1
- Esquisse d’une phénoménologie de
l’emprunt
Les quarante études qui suivent ont été rédigées, au
cours de l année 2011. Elles reflètent l’état actuel de
nos recherches et de nos réflexions mais ne sauraient se
substituer intégralement à nos précédents travaux dont
l’ampleur est bien plus considérable tant sous la forme
de mémoires universitaires que de diverses publications
« papier » ou que d’articles parus sur différents sites.
Il ne s’agit pas non plus de quelque synthèse, étant
donné que de nouvelles perspectives sont ici apportées
qui ne coïncident pas nécessairement avec celles
exposées antérieurement.1522 On dira que les grandes
lignes ont pu évoluer mais que nos analyses de documents
et nos références bibliographiques, quant à elles,
restent largement valables. On relira donc nos travaux
passés à la lumière de ces nouveaux développements. Le
terme néo-centurique que nous utilisons indique que
selon nous il y eut d’abord un centrisme axé uniquement
sur les quatrains publiés par Nostradamus.
Comment identifier un corpus marqué par
l’emprunt ? En principe, on ne prend conscience qu’il y
a emprunt que lorsque l’on découvre la source de
l’emprunt, que l’on a identifié le « prêteur », même si
celui-ci n’a pas donné son consentement ou n’est pas
informé. On peut alors parler de piratage, de plagiat.
Mais il nous semble que la situation d’emprunt peut être
constatée même en l’absence - du moins dans un premier
temps - de la connaissance l’original, car il y a des
stigmates, des symptômes assez caractéristiques. Prenons
un exemple venu de l’économie. Si dans un pays, il y a
des voitures mais aucune usine pour les fabriquer, c’est
qu’elles sont importées. Il se pose donc un problème de
cause à effet. On n’a pas toute la chaîne, il y a des
maillons manquants dans l’enchainement conduisant au « produit »,
il y a discontinuité. On a un produit « fini » mais dont
certaines étapes de formation font défaut.
Quand la source est identifiée, la
différence devient nettement plus flagrante. Dans le
corpus-source, les articulations sont bien plus
nombreuses, on suit mieux l’évolution, la progression
des choses, que ce corpus se situe en amont ou en aval
car un emprunt peut servir à étoffer rétroactivement un
corpus plus ancien que le corpus-source. C’est là un
paradoxe : l’emprunt bouscule parfois la logique
diachronique et génère une aporie spatiotemporelle.
Parfois, cependant, le corpus « empruntant » vient
compléter le corpus « prêteur » quand celui-ci s’est
corrompu ou a subi des modifications : le nombre de cas
où des traductions sont tout ce qui reste d’un état
d’origine est bien connu. Mais souvent, les deux corpus
viennent ainsi se compléter. L’emprunt prend alors toute
sa valeur pour l’historien. C’est ainsi que l’anglais
actuel a emprunté historiquement à l’ancien français des
tournures qui n’existent plus en français moderne, il
les a perpétuées. Pour appréhender la formation d’un
corpus, il est donc essentiel d’en extraire, d’en
localiser les emprunts, tant ceux qu’il a effectués que
ceux qu’il a subis.
Mais que se passe-t-il quand l’emprunt
est devenu méconnaissable, quand il s’est de facto
démarqué de sa source ? Cesse-t-il d’exister ? Nous
dirons d’une part qu’il subsiste toujours des éléments
relatifs au dit emprunt, ne serait-ce que partiellement
et que d’autre part, la perte de conscience de l’emprunt,
notamment sous une forme à la provenance opaque, empêche
le savoir en question d’évoluer, de se renouveler, du
fait d’un processus d’incrustation. Un tel élément ne
peut être remplacé puisqu’il est marqué par une
idiosyncrasie qui le rend incomparable. Il ne ressemble
à rien de connu, donc l’emprunteur est renforcé dans la
fausse idée que cet élément lui est consubstantiel.
Dans l’absolu, tout emprunteur peut faire
ce qu’il veut de qu’il emprunte et lui imprimer sa
marque ; mais en même temps, cela n’en restera pas moins
un corps étranger et plus ou moins décalé. Il convient
évidemment de distinguer ce dont nous héritons par
filiation génétique, naturelle et ce que nous recevons
du fait d’un certain environnement culturel venant se
surajouter. Bien évidemment, toute une méthodologie est
nécessaire pour débrouiller chaque écheveau, au cas par
cas, mais en cela consiste le travail du chercheur dans
un certain nombre de domaines.
Quels sont les traits qui dénotent de
l’existence d’un emprunt ? Le caractère discontinu du
corpus qui peut certes être dû à l’existence de pièces
manquantes. Si l’on identifie de telles pièces du puzzle
qui font défaut à une période plus ancienne ou plus
tardive, il importe de s’interroger et en tout cas de le
signaler.
Quelle est la fonction de l’emprunt ?
Remplir un vide. Souvent l’emprunt sert à produire des
contrefaçons d’autant qu’il est lui –même en soi une
forme de faux. On a l’exemple devenu classique des Protocoles des Sages de Sion,
réalisés, à l’extrême fin du XIXe
siècle, à partir d’un pamphlet de Maurice Joly, paru
trente ans plus tôt.
On parlera de croissance externe et non interne, comme
dans le cas d’une entreprise en rachetant une autre.
Rien n’est plus remarquable, il
semblerait, que le cas où l’emprunt emprunte à un
emprunteur. Retour à l’envoyeur. Or, quoi de plus
tentant que d’emprunter à un corpus qui visait justement
à rechercher une certaine patine du temps, que
d’emprunter à ceux qui ont, par exemple, fait, sous la
Ligue, du faux Nostradamus, en orchestrant sa
renaissance, pour les prendre au mot ? Les pistes
s’entrecroisent et l’on comprend que d’aucuns s’y
perdent.
Nous nous intéressons tout spécialement à
un cas de figure assez particulier mais qui pourrait
finalement apparaître comme beaucoup plus fréquent qu’on
ne pourrait le croire. Il s’agirait en quelque sorte de
prêts plus que d’emprunts. On prête à tel auteur des
textes qu’il n’a pas écrits, on introduit au sein d’un
savoir des données qui n’en font pas partie au départ.
On réécrit l’histoire d’une époque en se servant
d’éléments qui lui sont étrangers. Et ensuite, les
historiens entérinent ce type de stratagème, ce qui
fausse les perspectives.
II Application au champ-nostradamologique».
Dans un premier temps, les libraires de la fin du XVIe
siècle récupèrent le personnage de Nostradamus
(1503-1566). Mais dans un deuxième temps, les biographes
de Nostradamus, dont le plus récent est Denis Crouzet (Nostradamus,
Payot, 2011), récupèrent, sans en avoir d’ailleurs
conscience, les éditions ligueuses des années 1580-1590,
pour les intégrer dans leur représentation de la vie de
l’auteur, sous le prétexte qu’existent des éditions
datées du vivant de Nostradamus (1555, 1557 ou suivant
de peu sa mort, 1568). Ce faisant, ils perturbent
considérablement la chronologie bibliographique des
éditions centuriques. Bien entendu, le biographe sérieux
ne saurait tomber – et faire tomber ses lecteurs - dans
certains pièges tendus des siècles plus tôt. Il devrait
en tout cas prendre toutes les précautions dans ce sens
et tenir compte des avertissements émanant de certains
chercheurs, plus vigilants ; pour le moins, il se doit
de signaler à ses lecteurs les doutes exprimés à cet
endroit.
Revenons plus en détail sur le cas des fausses éditions
centuriques,
qui est un cas d’école et au sujet duquel les historiens,
en ce début de XXIe
siècle, continuent de s’opposer, plus de 400 ans après
les faits. Nous avons deux séries :
-
une série A, constituée d’éditions datées au vu des
pages de titre - mais non du fait d’une méthodologie
rigoureuse - des années 1555 à 1568.
-
une série B constituée de diverses éditions datées -au
regard des pages de tire ou des épitres- de 1588 à 1605.
En apparence, la série B serait issue de
la série A. En fait, c’est le contraire qui s’est
produit, la série A ayant emprunté voire n’existant que
par son emprunt à la série B. C’est bien là tout le
débat.
On observe que la série A, pour ce qui
est des éditions 1555 (Macé Bonhomme) et 1557 (Antoine
du Rosne [Budapest et Utrecht, du nom des bibliothèques
qui les conservent]) comporte trois versions
correspondant à des états différents ; respectivement :
1 (1555) à 4 centuries, dont la IVe
à 53 quatrains seulement,
2 (1557) à 7 centuries, dont 99 quatrains
pour la VIe,
et 40 à la VIIe,
3 (1557) à 7 centuries, dont 99 quatrains
pour la VIe
plus un avertissement latin, et 42 quatrains à la VIIe.
Pour celui qui n’a pas pris ou voulu
prendre connaissance de la série B, quelles observations
néanmoins peut-il déjà effectuer concernant la série A ?
Contextuellement, ces éditions – et mieux encore leur
contenu - ne sont pas attestées, il y a là un « trou »
dans la documentation historique en dépit du fait que
celle-ci est relativement abondante : on dispose de
dizaines d’almanachs et de pronostications tant signés
Nostradamus, autant en imprimés qu’en manuscrit (Recueil
des présages prosaïques,
voir note 19), – y compris chez les faussaires de
l’époque – que signés d’autres auteurs ; on connaît
diverses attaques contre Nostradamus ; on a retrouvé des
dizaines de lettres de et à Nostradamus
(cf. Lettres Inédites,
présentées et traduites par Jean Dupébe, Droz, 1983). On
dispose pourtant de recensions bibliographiques comme
celles de M. Chomarat (1989) et de R. Benazra (1990),
très extensives, et la recherche s’est poursuivie
vainement depuis 20 ans.
Iconographiquement, ces éditions ne
comportent pas les mêmes vignettes en page de titre que
celles qui sont attestées dans les pronostications de
Nostradamus des mêmes années 1550. Mais ces diverses
vignettes ont un air de famille avec les dites vignettes
authentiques et ressemblent surtout fortement à celles
des faux almanachs parisiens, faussement signés
Nostradamus (chez Barbe Regnault) des années 1560. On
observe également des similitudes entre une
pronostication (de Sconners) parue chez Antoine du Rosne
en 1558 et les éditions centuriques censées parues chez
le même libraire, mais là encore, des différences
sensibles dans le dessin sont à constater.
Bibliographiquement, aucune édition
centurique n’est attestée, en tant que telle, du moins
au regard de sa date au titre, entre 1568 et 1588. Là
encore, il y a un « trou ».
Éléments
externes aux éditions centuriques cautionnant toutefois
l’existence d’éditions dans les années 1550-1560 :
- 1. Les Prophéties d’Antoine Couillard,
Paris, 1556, qui reproduisent des passages du texte de
la Préface centurique de Nostradamus à son très jeune
enfant César.
- 2. La mention d’une « centurie seconde »
dans les Significations de l’Éclipse qui sera le 16. septembre 1559
(Paris), signées Nostradamus, comportant la même
vignette normalement réservée aux Pronostications de
Nostradamus.
- 3. L’épître de Jean de Chevigny à
Larcher, en tête d’un texte de Jean Dorat sur la
naissance d’un Androgyn,
Lyon 1570, avec un quatrain dûment signalisé selon la
pratique des éditions centuriques.
- 4. Les Prophéties à la Puissance Divine et à
la Nation Française,
Lyon, 1572, attribuées à Antoine Crespin,
comportant des « adresses » dont le contenu recoupe
celui de dizaines de quatrains issus des dix centuries
(et pouvant correspondre aux éditions Benoist Rigaud
1568 à dix centuries).
5 La Bibliothèque d’Antoine Du Verdier,
contenant le catalogue de tous ceux qui ont escrit, ou
traduict en françois, & au-/ tres dialectes de ce
royaume, ensemble leurs oeuvres imprimes & non impri-/
mees, l'augument de la matiere y traictere, quelque bon
propos, sentence, doctri-/ ne, phrase, proverbe,
comparaison, ou autre chose notable tiree d'aucunes
d'icel-/ les denures, le lieu, forme, nom, & datre, ou,
comment, & de qui elles ont este mi-/ ses en lumiere.
Aussi y sont contenus les livres dont les autheurs sont
incertains./ Avec un discours sur les bonnes lettres,
servant de Preface/ Et à la fin un supplement de
l'epitome de la bibliotheque de Gesner.
Lyon, Barthélémy Honorat, 1585, ouvrage qui mentionne à la notice consacrée à
Nostradamus « Dix Centuries de quatrains, Benoist Rigaud
1568. »
Ces divers documents ont fait l’objet
d’analyses de notre part. Dans les cinq cas, il semble
bien que l’on ait affaire à des contrefaçons ou de
confusions entre titre et contenu, ce qui témoigne du
zèle des faussaires et/ou des bibliographes pronant
l’authenticité des dites éditions au moyen de
conclusions insuffisamment fondées sur la base d’un
terme (prophéties, centurie, quatrain, un nom propre)
auquel on accorde une signification qu’il ne revêt pas
nécessairement dans le contexte. Le simple fait de
trouver un quatrain dans un texte ne suffit pas à
démontrer qu’existait alors une édition des centuries,
dès lors que ce quatrain n’est pas référencé selon la
codification canonique (tel quatrain de telle centurie.
Il ne faut pas oublier en effet que les centuries ont
été amenées à récupérer des documents antérieurement
constitués, y compris sous la forme de quatrains. Le cas
emblématique est celui des sixains de Morgard, parus
vers 1600, qui vont être intégrés peu après dans le
corpus nostradamique. Ce n’est probablement pas un cas
unique et cela vaut pour les emprunts probables, dans
les annnées 1580-1590, à un Antoine Crespin et quelques
autres comme Cormopéde, tout en sachant que ces auteurs
ont certainement été eux-mêmes inspirés par le modèle
nostradamique, à la suite de la reparution vers 1584 des
quatrains des almanachs de Nostradamus. C’est la fable
de l’imitateur imité. Dans le cas de Crespin, c’est
vraiment saisissant. Que l’on songe que ses Prophéties,
datées de 1572 comportent une première adresse au Roy
commençant ainsi : « Estant assis de nuict secret
estude, seul reposé sur la selle d’arain, flambe exigue
sortant de solitude, faict proféré qu’il n’est à croire
vain », ce qui correspond au quatrain (I, 1) lequel
inaugure l’ensemble des livres centuriques. On sait que
ce quatrain est inspiré directement ou non de Jamblique..
Le mot Branches du quatrain qui fait suite, évoque le
personnage de Branchos, autour de la question des
oracles. Mais le quatrain, quant à lui, sous la forme
qui est la sienne semble bien être de Crespin et aurait
donc servi pour la fabrication du premier groupe de
quatrains, dont nous savons (cf l’édition de Rouen 1588)
qu’il n’était pas encore classé en centuries et donc pas
encore numéroté de la façon qui s’imposera par la suite.
Il ne faut pas oublier que si ce sont de
fausses éditions tardives datant de la période « B »,
elles ont été vraisemblablement réalisées à partir de
données empruntées à ce qui tourne autour de Nostradamus,
de son temps, notamment en ce qui concerne la dimension
matérielle. C’est ce qui vient singulièrement compliquer
la recherche.
Bien évidemment, si le chercheur qui ne
connaissait que la série A prend connaissance de la
série B, d’autres réflexions ne sauraient manquer de se
présenter à son esprit, s’il est de bonne foi. En effet,
la série B comporte des chaînons manquants dans la série
A.
On observe l’existence de chaînons
intermédiaires entre 1555 et 1557 :
-
des éditions Paris 1588 qui comportent
l’indication d’une addition après le 53e
quatrain qui termine l’édition Macé Bonhomme,
-
les mêmes éditions comportent en leur
titre, mais pas en leur contenu (ce point ayant été
éclairci par nous ailleurs) l’annonce d’une addition
pour 1561 de 39 « articles » à une « dernière centurie »
qui ne semble pouvoir être autre que la VIe,
se terminant par l’avertissement latin :
Les Prophéties (..) reveues & additionnées par
l’Autheur pour l’an mil cinq cens soixante & un de
trente-neuf articles à la dernière centurie.
- l’édition Anvers 1590 qui comporte 35
quatrains à la VIIe
et qui semble donc précéder l’édition 1557 à 40
quatrains à la VIIe,
-
tout cela viendrait donc s’intercaler
entre l’édition Macé Bonhomme 1555 et l’édition Du
Rosne 1557 Utrecht, comportant l’avertissement latin
entre la VIe
et la VIIe
centuries (cette dernière à 42 quatrains à la VIIe),
bien entendu, nous simplifions ; mais on observe, sur
cette base, qu’étrangement l’édition 1557 serait « postérieure »
à l’édition 1561 puisqu’elle comporte déjà les
quatrains de la VIIe
Centurie. Comment expliquer un tel phénomène ? Un
revirement dans la politique des libraires, préférant
in fine produire des éditions antidatées abouties et
qui l’auraient été dés 1557 voire dès 1555, si l’on en
croit les dernières lignes de l’édition 1590 Anvers, à
7 centuries, se référant à une édition 1555
comparable, non retrouvée. Inversement, les éditions
antidatées viennent elles-mêmes compléter la
chronologie des éditions ligueuses dont elles sont
très vraisemblablement issues. Notons
l’observation de Patrice Guinard (in « L’appareil
iconographique des éditions Macé Bonhomme » (site
Espace Nostradamus. N°135) :
« L’édition d’Anvers, à sept centuries, ne peut
reproduire une édition de 1555 qui
n’en contenait que quatre. ». C’est révélateur d’une
méthode qui consiste à réduire le corpus nostradamique
aux exemplaires qui nous sont parvenus.
Conclusion : de la responsabilité des
historiens
On peut raisonnablement se demander si
les principaux complices des faussaires ne sont pas les
historiens qui reconstituent le cours des choses à leur
façon ou plus largement si ce n’est pas le regard
rétrospectif qui fausse quelque peu les perspectives. Il
est bien probable qu’au départ, et c’est assez flagrant
dans le cas de l’astrologie, il ne s’agissait que
d’ajustements de l’astrologie à telle ou telle imagerie
liée au contexte dans lequel elle était reçue – et l’on
sait que l’astrologie a traversé les périodes et les
cultures les plus diverses. Mais précisément, en restant
par trop marquée par son passé, elle devint de moins en
moins capable de s’adapter à de nouvelles époques, c’est
probablement cela son drame et la cause de sa
marginalisation, du fait de la sclérose de ses emprunts
qui n’étaient plus reconnus comme tels. Il suffit
d’interroger de nos jours les astrologues pour constater
qu’ils sont terriblement attachés à ce qui n’aurait dû
faire sens que ponctuellement. Certes, il est des
astrologues qui ont tenté de se démarquer, mais ils
n’ont fait le travail qu’à moitié, conservant notamment
un découpage numérique qui les empêchait de procéder à
des emprunts plus modernes, devant ainsi se contenter de
demi-mesures. On ne se sert plus du nom des signes ou
des planètes mais on garde néanmoins les 12 secteurs et
l’on prend en compte toutes les planètes, passées,
présentes et à venir. Ce qui est excusable de la part
d’astrologues ou de nostradamologues qui ne sont
historiens que d’occasion, l’est beaucoup moins, en
revanche, chez des historiens «professionnels » qui
devraient montrer l’exemple. Or, le problème actuel,
dans les domaines en question, c’est de noter à quel
point les historiens de métier commettent les mêmes
bévues que les apprentis historiens apologètes et somme
toute produisent des textes du même ordre, les uns
s’accompagnant d’une riche bibliographie, les autres
échouant à replacer les choses dans leur contexte ;
quitte à se référer à des périodes plus tardives que
celles du corpus considéré, dans la mesure même où
l’emprunt peut aussi bien viser le passé que le futur
quand il est réalisé après coup. Car ce qui est assez
étrange, ici, c’est que l’on contracte ainsi des
emprunts a posteriori, pour le compte de personnes qui
n’en demandaient point tant. Aussi bien l’astrologie que
Nostradamus auront souffert, l’un comme l’autre, d’une
« modernité » appliquée rétroactivement. Or l’historien
tend trop souvent, encore de nos jours, à croire que
l’on ne peut emprunter qu’à ce qui existe déjà et non à
ce qui est encore à venir. Mais le passé n’est-il pas
une reconstruction permanente, qui se nourrit d’un
certain anachronisme ? Il y a là, en tout cas, un
obstacle épistémologique dont il faut absolument prendre
conscience. Si Nostradamus s’est vu ainsi doté
d’éléments biographiques fantaisistes et contrefaits qui
sont venus éclipser sa vie réelle, au point que certains
auteurs
n’hésitent pas à lui dénier le titre d’astrologue, au vu
des seules Centuries, qui sont l’arbre qui empêche de
voir la forêt. L’astrologie, quant à elle, n’est plus
perceptible sinon à travers le prisme zodiacal, à
travers le panthéon mythologique, à travers le thème
natal, dont les historiens s’accordent à ce qu’il émerge
tardivement dans son « évolution », autant de facteurs
qui sont venus se greffer sur elle et qui semblent en
être indissociables, au point d’empêcher de saisir
l’astrologie en son noyau dure, en son « tronc », ce qui
hypothèque son statut scientifique. Dans le cas de
Nostradamus, en principe, il semble relativement aisé de
faire la part des choses, au vu des documents qui nous
sont parvenus, mais il reste que ceux-ci cohabitent avec
des contrefaçons comportant les mêmes dates, sur la base
notamment des épîtres qui les introduisent (Préface à
César, 1555, Adresse à Henri II, 1558). Dans le cas de
l’astrologie, les choses sont plus complexes du fait
qu’il est plus délicat de dégager le point de départ,
sauf à considérer que c’est tout simplement le système
solaire. D’aucuns ont cru y trouver la solution à cette
problématique des origines, mais la solution semble bien
être devenue le problème. Certes, dans l’absolu,
l’astrologie est née d’une certaine approche de
l’astronomie, on peut même dire qu’elle a « emprunté » à
l’astronomie ce dont elle avait besoin mais avant toute
chose, l’astrologie est une réflexion sur le cosmos, et
plus spécifiquement au départ sur le cycle soleil-lune,
connu de très longue date, bien avant que l’on apprenne
à distinguer entre planètes et étoiles qui ne faisaient
qu’un dans les représentations les plus anciennes. De là
est née, selon nous, une numérologie liée à l’écoulement
du temps, autour de certains nombres, dont le principal
fut probablement le 7 (d’où son importance dans l’Ancien
Testament : Sept jours de la Création, respect du repos
du septième jour, alternance sept ans et sept ans,
etc.). Certaines coïncidences semblent avoir introduit
quelque confusion : le découpage du cycle annuel en 4
saisons est-il un fait en soi ou est-il calqué sur les
quatre temps du rapport lune-soleil, l’importance du
septénaire (luminaires plus cinq planètes) n’est-elle
pas tributaire de ce nombre 7, étant donné que les
luminaires ne sont pas de même nature que les planètes ?
On a vite fait d’inverser les rapports et de placer au
départ les saisons et les planètes. Or, il nous semble
que c’est là littéralement un contresens. Quand on a
compris que le 7 est le paradigme d’une numérologie,
l’on comprend alors que l’on soit allé chercher le 7, le
moment venu, quand le phénomène planétaire fut mis en
évidence, du côté de Saturne, en tentant de faire de
cette planète, la plus lointaine connue jusqu’à la fin
du XVIIIe
siècle, une sorte de Lune supérieure, parcourant un
tapis d’étoiles fixes. Que l’on ait été tenté de « structurer »
son parcours en recourant au nombre 12, qui était déjà à
la base du rapport lune-soleil, quoi d’étonnant si ce
n’est que là n’était pas l’essentiel. En cela, une telle
division ne constitue pas une structure matricielle de
l’astrologie
mais un facteur de structuration qui n’existe que par ce
à quoi il s’applique, lequel facteur peut être remplacé
par d’autres – comme le dispositif des maisons qui
n’était pas nécessairement à 12 secteurs mais à 8,
surtout lorsqu’il n’est plus maîtrisé au niveau de sa
dimension cyclique pour ne plus être qu’une suite de
« symbol
2
- La coexistence de centuries d’almanachs et de centuries posthumes sous la Ligue.
Toute publication est une réécriture qui
tend à masquer, à refouler son processus de formation.
Avec les Centuries, nous avons la chance de pouvoir
prendre connaissance d’une complexe série d’états
successifs avant que cela ne débouche sur un ensemble
définitivement cristallisé. En ce sens, les documents
dont nous disposons ou dont nous pouvons raisonnablement
supposer l’existence en tant que chaînons manquants
constituent un corpus singulièrement intéressant qui
dépasse largement le champ considéré au regard de la
création littéraire. Comme pour les calculs des
astronomes, il arrive que certaines perturbations ne
puissent s’expliquer que par la présence d’un objet non
encore recensé mais dont on doit supposer l’existence.
En l’occurrence, nous serons conduits à admettre
l’existence d’un autre jeu de « centuries », ce qui
constitue un diptyque, autour de la question : qu’est ce
qui est qualifié de « centurie » et là encore on aura à
distinguer entre le mot et la chose, le contenant et le
contenu.
Dans le présent texte, nous essaierons de
suivre l’évolution qui conduisit de la « Prophétie de
Nostradamus » - puisque tel est le titre qui fut donné
au départ – comme l’atteste le contenu sinon le titre de
l’édition de Rouen Raphaël du Petit Val 1588-
non encore divisée en centuries à ce qu’on appelle
généralement le « premier volet » à sept centuries des
Prophéties de M. Michel Nostradamus. Il apparait que
l’on aura commencé par la thèse d’une édition posthume
de textes encore jamais imprimés –expression qui s’est
maintenue dans nombre d’éditions de l’époque, puisque le
premier volet porte la mention « dont
il y en a (ou dont il en y a ) trois cens qui n’ont
encore jamais esté imprimées »,
ce qui renvoie non pas à des centuries mais à des
quatrains, point important puisqu’au départ l’ensemble
n’était pas encore réparti en centuries, ce qui explique
que l’on n’ait pas un compte rond et que des centuries
soient « incomplètes » ou le soient restées un certain
temps. L’expression « non encore imprimé » aurait du,
d’ailleurs, empêcher de se développer la thèse de la
réédition.
.
Nous montrerons notamment que le mot « centurie » ne fut
pas initialement employé pour désigner les centuries que
désormais nous appellerons « posthumes » mais bien pour
les almanachs parus du vivant de Nostradamus. De même,
le terme « prophétie » s’il renvoie à des quatrains ne
concerne pas nécessairement les quatrains posthumes.
Au départ, les quatrains posthumes
n’auraient pas été rangés en centuries. Toujours est-il
que l’on finit par passer à une centurisation des
quatrains, comme en témoigne la même édition de Rouen
1588, où on nous parle d’une division en quatre
centuries, sans que le contenu corresponde. A partir de
là, selon la thèse posthume en vigueur alors, on allait
rajouter des quatrains et des centuries encore non
imprimés – ce qui rend fort improbable la possibilité
qu’une édition à 10 centuries ait pu exister dès 1568
car pourquoi, dans ce cas, n’y aurait-on pas eu recours,
au moins pour le premier volet ?
Comment fut réalisée cette augmentation
du « capital » centurique ? En « terminant » la centurie
IV, qui passerait ainsi comme cela ressort des marques
additionnelles des éditions parisiennes de la Ligue, de
53 à 100 quatrains et, pour faire bonne mesure, en
ajoutant encore une centurie qui serait la cinquième. Il
est difficile de savoir si le stade d’’une édition à 5
centuries a existé ou bien si l’on débordé, dans la
foulée, sur une sixième centurie « incomplète ».
Ce que l’on sait, par le contenu des
éditions parisiennes datées de 1588-1589, c’est que la
centurie VI ne parut pas d’entrée de jeu sous une forme
« pleine ». Le seuil de 71 quatrains fut certainement un
stade qui fut atteint. On ne le connait cependant que
par une édition présentant déjà un supplément aux dits
71 quatrains, et qui, fort maladroitement, s’intitule
septième centurie, alors même que la numérotation des
quatrains est continue, jusqu’au 83 e quatrain. C’est
donc une fausse septième centurie. Les 12 quatrains
ajoutés vont d’ailleurs faire long feu, ce qui indique
une certaine vigilance de la part des éditeurs et
constatant qu’ils avaient été empruntés aux quatrains
des almanachs de Nostradamus pour l’an 1561, ce qui
était évidemment un moyen commode pour faire du vrai
Nostradamus et ce qui est un aveu d’imposture. Le
procédé avait été utilisé par Barbe Regnault, dans ses
faux almanachs de Nostradamus, qui recyclaient des
quatrains des années précédentes.
-
Comment avait-on retrouvé les quatrains
de l’almanach pour 1561 et comment avait-on dans un
deuxième temps détecté le procédé ? Vu que les
almanachs étaient depuis le temps devenus introuvables,
d’autant qu’il s’agissait de textes que l’on ne
conservait pas forcément du fait de leur caractère
ponctuel ? Il faut rappeler qu’avait été constitué un Recueil des Présages Prosaïques,
que Chavigny avait envisagé de publier dès 1589 et
qui, malgré son titre, comportait également les
quatrains, classés année par année. Les éditeurs
troyens du siècle suivant placeront les dits quatrains
en annexe sous le titre suivant : « Autres quatrains
tirez de 12 soubz la Centurie septiesme dont en ont
esté rejectez 8 qui se sont trouvez es Centuries
precedentes », en fait il ne s’agit pas de « centuries
« mais d’almanachs à moins que les quatrains des
almanachs aient été eux-mêmes classés en
« centuries », ne contenant chacun que 12 ou 13
quatrains. Cela permettrait d’expliquer une formule de
Du Verdier dans sa Bibliothèque (Lyon, Honorat, 1585) :
« Dix centuries de prophéties par Quatrains ». En fait
paradoxalement, il semblerait que l’on se soit d’abord
servi du terme « centurie » pour les quatrains
prophétiques des almanachs avant de s’en servir pour
les quatrains posthumes non connectés systématiquement
à des dates, qui seront par la suite connus sous le
nom de « Centuries ». ...On peut penser que c’est « douze »
centuries et non pas dix qui aurait convenu, vu que
l’année 1556 n’est pas représentée, ce qui correspond
aux années à quatrains de 1555 à 1567. L’alternative,
c’est bien entendu l’édition 1568 à dix centuries,
dont nous avons dit que son existence même aurait
rendu tout le processus que nous décrivons
parfaitement inconcevable.. Par la suite, d’ailleurs,
les présages seront bel et bien intégrés au sein du
canon nostradamique, du moins tout au long du xVIIe
siècle sous le titre « Présages tirez de ceux faictz
par M. Nostradamus es années 1555 & suivantes iusques
en 1567 » et classés selon 12 années. On notera que le
mot centurie (qui a donné centurion), dans l’armée
romaine a fini par couvrir un nombre très différent
des cent éléments qu’il signifie étymologiquement.
-
L’incident de l’almanach 1561 ayant été
résolu, l’on compléta la centurie VI au moyen de 17
quatrains et celle-ci fut même scellée par un
avertissement latin. On ne renonça pas pour autant à
une VIIe centurie, laquelle vint à son tour s’ajouter,
ce qui est mentionné au titre des éditions parisiennes
de la Ligue : 39 articles additionnées à la « dernière
centurie ».mais auparavant, cette centurie VII avait
connu une progression plus modeste, qui est attestée
par Rouen Pierre Valentin, non datée et Anvers St
Jaure 1590, à 35 quatrains seulement. On peut toujours
supposer que des quatrains ont été supprimés mais nous
en resterons à l’idée selon laquelle on n’a cessé d’en
rajouter, hormis le cas évoqué du « rejet » des
quatrains de l’almanach pour 1561. Mais dans ce cas,
le titre des éditions parisiennes avec « 39 articles »
correspondrait, en dépit de leur date d’édition, à un
état postérieur à celui de l’édition Anvers 1590. Cela
peut surprendre mais nous avons montré que toute
édition centurique doit être décrite d’une part quant
à son titre, de l’autre quant à son contenu. On aura
donc pu observer que le terme « centurie » ne
renvoyait pas nécessairement à 100 quatrains puisque
la centurie IV dans l’édition dite à 4 centuries ne
comportait que 39 quatrains à la Ive centurie, que la
centurie VI n’en comporta un temps que 71 et qu’il y
eut même une centurie VII à 12 quatrains, au sein des
éditions parisiennes.
Or, ne peut-on penser que cette centurie
VII des éditions parisiennes de la Ligue ne
correspondait pas peu ou prou à l’une de ces centuries
de présages- en l’occurrence pour 1561- dont nous
évoquions la probable existence ? Et c’est d’ailleurs
pour cela qu’elle fut identifiée comme telle et exclue
de la série des centuries « posthumes ».
On s’intéressera donc d’un peu plus près à ces 12
quatrains de la VIIe centurie, mais numérotés de 72 à 83
et donc prolongeant la
Vie.
Nous suivrons la description présentée par Robert
Benazra (RCN, pp. 118 et seq) :
A part le premier quatrain de cette série,
soit le 72 e (non numéroté) qui correspond à VI, 31, ce
qui semble, selon nous, être une bévue de la part de
l’éditeur, mais qui a probablement servi à brouiller les
pistes « les autres (quatrains) sont ceux qui devaient
être publiés comme Présages pour l’Almanach pour 1561. »
Cela va de février 1561 à décembre 1561, pour le mois
d’octobre les vers sont dans un ordre différent. On
notera que Benazra, à l’époque, n’avait pas accès au Recueil des Présages Prosaïques (cf.
sur l’almanach pour 1561 RCN, pp. 42 et seq).
La question qui se pose est la suivante
que ne semble pas aborder Benazra : d’où les libraires
connaissaient-ils les quatrains de l’almanach pour 1561.
Certes, en 1594, Chavigny commentera-t-il huit de ces
quatrains dans le Janus Gallicus.(cf
RCN, p. 43). Mais la liste n’en est même pas complète et
d’où tenait-il ces quatrains d’almanachs sinon du Recueil des Présages Prosaïques ?
Est-ce lui qui a fourni aux libraires les quatrains de
l’almanach pour 1561, aurait-il participé à la
composition de certaines éditions. Ou bien l’information
était elle accessible du fait d’une récente édition des
dits quatrains, comme semble l’indiquer la notice de Du
Verdier ? Est-ce que cette diffusion ne faisait pas
partie de l’orchestration du revival nostradamique ? Rappelons en tout cas que
le manuscrit du dit Recueil
se présentait comme prêt à l’impression, avec une date
et un lieu d’édition. Mais ce manuscrit n’était-il pas
plutôt la copie d’un imprimé non retrouvé ? On aurait
donc un diptyque constitué d’une part de « centuries »
de 12/13 quatrains d’almanachs de 1555
à 1567 et de l’autre de ce qui sera par la suite « divisé »
en centuries, d’abord quatre, puis six, puis sept, voire
huit (cf RCN, pp. 119-120). Ce diptyque de quatrains
sera commenté par Chavigny comme un tout. Il se
perpétuera au xVIIE siècle et on l’ a vu il se manifeste
déjà dans les éditions ligueuses de Paris.. Mais est-ce
bien du Recueil des Présages Prosaïques
qu’il s’agit ou bien des seuls quatrains,
rangés en 12 centuries car, après tout, les quatrains ne
sauraient être qualifiés de « présages prosaîques ».
Peut être a-t-il existé face aux « présages prosaïques »,
un recueil de quatrains des almanachs, ce qui serait
d’autant plus logique que dans les almanachs, on a
affaire à ces deux catégories, la série versifiée
dérivant, selon nous, de la série « prosaïque ».
Avec ce diptyque s’instaurait de facto une dialectique entre la production des
années 1550-1560, autour d’un premier volet et celle,
posthume, des années 1580 et suivantes, autour d’un
second volet. Par un processus de contamination, le
second volet va se retrouver décrit comme contemporain
du premier, par le jeu des éditions antidatées, ce qui
allait casser la dualité. Qui sait si le maintien de
deux volets dans les éditions centuriques ne réfère pas
quelque part à ce diptyque ? Tout se passe comme si la
production posthume avait été scindée en deux pour
maintenir la mémoire du diptyque car lors de
l’intégration des centuries VIII-X, on aurait fort bien
pu éviter de produire deux volumes séparés.
3
- Le lancinant problème des pièces
manquantes du corpus nostradamique
La plupart des nostradamologues
privilégient les pièces accessibles, disponibles par
rapport aux pièces manquantes. Cela peut sembler le
propre d’une attitude raisonnable mais cela risque fort
de conférer une importance disproportionnée aux pièces
qu’un certain concours de circonstance a fait parvenir
jusqu’à nous, et c’est l’expression d’un rapport assez
aléatoire à l’information au risque d’erreurs de
perspective..
