les almanachs qui sortaient mais c’est le Chant du cygne car quelques années plus tard, avec Cormopéde, les quatrains des Prophéties vont supplanter ceux des almanachs, ce qui tendrait à indiquer que les uns ont été produits pour remplacer les autres en reprenant le mot « centurie » qui était utilisé pour qualifier les quatrains présages recyclés. On se demandera si dans le mot « centurie », on n’a pas le synonyme de siècle (comme en anglais, « century ») et donc de cycle, sans rapport avec la nécessité de placer 100 unités dans une centurie. Le problème, c’est que ces nouveaux quatrains n’étaient pas recyclés à moins d’admettre que dans de nombreux cas, ils étaient bel et bien déjà parus au sein de la littérature néonostradamique...
On croit un peu vite que l’usage du mot « centurie » vient du succès des Centuries. Pour ceux qui croient encore qu’il y a eu des éditions des dites « Centuries » dans les années 1550-1560, se pose aussi la question de leur résurgence dans les années 1580 encore que Patrice Guinard ait soutenu, pour les besoins de la cause, la thèse de la parution de diverses éditions Rigaud 1568 qui se seraient étalées entre ces deux périodes. Mais force est de constater que la vogue du mot centurie dans le monde des almanachs n’est nullement attestée dans la première période alors qu’elle l’est dans la seconde en dehors même des éditions centuriques proprement dites. Selon nous, il n’est pas à exclure que le choix même du mot « centurie » pour encadrer les nouveaux quatrains n’est venu que du fait du succès de l’expression chez certains auteurs. On rappellera que l’édition Rouen 1588, en dépit de son titre évoquant « quatre centuries » n’en comporte aucune, les quatrains n’étant pas rangés de la sorte. Par la suite, au contraire, le terme sera mis en avant puisque la dite édition du libraire Raphaël du Petit val se présente, déjà en son titre comme « Grandes et merveilleuses prédictions (…) divisées en quatre Centuries » alors que l’édition Rouen 1589 ne reprend pas ce mot en son titre. En revanche, une autre édition Rouen Valentin s’intitule Les Centuries et Merveilleuses Prédictions de M. Michel Nostradamus contenant sept Centuries dont il en y a (sic) trois cents qui n'ont encores iamais esté imprimées. Le mot « centurie » figure également au sous-titre des éditions parisiennes « trente neuf articles à la dernière Centurie ». Alors que le premier volet de l’édition Rousseau Cahors 1590 ne comporte pas ce mot – qui ne figure ni au titre de Macé Bonhomme 1555, ni d’Antoine du Rosne 1557 (Budapest) le second volet comporte en son titre : « Centuries VIII. IX. X, adioustées de nouveau par le dict Autheur ».
Ce mot « centurie », au vu de toute la production authentique de quatrains de Nostradamus est étranger à celle-ci et il est étonnant qu’il ait fini par remplacer le nom de Prophéties. C’est un terme emprunté et il ne l’a été que pour des raisons commerciales afin de capter un peu du succès d’une astrologie « centurique » laquelle d’ailleurs devait par ailleurs beaucoup à Nostradamus. Echange de bons procédés en quelque sorte.

E L’émergence du mot « centurie »

Il y a deux pistes. D’une part la piste Guillaume de La Perrière qui publie, dans les années 1550 des Centuries, notamment chez Macé Bonhomme. En 1552 étaient ainsi parues Les Considérations des Quatre mondes (…) comprises en quatre centuries » ; ce qui donnera l’idée de situer une contrefaçon des 4 premières centuries chez le dit Bonhomme ; D’autre part, il y a la piste « historique ».
Rappelons que Chavigny était très féru d’Histoire et qu’il présente sa Première Face du Janus François sous la forme d’une chronique ordonnée année après année. Or, un ouvrage aura fortement marqué les esprits, celui des « centuriateurs de Magdebourg ». A propos de l’’initiateur d’un telle entreprise historiographique, Auguste Jundt, nous informe[4] , dans une conférence donnée à la Faculté de Théologie Protestante de Paris, parue en1883 (p. 19) que Mathias Flacius (1520-1575) « adopta la division par siècles ; d’où le nom de Centuries donné à son ouvrage »
Nous pensons que cela aura conduit certains éditeurs, au début des années 1580, à opter pour ce mot de « centurie » qui signifie siècle en latin (et en anglais) mais qui est ici semble être un barbarisme pour agencer des séries de quatrains censés se rattacher à un certain siècle. Par extension, on aura assimilé le fait qu’un quatrain était placé en tête de chaque centurie avec l’idée que le dit quatrain était ainsi appelé centurie, oubliant que l’essentiel devait être en prose².
Les Centuries les plus célèbres du XVIe siècle ne furent pas celles que l’on croit. On parle en Europe des « centuriateurs de Magdebourg ».
On rappellera que la Première Face du Janus François entendait couvrir la période s’étendant sur toute une partie du XVIe siècle, de 1534 à 1589, ce qui devint ensuite de 1534 jusqu’à présent. (1596), un autre lot de « centuries » devant couvrir le siècle suivant, à l’instar des 58 sixains. Chaque « siècle » ou « centurie » pouvant être constitué d’un certain nombre de quatrains mais pas forcément de 100 puisque c’est le contenu de la période qui était déterminant et non son mode de description. Ce qui pouvait aussi bien donner des centuries de moins de 100 quatrains que de plus de 100 quatrains. Les Centuries de Magdebourg, connues sous le nom de Chroniques de Magdebourg, ne sont pas inconnues de la littérature nostradamique puisqu’en 1571, on en trouve un extrait à la suite de l’épitre de Nostradamus le Jeune au Duc d’Alençon ;
« A Magdebourg, il se trouve des Chroniques escrites en latin cent ans y a & plus auxquelles est la substance des mots suivants : Du Sang de Charles César & des Roys de France sortira un Empereur nommé Charles. Celuy dominera toute l’Europe (..) la nacelle de Saint Pierre endurera une forte tempeste (…) on oira horribles nouvelles de l’Antéchrist » Ce texte va figurer dans nombre de publications.
Jundt précise : « En 1559 parut à Bâle chez Jean Oporinus le premier volume de l’Histoire Ecclésiastique contenant les trois premières Centuries (jusqu’à la treizième centurie publiée en 1574)». On a ainsi, par exemple, en 1569, chez Oporin Duodecima centuria ecclesiasticae historiae... in ducatu illustrissimorum principum ac ducum Megapolensium... per autores [M. Flacium Illyricum, J. Vuigandum, A. Corvinum, T. Holthuter] contexta...
C’est au milieu du siècle suivant que les Centuries françaises défrayeront la chronique. On connait trois éditions françaises parues à Leyde et à Amsterdam, entre 1650 et 1668.

Or, entre ce Nostradamus le Jeune et Himbert de Billy qui est un des premiers à utiliser le mot centurie, il y a certaines parentés quant aux publications :
On notera aussi une certaine ressemblance entre les PREDICTIONS DES CHOSES PLVS MEMORABLES QVI SONT A ADVENIR, DEPVIS CETTE présente Année, iusques à l'An mil cinq cens quatre vingt & cinq. Ou sont pronostiquées choses merveilleuses & de grande considération, suyvant la pianette qui gouuerne chacune Année, prinse tât des Eclipses de soleil & de la Lune, que du liure merueil leux de Cyprian Leouitie, Samuel Syderocrate, C. du Garnier Broussart & autres. Le quelles ont esté en grade d'illigêce mise en lumière par M. Michel de Nostradamus le Ieune. Docteur en médecine. A TROYES. De l'Imprimerie de Claude Garnier
Et l’ouvrage d’Himbert de Billy Première centurie des choses plus mémorables, qui sont à advenir depuis l'an mil cinq cens quatre-vingts et huict jusques à la fin de la douzièsme centurie, présagée pour trente-six ans, extretes ["sic"], des plus illustres mathématiciens, mise en lumière par Conrad Leovitius,... selon le calcul de M. Imber de Billy... [Paris : Vve de L. Du Coudret, (s. d.) Cyprian Leovitius est devenu Conrad Leovitius.
D’où vient ce Himbert de Billy ? Il convient [5](de le rattacher à un certain Corneille de Blockland, dit de Montfort, né près d’Utrecht en 1530, médecin, compositeur et astrologue actif en Franche-Comté dans la seconde moitié du XVIe siècle.

« À partir de 1577, Blockland publie (…) des canards, des pronostications et des almanachs sous son nom d’abord puis sous le pseudonyme de Himbert de Billy, natif de Charlieu en Lyonnois, tailleur d’habits du sieur de Perez, comte de Saint-Amour, baron de Corgenon, etc. L’identité entre Blockland et Billy est donnée par Du Verdier. Quelques almanachs paraissent aussi sous le pseudonyme de Cormopede ou Cormopedius. Son identité avec ce dernier est donnée au titre d’un almanach d’Antoine Fabri publié en 1595, qui stipule au titre : ... Faict à l’imitation de Corneille de Montfort, dict de Billy, puis Cormopede. Les almanachs de Cormopede sont d’ailleurs riches en allusion à la Franche-Comté. Les derniers almanachs identifiés sous l’un ou l’autre pseudonyme datent de 1610. ».

Conclusions
Le mot Centurie apparait associé avec des quatrains entre 1582 et 1586, comme le montre la production d’Himbert de Billy. Il est utilisé indifféremment pour désigner tout quatrain prophétique, quelle que soit son origine –quatrain d’almanach, quatrain « prophétique » ou autre. Cela correspond à la production de « centuries » constituées d’un certain nombre de quatrains mais l’on peut sérieusement se demander si ce n’est pas Himbert de Billy qui aura lancé le processus, de par sa filiation affirmée avec l’Allemagne et la Suisse Alémanique (Bâle), région frontalière avec la Franche Comté, plutôt qu’il aurait été influencé par la production nostradamique[6]. L’idée de 12 centuries, ce qui correspond en gros à ce qui paraitra des Chroniques de Magdenbour – ouvrage qui restera inachevé-, se retrouve dans le Janus Gallicus qui fixe à 12 le nombre de centuries (Brief Discours sur la vie de Nostradamus). Il est donc totalement inconcevable que des « centuries » de quatrains soient parues en France avant les années 1580..Le mot même de centurie au sein de contrefaçons antidatées des années 1550-1560 est déjà en soi un anachronisme.

