logo1

P r o p h e t i e s   O n   L i n e   

logo2

The largest library about Nostradamus for free !

logo3

 
 
 
Researches 01-10
 
1 - Esquisse d’une phénoménologie de l’emprunt
 
2 - La coexistence de centuries d’almanachs et de centuries posthumes sous la Ligue.
 
3 - Le lancinant problème des pièces manquantes du corpus nostradamique
 
4 - De la détérioration à la formation du corpus centurique
 
5 - La place des textes antinostradamiques dans la fabrication de faux centuriques.
 
6 - Les centuries ou le passage de l’astrologie à l’onomancie
 
7 - Le revival nostradamique dans les années 1580
 
8 - 9 - La résurgence des premiers états des épîtres néo-centuriques au milieu du XVIIe siècle
 
10 - L’étude négligée des épîtres centuriques en prose
 
 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 

 

 

Researches 01-10

 

1 - Esquisse d’une phénoménologie de l’emprunt

Les quarante études qui suivent ont été rédigées, au cours de l année 2011. Elles reflètent l’état actuel de nos recherches et de nos réflexions mais ne sauraient se substituer intégralement à nos précédents travaux dont l’ampleur est bien plus considérable tant sous la forme de mémoires universitaires que de diverses publications « papier » ou que d’articles parus sur différents sites0. Il ne s’agit pas non plus de quelque synthèse, étant donné que de nouvelles perspectives sont ici apportées qui ne coïncident pas nécessairement avec celles exposées antérieurement.1522 On dira que les grandes lignes ont pu évoluer mais que nos analyses de documents et nos références bibliographiques, quant à elles, restent largement valables. On relira donc nos travaux passés à la lumière de ces nouveaux développements. Le terme néo-centurique que nous utilisons indique que selon nous il y eut d’abord un centrisme axé uniquement sur les quatrains publiés par Nostradamus.

Comment identifier un corpus marqué par l’emprunt ? En principe, on ne prend conscience qu’il y a emprunt que lorsque l’on découvre la source de l’emprunt, que l’on a identifié le « prêteur », même si celui-ci n’a pas donné son consentement ou n’est pas informé. On peut alors parler de piratage, de plagiat. Mais il nous semble que la situation d’emprunt peut être constatée même en l’absence - du moins dans un premier temps - de la connaissance l’original, car il y a des stigmates, des symptômes assez caractéristiques. Prenons un exemple venu de l’économie. Si dans un pays, il y a des voitures mais aucune usine pour les fabriquer, c’est qu’elles sont importées. Il se pose donc un problème de cause à effet. On n’a pas toute la chaîne, il y a des maillons manquants dans l’enchainement conduisant au « produit », il y a discontinuité. On a un produit « fini » mais dont certaines étapes de formation font défaut.

Quand la source est identifiée, la différence devient nettement plus flagrante. Dans le corpus-source, les articulations sont bien plus nombreuses, on suit mieux l’évolution, la progression des choses, que ce corpus se situe en amont ou en aval car un emprunt peut servir à étoffer rétroactivement un corpus plus ancien que le corpus-source. C’est là un paradoxe : l’emprunt bouscule parfois la logique diachronique et génère une aporie spatiotemporelle. Parfois, cependant, le corpus « empruntant » vient compléter le corpus « prêteur » quand celui-ci s’est corrompu ou a subi des modifications : le nombre de cas où des traductions sont tout ce qui reste d’un état d’origine est bien connu. Mais souvent, les deux corpus viennent ainsi se compléter. L’emprunt prend alors toute sa valeur pour l’historien. C’est ainsi que l’anglais actuel a emprunté historiquement à l’ancien français des tournures qui n’existent plus en français moderne, il les a perpétuées. Pour appréhender la formation d’un corpus, il est donc essentiel d’en extraire, d’en localiser les emprunts, tant ceux qu’il a effectués que ceux qu’il a subis.

Mais que se passe-t-il quand l’emprunt est devenu méconnaissable, quand il s’est de facto démarqué de sa source ? Cesse-t-il d’exister ? Nous dirons d’une part qu’il subsiste toujours des éléments relatifs au dit emprunt, ne serait-ce que partiellement et que d’autre part, la perte de conscience de l’emprunt, notamment sous une forme à la provenance opaque, empêche le savoir en question d’évoluer, de se renouveler, du fait d’un processus d’incrustation. Un tel élément ne peut être remplacé puisqu’il est marqué par une idiosyncrasie qui le rend incomparable. Il ne ressemble à rien de connu, donc l’emprunteur est renforcé dans la fausse idée que cet élément lui est consubstantiel.

Dans l’absolu, tout emprunteur peut faire ce qu’il veut de qu’il emprunte et lui imprimer sa marque ; mais en même temps, cela n’en restera pas moins un corps étranger et plus ou moins décalé. Il convient évidemment de distinguer ce dont nous héritons par filiation génétique, naturelle et ce que nous recevons du fait d’un certain environnement culturel venant se surajouter. Bien évidemment, toute une méthodologie est nécessaire pour débrouiller chaque écheveau, au cas par cas, mais en cela consiste le travail du chercheur dans un certain nombre de domaines.