Nous aborderons d’une part la question
des pièces manquantes parues du vivant de Nostradamus et
de l’autre celle des éditions perdues qui engagèrent le
processus du revival nostradamique au cours des années
1580, les deux catégories de pièces pouvant d’ailleurs
être en interaction.
I Les pièces manquantes des années 1550
Depuis longtemps, nous avions émis
l’hypothèse selon laquelle on ne disposait pas de
l’ensemble de la production propre à Michel de
Nostredame. Nous avions notamment signalé le cas des
Vaticinations perpétuelles auxquelles il est fait
référence dans la préface à César en rapport avec l’an
3797.
Récemment, certaines études nous
rappelèrent que la mention de l’an en question était
reprise par des adversaires de Nostradamus le prenant à
parti, à savoir dans les Prophéties du Seigneur du Pavillon (1556) et la Déclaration des abus, ignorances et
séditions de Michel Nostradamus (1558)
Bien entendu, la Préface à César
comportait également, en toutes ses éditions, et en
dépit de variantes secondaires (chez le libraire Antoine
Besson, vers 1691) une référence à l’an 3797 et aux
vaticinations perpétuelles.
Mais n’existait-il pas une autre pièce de
la plume de Nostradamus, en dehors de la dite Préface,
qui aurait comporté mention d’une telle échéance ?
La thèse classique tend à être celle-ci :
il est reproché à Nostradamus d’avoir annoncé dans son
épître à son fils que selon des « vaticinations
perpétuelles », l’Humanité suivrait sa route jusqu’en
l’an 3797. Mais, à y regarder de plus près, la référence
de Nostradamus à de telles » vaticinations » dans la
Préface à César est des plus brèves.
Préface : « Et sont perpétuelles
vaticinations pour d’icy à l’année 3797 »
Nous avions, à un certain moment, soutenu
l’idée selon laquelle la préface à César aurait
initialement introduit les dites « prophéties
perpétuelles » puis aurait resservi pour présenter les
centuries. Ce qui aurait impliqué une pièce manquante, à
savoir la préface à César, cette fois suivie de son
prolongement initial.
Par ailleurs, nous avions signalé, dès
notre thèse d’Etat (Le texte prophétique en France,
formation et fortune,
Ed. du Septentrion, 1999) que l’édition Besson (c 1691)
ne comportait pas certains développements, que nous
identifiâmes par la suite comme, entre autres, empruntés
au Livre de l’Estat et Mutation des Temps
de Richard Roussat lesquels figuraient dans les autres
éditions connues de la Préface.
Or, Videl et Couillard semblaient se
référer à un texte de la Préface à César plus riche,
plus « complet » si l’on veut pour parler comme certains
nostradamologues qui n’acceptent pas qu’un texte puisse
s’amplifier d’une édition à l’autre - et notamment
concernant des emprunts à Roussat. que celui de Besson,
lequel selon nous correspondait à son état premier.
C’est ainsi qu’il nous paraissait de plus
en plus évident que les adversaires de Nostradamus en
avaient à un texte plus ample que celui de la Préface à
César et que ce texte n’avait été qu’ultérieurement
inscrit au sein de la dite Préface.
Mais, comme par ailleurs, nous notions
qu’à une seule exception près
(Les Prophéties du Sgr du Pavillon, 1556) aucun des dits adversaires ne
mentionnait le nom de César, pourtant récurrent tout au
long de l’épître. C’est ainsi que dans la seule version
courte de Besson, l’on recense successivement :
1 Préface ‘(…) adressée à son fils
2 César Nostradamus mon fils
3 Encore bien , mon fils, que j’ay inséré
à ce mien reliquat héréditaire
4 Car, Prophète, mon fils, est celuy qui
voit
5 Je ne dis pas, mon fils, que par
naturelle intelligence
6Par quoi, mon fils, tu ne peux
nonobstant ton tendre cerveau
7 Sus, mon fils, t’amoneste (sic pour
admoneste) que si tu vis l’aage naturel
8 Viens donc de mesthui mon fils César
entendre que je trouve par mes revolues calculations
9 La miséricorde du grand Dieu ne sera
point dispergée (sic) en un temps, mon fils
10 Prends donc mon fils César ce don de
ton progéniteur
Tout cela en 9 pages !
Dès lors, le témoignage de Couillard Du
Pavillon nous apparaissait comme suspect, lui qui était
le seul à s’être arrêté sur César. N’était-ce pas plutôt
là une interpolation effectuée au sein de la Déclaration
de Videl en vue d’accréditer l’existence d’une épître de
Nostradamus à s,on fils, dès 1555 ?
Mais, dans ce cas, il fallait bien que
Videl ait eu un autre document de Nostradamus auquel
s’en prendre et qui traitât des Perpétuelles
Vaticinations, de l’an 3797 et d’autres considérations
sur les cycles/âges des planètes tels que figurant,
entre autres, chez Roussat et qui ne serait aucunement
adressé à César.
Et ne serait-ce pas précisément cet
ouvrage, appelé
Prophéties,
dont Gérard Morisse aurait suivi la trace dans les
catalogues de libraires ? Et ne serait-ce pas en raison
de ces Prophéties que les centuries auraient pris ce
titre en recourant à Videl pour composer une préface qui
s’y référait et en reprenait des éléments ?
Cela supposait que la préface ait été
constituée en deux temps : un premier temps (cf Ed.
Besson) n’empruntant qu’une partie des développements
disponibles chez Videl et un second temps empruntant
d’autres développements à partir de la même source.(Ed
canonique de la Préface) à moins de supposer que les
deux versions aient cohabité plutôt que se soient
succédées, étant l’œuvre de deux « ateliers »
travaillant sur les mêmes bases mais chacun à sa façon..
Avant donc que le texte apparaisse en
tête des éditions ligueuses, celui –ci aura existé dans
un autre contexte sans nécessairement qu’il ait été
initialement adressé à César tout en mentionnant, en
passant, sa naissance et son nom. Le fait est que seul
Couillard cite ce nom, nous conduit, finalement, à lui
accorder un caractère d’authenticité. Nous ne disposons
pas de la pièce dont Couillard fait le commentaire mais
uniquement d’états ultérieurs au sein du recueil
centurique, à partir de 1588, plus de 30 ans plus tard.
Une pièce manquante peut ne pas être
perçue comme telle, lorsque le titre de cette pièce
recouvre un autre document que celui d’origine. Si le
type de l’almanach et celui de la pronostication
semblent assez bien définis et circonscrits, l’un étant
plus proche des données strictement astronomiques et
hémérologiques, l’autre s’articulant sur les 4 saisons,
l’un paraissant à la fin de l’année et l’autre à
l’approche du printemps- du moins jusqu’en1562, il n’en
est pas de même de tout ce qui est désigné sous le nom
de présage, de prophétie, de prédiction, de pronostiques,
termes qui semblent assez interchangeables. Les
privilèges désignent ainsi trois catégories : almanachs,
présages, pronostications.(cf nos Documents inexploités sur le phénomène
Nostradamus, p. 201) mais, comme on l’a dit, on ne
sait pas exactement ce que désigne le terme « présages ».
Un texte peut se retrouver dans un contexte qui n’était
pas le sien à l’origine, notamment quand il sert
d’épître à une pièce nouvelle, au prix de quelques
retouches annonçant celle-ci.
Dans les Significations de l’Eclipse qui sera le 16 septembre 1559,
autre document à l’authenticité douteuse, un passage
repris d’un adversaire vise ‘ » tes pronostique (sic)
que tu dis estre merveilleux» mais que contient ce type
d’ouvrage ? On sait cependant par les attaques d’un
Videl, dans sa Déclaration des abus, ignorances et
séditions de Michel Nostradamus,
texte repris dans les
Prophéties du Seigneur du Pavillon et dans la Préface à César,
qu’il est question de vaticinations
perpétuelles, de l’an 3797 et que ce contenu ne
correspond à aucune des pièces que nous connaissons.
Signalons l’emploi du mot « merveilleux »
dans certaines publications nostradamiques : comme ces Prophéties ou Revolution merveilleuse
des quatre saisons de l’an (…) par M. de Nostradamus,
Lyon, 1565, Benoist Rigaud (cf. RCN, p. 71) dont on n’a
pas conservé d’exemplaire. En 1590, le libraire Pierre
Ménier, qui venait de faire paraitre des Centuries,
sortira d’Antoine Crespin, selon nous personnage servant
la cause ennemie, celle d’Henri de Navarre, une
Prophétie merveilleuse.
(BNF), favorable à Charles X Bourbon, en recyclant des
textes du dit Crespin conçus initialement pour des
années antérieures. Rappelons le propos de Daniel Ruzo
au sujet des Grandes et Merveilleuses Prédictions :
(cf. le Testament de Nostradamus, pp ; 279 et seq) concernant des éditions
d’Avignon portant ce titre.
« Les éditions d’Avignon ont paru
parallèlement à celles de Lyon avec un titre différent.
Malheureusement, la totalité des exemplaires de ces
éditions, publiées du vivant de Nostradamus a disparu.
Nous sommes obligés d’en chercher les traces dans des
éditions très postérieures à leur première publication »
En fait, Ruzo s’appuie sur un passage de l’édition
d’Anvers, François de St Jaure, 1590, qui renvoie à une
édition d’Avignon, chez Pierre Roux mais il omet de
préciser que cette édition est signalée en 1590 sous le
nom de « Professies » (sic) bien que le titre de
l’édition d’Anvers soit Grandes et merveilleuses prédictions.
Ce scenario d’éditions parallèles des
centuries, pour 1555, est irrecevable pour diverses
raisons que nous évoquons dans le présent travail mais
il reste que le recours à deux intitulés différents –Prophéties
d’une part, Grandes et Merveilleuses Prédictions
de l’autre, pour désigner des contenus globalement du
même ordre peut interpeller. Mais Ruzo lui-même dans sa
description de l’édition de Rouen 1588 des Grandes et Merveilleuses Prédictions
(p. 282) note que le titre intérieur est « La Prophétie
de Nostradamus ». Selon nous, ce titre est nouveau sous
la Ligue et prend la place, un moment , de celui de
Prophéties- le contenu de ces éditions (hormis celle
de 1588) est plus tardif que celui des éditions
parisiennes mais il emprunte probablement à une
tradition nostradamique ancienne, associée, probablement,
au genre des prophéties perpétuelles..
II Les pièces manquantes des années 1580
Comme nous l’indiquions, les deux
décennies 1550-1580 entretiennent entre elles des
relations complexes puisque la préface à César
n’apparaitrait finalement dans le champ nostradamique
que dans les années 1580 sans que l’on comprenne très
bien les raisons d’un tel scénario si ce n’est dans la
logique d’un testament, d’un mémoire laissé par Nostradamus
à son aîné.
En 1585, on trouve dans la Bibliothèque de Du Verdier, parue à Lyon, chez Honorat,
mention, dans une des multiples « entrées », au sujet de
Nostradamus, de « dix
Centuries de Prophéties par Quatrains (...)
imprimées à Lyon, par Benoist Rigaud, 1568".
On peut réagir de diverses manières à ce
bref passage d’une très lourde Bibliothèque
parue 16 ans plus tard. Soit, on y verra la « preuve »
qu’une édition à dix centuries est bien parue chez
Benoist Rigaud, en 1568, telle qu’elle nous est
conservée par un grand nombre d’exemplaires, classés par
Patrice Guinard, soit, il s’agit d’un document auquel on
aura substitué ultérieurement la dite édition des
Centuries, approchant la « miliade » de quatrains, avec
ses deux épitres à César et à Henri II. Si la dite
Bibliothèque était parue quelques années plus tard, à la
fin des années 1590, on aurait conclu qu’elle se
référait à une édition antidatée. Mais en 1584, cela ne
fait guère sens, étant donné que l’on en est, au mieux,
qu’au tout début du processus qui conduira à cet état à
dix centuries..Il est par ailleurs étrange que La Croix
du Maine, un an plus tôt n’en fasse pas mention à moins
qu’il ne s’agisse, comme nous le pensons, d’une très
récente publication parue entre temps.
Nous pensons qu’il faut y voir de la part
du libraire lyonnais Benoist Rigaud qui jusqu’alors
avait surtout publié du néo-Nostradamus
une contribution à ce que nous avons appelé le
‘revival » nostradamique des années 1580, autour de
Michel de Nostredame en personne, cette fois : il vaut
mieux finalement s’adresser à Dieu qu’à ses saints. Il
s’agit, selon n, de la réédition des quatrains-présages
des almanachs, depuis 1555 jusqu’à 1567, d’où le choix
de la date de 1568.. C’est dans ce recueil que viendront
puiser ceux qui reprirent les quatrains de l’année 1561
pour constituer la centurie septiesme des éditions
parisiennes de 1588-1589.(cf RCN pp.118-119)/
L’existence même d’une « centurie septiesme » à 12
quatrains s’explique précisément par le fait que chaque
« centurie », dans la dite édition Rigaud, avait un tel
format. On nous objectera qu’il y avait 12 années de
présages et non 10. Il s’agit selon nous d’une erreur.
D’ailleurs dans la Vie
de Nostradamus, il est fait référence à 12 centuries :
« Entre autres enfantements de son esprit fécond (..) il
a escrit 12 centuries de prédictions, comprises
brièvement par quatrains que du mot grec il a intitulé
Prophéties. (…) Nous avons de lui d’autres présages en
prose , faits depuis l’an 1550 jusques à 67 qui colligez
par moi, la pluspart & redigez en douze livres sont
dignes d’estre recommandez à la postérité ». On aura
compris qu’il est fait allusion à deux ouvrages, l’un
constitué de quatrains et l’autre de « présages
prosaïques ». Le fait que dans le manuscrit du Recueil de Présages Prosaïques,
on trouve les quatrains mensuels comme interpolés dans
la prose ne saurait nous faire perdre de vue l’existence,
au départ, de deux pièces, l’une déjà parue, celle des
quatrains et l’autre à venir et chaque fois autour d’une
division en 12 : 12 « centuries » dans un cas, 12 « livres »
dans l’autre. On peut donc considérer que le Recueil des Présages Prosaïques
n’était pas encore paru lors de la rédaction de la Vie,
du moins sous la forme qui figure en tête du Janus Gallicus mais qu’en revanche circulait- et cela
est attesté par les éditions ligueuses, un recueil de
centuries de quatrains-présages, comme on les désignera
dans les éditions du XVIIe siècle, et comme le désigne
Du Verdier en 1585.
Comment est-on passé des centuries de
quatrains d’almanachs à des centuries comportant,
chacune, un bien plus grand nombre quatrains ? Il semble
qu’il y ait eu, à un certain stade, substitution et que
le cadre établi par Rigaud de 12 centuries de quatrains
d’almanachs ait été repris pour d’autres affectations,
en conservant bien entendu et le mot « centurie » et la
forme du quatrain. Le fait est que, pour quelque raison,
l’on ait renoncé à atteindre les 12 centuries, le
travail de remplissage restant inachevé. On notera
cependant que les 58 sixains ont été présentés dans
certaines éditions comme constituant une onzième
centurie, comme dans l’édition « 1611 »Chevillot. (cf
RCN, p. 171) qui comportent quelques quatrains sous les
centuries XI et XII. En revanche, l’édition 1605, s.d.et
sans mention de libraire (attribuée à Pierre du Ruau),
les sixains ne sont pas situés au sein d’une centurie XI
mais on y trouve bien 12 centuries à partir de ce qui
est commenté dans le Janus Gallicus.On
notera que la vignette de l’édition 1605, fréquemment
utilisée dans les années 1640- ce qui en trahit la
provenance - est reprise de publications
néonostradamiques, ce qui indique une tendance à ne pas
distinguer aisément au sein des bibliothèques de nostradamica
les publications authentiques et celles qui ne le sont
pas.
En fait, quand on étudie de près la Vie,
l’on peut percevoir un glissement :
« Il a escrit 12 centuries de prédictions
comprises brièvement par quatrains (..) dont trois se
trouvent imparfaites VII, XI (et non IX, du fait d’une
permutation, comme dans les éditions du XVIIe siècle) et
XII. Ces dernières ont longtemps tenu prison (…) Nous
avons de lui d’autres présages en prose faits depuis
l’an 1550 jusques à 67 »
En fait, l’on est passé de trois
catégories à deux. Car si on lit la Vie,
il n’est plus du tout question, à cet endroit, de
quatrains d’almanachs, ce qui est absurde puisqu’au
début de la dite Vie,
on trouve qu’il « se mit à escrire ses Centuries &
autres présages commençant ainsi « D’esprit divin
etc », ce qui correspond à un quatrain de la
Pronostication pour 1555. Il y a eu un télescopage entre
1 centuries de quatrains d’almanachs, 2 centuries de
prédictions non datées et 3 « présages en
prose(Prosaïques) » Sur ce point, Besson ne nous est
d’aucun secours car il reprend la Vie telle quelle sans même corriger IX en XII
et en mettant « de 1550 iusques à 17 » au lieu de 57, ce
qui montre bien que Besson n’a pas de lui-même réécrit
ou fait réécrire les textes car il l’aurait fait pour
l’ensemble..
On peut tenter de reconstituer l’état
initial du document ainsi autour de trois séries de
douze pièces:
« Il a escrit 12 centuries
de prédictions comprises briefvement par quatrains
Ce qui correspond aux Dix/douze centuries
imprimées par Benoist Rigaud et antidatés à 1568, date à
laquelle d’ailleurs, elles auraient pu bel et bien
paraitre mais dans ce cas La Croix du Maine les aurait
signalées en 1584, à l’article Nostradamus de sa Bibliothèque.
Ces centuries ne sont pas « incomplètes », elles
comportent les quatrains correspondant aux années. On
peut cependant se demander d’où Rigaud tenait-il cette
collection de textes déjà anciens. Toujours est-il que
l’existence de cette collection, dans les années 1580,
est attestée par l’existence même du Recueil des Présages Prosaïques
qui les comporte et par les éditions ligueuses pour
l’année 1561. Le mot « briefvement » conviendrait, au
demeurant, assez mal pour décrire une centaine de
quatrains par centurie.
2 [Nous avons également de lui
12 livres de centuries prophétiques]
dont trois se trouvent imparfaites, la VII, la XI, la
XII
Nous reprenons là une formule de l’Epître
à Larcher (en tête de l’Androgyn,
1570), signée Jean de Chevigny :
« duquel (Nostradamus) j’ay encores riere
(sic, derrière) moy tous (sic) les œuvres tant en
oraison prose que tournee, que bien tost je mettray en
lumière (voici) le quatrain quarante cinquiesme de sa
seconde Centurie prophétique »
3 « Nous avons de lui d’autres présages
en prose (…) redigez en douze livres ». »
Elles sont conservées, en 12
regroupements, dans le manuscrit du Recueil des Présages Prosaïques.
Chavigny y insérera les quatrains des almanachs repris
dans le Janus Gallicus,
mais ne commentera la prose que dans les Pléiades (1603). Ses lecteurs pouvaient se référer
à l’édition Rigaud des centuries tirées des almanachs
comme des éditions centuriques. En fait, Chavigny, pour
arriver à 12, recourt à un expédient en rassemblant en
un seul « extrait » les années 1550, 1552, 1553, 1554 et
1555 (cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus,
pp. 193 et seq) puis en un deuxième 1556 et 1557, ce qui
donne bien 12, puisqu’ensuite on a 1558, 1559, 1560,
1561, 1562, 1563, 1564 ; 1565, 1566, et 1567.
Mais à quoi ressemblaient les toutes
premières éditions qui apparaissent au milieu des années
1580 ? Nous disposons in extremis
d’une édition très ancienne, grâce à l’édition de 1588,
du libraire rouennais Raphaël du Petit Val. In extremis
car il s’agit là d’un unicum
et que celui-ci n’est pas actuellement, à notre
connaissance, accessible. Heureusement, son ancien
possesseur Daniel Ruzo l’a décrit assez précisément dans
le Testament de Nostradamus
(Le Rocher, 1982).
In extremis
aussi parce que le contenu de cet exemplaire ne
correspond pas au titre qui est celui d’une édition plus
tardive. Il n’est pas contrairement à son titre divisé
en 4 centuries mais se présente d’un seul tenant, avec
ses 349 (et non 353) quatrains.
Une autre importante lacune de notre
documentation concerne les premières éditions des
centuries VIII-X. Il apparait en effet que nous ne
disposons que d’éditions retouchées, cela ressort de la
juxtaposition dans l’Epitre à Henri II de l’année 1585
et de l’année 1606, notamment dans l’édition Cahors
Jaques Rousseau 1590. Il nous manque une édition sans la
mention 1606 surajoutée. Certains quatrains vont dans le
même sens d’additions tardives, comme le quatrain
appartenant à la « queue » des trois dernières
centuries, X, 91 qui mentionne en clair l’année mille
six cents neuf. C’est à la fois une date trop proche et
trop tardive : trop proche pour relever d’une
computation cyclique à très long terme et trop tardive
pour correspondre à des enjeux immédiats, si l’on ne se
place pas dans une antériorité bréve de quelques années
au plus. L’Epitre à Henri II a d’ailleurs certainement
été réactualisée pour être en prise sur le début du
XVIIe siècle puisque l’on y trouve- sans que ce soit
d’ailleurs explicité dans le texte - les positions
planétaires de l’année 1606 qui ne font sens que pour
les contemporains. Autrement dit, aucune première
édition Rigaud néo-centurique « 1585 » ne nous serait
parvenue et ce que nous connaissons- type « 1606 »-
appartient à une période correspondant aux dix dernières
années du régne d’Henrti IV . Il nous apparait que ce
temps fut particulièrement propice au nostradamisme si
l’on en croit le nombre d’éditions ayant ce profil, cela
correspond d’ailleurs à l’émergence des sixains
morgardiens qui seront ensuite intégrés dans le canon
centurique, lesquels sont truffés de dates appartenant à
la première décennie du dit XVIIe siècle. En ne
replaçant point cette série d’éditions au début du XVIIe
siècle, l’on risque fort de commettre une grave erreur
de perspective, d’autant que c’est dans ce contexte
politique que nombre de quatrains font sens. Nous
ajouterons que lorsque l’on examine les échéances
figurant dans la production de Nostradamus, celles-ci
touchent –pour ce qui est des échéances pour la fin du
siècle, plus aux années 1570 qu’aux années 1580. Il
faudra attendre le néo-nostradamisme pour que la
décennie suivante soit en ligne de mire, ce qui
correspond à un nécessaire recyclage de tout texte
prophétique.(cf notre thèse d’Etat, Le texte prophétique
en France) s’opérant souvent à l’économie par un simple
changement de chiffre. Cela ressort notamment des
différentes moutures d’épitres de Nostradamus au Pape
Pie IV, au début des années 1560 (cf notre Post Doctorat).
.
Nous sommes là confrontés au probléme des
rééditions qui ne se présentent pas comme telles. On
comprend ainsi pourquoi les éditions Rigaud 1568 ne se
présentent pas comme posthumes et ne comportent pas un
appareil nécrologique car elles ne seraient que des
rééditions de parutions du vivant de Nostradamus, et
notamment du diptyque Antoine du Rosne, dont manque le
second volet.(VIII-X). L’absence aléatoire du second
volet aura conduit les nostradamologues à privilégier la
thèse d’une parution d’abord posthume mais cela ne vaut,
en fait, que pour le recueil évoqué par Du Verdier, en
1585, dans sa Bibliothèque réunissant tous les quatrains récupérés
dans les divers almanachs et pronostications( dans le
cas de l’année 1555). Il semble que l’on ait oscillé
entre les deux thèses et l’on trouve ainsi des arguments
dans les deux sens.
. Dans les années 1590, à commencer par
le Janus Gallicus
de Chavigny, la présentation posthume est exposée : »M.
Michel de Nostredame jadis conseiller & médecin des rois
Tres Chrestiens etc ». Qui plus est, on y trouve un
« Brief Discours sur la vie de M. Michel de Nostradame
etc « ainsi que des exemples de la valeur prophétique
des quatrains. On notera que dans ce texte nécrologique,
il est fait référence à César de Nostredame et il semble
pour la première fois en dehors de la préface qui lui
est adressée et des Prophéties du Seigneur du Pavillon
Les Lorriz.
Comment peut-il se faire qu’une telle
présentation ne soit apparue qu’en 1594 alors que des
éditions des centuries circulent depuis au moins 1588 ?
Nous pensons, d’ailleurs, raisonnable de supposer que le
« Brief Discours » a du figurer au sein de la réédition
en un seul volume de ses quatrains mensuels puis
intégrée, au prix de quelques retouches, dans une
perspective néo-centurique.
On notera que la fausse édition Pierre
Rigaud 1566, fabriquée à Avignon vers 1716, comporte la
reproduction de la pierre tombale de Nostradamus, ce qui
n’est pas le cas des éditions Benoist Rigaud 1568 qui
sont marquées par l’absence totale de référence au décès
du dit Nostradamus.
D’ailleurs, toutes les éditions qui
portent le titre « Prophéties » ont en commun l’absence
de tout appareil nécrologique, biographique,
méthodologique (mode d’emploi), exégétique alors que les
éditions dotées d’autres titres en comportent un. Les Vrayes centuries et prophéties (…)
avec la vie de l’autheur (..) et plusieurs de ses
Centuries expliquées….
Les éditions troyennes – que nous situons
à la fin des années 1630, qui paraissent sous le nom de Prophéties
ne comportent un élément posthume que dans le troisième
volet, avec l’Epitre à Henri IV, datée de 1605,
introduisant les sixains en s’intitulant « Prédictions
admirables (…) recueillies des mémoires de feu M. Michel
Nostradamus (de son) vivant médecin du Roy Charles Ix
etc ».
Nous sommes donc en présence de deux
écoles qui se perpétuent parallèlement. Etrangement, il
semble que ce clivage se soit maintenu jusqu’à nos jours,
parmi les nostradamologues, entre tenants d’éditions du
vivant de Nostradamus et tenants d’éditions parues bien
après sa mort.
L’étude des éditions centuriques
existantes fait apparaitre des divergences majeures :
d’une part des éditions qui se succèdent par des
additions successives, arguant du fait que tout n’est
pas divulgué d’une seule traite et d’autre part, des
éditions antidatées qui se présentent comme d’un seul
tenant et qui effacent toute marque interne d’addition,
et dont une des pièces majeures semble être une édition
disparue, celle du second volet introduit par l’Epitre à
Henri II et qui serait parue dès 1558, à la veille de la
mort du dit Henri, en 1559. Cette pièce a d’ailleurs due
être bel et bien fabriquée et adjointe au premier volet,
dès 1557 ou 1558 venant compléter le premier volet de 7
centuries censé être paru dès 1555. Mais là encore
l’édition 1555 à 7 centuries a disparu..On aurait pu se
rabattre sur une édition à deux volets, chez Antoine du
Rosne, 1557, mais comme on l’a dit, le second volet de
l’exemplaire Utrecht a disparu. Force est donc de s’en
tenir à l’édition Benoist Rigaud 1568, donc posthume
sans l’être, puisque supposée copie de la dite édition
Antoine du Rosne Utrecht.. Cette édition Rigaud ne porte
en effet aucune marque propre à une édition posthume.
Parmi les pièces manquantes, ajoutons le
cas des premières éditions séparées des centuries
VIII-X, dont l’orientation politique est assez
incompatibles avec les centuries I à VII.. Or, on ne les
connait que dans le cadre de volumes à 10 centuries. Il
est plus que probable que le canon centurique, à
différentes époques, a consisté à rassembler des pièces
séparées.
Dès lors que chaque camp peut profiter
indéfiniment des carences du corpus de l’autre camp, il
semblerait que les uns et les autres restent sur leurs
positions respectives ; dans une sorte d’équilibre qui
peut cependant être rompu par l’émergence d’un nouveau
facteu
4
- De la détérioration à la
formation du corpus centurique
Nous observons que ce qui nous apparait
comme les étapes d’une formation est perçu par d’autres
comme le signe d’une détérioration, d’une déperdition.
Comment deux processus aussi différents peuvent-ils se
confondre ? Est-ce que sous la Ligue, nous assistons à
un démembrement d’un corpus constitué dans les années
1550-1560 ou au contraire à la formation du dit corpus,
dont les données relatives aux dites années seraient
contrefaites ? Il est vrai qu’il existe quelque
ressemblance entre un phénomène qui se déploie, souvent
par à coups, par bonds successifs et un autre qui serait
en pleine déliquescence, tel un édifice tombant en
ruines.
Il est certes recommandé de comparer un
maximum de documents entre eux pour les ordonner de
façon rationnelle mais il n’est pas interdit de signaler
des manques, des corruptions et d’en tirer certaines
conclusions, cela peut jouer un rôle complémentaire dès
lors que l’on sait que le passé ne nous parvient jamais
que par bribes, la carte n’étant pas le territoire,
comme on dit en sémantique générale. Au XVIIe siècle, le
dominicain Giffré de Réchac, dans son Eclaircissement
de 1656, expose une méthodologie qui passe par ce qu’on
peut appeler la critique interne, étant donné qu’il ne
disposait que d’une documentation extrêmement limitée,
par comparaison avec celle dont nous disposons de nos
jours. C’est ainsi que le dominicain avait proposé,
entre autres, de corriger estang par estaing, au
quatrain I, 16, donc un des premiers quatrains d’une
longue série car il est clair qu’il est fait référence
ici à Jupiter, dont c’est le métal, au sein d’un
quatrain marqué par les données astronomiques ,
empruntées au Livre de l’Estat et Mutations des
temps de Richard Roussat, Lyon, 1550: Or, cette
« faute » s’est maintenue des siècles durant. Peut-on
supposer que la première édition de la première centurie
comportait bien « estaing » ou doit-on concevoir que
l’erreur aurait été commise dès la première impression ?
Mais cela n’expliquerait pas pourquoi il n’y a pas eu
correction, par la suite.
Parmi les corrections qui semblent être
intervenues, comptons, en tout cas, celles qui
concernent le titre du premier volet centurique « dont
il en y a trois cens » (Raphael Du Petit Val, Rouen,
1589, François de St Jaure, Anvers, 1590, Antoine du
Rosne, Lyon 1557) corrigé en « dont il y en a trois cens
(« éditions parisiennes 1588-1589, -Benoist Rigaud 1568,
Cahors 1590). Le cas des éditions parisiennes est assez
paradoxal : elles ont un contenu très « primitif »,
antérieur à la formation de la centurie VII, canonique
mais par leur titre, elles apparaissent comme des
éditions à sept centuries, avec 39 quatrains à la VII,
ce qui les place après Anvers 1590, avec la suppression,
en outre du « il en y a » qui affecte jusqu’aux éditions
antidatées 1557.
Un autre cas, assez bien connu, est celui
de l’avertissement latin, placé entre la Vie et la VIIe
centurie. P. Brind’amour (Nostradamus
astrophile)
a montré que Legis Cantio devait être au départ Legis Cautio. Les éditions Rigaud ont « Cantio »
tout comme le troyen Chevillot ou Antoine du Rosne 1557
Utrecht, alors que Pierre Du Ruau, autre libraire troyen
a bien Cautio,
tout comme Besson (c 1691) ou Garancières (1672). Cela
peut servir de critère de datation. On notera en tout
cas que les éditions du XVIIe siècle ont souvent « Cautio ».
Il semblerait que les éditions Rigaud ou Du Rosne
Utrecht aient été réalisées à partir de Chevillot lequel
n’avait pas comme Du Ruau procédé à diverses corrections
critiques.
Quand il y a une série de noms de lieux,
on peut corriger un lieu qui ne correspond pas, alors
que tous les autres constituent un ensemble
géographiquement homogène. On pense à IX 86, où l’on
trouve Chartres au milieu de villes de la banlieue
parisienne. Or, il existe une petite ville nommée
Chastres et qui correspondrait mieux. Cette approche est
validée par la Guide des Chemins de France
qui a servi aux rédacteurs du second volet de centuries.
A la centurie VIII, le quatrain 52 comporte plusieurs
villes proches de la Loire comme Blois, Amboise,
Poitiers, Saintes ainsi qu’un fleuve, l’Indre. Mais on
peut corriger un verset tronqué qui comporte « Boni »,
pour Bonny sur Loire. La présence d’Avignon, dans ce
quatrain est insolite.
,
elle ne justifierait donc pas Bonnieux, près d’Avignon.
En revanche, «Seme » pourrait être une corruption de
Saumur, Ongle d’Orléans. Dans IX, 86 et VIII 52, les
décalages sont vraisemblablement dus à des retouches qui
ont pu sembler indécelables, faute d’observer que tout
le quatrain est centré sur une certaine aire
géographique de par la structure même de sa source ainsi
constituée.
Sur un plan technique, il semble qu’il
soit légitime de corriger dans I, 54 un chiffre dont
l’écriture est proche deux et dix : :
Deux revolts faictz du malin falcigere
De régne & siecles faict permutation
D’aucuns ont remarqué qu’il faudrait
mettre Dix à la place de Deux, car il existe un cycle
bien connu formé par dix révolutions de Saturne(le
porteur de faux, le falcigere) ; en astrologie médiévale.
Si l’on passe aux épîtres en prose, une
lecture attentive est susceptible de relever des lacunes
dans le texte, sans lesquelles le texte devient à peu
près incompréhensible. Quand on lit, par exemple, « que
tu ne sois venu », ne fait pas sens si l’on n’ajoute « que
tardivement ». ou « il n’est possible te laisser par
escrit » alors que précisément il est question d’un « mémoire »,
si l’on ne précise « pat trop clair ». Et c’est
précisément ce à quoi correspond l’édition Besson (c
1691). Ou dans l’Epitre à Henri II « qu’il n’estoit
nullement permis d’aller à eux ny moins s’en approcher’
où il manque « sans quelque offrande » (en l’occurrence,
« sans mains garnies de riches offrandes » (Besson c.
191). Des formules restrictives (ne…que, nullement… si
ce n’est, etc) deviennent ainsi à tort des formule
négatives.
Jean Céard, dans sa préface au Répertoire Chronologique Nostradamus,
préconise une « étude littéraire des Centuries »-(p.
VIII), notamment au regard de la versification, des vers
faux. Les coquilles doivent être repérées et corrigées.
« Ainsi va son chemin un texte de plus en plus défiguré ».
Céard prend le cas du quatrain II 47 :
Les souverains par infinis subjuguez
« ce qui fait un vers faux. Ne peut-on
lire
Les souverains par infims subjuguez ?
« Ce latinisme (infimi,
les plus humbles, les plus petits ) aura été mal lu par
le typographe qui lui a substitué le plus commun (infinis).
(ce qui a ) fait commettre à Nostradamus une grossière
erreur de versification et détruit une opposition très
nette entre souverains et infims »
Mais, hâtons-nous d’ajouter qu’il en faut
en tirer les implications au niveau de la datation et de
la chronologie des éditions. Mais l’abord des textes en
prose reste prioritaire – on y a en principe plus
« pied » - par rapport à celui des quatrains d’autant
que comme nous l’avons dit ailleurs, les quatrains
dérivent largement des textes en prose introductifs. Le
quatrain à l’origine a-t-il d’ailleurs vocation à faire
sens, dès lors qu’il déconstruit délibérément le texte
en prose ? Ce n’est que dans un deuxième temps que le
quatrain nostradamique devient l’élément de référence,
accédant au statut de principal porteur du message,
l’arbre du quatrain cachant la forêt de l’épître.
Travailler sur un quatrain isolé, détaché du reste des
quatrains d’une même centurie est tâche plus aisée
encore. On assiste à un démembrement de l’édifice
nostradamique, chaque pierre du « mur » devenant un
tout de façon fractale.
Prenons cependant le quatrain X, 91, un
des derniers donc de l’ensemble de dix centuries :
Clergé Romain l’an mil six cens & neuf
Au chef de l’an feras election
D’un gris & noir de la Compagnie yssu
Qui onc ne feut si maling
En parcourant récemment, en vue de ce
texte, toute la série des quatrains, nous nous sommes
arrêtés sur un quatrain atypique en rapport avec le pape,
lequel quatrain semblait ne pas respecter la rime. A
partir de là, nous avons comparé diverses éditions et
avons trouvé la solution en l’une d’entre elles, où le
quatrième vers, comportait un mot de plus, à savoir « compagnon »,
ce qui fait pendant à « Compagnie » au troisième verset.
Or, quelle était cette édition ? Comme par hasard,
l’édition d’Antoine Besson. La lacune figurant partout
ailleurs, que ce soit chez Garencières, Rigaud, Du Ruau,
Chevillot. On peut en tout cas considérer que Besson
correspond à un nouveau stade de l’édition centurique,
prenant la suite du stade troyen, par son recours à des
sources restées largement occultées. Toutefois, cette
édition n’exercera guère d’influence sur le cours de la
production centurique qui en reviendra, au xVIIIE
siècle, à des éditions de type Rigaud-Chevillot.