JHB
30. 08. 12



[1] Il existe aussi une édition qui part de 1588.
[2] Cf RCN, pp ; 116-117 et 129-130
[3] Cf article Wikipedia sur Corneille de Blockland (Monfort)
[4] Les Centuries de Magdebourg ou la Renaissance de l’historiographie ecclésiastique au xVIe s Auguste Jundt Paris, 1883
[5] cf article Wikipedia sur Corneille de Blockland
[6] Cf nos études sur Salomon Trismosin et Bâle à la fin du XVIe siècle

 

 

107 - L’émergence du centurisme prophétique au milieu des années 1580
Par Jacques Halbronn

De quand date l’utilisation du mot « centurie » dans le langage astrologico-prophétique ? Est-ce qu’un tel usage est attesté du vivant de Nostradamus voire durant les vingt qui suivirent sa mort pour désigner des quatrains ? En 1585, Antoine Du Verdier – ou celui qui le complète (cf. infra) [2] signale, à l’entrée Nostradamus, de sa Bibliothèque, l’existence d’un texte qu’il désigne ainsi : « dix centuries de prophéties par quatrains » parus en 1568 chez Benoist Rigaud. Après avoir considéré une telle information depuis plusieurs années, nous en sommes arrivés à la conclusion que Du Verdier décrit une édition Benoist Rigaud 1568 des Prophéties, en dix centuries, réparties en deux volets. Il doit s’agir d’une édition troyenne « Pierre Du Ruau » qui n’a pu être produite avant la mort de Louis XIII, survenue en 1643. Nous ne pensons pas non plus qu’une édition antidatée Benoist Rigaud 1568 soit parue dans les années 1580. D’ailleurs, le décalage entre la notice de 1584 chez La Croix du Maine est patent par rapport à la notice de Du Verdier, l’année suivante et on ne voit pas pourquoi un ouvrage supposé dater de 1568 n’est pas signalé un an plus tôt.
1584 "Les quatrains ou Prophéties de Nostradamus. Lyon, Sixte Denyse, 1556
1585 « Dix centuries de prophéties par quatrains. Lyon, Benoist Rigaud, 1568’ »
. Nous n’avons pas d’attestation montrant qu’en 1585, on utilisait le terme « centurie » pour désigner des prophéties. Etrangement, 1585 n’en correspond pas moins à la période où le mot commence à être utilisé mais on n’a pas encore d’édition à 10 centuries. Cormopéde, comme l’a relevé Benazra [3] emprunte des quatrains à l’ensemble des 10 centuries à partir de 1591 (pour 1592), soit six ans après la prétendue édition de la Bibliothèque de La Croix du Maine, à Lyon, chez B.Honorat et encore les premières éditions ne sont-elles pas celles de Benoist Rigaud mais de Jaques Rousseau. Bien évidemment, l’idée d’une parution réelle des Centuries en 1568 est à abandonner. Dans le meilleur des cas, elle ne saurait être antérieure à la période de la Fronde mais plus probablement postérieure à la mort de Louis XIV en 1715 et le début de la Régence. On sait que parut alors à Avignon une édition Pierre Rigaud 1566 à dix centuries. En tout état de cause, il eut été plus heureux, dans un certain souci de vraisemblance, de faire paraitre la Bibliothèque(antidatée) de Du Verdier au moment de la sortie du Janus Gallicus (1594-1596), ouvrage qui s’articule, notamment, sur les 10 centuries, le dit Du Verdier étant mort en 1600. A dix- douze ans près, la contrefaçon aurait pu donner à la rigueur, du moins dans un premier temps, le change[4].
Mais précisément, tout indique que le rédacteur de l’entrée Michel Nostradamus a le Brief Discours de la Vie de M. Michel de Nostredame sous les yeux sous la forme qui est la sienne dans le Janus Gallicus de 1594. On nous indique, en effet, dans Du Verdier que Nostradamus« a escrit des Almanachs & Prognostications chaque année depuis 1550 iusques à 1567, estant décédé le 2. jour de juillet 1566 lesquels almanachs ont esté impr. (sic) A Lyon avec les présages par Iean Brotot & Ant. Volant & par Benoist Odo comme aussi à Paris. Plus Dix Centuries de propheties par Quatrains qui n’ont sens rime ne langage qui vaille [impr. à Lyon par Benoist Rigaud 1568 »
D’où le rédacteur a-t-il appris que les almanachs se succédaient de 1550 à 1567 sinon de la lecture du passage suivant : « Nous avons de luy d’autres présages en prose faits puis [lire depuis] l’an 1550 iusques à 67 ». Cette durée de temps n’est fournie que dans le Brief Discours et ses rééditions. En effet, par la suite, la période couverte par les quatrains présages sera toujours de 1555 à 1567. Seule la connaissance du Recueil des Présages Prosaïques (1589) peut sous tendre une telle information et il ne semble pas que le rédacteur de l’article (qui fait une demie-page) soit allé très loin dans ses recherches, changeant le nom d’Antoine du Rosne en celui d’Ambroise du Rosne, par exemple, pour la Paraphrase de Galien, information figuranat dans l’entrée correspondante chez La Croix Du Maine. Le dit rédacteur est en outre d’une précision extrême et quasi surréaliste quant à la date de décès du dit Nostradamus : le 2 juillet 1566, information qui également figure certes sur l’épitaphe (ce que reconnait La Croix du Maine lequel pourtant se dispense de préciser le jour du mois) mais laquelle épitaphe est aussi reprise dans le Brief Discours. On conçoit que le rédacteur de l’article Nostradamus chez Du Verdier mentionne le mot Centuries lequel est en bonne place dans le dit Discours. Le rédacteur, à l’évidence, effectue un travail de seconde main alors que celui de la Bibliothèque de La Croix du Maine nous fournit des informations quant au rôle de Dorat dans le commentaire des quatrains d’almanachs qui nous semblent plus directement reçues et que le rédacteur Du Verdier ne reprend pas, faute de disposer d’imprimés dans ce sens[5]. Le dit rédacteur ne mentionne pas le cas de Michel Nostradamus le Jeune auquel La Croix du Maine consacre une notice qui le présente comme le fils de Michel de Nostredame.
Le milieu du XVIIe siècle nous semble correspondre au contexte dans lequel un tel texte est rédigé ou en tout cas complété, dans ce qui pourrait avoir été une deuxiéme édition, la troisiéme étant celle de 1772, avec les additions de Rigoley de Juvigny.. En effet, les Centuries ne sont associées à l’année 1568 qu’à partir des éditions Pierre du Ruau, dont une est datée de 1605, cette date de 1568 n’étant pas revendiquée par Pierre Rigaud dans ses éditions des Centuries, vers 1600. L’édition datée de 1605 retient toute notre attention. Elle comporte les sixains dont une Epitre à Henri IV datée de cette année là. Le titre en est Les Prophéties de M. Michel Nostradamus reveues & corrigées sur la coppie imprimée à Lyon par Benoist Rigaud. 1568. Le nom du libraire n’apparait pas mais la présentation en est très proche des éditions Du Ruau qui paraissent sous la Fronde. Les éditions que nous connaissons comportent la mention à la Xe centurie « adioustées depuis l’impression de 1568 » pour ce qui est du quatrain cryptogramme relatif à l’année 1660. Nous pensons que ces éditions augmentées datent des années 1644 mais se référent à une édition parue vers 1605 et c’est cette édition qui est prise en compte par le rédacteur du supplement à la notice Nostradamus de la Bibliothèque de Du Verdier, elle-même citée en 1610 dans le Mercure de France (p. 437), ce que note Giffré de Réchac dans l’Eclaircissement des véritables Quatrains, de 1656.(pp. 73-74). En fait, nous pensons que seule la seconde partie de la notice devait figurer dans la première édition, laquelle est quelque peu redondante par rapport à la première partie (qui va jusqu’à la date de 1568), laquelle aura été rajoutée, en tête, au milieu du XVIIe siècle, à partir d’éléments tirés de La Première Face du Janus François ou tout bonnement d’une édition des Vrayes Centuries et Prophéties qui reprend le dit Brief Discours, sous le titre de Vie de l’auteur, série qui parait à partir de 1649-1650.
Dans la présente étude, nous démontrerons que la mode du centurisme prophétique n’est pas attestée avant le milieu des années 1580 et que le centurisme poétique d’un Guillaume de La Perrière reléve d’un autre genre, confusion qui aura conduit à planter le décor d’une édition des Centuries chez Macé Bonhomme éditeur du dit La Perrière.
Jean Belot s’explique d’ailleurs, en 1624 sur les différentes acceptions du mot « centurie » in Familières instructions, ouvrage qui se vend chez Nicolas Bourdin à Paris, dans une Seconde partie (….) auquel est traité de la Physionomie, métoposcopie & oneirocratie. On retrouvera repris ce distinguo dans les différentes éditions des Œuvres du dit Belot, jusqu’en 1704.

‘ » Ma question estoit scavoir que serait la longueur de la vie de ce Prince (..) je fis cette figure donc apres icelle faite, je fis ces quatrains pour faire entendre à mes amis les significations de cette figure & les choses promises à ce jeune Prince lesquels quatrins nous nommons centuriels pour lesquels separer par cette nomination de familiers quatrins faits par les Poétes communément bien que cette diction Centurie se dérive de cent & qu’il y ait icy nombre de cent, cette figure t’instruira de faire semblable, amy Lecteur[6]
Jean Belot, curé de Milmonts, on le note, fait état d’un autre usage que celui des quatrains poétiques auxquels il oppose les quatrains que l’on pourrait qualifier de prophétiques, d’oraculaires et que lui-même ne qualifie pas de poétiques. Or, nous avons tendance à qualifier un peu vite tout texte rimé de « poésie ». Il importe de démystifier l’usage du quatrain qui relèverait d’une sorte d’exercice que tout honnête homme est censé, du moins à l’époque, pouvoir pratiquer avec aisance. Comme le dit Belot, on « fait » des quatrains dans le cadre d’une consultation privée et donc en vue d’un usage ponctuel.
Mais il convient de noter que Belot ne propose pas ici une astrologie articulée sur les données astronomiques, comme dans son almanach, d’où la présence de l’exposé au sein d’un traité de Physionomie. Le curé de Milmonts propose de monter un thème à partir d’autres éléments, ce qui montre que déjà au début du XVIIe siècle, le divorce astrologie-astronomie est en marche.
Citons de Belot, au regard de l’usage du mot « centurie », l’Almanach pour 1622, posthume et réalisé par le sieur de la Chabinière, Paris, Fleury Bourriquant, chaque quatrain mensuel étant qualifié de « centurie » mais cela peut englober aussi les formules en prose qui émaillent le calendrier et surtout, au regard du titre, les Centuries prophétiques, revelées par sacrée theurgie et secrette astrologie à M. Jean Belot,... Auxquelles centuries est prédict les événements, affaires et accidents plus signalez qui adviendront en l'Europe aux années suivantes jusques en l'an 1626 , Paris, A. Champenois, 1621, dont de nombreux exemplaires ont été conservés. Cet ouvrage n’est pas signalé par Benazra qui avait pourtant cité Belot dans un passage consacré au mot « centurie ».
De quand date un tel usage ? Il faut ici distinguer l’usage divinatoire du quatrain et sa qualification de « centurique ». Du temps de Nostradamus, le quatrain ne s’appelle pas encore centurie. Le seul cas dans ce sens est celui des éditions des « Centuries » dont nous avons montré qu’elles n’avaient pas existé avant les années 1580. En revanche, quarante ans plus tard, cet usage sera entré dans les mœurs encore que Belot ne distingue pas les quatrains des Centuries de Nostradamus des autres. Il est vrai que dans les années 1620, on est période de basses eaux pour le centurisme nostradamique, à mi chemin entre deux âges d’or, celui de la Ligue et celui de la Fronde. Les éditions de La Rochelle 1627 sont des contrefaçons des années 1640-1650.
La première attestation de l’usage du mot « centurie » pour désigner explicitement et nommément un quatrain présage ou plus exactement un présage annoncé par un quatrain, se
situe vers 1586, dans la Première centurie des choses plus mémorables, qui sont à advenir depuis l'an mil cinq cens quatre-vingts et sept jusques à la fin de la douziesme centurie, présagée pour trente-six ans, extraictes des plus illustres mathématiciens, mise en lumière par Conrad Leovitius,... selon le calcul de M. Imber de Billy, à Paris, chez L. Du Coudret et ensuite chez sa veuve. Le titre est assez confus puisqu’en fait il s’agit en principe de 12 centuries couvrant 36 ans mais nous ne connaissons que des éditions à 4 centuries couvrant 12 ans, à partir de l’an 1587 (et sur d’autres pages de titre de l’an 1588, sans que le contenu change en quoi que ce soit). C’est, en fait, le XVIIe siècle qui popularisera ce terme, avec Jean Belot et Pierre de Larivey (mort en 1619), et leurs successeurs, dans les années 1620, Larivey laissant entre autres un recueil de 6 centuries de 100 quatrains, calqué sur les recueils pseudo-nostradamiques en ce sens qu’il ne s’articule sur aucune chronologie précise, à la différence de l’œuvre du dit Conrad Leovitius( anagramme C. Volant et devise anagramme « Ainsi soit il du Vin »), laquelle se réfère, en son titre, à Himbert de Billy, un des noms de Corneille de Montfort/Blockland avec celui de Sieur de Cormopéde[7][8], lequel dans son Almanach des almanachs le plus certain, pour l'an bissextil MDXCII, l'an des merveilles et d'estrange remuemnt avec ses amples predictions / prinses du bas Alemand du Seigneur de Cormopede,... ; et mises en langue françoise par Joachim van Gheele ; vers de CL. M. V., P. E. G., B. Van Schore... [et al.] Lyon : par Jean Pillehotte, 1592, qui reparait pour les années 1593 et 1594 n’utilise pas le mot « centurie » mais recycle – tout en présentant ce qui serait une traduction de l’allemand par un certain Van Schore- des quatrains issus des dix centuries des Prophéties de M. Michel Nostradamus, donc dès 1591, ce qui se conçoit par rapport à l’édition Cahors 1590 à deux volets. De même, dans son almanach pour 1587, Himbert de Billy utilise-t-il – selon un recyclage qui évoque la méthode Chavigny mais qui était déjà à l’œuvre chez Barbe Regnault dans les années 1560 avec ses faux almanachs de Nostradamus[9]- trois quatrains issus des seules premières centuries, sans les qualifier comme telles (IV 18 pour février, III, 20 pour septembre et I, 67 pour décembre 1587, selon une inscription manuscrite sur l’exemplaire de BNF Gallica), ce qui témoigne du chemin parcouru entre 1586 et 1591, passant de 4 à 10 centuries alors que, cinq ans plus tôt, dans son almanach pour 1582, il ne semble pas avoir encore eu connaissance d’une telle source.. Précisons toutefois que les emprunts en question ne fournissent pas leurs sources et encore moins le numéro du quatrain et sa centurie. On connait toutefois un almanach de Marc Colony pour la même année 1582 qui reprend bel et bien un quatrain que l’on retrouve à la fin de la Ive centurie du dit Nostradamus (IV, 78). Nous pensons que ce quatrain a été emprunté par les rédacteurs de l’addition à la Ive Centurie, laquelle s’arrêtait au 53é quatrain. On peut aussi se demander si ce n’est pas l’usage que fait un Conrad Leovitius (à ne pas confondre avec le fameux Cyprian Leovitius) du mot « centurie » qui est repris lorsque l’on décide de « diviser » les 349 quatrains, d’abord parus à la suite, sans subdivision, en quatre centuries.