Quels sont les traits qui dénotent de l’existence d’un emprunt ? Le caractère discontinu du corpus qui peut certes être dû à l’existence de pièces manquantes. Si l’on identifie de telles pièces du puzzle qui font défaut à une période plus ancienne ou plus tardive, il importe de s’interroger et en tout cas de le signaler.

Quelle est la fonction de l’emprunt ? Remplir un vide. Souvent l’emprunt sert à produire des contrefaçons d’autant qu’il est lui –même en soi une forme de faux. On a l’exemple devenu classique des Protocoles des Sages de Sion, réalisés, à l’extrême fin du XIXe siècle, à partir d’un pamphlet de Maurice Joly, paru trente ans plus tôt1. On parlera de croissance externe et non interne, comme dans le cas d’une entreprise en rachetant une autre.

Rien n’est plus remarquable, il semblerait, que le cas où l’emprunt emprunte à un emprunteur. Retour à l’envoyeur. Or, quoi de plus tentant que d’emprunter à un corpus qui visait justement à rechercher une certaine patine du temps, que d’emprunter à ceux qui ont, par exemple, fait, sous la Ligue, du faux Nostradamus, en orchestrant sa renaissance, pour les prendre au mot ? Les pistes s’entrecroisent et l’on comprend que d’aucuns s’y perdent.

Nous nous intéressons tout spécialement à un cas de figure assez particulier mais qui pourrait finalement apparaître comme beaucoup plus fréquent qu’on ne pourrait le croire. Il s’agirait en quelque sorte de prêts plus que d’emprunts. On prête à tel auteur des textes qu’il n’a pas écrits, on introduit au sein d’un savoir des données qui n’en font pas partie au départ. On réécrit l’histoire d’une époque en se servant d’éléments qui lui sont étrangers. Et ensuite, les historiens entérinent ce type de stratagème, ce qui fausse les perspectives.

II Application au champ-nostradamologique».

Dans un premier temps, les libraires de la fin du XVIe siècle récupèrent le personnage de Nostradamus (1503-1566). Mais dans un deuxième temps, les biographes de Nostradamus, dont le plus récent est Denis Crouzet (Nostradamus, Payot, 2011), récupèrent, sans en avoir d’ailleurs conscience, les éditions ligueuses des années 1580-1590, pour les intégrer dans leur représentation de la vie de l’auteur, sous le prétexte qu’existent des éditions datées du vivant de Nostradamus (1555, 1557 ou suivant de peu sa mort, 1568). Ce faisant, ils perturbent considérablement la chronologie bibliographique des éditions centuriques. Bien entendu, le biographe sérieux ne saurait tomber – et faire tomber ses lecteurs - dans certains pièges tendus des siècles plus tôt. Il devrait en tout cas prendre toutes les précautions dans ce sens et tenir compte des avertissements émanant de certains chercheurs, plus vigilants ; pour le moins, il se doit de signaler à ses lecteurs les doutes exprimés à cet endroit.

Revenons plus en détail sur le cas des fausses éditions centuriques2, qui est un cas d’école et au sujet duquel les historiens, en ce début de XXIe siècle, continuent de s’opposer, plus de 400 ans après les faits. Nous avons deux séries :

- une série A, constituée d’éditions datées au vu des pages de titre - mais non du fait d’une méthodologie rigoureuse - des années 1555 à 1568.

- une série B constituée de diverses éditions datées -au regard des pages de tire ou des épitres- de 1588 à 1605.

En apparence, la série B serait issue de la série A. En fait, c’est le contraire qui s’est produit, la série A ayant emprunté voire n’existant que par son emprunt à la série B. C’est bien là tout le débat.

On observe que la série A, pour ce qui est des éditions 1555 (Macé Bonhomme) et 1557 (Antoine du Rosne [Budapest et Utrecht, du nom des bibliothèques qui les conservent]) comporte trois versions correspondant à des états différents ; respectivement :

1 (1555) à 4 centuries, dont la IVe à 53 quatrains seulement,

2 (1557) à 7 centuries, dont 99 quatrains pour la VIe, et 40 à la VIIe,

3 (1557) à 7 centuries, dont 99 quatrains pour la VIe plus un avertissement latin, et 42 quatrains à la VIIe.

Pour celui qui n’a pas pris ou voulu prendre connaissance de la série B, quelles observations néanmoins peut-il déjà effectuer concernant la série A ? Contextuellement, ces éditions – et mieux encore leur contenu - ne sont pas attestées, il y a là un « trou » dans la documentation historique en dépit du fait que celle-ci est relativement abondante : on dispose de dizaines d’almanachs et de pronostications tant signés Nostradamus, autant en imprimés qu’en manuscrit (Recueil des présages prosaïques, voir note 19), – y compris chez les faussaires de l’époque – que signés d’autres auteurs ; on connaît diverses attaques contre Nostradamus ; on a retrouvé des dizaines de lettres de et à Nostradamus3 (cf. Lettres Inédites, présentées et traduites par Jean Dupébe, Droz, 1983). On dispose pourtant de recensions bibliographiques comme celles de M. Chomarat (1989) et de R. Benazra (1990), très extensives, et la recherche s’est poursuivie vainement depuis 20 ans.