Jusqu’à quel point peut-on se permettre
de corriger un texte, sans l’appui d’une version
existante ? Il est des cas où la correction est légitime :
ainsi pour un nom de lieu écorché, dès lors que le
contexte impose cette solution, quand il s’agit d’une
série dont les facteurs se suivent normalement selon un
ordre immuable.
Nous avons déjà noté à quel point les
éditions de Londres-Garencières et Besson se détachaient
du lot. Elles ont un point commun qui n’est probablement
qu’anecdotique : il s’agit du chevalier Jacques de Jant
(1626-1676), intendant et garde du Cabinet des raretés
de Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV. En effet, au
moment où Théophile de Garencières publie sa traduction,
à partir de documents jamais parus en français, autant
qu’on le sache, Jant se faisait connaitre, en cette même
année 1672 par des Prédictions tirées des Centuries de
Nostradamus
(cf RCN, pp. 247 et seq). Or, les textes de Jant
reparaitront après sa mort survenue en 1676, à Rouen, en
1689
(puis en 1691 et 1710 (cf RCN, p. 291) chez Jean
Baptiste Besongne dans le cadre de Vrayes Centuries et Prophéties (…)
Avec la vie de l’autheur et plusieurs de ses Centuries
expliquées par un Scavant de ce temps
(cf RCN, p. 261), ce qui est le même titre que l’édition
Besson, non datée. En fait, Besson, se sert du cadre et
du titre rouennais mais y apporte des modifications
considérables, introduisant d’autres versions des
épîtres ainsi que des corrections concernant certains
quatrains comme IX 91. Etant donné que cette
présentation rouennaise augmentée d’un commentaire
datant des années 1670, date de 1689, cela constitue un
terminus pour l’édition lyonnaise. Sous couvert des
éditions rouennaises, Besson introduit subrepticement de
nouveaux éléments. Il revient à Robert Benazra d’avoir
signalé- certaines particularités de cette édition : « Lettre
modifiée et tronquée » pour la préface à César et «
Lettre considérablement réduite » pour l’épître à Henri
II (p. 266)
Tout le débat est là : les
nostradamologues des trente dernières années n’ont –ils
pas quelque peu abusé de cette thèse selon laquelle les
éditions non conformes au canon seraient ipso facto
étiquetées comme « tronquées », « lacunaires », avec des
quatrains « manquants » ? Chez Benazra, c’est devenu
comme un leit motiv,
notamment en ce qui concerne les éditions des années
1588-1590 qui ont le grand tort de ne pas correspondre à
l’édition Benoist Rigaud de référence. C’est ainsi que
Benazra juge que dans l’édition de Rouen 1588, certains
quatrains de la Ive centurie auraient en quelque sorte
« sauté » puisque l’on n’arrive pas à 53 quatrains. De
même pour l’édition d’Anvers dont la centurie VII ne
« fait » pas ses 40 quatrains réglementaires (RCN, pp.
122-127). Au lieu de voir se construire, progressivement
un corpus, d’aucuns ne veulent parler que d’une
détérioration, ce qui s’explique par le fait, selon nous,
que les éditions les plus achevées auront servi de
modèle pour les éditions antidatées. Une seule
exception, toutefois, celui des éditions centuriques
antidatées, se présentant comme parues en 1560/1561
(type Veuve N. Buffet, exemplaire actuellement conservé
à la librairie Thomas Scheler), qui sont conformes aux
éditions ligueuses parisiennes.(cf. RCN, pp. 51 et seq)..
R Benazra écrit à ce sujet : « si cette édition a
réellement vu le jour, il apparait que l’éditeur
parisien (c’est une femme, Barbe Regnault) n’a point
connu l’édition lyonnaise d’Antoine du Rosne(1557)
puisque les copies de 1588 et 1589 ne nous donnent que
74 quatrains à la Vie centurie. De là à penser qu’il n’a
point connu l’édition lyonnaise de 1558 avec la préface
à Henri II - que les copies (sic) de 1588 et & 1589 ne
reproduisent pas –il n’y a qu’un pas que nous sommes
tenus de franchir ». Benazra s’explique par ailleurs (cf
RCN, pp. 35 et seq).sur l’existence de la dite Préface
dont les éditions ligueuses n’auraient pas tenu compte :
« Il n’aurait servi à rien que Nostradamus écrivît une
préface adressée à un certain « Henri Second », s’il ne
la faisait pas publier avant la mort en juillet 1559 du
souverain (…) Et il n’est guère probable qu’un imprimeur
aurait osé éditer après le décès du roi (..) un livre
qui s’ouvre sur une longue dédicace adressée au Roi » .
Nous observons donc que d’une part, nous
trouvons des épîtres qui visiblement sont lacunaires
ainsi que quelques quatrains qui ont perdu quelque mot
en cours de route –ce qui ne semble pas préoccuper outre
mesure les nostradamistes - et de l’autre, on nous parle
d’éditions dramatiquement lacunaires, qui auraient été
délestées de nombre de quatrains voire de centuries
entières.
Mais il convient de signaler aussi la
corruption de la Vie de Nostradamus, ce qui ressort, une
fois de plus, de la lecture de la « traduction »
anglaise et cela affecte également le Janus Gallicus
dont le « Brief Discours » nous apparait dès lors comme
défectueux, ce qui souligne le caractère de « recueil »
du dit Janus avec une transmission pas trop regardante
quant au contenu. Au cas de figure de l’interpolation
vient faire pendant une « extrapolation » au sens d’un
passage qui disparait. Cela d’ailleurs avait été
remarqué pour l’épitaphe si on la compare au document
authentique tel qu’il figure gravé sur la pierre à Salon
de Provence. Mais abordons, dans le texte anglais, le
récit même de la biographie de Nostradamus, tel que
rendu dans la Vie. On nous parle de la venue à la Cour
de Nostradamus. Mais le texte est confus puisque
cohabitent les années 1556 et 1555 comme si l’on avait
mis bout à bout deux versions : « And Henry the II King
of France, who sent for him in the year 1556 (…) He went from Salon to
the Court the 14th of July in the year 1555 and came to
Paris upon the 15th
of August”
Que nous dit le texte français tel qu’il
sera véhiculé tout au long du xVIIe siècle et déjà dans
le Janus Gallicus:”
“Henry UU Roy de France l’envoya quérir pour venir en
Cour l’an de grace 1556 & ayant avec iceluy communiqué
de choses grandes le renvoya avec présens. Quelques ans
après (sic) Charles IX son fils visitant ses provinces (que
fut 1564) (..) ne voulut faillir de visiter ce Prophéte »
Joli raccourci d’une dizaine d’années qui
certes évite le doublon 1556/1555. Le texte anglais nous
restitue le passage manquant et que nous résumerons ici :
il y est notamment question de la venue, par la suite,
de Nostradamus à Blois pour y observer les princes. Il
retourna ensuite à Salon où il mit la dernière main à
ses dernières Centuries. (last
centuries)
qu’il dédia à Henri II en 1557, « two years later » (deux
ans après le voyage de 1555). Visiblement, l’on veut
nous faire croire que c’est cette épitre qui figure en
tête des Centuries. A Salon, Nostradamus reçut
successivement la visite du Duc de Savoie(en octobre) et
de Marguerite de France (en décembre), dont le mariage
avait été décidé au Traité du Cateau Cambrésis. Et l’on
passe à Charles IX, dont le voyage de 1564 figure dans
toutes les versions. On notera que Crespin Archidamus se
présente comme l’astrologue du Roi de France et de la
duchesse de Savoie.
Il est assez étrange que la partie ainsi
supprimée concerne la composition des Centuries. Mais le
texte anglais est également assez confus à ce propos ;
on nous dit que ce sont ses almanachs qui firent sa
réputation et le firent venir à la Cour et il est même
signalé les attaques du « Lord Pavillon » – le Seigneur
du Pavillon (alias Couillard)- il semble qu’il s’agisse
des Contreditz.- mais aussi celles de Jodelle.
Et on nous parle ensuite de ses Centuries
qu’il va compléter alors que l’on ne nous avait pas
signalé leur existence précédemment.
Quant à la fin de la Vie,
narrée dans le texte anglais, cela diffère sensiblement
du texte du Janus Gallicus,
fort pauvre sur le plan bibliographique, sans que l’on
puisse déterminer s’il ne s’agirait pas cette fois d’un
ajout de Théophile de Garencières. On y trouve en tout
cas des données bibliographiques supplémentaires,
sensiblement plus précises d’ailleurs que celles qui
précédaient et qui ne donnaient pas les noms des
libraires. :
-
“A
Book of recepts for the preservation of health,
“printed at Poitiers in the year 1556”
-
Another concerning the means of
beautifying the Face and the Body , Anvers, Plantin,
1557; dédié à son frère Jean, “attorney at the
Parliament of Aix”
-
Une traduction du latin au français de
la Paraphrase de Galien sur
l’Exortation de Ménédote,
Lyon, Antoine du Rosne, 1557
-
Inversement, dans le texte français, il
est question de César qui n’est pas mentionné dans le
texte anglais et pas davantage de l’épitre qui lui
aurait été adressée par son père. Chavigny semble
avoir rajouté tout un programme de publications à
venir. Concernant cette « Vie », Besson nous est
d’aucun secours, ce qui montre bien qu’il n’a pas lu
l’édition anglaise de 1672. Quand parut un tel texte
tel que restitué par Garencières aussi tard que
1672 ? Très vraisemblablement avant son occurrence
dans le Janus Gallicus.
(1594). On peut le situer dans les années 1590,
puisqu’il parle de l’Epitre à Henri II et des « dernières
Centuries ».
-
Les lacunes biographiques seront
comblées au début du XVIIIe siècle.(cf R. Benazra, Abrégé de la vie et de l’Histoire de
Michel Nostradamus, par Palamède Tronc du Coudoulet,
Ed. Ramkat 2001) et le passage coupé
dans le Janus Gallicus
sera ainsi restitué mais ne modifiera pas pour autant
l’appareil des éditions néo-centuriques. En revanche,
outre Manche, la version anglaise sera diffusée à
partir de 1672 sous une forme non expurgée.
Paradoxalement, le texte français de la version
anglaise de la Vie
de Nostradamus ne nous est connu que par une édition
datant du tout début du XVIIIe siècle- Aix, Adibert,
1701, Abrégé de la Vie de Michel
Nostradamus
(cf RCN, pp. 282 et seq)- tout comme le texte de
l’épitre à César ne nous est connu, pour sa partie la
plus ancienne, que par une édition de la fin du XVIIe
siècle (cf R. Benazra, Abrégé de la vie
etc, pp. 37 et seq). En fait, cette impression de 1701
est très lacunaire par rapport à la version de 1672
mais pas de la même façon que le « Brief Discours »
dans le Janus de 1594. L’ordre de certains
paragraphes est permuté. C’est ainsi que l’on connait
ainsi la date de la visite du Duc de Savoie et de
Marguerite de France : Le texte anglais nous donnait
les mois mais point l’année, 1553, donc avant et non
après l’invitation à la Cour, comme indiqué dans la
Vie... En revanche, le manuscrit jamais imprimé de la
Bibliothèque Méjanes, à Aix en Provence que transcrit
Benazra est plus ample et plus précis que la version
anglaise si ce n’est sur certains points comme la
parution chez Antoine du Rosne de la Paraphrase de Galien,
point qui n’est pas indiqué. Mais dans le manuscrit,
il est indiqué en tête de la série de ses œuvres « Outre
les centuries de Nostradamus on a de lui etc. », ce
qui ne figure pas dans la version anglaise mais comme
l’on ne cite pas les almanachs, on peut se demander à
quoi renvoie ici le mot « centuries ». . Le
commentaire de certains quatrains resta donc inédit
comme cela avait été le cas pour Giffré de Réchac dont
le commentaire (Eclaircissement,
1656) est pour l’essentiel resté
manuscrit (cf notre post doctorat) En bref, la Vie de
Nostradamus comporte diverses versions comme pour les
épitres centuriques.
-
Si les nostradamologues sont disposés à
admettre que des quatrains voire des centuries ont pu
être ajoutées, ce qui ressort notamment de la
chronologie ordinaire et consensuelle à trois étages :
4 centuries en 1555, 7 centuries en 1557, 10 centuries
en 1568, fondée, articulée sur les éditions conservées,-
en revanche, il semble que l’idée d’épîtres augmentées,
interpolées, leur apparaisse comme une incongruité. En
revanche, ils sont toujours prêts à admettre que pour
quelque raison, on aurait pu tronquer des textes,
supprimer des quatrains. Ce n’est en effet pas, on
s’en doute, la même démarche.
Ce qui vient évidemment compliquer les
choses et les perspectives, c’est le fait que ce que
l’on peut appeler le « système centurique » a mis en
place toute une série de défenses qui conduisent à un
certain renversement de la chronologie, ce qui est à la
fin d’un processus étant alors censé se placer en son
début. Si d’une part, ce système peut être perturbé par
la multiplicité des documents exhumés, à différents
moments, il a su, d’autre part, fabriquer ses propres
documents antidatés. D’où un accueil qui diffère selon
que l’on découvre un des dits documents antidatés, comme
les exemplaires Macé Bonhomme, Antoine du Rosne, mais
aussi les Prophéties
de Couillard, les Significations de l’éclipse
de 1559, l’Androgyn
de 1570, le Recueil des présages prosaïques
voire des
Prophéties d’Antoine Crespin, truffées d’extraits de
quatrains,
qui sont autant de « garants » des
Centuries,
ou, a contrario,
que l’on signale des éditions comme celle d’Antoine
Besson ou les particularités de la traduction anglaise
de 1672 voire les éditions ligueuses (Paris, Rouen,
Anvers) qui, somme toute, sont bien embarrassantes et
dont on cherche souvent à minimiser l’importance. Quant
à la recherche des sources, il n’est pas certain que les
liens entre les quatrains et la Guide des Chemins de France
aient été si bien accueillies que cela pas plus
d’ailleurs que la mise en évidence d’emprunts à Roussat
et à son Livre de l’Estat et Mutation du Ciel,
tant pour telle épître que pour tel
quatrain. Signalons le sous titre de cet ouvrage : « prouvant
par authoritez de l’Escriture Saincte & par raisons
astrologales la fin du Monde estre prochaine », ce qui
correspond à un dosage qui correspond assez bien à celui
que l’on préte à Nostradamus au vu de ses épitres
centuriques.
Pour employer une image
appartenant au langage de la finance, le système
centurique a mis en place un processus de cavalerie en
ce sens que les garants qu’il signale pour valider les
éditions antidatées ont été générés par le dit système
et qu’inversement les garants eux –mêmes sont « couverts »
par les dites éditions. Robert Benazra a rédigé un texte
intitulé : « Les premiers garants de la publication des
Centuries de Nostradamus etc » (site ramkat.free.fr). Il
écrit ; « Il y a,
en effet, une toute petite phrase dans les Prophéties de
Couillard que personne n'avait relevé jusqu'à présent et
qui va apporter une éclatante confirmation de ce que
nous avons toujours pensé. Lorsque le Seigneur du
Pavillon lez Lorriz écrit à propos de l'auteur dont il
paraphrase le texte (celui de César), qu'il a "avec
labeur merveilleux faict trois ou quatre cens
carmes de diverses ténébrositez"
(fol. E2v), il ne fait nul doute que nous avons là une
allusion très claire aux quatrains qui suivent la
Préface à César, ces "fantasticques compositions" (fol.
A4v et D3v), "dictions tenebreuses & ... fabuleuses"
(fol. E2v) ou encore ces "carmes tenebreux et obscurs"
(fol. B1r) , pour employer des expressions du Seigneur
du Pavillon. ». Pourquoi pas puisque telle est,
précisément, la raison d’être de ces
Prophéties du
Seigneur du Pavillon que de valider celles de
Nostradamus ?
5
- La place des textes
antinostradamiques dans la fabrication de faux
centuriques.
Notre travail de reconstitution et de
mise en ordre du corpus nostradamique ne serait pas
achevé si nous n’abordions pas, si nous laissions
derrière nous, les dernières citadelles construites par
les architectes du « centurisme ». Nous n’avons guère
jusqu’ici traité de la littérature anti-nostradamienne
censée parue dans les années 1556-1560, période
singulièrement riche, sur le plan polémique, par rapport
aux années qui suivront, jusqu’à la mort de Nostradamus
en 1566 et au-delà. Certes, à partir de 1560, avec
l’édit d’Orléans sur les almanachs, des contraintes de
plus en plus lourdes vont peser sur la production de ces
prédictions annuelles mais cela n’empêchera pas la
production nostradamienne et pseudo-nostradamienne de
continuer sur sa lancée, avec notamment les faux
almanachs produits à Paris par la veuve Barbe Regnault
et par la veuve Nicolas Buffet, et dont le premier
numéro concerne l’année 1561.
Dans sa « Biblio-iconographie du corpus Nostradamus »,Patrice
Guinard reproduit les pages de titre de deux almanachs
de ce type pour cette année, auxquels il convient
d’ajouter toute une série pour 1562 (Prognostication,
Bib. Munich) et 1563 (Almanach,
Bib. Municipale Lille) notamment, marquée par l’usage de
vignettes particulières que l’on retrouvera sur les
fausses éditions 1555 Macé Bonhomme et 1557 Antoine du
Rosne (y compris pour la Paraphrase de Galien) alors
même que les vignettes des vrais almanachs sont d’un
autre type et portent le nom de M.de Nostredame) Or,
tout se passe comme si les attaques avaient cessé après
1560 et les Contreditz du Seigneur du Pavillon Les
Lorriz
à savoir ’Antoine Couillard (Paris, L’Angelier)
Etrangement donc, comme un fait exprès,
l’environnement des fausses éditions centuriques des
années 1550 est encombré par toutes sortes d’attaques
contre Nostradamus visant d’ailleurs essentiellement ses
publications annuelles mais peut être surtout les
épîtres qui figurent en tête des dites éditions
centuriques, les Prophéties du Seigneur du Pavillon pour la préface à
César, parue (janvier 1555, c'est-à-dire 1556) juste
après l’épître à César (1555) en tête du premier volet
et le Monstre d’abus
de La Daguenière pour l’Epitre à Henri II, daté de
l’année même de la dite Epitre..
Non pas certes que Nostradamus n’ait été
en butte à certaines critiques par lesquelles nous
commencerons mais il semble bien que cette production
critique authentique, qui tourne surtout autour de
Laurent Videl, ait été instrumentalisée pour les besoins
du centurisme.
I Les attaques de Laurent Videl
On dresse généralement un profil selon
nous assez peu correct de Videl, l’auteur de la
Déclaration
mais aussi probablement de la Première Invective,
signée,
in fine,
des initiales L.V. C.M., où nous voulons voir les
initiales de Laurent Videl.
Dans un des pamphlets le nom de
Nostradamus est donné en clair, dans le second, il se
change en Monstradamus mais cela ne suffit pas à
conclure qu’il s’agit de deux auteurs distincts. Ces
documents paraissent en 1557-1558, si l’on admet que la Première Invective
commence à paraitre en 1557 suivie de plusieurs autres
éditions.
Videl était-il astrologue comme on le lit
fréquemment, était-il un avocat de l’Astrologie
Judiciaire comme le dit Olivier Millet (« Feux croisés
sur Nostradamus », 1986/1987) ?
A partir d’une telle représentation que nous pensons
erronée, les nostradamologues se sont demandés ce que
Videl pouvait donc reprocher à son confrère Michel de
Nostredame. On y a vu la manifestation d’une querelle,
d’une jalousie. Tout cela parce que l’on n’a pas compris
que pour Videl, le mot Astrologie n’impliquait pas – et
c’est précisément ce sur quoi il s’insurge- une pratique
« judiciaire ». Videl restreint le champ de l’astrologie
qu’il juge légitime à la portion congrue, et lui destine
notamment la météorologie, ce qui relève de ce qu’on
appelle alors l’Astrologie Naturelle et le mot abus est
récurrent, c'est-à-dire le fait d’outrepasser les
limites autorisées, permises. On est très loin de ce que
proposent les traités astrologiques des années 1550
comme celui du toulousain Auger Ferrier. Videl s’en
prend à Nostradamus mais c’est en réalité à l’ensemble
de la production astrologique qu’il en a. De Nostradamus,
il veut faire un exemple pour recommander- et il sera
bientôt suivi dans ce sens, du moins au niveau des
textes officiels, une surveillance par l’Eglise de ces
livres suspects qui polluent le peuple, Videl le fait au
nom du « bien public », on dirait pour des raisons
d’hygiène. Que l’astrologie, qui est ici en fait
synonyme d’astronomie – le traité de Ferrier s’intitule Jugements astronomiques sur les
nativités
(Lyon, Jean de Tournes, 1550), maintes fois réédité
jusqu’au début du XVIIe siècle et traduit en anglais- se
contente d’observer les astres et d’en étudier les
effets non sur les hommes mais sur les températures.
C’est bel et bien ce mot de « jugement » qui désigne la
déviance de l’Astrologie judiciaire et le traité
contemporain d’astrologie horaire de Claude Dariot, Introduction au jugement des astres,
va dans le même sens.
« Je prie Messieurs les prélats, pasteurs
& autres qui ont charge en l’Eglise y vouloir adviser en
donnant ordre que telles resveries qui ne peuvent que
troubler les pauvres consciences debiles ne se viennent
ainsi publier car à eux appartient de chasser toutes
folles curiositez qui se veulent pas trop enquérir des
mystères que Dieu seul s’est réservés »
Les conseils qu’il donne à Nostradamus
confirment tout à fait notre description.
«
Suffise toy que l’on admette tes almanachz &
pronostiques pour le changement de saison, la variété du
temps, le mouvement des planètes selon leur cours
naturel « ou encore :
« Ainsi par ceste science jugerons que la
conjonction de Mars à Saturne au signe du lyon nous
vient causer chaleur & siccité & Jupiter conjoinct à la
Lune au signe du cancer nous vient faire croistre &
augmenter les humeurs et ainsi de semblables en nous
gardant. »
On trouve une phrase construite
étrangement mais qui signifie que c’est à tort que l’on
méprise l’astrologie : « Plusieurs tiennent cette
science superstitieuse & reprouvée laquelle est louable ».
Il faut comprendre, d’après le contexte, « cette science
est tenue pour superstitieuse et réprouvée alors qu’elle
est louable », ce qui n’est pas pour autant une défense
de l’astrologie judiciaire car c’est justement
l’enseignement de tels « jugements » qui conduit à ce
qu’on la réprouve.
En bref, Nostradamus n’était pas en butte
à des attaques de la part d’astrologues, au sens « moderne »
du terme mais surtout d’anti-astrologues comme Videl,
et, sur le marché astrologique, d’imitateurs, ce qui est
une toute autre affaire. Il est clair que l’édit de 1560
ne visait pas le seul Nostradamus même si un Couillard,
dans ses
Contreditz (1560)
met son nom en avant, au point que le
titre interne porte simplement « Contreditz à
Nostradamus ».
En ce qui concerne l’attribution des deux
pamphlets au même auteur, notons que le nom même de
« première invective » annonce une suite qui est
probablement constituée par la Déclaration,
surtout s’il est confirmé que le premier texte aurait
connu une première publication en 1557. On notera en
tout cas cette même épithète employée dans l’un et
l’autre texte pour désigner Nostradamus : « fanatique »,
écrit diversement. Le premier texte parait anonymement
avec les seules initiales, le second comporte le nom
complet ainsi d’ailleurs que celui de Nostradamus.
Première Invective du Seigneur
Hercules le François contre Monstradamus, Paris et Lyon
Déclaration des abus, ignorances et
séditions de Michel Nostradamus,
Avignon, Pierre Roux et Jean Tramblay, 1558 (BNF)
On notera que le nom de ce libraire
servira en 1590 (Anvers, Sainct Jaure), pour désigner le
lieu d’édition des Centuries de 1555. On a là peut être
un exemple de l’utilisation par les faussaires des
éditions centuriques du corpus anti-nostradamique.
D’autres exemples pourraient être signalés comme pour le
libraire lyonnais Michel Jove qui publie l’Invective
de 1558 mais aussi, l’Androgyn
de 1570, qui est selon nous une contrefaçon centurique
puisque comportant un quatrain se référant explicitement
aux centuries. L’inverse cependant pourrait être observé
avec Barbe Regnault, qui met sur le marché de faux
almanachs mais qui est aussi créditée du Monstre d’abus de La Daguenière, 1558, qui évoque un tel
texte qui, si le Monstre d’abus, censé paru chez Barbe Regnault,
est un faux pourrait bien être un « garant »
de l’épitre au roi de cette même année 1558/
D’ailleurs Olivier Millet rapproche (« Feux
croisés sur Nostradamus », p. 112) ces deux documents « que
par ailleurs tout sépare sur le plan du style » : « dans
leur façon de s’adresser à Nostradamus ». Millet
remarque « Videl a peut être ainsi puisé l’inspiration
de son avis au lecteur dans la Première Invective ».
Cela dit, nous ne suivrons pas son analyse quand il
écrit à propos de Videl : « Il dénonce en Nostradamus un
charlatan qui ne connait rien à l’astrologie ». Encore
une fois, l’on ne peut se contenter de restituer le
propos de Videl sans le situer : ce que Videl appelle
ici Astrologie n’est nullement l’Astrologie Judiciaire
qu’au contraire il connait trop bien et ses critiques au
niveau des calculs sont typiquement celles d’un
astronome. Une autre formule qui prête à confusion si on
n’y prête point garde est celle-ci à propos de la Première Invective. Videl, selon Millet, accuse Nostradamus
de faire « accroire au monde que ‘astrologie , science
de soy mesme estimable » serait condamnable.
Mais accroire ici signifie donner crédit,
conforter la thèse du caractère condamnable de
l’Astrologie, de cette astrologie-astronomique que Videl
défend et qui souffre d’une telle promiscuité. Débat qui
se poursuivra jusqu’à la création de l’Académie des
Sciences par Colbert, et la fondation de l’Observatoire,
un siècle plus tard, en 1666, lorsque, enfin, le mot
astrologie ne désignera plus que les tenants de
l’astrologie judiciaire.
Videl ne s’en prend pas seulement, comme
on pourrait le croire en lisant certains passages du
texte de Millet, aux pratiques divinatoires que même les
astrologues jugent extérieures à leur domaine (comme la
géomancie et autres mantiques) mais bel et bien au cœur
même du savoir astrologique. Videl n’est certainement
pas favorable à la Tétrabible
de Ptolémée et les mises en garde de Ptolémée dans son
Prologue, -même si Videl s’y réfère probablement, sont
décalées – et bien modestes - par rapport aux siennes
propres, bien plus draconiennes et qui veulent ramener
l’Astrologie-Astronomie à la portion congrue.-
Cela dit, comme le note à juste titre
Benazra (« Les garants « ), Videl cite bel et bien des
passages que l’on retrouve dans l’Epitre à César sous
ses formes interpolées mais il ne fait aucune allusion à
César, à la différence de Couillard qui ne dit nullement
qu’un texte a été dédié au dit César, ce qui montre que
les deux textes ne se recoupent pas sur ce point
essentiel, à savoir l’existence d’une épître à César,
peu après la naissance de ce dernier. D’ailleurs, il ne
nous semble pas, sauf erreur de notre part, que
Nostradamus se référe à son fils dans ses différents
écrits, imprimés ou manuscrits. Videl réagit à un texte
de Nostradamus mais duquel s’agit-il, peut être d’un
texte qui n’a pas été conservé, notamment ce qui a pu
paraitre sous le nom de Perpétuelles vaticinations, qui
parurent probablement sous le nom de Prophéties et dont
la trace a été retrouvée par Gérard Morisse, sans que
l’on sache précisément quel était leur contenu.. On
n’exclura nullement la possibilité que l’on se soit
servi de Videl, comme on l’a fait pour le Monstre d’Abus,
pour reconstituer des textes de Nostradamus, en
l’occurrence sous la forme d’une épître à César (cf
infra):
Videl, donc, selon nous, nous fournirait
bel et bien des extraits d’une œuvre autrement perdue de
Nostradamus. Il fait, notamment, état d’un intérêt de
Nostradamus pour Roussat et son Livre de l’Estat et Mutation des Temps,
paru à Lyon en 1550 :
“Encores
tu te demonstre plus asne quant tu veux parler des
sciences (…), quant tu dis que combien que Mars
paracheve son siecle, a la fin de son dernier periode,
si le reprendra il
: il y ha ja trante deux ans passez que mars a parachevé,
& alors la lune print le gouvernement”
Or, ce passage se retrouve bel et bien
dans la Préface à César sous sa forme interpolée et
augmentée, alors que ce matériau astrologique est absent
dans la version Besson :
Préface à César :
Car encores que la planette de Mars
paracheve son siecle, & à la fin de son dernier periode,
si le reprendra il” (fol. B3r)
Cela laisserait entendre que les ajouts à la Préface
auraient pu venir du texte perdu de Nostradamus ainsi
commenté par Videl ou du texte même de Videl. On
retrouve d’ailleurs chez Couillard un passage relatif à
une « anaragonique révolution », ce qui reléve de la
même source Roussat. Comme on ne saurait concevoir que
Videl prête à Nostradamus des développements qui
n’auraient pas existé, force est de constater que les
ajouts concernant Roussat dans la Préface à César ont
leur justification au regard de la production de
Nostradamus et par voie de conséquence les quatrains qui
dérivent de la prose du Livre
du dit Richard Roussat, chanoine de Langres.
II Les épîtres centuriques « authentifiées »
par la critique.
Nous montrerons que si l’épitre au Roi de
1556 est authentique et authentifiée par l’almanach pour
1556, la version 1558 ne l’est que par Antoine Crespin,
dans les années 1570 qui s’y référe. Quant à la préface
à César, nous pensons qu’elle n’a jamais existé avant
les années 1580.
A à César
Pour ce qui est de la Préface à César,
l’on sait qu’un adversaire de Nostradamus sert de « garant »
– pour employer l’expression de Robert Benazra), il
s’agit d’Antoine Couillard, seigneur du Pavillon Les
Lorriz, auteur de Prophéties,
parues, selon le titre, en 1556, en fait moins d’un an
après la dite Préface ouvrant le premier volet des
Centuries. On nous présente ce texte comme une sorte de
pastiche ou de satire de l’Epitre de Michel de
Nostredame à son très jeune fils, César et de fait
Couillard mentionne le nom de César dans son texte.
D’aucuns ont cru que cela suffisait à prouver carrément
que les Centuries étaient parues à cette date
puisqu’elles étaient introduites par la dite Préface.
Arrêtons-nous sur le privilège accordé au
libraire, figurant en tête du texte de Couillard de
1556 :
A monsieur le Prevost de Paris ou son
Lieutenant Civil
Recouvert certaine copie cy attachée
intitulée Les Prophéties du Seigneur du Pavillon
les Lorriz
4 mai 1556
Et comparons –le à celui figurant en tête
du volume qu’il est censé commenter :
« recouvert certain livre intitulé Les Propheties de Michel Nostradamus
30 avril 1555
Nous trouvons là, on nous l’accordera
quelque similitude entre ces deux documents dont on peut
douter de l’authenticité, d’autant que tous deux
comportent, en bas de la page de titre ‘Avec privilége ».
Signalons que la présence de privilèges dans la
production centurique est rarissime. On trouve souvent
« avec permission » mais cela ne correspond à rien,
comme dans le cas des éditions Benoist Rigaud 1568. Pour
les éditions Antoine du Rosne 1557, on ne prend même pas
la peine de l’annoncer..
Autre parallèle ; le jour et le mois du
privilège Couillard , 4 mai 1556 correspondent à l’achevé
d’imprimer Macé Bonhomme, au 4 mai 1555..
Cette formule utilisée dans les
privilèges nous semble assez insolite et encore plus si
l’on rapproche les deux passages. Le parallèle est en
tout cas saisissant comme si les deux formules avaient
été comme réalisées conjointement, en quelque sorte
comme les deux volets d’un seul et même diptyque.
Rappelons que Couillard est, par ailleurs,
l’auteur de « Contreditz à Nostradamus » (Paris, 1560)
dont les Prophéties se présentent comme une sorte de
prologue. Est-ce que cela n’aura pas contribué à choisir
le dit Couillard pour servir de garant pour la Préface à
César ? Il suffisait pour cela d’imaginer qu’il
réagissait, avec plus ou moins de virulence, à quelque
publication de Nostradamus, ce qui avait été avéré. Le
critique n’est-il pas le témoin idéal ?
On notera d’ailleurs la similitude des
constructions au titre
-
Les Contreditz du Seigneur du
Pavillon lez Lorriz en Gastinois aux faulses &
abusives prophéties de Nostradamus & autres
astrologues,
Paris, Charles L’Angelier (BNF)
1556 : Les Prophéties du Seigneur du Pavillon
Lez Lorriz
, Paris, (BNF).
Le nom du Sgr du Pavillon est donc
tronqué puisque la formue « en Gastinois » manque.
On notera que le nom d’Antoine Couillard
ne figure pas au titre. Mais dans les Contreditz,
le nom de Couillard figure dans une épître. Il ne figure
nulle part dans les Prophéties,
ce qui explique qu’elles ne furent pas associées au nom
de Couillard dans le catalogue de la BNF et de ce fait
non signalées par Michel Chomarat dans sa Bibliographie Nostradamus/
Si l’on étudie le contenu des Prophéties du Sgr du Pavillon Lez
Lorriz
(sic), à la lumière de nos travaux sur les versions
successives de la Préface à César, que le dit Couillard
appelle Epitre, nous observons que Couillard mentionne
un passage emprunté à Roussat à propos de l’anaragonique
révolution. Or, ce passage appartient à la partie
interpolée de l’épître, celle qui ne figure pas dans la
version Besson. De la même façon, la référence à
« Martial », censée faire écho, par transposition, aux
« mois martiaulx » ne figure même pas dans la traduction
anglaise de 1672 qui correspond à un premier état
interpolé. Nous en déduisons que la version que
Couillard accrédite n’a pas été heureusement choisie et
enlève beaucoup de vraisemblance à l’opération de
montage.
Benazra (in « Les garants ») fait
d’ailleurs une remarque assez édifiante à propos de la
formule «"par
amphibologies obstrusement, profondement & par figure
nubileuse perplexes sentences", en observant une même
formulation dans la Lettre à Henry Second. Nous y voyons
plutôt l’indication de ce que la rédaction de cette
contrefaçon s’effectua à une époque, où l’on connaissait
la dite Epitre au Roi, c'est-à-dire dans les années
1590..
Nous avons déjà mentionné, en suivant les
propos de R. Benazra, l’importance des informations
figurant dans la
Déclaration des abus , ignorances et séditions de Michel
Nostradamus, Avignon,
chez Pierre Roux,
de Laurent Videl pour les fabrication de
la Préface à César et dans la foulée pour celle des Prophéties de Couillard qui sont censées en être une
sorte de commentaire. Videl nous donne des extraits d’un
ouvrage de Nostradamus mais il ne s’agit pas de la
Préface à César comme on voudrait nous le faire accroire
et d’ailleurs Videl ne cite même pas le nom de César. Il
aura semblé aux faussaires, de construire la Préface à
partir de la Déclaration de Videl s’en prenant à un texte qui
semble bien consister en des Prophéties Perpétuelles.
Grâce aux extraits de Videl, l’on pourrait reconstituer
du moins en partie ces Prophéties
de Nostradamus qui n’ont rien à voir avec la forme des
Centuries. Mais les dits extraits se retrouvent en
revanche dans la Préface, même celle, si bréve, parue
chez le libraire Antoine Besson.
Nous proposons donc le scénario suivant.
A partir du texte de Videl, se réalise une première
mouture de l’Epitre centurique à César :
Déclaration
de Videl : "Tu donc Michel as composé
(comme tu dis) livres de prophéties
& les as rabotez obscurement, & sont perpetuelles
vaticinations
(...) O grand abuseur de peuple, tu dis que tu as faict
de perpetuelles vaticinations, & apres tu dis qu'elles
sont pour d'icy a l'an 3797.
Qui t'a assuré que le monde doyve tant durer ? N'est tu
pas un assuré menteur ? Car les anges mesmes n'en
scavent rien" (fol. D4v - E1r).