Cette piste « conradienne » (prénom à consonance germanique) n’a pas été exploitée par Chomarat ou Benazra en dépit de l’usage au titre, à deux reprises, du mot « Centurie ». Ils n’ont pas cherché à retrouver des exemplaires complets mais ils ont identifié les quatrains comme étant issus des almanachs. Le nom d’Himbert de Billy, pourtant utilisateur de quatrains nostradamiques n’a pas été non plus recensé dans les deux bibliographies des chercheurs lyonnais, comme dans le cas de l’almanach pour 1587. Pas de mention non plus de Marc Colony, alors qu’il se sert d’une vignette typiquement nostradamique comme d’ailleurs son « père » Jehan Maria dès les années 1570, ouvrages pourtant bien représentés à la Bibliothèque de Lyon...
Pourtant, les deux bibliographes citent des passages de la Première Centurie du dit Conrad Leovitius sans les identifier comme tels. En effet, par un concours de circonstance, cet ouvrage a été placé à la suite d’une publication de Crespin, Prognostication astronomique pour six années, à partir de 1586, mais sans son titre ni ses premières pages, avec cependant à deux reprises le mot « centurie » : troisième centurie, quatrième centurie. Mais ces centuries n’incluent pas des quatrains des Prophéties mais des quatrains présages, ce qui semble indiquer que Conrad Leovitius n’est pas influencé par les « Centuries », même s’il se sert des quatrains des almanachs qui ne sont pas classés en centuries mais qui sont disponibles, pensons-nous, par le biais de Jean Aimé de Chavigny lequel est en possession de ce que l’on connait sous le nom de Recueil des Présages Prosaïques et qu’il entendra publier en 1589, à Grenoble. Seul un manuscrit nous est parvenu d’un tel projet. Nous pensons que Chavigny alimente un certain nombre de faiseurs d’almanachs. Ce qui est avéré, c’est qu’il est proche du sieur de Cormopéde, puisque ses initiales apparaissent dans une adresse à l’auteur en tête de l’almanach des Almanachs pour 1592 et pour 1593 : « Ad D. Cormopedium clarissimum nostri temporis mathematicum de Iano suo ex. N. » On note l’usage par Chevigny/Chavigny du mot Janus dès 1591. Chavigny accorde à Cormopéde les termes de l’épitaphe de Michel de Nostredame de plus grand astrologue de son temps..
Rappelons aussi que la septième centurie ou la sixième centurie bis, dans les éditions parisiennes de 1588 et 1589 sera constituée par les quatrains de l’almanach de Nostradamus [10]pour 1561, avant qu’on ne renonce à un tel emprunt, dans les éditions Rouen 1589 et Anvers 1590. Il y avait donc bien un accès au cours de la décennie 1580 aux quatrains des almanachs, ce qui débouchera sur la Première Face du Janus François (1594). ...
Nous penchons donc pour distinguer la question des emprunts de quatrains à une première édition nostradamique non encore centurisée – conservée par une édition de Rouen, chez Raphaël du Petit Val, 1588 (Grandes et merveilleuses prédictions), édition au demeurant décrite mais actuellement introuvable tant pour l’original que pour les copies, et dont la page de titre avait été reproduite il y a 30 ans dans l’édition française du Testament de Nostradamus, laquelle en comporte une description partielle- publication rouennaise d’ailleurs curieusement porteuse du titre « divisée en quatre centuries » alors que ce n’est pas le cas de son contenu. Cela montre bien que le mot « centurie » a été rajouté dans un deuxième temps et selon nous à la suite de la sortie de la Première Centurie de Conrad Leovitius. Ce dernier utilise certes des quatrains nostradamiques mais ce ne sont pas ceux qui sont situés dans les Prophéties de M. Michel Nostradamus.
Le scénario nous semble avoir été le suivant :
1 emprunt par Conrad Leovitius de quatrains d’almanachs fournis par Chavigny qui plaide en faveur de leur recyclage, comme on le voit dans le Janus Gallicus où il prend clairement position dans ce sens ;
2 Usage par le dit Conrad du mot « centurie » pour désigner tel ou tel quatrain, en rapport avec une série de trois années consécutives.
3 Adoption du mot « centurie » par les éditeurs des Prophéties de M. Michel Nostradamus pour ranger les quatrains cent par cent, quitte à compléter la quatrième centurie. Mais cette fois, les quatrains ne sont pas liés à un quelconque schéma chronologique, ce qui correspond à l herméneutique chavignienne. En fait le mode d’emploi des quatrains figure en tête du commentaire de La première Face du Janus François.
4 Au siècle suivant, Jean Belot et Pierre de Larivey et leurs successeurs, respectivement La Chabinière et Pierre de Larivey le Jeune (cf infra) utiliseront couramment le mot centurie, par référence aux centuries de Nostradamus.
C’est dire que l’usage du mot « centurie » dans l’œuvre nostradamique avant les années 1587-1588 est totalement exclu, ce qui disqualifie les éditions « centuriques » datées de 1555 à 1568, du fait même qu’elles sont rangées en centuries ;.
Il convient de rappeler, par ailleurs, le cas de l’Ecclesiastica Historia, compilaton latine mieux connue sous le nom de Centuries de Magdebourg qui paraissent à Bâle, chez J. Opporin, à partir de 1559, avec trois premières centuries, correspondant aux trois premiers siècles de l’ère chrétienne et s’étalant sur une quinzaine d’années, jusqu’à une treizième centurie, publiée en 1574, ce qui couvre 13 siècles jusqu’en 1298.. Cette production bâloise à proximité de la Franche Comté[11] où sévit Himbert de Billy, popularise le mot « centurie » dans les milieux théologiques chrétiens, comme en témoigne encore en 1630 l’ouvrage de François Véron, Preuves des vérités catholiques, notamment à propos de la question des miracles, qui fait polémique avec les auteurs réformés. Mais l’on trouve des extraits de ces Centuries sous le nom de Chroniques de Magdebourg dans la littérature prophétique française[12], et notamment à la suite de l’Epitre au duc d’Alençon (due selon nous à Nostradamus et datant de 1563 probablement), dans l’édition Paris 1571 des Présages pour 13 ans, dirigée par Michel de Nostradamus le Jeune, à propos du prénom prédestiné « Charles » porté par Charles Ix...
Quand on sait que Chavigny avait des ambitions d’historien, l’on peut penser qu’il ait pu emprunter ce terme, c’est une autre piste. Mais notre Conrad Leovitius peut avoir été tenté de recourir au mot « centurie » pour qualifier non pas des périodes révolues mais des périodes à venir car comme le note Auguste Jundt dans son texte sur le Centuriateurs et Chroniqueurs de Magdebourg[13], le mot centurie vient ici du fait que cette production était organisée par siècle, donc en rapport à un nombre d’années et non pas de pièces. Mathias Flacius (1520-1575), le maître d’œuvre de cette entreprise « adopta la division par siècles ; d’où le nom de Centuries donné à son ouvrage »
Un autre personnage marque les années 1610-1620, c’est Pierre de Larivey, lequel avait publié dès les années 1580 sous le nom de Claude Morel.
Or, au début des années 1620, à la mort de ce Pierre Larivey, va se produire un phénoméne qui évoque étonnamment ce qui se passa à la mort de Michel de Nostredame en 1566, un demi-siècle plus tôt/
Le neveu de l’astrologue, un certain Pierre Patris, allait lui succéder sous le nom de Pierre Larivey Le Jeune. /
Nicolas Cooper résume ainsi la situation [14]: « Pierre Patris prit la reléve de son oncle et continua la série des almanachs pour chacune des années 1621 à 1626. Patris les vendit à l’éditeur troyen Jean 0udot mais le roublard neveu (…) adopta le nom de son bienfaiteur »
Cooper rappelle d’ailleurs que selon Louis Morin, le premier Larivey aurait pu contribuer à l’édition troyenne des Prophéties au début du XVIIe siècle, tant il était doué pour composer des quatrains. Mais nous avons montré que ces éditions 1605 et 1611 étaient antidatées. Larivey en produira notamment un ensemble de 600, répartis en six centuries dont Cooper annonçait[15] qu’il envisageait une édition critique, qui ne semble pas être parue, il a 20 ans. Six centuries des prédictions de Pierre de Larivey, ci devant nommé Claude Morel, esquelles se voit représenté une partie de ce qui se passe en ce temps tant en France, Espagne, Angleterre qu'autres parties de l'Europe : Lyon, 1623
Six pistes auraient pu être mieux exploitées par l’école lyonnaise des années 1980-1990. La première consistait à réunir toutes les prédictions dont la page de titre reprenait peu ou prou le style de vignette des Pronostications de Nostradamus et même celle des éditions des Centuries datées de 1555, 1557, 1560 ou 1568 et l’on aurait alors trouvé quelque chose chez Colony, chez Belot. La deuxième aurait rassemblé les pages de titre comportant un quatrain ou dont le calendrier comportait des quatrains mensuels, pratique non attestée chez Nostradamus mais que l’on observe assez couramment dans les années 1570, chez Florent de Crox, chez Jehan Maria Colony. La troisième aurait impliqué d’étudier la production globale de tel libraire ayant publié du Nostradamus. On aurait eu grand avantage à passer en revue toute la production de Benoist Rigaud dans le domaine des almanachs et pronostications. Il est clair que l’on ne saurait exagérer le rôle de ce libraire non pas tant en ce qui concerne Nostradamus que ce qui gravite autour de son nom. On pense ainsi au recueil factice de la BNF pV 385-387 qui comporte des présages de Billy, Morel et Fabri pour la même année 1582 parus chez le même Benoist Rigaud. A cette date, Nostradamus est bien loin des préoccupations du libraire lyonnais, prétendument agent d’une édition datée de 1568.. Il ne reviendra à Nostradamus que dans les années 1590, sur le tard. La quatrième aurait retenu les titres comportant le mot centurie ou les pièces découpées en un certain nombre de « centuries » et là encore l’exemple de Belot se fut présenté.
La cinquième aurait consisté à identifier les quatrains de Nostradamus, qu’il s’agisse de ses almanachs ou de ses «centuries » chez divers faiseurs d’almanachs, ce que R. Benazra a effectué à une petite échelle, chez Cormopéde pour les quatrains-présages ou (sans identifier l’œuvre) dans des déjets de la Première centurie de Conrad Leovitius
La sixième piste est celle des collections d’almanachs notamment au XVIIe siècle, conservées notamment à Paris, pour étudier les traces d’une influence nostradamique ou/et centurique. C’est ainsi que l’almanach de Mathurin Questier pour 1644 recourt au mot centurie et aux vers pour chaque lunaison. (BNF V 30116), en l’occurrence des stances de cinq vers, à la suite de 12 quatrains pour le calendrier..
Ajoutons qu’il importe de respecter un certain nombre de cadres : il convenait de suivre de près la fortune du mot « centurie », de déterminer à partir de quelle date, le terme circule dans le champ proprement astro-prophétique. Par ailleurs, chaque régne a sa propre logique interne. Sous le jeune Louis XIII, il ne fait pas sens de fixer une échéance comme 1660. Nous avons trouvé un quatrain cryptogramme dans le style de celui figurant à la fin de la centurie X, dans les nouvelles centuries et estranges predictions du curé de Milmonts [Belot], sur la venue des Reistres et nouveaux remuemens de France tireés depuis peu de son Ephemerides, Paris pour l’autheur 1622.
« Quand on verra un V, entre deux pyramides
Deux fois trois C, un 2 & deux siseaux ouverts
Les Rebelles de France & les Raistres perfides
Serviront de carcasse & de pasture aux vers »
On voit qu’un tel quatrain parait en dehors des Centuries de Nostradamus. Un quatrain du même acabit pour 1660 a du circuler à la naissance de Louis XIV puis être récupéré au sein du corpus centurique, comme ce sera le cas dans les éditions troyennes. Croire que le quatrain cryptogramme pour 1660 ait été intégré dans le dit corpus dès le début du XVIIe siècle (1605, 1611), c’ est commettre un anachronisme..