Cela devient dans la version bréve de la
Préface à César, recueillie par Besson. On passe du « tu »
au « je » :
« J’ay composé Livres de prophéties ,
lesquels j’ay voulu labourer (sic) un peu obscurément contenant
chacun cent quatrains astronomiques qui enveloppent
(sic) perpétuelles vaticinations pour d’icy es années
1767 (sic, pour 3797) »
Que l’on comparera à la version longue de
l’Epitre à César telle qu’elle figure dans les diverses
éditions des centuries :
« J’ay composé Livres de Prophéties
contenant chacun cent quatrains astronomiques de
prophéties ,lesquelles j’ay un peu voulu raboter
obscurément & sont perpétuelles vaticinations pour d’icy
à l’année 3797 »
On notera que la version Besson comporte
des variantes plus importantes que la version « canonique »
par rapport à la source Videl, outre le changement
d’année. Sur des points de détail, la version Besson
comporte en effet certaines variantes- y compris dans la
construction de la phrase - qui lui sont propres. C’est
sans importance par rapport à notre propos ici. Ce qui
est frappant c’est le passage de « Tu donc Michel as
composé livres de prophéties » à « J’ay composé Livres
de prophéties », de « les as rabotez obsvurément » à « J’ay
voulu un peu raboter obscurément » etc. La transposition
est assez flagrante. Et l’interpolation également ;
« Livres de prophéties contenant chacun
cent quatrains astronomiques de prophéties » - le terme
centurique n’est pas employé. En effet, Videl n’évoque
pas le contenu des dits « livres de prophéties » et cela
est bien fâcheux pour ceux qui voudraient que Videl ait
eu sous les yeux l’Epitre à César, dont d’ailleurs, il
ne prononce pas le nom.
Ensuite, l’on créer le texte de Couillard
qui est censé dérivé de l’Epitre à César :
- Prophéties
de Couillard : "Non pas que j'entende & veuille parler
de perpetuelles vaticinations pour d'ici à
l'an 3797"
(fol. D4v)
.Mais Couillard est en quelque sorte
mieux informé – et pour cause- de la Préface à César et
il en donne cet extrait
- Prophéties
de Couillard : "puisque noz nouveaux prophetes nous
menassent que le monde s'aproche d'une anaragonicque
revolution,
& qu'il perira si tost" (fol. D4v)
- - Lettre canonique à César : "Car
selon les signes celestes le regne de Saturne sera de
retour, que le tout calculé, le monde s'approche, d'une
anaragonique revolution" (fol. B3v)
Or ce passage, fait partie de ce qui sera
interpolé – pris de Roussat- dans la dite Epitre et ne
figure pas dans la version Besson.
Il en est de même de la forme « mois
martiaulx » qui est répercutée, nous dit-on, chez
Couillard par « mon fils Martial »- ce qui est au
demeurant assez incongru- laquelle forme est tardive,
puisque non attestée par la version anglaise Garencières
– mais ce point n’est pas déterminant car la version
anglaise peut être lacunaire sur ce point - qui s’appuie
sur un état plus ancien et moins corrompu de la version
longue de la Préface. Là encore Videl ne fournit pas
cette donnée sur les « mois martiaulx » et ne fait pas
la moindre allusion à l’enfant confronté à un savoir qui
ne peut que le dépasser.
Besson : « Et que tes ans jouvenceaux
incapables à recevoir »
Version canonique : « mais tes mois
Martiaux incapables à recevoir »
Version Garencières : But thy months are
incapable to receive »
On voit donc l’usage qui aura été fait
–et d’ailleurs au départ à juste titre- des attaques
contre Nostradamus, lesquelles restituent par ailleurs
en partie les Présages Merveilleux
pour 1557, au sein du Recueil des Présages Prosaïques,
grâce au Monstre d’abus
de La Daguenière. L’interpolation dans le texte de Videl
de la référence à César pour produire les Prophéties du Seigneur du Pavilon
et la préface à César, est assez manifeste et ressort du
travail comparatif de R. Benazra :
Videl -:
« Tu dis que prophete veut dire prevoyant pource qu’en
Samuel est escrit celuy qui s’apelle aujourdhuy prophete
s’apelloit jadis voyant
: mais il est certain qu’ilz voyaient ce que Dieu leur
revelloit par son esprit” (fol. D3v - D4r)
Préface à César avec passage à nouveau
du « tu » au « je » et la mention « mon fils » répétée
dans une seule et même phrase :
« Encores mon filz
que j’ay inséré le nom de prophete, je ne me veux
atribuer tiltre de si haulte sublimité pour le temps
present : car qui propheta dicitur hodie, olim
vocabatur videns :
car prophete proprement mon filz
est celuy qui voit choses loingtaines de la cognoissance
naturelle «
On pourrait compter le nombre de fois où
l’on aura placé « mon fils » dans la Préface :
-
Ton tard advenement César Nostradamus mon fils
-
Mais mon fils
je te parle icy un peu trop obstrusément (sic pour
abstrusément)
-
Je ne dis pas mon fils
afin que bien l’entendes
-
entendant universellement par toute la
terre mon fils
-
Mais à celle fin mon fils
que je ne vague
-
Viens à ceste heure entendre, mon fils
-
Faisant fin, mon fils,
prends donc ce don
En fait, ce ne sont pas nécessairement
les documents qui constituent des faux mais l’usage
ultérieur qui en est fait par les commentateurs, jusqu’à
nos jours. En réalité, tout repose sur le fait que
Couillard cite le nom de César au détour d’une phrase
sans indiquer aucunement que le dit César est le
dédicataire d’une quelconque Epitre. De là à conclure
que Couillard atteste de l’existence et de la Préface à
César et des premières éditions des « Centuries », cela
reléve du roman historique.
B Au roi Henri II
Dans le Recueil des Présages Prosaïques,
Chavigny reconnait s’être servi du pamphlet de La
Daguenière pour reconstituer partiellement un texte qui
aurait disparu de sa collection. L’affaire est assez
obscure, quand on y réfléchit. :
1557 :; « D’un autre présage sur la mesme
année qui ne se trouve point, dédié à la Magesté du Roy
Tres Chrestien. Passages sugillez et calomniez par un
des haineux de l’auteur pour ne les avoir entendus, et
retirez d’un sien livre imprimé à Paris 1558. (B.
Chevignard, Présages de Nostradamus,
op cit. p. 283). ? Ne s’agit-il pas d’une volonté
d’authenfier la fausse Epitre à Henri II, de la même
année 1558. ?
Autrement dit, il s’agirait d’un ouvrage
dont on n’aurait eu connaissance que par la lecture du Monstre d’abus
de La Daguenière, Paris, Barbe Regnault, 1558. Ce qui
témoigne, en tout état de cause, d’un examen fort
attentif par Chavigny et probablement par d’autres de la
production tournant, de près ou de loin , autour de
Nostradamus, et ce qui signifie que l’accès à la dite
production pouvait se faire, ce qui implique l’existence,
déjà à l’époque, de bibliothèques spécialisées dans les nostradamica..
Ce texte est important puisqu’il concerne
une Epitre à Henri II, qui ne nous est pas restituée du
fait qu’elle ne figure pas dans le Monstre d’abus, mais il s’y réfère cependant pour se
gausser d’une telle impertinence. Si cela n’avait pas
été le cas, Chavigny ne mentionnerait pas ce point.
.Mais
le lecteur du second volet des Centuries sait que
celui-ci est introduit par une telle épître, datée de
juin 1558. mais qui renvoie à 1557 : « accomençant par
le temps présent qui est le 14 de mars 1557 ». Rappelons
qu’à cette époque, le changement d’année s’opérait
autour du mois de mars et d’ailleurs la Préface à César
est datée du Ier Mars 1555. Mais si elle avait été datée
de février 1555, elle aurait été, pour notre calendrier
actuel, de 1556, comme dans le cas des Prophéties
de Couillard (cf infra) dont les épîtres sont datées de
janvier 1555, qu’il faut évidemment lire 1556, comme le
note d’ailleurs Olivier Millet.. En ce qui concerne les
épîtres de l’almanach et de la pronostication pour 1557,
la mention « janvier 1556 » doit être comprise « 1557 »,
donc peu avant le 14 mars 1557 qui est le point de
départ annoncé de l’Epitre au Roi. Mais il n’est pas dit
ici, dans le Recueil,
que la dite Epitre au Roi introduisait des Centuries et
les extraits qui sont donnés ne recoupent nullement les
quatrains du second volet ni d’ailleurs du premier. Tel
n’était probablement pas le propos car le phénomène
centurique, à partir des années 1590 est compilatoire,
il ne prétend nullement restituer un ensemble qui aurait
été pensé comme d’un seul tenant dès le départ. Il
s’agit de recueillir les pièces les plus diverses.
Certes, par la suite, probablement du fait de retouches,
l’on aura introduit ponctuellement, dans l’Epitre
centurique à Henri II une référence aux centuries, mais
cela se sera fait après coup lorsque l’on sera passé,
comme cela s’observe de façon cyclique, par une phase de
toilettage qui alterne avec une phase de récupération et
d’addition, alternance qui peut parfois déconcerter et
égarer mais qui s’observe dans bien des domaines, hors
du champ centurique..
En tout état de cause, la thèse selon
laquelle il aurait existé deux moutures successives de
l’Epitre à Henri II, diversement datées semble difficile
à tenir du moins dans l’esprit des agents concernés,
d’autant que la seconde ne renvoie pas à la première
alors qu’elle renvoie à la Préface à César de 1555. Il
semble bien que l’on cherche ici à accréditer la thèse
d’une Epître au Roi qui aurait bel et bien été écrite
par Nostradamus de son vivant et bien entendu avant la
mort tragique du souverain en 1559.
Un autre lien entre le Monstre d’Abus
et le second volet des éditions centuriques tient au
fait- signalé par Pierre Brind’amour (Nostradamus
astrophile)
que le titre complet, à commencer par La Daguenière, qui
est un nom de lieu, emprunte assez massivement à la Guide des Chemins de France
de Charles Estienne, qui est, comme on le sait, une des
sources connues et reconnues de quatrains appartenant au
dit volet, introduit par la dite Epître.
Que conclure de ces remarques ? A
comparer l’Epistre au Roi des Présages à celle des
Centuries, on reconnait un schéma introductif semblable
« vous consacrer les présages de l’an mil
cinq cens cinquante et sept »
Je voudrais consacrer ces miennes
premières (sic) prophéties et divinations parachevant la
miliade
Mais même si l’on compare avec le texte
le plus dépouillé, celui de l’édition Besson, force est
de constater que le texte a été largement réécrit.
C’est en tout cas le seul exemple sur
l’ensemble des pièces nostradamiques du XVIe siècle où
mention est faite au titre d’une dédicace au Roi. Elle
ne figure en aucune façon sur l’une ou l’autre des pages
de titre des éditions à dix centuries. Un des rares
exemples au XVIIe siècle est en 1603, à Paris, chez
Sylvestre Moreau, celui de la Nouvelle Prophétie de M. Michel
Nostradamus (…) Dédié au Roy,
sans autre précision. Etrangement, si Benazra ou
Chomarat mentionnent dans leurs bibliographies, pour
l’année 1557, les Présages Merveilleux
pour 1557, il ne semble pas qu’ils aient eu conscience
que cela comportât une épître au Roi à confronter avec
celle des Centuries.(voir Benazra, RCN, pp. 35 et seq).
Pourtant le début de l’épître est reproduit, en fac
simile, dans le Testament de Nostradamus de D. Ruzo. Le débat n’est pas tant, à ce
stade, en quelle année réellement fut publiée une
édition comportant cette épître mais de quelle année
elle était datée, au départ. Car s’il peut exister
plusieurs éditions d’un même texte, il est moins commun
qu’un texte porte deux dates distantes de plus d’un an.
Pourquoi aura-t-on éprouvé lé besoin non
seulement d’amplifier, de remanier le texte, de le faire
introduire des centuries - ce qui se conçoit selon une
certaine logique – mais de changer la date de l’Epitre,
de la décaler de plus d’un an. ? Nous pensons que cela
pourrait tenir à la Vie
de Nostradamus qui situe par erreur le voyage de
Nostradamus en 1556 et non en 1555. Dès lors, l’épitre
de janvier 1556 pouvait sembler suspecte pour des
faussaires ignorant que janvier 1556 doit se lire
janvier 1557. Mais à la fin du siècle, ce genre de
subtilité était déjà de l’histoire ancienne, le
changement de pratique datant de 1564. En fait, l’épitre
au roi aurait bel et bien pu rester datée de « janvier
1556 », sans cet excès de zèle ou de scrupule qui dénote
en tout cas une certaine conscience professionnelle.
. Ce serait en tout cas une erreur de
considérer l’entreprise nostradamique comme n’obéissant
qu’à une seule et même logique. Plusieurs initiatives
auront ainsi cohabité et se seront croisées et à un
certain stade, comme lorsque se constitue un canon –comme
le canon biblique- des choix sont faits de ce que l’on
garde ou ne garde pas, des arbitrages rendus quand il y
a des doubles emplois trop évidents. Nous avons évoqué
la possibilité selon laquelle l’Epitre à Henri II
n’avait peut être même pas été la seule option, qu’une
autre épître avait pu être en lice, celle qui nous est
connue sous le nom de Significations de l’Eclipse
pour 1559.
Quant à l’ouvrage cité dans le Recueil (cf
B. Chevignard,
Présages, p. 283), du Monstre d’abus
de La Daguenière, pour ses passages repris des Présages Merveilleux, il a été noté par P. Brind’amour qu’il
avait puisé à la même source que divers quatrains du
second volet (centuries VIII, IX, X). L’utilisation
d’Estienne peut avoir daté de la fin du XVIe siècle :
précisons, en effet, que si l’ouvrage est d’abord paru
en 1552, on le trouve, par exemple, en 1600, ce qui est
assez proche de la date qui nous semble probable, en
version augmentée, à Rouen, chez T. Daré sous le titre : La grand Guide des chemins pour aller
et venir par tout le royaume de France, avec les noms
des fleuves et rivières qui courent parmy lesdicts pays,
augmenté du voyage de S. Jaques, de Rome et Venise (BNF
Res. L 25-82). Or, nous avons montré
que les quatrains empruntés à Estienne ne concernaient
pas uniquement les itinéraires français mais aussi ceux
situés au-delà des frontières du Royaume, tant en
Espagne qu’en Italie..
D’ailleurs,
la date de parution du Monstre d’abus
- 1558- est bien tardive pour réagir aux Présages Merveilleux
paru au début de 1557. Ne s’agirait-il pas là avec le Monstre d’abus
de la fabrication d’un garant de l’épître à Henri datée
du mois de juin de cette même année 1558 ?
Nous pensons que la rédaction même du Monstre d’Abus
pourrait dater de la fin du XVIe siècle. Ce serait donc
vers 1600 que l’on aurait composé et l’Epitre à Henri II
1558 ; et le Monstre d’Abus
ainsi qu’un certain nombre de quatrains centuriques du
second volet.
En 2002, nous avions signalé
qu’Antoine
Crespin mentionnait, à deux reprises, bel et bien une
épitre au Roi datant de 1558 – c’était la première fois
que l’on trouvait un « garant », en dehors des éditions
centuriques, pour ce texte. « Regarde une prophétie qui
est faite le 27 jour de Iuing 1558 à Lion, dédiée au feu
Henry grand Roy & Empereur de France, l’autheur de
laquelle prophétie est mort & décédé’: Epître envoyée à M. Crespin
Nostradamus (..) par les six philosophes d’Egipte &
l’astrologue du grand seigneur de Constantinople,
1573, Vienne, chez Nicolas Martin et Epistre à la Royne Mère du Roy,
Lyon, Benoist Rigaud, 1573, donc à la veuve d’Henri II,
Catherine de Médicis. C’est l’occasion de rappeler ce
que nous avions développé dans notre post-doctorat (
2007) le rôle que joua le libraire Rigaud dans la
diffusion de l’entreprise crespinienne sinon dans celle
de Michel de Nostredame. C’est en fait, probablement,
cet engagement dans le processus néo et pseudo
nostradamique qui aura abouti à conférer au dit Rigaud
la place qu’on lui connait. Cela dit, nous pensons que
cette production est plus tardive que nous l’indiquent
les pages de titre. Elle place Rigaud au service non pas
de la Ligue mais du parti d’Henri de Bourbon, dont on
sait que l’épitre à Henri II 1558 ouvre des centuries
qui clament haut et fort la victoire du dit prince.
Soulignons aussi le fait que le même Crespin truffe ses
publications d’éléments que l’on retrouvera dans les
centuries. C’est manifestement le cas des Prophéties dédiées à la puissance
divine & à la nation française,
Lyon, chez François Arnoullet., 1572.Nous avions
d’ailleurs en 2002 émis l’hypothèse selon laquelle
certains textes de Crespin auraient été récupérés pour
contribuer à la réalisation de certaines centuries. Mais
la présence dans les dites Prophéties de quatrains appartenant aux dix
centuries ne place-t-elle pas, ipso facto,
une telle production dans les années 1594, date à
laquelle des ensembles rassemblant toutes les centuries
paraissent et sont commentées par un Jean Aimé de
Chavigny, dans le Janus Gallicus à moins cependant que Crespin n’ait
inspiré les rédacteurs des deux volets ?
. En 2005, dans une communication à
Jérusalem, au Congrès Mondial des études juives, nous
avions traité de Crespin en rapport avec la question de
la papauté, notamment autour du verset « Roy de Bloys en
Avignon régner », qui semble bel et bien relever d’une
sensibilité réformée.
Dans cette même édition de 2002, nous
avions déjà noté la présence de l’an 1585 chez Crespin :
(p/ ;83) : « Crespin accordait la plus grande importance
à l’an 1585, en relation avec une grande conjonction »
Rappelons ce passage de l’Epitre à Henri II : »mesmes de
l’année 1585 & de l’année 1606 » (mention absentes dans
la version Besson).
On relèvera dans la production
néo-nostradamique prétendument des années 1570 le nombre
de cas qui renvoient aux années 1584-1585 : cela tient
au processus de ces prophéties à long terme qui
entendent couvrir de nombreuses années – jusqu’à 20 ans
- et qui généralement commencent vaguement par « à
partir de la présente année » avec point d’arrivée la
décennie suivante :
Rouen, Pierre Brenouzer, 1568 : « Prédictions
pour vint (sic) ans, continuant d’an en an iusques en
l’An mil cinq cens quatre vingt trois (…) par Mi. De
Nostradamus le Jeune.
(BNF, RCN, p. 90)
Troyes, Claude Garnier, sans date : « Prédictions (…) depuis cette présente
année iusques à l’An mil cinq cens quatre vingt & cinq
(..) par M. Nostradamus le Jeune (BNF)
Paris, Nicolas du Mont, 1571, Présages pour treize ans, continuant
d’an en an iusques à celuy de mil cinq cens quatre vingt
trois (..) par M. Nostradamus le Jeune
(Bib. Ste Geneviève)
Paris, Martin le Jeune,
Epistre dédiée (à) Charles IX, par Antoine Crespin (…)
iusques en l’année 1584 »
(BNF)
Lyon, Benoist Rigaud,1573 : Epistre à la Royne Mère du Roy (..)
par Antoine Crespin (..) d’un déluge (..) qui doit venir
l’an 1583 (BNF)
Vienne, Nicolas Martin, idem (BNF)
Lyon Benoist Rigaud : Prédictions des choses plus mémorables
(..) jusques à l’an 1585 (..) par M.Mich. Nostradamus le
Jeune
De là à conclure que nous sommes là
encore en face d’éditions qui se veulent plus anciennes
qu’elles ne le sont réellement, il n’y a qu’un pas que
nous serions tentés de franchir. Le stratagème est
simple : sous prétexte de présenter une suite de
pronostications sur toute une série d’années, seules les
années finales sont à lire. Il en est de même d’ailleurs
pour les centuries, où les quatrains les plus
significatifs étaient les derniers, d’où l’augmentation
incessante du nombre de quatrains de la Ive centurie
puis de la VIIe centurie. On nous fera remarquer qu’il y
a comme une progression : on commence avec pour terme
1583, puis l’on passe à 1584 et 1585. Cela tendrait à
montrer que ce n’est pas la mort du duc d’Alençon qui
est ici déterminante car celui-ci était porteur
d’espérances de réconciliation. Il serait mort au
mauvais moment, c'est-à-dire à l’époque où le mouvement
prophétique voulait le mettre en orbite. C’est en
surfant sur ce phénoméne que vraisemblablement Benoist
Rigaud aura entamé le
revival salué par Du Verdier dans sa Bibliothèque
de 1585. Il nous semble que l’on aura ajouté 1606 à côté
de 1585 quand l’an 1585 ne fut plus d’actualité, en
faisant ainsi non point une année d’arrivée mais une
date de départ. Cela implique que l épitre à Henri II
ainsi retouchée est postérieure à 1585. Il existe
d’ailleurs des versions de la dite épitre où
l’interpolation d’une date supplémentaire est
particulièrement manifeste, les deux années se jouxtant,
avant que l’on ait trouvé une présentation plus
acceptable. C’est le cas du second volet, daté de 1590,
de l’édition parue à Caors (sic), chez Jaques sic)
Rousseau et conservée à Rodez. (RCN, p 126 et seq).
Cette édition parue sous le titre de Prophéties de M. Michel Nostradamus
pourrait être la plus ancienne parmi les éditions dix
centuries conservées, ‘elle est fort proche dans sa
présentation du titre placé en tête du premier volet
mais renvoyant au second « adioustées de nouveau par le
dict autheur », de l’édition Antoine du Rosne, 1557
Utrecht, dont manque le second volet.
L’année 1606 coïncide peu ou prou avec la
date de l’Epitre à Henri IV de 1605, en tête du
troisième volet troyen. Le basculement d’une vingtaine
d’années – 1583/4/5 vers 1605/1606 nous apparait comme
marquant un nouveau stade dans le développement du
corpus centurique.
III La composition des Significations
L’année 1605 -« adviendra l’an 1605 que
combien le terme soit fort long « - figure dans l’épitre
à Jacques-Maria Sala qui nous est parvenue sous le titre
de
Significations
de l’Éclipse
qui sera le 16 septembre 1559 (de)
laquelle sera sa maligne extension inclusivement iusques
à l’an 1560, diligemment observées par Maistre Michel
Nostradamus docteur en médecine (..) avec une sommaire
responce à ses détracteurs
,
Paris, Guillaume Le Noir, et datée de 1558 comme l’Epitre à Henri
II renvoie elle aussi au début du XVIIe siècle : 1605 au
lieu de 1606..
Nous avons montré qu’outre une
interpolation, résultat d’un emprunt à l’Eclipsium
de Leovitius, pouvant être considéré
comme ayant annoncé la menace par une blessure à l’œil
de quelque prince, du fait des effets de l’étoile fixe
Antarès, l’on y avait placé un texte anti-nostradamique
que nous n’avons pu retrouver ailleurs, lequel texte
s’en prend précisément aux Présages Merveilleux
de 1557. La date du 16 septembre 1559 qui figura au
titre relève d’un procédé tout à fait inhabituel dans la
production de Nostradamus, du moins telle qu’elle nous
est parvenue. En réglé générale, une année est avancée
au titre et non pas un jour précis. Or, ce jour est
proche de celui de la mort d’Henri II laquelle était
survenue deux mois plus tôt, en juillet 1559.
. Nous avons émis l’hypothèse selon
laquelle cette Epître aurait pu servir à introduire
certaines centuries du second volet avant d’être
remplacée par l’Epitre à Henri II, les deux textes étant
datés de 1558, à quelques semaines d’intervalle.
Le procédé est assez étonnant vu qu’on
attribue dans les Significations
cette diatribe à Nostradamus, qui en était en fait la
cible. Dès le titre, on annonce que Nostradamus va
répondre à ses détracteurs et pour ce faire on n’aura
rien trouvé de mieux que de recycler une attaque dont il
avait été l’objet. En fait, à la lecture de ce passage,
on s’aperçoit assez vite de la supercherie à moins
d’imaginer qu’il s’en prenne à d’autres astrologues, ce
qui va accréditer la thèse selon laquelle certains
textes dirigés contre lui seraient le fait de confrères.
Or, le passage en question pourrait
correspondre en effet à une véritable attaque contre
Nostradamus et ses Présages Merveilleux
dont aurait pu s’inspirer le rédacteur du Monstre d’abus
signé Jean de La Daguenière. Ce qui est clair, en tout
cas, c’est que les faussaires avaient une pratique de
cette littérature de « haineux » de Nostradamus. Mais ne
serait-ce pas plutôt une allusion aux Grandes et Merveilleuses Prédictions,
titre qui sera utilisé à Rouen et à Anvers, entre 1588
et 1590, pour désigner les quatrains centuriques ? Le
titre Présages Merveilleux
associé à une épître à Henri II n’est pas sans évoquer
le second volet introduit par la dite Epitre. Ne
pourrait-on considérer que cet intitulé était utilisé
par le camp d’Henri IV alors que Prophéties
l’était par le camp ligueur mais qu’à un certain stade,
le titre aurait été repris, pour créer quelque
confusion, à Rouen et à Anvers, avec un contenu tout
autre ?
Mais quelle est la place de la polémique
dans la production du dit Nostradamus ? Dans les Significations,
justement, figure au sous titre la mention : Avec une
sommaire responce à ses détracteurs. Or cette réponse
consiste en grande partie dans ce texte emprunté à l’un
d’entre eux:
« O la grosse bestiasse , tu ne saurais
contredire que tu ne le sois & bien gros pour avoir
inséré en tes ignares & sans savoir avoir advertissement
que tu as pris de Boccace dans la généalogie des dieux
ou il parle des poétiques narrations (…) Tu veux aussi
estre cornu au principe, comme tu es à la fin du sac
mais scais tu que tu seras philosophe avec tes
pronostiques que tu dis estre merveilleux ( …) comme tu
es loing de bon sens & de foi chrestienne (…) » C’est
ensuite Nostradamus qui poursuit, apparemment, visant
l’Hercule François ; « Or je suis prédestiné en cet
estre que tous ceux qui à l’encontre de moy escrivent
sont totalement «bestes brutes, asnes hebetés & déceuz
grandement de toute leur voye (…) comme il a esté si
outrecuidé desoy attribuer le surnom d’un si vaillant
personnage comme Hercules Galleus » »
. Il s’en prendrait donc ici à Videl.
Mais dans la Grande Pronostication Nouvelle
pour 1557, l’on trouve au titre « Contre toux ceux qui
tant de fois m’ont fait mort. »
Cette pièce reprend le motif des
Pronostications de Nostradamus telles qu’elles nous sont
connues pour les années 1555,(collection Ruzo, page de
titre in Testament de Nostradamus)
1557(Musée Arbaud, Aix en Provence), 1558 (Bib. La Haye)
et 1562 (Vente Ruzo, Catalogue Swann n°18), ce qui fait
quatre occurrences. En ce qui concerne la pronostication
pour 1559, nous ignorons son apparence. Au delà, seuls
des almanachs de Nostradamus, donc sans vignette, nous
sont connus, si ce n’est les almanachs pirates de Barbe
Regnault qui comportent un autre type de vignette.. La
formule de la Pronostication paraissant parallèlement à
l’almanach est abandonnée, l’une étant organisée selon
les saisons, du printemps jusqu’à l’hiver et l’autre de
janvier à décembre.
Pourquoi, dans ce cas, les
Significations
comporteraient-elles la vignette réservée aux
Pronostications ? Il nous semble en effet qu’il ait
existé un cloisonnement assez strict. Pour le public,
les Pronostications constituaient probablement le fer de
lance de la production nostradamique et d’ailleurs la
partie la plus susceptible d’attaques de la part des
gardiens du « bien public », comme Videl alors que
l’almanach avait pour lui la tradition du calendrier et
du cycle soli-lunaire, même si les quatrains lui étaient
réservés, les pronostications en étant totalement
dépourvues.
Comme pour les Présages Merveilleux
qui s’alignent sur la production du libraire parisien
Jacques Kerver, les
Significations
s’en tiennent à la présentation propre à Guillaume Le
Noir, et la Pronostication nouvelle
pour l’an 1558, parue chez ce même libraire, pourrait
bien avoir servi de modèle, vu que nous ne disposons pas
de la Pronostication
pour 1559. La partie inférieure de la page de titre est
inchangée mais l’une a un privilège comme indiqué en bas
de la page de titre alors que l’autre n’en a pas, et ce
en dépit de la même annonce. Cela dit, en raison de la
lourdeur du titre complet des Significations,
les caractères en sont sensiblement plus petits.
On nous objectera que le public n’avait
que faire d’un texte concernant les années 1559 et 1560.
L’on pourrait aussi dire qu’il n’avait que faire
d’épîtres datées de 1555 ou de 1558. Et c’est pourquoi
certains ont prétendu que de tels textes avaient du,
pour le moins, commencé à paraitre au moment de leur
rédaction. Or, toute l’entreprise centurique est fondée
sur un tel anachronisme, et cela vaut plus généralement
pour le prophétisme qui tend à s’articuler sur des
textes aussi anciens que possible.
Selon nous, la seule justification des Significations
fut qu’à un certain stade, l’on pensait les intégrer au
sein du canon centurique. Or, pour quelque raison, tel
ne fut pas le cas. Ce texte fut basculé du côté des
Pronostications et almanachs en prose et seules deux
épîtres – centuriques - échappèrent à une telle
relégation. Le cas des
Significations
est d’ailleurs très particulier puisqu’elles ne
s’apparentent pas à la catégorie des publications
annuelles. Alors que les Présages Merveilleux ont au moins le mérite de comporter une
Epitre au Roi, en dépit de leur caractère également
atypique, les Significations
consistent en une épître au vice-légat d’Avignon ?
Jacques Maria Sala. En fait, les Significations
ont le même statut additionnel parmi les productions
pour l’an 1559 que les Présages Merveilleux
pour l’an 1557.
On fera quelques observations
supplémentaires concernant ce titre alambiqué et en soi
assez atypique. D’ abord, le mot même de Significations,
qui est ici synonyme de « Commentaires », terme qui lui
est préféré et qui sera largement utilisé en 1594-1596
par Jean Aimé de Chavigny. Nostradamus est présenté
comme « commentateur » des données astronomiques et
nullement comme prophète et d’ailleurs son épitaphe le
présente comme le plus « digne de tracer et rapporter
aux humains selon l’influence des astres les événements
avenir par dessus tout le ronde de la Terre » ( Vie de
Nostradamus) Tout l’appareil astronomique- on l’ a vu à
propos du Recueil de Présages Prosaïques
– nous apparaît comme surajouté au texte proprement dit
de Nostradamus qui semble être, à la base, une
combinatoire de courts oracles, figurant dans le
calendrier de ses almanachs , jour par jour et qui
importait plus que les quatrains mensuels, de telles
formules lapidaires étant par ailleurs typiques des Vaticinations Perpétuelles,
genre que fleurira encore au XVIIIe siècle, notamment
sous le nom de Moult,
et souvent associé à celui de Nostradamus. Insister sur
la référence astronomique permet au discours prophétique
de mieux passer..
Notons cette publication « crespinienne » :Lyon Jean
Patrasson, 1576 (BNF) : Pronostication generale du ciecle
Solaire qui se faict en XXVIII ans & dure
perpétuellement
( BNF, RCN, p. 113)
Ensuite, nous nous arrêterons sur la
façon dont Nostradamus est introduit au titre : Significations de l’Éclipse
(…), diligemment
observées par Maistre Michel Nostradamus docteur en
médecine (..) avec une sommaire responce à ses
détracteurs,
Que signifie ce pluriel : « observées » ?. Ce ne sont
pas les significations qui le sont mais bien l’éclipse
qui est un singulier. Quant à « diligemment », il nous
évoque la littérature néo-nostradamique des années
1570 : en 1571, le libraire parisien Nicolas du Mont
publie des Prédictions des choses plus memorables
qui sont à advenir depuis cette présente année iusques à
l’An 1584 (..) suyvant la planéte qui gouverne chacune
année prinse (sic) tant des éclipses de soleil et de la
Lune que du livre merveilleux de Cyprian Leovitie (..)
lesquelles ont esté avec grande d’illigence (sic)
mise en lumière par M. Michel de Nostradamus le jeune,
Docteur en médecine
(BNF cf RCN, p. 97)). Ce même Leovitius qui est utilisé
dans les Significations.
On trouve, dans le même style, en 1572,
chez le même libraire des Présages pour treize ans continuant
d’an en an (…) lesquelles à la supplication de plusieurs
ont esté à grande diligence reveues & mises en lumière par M. de
Nostradamus le Jeune
(Bib. Ste Geneviéve)
Nous pensons que les faussaires ont été
influencés, du fait qu’ils disposaient dans leur
bibliothèque de cette production néo-nostradamique ou
pseudo-nostrdamique, au sein de laquelle ils étaient mal
préparés à distinguer le bon grain de l’ivraie- par ce
type de présentation, fabriquant du faux avec ce qu’ils
croyaient être du vrai.
On est là dans un genre qui est fondé sur
une attribution d’une planète à une année - et qui
diffère sensiblement de par ses fondements astronomiques
fictifs (du type planètes et jours de la semaine)- du
travail réalisé pour les publications paraissant chaque
année - et non par séries d’années - qui n’est pas
attesté dans la production nostradamienne conservée mais
qui a du en faire partie du fait même de la fortune
qu’il connaitra chez ses imitateurs et ce dès la fin des
années 1560. Cette formule « d’an en an » « suivant la
planète qui gouverne chacune
année », fait écho pour nous à celle que l’on trouve à
la fin de la Préface à César : « Prends donc ce don de
ton père (..) espérant toy déclarer une chascune
prophétie des quatrains ici mis », comme si on avait
remplacé « année » par « prophétie ».. A ce propos, la
leçon de la version Besson de la conclusion de la dite
Préface semble meilleure : « espérant à toy declarer une
chascune des Prophéties & quatrains cy-mis ». Or cette
expression incongrue « prophétie des quatrains » est
reprise dans toutes les versions de la Préface, à
l’exception de Besson. Même dans la traduction anglaise
de 1672, c’est cette nouvelle forme qui figure :
« hoping to expound to thee every Prophecy of these
Stanza’s » comme si chaque quatrain impliquait plusieurs
prophéties.
. Il reste que, pour quelque raison, ces
contrefaçons ne mentionnent pas de quatrains centuriques
alors que cela aurait pu être le cas. Elles semblent ne
viser que les épîtres, ce qui, selon nous, plaide en
faveur de l’importance, du moins à un certain stade du
processus canonique, des dites épîtres. Le seul exemple
que nous connaissions d’une contrefaçon se référant
explicitement à un quatrain dument cité intégralement
avec mention de son positionnement, est celui de l’Androgyn,
censé paru chez Michel Jove, à Lyon, en 1570, un des
éditeurs par ailleurs de la Première Invective.
. Même les épîtres centuriques ne citent
pas explicitement de quatrains mais comme nous l’avons
montré ailleurs, nombre de quatrains dérivent des dites
épîtres, dont elles sont les matrices.
Certains historiens ont quand même été
surpris par ce silence des adversaires de Nostradamus
concernant les centuries. C’est ainsi qu’Olivier Millet
écrit : « Videl s’en prend non pas aux Prophéties déjà
anciennes de 1555 ni à celles de 1558, pas encore
publiées mais aux almanachs et pronostications des
dernières années »(« Feux Croisés », p. 107). En fait,
Videl, un des rares adversaires de Nostradamus dont nous
ne discutons pas l’authenticité de certaines œuvres en
rapport avec Nostradamus, ne se référe pas, en 1558, aux
« Prophéties », tout simplement parce que celles-ci ne
sont pas encore parues.
6
- Les centuries ou le passage de
l’astrologie à l’onomancie
Il est un point sur
lequel buttent nos recherches et nos réflexions, c’est
la question de l’usage que l’on était censé faire des
quatrains prophétiques. Est-ce que les épîtres placées
en tête des quatrains nous expliquent le mode
d’interprétation proposé ? Mais qu’en était-il déjà pour
les almanachs et les pronostications que Nostradamus fit
paraitre de son vivant, pourquoi se les procurait-on ?
Plus largement, qu’attendaient les clients de
Nostradamus avec lesquels il correspondait, puisque un
volume fut constitué de ses lettres (édité par Jean
Dupébe, Lettres
inédites, Droz,
Genève, 1983) Mais comment donc, dans les années 1580
lisait-on les Centuries, comment choisissait-on les
quatrains signifiants parmi tant de possibilités? Serait-on
passé d’une lecture prospective à une lecture
rétrospective ?
Nous partirons d’une
expérience personnelle : deux moments clef de notre
recherche pour déterminer la date de certains quatrains
et donc, indirectement, fixer un terminus à certaines
éditions comportant les dits quatrains, ont concerné
deux quatrains comportant un nom de ville, Tours pour
IV, 46 et Chartres pour IX. 85. Si ces noms n’avaient
pas figuré, nous n’aurions pas jugé que notre analyse
aurait été convaincante. Or, il est probable qu’il dut
en être ainsi pour les premières lecteurs des Centuries
avant que ne se mette en place un lourd appareil
exégétique, une littérature spécifique dont le Janus Gallicus
est la première manifestation, suivi en 1656 par le
Dominicain Giffré de Réchac, avec l’Eclaircissement des
véritables quatrains,
paru anonymement et qui plus est très partiellement. La
comparaison entre la production centurique sous la Ligue
et celle sous la Fronde est frappante. Dans le premier
cas, pas de commentaire, dans le second, des pamphlets
se servant de quelques quatrains triés sur le volet et
ne laissant plus au public une quelconque liberté de se
promener à travers les rangées de quatrains, jusqu’à ce
que l’œil soit attiré par quelque bosquet de mots...
Selon nous, une loi non
écrite, accordait la plus grande importance aux noms
propres et cela s’exprimera de façon exacerbée et
caricaturale avec ces quatrains tirés de la Guide des Chemins de
France de
Charles Estienne, ce qu’a relevé heureusement Chantal
Liaroutzos,
sans en tirer cependant toutes les implications. C’est
ainsi d’ailleurs que le nom de Varennes a connu la
fortune que l’on sait, par sa présence au quatrain IX
20. Pour s’intéresser à un quatrain porteur d’un nom de
lieu ou de personne, il importe d’avoir quelques
rudiments d’histoire ou de se situer dans une actualité
immédiate. Dans les deux cas que nous avons évoqués, le
quatrain Tours et le quatrain Chartres, il est clair que
cela ne fait plus guère sens de nos jours, si l’on
ignore ce que ces deux villes ont pu signifier dans les
années 1589-1594 mais rien n’interdit de penser qu’ils
pourraient à nouveau frapper les esprits s’il se passait
quelque chose, un beau jour, dans ces villes.
On nous objectera qu’il est des quatrains
célèbres qui ne comportent pas de nom propre. On pense à
celui relatif à la mort d’Henri II dont tant de
biographes nous disent qu’il défraya la chronique, au
lendemain de ce tragique événement :
I 35
Le lyon jeune le vieux surmontera
En champ bellique par singulier duelle
Dans caige d’or les yeux luy crevera
Deux classes une puis mourir mort cruelle.
Rien en apparence ne
contraint le lecteur à associer ce quatrain, avec
quelque conviction, à un tel quatrain, de toute façon
composé post
eventum –dès
lors que l’on rejette la thèse d’une parution des
Centuries du temps de Nostradamus. Mais si l’on connait
le nom du malheureux adversaire, Gabriel de Lorges,
comte de Montgomery, on remarque alors l’anagramme assez
transparent, caige d’or, pour Orge. Le jeu de mots est
assez transparent bien qu’à notre connaissance, personne
ne l’ait à ce jour signalé. D’autres quatrains avec le
mot « grain »- parfois changé en « grand »
-
peuvent aussi se référer à l’orge et dans ce cas, un nom
commun, voire un adjectif, peut devenir un nom propre...
Citons le cas du quatrain 100 de la Vie
centurie, absent de toutes les éditions antidatées
(1557, 1568)
Fille de l’Aure, asyle du mal sain
Où jusqu’au ciel se void l’amphithéâtre
Prodige veu, ton mal est fort prochain
Sera captive & deux fois plus de quatre
Nous y voyons une
allusion à Catherine de Médicis, fille de Laurent, d’où
le jeu de mots : fille de l’Aure, la reine mère du roi
Henri III meurt en janvier 1589..Ce quatrain reparait
dans le Janus
Gallicus et
dans nombre d’éditions du siècle suivant y compris dans
la traduction anglaise de 1672.
Nous avions également signalé le cas de
VI, 85, donc parmi les apports les plus tardifs au
premier volet puisque se situant au-delà du 83 e
quatrain, qui clôturait la centurie VI des éditions
parisiennes :
Premier d’esté le jour de sacre Urban.
Allusion au règne très bref d’Urbain VII,
au cours du mois de septembre 1590- débutant en Eté -
mais peut être paru avant sa mort de malaria. Dans ce
cas, l’on aurait là une date assez nette, celle de son
élection, le sacre n’ayant pu avoir lieu à temps.
La question des
anagrammes est bien connue dans le second volet :
Mendosus pour Vendôme et Norlaris pour Lorraine, si bien
que tel mot incompréhensible peut se révéler renvoyer à
un nom propre. Mais ces noms figurent également en clair,
au sein du même second volet, à l’intention probablement
des lecteurs les moins perspicaces pour lesquels il faut
mettre les points sur les i.. N’oublions pas Chyren,
anagramme récurrent d’Henri. A VIII, 67, c’est Nersaf
pour France, qui renvoie au cardinal de France. PAR. CAR
NERSAF à ruine grand discorde. Mais en VIII, 4, le
quatrain est en clair : « Le Cardinal
de France
apparaitra. »
On pourrait aussi citer le quatrain
évoquant le Marquis de Pont à Mousson, fils du duc de
Lorraine et prétendant au trône de France, lors des
événements qui suivirent l’assassinat d’Henri III.
VII, 24
Grand de Lorraine par le Marquis du Pont
Cette centurie VII qui est la plus
tardive du premier volet et qui est une pièce rapportée,
au-delà de la centurie VI se terminant par un
avertissement conclusif latin Ce quatrain figure dans
l’édition d’Anvers 1590 à 35 quatrains à la VII..
On n’a pas de mal évidemment à
s’intéresser aux quatrains comportant le nom de Guise :
toujours dans cette centurie VII additionnelle (annoncée
dans les éditions parisiennes 1588, par ses « 39
articles ») :
VII 29 le Grand de Guise se viendra
debeller
Nous signalions plus haut le recours à
des mines de noms de lieux, puisés dans les itinéraires
élaborés par Charles Estienne. Mais ces noms peuvent
être modifiés pour la circonstance. C’est ainsi que l’un
de ces quatrains, IX, 86, comportant le nom de Chastres
aura été retouché pour faire apparaitre celui de
Chartres, cathédrale du couronnement d’Henri IV, en
janvier 1594/ Mais nous sommes là au sein du second
volet, lequel d’ailleurs est le seul à emprunter à
Estienne, ce qui est, selon nous, révélateur de
l’existence d’une certaine tradition de recours aux noms
propres.
Il y a ainsi tout un codage de noms
propres, comme ce verset répété ;
IX 41 Le Grand Chyren se saisir d’Avignon
Ou encore Roy de Bloys en Avignon
régner.(VIII, 38 et VIII, 52)
Le cas des sixains
confirme toute l’importance des noms propres : on y
trouve des allusions assez transparentes à Concini,
Marquis d’Ancre (sixain n°1), mais celui –ci ne devint
Marquis qu’en 1613, l’anagramme de Biron en Robin (sixain
6), lequel fut exécuté en 1602, mais il est à souligner
que ce texte comportait des clefs qui figurait in fine
mais qui n’ont pas été reprises dans les éditions
centuriques,
ôtant une partie de son intérêt au texte mais lui
ouvrant de nouvelles perspectives tout au long de sa
longue carrière dans le XVIIe siècle, notamment dans les
interprétations du chevalier de Jant, dans les années
1670. Un cas extrême est celui du 52e
sixain : « Encor un coup la sainct Berthelemy » Quant au
« suc d’orange »(sixain 5), il renvoie à Guillaume
d’Orange.
L’on voit ainsi que le
lecteur avait quand même sur quoi accrocher son regard.
Cela présente un grand intérêt pour celui qui veut dater
les éditions car ces noms propres peuvent, dans nombre
de cas, difficilement être mis sur le compte du hasard
ou de quelque inspiration prophétique. Ces quatrains ou
sixains portent en eux-mêmes leur terminus. Le cas de Concini est
assez remarquable car il ne devient Marquis qu’en 1613
et il n’émerge aux côtés de Marie de Médicis, sa
compatriote italienne, qu’à la mort d’Henri IV en 1610.
Comment
pourrait-on dès lors dater de 1605 des éditions des
Centuries comportant des allusions à Concini ?
C’est pour
cette raison, probablement, que l’on a supprimé les
clefs y faisant référence et qui accompagnaient
l’édition Morgard (cf. nos Documents inexploités
sur le phénomène Nostradamus, op. cit.). Le fait que
les sixains soient précédés d’une Epitre à Henri IV
datée de 1605 aura induit en erreur nombre de
bibliographes. Il convient probablement de situer une
telle production sous la régence de Marie de Médicis et
autour de 1614, période marquée par de nombreux
pamphlets anti-Conchine. Concini, comte de la Penna, est
d’ailleurs probablement aussi brocardé quand il s’agit
de plume (penne) Sixain VI, la plume au vent.
On nous objectera que dans nombre de cas,
un nom peut valoir pour divers événements. Un prénom
vaut pour plusieurs rois (Henri) ou papes (Urbain),
telle ville a été au cours de son histoire le théâtre de
diverses actions surtout si l’on prend en considération
l’histoire antérieure à Nostradamus, sous prétexte que
les centuries recyclent des chroniques des siècles
passés (cf les travaux de Peter Lemesurier et l’ »effet
Janus » qui associe passé et futur). Mais pour en
revenir aux six exemples de lecture des quatrains que
nous avons revendiqués personnellement I, 35, IV 46, VI,
100, VI, 85, VII 24, IX 86 (cf supra), nous dirons que
ce que nous retenons c’est la coïncidence entre la date
de publication et l’événement concerné, ce qui implique
évidemment de déterminer cette date. C’est évidemment
hors de question pour celui qui utilise des éditions
d’un seul tenant, où l’on a fait disparaitre toute
indication d’addition, ce qui est le cas des éditions
Antoine du Rosne 1557, qui n’offrent aucune prise et qui
de ce fait sont plus « modernes », plus achevées que les
éditions que d’aucuns voudraient nous convaincre
qu’elles les précédent. Il n’est évidemment pas question
d’associer ici des quatrains à des événements se situant
avant 1559(mort d’Henri II) ou après 1617 (assassinat de
Concini)
Mais quand on nous explique qu’en 1588,
le quatrain IV 46 « manque » et qu’on le retrouve dans
les autres éditions, on a quand même le droit de penser
que l’addition de ce quatrain coïncide étrangement avec
le statut de Tours, comme rivalisant avec Paris contrôle
par les Ligueurs. Quand on sait que la centurie VII se
situe en fin de processus, en tant qu’addition à la
centurie VI, on peut légitimement noter que le Marquis
du Pont -associé dans le même verset à Lorraine- est en
piste, du fait de son ascendance carolingienne prétendue-
dans la course dynastique qui se joue à la fin des
années 1580. Quant à l’éphémère règne d’Urbain VII, qui
ne dura que quelques jours du mois de septembre 1590, il
apparait dans un quatrain des ultimes ajouts complétant
la centurie VI et il permet donc une très grande
précision dans la datation des quatrains 84 à 100 de la
dite centurie, tout comme d’ailleurs IX, 86, à propos du
couronnement de Chartres, figurant dans une centurie
hostile à la Ligue. Il fait d’ailleurs pendant à IV, 86,
quatrain qui appartient à la partie additionnelle aux 53
quatrains qui constituèrent un temps la dite centurie et
qui annonce un sacre à Reims et à Aix la Chapelle, ce
qui renvoie aux prétentions lorraines, réveillées à la
mort du duc d’Alençon, en 1584, ouvrant une crise
dynastique, du fait de l’absence d’héritiers directs de
la maison de Valois...
Avecq Sol, le Roy fort & puissant
A Reims & Aix sera receu & oingt. :
En ce qui concerne les
emprunts à la
Guide des Chemins de France,
Pierre Brind’amour avait fait remarquer que les attaques
d’un dénommé La Daguenière en étaient inspirées. Le nom
même de La Daguenière jouxte même celui de Varennes.
Ces arguments, on l’aura compris,
viennent compléter notre dossier fondé par ailleurs sur
divers critères parfois plus complexes à intégrer. Mais
précisément, on se sert ainsi de ce qui a certainement
fait le succès des dites Centuries.
Tout se passe ainsi,
comme si l’on était passé des almanachs qui s’articulent
sur des dates, des semaines, des mois, des années vers
des centuries qui s’appuient sur des noms propres ou du
moins qui doivent être lus dans ce sens, quitte à
trouver des allusions au travers d’une expression
apparemment insignifiante. Le nom remplace la date comme
donnée prophétique majeure et l’on pourrait parler
d’onomancie se substituant à l’astrologie, c’est-à-dire,
ici, une divination capable d’annoncer des noms, ce qui
doit être distingué de ce que l’on entendra au XIXe
siècle, à savoir une façon à partir du nom de connaitre
l’avenir de quelqu’un, voire de dresser son thème..
Cette rivalité entre astrologie et onomancie est
toujours d’actualité, avec l’émergence d’une numérologie.
Mais, comme on l’a dit, les Centuries relèvent d’un
autre type d’onomancie qui ne se maintient plus de nos
jours que dans les cabinets de voyance. Un voyant est
souvent admiré parce qu’il a su donner un nom propre.
C’est cela qui lui confère du crédit. L’astrologue,
quant à lui, ne saurait prétendre à une telle
performance, du moins avec les outils dont il dispose.
Au départ, il n’était peut être question que d’allusions
à mots couverts à l’encontre ou en faveur de certains
personnages, mais il devint commode de passer par le
mode prophétique pour ce faire. Le fonds de commerce du
centurisme est assurément son capital de noms propres et
de tout ce qui peut être assimilé à un nom propre.
Disons un mot du cryptogramme (« adiousté
depuis l’impression de 1568 ») figurant à la fin de la
Xe centurie et qui se référe à l’an 1660 :
Quand le fourchu sera soustenu de deux
paux (M)
Avec six demi-corps (CCCCCC) & six
ciseaux ouverts (XXXXXX)
Le très puissant Seigneur , héritier des
crapaux
Alors subjuguera sous soy tout l’univers
On trouve ce quatrain dès
l’édition 1605. Cette date semble- on l’ a vu- très
improbable en raison de la présence des sixains et des
références à Concini. Mais elle l’est également par ce
quatrain chiffré. Selon nous, elle serait au plus tôt à
dater de la naissance « miraculeuse » du futur Louis
XIV, en 1638 voire de la mort de Louis XIII en 1643, vu
que l’année 1642 figure dans toutes les éditions datées
de 1611, au sein du Recueil des Prophéties et
Révélations, qui constitue un diptyque avec les
Centuries.. Car en 1660, il aurait une vingtaine
d’années, ce qui est une très jolie échéance prophétique
pour un prince français.
On situe d’ailleurs la production de Pierre du Ruau dans
les années 1630 (cf RCN, pp. 191 et seq) et à notre avis
il conviendrait de considérer plutôt la fin de la dite
décennie. De fait, le dit quatrain supplémentaire (souvent
désigné comme X, 101) figure dans la dite production
troyenne.
Nous ne suivrons donc pas
Patrice Guinard dans son « Historique des éditions des
Prophétie de Nostradamus (1555-1615) », quand il situe
les éditions Chevillot au début du XVIIe siècle. (p.
116) ; « Le quatrain annonce pour 1660 (..) la
suprématie de l’héritier du trône , le futur Louis XIII
qui n’avait que neuf ans à la mort de son père. Mais
Louis XIII décédera en 1643 bien avant la date prescrite ».
Les spécialistes du prophétisme du XVIIe siècle
savent pertinemment que les échéances données à Louis
XIII étaient pour les années 1630 et certainement pas
pour les années 1660. Il faut donc bien parler
d’éditions troyennes antidatées – ce qui était de bonne
guerre, mais il n’y a aucune bonne raison de limiter une
chronologie du corpus néo-centurique à la date de 1615.
En fait, comme le note R.
Benazra, à propos de l’année 1644 (RCN, pp. 198 et seq
« Nous avons rappelé la mort de Louis XIII en 1643.
L’année suivante, sous le régne de Louis XIV et de
l’impopulaire Mazarin , commence à circuler la première
édition des Prophéties d’une longue série qui se
poursuivra jusqu’en 1665. Toutes ces éditions
reproduisent (sic) (..) le quatrain supplémentaire (X,
101) » L’édition de Cologne, chez Jean Volcker, 1689 se
référe en son titre Les Vrayes Centuries
et Prophéties,
aux «éditions imprimées à Lyon l’an 1644 & à Amsterdam
l’an 1668 ». Il semble donc bien que la naissance
tardive – ce qui n’est pas sans faire écho à la Préface
à César- du Dauphin conjuguée avec les morts de
Richelieu et de Louis XIII vont générer un nouvel élan
centurique, dont le quatrain cryptogramme est
emblématique. Il est fort improbable qu’un tel élément
ait pu paraître avant cette période qui produira à son
tour des éditions antidatées.(1605, 1611, 1627 et bien
entendu 1568), qui émaneront notamment des ateliers
troyens.
7
- Le revival nostradamique dans les
années 1580
En 1653, paraissait un Dariotus Redivivus,
traduction anglaise d’un traité d’astrologie paru en
français et en latin, à Lyon dans les années 1550.
On pourrait parler dans les années 1580, d’un Nostradamus redivivus. Cette notion de « revival » ne doit pas
être confondue avec l’idée d’édition posthume et encore
moins, on s’en doute, avec celle d’édition »du vivant »
de l’auteur. Ce sont trois cas de figure bien distincts
mais que l’on tend, chez la plupart des nostradamologues,
à confondre. Une édition posthume est réalisée
généralement au lendemain de la mort d’un auteur, elle
n’implique pas que cet auteur ait été peu ou prou oublié.
Mais toute édition, a priori,
comporte des textes d’un auteur donné et donc rédigés
sinon parus, par la force des choses, de son vivant. Une
édition postérieure à la mort d’un auteur comportera
donc des textes datés du temps où cet auteur était
encore en vie. Ces prolégomènes peuvent sembler
superfétatoires mais, dans le domaine qui nous occupe,
il est toujours bon de préciser les choses.
Selon nous, au milieu des années 1580 fut
orchestré un « retour » de Nostradamus, personnage qui
avait été quelque peu oublié et qui avait connu un
certain prestige dans les années 1550, sous Henri II.
Rien n’était paru sous son nom depuis une vingtaine
d’années, mais divers astrologues se revendiquaient de
sa filiation, réelle ou intellectuelle. Mais un auteur
qui a vécu il y a plusieurs décennies a une aura
particulière, dans le champ prophétique. Une épître
datée de 1555, adressée par Nostradamus à son fils César
permettait de créer cet effet de perspective en ces
années 1580. Mais allait-on ressortir des textes parus
de son vivant ou à sa mort survenue en 1566 ? La plupart
de tels textes étaient révolus, dédiés à des périodes
qui n’étaient plus en prise sur l’époque. Il fallait
donc à la fois faire revivre un auteur ancien tout en
lui faisant tenir un discours qui ne « date » pas trop
ou mieux qui soit intemporel. Le fait que l’intervalle
de temps restait relativement modéré présentait un
certain avantage : d’une part, on pouvait encore assez
bien situer son temps et d’autre part, l’on était en
mesure de produire des contrefaçons passables, en
recyclant des matériaux encore disponibles notamment
toutes sortes d’ouvrages parus dans les années 1550,
permettant de recréer un contexte crédible, une
reconstitution vraisemblable, en raison de tel ou tel
détail apportant un semblant d’authenticité.
Le revival aurait certes pu en rester à la mise en
circulation de textes posthumes mais jamais parus,
retrouvés dans quelque bibliothèque- scénario classique
que l’on retrouvera en plein milieu du XIXe siècle avec
la Prophétie d’Orval.
Mais nous verrons que le zèle de certains conduisit à
exhumer de prétendues éditions d’époque qui n’étaient
que des duplications, quelque peu patinées, de la
production propre au dit revival. D’où cette confusion que nous évoquions
plus haut entre les trois types de situations
éditoriales.
Mais si l’on se situe au milieu des
années 1580, à la mort du duc d’Alençon pour situer une
date clef par rapport au déclenchement de la crise et de
la guerre dynastiques, ce qui paraissait alors sous le
nom de ce Nostradamus était totalement inédit sinon
inouï.
Il nous apparait que ce revival s’effectua en plusieurs temps, même si
cela se place sur une période assez brève : rappelons
que tout au long des années 1570 l’on a vu apparaitre
toutes sortes d’émules de Nostradamus, et Benoist Rigaud
aura contribué à ce processus. Et puis revirement
stratégique oblige, il est question d’en revenir à la
source dans une sorte de surenchère. Et, en 1584-1585,
Rigaud lui-même va publier un document qui n’était
jamais paru, sous cette forme auparavant, à savoir la
collection complète des quatrains des almanachs qu’il
aura pu obtenir de Chevigny/Chavigny. Il juge bon, tant
qu’à faire, de le dater de 1568, chez lui-même. Antoine
du Verdier se hâte, dans sa
Bibliothèque
(Lyon Honorat, 1585), en concurrence avec celle de La
Croix du Maine, de saluer cet événement dans un article
sur Nostradamus et mentionne l’existence de «dix
centuries de prédictions comprises briefvement par
quatrains , Lyon, Benoist Rigaud, 1568 », se
trompant sur le nombre, dix au lieu de douze (1555 à
1567, moins l’an 1556 année dont on ignore les quatrains
si tant est qu’il y en eut. Précisons que ce n’est qu’à
partir de l’almanach pour 1557 que les quatrains se
situent dans l’almanach et non dans la pronostication
comme pour 1555. On peut donc comprendre que la première
expérience pour 1555 n’ait pas été poursuivie
immédiatement.
Ce n’est donc que dans un deuxième temps que l’on sera
passé à publier des textes jamais parus, inédits, et
considérés comme posthumes, tout en suivant le moule
centurique mais en prenant cette fois le mot dans son
acception étymologique : cent.. Par la suite, cette
première supercherie assez bénigne consistant à laisser
croire que Rigaud avait bien publié ces quatrains
d’almanachs dès 1568 allait déboucher carrément sur la
production plus insidieuse de « centuries prophétiques »
chez le même libraire, comme indiqué au titre de
l’édition non datée (attribuée à Du Ruau) et comportant
une épitre à Henri IV datée de 1605.(cf RCN, p.p. 156 et
seq). Nous proposons, dès lors, de parler d’un néo-centurisme
pour désigner les nouveaux quatrains qui constitueront
ce qu’on appelle « Centuries » et qui, structurellement
et stylistiquement, auraient pour matrice le premier
centurisme établi par Benoist Rigaud dans son édition,
perdue, mais signalée par Du Verdier, des « centuries »
de présages mensuels, chaque quatrain étant associé à un
mois et à une année à la différence des quatrains
néo-centuriques.
En vérité, nous n’avons pas conservé les
premières éditions concernées par ce grand retour de
Nostradamus. Si l’on laisse de côté les éditions
antidatées, censées parues du vivant de Nostradamus ou
peu après sa mort (entre 1555 et 1568), nous trouvons
les premières éditions de ses « centuries » -puisque ce
sont elles qui sont au cœur du revival nostradamique-
portant la date de 1588. Mais plusieurs éléments nous
conduisent à situer l’émergence du phénomène centurique
– ou pré-centurique (cf infra) quelques années plus tôt.
D’une part, le contenu des dites éditions 1588 et de
l’autre l’émergence,certes tardive, dans la seconde
partie du XVIIe siècle, tant en France qu’en Angleterre,
d’éditions comportant des pièces qui pourraient bien
correspondre à un état antérieur aux pièces figurant
dans les éditions datées de 1588.
I Le contenu des éditions datées de 1588
Nous avons de cette année 1588, du moins
si l’on s’en tient aux pages de titre- deux éditions
très différentes, par leur titre d’une part, par leur
contenu de l’autre.
Par leur titre d’abord puisque l’une,
parue à Rouen, chez Raphaël du PetitVal, se présente
comme divisée en 4 centuries et s’intitule Grandes et Merveilleuses Prédictions
tandis que l’autre parue à Paris, chez la Veuve Nicolas
Roffet s’intitule Prophéties
et signale une addition de 39 articles (ou quatrains),
correspondant à la centurie VII, additionnelle, à une
précédente édition de 1557, qui serait donc à six
centuries, effectuée en 1561.
Toutes deux, cependant, sont introduites par la même
Préface adressée par Nostradamus à son fils. Donc dès
1588, il aurait été question, à Paris, ville marquée par
la Ligue, d’une édition effectuée du vivant de
Nostradamus et dont la dite édition parisienne serait
une réédition. Mais cela ne signifie pas que le contenu
de ces éditions n’était point, quant à lui, à caractère
posthume ou plutôt pseudo-posthume.
Le problème, c’est que le contenu de
cette édition parisienne de 1588 ne correspond pas à son
titre. On n’y trouve pas une annexe de 39 quatrains.
Quant à la centurie VI, elle n’atteint que 83 quatrains,
ce qu’on appelle dans cette édition centurie VII n’étant
que la suite de la centurie VI, qui n’allait pas au-delà
du 71e
quatrain. De deux choses, l’une : ou bien le contenu de
cette édition est antérieur à toutes les éditions
comportant six centuries pleines et d’un seul tenant,
outre qu’elle comporte une marque additionnelle après le
53e
quatrain de la IV ou bien, comme le soutiennent encore
une grande partie des nostradamologues, des quatrains se
seront perdus en route. Pour notre part, nous nous en
tenons à la première position.
Quant à l’édition rouennaise de 1588,
elle a beau se présenter en son titre comme étant
divisée en 4 centuries, Ruzo précise – point négligé par
la plupart des bibliographes, y compris Patrice Guinard,
qu’elle n’est pas encore divisée en centuries et qu’elle
ne comporte pas 353 quatrains mais seulement 349.
Nous avons donc quatre états successifs
pour le prix de deux éditions datées de 1588:
1 une édition à 349 quatrains sans
répartition centurique
2 une édition à 4 centuries
3 une édition augmentée, complétant la
centurie IV (entre temps passée à 53 quatrains) et
comportant une centurie V suivie d’une addition de 71
quatrains à la VI, suivie encore d’une addition de 12
quatrains supplémentaires qui prend même le nom de
centurie VII, par inadvertance.
4 Une édition à sept centuries, dont la
VIIe est à 39 quatrains.
Il est clair que ces différents états ne
se situent pas en la même année 1588 et nous invitent à
les échelonner sur les années précédentes, et au moins
pour 1587.
II Le contenu des épîtres des résurgences
du XVIIe siècle
Mais d’autres données viennent confirmer
la nécessité de repousser encore plus en amont
l’apparition du phénomène centurique ou pré-centurique (dans
le cas d’éditions dont les quatrains ne sont pas encore
divisés en centuries. En effet, les éditions 1588
comportent une préface à César qui est grosso modo
du même type que celles qui figurent en tête de toutes
les éditions connues des Centuries. Le seul cas qui
n’est pas résolu, dans le dit corpus 1588 est celui de
Rouen 1588, qui reste inacessible bien que décrit trop
rapidement par Ruzo. Mais l’on connait la Préface de
l’édition du même libraire rouennais, pour l’année
suivante 1589 et qui est « conforme » encore qu’elle
comporte sept centuries mais avec une centurie VII dont
on ignore le nombre de quatrains, vu que la fin en est
tronquée et que l’on n’a qu’un seul exemplaire (dont
nous avons copie à la Bibliotheca Astrologica), si ce
n’est que l’édition d’Anvers de l’année suivante, qui
semble en être le prolongement, n’a que 35 quatrains à
la VII, ce qui la placerait avant
l’édition à 39 quatrains(cf supra) Il convient donc de
manier les données chronologiques avec la plus extrême
prudence, en tenant compte notamment des rééditions et
des postdatations qui en découlent.
Que nous apportent ces éditions de la
seconde moitié du XVIIe siècle ? La conviction que
l’état des deux épîtres centuriques, à César et à Henri
II, sous sa forme « canonique » est marqué par deux
problèmes : la corruption du texte et les
interpolations. Or, si déjà nous avons opté pour l’année
1587 pour avoir assez d’espace pour déployer toute une
série d’états successifs, il va nous falloir ménager
encore un peu plus de place pour accueillit des éditions
comportant des épîtres non corrompues et non interpolées.
La traduction anglaise de 1672, due à
Théophile de Garencières, dont on ignore d’ailleurs
l’original français correspondant, est interpolée (cf
infra) mais bien moins abimée que les autres versions
des Epitres centuriques, toutes années et générations
confondues. Nous ne reviendrons pas ici sur les
avantages du dit texte anglais mais ils sont
suffisamment patents pour ne laisser guère de doute et
nous rendre exigeants quant à la cohérence
rédactionnelle propre, a priori, à la prose sinon aux
vers. On ne tiendra pas compte ici des centuries qui
suivent la dite épître car visiblement, il s’agit d’un
recueil de pièces dépareillées et hétérogènes. Il nous
semble assez évident que l’on dispose avec le texte
londonien de 1672 d’un état antérieur à celui des
éditions abordées plus haut.
Mais c’est aussi-et bien plus nettement
encore - le cas de l’édition lyonnaise Antoine Besson-
dont le titre reprend celui des éditions de Rouen 1689
et 1691 mais avec un contenu sensiblement différent
quant aux épîtres mais aussi quant à certains quatrains-
- que l’on doit dater des années 1690, sur la base de
certains événements qu’il mentionne dans son commentaire, in fine-
qui ne correspond pas à l’original français ayant servi
à la traduction anglaise si ce n’est qu’il offre la même
cohérence d’écriture que le texte anglais, pour les
parties qui leur sont communes. En effet, ce qui
caractérise la dite édition Besson, c’est qu’elle ne
comporte pas les emprunts à Savonarole et à Roussat
observés par différents chercheurs au sein de la Préface
à César, lesquels nous considérons comme des
interpolations forcément postérieures aux éditions sans
les dites interpolations. Pour l’épître à Henri II, il
en est de même, de longs développements centraux sont
absents du corpus centurique Besson, à savoir les
chronologies bibliques, mais aussi des emprunts à
d’autres chapitres du Livre de l’Estat et Mutation de
l’Univers, notamment le passage sur 1792 qui ne s’y
trouve point. On peut évidemment tenir un discours
affirmant que Besson a passé par-dessus bord toute une
partie des deux épîtres centuriques mais nous
préférerons, à tort ou à raison, l’autre analyse à
savoir que nous sommes, en quelque sorte de façon
inespérée pour l’historien des textes, en présence des
états premiers du revival nostradamique et qu’il fat bien remonter
encore un peu plus haut dans le temps, autour de 1586 du
moins pour le premier volet. Car notre travail ici
concerne surtout la genèse des sept premières centuries.
Celle des centuries VIII à X exige une autre approche du
fait qu’aucune édition de ces centuries ne nous est
parvenue, isolément avant 1603.(chez Sylvestre Moreau)
et que les éditions à 10 centuries sont selon nous à
dater autour de 1600, au lendemain de l’édit de Nantes
(1598), qui instaure un certain mode de coexistence
entre les camps religieux. Or, les centuries vIII à X
sont l’œuvre du camp réformé. Elles apparaissent
vraisemblablement après les centuries I- VII mais
probablement sans référence à celles-ci. En 1594, le
quatrain IX, 86 a certainement été porté par une édition
VIII-X, pour conforter le sacre d’Henri IV mais cela ne
signifie nullement qu’il était ainsi numéroté et encore
moins qu’il existait déjà une édition à 10 centurie,
même lors de la parution du Janus Gallicus,
en cette même année 1594, qui marque en tout cas
l’émergence de ce groupe de centuries alors que l’autre
groupe est déjà constitué à 7 centuries, dont 42 à la
VII.(cf Ed. Cahors, J. Rousseau, 1590, RCN, pp. 126 et
seq, Bib de la Société des Lettres de Rodez), nombre que
l’on retrouve dans l’édition Antoine du Rosne 1557 (
Bib. Utrecht). On aura remarqué que nous ne tenons
absolument pas compte des éditions datées des années
1555 à 1568 qui ne sont que la réplique- et non
l’inverse- des éditions des années 1580 et suivantes.
On pourrait donc proposer la chronologie
suivante qui ne saurait selon nous débuter avant 1584,
quand La Croix Du Maine consacre une notice à
Nostradamus sans mentionner un quelconque revival
s’étant récemment produit. Du Verdier, pas davantage,
dans sa Bibliothèque,
en 1585, ne semble avoir été le témoin d’une quelconque
résurgence et ses références s’entendent du temps de
Nostradamus et doivent être situées dans ce seul
contexte. Notre terminus sera donc 1586, ce qui nous
laisse une marge de temps raisonnable pour échelonner
une série d’éditions avant la date de 1588 qui, comme on
a pu s’en rendre compte, n’a nullement le profil d’un
point de départ du processus.
Récapitulons en conclusion quelle
pourrait avoir été le premier temps du revival.
1 Une édition comportant une préface à
César (type Besson, Lyon) sans les quatrains « Roussat »
Le texte n’évoque pas des centuries : il
se termine ainsi « espérant à toy déclarer une chacune
des Prophéties & quatrains cy mis ». Il ne s’agit
nullement, on s’en doute, de laisser entendre que cette
préface est authentique du moins en ce qui concerne son
utilisation pour introduire un tel corpus. Les quatrains
en question n’étaient pas issus des textes de Roussat,
absents de cette version de la préface, ce qui nous
conduit à éliminer les quatrains correspondants. On
ignore combien il y a avait de quatrains, probablement
300 si l’on s’en tient à une certaine norme qui va
prévaloir tout au long du processus centurique.
-
Une édition comportant une préface
augmentée mais non corrompue (type Garencières 1672)
et les quatrains ‘Roussat » avec un ensemble de
quatrains non encore répartis en centuries et augmenté
tout au plus jusqu’à 349 (comme dans Rouen 1588, au
contenu)
-
Une édition à 4 centuries dont la IV à
49 quatrains (comme Rouen 1588, au titre)
-
Une édition à 4 centuries dont la IV à
53 quatrains (comme Macé Bonhomme 1555, on la connait
par les marques d’addition Paris 1588)
-
Une édition augmentée à 5 centuries
pleines.(on ne la connait que par les indications du
n°5)
-
Une édition à 5 centuries augmentée
d’une sixième à 71 quatrains (cf le contenu des
éditions parisiennes 1588-1589)
-
Une édition augmentée d’un supplément à
la VI à 71 quatrains constitué d’une « suite » à 12
quatrains (reprise des quatrains de l’almanach pour
1561)
-
Une édition à 6 centuries pleines (ne
prenant pas en compte certaines additions à la VI, cf
n°7). On ne la connait que par les éditions augmentées
(n°9) ayant conservé l’avertissement latin
-
Une édition à 6 centuries augmentée
d’une septième d’un certain nombre d’ articles (entre
30 et 40), avec maintien de l’avertissement latin (cf
n°8) (Benoist Rigaud, 1568, Antoine du Rosne,1557
Utrecht)
-
Une édition à 6 centuries augmentée
d’une septième sans l’avertissement latin entre la VI
et la VII. (cf Anvers 1590, Antoine du Rosne 1557
Budapest).
Nous avons donc une suite de dix états
successifs entre 1586 et 1590, ce qui permet de resituer
la production antidatée à la place restreinte qui est la
sienne, ce qui est logique puisque tout emprunt est
partiel par rapport à son modèle surtout s’il s’agit
d’un processus évolutif :
1 édition avec préface à César interpolée
et quatrains «Roussat », à 4 Centuries et 353 quatrains
(Macé Bonhomme 1555) Type 4 de la série ci-dessus
2 édition avec préface (état corrompu) à
César interpolée à 7 centuries dont 40 à la VII ( type 9
de la série ci-dessus), avec maintien de l’avertissement
latin. Antoine du Rosne 1557, Bibl Utrecht (à 42
quatrains à la VII)
.3 édition avec préface (état corrompu) à
César interpolée, à 7 centuries, dont 40 à la VII, sans
maintien de l’avertissement latin (type 10 de la série
ci-dessus) Antoine du Rosne 1557 Bibl. Budapest.,
Cet ordre ne préjuge pas de l’ordre de
parution des dites éditions antidatées. En fait, la
première parue des trois fut Antoine du Rosne, 1557.
Bibl. Budapest. Les deux autres sont le fruit d’une
entreprise rétrospective et rétroactive du début du
XVIIe siècle.
Reste un point aveugle qui est celui de
l’interprétation des textes nostradamiques et que nous
aborderons plus loin. Que pouvait y trouver le lecteur
des années 1580, lorsque les dits textes n’étaient
accompagnés d’aucun commentaire, d’aucun mode d’emploi ?
Est-ce que la Préface à César suffisait à éclairer
l’éventuel interpréte ? Pour notre part, nous avons mis
en exergue certains quatrains qui selon nous durent
frapper l’imagination du public : IV, 46 dans le premier
volet, IX, 85 dans le second. L’un hostile au camp
d’Henri de Navarre, l’autre qui lui est favorable. Dans
les deux cas, un nom de ville, Tours et Chartres,
respectivement. La présence, au sein d’un quatrain, d’un
nom propre – soit dans sa formulation claire, soit sous
celle d’une anagramme - est plus frappante qu’une suite
de noms « communs ». On sait à quel point, sous la
Révolution, le nom de Varennes dans un quatrain frappa
les esprits, ce qui par la suite interpellera jusqu’à un
Dumézil. Sans cet élément nominal, l’impact d’un texte
prophétique est limité. Mais il appartient au
commentaire de souligner celui-ci, quitte à modifier
certains mots, à l’occasion d’une traduction comme ne se
prive pas le faire Jean Aimé de Chavigny lors de sa
traduction-interprétation des quatrains nostradamiques.