JHB
03. 09. 12


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[1] Le texte prophétique en France. Formation et fortune, Ed du Septentrion 1999
[2] Reure, Claude-Odon : « Le bibliographe Antoine Du Verdier (1544-1600) « , "Revue du Lyonnais", juillet 1897
[3] RCN pp 129 -130
[4] J. Halbronn « Jean Dorat et la « miliade » de quatrains »
[5] On n’a pas trace d’un tel commentaire.
[6] R. Benazra rapporte une partie de ce texte dans une réédition tardive de 1654, cf RCN, p. 230
[7] Cf article Wikipedia sur Blockland, compositeur et astrologue cf Benazra, RCN, pp. 129-130
[8]
[9] Cf recension des quatrains antérieurs in Benazra, RCN, pp. 58 et seq Almanach pour 1563
[10] Cf Benazra, RCN, pp. 116-117 et Chomarat, Bibliographiie Nostradamus, pp. 76-77
[11] Cf nos travaux sur Salomon Trismosin, dont une étude à paraitre in Revue Française d’Histoire du Livre , 2012
[12] Cf Le texte prophétique en France, formation et fortune, Ed du Septentrion, 1999, propheties. It et SUDOC
[13] Les Centuries de Magdebourg ou la Renaissanc de l’historiographie ecclésiastiqu au xVIe s Paris, 1883
[14]
[15] Colloque « Pierre de Larivey, (1541-1619), Champenois, chanoine, traducteur, auteur de comédies et astrologue », (dir. Y. Bellanger), Paris, Klincksieck, 1992

 
 

108 - Introduction à une Histoire de la bibliographie nostradamique des origines à nos jours (Première Partie, jusqu’à l’Eclaircissement de 1656)
Par Jacques Halbronn

Par Jacques Halbronn
Il semble que le temps soit venu d’étudier les étapes et les aléas de la recherche bibliographique relative au corpus nostradamique depuis le temps de Nostradamus jusqu’en 2012. Encore convient-il de s’entendre sur le terme « bibliographie » en y incluant les mentions rétrospectives, les contrefaçons et les recensions comme celles que l’on trouve dans les Bibliothèques de La Croix du Maine et de Du Verdier. Curieusement, les ouvrages de Benazra et de Chomarat ne comportent pas un tel historique, même si telle ou telle notice peut, à l’occasion mentionner des travaux de cet ordre. Il est clair que la bibliographie ne se définit pas par la localisation des exemplaires, laquelle relèverait plutôt des catalogues de bibliothèques lesquels peuvent de fait fort ressembler à des bibliographies. D’ailleurs, bien des bibliographies ressemblent à de tels catalogues avec tout ce que cela suppose d’incomplet et d’insuffisant sur le plan critique. On pourrait aussi parler de l’évolution des représentations bibliographiques concernant le dit corpus. En fait, ce serait un excellent sujet de thèse universitaire, à l’heure qu’il est. Nous montrerons notamment que certaines avancées de la recherche bibliographique nostradamique n’ont pas été immédiatement enregistrés/ Ce fut notamment le cas des travaux d’Eugène Bareste, en 1840, qui furent sans effet sur les travaux d’un Torné Chavigny ou d’un Le Pelletier, dans les décennies qui suivirent. (cf. infra)
Il convient de distinguer notamment entre les recensions bibliographiques qui ne font que reproduire de précédentes recensions, en reproduisant certaines erreurs, voire en en commettant de nouvelles et les recensions qui sont effectuées à nouveaux frais, encore que l’on ait souvent un mélange des deux « méthodes ». Quand nous parlons de recensions, cela peut revêtir diverses formes : une liste de publications en annexe, des œuvres d’un auteur ou de plusieurs- ou la mention de divers textes en cours de route voire simplement au titre.
Cela dit, cela fait déjà longtemps que les biographies de Nostradamus empiètent sur le champ bibliographique, annonçant allégrement qu’en telle année Nostradamus a publié tel ouvrage.
Il reste que dans le cas de Nostradamus, on ne nous signale pas avant la parution en 1584 de l’article Michel Nostradamus dans la Bibliothèque de La Croix du Maine de tentative bibliographique rétrospective. On aurait pu s’attendre à ce que des notices de ce type aient existé à sa mort en 1566. Cependant, on voit paraitre des ouvrages qui se disent extraits de la bibliothèque du défunt, notamment par la « diligence » de Michel Nostradamus Le Jeune. Il s’agit de prédictions d’an en an pouvant couvrir une vingtaine d’années, comme celles qui sortent en 1568, à Rouen, mais commencent en 1564 sans que l’on sache si elles sont parues avant 1568, ni si l’Epitre au duc d’Alençon, est de Nostradamus ou du dit Nostradamus le Jeune. Mais en tout état de cause, il ne s’agit pas en l’occurrence d’une recension des ouvrages déjà parus et imprimés comme cela sera le cas en 1584 et 1585 (chez Du Verdier)
Les années 1580 seront à l’évidence très riche sur le plan de la prospection bibliographique. On peut d’ailleurs se demander si la parution de ces Bibliothèques n’est pas en partie responsable de la production de contrefaçons ou de mention d’éditions inexistantes encore qu’il faille faire la part de certaines collections conservées par des bibliophiles ou par des libraires, d’impressions anciennes ..
Toujours est-il que les Bibliothèques de 1584-1585 sont très chiches en ce qui concerne les éditions des « Prophéties », au sens d’ensemble de centuries de quatrains, le terme étant par ailleurs utilisé comme synonyme de présages ou de prédictions. On ne mentionne ni Macé Bonhomme, ni Pierre Roux, ni Barbe Regnault auxquels dans peu de temps on attribuera des éditions parues du vivant de Nostradamus. Pour Antoine du Rosne et pour Benoist Rigaud, dont les noms en revanche, sont fournis, on notera que dans le premier cas, le nom de cet imprimeur ( alias Lyserot) n’est signalé que pour la traduction par Nostradamus de la Paraphrase de Galien (1557/1558), mais non pour les « Prophéties » de 1557 et que dans le second, nous avons montré qu’il s’agissait d’une interpolation du milieu du XVIIe siècle, les Rigaud eux-mêmes, dans les années 1590, ne mentionnant jamais une telle édition.
En revanche, les noms de libraires ayant publié des almanachs et autres pronostications sont assez nombreux si l’on réunit les notices de 1584 et 1585 :
Sixte Denyse (pour 1556), Antoine Volant, Jean Brotot, Benoist Odo, le premier nom, seul cité par La Croix du Maine, ne correspondant d’ailleurs à aucune édition conservée et le dernier ayant publié deux des derniers almanachs de Nostradamus (pour 1565 et 1567). Etrangement, Du Verdier signale aussi une série de textes qui seraient parus « entre 1550 et 1567 », sans autre précision : « a escrit des Almanachs & Prognostications chaque année depuis 1550 iusques à 1567 » Or, cette formule englobante ne figure que dans le ‘Brief Discours de la vie de M. Michel Nostradamus’, édité par Jean Aimé de Chavigny, dans la Première Face du Janus François - et ses reprises au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle- dont la première édition connue date de 1594, ce qui nous fait penser que nous avons affaire à une édition retouchée dans les exemplaires conservés et non à une première édition qui aurait pu ne pas être imprimée au final à la date initialement prévue de 1585 (cf le Privilége). A l’article « Jean de Chevigny », il est fait mention de l’édition 1570 de l’Androgyn, Lyon, Michel Jove. Nous connaissons un seul exemplaire comportant une épitre de Chevigny à Larcher qui est selon nous contrefaite en ce qu’elle comporte un quatrain référé d’après sa centurie alors que le mot centurie n’entre dans le champ nostradamique que vers 1587, au lendemain d’ailleurs de la parution, en 1586, des Poematia de Durat qui comporte le texte de l’Androgyn. Ajoutons que la notice de la Bibliothèque La Croix Du Maine relative à Jean de Chevigny mentionne un autre texte – Hymne de l’Astrée - de celui-ci adressé au même Larcher et en la même année, cette fois chez Benoist Rigaud, à Lyon.
Etant donné que le passage de Du Verdier sur les Centuries est attesté dans le Mercure de 1610, comme le signale l’Eclaircissement, il convient de situer l’édition revue et corrigée de la Bibliothèque de Du Verdier entre 1605, année d’une édition troyenne disparue des Centuries – dont on connait une réédition augmentée à la Xe centurie, datée de la même année mais se situant selon nous vers 1644- et 1610.
Nous avons évoqué les mentions dans la littérature centurique de supposées précédentes éditions, comme celle de 1555 à Avignon – ce qu’indique l’édition Anvers 1590- ou comme celle de 1560 pour l’année suivante d’une addition de 39 « articles ». Tantôt, cela en reste à des mentions, tantôt cela débouche sur la fabrication des éditions ainsi mentionnées, comme la pseudo édition Veuve Buffet correspondant à la dite édition augmentée à la « dernière centurie ». On a là un genre bibliographique qui produit ses propres sources quand celles-ci – et pour cause- font défaut. On pourrait parler d’un processus pseudo-bibliographique.
Que dire des mentions de la Préface à César dans l’Epitre à Henri II, datée de 1558 ? Cela reléve du même « genre »/. En revanche, les attaques contre Nostradamus d’un Videl, d’un La Daguenière, hostiles à Nostradamus citent des œuvres de Nostradamus au point que c’est par eux certains textes ont été parfois connus avant qu’on ne retrouve, dans certains cas, les originaux.
Tel est apparemment le bilan pour le XVIe siècle auquel il conviendrait d’ajouter accessoirement la mention dans l’édition allemande de 1572 d’une première édition française datée de 1552 de l’Excellent et très utile opuscule à tous nécessaire de plusieurs exquises receptes divisé en deux parties./
En ce qui concerne le XVIIe siècle, il faut attendre la mort de Louis XIII pour que se dessine un nouvel élan centurique, tant le prophétisme est fonction des tribulations de la monarchie.[7]. La Vie de Nostradamus est reprise du Janus Gallicus mais elle ne comporte pas de mention bibliographique précise. Les libraires troyens, sous le nom de « Pierre du Ruau » ne cessent de mentionner une édition Benoist Rigaud 1568 des 10 centuries et il faudrait s’interroger sur l’origine d’une telle information reprise dans l’édition augmentée de la Bibliothèque de Du Verdier encore que certains pourraient y voir l’origine de la dite information. Mais c’est en fait toute la question de la production de fausses éditions qui est ici posée : comment les libraires sont-ils choisis ainsi que les dates ? Dans le cas d’Antoine du Rosne, cela semble assez simple puisque le nom de Nostradamus était déjà signalé, notamment dans les Bibliothèques de La Croix du Maine et de Du Verdier, en tant qu’auteur d’une traduction paru chez le dit libraire et d’ailleurs c’est la même vignette qui sera reprise ainsi que l’année 1557.Dans le cas de Macé Bonhomme, cela tient probablement au fait que Guillaume de La Perrière ait publiés ses propres centuries chez ce libraire, l’année 1555 étant celle de la Préface à César et de la première année des publications de Nostradamus à quatrains. Barbe Regnault, quant à elle, a publié des almanachs de Nostradamus piratés au début des années 1560 mais aussi le Monstre d’abus de Jean de La Daguenière, en 1558, la Veuve Buffet un texte d’un disciple de Nostradamus. Pierre Roux est le libraire de la Déclaration des abus ignorances et séditions de Michel Nostradamus, de Laurent Videl, en 1558.
Quant à Benoist Rigaud, il a surtout publié des imitateurs de Nostradamus, d’Antoine Crespin au sieur de Cormopéde. En 1567, le libraire lyonnais, selon Brunet, aurait publié une Pronostication annuelle et perpétuelle (…) approuvée par maistre Michel Nostradamus. En 1572, Rigaud fait paraitre une nouvelle édition de l’Excellent et très utile opuscule, déjà cité. Pourquoi donc des libraires troyens auraient-ils publié des Centuries censées reprises d’une édition Benoist Rigaud 1568 ? Nous pensons que cela tient à une édition disparue datée de 1568 et probablement due à la « diligence » du fils de Nostradamus, Michel Nostradamus le Jeune, à partir de la bibliothèque du « défunt». On en a la preuve par la vignette correspondant au dit Nostradamus le Jeune. Le rédacteur de la notice Nostradamus augmentée de la Bibliothèque de Du Verdier l’aurait ainsi intégrée dans sa bibliographie, avant 1610. Nous en arrivons à l’Eclaircissement de Giffré de Réchac de 1656. La liste fournie (pp/29-30) comporte la Paraphrase de Galien dont le libraire est cité, ce qui a probablement été pris de Du Verdier mais Réchac est surtout précis en ce qui concerne les textes médicaux de Nostradamus. (pp. 29-30), une édition à Poitiers, 1556, une autre en 1557 chez Plantin, à Anvers.
La série des Vrayes Centuries et Prophéties à partir de 1649 va signaler en son titre des éditions de 1556 et 1558 : « reveues & corrigées suyvant les premières éditions imprimées en Avignon en l’an 1556 & à Lyon en l’an 1558 ». Par la suite, ces précisions disparaitront. Il semble que cela renvoie à une édition à 7 centuries d’une part et à 10 de l’autre, à moins que cela n’annonce pour 1558 que les trois dernières centuries.
Prenons désormais une autre voie en partant de la « Dissertation bibliographique sur les éditions les plus connues des Centuries de Nostradamus », reprise telle quelle du Nostradamus d’Eugène Bareste, paru en 1840, par Anatole Le Pelletier (in tome I Les Oracles de Michel de Nostredame dit Nostradamus. 1867[8]) Bareste signale d’abord l’édition Macé Bonhomme 1555. Il cite ensuite une édition Pierre Rigaud, à dater autour de 1600. Ce n’est pas une édition type 1566. En revanche, Bareste n’a pas trouvé d’édition Benoist Rigaud 1568. Il passe ensuite à une édition parisienne ligueuse de Pierre Mésnier 1589. On cite ensuite une édition du seul second volet datant de 1603 chez Sylvestre Moreau. Puis c’est le tour de l’édition troyenne 1605 ainsi que d’une autre édition Troyes Pierre Chevillot 1611 couplée avec le Recueil des Prophéties tant anciennes que modernes.
Bareste fait appel à Bellaud, début XIX siècle, pour dater de 1649 une contrefaçon datée de 1568 en raison de références à Mazarin. Mais il reconnait que tant l’Eclaircissement de 1656 que la Clef de Nostradamus de 1710 avaient abordé la question. Ensuite, c’est le tour de l’édition Leyde 1650 et celle d’Amsterdam 1668. Vient à présent Pierre Rigaud 1566 qu’il place au XVIIIe siècle et cela vaut la peine de le citer pleinement car ce texte fait date :
« Nous avons (…) un exemplaire d’une édition des Prophéties (Lyon, Pierre Rigaud, 1566) (..) Cette édition parait n’avoir été faite que dans le siècle suivant alors qu’elle porterait faussement la date de 1566. Il est probable que Pierre Rigaud ayant donné plusieurs éditions des Prophéties, l’exemplaire que nous avons sous les yeux appartient à une contrefaçon faite dans le XVIIe siècle (…) L’édition vraiment donnée par Pierre Rigaud, et que nous avons mentionnée ci-dessus est in 32, celle dont parlons maintenant et qui parait être la contrefaçon d’une édition authentique est in 18 »
Bareste a raison d’évoquer la tendance du XVIIe siècle à produire de fausses éditions si ce n’est que la notion d’édition authentique est très relative. Dans le cas de Pierre Rigaud 1566, il faudrait donc parler, du moins de notre point de vue de 2012, d’un faux de faux et qui plus est datant du XVIIIe siècle.
Bareste ajoute encore une liste d’éditions s’étendant de 1643 à 1839, soit jusqu’à la veille de son Nostradamus.
En fait, Le Pelletier semble avoir repris Bareste sans le comprendre car il n’en propose pas moins, comme si de rien n’était, dans sa « notice sur les textes-types » de se fonder sur Pierre Rigaud 1566 en dépit des mises en garde de Bareste, suivant en cela, d’ailleurs l’exemple de l’Abbé Henri Torné Chavigny.
Alors que Bareste déclarait ne pas connaitre d’édition Benoist Rigaud 1568, Le Pelletier, lui, va s’en servir conjointement au Pierre Rigaud 1566.
En 1867, paraissent les Oracles de Nostradamus (…) comprenant le Texte type de Pierre Rigaud (Lyon, 1558-1566) d’après l’édition princeps conservée à la Bibliothèque de Paris. Avec les variantes de Benoist Rigaud (Lyon, 1568) et les suppléments de la réédition de MDCV[9]