( Janus Gallicus,
1594). On peut penser que les traductions anglaises des
centuries auront généré divers infléchissements du texte
français d’origine.
En fait, le nom de Nostradamus avait été
entretenu depuis sa mort par tout un ensemble de
publications se référant peu ou prou à son héritage mais
quelque part occultant son oeuvre. Dans notre post-doctorat
de 2007 (téléchargeable à partir du site propheties.
it), nous avons ainsi signalé une contribution passée
inaperçue de Jean Aimé de Chavigny à ce mouvement :
c’est ainsi que l’on trouve une adresse signée I. A. CH
adressée à un certain astrologue du nom de Cormopéde
dont l’œuvre serait prétendument traduite de l’allemand,
dans laquelle le nom de Janus
figure déjà. Il s’agit de l’Almanach
des almanachs le plus certain pour l'an 1592,
Lyon, Jean Pillehotte.
Benazra reproduit en partie cette courte
adresse mais ne relève pas les initiales. ( Bibl. Lyon La Part Dieu, cf RCN, p. 128
-130). En revanche, il note que cet almanach qui parait
pendant plusieurs années comporte des quatrains « mensuels »
en réalité issus des centuries prophétiques ( à partir
des deux volets) sans les désigner toutefois comme tels.
On peut y voir, nous semble-t-il, un premier travail de
compilation dû à Chavigny et qui montre qu’il disposait
déjà au début des années 1590 du matériau qu’il
commentera un peu plus tard dans son Janus François, ce qui ne signifie pas qu’il ait déjà
existé dès ce temps là une édition à 10 centuries, ce
qui semble n’avoir été le cas qu’à partir de 1594, chez
Benoist Rigaud, avec lequel il est fort probable qu’il
ait collaboré.. Mais il existe une autre hypothèse que
nous avions largement développée dans notre thèse d’Etat
de 1999, à savoir que ce matériau ne serait pas issu des
Centuries mais en serait tout au contraire une des
sources. Reprenons en effet la description de R.
Benazra-lequel n’avait pas identifié un tel matériau
chez Crespin- « La plupart des quatrains-présages de
l’année (1592 /1593) sont textuellement empruntés aux
Centuries ». Il est bien dit « la plupart », ce qui
signifie que d’autres quatrains présages ne se
retrouveront pas dans les dites Centuries. Il n’est pas
non plus indiqué que ces quatrains sont référencés selon
le code « centurique », ils se présentent en fait comme
des quatrains mensuels, sur le modèle et dans le style
des quatrains de Nostradamus, dont selon nous une
réédition venait d’être effectuée par Benoist Rigaud. Et
dès lors, il pouvait être tentant de les utiliser comme
étant de Nostradamus. C’est peut-être ainsi que le
processus néo-centurique aurait été enclenché : « néo-centurique »
dans la mesure où les quatrains des almanachs de
Nostradamus seraient parus sous le nom de « centuries »,
comme l’atteste Antoine Du Verdier dans sa Bibliothèque. Cela pourrait valoir, d’ailleurs, tant
pour les quatrains du second que du premier volet
puisque l’on n’a pas la preuve qu’aucune édition
centurique ne parut avant la sortie du recueil Rigaud
des centuries de quatrains mensuels. Le cas Crespin est
emblématique : la présence, comme chez Cormopéde – mais
chez Crespin, ce ne sont pas le plus souvent des
quatrains- d’un important matériau néo-centurique,
toutes centuries confondues, va dans le même sens
d’autant qu’il est des éléments crespiniens qui ne
seront pas repris, non plus, dans le corpus
néo-centurique. Dans le cas de Noël Léon Morgard, on
dispose d’un manuscrit (à la BNF) portant le nom de
Nostradamus et comportant outre les sixains « morgardiens »
des sixains qui ne figurent ni chez Morgard ni dans les
éditions néo-centuriques ; ce manuscrit pourrait être la
source à laquelle aurait puisé Morgard, le dit Morgard
étant à son tour récupéré pour la formation du troisiéme
volet néo-centurique, comportant d’ailleurs les
quatrains « centuriques » des almanachs sous le nom de
« présages », lequel volet ne commence pas par l’épitre
à Henri IV mais dès la fin de la centurie X. En fait, il
est constitué de toutes les additions à la version
Rigaud.
8 Matrices de la versification
nostradamique
En 2007, dans notre post-doctorat,
nous avons montré que les vers des almanachs de
Nostradamus, placé dans le premier volet correspondant
au calendrier, étaient constitués d’éléments extraits
des développements en prose proprement prédictifs qui
constituaient le second volet des dits almanachs, allant
même jusqu’à laisser entendre que Nostradamus ne serait
pas l’auteur des quatrains de ses almanachs, si ce n’est
indirectement du fait des extraits ainsi réalisés. Le
passage de la prose aux vers perpétue un certain nombre
de mots mais les agence différemment. La prose est la
source et c’est en amont que le discours nostradamien
fait sens, non pas en aval, par le truchement de sa
versification. Or, force est de constater que la prose
nostradamienne a fini par passer au second plan, comme
il ressort de l’Histoire de l’exégèse des textes qui ne
prend en compte que les quatrains. Dans le cas de Jean
Aimé de Chavigny, il faut reconnaitre que les Pléiades,
parues, une première fois, en 1603, après le Janus Gallicus,
commentaire axé sur les seuls quatrains (des almanachs
et des centuries, tout ensemble) accordent de
l’importance aux « présages prosaïques » (cf RCN, pp.
154 et seq). De nos jours, les deux épîtres centuriques
constituent à peu près tout ce que le public connait de
la prose de Nostradamus. Une thèse de doctorat a été
consacrée, en 2005, en Suéde à La poésie oraculaire de Nostradamus :
langue, style et genre des Centuries,
par Anna Carlstedt et qui tendent à camper Nostradamus
comme l’auteur de centaines de quatrains. Notre position
est différente : non seulement, nous pensons que c’était
là initialement un exercice assez subalterne mais en
outre, nous ne pensons pas que Nostradamus y ait
directement contribué si ce n’est en produisant du texte
en prose. On ne peut donc parler de la « poésie
oraculaire de Nostradamus », y compris pour les
quatrains d’almanachs. Par la suite, la source liée à la
prose de Nostradamus étant tarie de par la mort de
l’auteur, des substituts furent trouvés, qui furent,
dans plusieurs cas, interpolés au sein de textes du dit
auteur, un tel effort d’interpolation soulignant, nous
semble-t-il, que pendant toute une période, c’est bien
le texte en prose qui faisait référence, sinon l’on se
serait contenté de produire directement des quatrains
sans passer par cette phase d’interpolation.
I La production des quatrains des
almanachs
Nous nous intéresserons à l’almanach pour
1557 dont nous disposons du texte complet.
. Mais le Recueil de Présages Prosaïques
dans son ensemble permettrait de mener à
bien ce travail d’aller-retour entre prose et quatrains.
Il ne semble pas que Bernard Chevignard, ait abordé une
telle problématique dans son édition- qui en est resté
au tome premier et aux années 1550 - de ce manuscrit (Présages de Nostradamus,
Paris, Seuil,1999). Le dit Recueil replace en effet le quatrain présage dans
son contexte prosaïque d’origine. Mais par la suite, au
XVIIe siècle, le dit quatrain se retrouvera isolé de sa
source et ce type de quatrains se retrouvera regroupé au
sein d’une rubrique spécifique, intitulée « Présages ».
Or le titre même du dit Recueil
renvoie à la prose. Les quatrains y sont comme une pièce
rapportée puisque dans les almanachs, les quatrains ne
se placent pas dans le même volet que la partie « prosaïque »
et que l’on pouvait ne pas en prendre connaissance et
vice versa, selon que l’on parcourait ou non le
calendrier lequel ne fournissait que des informations
brutes sur le cycle soli-lunaire dont on notera qu’il ne
coïncide ni avec le zodiaque, ni avec les mois de
l’année.
Exemples de mots passés du texte en prose
au quatrain dans les almanachs : il ne faut pas
s’attendre à ce que cela fonctionne, mois par mois et
que les mots du quatrain de tel mois se limitent aux
mots concernant la prédiction du même mois : c’est
plutôt au niveau de toute l’année qu’il faut se placer
pour considérer la composition des 12 ou 13 quatrains de
telle année.
Mars 1557
Fort à craindre est celle expédition
Célèbres morts le fuitif est repris
Ne sera vaine la grande émotion
Point n’entrera qui doubtoit d’estre
prix.
Avril 1557
Recueil de Présages Prosaïques,
: (n°207-208, B. Chevignard, Présages de Nostradamus,
p. 272)
On trouve deux phrases consécutives :
« Expeditions
despeschées tant par mer que par terre
Quelques émotions
des Orientaux contre l’isle Croisée
Comparons avec le texte original de
l’almanach pour 1557 qui est plus complexe :
« LE soleil en Taurus chaud, humide,
expéditions despeschées tant par mer que par terre (…)
« Les révolution faisaient quelques
émotions des Orientaux contre l’Isle croisée
En fait dans l’almanach, les deux phrases
sont nettement séparées (cf iconographie) par plusieurs
lignes de textes tandis que dans le Recueil elles se suivent. L’on peut penser que le Recueil
ait pu servir carrément à composer les quatrains et
correspondait déjà à un certain niveau de traitement.
Pour mener à bien, de bout en bout, une
telle entreprise, il faudrait saisir informatiquement la
totalité du Recueil des Présages Prosaïques ;
comme nous l’avions fait, en son temps, pour Crespin
pour ses Prophéties
.,
au regard des Centuries (cf. notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France,
site propheties.it et Ed. du Septentrion)
Comment en est-on arrivé à évacuer la
matrice pour ne garder que son dérivé versifié déconnecté ?
Nous pensons – et cela vaut surtout pour les quatrains
« prophétiques », c'est-à-dire non issus des almanachs
mais des épîtres – on pourrait parler de quatrains « épistolaires »,
que l’on aura voulu évacuer le contexte proprement
astronomique, assez laborieux et minutieux, qui
constitue comme une sorte de gangue assez indigeste, la
chenille devenant papillon.
On peut regretter que Bernard Chevignard,
dans son édition du Recueil des Présages Prosaïques
(ed. Seuil, 1999, année de la fameuse éclipse) n’ait
donné en fac similis que des pronostications (1557et
1558) et des « significations » (pour l’éclipse de
1559), aucun de ces textes ne comportant de quatrains.
Il est vrai que l’on n’en trouvait, alors, que très peu
d’exemplaires (la collection Ruzo n’étant pas alors
accessible) mais il aurait pu, au moins, reproduire, par
exemple, l’almanach nouveau pour 1562,
signalé à Bruxelles, à la Bibliothèque Royale, par M.
Chomarat, Bibliographie Nostradamus,
op. cit., p. 36, notice 48), celui pour 1561 (Bib.
Sainte Geneviève) ayant déjà été reproduit par Catherine
Amadou.
Pierre Brind’amour avait déjà commencé
(in Nostradamus, astrophile, pp.501-502))
à décrire le manuscrit du dit Recueil
(désormais conservé à la Bibliothèque de Lyon-La Part
Dieu) mais il l’avait fait imparfaitement : « l’ouvrage
est une suite d’extraits nostradamiens en prose portant
chacun un numéro d’ordre » écrivait-il. En fait, ces
numéros d’ordre servent uniquement, comme dans la Bible,
à situer les documents mais ils ne correspondent pas à
des extraits distincts qui auraient été juxtaposés, même
si –comme on le verra- il est des décalages remarquables
entre le Recueil et les almanachs dont nous disposons.
Cela ressort de la confrontation avec les almanachs,
c’est ce point que nous avions exposé à B. Chevignard
lors d’une entrevue avec M. Pierre Guinard, le directeur
du département de la Réserve (à ne pas confondre avec
Patrice Guinard), à la Bibliothèque La Part Dieu, avant
la sortie de son travail, en leur présentant des copies
d’almanachs dont nous disposions et en comparant avec le
manuscrit. Cela dit, le texte des documents d’origine a
été considérablement élagué et parfois déplacé.
C’est ainsi que si l’on prend l’almanach
pour 1557 et qu’on le confronte avec le Recueil, le passage
consacré à Henri II ne figure pas au même endroit :
Almanach : « La première constitution de
ce present moy sera pluvieuse & glaciale des autres
adventures par figures dressées à longues revolutions,
le tout est plus amplement manifesté en noz présages
qu’avons dediez au tres chrestien roy. Toutesfoys le
commencement & la fin du présent sera pluvieux etc » »
Recueil :
placé tout à la fin du mois de janvier : « Les autres
aventures par figures dressées à longues révolutions
sont plus amplement manifestées en nos Présages qu’avons
défiez au tres chrestien Roy »–(cf B. Chevignard, Présages,
op. cit. p. 269)
Or, force est de constater que c’est bien
ici l’almanach qui a fait l’objet d’une interpolation
fort gauche. Ce qui devait être placé tout en bas de la
page (la page suivante débutant pour février) se
retrouve tout en haut, en plein milieu de l’exposé. Tout
se passe comme si le secrétaire chargé de rajouter
certaines données (cf infra) avait mal appliqué les
directives et que cette information avait été transmise
tardivement.. Il reste que le Recueil
ne saurait dès lors être considéré comme une simple
copie, peu ou prou élaguée des imprimés.
De même, le début de janvier, le premier
mois, est-il dans le Recueil précédé par un texte introductif général
qui ne figure pas dans l’almanach pour 1557, ce que ne
signale évidemment pas Chevignard qui ne dispose pas du
dit almanach :
« Je trouve que d’icy à l’an 1559 les
astres font indication de tant & si divers troubles que
la charte ne seroit suffisante pour en recevoir les
discours qui s’en peuvent faire mais ce sera pour un
autre temps & loisir. (160). Outre la presente année ces
présages contiennent une partie de ceux qui
appartiennent à celle qui suit & encores quelque chose
de 1559, qui sera l’année de la paix universelle par la
grâce de celuy qui par son éternelle providence fait
mouvoir les astres »(161) En fait, la comparaison entre
les deux documents nous éclairent sur les méthodes de
travail de Michel de Nostredame/. En effet, on ne trouve
pas dans le Recueil de développements astronomiques, alors
que ceux-ci figurent au début de chaque mois. Notre avis
est le suivant : quelqu’un relisait le texte de
Nostradamus et lui ajoutait des explications
techniques :
En voici un exemple assez caractéristique
toujours pris dans l’almanach pour 1557, pour février :
Recueil :
N° 188 : Les maladies feront grand
empeschement & plus la mort de plusieurs.
N°189 Je laisse à mettre un cas estrange
& jamais veu.
Almanach :
« Les maladies feront grand empeschement
& plus la mort de plusieurs. Vénus, Mercure & la queue
du dragon au mesme lieu que dessus. Je laisse à mettre
un cas étrange etc
On note que le développement astronomique
a été rajouté et interpolé et cela peut s’observer de
façon assez systématique. Or si l’on sépare le texte du
Recueil
des données astronomiques, fournies par l’almanach, l’on
sort en quelque sorte du champ de l’astrologie pour
glisser vers une forme d’entreprise oraculaire. En ce
sens, l’almanach de Nostradamus lui-même nous apparait
comme une œuvre collective, constituée en au moins deux
étapes, au-delà de la matrice initiale fournie par
Nostradamus et conservée dans le Recueil des Présages Prosaïques :
d’une part une réduction versifiée qui aboutit aux
quatrains mensuels, de l’autre une addition fondée sur
les données du calendrier et des tables astronomiques.
II La production des quatrains de
prophéties.
Il ne semble pas que l’on soit parvenu,
jusqu’ici, à déterminer le lien entre les épîtres et les
quatrains centuriques. Notre travail consistera
précisément à montrer à quel point la Préface à César
est une clef pour cerner la genèse des quatrains des
premières centuries. De même que quatrains et centuries
augmentaient en nombre, il apparait que les épîtres,
elles aussi, grossissaient, s’amplifiaient et
accueillaient de nouveaux apports en prose voués à
nourrir, à leur tour, la composition de nouveaux
quatrains. Mais un tel système a fini par laisser la
place à une dialectique du quatrain et de son
commentaire en prose, non plus interne au corpus mais
externe, comme en produira tant le XVIIe siècle, au-delà
du travail de pionnier de Jean Aimé de Chavigny :
renversement donc du processus : la prose n’est plus à
la source mais à l’arrivée. Le terme « commentaire » que
Chavigny utilise notamment en 1596 dans ses Commentaires du Sr de Chavigny sur les
Centuries et pronostications,
qui est une reprise du Janus François-sans
la partie latine, couvrant, par son titre dédoublé
centurie n’est pas ici synonyme de pronostication(
« et » n’est point « ou »)- les deux catégories de
quatrains, ceux des Centuries et ceux des almanachs,
référés comme « pronostications ».—Mais dans le Janus
François, deux ans plus tôt, le terme «commentaire »
concernait Nostradamus et non Chavigny : « Centuries et
autres commentaires de M. Michel de Nostredame ». Ici « commentaire »
désigne les quatrains des almanachs qui sont en effet
une glose versifiée et dérivée de textes en prose, un « commentaire
sous forme de quatrains » des prédictions en prose qui
constituent le cœur de l’entreprise nostradamienne, à
partir des données astronomiques dont elles sont
elle-même un commentaire. Trois couches de commentaires
se superposent ainsi : commentaire en prose des rapports
lune soleil, fournis sur la forme lapidaire de
l’astronomie- sur une base hebdomadaire, mois par mois,
commentaire versifié réduisant la prose à des quatrains,
dont on ré-agence les principaux signifiants, et enfin
commentaire des quatrains que l’on va associer à toutes
sortes d’événements, en perdant plus ou moins de vue les
premières couches. Cela pour le corpus non centurique,
issu des almanachs. Mais par la suite, un autre
processus se développe, non plus à partir des données
astronomiques brutes mais à partir de divers textes
récupérés ici et là, notamment le Livre de l’Estat et Mutation des Temps
de Richard Roussat – mais qui se retrouve
aussi largement, et quasiment à l’identique, dans le Période
de Pierre Turrel.(Bib. Ste Geneviève), ce qui va
également donner des quatrains, cette fois en quantité
autrement importante, puisque chaque épître va
introduire plusieurs centaines de quatrains. Encore
convient-il de préciser que ce ne sont pas les épîtres,
dans leur état d’origine, qui contribue à ce résultat
mais les interpolations qui vont se glisser au milieu
des dites épîtres- ce qui ressort de la remarquable
édition Antoine Besson (c 1691) et qui ne sont pas,
quant à elles, le fait de Michel de Nostredame.
Le décrochage entre épîtres et quatrains
tient probablement au fait que l’on ne pouvait augmenter
indéfiniment la taille des épîtres tandis qu’il semblait
relativement aisé d’accroitre le nombre des centuries.
Mais dans un premier temps, les épîtres
ont bel et bien connu des ajouts, comme il ressort de
notre comparaison entre l’édition Besson de la Préface à
César (c. 1691) et l’édition « canonique »,
singulièrement plus étoffée. Et cela vaut aussi dans le
cas de l’Epitre à Henri II, si ce n’est que les
rapprochements entre épître et quatrains dans le second
volet restent à investiguer. On peut dire que les
documents Besson sont aux épitres centuriques ce que le Recueil des Présages Prosaïques
est aux publications annuelles de
Nostradamus, à cela près que Nostradamus n’en est pas
l’auteur et qu’elles appartiennent à une époque plus
tardive. Notons toutefois que les documents Besson
eux-mêmes sont greffés, d’une façon ou d’une autre,
respectivement sur l’Epitre à Henri II, placée en tête
des Présages Merveilleux
pour 1557 et sur la Déclaration des abus, ignorances &
séditions de Michel Nostradamus, Avignon, Pierre Roux,
de Laurent Videl de 1558, à partir de
laquelle les Prophéties du Seigneur du Pavillon
furent établies..
On peut penser raisonnablement que nombre
de lecteurs de la Préface à César doivent avoir songé de
temps à autre à tel ou tel quatrain et vice versa, à
commencer par « flamme exiguë » que l’on trouve dans les
deux documents
Exiguë flamme,(Préface) I, 1 : Flambe
exiguë sortant de solitude
Nous avons notamment montré que les
interpolations (extraites de Richard Roussat) et qui ne
figurent pas dans la Préface à César- Besson, ont
alimenté nombre de quatrains parmi les premières
centuries. Parfois on trouve d’ailleurs un mélange des
parties seconde et tierce du Livre de l’Estat et Mutations du
Monde, Lyon, 1550,
ce qui constitue un amalgame des plus hétérogènes, étant
donné que ces deux parties du dit Livre exposent des
techniques prévisionnelles aux fondements et aux
formulations des plus différents.
I, 26
Faulx à l’estang ioinct vers le
Sagittaire
En son hault auge de l’exaltation
Peste, famine, mort de main militaire
Le siecle approche de renovation
Les deux premiers vers sont inspirés de
la tierce partie et les deux derniers de la seconde
partie et donc des interpolations de la Préface à César.
Est-ce assez démontré le caractère tout à fait
fantaisiste de la composition des quatrains centuriques ?
Vouloir considérer un tel quatrain comme étant d’un seul
tenant nous semble bien vain.
Roussat : tierce partie :
« Saturne et Jupiter en Sagittaire (…)
Saturne en signe de feu sera en son auge ». Ici l’estang,
c’est l’étain, le métal de Jupiter comme l’argent est
celui qui représente la Lune. Le second verset ne
comporte même pas mention de Saturne. Si le texte en
prose est cohérent, nous dirons que les vers peuvent
tout au plus y renvoyer mais ne sauraient, a priori, une
base de travail, sauf en l’absence – et faute de mieux-
de la source en prose. Il nous apparait que dans le champ
nostradamique, l’élément versifié n’est jamais – du
moins durant toute une période- qu’un sous-produit de
l’élément en prose.
Or, si nous considérons ces additions en
prose – absentes, répétons-le, de la version de la
Préface à César Besson- comme des apports relativement
tardifs, il semble exclus de devoir les attribuer à
Nostradamus, tant au niveau de la prose que des vers qui
en dérivent.
Dans le cas de l’Epitre à Henri II, une
des sources des quatrains ne se trouve pas interpolée
dans l’Epitre à Henri II, il s’agit de la Guide des Chemins de France
et des Saints Voyages, par Charles Estienne. En revanche, nous
avons montré que l’Epitre à Henri II Besson
correspondait à un état avant interpolation, laquelle,
fortement marqué par la littérature apocalyptique, a
probablement été exploitée pour forger des quatrains.
Il nous semble que le matériau des
quatrains centuriques devrait être cherché sous la forme
d’un pillage de certains textes astrologiques ou
prophétiques en prose, de Nostradamus, mais pas
forcément. Il doit être assez rare qu’un quatrain ait
été composé directement sans passer par la prose, ce qui
ne correspond pas à la pratique moderne de la prophétie.
A noter que Richard Roussat, chanoine de Langres est
également auteur de quatrains, au sein de son Livre de l’Estat et Mutation du Monde.
Dans la tierce partie (p. 121) : « Toutefoys me semble
bon & m’est advis qu’il ne se trouvera de mauvais goût
ny fascheux , pour gens qui apperent scavoir , aulsi
pour sur ce certiorer messieurs les lecteurs,
présentement r’amener & inscrire aulcuns Quatrains sur
l’antiquité & fondation de ladicte cité de Langres qui
sont tels …. » Suivent 24 quatrains.
Il semble que l’Epitre à Henri II, dans
sa partie additionnelle interpolée – ait également
emprunté au même ouvrage de Roussat. C’est le fameux
passage sur la fin du XVIIIe siècle, absent de l’édition
Besson
« & commençant icelle année sera faicte
plus grande persecution à l’église chrestienne (…) &
durera celle-cy iusques en l’an mil sept cens nonante
deux que l’on cuydera este une renovation de siecle. On
est là cette fois dans la quatriesme partie du « Livre
de l’Estat & mutation du monde » (p. 162) :
« Venons à parler de la grande &
merveilleuse conjonction que Messieurs les Astrologues
disent estre à venir environ (…) mil sept cens nonante
neuf avec dix révolutions saturnales »
Le décalage entre 1789 et 1792 n’empêche
aucunement le rapprochement.
Ce qui serait à rapprocher du quatrain I,
54 si, comme le propose Yves Lenoble,
on remplace deux par dix.
Deux revolts faits du malin falcigère (Saturne)
De regne & siecles faict permutation
Rappelons notre étude sur les Significations de l’ Eclipse
de 1559, nom donné à l’épître de Nostradamus à J-M Sala
et dont nous pensons qu’elle a pu figurer en tête des
centuries favorables au parti d’Henri de Navarre avant
de laisser la place à l’Epître remaniée à Henri II. Nous
avons déjà montré en quoi ces deux Epitres étaient en
concurrence quant au statut d’épître centurique.
Signalons ce passage, marqué par une corruption : « Et
en résultera grande jacture pour l’Eclipse Chrestienne »,
lire Eglise Chrétienne.
(fac simile, in B. Chevignard, Présages de Nostradamus,
Paris, Seuil, p 449). Cela fait écho à ce passage de
l’Epitre à Henri II relative à l’an 1792, la formule
pouvant concerner éventuellement les Protestants –
l’épitre à Henri II introduisant les centuries
favorables à Henri de Navarre- mais ayant été
interprétée sous la Révolution comme visant l’Eglise
romaine.Nous avons publié en1991 ( « Une attaque
réformée oubliée contre Nostradamus (1561) »RHR, n°33)
un texte réformé de 1561 se référant à Nostradamus : « Contreprognostication
à celle de Nostradamus de Pie quatriesme’ , reprochant à
Nostradamus ses publications adressées au pape Pie IV.
Il semble que par la suite, les Protestants aient décidé
de produire un Nostradamus favorable à leur cause.
Saturne est un personnage récurrent
comme en témoigne encore ce quatrain qui ne se comprend
que dans le cade de l’une des parties de Roussat
consacré à la succession des âges planétaires, dont
chacun couvre 354 ans (transposition un jour pour un an,
de l’année lunaire de 354 jours):
II 92 Le monde proche du dernier periode
Saturne encore tard sera de retour
Tout se passe comme si l’Epitre à Henri
II, littéralement truffée d’anciennes chronologies
commençant à la période biblique, trouvait davantage
écho dans les premières centuries que dans le second
volet auquel elle est adjointe.
Mais il y a bien un quatrain du second
volet traitant de l’Antéchrist – souvent associé chez
les Protestants au Pape ou à la Papauté -comme il existe
un passage de l’Epitre à Henri II
Epître à Henri II
« en après l’Antechrist sera le prince
infernal’
Quatrain VIII, 77
L’Antechrist trois bien tost annichilez
Vingt & sept ans durera sa guerre
D’ailleurs, l’Epitre à Henri II (juin
1558) se réfère bel et bien aux quatrains :
« Comme plus à plain par aulcuns quadrins
l’on pourra veoir »
Formule à mettre en parallèle avec celle
de l’autre épître, tout aussi factice, de l’Eté 1558,
connue sous le nom de Significations de l’Eclipse
de 1559 ;
« Comme plus amplement est déclaré à
l’interprétation de la seconde Centurie de mes
Prophéties »
On trouve toutefois dans la centurie
VIII, 48-49 deux quatrains truffés de données
astronomiques- assez isolés au sein du dernier volet et
qui nous semblent inspirés d’un passage de l’Epitre à
Henri II à moins que cela ne le soit de l’Epître à J-M.Sala,
riche en données célestes
Saturne en Cancer, Iupiter avec Mars
Dedans Février Chaldondon salvaterte
et
« Satur (sic) au bœuf Iove en l’eau, Mars
en fleiche
Six de Février mortalité donra. »
Relevons aussi deux quatrains successifs
comportant quasiment le même verset, :
III, 4 Quand seront proches le défaut des
lunaires (sic)
III, 5 Pres, loing defaut de deux grands
luminaires
Le défaut des luminaires, c’est une
éclipse.
Chantal Liaroutzos a montré (RHR, 1986)
que nombre de quatrains des centuries du second volet
étaient construits à partir des ouvrages de Charles
Estienne. Il est clair que dans ce cas, cet emprunt aura
été direct et n’aura pas exigé d’interpolation au sein
d’un document intermédiaire comme dans le cas du Livre de l’Estat et Mutation des
Temps, à partir duquel les quatrains sont
composés.
La réalisation des quatrains exige une
certaine matière première en prose. Il ne s’agit en fait
que d’un exercice de versification sans grand intérêt et
auquel selon nous Michel de Nostredame s’est soustrait.
Ce n’est qu’anachroniquement, sous l’influence de
l’évolution du statut de la poésie, notamment au XIX e
siècle, que l’on imagine un auteur produisant
directement des vers. Nous sommes ici plutôt avec le
corpus de quatrains dans un processus de translation, de
traduction, assez mécanique- au mot à mot. On a quelque
mal à percevoir l’intérêt d’un tel exercice apparemment
assez insignifiant et à caractère ornemental, le
quatrain étant une sorte de « bouquet » de mots, et qui
s’apparente à un jeu de salon ou à quelque pratique
pédagogique. D’un texte on en fait un autre qui en
dérive. Jeu de devinettes consistant à retrouver une
information à partir d’une allusion, d’un indice.
Dans le champ astro-prophétique qui est
celui de notre compétence d’historien, la mis en
évidence d’une dialectique entre deux corpus, dont l’un
dériverait de l’autre constitue un enjeu épistémologique
majeur et c’est probablement un manque dans ce domaine
qui aura pesé sur l’état de la recherche universitaire,
en ce domaine, depuis un demi-siècle.
Un cas remarquable et qui ne nous éloigne
guère des almanachs est celui de la formation des
symboles zodiacaux. Ces 12 symboles, d’où sont-ils issus ?
La question n’est pas celle de signaler leurs premières
occurrences en tant que série ni les lieux où celles-ci
sont attestées mais bien de déterminer de quel corpus
ces éléments dérivent, sont extraits, point qui a été
fort peu traité jusqu’à présent. Pourtant, la réponse
est assez simple : la source du système symbolique
zodiacal est à chercher dans l’iconographie, la
représentation des mois de l’année, telle qu’elle figure
dans certains livres d’heures (comme les Très Riches Heures du Duc de Berry
(Musée Condé de Chantilly) et certains calendriers (comme
le Kalendrier des Bergères
(sic), celui des Bergers ne comportant le plus souvent
que l’image du mois de janvier). Cela dit, les cas pour
lesquels le rapprochement est frappant sont relativement
peu nombreux, en raison des interpolations subies au
cours de sa genèse, par la dite série. On a notamment le
verseau, qui est un motif parmi d’autres, une
« citation », pris d’une scène plus large campant un
groupe de personnes attablées non loin d’une cheminée –
on est en hiver. Dans cette scéne, des serviteurs, des
échansons. La mythologie gréco-latine emprunte à une
telle série iconographique, comme avec Ganymède, l’ »échanson
des dieux », ou avec la Toison d’Or. Autrement dit, les
« signes » ne feraient que désigner des scènes, se
suivant selon la logique des saisons alors que pris hors
contexte, ils n’offrent pas de continuité, de contigüité
sinon du fait de commentaires qui constituent de
véritables interpolations.
On pourrait élargir le champ de nos
réflexions au domaine linguistique : c’est ainsi que la
langue anglaise a emprunté massivement à la langue
française en termes de signifiants et qu’on ne peut
suivre son évolution qu’en tenant compte de ce fait
matriciel.
8 - La résurgence des premiers états
des épîtres néo-centuriques au milieu du XVIIe siècle
Nous d’adhérons pas au point de vue de
Patrice Guinard (in « Historique des éditions des
Prophéties de Nostradamus (1555-1615), lequel affirme
(pp. 94 et seq) dans son «épilogue » : « Les éditions
(…) du XVIIe siècle n’ont plus guère d’intérêt quant à
la connaissance du texte authentique des Prophéties (..)
Ces éditions seront de plus en plus corrompues, soit par
négligence, soit par maladresse ou volonté de rendre le
texte originel de Nostradamus plus lisible ou plus
abordable ». Il ne s’agit évidemment pas ici d’un
quelconque « texte originel » mais bien des premières
moutures de ce que nous avons appelé le néo-centurisme,
c'est-à-dire d’une imitation des « centuries » de
quatrains mensuels dont nous pensons qu’un recueil parut
au début des années 1580, lequel est signalé en cette
année par Du Verdier dans sa Bibliothèque
(Lyon, 1585). C’est d’ailleurs le point de vue de P.
Guinard pour tout ce qui paraît à partir des années
1580, étant donné qu’il refuse la possibilité d’éditions
antidatées produites alors. Etrangement, les éditions
des années 1550-1560 présentent deux anomalies : d’une
part, elles ressemblent terriblement à celles des années
1580 alors que le processus néo-centurique est
progressif et additionnel et d’autre part, elles ne sont
suivies d’aucune nouvelle édition jusque dans les années
1580, ce qui trahit le fait d’opérations ponctuelles de
duplication. A contrario, à partir de cette décennie 80,
les éditions néo-centuriques – et les commentaires qui
les accompagnent, en annexe ou en paralléle,
ne cesseront de paraitre jusqu’au début du XVIIIe
siècle.
Nos travaux ont conduit, en effet, à la
prise en compte de deux éditions des Centuries parues en
1672 et vers 1691 lesquelles comportent des versions
atypiques des épîtres centuriques. R. Benazra écrit à
propos de la Préface à César de l’édition Besson (c
1691) (RCN, pp 265 et seq) : »Lettre modifiée et
tronquée » et à propos de l’épître à Henri II, « lettre
considérablement réduite ». Nous montrerons que ces « lettres »
ne sont pas « réduites » ou « tronquées » mais qu’elles
correspondent à des états plus anciens que celles
figurant dans le « canon » centurique. C’est un thème
récurrent chez les bibliographes comme Chomarat et
Benazra et qui s’applique également au contenu des
centuries que de laisser entendre qu’il « manque » des
quatrains voir des centuries, comme si le corpus
centurique, ayant atteint un stade final vers 1568 avait
par la suite connu une dégradation progressive de son
état – durant plus de vingt ans - jusqu’à ce que
celui-ci soit restauré, dans les années 1590.
La mise en évidence (cf infra) d’états
antérieurs à ceux correspondant à de prétendues
premières éditions est susceptible de conduire à
l’existence d’éditions plus anciennes mais non
conservées, du moins dans leur état originel. Nous
verrons notamment que les documents Besson (c 1690) et
Garencières (en anglais, 1672) correspondent à des
versions successives, toutes deux antérieures, ne
serait-ce que de quelques années voire de quelques mois
aux versions actuellement considérées comme « princeps ».
Le présent travail sur le contenu même des épîtres vient
compléter celui que nous avons déjà accompli sur
l’enchainement des éditions, au regard des phénomènes
d’anti et de postdatation.
Nous aborderons enfin deux textes « programmatiques »
en prose, figurant dans la plupart des éditions du XVIIE
siècle, à savoir la Vie
de Nostradamus et l’Epître à Henri IV datée de 1605.
I Le premier état de la « Préface à
César au Mémoire des singularitez &
absconses evenemens
par calcul & astronomiques
revolutions »
Quand on demande quelle est la première
édition des Centuries, on entend généralement qu’il
s’agit de celle parue chez Macé Bonhomme, à Lyon, en
1555. Si l’on s’en tient au titre, cela se pourrait mais
le contenu, l’organisation interne ne correspondent pas
au premier état centurique connue sous nom de La Prophétie de Nostradamus,
comme cela est attesté dans les Grandes et Merveilleuses Prédictions
de Nostradamus,
Rouen, 1588.
De quels éléments disposons-nous pour
aborder la question des épîtres/préface de Nostradamus à
son fils (né en 1553) ? et à son souverain (mort en
1559) ? A la différence des Centuries, dont on peut
suivre la formation à travers les multiples éditions,
les textes en prose que sont les épîtres semblent s’être
figées dès leurs premières occurrences. Il y aurait fort
peu de variantes, comme cela ressort de l’édition
critique (Macé Bonhomme 1555) de Pierre Brind’amour (Droz,
1996). Au moins, pour l’Epitre à Henri II, dispose-t-on
désormais du texte de l’épître de 1556, en tête des Présages Merveilleux
pour 1557. (cf nos Documents,
pp. 195 et seq), ouvrage ayant appartenu à Daniel Ruzo,
désormais conservé à la Maison de Nostradamus (Salon de
Provence) mais ce texte a été tellement augmenté que
l’on ne peut guère le relier au nouveau texte, si ce
n’est dans un certain cadre, celui de la rencontre de
Nostradamus avec Henri II..Toutefois, nous avons a
priori un avantage par rapport aux quatrains à savoir
que nous sommes censés comprendre ce qui nous est exposé
et donc percevoir plus certainement les anomalies, ce
qui relève plus de la gageure pour ce qui est des
Centuries. La question qui se posera à nous, par delà
l’existence ou non de documents, est celle du sens ou de
l’absence de sens des textes.
En ce qui concerne la préface à César,
peut-on se fier à la succession des éditions et
considérer que les éditions les plus anciennes, au
regard de la date indiquée, correspondent à l’état le
plus primitif de la dite Préface ? On se heurte
immédiatement à l’obstacle des éditions antidatées, qui
rompent ipso facto
toute chaîne chronologique. A cette difficulté vient
s’en ajouter une autre, celle de la résurgence tardive
d’éditions anciennes, en plein milieu du XVIIe siècle,
ce qui relativise d’autant les repères chronologiques
les plus communs. Une telle recherche ne sera pas sans
incidence en effet sur notre représentation de la
succession des éditions et sur la prise de conscience de
certains « trous » dans la bibliographie, notamment en
ce qui concerne les toutes premières éditions.
On sait, en effet, que parfois des états
très anciens d’un document n’émergent qu’avec un certain
retard et parfois par le biais de traductions ou
d’attaques ou au sein de recueils qui sont conservées
alors que l’original ne l’est pas nécessairement sous sa
forme initiale. Le cas de la première traduction
anglaise des Centuries- qui ne date que de 1672- est
typique de l’incidence possible de tels décalages sur la
recherche/. Il se trouve que l’on ignore où a pu
paraitre un original français de la dite traduction.
Mais l’on sait en revanche que le commentaire adjoint
aux quatrains est emprunté à Giffré de Réchac (cf notre
post doctorat, EPHE Ve section), auteur (sous l’anonymat)
d’un Eclaircissement
(1656). Paradoxe de la chronologie, nous avons découvert
le texte français dans une édition centurique datant au
plus tôt de 1691, due à Antoine Besson, libraire
lyonnais(cf Chomarat, Bibliographie Nostradamus,
n° 303, p. 166), de par les événements dont elle se fait
l’écho dans la partie consacrée aux commentaires, le
XVIIe siècle semblant mieux apprécier les commentaires
des Centuries que le XVIe, notamment sous la Ligue
Certes, l’on peut toujours soupçonner qu’il y ait eu
réécriture de l’original par quelque lecteur un peu trop
zélé pratiquant l’hyper-correction ou tout simplement
corrigeant, de son propre chef le texte d’une manière
qui semblerait aller de soi. Mais commençons par
comparer les textes et demandons-nous, le cas échéant,
pourquoi le texte n’a pas été amendé, tout au long de
carrière- de façon à devenir un peu plus compréhensible,
ce qui pourrait quand même nous aider à comprendre les
intentions sinon de l’auteur du moins de ceux qui le
mettent en avant. C’est notamment, on va le voir, la
question du ou de la « mémoire »..
Il est fort peu probable que la première
édition, non encore divisée en 4 centuries- le mot « centurie’
ne serait donc pas approprié pour la circonstance- mais
répartie en quatrains non numérotés, comme la décrit
Ruzo sans se douter qu’il décrit ainsi la première
édition laquelle il situe en 1555 ne comportait
vraisemblablement pas 353 quatrains. On note d’ailleurs
que la Préface à César ne se réfère pas, in fine,
à des centuries mais à « chacune des Prophéties &
quatrains icy mis », ce qui la rend compatible avec une
première édition non encore divisée en centuries/ Mais
plus haut, il est bien question de « cent quatrains
astronomiques » ; (Bonhomme comporte en sus « de
prophéties », ce qui fait écho au titre du « Mémoire »
On comprend mieux pourquoi le mot
Centurie n’est pas utilisée dans le premier volet, du
moins au titre alors qu’il l’est à celui du second volet.
I Les prophéties de M. Michel
Nostradamus Dont il y en a trois cens qui n’ont encores
iamais esté imprimées
Par 300 « prophéties », on raisonne en
termes de quatrains, pas de centuries.
II Les prophéties de M. Michel
Nostradamus. Centuries VIII. IX.X. qui n’ont encores
iamais est imprimées.
Cette fois, le terme Centurie est employé
au titre.
Le cas de l’édition Pierre Valentin,
Rouen, sans date, est révélateur de la coexistence de
ces deux présentations :
Les Centuries et merveilleuses
prédictions de M. Michel Nostradamus. Contenant sept
centuries dont il y en a trois cens qui n’ont encores
iamais esté imprimées.
Titre interpolé, l’on voit bien que la
formue « contenant sept centuries » a été surajouté
maladroitement puisqu’elle est suivie de « dont il y en
a 300 » ; ce qui concerne un nombre de quatrains et
évidemment pas de centuries (de 100 quatrains)
On notera que l’édition de Rouen 1588-
non découpée en centuries malgré son titre extérieur -
ne comporte pas certains quatrains et n’arrive pas à 353
(cf. Benazra, RCN, pp.122 et seq) puisqu’elle ne dépasse
pas 349 quatrains, tout en se terminant par le même
quatrain que Macé Bonhomme 1555. Un des quatrains
manquants est IV, 46
qui est fortement marqué par les enjeux dynastiques de
la période ligueuse, « Garde toi, Tours, de ta prochaine
ruine ». On ne saurait qualifier ces quatrains de
manquants. Nous préférons dire qu’ils n’avaient pas
encore été intégrés voire pas encore composés. Patrice
Guinard se référé à notre analyse dans son « Historique »
(2008) : « Les quatre quatrains manquants on été écartés
pour des raisons de mise en page car ils sont reproduits
dans l’édition de 1589. Ce fait prouve que l’on
n’attachait pas une si grande importance à ces vers, ni
en particulier au quatrain IV, 46 ou en tour cas qu’on
était loin de les interpréter à la lumière du contexte
politique de la fin des années 1580, contrairement aux
affirmations de certains spéculateurs (sic) puisqu’un
éditeur rouennais , en principe favorable à la ligue
n’hésite pas à les supprimer de son édition (..) La
suppresssion de quatre quatrains afin de respecter la
mise en page est une nouvelle preuve en faveur de
l’authenticité de l’édition Bonhomme de 1555 qui
comprenait 353 quatrains » (p.84). Selon nous, ces
quatrains n’ont nullement été écartés car ils
n’existaient pas encore en tout cas pas dans le cadre
centurique. Ils sont apparus pour marquer davantage
l’hostilité du parti ligueur réagissant au fait qu’en
1589 Henri III fait de Tours la capitale du royaume,
Paris étant aux mains des ligeurs. Elle gardera ce
statut jusqu’au couronnement de Chartres. Le 30 avril
1589, au château du Plessis, eut lieu la réconciliation
entre Henri III et le Bourbon réformé. Nous dirons donc
que le fait que IV 46 figure dans l’édition Macé
Bonhomme 1555 montre que cette édition est marquée par
les événements de 1589, ce qui la disqualifié en tant
que pouvant réellement dater de 1555. Le nombre de 353
quatrains ne correspond pas à la donne de départ..
En revanche, en ce qui concerne le
contenu en nombre de quatrains, nous savons que cette
édition est plus tardive que celle de Rouen, Raphaël du
Petitval, 1588 dont le contenu n’est, comme le note Ruzo
l’ancien propriétaire de la dite édition ‘(cf. Testament de Nostradamus,
op. cit. p, 282) pas divisé en centuries mais se
présente d’un seul tenant. On est donc légitimé à
rechercher une édition ayant le titre Macé Bonhomme 1555
et le contenu Rouen Du Petit Val 1588. La préface à
César figurant en tête de cette édition « princeps » que
l’on risque fort de ne jamais retrouver telle quelle,
pourrait, selon nos recherches, différer des versions
ultérieures (‘cf. infra).
D’aucuns n’en seront pas moins tentés de
préférer la thèse d’une correction tardive- une sorte de
contrefaçon en quelque sorte, ce qui éviterait d’avoir à
supposer un état antérieur imprimé à celui de la Préface
en tête de Macé Bonhomme 1555, qui reste, dans la tête
de la plupart des nostradamologues la toute première
édition non seulement conservée mais ayant jamais existé.
Comment départager entre les deux positions ? Pour ces
chercheurs, la traduction anglaise de 1672 aurait été
réalisée à partir d’une fausse édition de la Préface à
César, quand bien même les retouches auraient-elles été
justifiées. Il convient de noter que le problème se pose
également en ce qui concerne l’identification des
sources de certains quatrains : on ne peut préjuger de
ce que l’état initial d’un quatrain soit absolument
conforme à celui de sa source. On peut toujours soutenir
que dès la première impression, la source avait été
retouchée ou en tout cas corrompue. Nous avons le cas de
IX 86, qui nous a permis, au regard de la source, à
savoir un paragraphe de la Guide des Chemins de France,
de montrer que le nom de la petite ville de Chastres,
dans la banlieue parisienne, que l’on traverse quand on
part pour la province, avait été changé en celui de
Chartres, ville du couronnement d’Henri IV, en 1594
Passons à présent à l’analyse des
différences entre la version Besson (parue au plus tôt
en 1691) qui correspond à l’original français de la
traduction anglaise de 1672. à moins qu’il ne s’agisse-
qui sait ?- d’une traduction française du texte anglais.
Mais nous verrons qu’en fait l’édition Besson est plus
complète et plus fiable que l’anglaise de Théophile de
Garencières.
C’est ainsi que la dite édition Besson
(Bib Méjanes (Aix en Provence) et Lyon La Part Dieu) ne
nous fournit pas moins que le titre du document censé
être introduit par la Préface, à savoir le Mémoire des singularitez & absconses
événements. Dans les autres éditions, le titre est
tronqué : il n’est plus que « Mémoire ». Il faut avouer
que le titre est quelque peu noyé dans des
circonvolutions et que la ponctuation est faible :
« un mémoire après la corporelle
extinction de ton progéniteur au commun profit des
humains, des singularitez & absconses évenemens, dont la
divine Essence m’a donné connoissance, par calcul &
astronomiques revolutions. »
Pierre Brind’amour (Les
premières centuries ou Prophéties (édition Macé Bonhomme
de 1555),
Genève Droz, 1996, p. 2) traduit ainsi le passage à
partir de la version classique ; « laisser le souvenir
après ma mort au commun profit des hommes de ce que la
divinité, grâce aux Astronomiques révolutions a porté à
ma connaissance ». Il n’a pas compris que le mot « mémoire »
renvoyait à un document. En anglais, on distingue entre memory, memorial et
memoir.
Besson : « Ton tard avenement en ce monde
terrien, César Nostradamus mon fils, m’a fait mettre mon
long loisir à continuelles vigilations nocturnes pour
référer par écrit & à toy laisser un mémoire après la corporelle extinction de ton
progéniteur au commun profit des humains des singularitez & absconses évenemens,
dont la divine Essence m’a donné connoissance, par
calcul & astronomiques revolutions.
Macé Bonhomme :
« Ton tard advenement ; César Nostradamus,
mon filz m’a fait mettre mon long temps par continuelles
vigilations nocturnes référer par escrit toy délaisser
mémoire après la corporelle extinction de ton
progéniteur , au commun profit des humains de ce que la
Divine Essence par astronomiques revolutions m’ont donné
cognoissance. - « que tardivement »
-
« mémoire des singularités & abscons
evenemens dont la divine Essence m’a donné
connoissance, par calcul & astronomiques revolutions
-
-« mémoire de ce que la divine essence
par astronomiques révolutions m’a donne cognoissance.
« Memorial of me after my death to the
common benefit of Mankind, concerning the things which
the Divine Essence hath revealed to me by Astronomical
revolutions »
Poursuivons notre lecture :
Macé Bonhomme
Et depuis qu’il a pleu à Dieu immortel
que tu ne sois venu en nouvelle lumière dans cette
terreine plaige, je ne veux dire tes ans qui ne sont
encore accompagnez mais tes
mois martiaulx incapables à recevoir dans ton
débile entendement ce que je seray contraint , apres mes
jours desiner, veu qu’il n’est possible te laisser par
escrit ce que seroit par l’injure du temps oblitere car
la parole héréditaire de l’occulte prédiction sera dans
mon estomac intercluse.
Antoine Besson
Et puisqu’il a plû à Dieu immortel que tu
ne sois venu en naturelle lumière dans cette terrienne
plaige que tardivement
et que tes ans jouvenceaux
incapables à recevoir dans ton débile entendement ce que
je seray contraint avant ma mortelle extinction
designer obstrusément, vu qu’il n’est loisible te
laisser par trop clair
escrit ce qui seroit par envie des temps oblitéré aux oreilles de plusieurs
car la parole hereditaire à toy délaissée de l’occulte prédiction demeurera
intercluse dans mon intellect »
Nous retiendrons que chez Besson- et chez
lui seul (outre la version anglaise qui confirme « late
into this World ») on trouve « ne sois venu (….) que
tardivement » qui fait d’ailleurs écho à la première
phrase « Ton tard avénement ». Cela vient heureusement
compléter la phrase : ce n’est pas de la naissance du
fils en soi qu’il s’agit mais bien plus spécifiquement
de son caractère tardif. Et c’est ce retard qui
complique tout aux yeux de Nostradamus. Là encore, on a
une phrase entrecoupée de circonlocutions.
Autre élément manquant qui redonne du
sens à la phrase : « te laisser par trop clair escrit »
(Besson) qui en ne comportant pas « par trop clair »
devient carrément un contresens. Il ne s’agit pas de ne
pas laisser par écrit puisque le but est de transmettre
un mémoire mais bien de préciser dans quelles
conditions, sous quelles formes, cela se fera.
:On notera en outre toujours filant le
même thème du trop jeune âge du fils par rapport à celui
du père :
Besson : « Et puisque (…) tes ans
jouvenceaux (sont) incapables à recevoir dans ton débile
entendement ce que je seray contraint (après ma mort
.de) désigner obstrusément (lire abstrusément) »
Pseudo Macé Bonhomme : , Depuis (puisque)
que ( ….) je ne veux dire tes ans qui ne sont encore
accompagnez mais tes
mois martiaulx incapables à recevoir dans ton
débile entendement ce que je seray contraint (à ma mort)
desiner ».
Le mot obstrusément (pour abstrusément)
manque chez Besson. Or, le rôle de l’adverbe est ici,
une fois de plus, déterminant pour faire sens.
Notons que l’adjectif « obstrus/abstrus »
figure dans le titre des Singularitez (cf supra)
Reproduisons le paralléle établi par P.
Guinard, concernant ce passage : à gauche, la Préface, à
droite les allusions de Couillard : Est-on certain que
Martial chez Couillard renvoie aux « moys Martiaulx » de
la dite Préface ? Le fils supposé Martial de Couillard
face au fils de Nostradamus, César…Il y a là comme une
transposition assez libre, où les mots changent de
fonction. Nous avons envisagé que ce texte des Prophéties du Seigneur du Pavillon
aurait été fait de toutes pièces pour
accréditer l’idée d’une Epitre à César.
[2] Et depuis qu'il a pleu au Dieu
immortel que tu ne soys venu en naturelle lumiere
dans ceste terrene plaige, & ne veulx dire tes ans
qui ne sont encores accompaignés, mais tes moys Martiaulx
incapables à recepvoir dans ton debile entendement
ce que je seray contrainct apres mes jours definer : |
"Non seulement pour servir à Martial
mon filz, l'aage duquel ne te veux celer, comme
nostre maistre Nostradamus grand philosophe et
prophete, veult en son epistre tant espoventable
taire les ans de Cesar son filz." (III, f.D4v |
Allons voir le texte anglais à ce
propos :
« And canst not say
that thy years that are but few but thy Months (which)
are incapable to receive into thy weak understanding”
what I am forced to define of futurity”
La traduction anglaise ne mentionne pas
l’adjectif « martiaulx :
L’anglais ne donne pas « je ne veux dire
tes ans « mais « tu (toi César qui ) ne peux dire que
tes ans etc sont incapables »
Reconnaissons que le texte de Besson est
ici plus simple
Revenons quelques instants sur le cas des
Prophéties d’Antoine Couillard, seigneur du Pavillon.
Si l’on admet qu’il avait sous les yeux une certaine
version de la Préface à César, laquelle était-ce, de
quand date-t-elle ?
Rappelons une fois de plus la version « canonique »
de la Préface à César :
«&ne veux dire tes ans qui ne sont encore
accompagnés mais tes mois Martiaulx incapables etc » La
présentation en est strictement identique à celle que
l’on trouve chez Couillard.(cf supra). Or, la version
anglaise ne comporte pas « martiaulx » mais simplement
« mois »/. Chez Besson, il n’est même pas questions de
mois
Que conclure sur ce point ? Que Couillard
–ou plutôt le faussaire qui se sert de son nom- avait en
main une version « classique » de la Préface, donc
relativement tardive. De nombreuses études ont été
consacrées, notamment par Robert Benazra (voir sur
Espace Nostradamus, site Internet) Pierre Brind’amour (
Ed. Droz, 1996)et Patrice Guinard (« Corpus Nostradamus »
n°49), à la comparaison de la Préface et de la
« satire » du pseudo Sgr Du Pavillon alias Couillard.
Ayant défini au moins trois états de la Préface, il
ressort que les Prophéties
de Couillard s’apparentent au dernier état, celui
comportant une interpolation issue de Roussat et la
mention de Martial,
absente de la version anglaise de 1672..
On aurait donc trois états de l’adresse à
César que nous présentons selon l’ordre de progression
et non pas selon celui des datations complaisamment
fournies par les libraires.
-celle restituée par Antoine Besson, la
plus ancienne (dans un texte non interpolé par des
apports de Savonarole et de Roussat) Vers 1584-1585, en
tête de la Prophétie de Nostradamus. On ne connait pas
le contenu de la Préface à César placée en tête de
l’édition à 4 centuries (Rouen, 1588)
- celle rendue par l’anglais 1672, proche
de Besson mais avec les interpolations signalées, vers
1586-1587.
-celle du canon centurique, attestée,
tant à Paris qu’à Rouen en 1588-1589 (productions
ligueuses), à partir de laquelle ont été fabriquées les
éditions antidatées (1555, 1557, 1568), correspond à
Couillard qui cite notamment « Martial » terme absent de
la version anglaise et donc probablement rajouté par la
suite.
Sur les dates , Besson et le pseudo-Macé
Bonhomme diffèrent : 1767 chez l’un 3797 chez l’autre.
Mais dans le texte anglais, c’est bien 3797 qui figure,
ce qui indiquerait une coquille du texte Besson. Ce
passage est important car il est associé aux « perpétuelles
vaticinations ».
Besson
« J’ay composé Livres de Prophéties (…)
contenant chacun Cent quatrains astronomiques qui
enveloppent perpétuelles vaticinations pour d’icy es
années 1767 »
Pseudo-Bonhomme
« J’ ay composé livres de propheties
contenant chascun cent quatrains astronomiques de
propheties (…) & sont perpétuelles vaticinations pour
d’icy à l’an 3797 »
Dans le texte Bonhomme, la formule «
prophéties (redoublée) est séparée par quelques mots de
« perpétuelles vaticinations ». Chez Besson, il est
clair que les « quatrains astronomiques » s’articulent
sur des « prophéties perpétuelles », ce qui ne
correspond guère, à quelques exceptions près, au profil
des 4 premières centuries. Cela ouvre le champ à
l’hypothèse de « prophéties » associées systématiquement
à des années, selon un systéme que l’on retrouve chez
Moult, au XVIIIe siècle, ouvrage qui en 1866 sera joint
aux Centuries (Ed. Chevillot) et au Recueil des Prophéties anciennes et
modernes,
dans l’édition parisienne Delerue.
Mais l’observation la plus remarquable
quand on compare ces deux moutures est ailleurs, elle
tient à une interpolation, d’autant que la fin des deux
épîtres est identique.
En quoi consiste ce long développement
ajouté ou supprimé ? A quel endroit s’inscrit-il ?
Nostradamus est en train de s’adresser directement à son
fils en se référant à son thème natal. »au propre ciel
de ta nativité » et ensuite, chez Besson, Nostradamus
poursuit à propos d’un « mortel glaive », ce qui
correspond à une représentation de comète. Puis en
conclusion, il est question des prophéties qui
s’accompliront « ainsi que j’ay rédigé par escrit aux
miennes Prophéties (..) prends donc, mon fils César, ce
don de ton progéniteur Michel Nostradamus ». Chez
Bonhomme, on trouve « aux miennes autres Prophéties .
C’est une allusion à un autre « train » de prophéties
qui n’était peut être pas envisagé initialement.
Mais abordons donc toute la partie
figurant en sus dans la mouture « classique ». De quoi
s’agit-il ?.
Brind’amour note (p.27), dans son édition
critique : « Les paragraphes 37, 38 et 39 (selon
sa division de la Préface)
s’inspirent largement mais confusément d’une discussion
de Savonarole sur les futurs contingents » Or, cela
correspond exactement au début du décrochage entre
Besson et Bonhomme.
A partir des paragraphes ( toujours selon
la division Brind’amour) 42, 43-44-45-46, on emprunte à
Richard Roussat, à son Livre de Etat et Mutation des Temps,
Lyon, Guillaume Cavellat, 1550 (
Gutenberg reprint, 1981, intr. J. P. Brach) :
« Bien que Mars achève
son cycle et se trouve à la fin de sa dernière période,
l'on peut douter qu'il en engage un autre, car (bien
avant son retour) les uns auront péri dans des
explosions durant plusieurs années, et d'autres dans des
inondations pendant plus longtemps encore ».
. Cet exposé repris de Roussat, très
technique, fondé sur une astrologie décalée par rapport
à la réalité astronomique, détone, d’ailleurs, par
rapport aux considérations générales du reste de la
Préface, commun entre Bonhomme et Besson. Ajoutons que
l’on trouve un écho à ces développements dans certains
quatrains des premières centuries mais que nombreux sont
les quatrains astronomiques qui ne renvoient pas à cette
astrologie que l’on voit exposée chez Trithème. Chaque
planéte a un cycle de 354 ans (calqué sur l’année
lunaire de 353 jours) et ensuite, lui succéde une autre
planéte. Dans ce systéme, jamais une planéte n’en
rencontre une autre, elles se succédent mais ne se
conjoignent pas tel un jour de la semaine succédant à un
autre. Or, nombre de quatrains appartiennent plutôt à
une astrologie combinatoire ( comme I, 17 : Faux à
l’estang etc)
La concordance entre les deux textes
reprend au paragraphe 51. L’interpolation s’étend ainsi
du Paragraphe 37 au paragraphe 50. Sur 55 paragraphes de
la Préface, un quart correspondrait à une interpolation
à base de Savonarole et de Roussat.
Robert Benazra
a relevé un passage des Prophéties
de Couillard qui recoupe le texte de Roussat :
Préface à César : "Car
selon les signes celestes le regne de Saturne sera de
retour, que le tout calculé, le monde s'approche, d'une
anaragonique revolution" (fol. B3v)
- Prophéties
du Sgr du Pavillon : "puisque noz nouveaux prophetes
nous menassent que le monde s'aproche d'une
anaragonicque revolution,
& qu'il perira si tost" (fol. D4v). Ce pluriel semble ne
pas pouvoir viser le seul Nostradamus.
Cela nous conduit donc à faire de
Couillard le commentateur d’un texte déjà tardif,
interpolé et donc ne pouvant avoir été réalisé à partir
de la première édition des Centuries. En revanche, il
reste à déterminer s’il est plus proche de la version
anglaise ou de la version canonique, ce qui est
difficile à mettre en évidence, vu qu’il s’agit d’un
texte qui ne restitue pas strictement le document dont
il s’inspire. Or, Couillard fait allusion à « Martial »,
certes de façon quelque peu décalée, comme le montre ci
–après R. Benazra, ce qui ne figure pas dans la version
anglaise :
Lettre à César : "& ne
veulx dire tes ans qui ne sont encores accompaignés,
mais tes moys Martiaulx incapables à recevoir dans ton
debile entendement" (fol.A2v)
- Prophéties
de Couillard : "Non seulement pour servir à Martial
mon filz, l'aage duquel ne te veux celer, comme nostre
maistre Nostradamus grand philosophe & prophete, veult
en son epistre tant espoventable taire les ans de César
son filz" (fol. D4v)
Si Couillard s’inspire de
la Préface, nous montrerons que les rédacteurs des
quatrains des premières centuries s’en inspirent
également, y compris de la partie interpolée. Mais, nous
penchons plutôt pour une source commune aux deux
documents, notamment la Déclaration
de Videl.
Revenons sur les emprunts
à Richard Roussat, en distinguant la partie II et la
partie III de son
Livre de l’Estat et Mutation du Monde,
Lyon, 1552
I Seconde partie
Nous avons remarqué tout
particulièrement trois quatrains au sein des trois
premières centuries: I, 48 mais surtout III, 92 et 1,
16:
I 48 « Vingt ans du regne de la lune
passés
Sept Mil ans autres tiendra sa monarchie
Quand le soleil prendra ses jours lassés
Lors accomplir & mine ma prophétie »
Dans ce systéme qui n’a rien
d’astronomique ou qui correspond à une astronomie
fictive, on nous signale qu’au régne de la Lune suivra
celui du Soleil.
III 92 les deux premiers versets
« Le monde proche du dernier période
Saturne encore tard sera de retour »
I 16, le troisiéme verset
Peste, famine, mort de main militaire
Le siecle approche de renovation.
"Car selon les signes celestes le regne
de Saturne sera de retour, que le tout calculé, le monde
s'approche, d'une anaragonique revolution" (Préface,
fol. B3v)
« par pestilence, longue famine & guerres »
(Préface)
Donnons d’autres exemples d’emprunts de
versets, dans les premières centuries, au texte en prose
de la Préface à César
« Et maintenant que sommes conduits par
la Lune (…) que avant qu’elle ayt parachevé son total
circuit, le Soleil viendra «
I 48 « Vingt ans du regne de la lune
passés /…/ Quand le soleil prendra ses jours lassés
II Tierce Partie
La plupart de mes
prophéties seront accomplies (Préface): I, 48 Lors accomplir & mine ma
prophétie
- Comme nous l’avions montré, dans notre
post-doctorat, les quatrains des almanachs reprennent
des pans des textes en prose des Prédictions. Nous avons
ici, pour les Centuries un cas semblable où le quatrain
reprend quasiment toute une phrase en deux versets de la
partie interpolée, empruntée à Roussat. Il faut noter le
nombre de mots communs,- sans tenir compte des synonymes-
sans trop se soucier du sens :
Monde
Prophétie
accomplir
Proche/approche Saturne
Retour
Peste
Famine
Lune
Soleil
On nous objectera peut etre que nous ne
considérons pas systématiquement un quatrain dans son
intégralité. De fait, il nous est apparu qu’au sein d’un
même quatrain des éléments très divers pouvaient
cohabiter, qu’il ne convenait de chercher à tout prix à
considérer un quatrain comme une entité d’un seul
tenant.
Une des sources oubliées des Centuries,
serait ainsi à rechercher dans les épîtres en prose les
introduisant, elles mêmes fruit d’emprunts et
d’interpolations.
Mais en est-il ainsi pour les épîtres
associées au second volet. ?
II Plagiats et interpolations dans le
corpus nostradamique. Le cas de l’Epitre à Henri II
Deux thèses sont en présence concernant
la question des emprunts voire des plagiats dans le
corpus nostradamique. La plus en vogue, actuellement,
tend à considérer que Nostradamus a récupéré et
retranscrit des documents mais qu’il les a situés dans
un nouveau contexte, ce qui le dédouanerait et en tout
cas éviterait la seconde thèse selon laquelle ces
emprunts, dans certains textes, seraient la preuve que
les dits textes auraient été complétés par la suite par
d’autres acteurs. C’est cette seconde thèse qui est
actuellement renforcée à la suite de nos travaux
concernant les différentes versions de la Préface à
César. Jusque là, à quelques variantes près, toutes les
éditions reprenaient à 99% les mêmes données. Or, ce
n’était plus le cas dès lors que l’on introduisait des
versions « atypiques » - et certes tardives – comme la
traduction anglaise de 1672 et l’édition, une vingtaine
d’années plus tard, réalisée par le libraire lyonnais
Antoine Besson, dont les bibliographes comme Chomarat ou
Benazra ne signalèrent pas, voici 20 ans, les
particularités concernant les épîtres centuriques.
Un autre cas, assez célébre, de plagiat
nostradamique – quelles qu’en puissent être les
justifications, lors du passage du signifiant au
signifié- a été fourni en 1986 par Chantal Liaroutzos,
laquelle d’ailleurs n’hésite pas à tenter de justifier
un tel emprunt par le traitement qui en est fait et qui
est forcément créatif. Il s’agit de tous ces quatrains
du second volet recyclant des séries de noms de lieux,
repris des publications de Charles Estienne, et nous
avons d’ailleurs élargi son travail à d’autres textes du
même Estienne en montrant que cela incluait aussi des
lieux hors du royaume
(Voyages). Nous avons, à ce propos, dans nos textes,
employé le terme de « remplissage » et étions fort
réticents à attribuer à Michel de Nostredame de telles
pratiques bien peu compatibles, paradoxalement, nous
semblait-il, avec une certaine image de « prophéte » que
d’aucuns tenaient, par ailleurs, à lui accoler. Bien
plus, ces mêmes quatrains issus d’un pillage
d’itinéraires, avaient eux-mêmes été retouchés, des
versets remplacés, des noms de lieux corrompus ou
délibérément modifiés.(IX, 86) mais cela ne changeait
rien au processus initial de l’emprunt, quelles qu’aient
pu en être la finalité ou l’évolution subséquente. Il se
trouve que nous avons consacré un certain temps, dans un
tout autre domaine, au rôle d’un célébre plagiat, celui
du Dialogue
de Maurice Joly qui servit comme substance à la
composition des Protocoles des Sages de Sion
mais l’on pourrait aussi aborder la génése de la
prophétie des papes de Saint Malachie..
Faire un faux, c’est souvent recourir au plagiat, ne
serait-ce que pour gagner du temps, les faussaires
n’ayant pas les mêmes valeurs et les mêmes priorités que
les auteurs authentiques. Autrement dit, chaque fois que
l’on découvrait une « source » d’un texte attribué ou
associé à Nostradamus, se poserait la question de la
contrefaçon, non pas seulement du fait du plagiat en
tant que tel mais de l’usage qui en était fait pour
réaliser la dite contrefaçon. Or, jusque là, on tendait
à découpler les deux aspects : plagiat oui, mais pas
pour autant faux, dès lors que ce plagiat était le fait
de Nostradamus lui-même. On peut d’ailleurs également
parler d’un plagiat à l’encontre de Nostradamus quand on
peut observer que certains quatrains des almanachs ou
des centuries sont issus de textes en prose du dit
Nostradamus. Plagiat éventuellement accepté par l’auteur
lui-même, peut-on raisonnablement supposer, dans le cas
des quatrains des almanachs, dont nous avons montré
qu’il s’agissait de compilation assez fantaisiste de « présages
prosaïques ». Signalons le travail de Pierre Brin
d’amour, de Roger Prévost ou de Peter Lemesurier
repérant les sources de certains quatrains – ou de
l’avertissement latin (placé entre les centuries VI et
VII). On peut en effet être surpris de noter que des
chroniques historiques sensiblement antérieures au temps
de Nostradamus puissent avoir servi pour la composition
de quatrains centuriques. Qu’est-ce qu’une prophétie qui
se nourrit d’événements passés ? Pour justifier une
telle pratique, Lemesurier introduit le principe de « Janus »
fondé sur l’idée d’une certaine cyclicité évenementielle,
à caractère astrologique. On parlerait du passé pour
explorer le futur.
Un cas intéressant, faisant pendant à
notre travail sur les préfaces à César est celui des
épîtres à Henri II. Nous prendrons d’une par le cas du
texte figurant en tête des Présages Merveilleux
pour 1557 et de l’autre le même corpus que pour César :
Garencières et Beson, confrontés aux versions canoniques
de la dite Epitre au Roi, étant entendu que ce n’est pas
parce qu’il y a eu interpolation dans un texte que le
texte débarrassé des éléments rajoutés devient, ipso facto,
authentique, si au départ c’est déjà un faux, ce qui est
évidemment le cas pour la génése de la dite Epitres. Il
peut y avoir, en effet, plusieurs couches d’additions,
en une sorte de mille feuilles.
Dans le cas de l’épître à Henri II, la
vente de la collection Ruzo – et l’acquisition des Présages par la Maison de Nostradamus (Salon de
Provence) – a mis ce texte à la disposition des
chercheurs – mais dès 2002 nous avions publié un reprint
de la dite Epitre de 1556,
grâce à la veuve de Ruzo. Mais cela n’a guère influencé,
à notre connaissance, le discours des nostradamologues
sur la question de l’authenticité de l’Epitre de 1558
comme s’il était normal qu’à deux ans d’intervalle,
Nostradamus eut pu produire deux épîtres au Roi, dont la
seconde en partie calquée sur la première quant aux
circonstances de l’entrevue, et sans se référer à la
précédente. Mais désormais, nous penchons pour la thèse
de l’inexistence d’épîtres au Roi par Nostradamus tout
comme de l’improbabilité d’une quelconque épître à César,
dans les années 1550..
I le passage de 1556/7 à 1558
La comparaison entre les deux épîtres est
déjà quantitative. Le texte de 1556/7 est bien plus bref.
Mais le scénario d’une récente rencontre avec le
souverain est maintenu si ce n’est que dans la lettre de
1556, Nostradamus évoque un certain retard qu’il a pris,
du fait que ses Présages pour l’année précédente,
c'est-à-dire pour 1556, ne sont point parus. Or, au vu
du Recueil des présages prosaïques,
il y eut bel et bien des publications
et d’ailleurs, il sera souvent fait référence à une
édition centurique datée de 1556 (Ed. Amsterdam, 1668)
et La Croix Du Maine, dans sa Bibliothèque (1584)
renvoie à des publications de 1556, à Paris, chez Sixte
Denyse- En revanche, et c’est ce qui a du inspirer un
tel argument, il n’y a pas de quatrains-présages pour
1556 dans la collection qui figure dans les recueils
centuriques, c'est-à-dire en fait pas d’almanach, ce qui
a du induire en erreur le faussaire. Etant donné que
l’épître de 1556 pour 1557 est datée de janvier 1556
(style de Pâques) en fait janvier 1557 ), l’on est
conduit à penser que la rencontre avec le roi eut lieu,
comme cela est généralement admis par les biographes, en
1555, ce qui aurait conduit, s’il n’y avait pas eu de
report, une épître datée de janvier 1555 (c'est-à-dire
1556). Entre les deux épîtres, il n’y a donc que 18 mois
d’écart : janvier 1557-juin 1558. Il est possible que
l’on se soit dit : puisque déjà Nostradamus avait un an
de retard, pourquoi pas deux ? Mais Nostradamus, dans
l’épître centurique à Henri II n’évoque aucunement en
juin 1558 un quelconque retard d’environ 3 ans entre la
date de l’entrevue et celle de l’Epître. Si en 1557,
Nostradamus s’excuse de son retard, qu’est-ce que cela
aurait du être en juin 1558 ? Selon nous, à un certain
stade, il y eut une confusion dans les dates mais il
semble exclu qu’initialement l’épître au Roi ait pu être
datée de 1558. Dès lors, dans le second volet qui serait
paru à la suite du premier, chez Antoine du Rosne
(Utrecht), il est possible que la date de l’édition
contrefaite ait été janvier1556, c'est-à-dire début
1557, d’autant que le second volet n’est coutumièrement,
jamais daté.
Par ailleurs, on voit très bien que
l’épître placée en tête des Présages a été interpolée
pour y annoncer, à la place, les Centuries. »ces trois
centuries du restant de mes Prophéties » La comparaison
avec l’épître 1558 fait ressortir un ajout considérable
largement inspiré de la littérature apocalyptique,
notamment les anagrammes de Gog et Magog (Dog et Dogam).
Mais on notera aussi la mention, dans l’épître 1558, des
années 1585 à 1606, cette année 1585, faisant suite à
1584, année de la mort du duc d’Alençon, dernier fils de
Catherine de Médicis, ouvrant la succession en direction
des Bourbons. Dans les additions, nous trouvons la
célébre annonce de l’année 1792. Ajoutons un intérêt
particulier pour l’an 1606, dont on nous fournit en vrac
les positions planétaires, sans précision de date à
moins que celle-ci n’ait été supprimée par la suite , ce
qui tend à nous situer sur le début du XVIIe siècle et
la production troyenne.