Le Pelletier complète son travail bibliographique par une étude des « Principaux Commentateurs de 1594 à 1864 » également repris de Bareste. (Notice bibliographique du Nostradamus) et il y ajoute les « Etudes sur Nostradamus » parues dans le Bulletin du Bibliophile de Buget à partir de 1860.
On aura compris que Le Pelletier ne tient pas le moindre compte des observations de Barets qu’il incorpore dans son ouvrage mais sans en apprécier vraiment la teneur critique. En pratique, ce sera bien l’édition Pierre Rigaud 1566 qui servira de référence. En 1862, Torné Chavigny publie une Réédition du Livre de Prophéties de Nostradamus, publié en 1566 chez Pierre Rigaud, à Bordeaux. Elle reparaitra en 1872, à Angoulême.[10]. Il ne semble pas que ces auteurs aient réalisé que Pierre Rigaud n’exerçait pas en 1566. Tout se passe comme si Benoist Rigaud, dans leur esprit au regard des dates d’édition, avait succédé à Pierre en réalité son fils. La religion de la date d’édition indiquée sur les pages de titre aura encore de beaux jours devant elle jusqu’aux bibliographies de Chomarat et de Benazra (1989 et 1990) incluses. Le cas Pierre Rigaud 1566 signalé dès 1840 n’aura pas vraiment servi de leçon 150 ans plus tard.
Abordons ce corpus sous l’angle de la production posthume ou du vivant de Nostradamus. Au XIXe siècle, il est clair que la thèse qui prévaut, sous le Second Empire, est posthume : 1566/1568 du moins en ce qui concerne les Centuries. C’est aussi ce qui ressort de la Bibliothèque de Du Verdier, quant à l’édition Benoist Rigaud 1568. En revanche, toute une série d’éditions, qui paraissent, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, parallélement aux éditions troyennes également vouées à 1568, mentionnent, quant à elles, les années 1556-1558, ce qui fait dix ans d’écart et nous place ipso facto du vivant de Nostradamus. De même à la fin du XVIe siècle, la tonalité est du vivant de Nostradamus : 1555, 1560, ce qui rend d’autant plus improbable la mention d’une édition 1568 en 1585.
On pourrait résumer ainsi : un seiziéme siècle plaçant en paralléle la production de quatrains d’almanachs et celle de quatrains en centuries, un dix septiéme siècle qui est partagé entre les deux positions : à Amsterdam « du vivant » et à Troyes « posthume » et au XVIIIE et XIX l’emporte la thèse troyennne Du Ruau posthume. En revanche, au XX siècle, c’est la thèse du vivant qui marque les biographies du fait notamment de la localisation d’exemplaires du XVIe siècle (Macé Bonhomm, Du Rosne etc) dans certaines bibliothèques, notamment dans les années 1980-1990


JHB
05. 09/12

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[1] Cf Benazra, RCN pp. 156-164
[2] Cf notre post doctorat, EPHE Ve section, 2007, sur propheties .it
[3] Cf nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Ed Ramkat, 2002
[4] ..voir H. Drévillon,. L' astrologie dans la France du Grand Siècle, 1610-1715, Champ Vallon, 1996
[5] Cf Benazra, RCN, p. 152 qui ne signale pas la dimension centuriqu de la pièce.
[6] Cf Benazra, RCN, pp. 399-400., Reed 1855, Marseille
[7] Le texte prophétique en France. Formation et fortune, Ed du Septentrion 1999
[8] Reed 1976, Paris, Jean de Bonnot, avec des notes de Serge Hutin.
[9] Cf Benazra, RCN, pp. 415 et seq.
[10] Cf Benazra, RCN, pp. 420 et seq

 

109 - Retour sur la production nostradamique entre 1600 et 1611
Par Jacques Halbronn

La première décennie du XVIIe siècle est notamment marquée par l’arrivée des sixains au sein des éditions centuriques, introduits par une épitre à Henri IV – Chavigny en avait précédemment consacrée une au souverain, en tête de la Première Face du Janus François, datée de 1594. Une édition troyenne datée de 1605 serait la première à avoir accueilli ces 58 stances. Si cette édition ressemble à celles qui paraitront par la suite sous la Fronde, [1] Benazra note (RCN, p. 156) à propos de cette édition, que « l’absence des quatrains relatifs à Mazarin (pourrait) confirmer l’exactitude de la date de 1605’. Cependant, force est de constater la présence d’une addition au 100e quatrain de la Xe Centurie concernant l’an 1660. Benazra écrit à ce sujet « Ce quatrain apocryphe n’en est pas moins prophétique : il prédit en effet la gloire du roi-Soleil ». Giffré de Réchac atteste en 1656, dans l’Eclaircissement, que ce quatrain figurait bien dans certaines éditions des Centuries et ce probablement depuis une douzaine d’années. Nos travaux sur le prophétisme (thèse d’Etat, 1999) nous conduisent à exclure l’éventualité de la présence d’un tel quatrain dès 1605. Nous avons d’ailleurs récemment signalé, hors des éditions centuriques - un cryptogramme de la même facture pour 1622, soit pour les 20 ans de Louis XIII.. Selon nous, l’édition 1605 dont nous disposons est antidatée ou plus exactement est retouchée, le quatrain cryptogramme porte la mention « adiousté depuis l’impression de 1568 ». Il y a du exister une édition datée de 1605 sans ce cryptogramme ou avec un autre cryptogramme pour les années 1620 comme celui que nous avons signalé.
De nouveaux éléments viennent conforter l’existence d’une édition troyenne parue autour de 1605, à savoir l’utilisation qu’en fait la Bibliothèque de Du Verdier dans une édition elle-même retouchée et portant la date de 1585, à propos d’une notice relative à Nostradamus, dans laquelle il parle de « Dix centuries de prophéties par quatrains », tout en citant des passages qui selon nous ont été pris au Brief Discours de la Vie De Nostradamus.(cf notre étude à ce sujet) de 1594. Il y a là un terminus a quo mais il y a aussi un terminus ad quem du fait que la notice (augmentée) du successeur de Du Verdier (mort en 1600)- avec son jugement sévère sur les dits quatrains qui a donc du en prendre connaissance en 1605- est reprise en 1610 dans le Mercure de France, à propos justement de la parution des Sixains. Mais rien ne prouve que les sixains figuraient déjà à cette époque au sein des éditions centuriques et on ne connait pas le contenu des sixains ainsi visés. L’édition d’origine de 1605 ne devait donc pas comporter les sixains ni bien évidemment le quatrain cryptogramme à la fin de la dixiéme et dernière centurie.
La période qui précéde est marquée par l’activité de Pierre Rigaud, demeurant rue Ferrandière à Lyon et publiant les Centuries- mais sans aucune référence à 1568 - et les Pléiades de Chavigny (1603, 1606) et le Discours Parénétique du même Chavigny. Mais ensuite, plus rien de la part de la maison Rigaud en matière nostradamique si ce n’est en 1614, par les soins de Simon Rigaud, de l’Histoire et Chronique de Provence de César de Nostradamus. Benazra signale (RCN, p. 164) une édition Benoist Rigaud, 1568, qui indique en son titre les 141 présages et les sixains. Il s’agit bien évidemment d’une contrefaçon. Par la suite, des éditions porteront le nom de Pierre Rigaud comme la célébre édition datée de 1566, produite au XVIIIe siècle, mais toujours sans les présages ni les sixains, ce qui contribuera à exclure peu ou prou les vrais quatrains de l’exégése nostrdamique des XIX et XXe siècles, comme si l’on avait voulu rompre avec le projet chavignien axé sur la réinterprétation des dits quatrains.
.. Il est vrai qu’après 1605 et ce coup d’éclat des sixains, il nous semble qu’il ait fallu attendre les années 1640 et la mort de Richelieu et de Louis XIII pour assister à un renouveau de l’élan centurique., ce qui est illustré par le monumental travail exégétique et largement resté inédit de Giffré de Réchac.[2] Nous ne pensons pas qu’il y ait eu une édition troyenne Pierre Chevillot des Centuries en 1611.
Paradoxalement, le nom de Rigaud ne disparait nullement puisque la série « Du Ruau » des éditions troyennes ne cessera de se référer à une édition 1568 dont la maison Rigaud ne fait pas état. Si l’on ajoute la production massive de contrefaçons justement datées de 1568 et associées au nom de Rigaud, l’on se rend compte que la contribution réelle à la production centurique aura été considérablement « gonflée », ce que n’a pus qu’amplifier la mention dans la Bibliothèque Du Verdier.
Cette édition 1605 reprend d’ailleurs tous les quatrains présages commentés dix ans plus tôt dans la Première Face du Janus François ainsi que les quatrains des éditions parisiennes de la Ligue. Elle comporte même le quatrain 100 de la centurie VI qui manque dans les éditions Rigaud mais qui se trouve commenté par Chavigny. On y a supprimé les doublons entre les présages et la centurie VII des éditions parisiennes. Elle comporte des mots en majuscules dans le style chavignien pour les quatrains présages et pour les deux volets, mais certains mots mis en majuscules dans les éditions Rigaud ne le sont pas dans l’édition Troyes 1605, notamment pour les premiers quatrains de la première centurie.
Dans l’ensemble, cette édition 1605 (ou du moins celle qui nous est parvenue sous cette présentation) se veut donc sensiblement plus compléte que l’édition Pierre Rigaud alors en vente, elle provoquera l’ire du dominicain. A ce propos, nous avons déjà noté combien il était bizarre que l’édition Pierre Rigaud (non datée) portât une adresse à Lyon, reprise d’ailleurs dans l’édition 1566 alors que celles (non datées) de Benoist Rigaud et des Héritiers Rigaud n’en avaient point, pas plus d’ailleurs que dans les éditions Benoist Rigaud Lyon 1568. Comment se fait-il que si peu de temps avant que ne paraissent les éditions Pierre Rigaud, l’indication de l’adresse n’ait pas existé à moins que l’écart entre ces éditions rigaldiennes n’ait été plus important qu’on ne le dit.
Les années 1602-1606 comportent des pièces dont l’intérêt a échappé aux chercheurs.
D’une part, en ce qui concerne les sixains, il faut impérativement citer le cas – inconnu de Benazra et de Chomarat- d’un certain Morgard ou Mauregard qui met son nom sur les 58 sixains, et les accompagne d’une clef qui ne sera pas reprise dans l’édition (retouchée) de 1605 ni dans aucune autre.[3] Prophéties de Maistre Noel Léon Morgard (…) présentées au Roy Henry le Grand pour ses estrennes en l’an 1600 etc.. Il est un des astrologues qui comptent comme l’atteste cette parodie, Rencontre et naufrage de trois astrologues judiciaires, Mauregard, J. Petit et P. Larivey, nouvellement arrivez en l’autre monde.À Paris, chez Jean Mestais, imprimeur, demeurant à la porte Saint-Victor.M. D.C. XXXIIII.[4]
En revanche, Benazra signale (RCN, p. 163) un manuscrit (BNF FF 4744) avec des sixains numérotés de 1 à 56., Prédictions de M° Michel Nostradamus pour le siècle 1600 présentées au Roy Henri IV au commencement de l’Année,titre proche de celui de l’imprimé Morgard.
. « Le manuscrit, note R. Benazra, indique la présentation de ces sixains à Henri IV non pas en 1605 mais au commencement du siècle en 1600 », ce qui correspond au titre de Morgard (cf supra). Ilest question, dans ce manuscrit, de Vincent Aucane de Languedoc et non de Vincent Sève de Beaucaire mais il ne s’agit que d’une dédicace et non d’une épitre et c’est aussi le cas pour les Prophéties de Morgard.. Mais nous avons montré qu’Henri IV se serait vu présenter des textes nostradamiques à l’occasion du bapteme du Dauphin, au Château de Fontainebleau – et non celui de Chantilly comme dans l’Epitre du 19 mars 1605 - qui eut lieu le 14 septembre 1606 (le retard était lié à une épidémie) et on trouve un quatrain inconnu attribué au dit Nostradamus dans Les Signes Merveilleux, Paris, Estienne Colin, 1606.
Giffré de Réchac, dans l’Eclaircissement de 1656, cite le Mercure de France de 1610 et signale que « l’original de ces sizains en a 132 » et non 58. Mais à ce stade, il est très improbable que les Sixains aient figuré en tant que troisiéme livret, comme le propose l’Epitre à Henri IV laqulle doit vraisemblablement être datée d’après la mort de Louis XIII. Il est vrai que le nombre de 58 semble dicté par une volonté de compléter les 42 quatrains de la VIIe centurie mais en pratique les sixains seront placés dans un troisiéme volet. A qui les doit-on ? Nous avons déjà signalé la récupération de divers quatrains dus à divers auteurs au profit de l’ogre centurique. On aurait donc dans un premier temps, comme on a dit, extrait 58 sixains pour compléter la VIIe centurie, c’est la seule façon d’expliquer que l’on soit passé de 132 sixains à 58. Le fait que ces 58 strophes soient réapparues, sorties de leur mise au secret, irait dans le même sens : cela complétait en quelque sorte la miliade, comme il est dit dans l’Epitre à Henri II. Que ces 58 strophes aient été offertes à un autre Henri peut faire sens. En ce sens, l’édition troyenne, du moins à partir de 1644n apparaitrait bel et bien comme étant enfin parvenue à un certain état de complétude. On se serait néanmoins attendu à ce que le rapport avec la Centurie VII ait été établi et exposé.
Si ces sixains ont fleuri du temps de Concini, mort en 1617, ils n’auront probablement pris le format de 58 strophes que par la suite pour n’etre intégrés dans un nouveau canon centurique qu’à la mort de Louis XIII, tout en se prétendant « présentés » sous Henri IV.
Morgard apppartient donc à une période pré-centurique des Sixains se situant du temps de Concini. Nous pensons que ces sixains ne correspondent pas à ceux visés par le Mercure de 1610 ou qu’en tout cas ils auront été par la suite retouchés. En tout cas, la version Morgard est semblable à celle du recueil centurique à trois livrets. On peut imaginer qu’elle ait été récupérée comme faisant partie des éléments restés au secret, bien après la disparition du dit Morgard. Le manuscrit de la BNF correspond à une étape de cette nostradamisation où le nom de Morgard est remplacé par celui de Nostradamus. Il reste que ce nombre de 58 quatrains, adopté par Morgard, n’est pas innocent. Peut être le dit Morgard avait-il, dans un premier temps, dans l’idée de les présenter comme étant de Nostradamus, complétant la centurie VII puis se sera ravisé. Mais l’occasion était trop belle pour que dans les annés 1640, les sixains nostradamico-morgardiens ne fussent récupérés, le nom de Morgard étant évacué.
En 1602, une autre cérémonie avait eu lieu, à Salon, à l’occasion du passage de Marie de Médicis, la mère du dit dauphin, relatée dans l’ Entrée de la Reine Marie de Médicis à Salon par César de Nostradamus, Aix, J. Tholosan [5]. César, autour du quatrain V, 38 « qui se trouve aux centuries de feu mon père » y fait la remarque suivante (p. 44) à propos d’un certain Bremond sieur de Penefort, Conseiller leur « vray génie et l’interpréte fatal ». Il s’agit du Conseiller au Parlement de Provence Bremond de Penafort.[6]
La présentation des Sixains dans l’édition 1605 renvoie au rôle de Nostradamus le Jeune :
Prédictions admirables pour les ans courans en ce siecle recueillies des Mémoires de feu M Michel Nostradamus, vivant Médecin du Roy Charles IX & l’un des plus excellens Astronomes (sic) qui furent jamais Présentées (…) par Vincent Séve etc.
A rapprocher de l’édition de 1568 :
« Prédictions pour 20 ans, continuant d’an en an (…) extraictes de divers aucteurs trouvée en la Bibliothèque de nostre defunct dernier decede (…) Maistre Michel de nostre Dame. A la supplication de plusieurs ont estés avec tres grand’diligence reveues & mises en lumière par M. de Nostradamus le Jeune, Rouen, Pierre Brenouzer.
En fait, l’édition de 1605 se référant à une édition de 1568 – elle porte le potrait de Nostradamus le Jeune en sa page de titre- est probablement inspirée par une pièce de ce type.
Quant à César de Nostradamus, hormis cette préface qui est censée lui avoir été adressée par son père, il ne figure même pas sur la page de titre des Centuries à la différence de son frère ainé. A moins que ce « Michel Nostrdamus le Jeune » ait été un neveu de Nostradamus, ce qui expliquerait qu’il ne figure pas dans le testament. Dans la lettre à Henri IV, il est question d’un « nommé Henry neveu dudit Michel » dont Vincent Sève aurait reçu « certaines Propheties ou Prononstications (sic) faictes par feu Michel Nostradamus ». Le « neveu » les aurait transmises avant de mourir et Séve les aurait « tenues en secret iusques à présent’, ce qui peut avoir été il y a fort longtemps avant la présente Epître..
Il convient en tout cas de rappeler que le XVIIe siècle fait cohabiter la version d’un premier fils de Nostradamus prénommé Michel et celle d’un César premier né. C’est notamment la position de l’Eclaircisssement de Giffré de Réchac (1656), reprise par Théophile de Garencières (Londres 1672) et c’était aussi en 1584 la position de la Bibliothèque de La Croix du Maine, qui consacre une entrée particulière à ce Nostradamus le Jeune, étrangement absent du testament de 1566 et du Brief Discours du Janus Gallicus, repris dans la série des Vrayes Centuries et Prophéties , à partir de 1649.
Le changement de siècle a pu apparaitre comme la fin des Centuries. Dans l’épitre à Henri V, on n’hésite pas à dire que les prévisions s’arrétaient en 1597, d’où l’importance d’un nouvel apport sous la forme de sixains pour couvrir le nouveau siècle 1600, il est question du troisième livret « non moins digne & admirable que les autres deux Livres qu’il fit dont le dernier finit en l’an 1597 ». Mais la thèse inverse allait l’emporter, qui intègrerait la totalité des quatrains nostradamiques, y compris ceux ayant servi de 1555 à 1567 et qui, du point de vue de Chavigny, pouvaient encore servir.