II l’apport rétrospectif de l’édition
Besson (c 1691)
En réalité entre ces deux épîtres, il y
en a une autre qui vient s’intercaler, c’est celle de
l’édition Besson qui est datée de 1558 mais qui, selon
nous, aura correspondu à son premier état. La dite
édition ne comporte pas encore, en effet, les
développements bibliques dont il vient d’être question.
Elle nous offre un cas de figure très proche de celui
que nous avions pu observer pour la Préface à César, ce
qui fait ressortir l’interpolation propre à la version
« canonique » de l’Epitre. Entendons par interpolation
non pas seulement un ajout mais une insertion d’un texte
au milieu d’un autre, ce qui préserve une apparence de
similarité au début et à la fin du texte et peut ainsi
ne pas être remarqué.
Le texte Besson s’inscrit parfaitement
entre les deux autres, en ce qu’il comporte des éléments
nouveaux par rapport à l’épître de 1556/1557 et qu’il ne
comporte pas les longs développements empruntés aux « Saintes
Ecritures » de l’épître de 1558. On notera une formule
qui avait déjà été signalée au début de la Préface
Besson à César : « pour les évenements et singularitez
obstruses (sic)», dont nous avions dit qu’il qualifiait
le « Mémoire » que Nostradamus léguait – dont il faisait
« don »- à son fils si ce n’est que le mot « obstrus »
est remplacé par « abscons ». On notera que ce n’est
pas, ici, le texte qui est « abscons » ou « abstrus »-
« obstrus, dans le texte, est une coquille - mais bien
ce qui se passe dans le monde. Ces deux adjectifs,
considérés comme des synonymes interchangeables,
signifiant ce qui est obscur, compliqué. L’étymologie
d’abscons, pourrait signifier ce qui est caché (espagnol : escondido)
Nous trouvons une formule quasi identique
dans la version Besson – très bréve comparée aux autres
versions- de l’épître à Henri II «prophétiques
supputations astronomiques correspondant aux ans, mois,
semaines & jours comme aussi aux diverses régions ,
contrées et villes, tant de notre Europe que des autres
parties du monde pour les événements & singularités obstruses (lire
abstruses)
qui écloront dans leur temps fixé»
Cette formule est absente de l’épître
canonique à Henri II alors même, comme on vient de le
noter, elle apparait dans les premiers intitulés du
premier volet.
Mettons en évidence l’interpolation
scripturaire en restituant le document avant que la dite
interpolation ait pu s’effectuer. Il nous suffira pour
ce faire de signaler à quel endroit, à quel moment de
l’Epitre Besson, l’on aura inséré ces développements
comme on l’a fait pour la Préface à César :
Fin de la Partie initiale commune à
l’édition Besson et à l’édition « canonique » :
« Besson :
« Et non comme jadis on soulait de faire
pour les Roys de Perse qu’il n’était aucunement permis
d’aller à eux, ni moins s’en approcher sans mains garnies de riches offrandes. Ains comme à un très bénévole & tres sage
Prince, j’ay consacré le chetif présent de mes nocturnes
& prophétiques supputations nocturnes (…)correspondant
aux ans, aux mois, semaines & jours , comme aussi aux
diverses régions , contrées & villes , tant de notre
Europe que des autres parties de ce bas monde terien(sic)
pour les événements & singularitez obstruses (sic, lire
abstruses) qui écloront dans leur tems fixé, au
détriment ou profit de plusieurs mortels qui en seront
moult lezez ou gaillardement gratifiez. Le tout composé
d’une naturelle miennne propension & grand désir qui m’a
porté à ne me pas voir totalement debiteur insolvable
envers vostre Royale magnanimité pour tant de
tesmoignages qu’en ay reçu »
Canonique
« non comme les Rois de Perse qu’il
n’était nullement permis d’aller à eux, n’y (sic) moins
s’en approcher [ sans mains garnies de riches offrandes
] Mais à un tres prudent , à un tressage Prince j’ay
consacré[le chétif présent de ] mes nocturnes et
prophétiques supputations ( composées plustost d’un
naturel instinct, accompagné d’une fureur poétique que
par régle de poésie & la plupart composé & accordé à la
calculation astronomoque) correspondant aux ans, aux
mois, semaines des régions, contrées & de la plupart des
villes & citez de toute l’ Europe comprenant
On notera que la langue de l’édition
Besson comporte des archaismes appartenant à l’ancien
français, qui ne figurent pas dans l’édition canonique,
tel ce « ains » (Besson) rendu par ‘mais » (canonique).
C’est là un signe de l’ancienneté de la mouture. Besson.
On a là, par ailleurs, un exemple de phrase tronquée :
la question n’était pas que l’on ne pouvait s’approcher
de ces Rois mais qu’il ne fallait pas s’adresser à eux
les mains vides puisque tout tourne ici autour du
présent, du cadeau, de l’offrande que l’on peut/doit
offrir aux rois..
On trouve « ains » dans deux quatrains de
la première centurie (I, 10, I, 25)
I 10 Ains mourir voir de fruict mort &
crys
I 25 Ains que la Lune achéve son grand
siecle
Il semble bien dès lors que la langue des
épîtres a pu être modernisée, d’où ce remplacement de
‘ains » par « mais ».
Partie conclusive :
Besson
Mais tant seulement je vous requiers ô
mon roy tres magnanime d’avoir de plus benins regards
pour mon cœur & bon courage en l’acceptation de cette
mienne chetive offrande que pour son peu de valeur &
ferez en cela une bénigne gratification »
.Version canonique :
« Mais tant seulement je vous requiers,
ô Roy tres clément par icelle vostre singulière &
prudente humanité, d’entendre plutôt le désir de mon
courage et le souverain estude (lire ; désir) que j’ay
d’obéir à vostre Sérenissime Majesté, depuis que mes
yeux furent si proches de vostre splendeur solaire, que
la grandeur de mon labeur n’atteint ne requiert
Contenu de l’interpolation dans l’Epître
au Roi 1558
Début ; « Et pour ce, ô tres humanissime
Roy, la plupart des quatrains prophétiques sont
tellement scabreux que l’on n’y saurait donner voye ny
moins aucuns interpréter , toutefois espérant de laisser
par escrit les ans, villes, citez , régions ou la
plupart adviendra, mesmes de l’année 1585 etc
Fin de l’interpolation : longue citation
latine.il n’y a pas de latin dans les épîtres Besson.
Il nous faut corriger ce dernier texte
par la traduction anglaise de 1672. Car celle-ci ne
correspond pas avec le texte de Besson de l’Epitre à
Henri II mais n’en représente pas moins un état de la
dite épître moins corrompu que celui de la version
canonique. Il faut lire « le souverain désir » et non le
souverain « estude » : the desire of my Heart and the
earnest desire I have » . Ainsi toutes les éditions
centuriques du second volet comportent-elles estude. Nul
doute que la forme « souverain désir « soit celle
d’origine, du moins sous sa forme interpolée. De même la
version anglaise Garencières de la Préface à César
correspond-elle à un état plus ancien de la mouture
interpolée. Il ressort que le texte centurique n’a que
fort peu de potentialités pour relever et corriger ses
dysfonctionnements, il en est quitte pour compter sur
l’exégése pour se payer une nouvelle cohérence.
10
- L’étude
négligée des épîtres centuriques en prose
Il nous apparait que l’on se doit d’être
très exigeant par rapport à la compréhension des textes
en prose alors même que les quatrains ne sauraient être
considérés que comme un assemblage assez imprévisible.
Etrangement, on a parfois l’impression que certains
commentateurs cherchent plus à donner sens aux quatrains
qu’aux épîtres.
. Nous avons montré pour la partie
introductive de la Préface, la version Besson ne
souffrait pas de cette construction étrange que note P.
Guinard.
Ci-dessous sa « traduction » et son commentaire :
« Ton
arrivée tardive, César Nostradame mon fils, m'a laissé
beaucoup de temps, passé en veillées nocturnes, pour
transmettre par l'écriture ce que l'essence divine m'a
permis de connaître au moyen des révolutions
astronomiques, afin de t'en laisser la trace après ma
mort et pour le commun profit des hommes. »
Et Guinard d’ajouter pour expliquer qu’il ne s’en tient
pas à la lettre du texte :
« Cette entrée en matière, alambiquée pour l'œil moderne,
est caractéristique du style du provençal ; l'ordre des
compléments est parfois aléatoire, et la multitude des
compléments et des éléments de la phrase atteint parfois
une complexité inextricable : autrement dit, c'est le
style d'un énoncé latin, transposé au français
On note que ce faisant Guinard passe à
côté du titre du Mémoire et mêle du mot « Mémoire »
lui-même, que nous avons pu restituer grâce notamment à
la présentation plus cohérente de Besson. :Mémoire
des singularitez & absconses evenemens
par calcul & astronomiques
revolutions La fin de la Préface, faisant suite à
l’interpolation, recoupe un tel titre ;
« Viens asture mon fils que je trouve par
mes revolutions (…) Il y aura mille evenements qui
surviendront »
On retrouve cette expression dans le
titre d’un ouvrage de Pierre Belon
(1517
-1564),
paru à Paris en 1553, chez G. Corrozet : Les observations de plusieurs
singularitez et choses mémorables trouvées en
Grèce, Asie, Judée, Égypte, Arabie et autres pays
estranges, rédigées en trois livres, réédité et augmenté à Anvers en 1555,
chez Jean Steelsius.
On est loin de l’interprétation qui voudrait que mémoire
ne signifie que souvenir, comme chez P.Brind’amour (Droz,
1996), ne renvoyant donc pas à un document spécifique.
Ce qui n’est pas sans évoquer les sous
titres de certaines éditions centuriques, et ce dès le
titre de l’édition de Rouen à 4 centuries (1588) : Grandes et Merveilleuses Prédictions
(…)esquelles se voit représenté une partie de ce qui se
passe dans le monde tant en France, Espaigne, Angleterre
que autres parties du monde ».
Mais nous trouvons une formule quasi
identique dans la version Besson – très bréve comparée
aux autres versions- de l’épître à Henri II «prophétiques
supputations astronomiques correspondant aux ans, mois,
semaines & jours comme aussi aux diverses régions ,
contrées et villes, tant de notre Europe que des autres
parties du monde pour les événements & singularités obstruses (lire
abstruses)
qui écloront dans leur temps fixé». On trouve plus loin
dans la Préface « déclarant pour le commun advenement
par obstruses (sic) & perplexes sentences les causes
futures, mesmes(surtout) les plus urgentes) «
Pour en revenir aux soupçons que l’on ne
se privera pas d’exprimer vis-à-vis de la version
française de la traduction anglaise voire vis-à-vis de
la version anglaise elle-même – corpus largement ignoré
des nostradamologues francophones et a contrario devenu classique dans les pays de langue
anglaise- et il y a là apparemment un manque de
concertation entre les uns et les autres-il nous semble
tout à fait hors de question que l’on ait supprimé des
passage de la Préface à César et que ces suppressions,
survenues dans le courant du xVIIe siècle, aient
précisément affecté des passages relevant d’une certaine
forme de plagiat. On est bien là devant un cas
exemplaire d’interpolation qui n’est pas sans évoquer
celui des Significations de l’Eclipse
de 1559, dont l’emprunt à l’Eclipsium
de Leovitius reléve lui aussi d’un
certain collage, d’un texte interpolé, un tel phénoméne
caractérisant les épîtres centuriques (à César comme à
Henri II). Notons que tous ces emprunts sont bien connus
mais qu’ils n’ont pas conduit, pour autant, à la thèse
de l’interpolation, comme s’ils avaient fait partie du
texte dès sa conception. Pour renforcer et étayer
celle-ci- dossier qui vient s’ajouter à la question des
éditions antidatées et postdatées ainsi notamment que du
décalage entre titre et contenu- ce qui n’est pas sans
faire songer aux mœurs du coucou- il fallait la
possibilité de comparer un texte avec et un texte sans
ces additions., c’’est précisément ce que nous fournit
la comparaison des versions de la Préface à César.
Précisons que la traduction anglaise correspond à un
état plus tardif du texte français que la version Besson,
puisqu’elle comporte des interpolations absentes dans la
dite version et ce, pour les deux épîtres centuriques..
Nous ajouterons qu’il est deux maux dont
auront souffert, entre autres, les études
nostradamologiques : une certaine incurie à l’endroit
des textes en prose, dispensant de rétablir un sens
obvie et une certaine désinvolture au regard de
l’argument post eventum comme permettant de rétablir une
chronologie des versions et des variantes. Nous pronons,
d’une part l’’idée selon laquelle quand un texte
semblait tronqué, il importe de rechercher des éditions
ou des documents dans lesquels le texte était plus
cohérent et de l’autre, le refus d’ignorer l’adéquation
par trop évidente entre un texte et un événement, ce qui
est le fondement de tout processus de re-datation par
rapport à l’antidatation comme par rapport à la post-datation.
III La vie de Nostradamus
Nous avons insisté sur la mission de
récupération systématique –incluant la production de
documents d’époque par-dessus le marché- et notamment
signalé la dette des éditions du XVIIe siècle à l’égard
du Janus Gallicus
(1594). Cela vaut aussi pour un document qui est intégré
parmi les textes en prose de ce corpus nostradamique
extensif qui va marquer le siècle, à savoir le Brief Discours sur la vie de M. Michel
de Nostredame ; iadis conseiller et médecin ordinaire
des rois treschrestiens Henry II (lire second) du nom,
François II (lire second), et Charles IX (lire neuviéme)
qui va reparaitre peu après, au sein des éditions
centuriques sous le titre suivant
« La vie de Maistre Michel Nostradamus, Médecin
ordinaire du Roy Henry II. Roi de France »,
lequel est tronqué puisqu’il ne signale qu’Henri II et
non deux de ses fils .
Apparemment absente de toute la première
moitié du siècle, elle reparait en 1649, dans une
édition rouennaise, due à un collectif de libraire sous
le titre de Vrayes Centuries
(cf RCN, p. 206). A partir de là , elle figurera dans
nombre d’éditions de la seconde moitié du siècle,
notamment en Hollande mais aussi dans l’édition Antoine
Besson (c. 1691)
Ce qui est remarquable, c’est que cette
notice nécrologique ne soit pas parue au lendemain de la
mort de Nostradamus. Rappelons que les prétendues
éditions Benoist Rigaud ne signalent même pas son tout
récent décés. On peut d’ailleurs se demander si lors des
vraies premières éditions, dans les années 1580, une
telle notice ne serait pas parue, pour resituer un
personnage déjà un peu ancien et peu ou prou oublié,
encore que ses imitateurs aient pris le relais souvent
en son nom. De même, il faudra attendre la seconce
moitié du siècle pour que des éditions centuriques
paraissent accompagnées d’une liste de prévisions
réussies, alors que cela aurait du être le cas dès
l’origine. Comment expliquer ce « mystère » ? Avant
1594, aucun commentaire ne parut, même pas d’ailleurs de
pseudo-édition de commentaires qui aurait été antidaté.
Il faudra encore attendre la période de la Fronde,
jusqu’à l’entreprise avortée du dominicain Giffré de
Réchac (Eclaircissement,
1656) et surtout la décennie 1660, à Amsterdam, pour que
le processsus exégétique se mettre véritablement en
place.
Initialement, à partir donc des années 1580, le systéme
fonctionnait autrement, par un apport de nouveaux
quatrains/sixains et par des retouches des documents,
d’une édition à l’autre. On dira, que l’on est passé de
la phase du signifiant à celle du signifié. Quand le
signifiant, c'est-à-dire, le texte n’a plus pu être
chartraugmenté, on bacsula vers le recours à la glose.
Il y eut certes une première tentative au début des
années 1590 avec Jean-Aimé de Chavigny –avec une
réédition parisienne en 1596- mais cela fit long feu et
il fallut attendre une nouvelle période de troubles, à
partir de 1649, pour que le commentaire devienne la voie
royale du nostradamisme.
Il est clair que la Vita, insérée dans le
Janus Gallicus puis dans le
Janus François- nous verrons que les deux éditions datées
de 1594 qui nous sont parvenues différent -
est le prototype des biographies de
Nostradamus qui suivront jusqu’à nos jours. Nostradamus
« se mit à escrire ses Centuries & autres présages
commençant ainsi (D’esprit divin etc ) lesquelles il
garda long temps sans les vouloir publier (…) A la fin (il)
les mit en lumière » et sur ces entrefaites Henri II « l’envoya
quèrir pour venir en Cour l’an de grâce 1556 »
Il pourrait y avoir eu une interpolation
avec « & autres présages » vu que la phrase est assez
bancale avec l’usage du féminin pluriel (lesquelles)
faisant suite à un masculin pluriel (Présages) : «
Centuries & autres présages lesquelles il garda « à
moins que cela ne soit – ce qui nous semble plus
probable, l’inverse : il « se mit à escrire ses présages
commençant ainsi « D’esprit divin etc », premier
quatrain de la série des Présages, mais aussi du Janus Gallicus,
le terme renvoyant ici à des quatrains. Selon nous, il
est possible que le rédacteur des « quatrains » des
almanachs ait pu être Jean de Chevigny.. Si Henri II
invita Nostradamus à la Cour, c’est du fait de ses
présages et non de ses centuries, et pour cause et ce ne
fut pas en 1556 mais en 1555, ce point étant largement
admis par les biographes. Mais comme c’est 1556 qui
figure dans le « Brief Discours », l’on peut se demander
si ce n’est pas cette erreur qui aura conduit à (re)dater
l’Epitre au Roi, écrite au retour de la Cour, pour juin
1558, ce qui décidément était bien tardif, mais moins
pour 1556 que pour 1555..
Le
Recueil des Présages Prosaïques ne comporte pas le texte intégral des Présages Merveilleux
mais uniquement des éléments ayant été retrouvés dans
une attaque (cf B. Chevignard, Présages,
pp. 281 et seq) : « D’un autre présage sur la mesme
année qui ne se trouve point, dédié à la Magesté du Roy
Tres Chrestien. Passages sugillez et calomniez par un
des haineux de l’auteur pour ne les avoir entendus et
retirez d’un sien livre imprimé à Paris 1558 ». Il
s’agit du Monstre d’Abus,
Paris, Barbe Regnault, 1558 qui vient servir de « garant »
à l’Epitre au Roi qu’il mentionne.. On peut d’ailleurs
penser que si ce texte avait figuré dans le
Recueil,
il différerait quelque peu de l’imprimé, la version
imprimée du dit Recueil étant amplifiée, ce qui ressort de la
comparaison avec la production conservée, comme nous
l’avons montré en ce qui concerne l’almanach pour la
même année 1557.
L’auteur de cette « vie » mentionne César
« auquel il a dédié ses Centuries premières » et fait
référence aux « Commentaires de son dit Père » :
« duquel (César) nous devons esperer de
grandes choses si vray est ce que j’en ay trouvé en
plusieurs lieux des Commentaires de son dit père,
notamment sur l’an 1559 & mois de iuillet où je renvoye
le lecteur ». Or, comment le lecteur auquel on s’adresse
ainsi pourrait-il aller consulter deux quatrains de l’an
1559 ? Certes le Janus Gallicus
comporte-t-il ça et là, en ordre dispersé, quelques
quatrains des almanachs mais cela nous semble bien
plutôt introduire le Recueil des Présages Prosaïques,
lequel présente les quatrains d’almanachs dans l’ordre
chronologique, que le Janus Gallicus. Notons que le
Janus François-
il y a une édition avec un titre latin et une autre avec
un titre français- porte comme sous titre « extraite et
coligée des centuries et autres commentaires de M.
Michel Nostradamus. ²Mais le titre de l’édition latine
ne parle que des tetrastichis, c'est-à-dire des quatrains.
En ce qui concerne les informations sur
le corpus centurique, nous lisons que Nostradamus ‘ » a
escrit XII centuries de prédictions comprises
briefvement par quatrains, que du mot Grec il a intitulé
Prophéties, dont trois se trouvent imparfaites, la VII,
XI & XII. Ces deux dernières ont long temps tenu prison
& tiennent encore pour la malice du temps, en fin nous
leur ouvrirons la porte ». Il y a là une erreur, les
trois centuries en question sont la VII, la XI et la
XII.
Chavigny se référe explicitement au Recueil de Présages Prosaïques
Rappelons que le nom de Chavigny figure sur la page de
titre d’un manuscrit de cet ouvrage (Bibl. Lyon La Part
Dieu) rassemblant la production en prose mais aussi les
quatrains des almanachs, sans aucune mention des
centuries, également absentes de son volume de
correspondance: « Nous avons de luy d’autres présages en
prose, faits puis (depuis) l’an 1550 iusques à 67 qui
colligez par moiy la plupart & rédigez en XII livres
sont dignes d’estre recommandés à la postérité »
Chavigny distingue à la fin du « Brief
Discours » deux types de textes de Nostradamus d’une
part les quatrains des Centuries, de l’autre les »
présages en prose » (parus entre 1550 et 1567) :
lesquels « comprennent nostre histoire d’environ 100 ans
& tous nos troubles, guerres & menées dez un bout
jusques à l’autre », alors que les « centuries » « s’estendent
en beaucoup de longs siècles ». Mais il semble
qu’initialement, Chavigny n’ait pas eu l’intention de
regrouper et de combiner au sein d’un seul volume, les
deux types de travaux puisqu’il écrit au sujet des
Centuries : « dont nous avons parlé plus amplement en
un autre discours sur la vie de ce mesme Autheur
qui bien tost verra la lumière où nous remettons le
Lecteur, ensemble au dialogue Latin qui cy après sera
rapporté ». Quel est ce dialogue latin auquel il est
fait allusion ? Il s’agit de l’auteur débattant avec
Jean Dorat , comme il est indiqué explicitement dans la
version latine de la Vita.». «in ea quoque dialogo, quem ad
Ioan. Auratum aliquot ante annos destinavimus & huic
opusculo attexuimus » Et de fait, l’on trouve dans l’édition au
titre français Janus François, le texte de Dorat,
mais-ce qui est exceptionnel, seulement en latin. :
Ad Io Auratum poetam et interpretem (….) Epistola.
C’est un dialogue entre
Auratus (Dorat) et Collector (Chavigny,
il se présente au titre sous ce nom). Rappelons que
selon Dorat avait servi pour produire un faux daté de
1570, consacré à la naissance d’un Androgyn, et dont la
Préface était due à Jean de Chevigny, traducteur vers le
français du latin du poéte de la Pléiade.
Rappelons l’existence d’un livret
intitulé L’ Androgyn
né à Paris le XXI. Iuillet MDLXX illustré des vers
latins de Iean Dorat,Poété du Roy Treschrestien,
contenans l’interprétation de ce monstre. Avec la
traduction d’iceux en nosre vulgaire François, dédiéeà
Monseigneur le Président l’Archer,
Lyon, Michel Jove. L’Epitre à Michel Larcher, signée I.
de Chevigny, est du 19 août 1570. On a là un autre
exemple de texte bilingue comportant un Carmen Ioan. Aurati poetae Regii De
monstro Androgyno Lutetiae nato annon Domini 1570.21.
Iulii.
Elle est suivie d’une traduction du latin de Jean Dorat.
Cette épître est remarquable par un passage qu’elle
comporte-et que nous avons été le premier à signaler :
« Pour ce donc que luy mesme (Dorat)
confesse qu’il a profité et allégué les carmes d’un
Prophéte qui fut Monsieur de Nostradame (auquel en son
vivant ay esté fort familier et amy & duquel j’ay
encores rière moy tous les œuvres tant en oraison prose
que tournée, que bientost je mettray en lumière) je vous
en ay bien voulu donner ce contentement. C’est la
quatrain quarante cinquiiéme de sa seconde Centurie
prophétique, ou il (Nostradamus) dit ainsi
Trop le ciel pleure, Androgyn procrée
Près de ce ciel sang humain respandu
Par mors trop tarde grand peuple recrée
Tard & tost vient le secours attendu
Il s’agit d’une pièce essentielle du
dossier en ce qu’elle semblerait au moins valider la
préexistence d’une édition déjà totalement structurée en
centuries et quatrains en cette année 1570. Or, il
semble bien que la première édition des prophéties de
quatrains n’était pas encore « divisée » en centuries,
comme en témoigne l’édition Rouen 1588 Raphaël du Petit
Val, décrite par Daniel Ruzo (Testament,
op. cit., p 282) Selon nous, Chavigny se sera contenté –
signant Jean de Chevigny- de récupérer dans les œuvres
latines complétes de Dorat, parues en 1586, le dit texte
latin. De monstro Androgyno Lutetiae nato
anno Domini 1570.21. Iulii.
L’intitulé lui-même a un caractère rétrospectif. Ce qui
repose la question des recoupements entre Jean de
Chevigny et Jean Aimé de Chavigny et l’on peut se
demander, en effet, non pas si tant si les deux personnages ne faisaient qu’un mais
bien plutôt si Chavigny n’a pas produit sous le nom de
Chevigny,.
D’ailleurs, dans le
Recueil de Présages Prosaïques
(cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus,
op cit. p. 283), Chavigny se compte parmi ceux qui
écrivirent à son sujet, sans toutefois préciser à quelle
date il l’aurait fait. En tout cas, l’acquaintance entre
Chavigny/Chevigny et Dorat est doublement attestée. Le
paralléle pourrait d’ailleurs être aussi validé pour le
cas Benoist Rigaud, quant à ce lien entre les années
1560-1570 et les années 1590. Dans le cas Rigaud, il ne
s’agit pas d’une imposture quant à la personne puisque
le dit Rigaud exerçait déjà en 1566-1568 mais d’une
imposture quant à son activité centurique..
Mais pourquoi la version française de la Vita
du Janus Gallicus
ne mentionne-t-elle plus nommément Dorat tout en
annonçant un Dialogue ? Cela nous conduit à penser que
la version latine aura précédé la version française et
qu’ayant décidé de ne pas fournir en français, pour
quelque raison, le texte de l’épître à Dorat, on n’aura
pas pour autant supprimé la référence à un dialogue.
Robert Benazra, RCN, pp. 130 et seq)
place, à tort, l’édition au titre français avant celle
au titre latin. Il est vrai que la présentation de ces
deux éditions peut déconcerter : on pourrait croire, au
premier abord, que les deux volumes ne différent que par
leur page de titre, puisque les textes qui s’y trouvent
yont, dans un cas comme dans l’autre, rendus tant en
français qu’en latin. Mais à y regarder de plus près,
comme on vient de le voir pour la fin de la Vita,
Dorat est mentionné dans la version latine de cette
biographie et supprimé dans la version française qui lui
fait pendant, ce qui n’empêche pas d’ailleurs que le dit
dialogue est bel et bien maintenu, mais seulement en
latin (pp. 31-34 ,titre français). On est là placé
devant un volume à plusieurs niveaux de lecture
Nous sommes là dans une problématique
complexe qui est celle des recueils de pièces.
Dans le cas du Janus Gallicus,
il nous semble que la Vita
a du paraitre avec le dialogue avec Dorat ; peu avant
d’être intégrée dans le dit recueil. Elle le fut d’abord
dans le volume au titre latin « Janus
Gallicus »
puis reprise dans le volume au titre françois « Janus
François ».
Le dialogue avec Dorat ne fait d’ailleurs pas suite à sa
mention dans la
Vita laquelle se termine en p. 12 alors que le
dialogue débute en p. 31. On a l’impression que de ce
dialogue a du faire probléme mais que l’on ne l’a pas
totalement supprimé, non sans quelque peu tenter de
brouiller les pistes. Rappelons le cas de la Prognostication de l’advénement à la
couronne de France de tres illuste (…)Prince Henry de
Bourbon (..) le tout tiré des Centuries & autres
commentaires de M. Michel de Nostradamus (..) par Jean
Aimes de Chavigny,
Paris, Pierre Sevestre (Bibl. Mazaine, Paris) que l’on
retrouve au sein du Janus Gallicus
sous le titre de De l’avenement à la Couronne de France,
tant en français qu’en latin.
Relevons une erreur dans la récupération
du « Brief Discours » sera repris au XVIIe siècle dans
les recueils centuriques. Les centuries incomplétes sont
la VII, la XI et la XII et non comme on lira dans les
diverses éditions, la VII, la IX et la XI. Cette
coquille ne sera jamais corrigée, ce qui indique une
transmission non critique, même de la part de certains
libraires relativement attentifs comme un Pierre du Ruau,
au début du XVIIe siècle alors même que ce point ne fait
guè_re débat.
Par ailleurs, Antoine Besson ne
conservera pas les dernières lignes de la
Vi de Nostradamus,
dont il vient d’être question en rapport avec un
dialogue qui devrait faire suivre. La dite
Vie se termine alors ainsi : « Il avoit un
autre frère nommé jean Nostradamus qui estoit Procureur
au Parlement d’Aix, il composa l’Histoire de Provence &
la Vie des Poétes du même Païs. »
En 1789, parait La Vie et le Testament de Michel
Nostradamus,
Paris, Gattey (BNF). Dans l’Avertisssement, note R.
Benazra (RCN, p. 330), il est indiqué que le texte est
tiré d’ »un manuscrit fait par Edme Chavigny, connu par
différents bons ouvrages sous le nom de Janus Gallicus.(p.2),
ce qui a pu faire croire, selon le dit Benazra « à
certains auteurs pressés que l’ouvrage a esté composé
par Jean-Aimé de Chavigny ». En fait, l’ouvrage emprunte
à une biographie du début du XVIIIe siècle
laquelle,elle-même, recourt partiellement au « Brief
Discours de la Vie » ou à la « Vie de Nostradamus »
issue du dit JanusGallicus.
IV L’Epître à Henri IV
Ce que nous retiendrons de ce document,
c’est qu’il correspond à une tentative de constituer un
troisiéme volet, introduisant une nouvelle série de « prophéties
ou pronostications » -notons la synonymie des termes
reprise dans l’édition anglaise de 1672 cette fois sous
la forme de 58 sixains : ce «livret non moins digne et
admirable que les autres deux Livres qu’il fit dont le
dernier finit en l’an 1597, traictant de ce qui arrivera
en ce siècle ». On apprend, dans cette épître datée de
1605, que le second volet est censé ne couvrir les
événements que jusqu’à la fin du siècle.
Etrangement, la pièce se référé à un
Nostradamus ayant exercé auprès du seul Charles IX :
Prédictions admirables pour les ans
courans de ce siecle. Recueiillies des Mémoires de feu
M. Michel Nostradamus, (de son) vivant Médecin du Roy
Charles IX et l’un des plus excellens astronomes qui
furent jamais
L’usage du mot « Mémoires » nous
intéresse au regard de ce que nous avons noté pour la
Préface à César.
L’imitation du ton de l’Epître à Henri II
est assez flagrante : « j’ay pris la hardiesse (moy
indigne) de vous les présenter transcrit en ce petit
livret
Cette épître est dans le droit fil d’un
scénario selon lequel un flux continu de prophéties de
Nostradamus va se déverser, ce qui exclut, ipso facto,
que tout soit paru dès l’origine, c'est-à-dire du vivant
de Nostradamus.
Cette position est d’ailleurs celle du Brief Discours de la Vie de
Nostradamus :
Brief Discours
« Ces dernières (centuries XI et 12) ont
long temps tenu prison & tiennent encore pour la malice
du temps, enfin nous leur ouvrirons la porte »
Epitre de 1605 à Henri le Grand.
« Ayant (il y a quelques années)
recouvert certaines Prophéties ou Pronostications des
mains d’un nommé Henry Nostradamus (…) qu’il me donna
avant de mourir & par moy tenues en secret jusques à
présent »
On a là l’exposé d’un scénario qui a du
se répéter à plusieurs reprises. C’est ainsi que nous
pensons vraisemblable que cela s’applique à César de
Nostredame qui aurait ainsi transmis le texte d’une
épître datée de 1555 à lui destinée. Mais est-ce que
cette épître exista réellement ou s’agit-il d’une
fiction ? Est-ce que César joua réellement un rôle dans
une certaine entreprise de mystification ? Ce qui est
sûr, c’est que Chavigny cite son nom favorablement dans
le « Brief Discours de la Vie de Nostradamus ».
Rappelons que dès 1568, il était déjà
question de documents retrouvés mais cela visait alors
des textes en prose, comme en témoigne cette édition
rouennaise:
« Prédictions
pour 20 ans (…) extraictes de divers auteurs trouvée en
la Bibliothèque de nostre défunct dernier décédé (…)
Maistre Michel de nostre Dame (…) par Mi. De Nostradamus
le Jeune,
Rouen, Pierre Brenouzet (BNF),
Un détail cependant à ne pas négliger :
il est question non pas d’un ouvrage dû à Nostradamus
mais d’une compilation de textes trouvés dans sa
bibliothèque, à sa mort. Ce glissement est remarquable
et il apparait, nous semble-t-il, dans les diverses
versions du commentaire de Jean-Aimé de Chavigny, avec
le passage de l’éditeur, du Collector, du collectionneur
– ce qui est aussi le cas pour une bibliothèque qui est
une collection, vers le statut d’auteur :
Jani Gallici facies prior (…) breviter
complectens (…) redditus atque explicatus per Io. Amatum
Chavigneum
La Première face du Janus François (…)
extraicte et colligée des Centuries et autres
commentaires de M. Michel de Nostredame (…) par Jean
Aimes de Chavigny,
Lyon Heritiers de Pierre Roussin
Chavigny, dans la version au titre
français n’est plus celui qui explique mais seulement
celui qui extrait et collige.
En 1596, dans la nouvellle édition,
parisienne, exclusivement en français, cette fois, le
titre est le suivant, la présentation varie encore : :
« Commentaires
du Sr de Chavigny beaunois sur les Centuries et
Prognostications de feu M. Michel de Nostradamus,
Paris , Gilles Robinot/ autre édition Antoine du
Breuil.(cf RCN, pp. 142-143). Chavigny retrouve un
statut de commentateur/ Rappelons que le terme associé à
Nostradamus concerne simplement l’interprétation des
données astronomiques/
Rappelons que nous avons retrouvé une
édition des sixains, non pas parue sous le nom de
Nostradamus mais sous celui de Noel Léon Morgard (Bibl.
Mazarine) et qui sera donc par la suite incluse au sein
des éditions à trois volets, précédée de la dite Epitre
de 1605 à Henri IV.
On soulignera l’existence des doubles
dénominations, à partir de la version au titre français
du Janus François ;.
-
Centuries et autres commentaires
1596 Centuries et pronostications
Puis
Sans date Les centuries et merveilleuses
prédictions
Rouen, P. Valentin
Faisant suite aux Grandes et merveilleuses prédictions.
Ce cas n’est probablement pas significatif.
1650 Les vrayes centuries et prophéties,
Leyde,
1667 Les vrayes centuries et prophéties,
Amsterdam
1672 The true propheties
or Prognostications,
Londres.
La formule s’imposera dès lors, du moins
jusqu’au début du XVIIIe siècle. On la trouve ainsi
encore chez le lyonnais Antoine Besson (c 1691) puis en
1710, dans une édition rouennaise, chez Jean B. Besongne
(cf RCN, pp 290 et seq)
Parfois, les deux mots sont reliés par la
conjonction « est », parfois par un « ou/or », ce qui
crée une impression de synonymie, de redondance.
Mais, selon nous, l’origine de ce « doublon »
est liée à l’existence, au départ, d’un double corpus
comme cela est assez manifeste chez Jean Aimé de
Chavigny : Il s’agit bien évidemment d’une part de la
production des almanachs et pronostications, dont la
matrice est le Recueil des Présages Prosaïques,
de l’autre des Centuries. Chez Chavigny, les deux
ensembles vont finir par fusionner tant et si bien que
son commentaire de 1594 les traite indifféremment, comme
un seul et même matériau. Les éditions qui englobent les
deux corpus sont justement celles qui comportent un
double intitulé. En revanche, les éditions sans date ou
du XVIIe siècle, ne prenant pas en compte les « Présages »,
portent un intitulé unique, Prophéties. En fait, on
assiste à l’éviction progressive du premier ensemble
comme si la mauvaise monnaie chassait la bonne. Giffré
de Réchac, dans son Eclaircissement (1656),
exprime nettement sa préférence pour les dix centuries
et semble sérieusement douter de l’authenticité des dits
Présages.
Notamment au cours de la précédente décennie, sur
cura.free.fr, ramkat.free.fr, sur grande-conjonction.org
et sur
editionsgrandeconjonction.blogspot.com. En passant par
google, on trouvera aisément les articles concernés par
tel ou tel point.et que nous n’avons pas jugé bon de
recenser. On en trouvera cependant une liste assez
compléte jusqu’en 2007 dans la biibliographie de notre
postdoctorat, en ligne sur propheties.it., pp. 954-958
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