JHB
04. 09/ 12

 
110 - La double voie du nostradamisme
Par Jacques Halbronn

Nous percevons une dualité récurrente au sein de l’ensemble nostradamique. Le cas des deux frères ainés- Michel (le Jeune) et César- est emblématique tout comme le balancement entre ce qui est censé appartenir à la vie de Nostradamus et ce qui relèverait des lendemains de sa mort. On pourrait ajouter l’opposition entre une approche au premier degré de la bibliographie nostradamique et une autre qui fait la part de ce qui est fictif. Cette dualité est aussi celle des deux types de quatrains, ceux des almanachs et ceux des centuries, des publications annuelles et de celles allant d’an en an et couvrant ainsi sous un seul volume toute une série d’années, ou encore les deux faces de Nostradamus, celle de l’astrologue et celle du prophète, celle de l’authentique et celle de la contrefaçon enfin. On en arrive à des discours, à des récits biographiques très différents les uns des autres,
Si l’on revient sur les deux biographies, celle qui met en avant César comme l’ainé et celle qui place Michel (le Jeune) en tête de la fratrie, l’on a l’impression que nous avons très peu de certitudes dans le domaine nostradamique, que toute position est controversée. Mais l’essentiel nous semble être d’avoir conscience de ce que deux angles existent et qu’il n’est pas raisonnable de vouloir les combiner en niant cette dualité. Etrangement, chacun des camps en présence traite l’autre de favoriser l’imposture ou d’inventer quelque canular qui ferait surgir des contrefaçons à chaque tournant.

I L’affaire de l’ainé de la fratrie Nostradamus

On sait qu’il existe deux versions en concurrence de la liste des enfants de Nostradamus, Celle qui ignore Michel Nostradamus le Jeune semble être étayée par le testament de Nostrdamus qui a été conservé. Mais il semble que la Préface à César sous la forme qui nous en a été conservée soit en contradiction sur certains points avec le dit testament.
Dans ce testament il est en effet indiqué qu’aucun fils n’a encore été, en cette année 1566, «choisi » pour être l’heureux élu. Comment dès lors dans ce cas une préface datant de 1555, soit plus de dix ans plus tôt aurait pu être rédigée à l’intention de César, le statut d’ainé n’intervenant évidemment pas dans le choix de celui qui aura la charge de prendre la suite et de recueillir les pièces inédites. Encore moins, peut-on imaginer qu’un tel texte ait pu paraitre dès 1555. A l’évidence, ceux qui ont produit un tel texte ignoraient ou voulaient ignorer le testament de Nostradamus. On aurait pu à la rigueur envisager une telle épitre à César vers 1568, lettre posthume que Nostradamus aurait laissée derrière lui, à lire ultérieurement. Mais il se trouve que les dates des versions qui nous sont parvenues oscillent entre 1555 et 1557, jamais au-delà.. On peut aussi concevoir que le destinataire de la dite épitre n’était pas initialement indiqué. Nous y verrions une sorte d’avenant au dit testament s’il était daté d’après le dit testament. On note d’ailleurs que la date du Ier mars 1555 qui aura prévalu, correspond en fait au Ier mars 1556, ce qui la fait précéder le testement de quelques mois seulement. Ne serait-il pas envisageable que cette première mouture ait été ensuite remplacée par une autre, qui est celle du testament et qui serait revenu sur l’identité du fils élu, César rentrant dans le rang ?
Toujours est-il qu’à partir de 1568 un certain Michel Nostradamus le Jeune est présenté comme « mettant en lumière une série de prédictions d’an en an, issues de la bibliothèque du défunt. On ne dit pas, dans cette édition et les suivantes (1571) que ce Nostradamus junior en soit l’auteur ni même que l’épitre au duc d’Alençon soit du dit Nostradamus le Jeune. Débutant en 1564, ces prédictions annuelles ne relèvent pas d’un genre très élaboré. On y perçoir une certaine cyclicité des affectations planète/année, chaque année étant placée sous la domination d’un certain dieu, selon un certain ordre. D’ailleurs d’aucuns ont nié que Nostradamus ait pu produire un tel ouvrage et ont tenté de l’attribuer à cet « imposteur » de Nostradamus le Jeune. Ajoutons que dans la Bibliothèque de La Croix du Maine, il y a bien une entrée Michel Nostradamus le Jeune (absente de la Bibliothèque de Du Verdier) lequel est bien présenté comme le fils ainé de Nostradamus. Giffré de Réchac ne laisse aucun doute, en 1656, dans son Eclaircissement quant à l’existence de ce fils préféré qui n’a d’ailleurs pas à être l’ainé mais qui l’est vraisemblablement car c’est ainsi qu’il aura pu faire ses preuves. On ajoutera que le nom de César n’est pas indiqué sur les pages de titre des éditions comportant la dite Préface, sauf dans certaines de la fin du XVIIIe siècle. Au regard de l’empreinte bibliographique, Nostradamus le Jeune, qui revendique le prénom de Michel a une présence officielle sensiblement plus évidente que pour César dont nous savons que la préface ne parait en réalité que dans les années 1580. à la suite de la mort de son frère (en 1574). Il s’agit d’une sorte de remake qui s’inscrit dans un revival paternel mais ce remake implique que Nostradamus le Jeune n’ait jamais existé, qu’il n’ait pas déjà publié ce qu’il y avait à publier en son temps. D’où un Brief Discours de la vie de M. Michel de Nostredame qui constitue une contrefaçon biographique et donc bibliographique si ce n’est qu’une précédente version aura perduré, comme en témoigne la version anglaise de 1672. On sait qu le milieu du XVIIe siècle voit réapparaitre des pièces disparues ou oubliées. On note que dans cette nouvelle mouture du Brief Discours, le nom de la mère est supprimé de l’épitaphe et du récit. Ce n’est pas innocent. Il y a là un règlement de comptes qui passe par une contrefaçon du testament de 1566... Si l’on peut contrefaire et remplacer des imprimés a fortiori peut-on remplacer quelques pages manuscrites. Il semble en fait qu’il y ait eu plusieurs « copies » de ce document[1] signé le 17 juin 1566, donc possibilité de contrefaçon ou de retouche ?.


II Les prédictions d’an en an.


Si l’on examine le suivi bibliographique, l’on note que des textes sont réputés avoir été publiés en 1568. C’est une année clef et il n’y a rien d’étonnant à ce que cette date ait été retenue au XVIIe siècle (cf. l’édition 1605) comme ayant été celle de la production de textes posthumes. C’est dans une édition de Rouen, 1568, que Nostradamus le Jeune publie une série de prédictions pour 20 ans, démarrant en 1563 et comportant une épitre au jeune duc d’Alençon, texte qui peut fort bien avoir été de son père et qui constitue une pièce très importante en ce qu’elle vient compléter l’éventail de la production de Nostradamus : outre les almanachs et les pronostications annuels, Nostradamus aurait réalisé des séries de prédictions cycliques sur 20 ans, « d’an en an », sur une base beaucoup moins fouillée. En disqualifiant Nostradamus le Jeune, l’on en profitait pour exclure cette publication pluriannuelle de la production nostradamique alors même que l’on dispose de traductions italiennes, ce qui n’exclut pas d’ailleurs que ce travail ait pu avoir été effectué par des assistants, comme un Mi. de Nostradamus, comme d’ailleurs les quatrains des almanachs.
On trouve en effet Li Presagi et Pronostici di M. Michele Nostradamo quale principiando l’anno MDLXV diligentemente discorendo di Anno in Anno fino al 1570, et dont il semble bien que Nostradamus ait été lui-même l’éditeur , du fait de la double présence de son nom sur la page de titre. D’ailleurs, un des mérites de la Bibliographie Nostradamus de Michel Chomarat est sa collection de planches qui constitue à elle seule un ensemble très parlant, ce qui manque au RCN de Benazra. .
Le poème de Ronsard, repris dans le Janus Gallicus évoque le fait qu’il « a dez (sic) mainte année prédit la plus grand part de nostre destinée ». On est bien loin ici de ces Centuries non datées qui vont se substituer à ce genre.
C’est tout le problème de l’atelier de Nostradamus mis en évidence par la comparaison du Recueil des Présages Prosaïques et des imprimés correspondants.
On connait, au demeurant une autre épitre à Alençon, due à un Mi. de Nostradamus, dans une pronostication pour 1567, qui se déclare « disciple de Nostradamus » et c’est selon nous ce Mi. de Nostradamus (qui ne se dit pas Jeune et qui annonce qu’il va abandonner ce nom, à présent que Nostradamus est décédé, devenant probablement Florent de Crox) qui aura servi par la suite à nourrir des doutes concernant Nostradamus le Jeune. On aura fait l’amalgame.

III Les deux scénarios en compétition


La volonté d’éradiquer le rôle de Nostradamus le Jeune aura conduit à nier le fait que Nostradamus ait laissé quoi que ce soit à sa mort à publier. On va alors affirmer que tout était déjà paru avant sa mort, ce qui vide en partie le testament de sa substance. D’où cette Préface à César datée de 1555 et les éditions suivantes jusqu’en 1558, ces années correspondant aux premières années comportant des quatrains. On a fait fort. On aurait pu situer la chose dans les années soixante, juste avant la mort de Nostradamus. Eh bien non, les «Centuries » seraient parues dès 1555 et c’est ce qu’affirme l’édition de 1590, Anvers, qui précise même qu’elle seraient parues à Avignon, chez Pierre Roux (qui publie l’almanach de Nostradamus pour 1563, en Avignon) et cela vaudrait pour les 7 premières centuries. Mais même les autres seraient parues en 1558, à la veille de la mort d’Henri II. Tout aurait donc été bouclé avant le fameux tournoi fatal de 1559..Il ne se serait donc rien passé en 1568, si ce n’est des productions pseudo-nostradamiques comme celles d’un certain Mi/de ,Nostradamus le Jeune qui, en l’occurrence, ne prétend nullement être l’auteur de quoi que ce soit, se contentant de mettre en lumière.
Mais la thèse du vivant de Nostradamus va être battue en brèche dès le début du XVIIe siècle, après une phase triomphale dans les quinze dernières années du XVIe siècle, où l’on va même parler d’une addition datant de 1560, non sans risquer de s’embrouiller car l’épitre à Henri II de 1558 parle déjà de la « miliade » et est placée en tête des centuries VIII, IX et X. C’est un peu n’importe quoi, divers scénarios se croisant et se succédant, en une sorte de surenchère, chacun remodelant et réécrivant le passé à sa guise au sein même du camp « du vivant de Nostradamus », en espérant que les documents compromettants ne seront pas conservés. Il y a là un toilettage visant finalement à nier que le premier volet de 7 centuries s’est constitué en diverses étapes et que le second volet n’est apparu qu’au début des années 1590. On n’en a pas de trace avant, d’ailleurs sous la Ligue. C’est ainsi que l’on prend une ancienne édition et on la crédite des additions subséquentes sans autre forme de procès, comme dans Anvers 1590 à 7 centuries qui reprend le même schéma de référence à 1555 que l’édition à 4 centuries, selon toute probabilité (l’édition Rouen 1588 étant présentement inaccessible).
A Troyes, au siècle suivant on en revient à la thèse posthume et à Nostradamus le Jeune, dont le portrait de telle édition de 1568 est réutilisé pour les éditions à 10 centuries avec au titre la référence à la dite année 1568, chez Benoist Rigaud, ce dont prend bonne note la Bibliothèque de Du Verdier (datée de 1585) dont on ne connait qu’une édition réalisée qu’entre 1605 et 1610, date à laquelle Du Verdier est cité dans ce sens dans le Mercure François..
Mais parallèlement, une autre série centurique est mise en place, à la fin des années 1640 – en 1649- peu de temps après le lancement des éditions du Ruau, à la mort de Louis XIII (1643) sous le nom de Vrayes Centuries et Prophéties, qui recourt au Brief Discours version Janus Gallicus- ne citant que le nom de César au sein de la fratrie- texte absent de la série troyenne- et qui se réfère à des éditions 1556- à Avignon et 1558 à Lyon et qui notamment produira des éditions françaises à Amsterdam (1667-1668). A ce jour on n’a pas retrouvé d’éditions 1555 ou 1556 à Avignon et l’on ignore si elles ont été produites ou non dans les années 1580 ou au-delà ou si l’on s’est contenté d’en affirmer l’existence. Il est possible que des mentions fictives aient pu aboutir, par la suite, à des contrefaçons réelles.
Le texte anglais de 1672 fournit une liste complète de la fratrie à partir de l’ainé Michel mais ce texte est inspiré de l’Eclaircissement dont on ignore les sources mais qui devait avoir mis la main sur une autre version non expurgée de la biographie, par ailleurs complétée par quelques éléments bibliographiques précis mais touchant à des œuvres sans liens avec l’astrologie.
Ainsi, selon l’édition dont le lecteur disposait, le cocktail chronologique pouvait varier singulièrement, d’autant que sévissait un certain syncrétisme. En effet, même dans les éditions troyennes épousant la thèse posthume 1568 – l’on n’en trouve pas moins la Préface à César 1555 et l’Epitre à Henri II 1558. Tout se passe comme si ces textes étaient dans cadre perçus comme des documents trouvés à la mort de Nostradamus mais n’impliquant nullement de publication du vivant de Nostradamus. Si le portrait de Nostradamus le Jeune est utilisé, son nom n’apparait pas cependant, comme si l’on confondait Michet et son frère César. La Vie et les deux épitres sont réunies en tête du volume et non pas respectivement en tête du premier et du second volets. En fait, il n’y a plus dans les éditions troyennes la moindre séparation entre la centurie VII et la centurie VIII, à part une annexe comportant quelques quatrains de la centurie VII dans la version parisienne ligueuse de 1588 alors que la série. A contrario, la sérieVrayes Centuries si elle annonce en son titre « Avec la vie de l’Autheur » traite les épitres très diversement, parfois n’en prenant qu’une des deux. Selon nous, en principe, les épitres ne font pas partie du projet initial de la série mais apparaissent sporadiquement du fait de l’existence de l’autre série simplement intitulée « Prophéties ». on trouve en fait tous les cas de figure dans ce manège épistolaire et il conviendrait d’en dresser un descriptif systématique.

IV Le syncrétisme des deux versions

On entend par syncrétisme un phénoméne consistant à ne pas tenir compte de la diversités des approches et en une tentative non seulement de les concilier mais de les ignorer, ce qui donne des bibliographies du type Benazra, Ruzo ou Guinard qui ne voient dans la production nostradamique qu’un seul et unique flux. On passe ainsi allégrement des éditions du vivant de Nostradamus aux éditions posthumes et on nous explique qu’il y a eu des suppressions de centuries puis leur réinsertion pour expliquer le hiatus entre l’état supposé des éditions des années 1550 à l’état de celles parues sous la Ligue, trente ans plus tard (1558-1588). On nous parle de quatrains présents, puis retirés, manquants, puis à nouveau présents plutôt que d’aborder la question des deux voies du nostradamisme dont la raison d’être tient selon nous à la question des deux frères et de l’héritage littéraire. Pour César, Nostradamus n’avait rien à transmettre après sa mort puisqu’il en avait fait « donation » de son vivant, ce qui prend le contrepied du testament qui reporte sine die la dit tranmission. Dès 1555, Nostradamus aurait placé à la tête d’une série de prédictions allant de 1555 à 1567 (présentation reprise par Du Verdier, comprenant de travers un passage du Brief Discours) qu’il aurait fait paraitre en cette même année 1555 ou l’année suivante.(cf Avignon 1556, il y a aussi la question du style de Pâques, Mars 1555 pouvant correspondre à mars 1556). On sait qu’il s’agit de la collection des almanachs parus année après année et non de Prédictions portant sur toute une série d’années, comme dans le cas de la publication de 1558 par Nostradamus le Jeune. Deux genres sont ici confondus. Mais, dans la foulée, on en profite pour introduire un troisième type de « prophétie » à savoir une série de quatrains non datés, selon le désir de Chavigny qui prônait que l’on ignorât carrément les données chronologiques des almanachs et des pronostications, ce qui donnera lieu à la production de centaines de quatrains non chronologisés. Sur ce point, toutes les éditions convergent : le corps des éditions comporte bien un millier de quatrains dont l’interprète doit apprendre à se servir en se constituant des tables alphabétiques des versets comme le propose le Janus Gallicus.
Les bibliographes, encore de nos jours, se divisent pour déterminer si les centuries ont été diffusées du vivant de Nostradamus ou après sa mort. Or, le vrai débat ne se situe pas là, ce qui devrait mettre les deux camps d’accord : les centuries ne sont parues, selon nous, ni durant la vie de Nostradamus ni dans les années qui suivirent sa mort – ce qui fait que Nostradamus le Jeune n’est aucunement impliqué dans l’affaire des Centuries- mais bien à partir des années 1580 quand il y a eu passation des quatrains des almanachs aux quatrains des centuries, comme on peut le voir dans la composition du Janus Gallicus, centré initialement sur les seuls quatrains présages. Or, il est évident, que l’on n’était pas dupe dans les années 1580. Il s’agissait bel et bien de présenter comme étant de Nostradamus ce qui ne l’était pas en procédant à des substitutions de contenus tout en maintenant certains intitulés, comme le mot Prophéties que La Croix du Maine utilise en 1584 sans rapport avec des centuries qui ne sont pas encore en circulation ; Très vraisemblablement, au XVIIE siècle, le souvenir d’une telle double supercherie – quel que soit le scénario- a du s’estomper. Même chez ceux qui ont dénoncé certaines contrefaçons comme Bareste en 1840 à propos de Pierre Rigaud 1566, on était encore loin de penser que la toute première édition des centuries ne pouvait avoir eu lieu avant 1es années 1586-1587.

V Une affaire juridique

Il semble assez évident que le choix de l’année 1568 est lié à Nostradamus le Jeune et à son édition des Prédictions pour 20 ans, ouvrage qui ne saurait être assimilé aux centuries. Mais ce n’est qu’au XVIIe siècle que l’an 1568 sera associé aux dites Centuries. La production des années 80 ne se réfère pas à 1568 ou à Nostradamus le Jeune mais à 1555-1560, pout ce qui est des 7 premières centuries, les centuries suivantes n’intervenant que dans un deuxième temps. On nous parle dans ces années 1588-90 de rééditions d’une impression de 1555. à quatre puis à sept centuries. On ne rentre donc pas au départ dans un scénario posthume qui ferait intervenir le testament et Nostradamus le Jeune. On peut supposer qu’il y ait là une question de droits. En affirmant que Nostradamus a bien publié de son vivant tel ouvrage, on se situe hors du champ du testament et des droits de ceux qui ont reçu mission de l’appliquer aux documents conservés dans une pièce de la maison, comme le stipule le testament. Ce serait donc là une astuce juridique. Par la suite, le scénario posthume aura été préféré et l’on aura supposé que les dites Centuries avaient fait partie des ouvrages laissés par Nostradamus et parus en 1568. L’attribution d’une telle édition au libraire Benoist Rigaud pourrait s’expliquer par l’existence d’une édition Rigaud 1568 concernant une autre édition des Prédictions pour 20 ans, parues à Rouen, chez P. Brenouzer en 1568. On voit mal d’ailleurs pourquoi Rouen aurait eu le monopole de cette production même si Chomarat signale une autre édition rouennaise, chez P. Hubault, l’année suivante.
Autrement dit, la posture dominante sur les Centuries aura bien été de façon continue, à l’exception de la période troyenne qui aura abouti à la contrefaçon Rigaud 1568, l’affirmation d’une parution du vivant de Nostradamus. Cela dit, la Préface à César comporte une certaine ambigüité, puisqu’elle constitue une sorte de testament bis, par le ton qui est le sien mais un testament avant l’heure, une sorte de donation réservée à César et qui viendrait en quelque sorte annuler les termes du testament de 1566 par un fait accompli antérieur.

VI D’une contrefaçon à l’autre
Cette dualité de discours trouve son expression la plus emblématique avec la production de deux contrefaçons allant dans des directions bien différentes. Celle des Prophéties du Seigneur du Pavillon, datées de 1556 pour soutenir la version selon laquelle la Préface à César serait parue dès 1555 avec les premières Centuries qui vont avec et celle des Prophéties de Crespin, datées de 1572, qui va dans le sens d’une parution à la fin des années 1560, ce que vient « confirmer » l’épitre de Jean de Chevigny à Larcher datée de 1570, qui se fait l’écho d’une récente diffusion encore confidentielle des Centuries. Crespin signale opportunément l’existence d’une épitre à Henri II en date du 22 juin 1558, ce qui nous semble indiquer que les deux textes qui mentionnent une telle information ne sauraient être antérieurs aux années 1590. Crespin serait à l’Epitre à Henri II 1558 ce que Couillard serait à la Préface à César 1555. Chevigny transmet un quatrain à Larcher comme s’il s’agissait d’une denrée rare, ce qui va à l’encontre d’une diffusion massive. De même Crespin véhicule des bribes piochées dans les 10 centuries. Ces deux dernières impressions doivent être impérativement situées au début du XVIIe siècle, et sont contemporaines de l’édition troyenne datée de 1605, à dix centuries de quatrains, dont le rédacteur de l’article Nostradamus de la Bibliothèque de Du Verdier avait pris connaissance. Autrement dit, la production de faux n’est pas le fait d’une seule époque ni d’un seul pôle. On notera que le faux Couillard est censé être paru chez deux libraires parisiens (Le Clerc, Dallier), sans parler des fausses éditions parisiennes 1560 Barbe Regnault et Veuve N Buffet tandis que le faux Crespin et le faux Chevigny sont situés dans la production lyonnaise des années 1570 ( Jove, Arnoullet) sans parler de l’édition 1568 Benoist Rigaud.. Il y a là une division entre Paris et Lyon qui nous parait assez marquée. Sous la Ligue, Paris est au centre des événements. Au début du siècle suivant, il y a un glissement vers Lyon comme fournisseur de références à la production troyenne. Paris est liée aux éditions du vivant de Nostradamus et Lyon à la thèse d’éditions parues au lendemaine de la mort du dit Nostradamus.

JHB
08. 09. 12

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[1] Cf D Ruzo, Le testament de Nostradamus , Paris 1982, pp. 17-18
 

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Updated Tuesday, 07 April 2015

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