Iconographiquement, ces éditions ne comportent pas les mêmes vignettes en page de titre que celles qui sont attestées dans les pronostications de Nostradamus des mêmes années 1550. Mais ces diverses vignettes ont un air de famille avec les dites vignettes authentiques et ressemblent surtout fortement à celles des faux almanachs parisiens, faussement signés Nostradamus (chez Barbe Regnault) des années 1560. On observe également des similitudes entre une pronostication (de Sconners) parue chez Antoine du Rosne en 1558 et les éditions centuriques censées parues chez le même libraire, mais là encore, des différences sensibles dans le dessin sont à constater.

Bibliographiquement, aucune édition centurique n’est attestée, en tant que telle, du moins au regard de sa date au titre, entre 1568 et 1588. Là encore, il y a un « trou ».

Éléments externes aux éditions centuriques cautionnant toutefois l’existence d’éditions dans les années 1550-1560 :

- 1. Les Prophéties d’Antoine Couillard, Paris, 1556, qui reproduisent des passages du texte de la Préface centurique de Nostradamus à son très jeune enfant César.

- 2. La mention d’une « centurie seconde » dans les Significations de l’Éclipse qui sera le 16. septembre 1559 (Paris), signées Nostradamus, comportant la même vignette normalement réservée aux Pronostications de Nostradamus.

- 3. L’épître de Jean de Chevigny à Larcher, en tête d’un texte de Jean Dorat sur la naissance d’un Androgyn, Lyon 1570, avec un quatrain dûment signalisé selon la pratique des éditions centuriques.

- 4. Les Prophéties à la Puissance Divine et à la Nation Française, Lyon, 1572, attribuées à Antoine Crespin4, comportant des « adresses » dont le contenu recoupe celui de dizaines de quatrains issus des dix centuries (et pouvant correspondre aux éditions Benoist Rigaud 1568 à dix centuries).

5 La Bibliothèque d’Antoine Du Verdier, contenant le catalogue de tous ceux qui ont escrit, ou traduict en françois, & au-/ tres dialectes de ce royaume, ensemble leurs oeuvres imprimes & non impri-/ mees, l'augument de la matiere y traictere, quelque bon propos, sentence, doctri-/ ne, phrase, proverbe, comparaison, ou autre chose notable tiree d'aucunes d'icel-/ les denures, le lieu, forme, nom, & datre, ou, comment, & de qui elles ont este mi-/ ses en lumiere. Aussi y sont contenus les livres dont les autheurs sont incertains./ Avec un discours sur les bonnes lettres, servant de Preface/ Et à la fin un supplement de l'epitome de la bibliotheque de Gesner. Lyon, Barthélémy Honorat, 1585, ouvrage qui mentionne à la notice consacrée à Nostradamus « Dix Centuries de quatrains, Benoist Rigaud 1568. »

Ces divers documents ont fait l’objet d’analyses de notre part. Dans les cinq cas, il semble bien que l’on ait affaire à des contrefaçons ou de confusions entre titre et contenu, ce qui témoigne du zèle des faussaires et/ou des bibliographes pronant l’authenticité des dites éditions au moyen de conclusions insuffisamment fondées sur la base d’un terme (prophéties, centurie, quatrain, un nom propre) auquel on accorde une signification qu’il ne revêt pas nécessairement dans le contexte. Le simple fait de trouver un quatrain dans un texte ne suffit pas à démontrer qu’existait alors une édition des centuries, dès lors que ce quatrain n’est pas référencé selon la codification canonique (tel quatrain de telle centurie. Il ne faut pas oublier en effet que les centuries ont été amenées à récupérer des documents antérieurement constitués, y compris sous la forme de quatrains. Le cas emblématique est celui des sixains de Morgard, parus vers 1600, qui vont être intégrés peu après dans le corpus nostradamique. Ce n’est probablement pas un cas unique et cela vaut pour les emprunts probables, dans les annnées 1580-1590, à un Antoine Crespin et quelques autres comme Cormopéde, tout en sachant que ces auteurs ont certainement été eux-mêmes inspirés par le modèle nostradamique, à la suite de la reparution vers 1584 des quatrains des almanachs de Nostradamus. C’est la fable de l’imitateur imité. Dans le cas de Crespin, c’est vraiment saisissant. Que l’on songe que ses Prophéties, datées de 1572 comportent une première adresse au Roy commençant ainsi : «  Estant assis de nuict secret estude, seul reposé sur la selle d’arain, flambe exigue sortant de solitude, faict proféré qu’il n’est à croire vain », ce qui correspond au quatrain (I, 1) lequel inaugure l’ensemble des livres centuriques. On sait que ce quatrain est inspiré directement ou non de Jamblique.5. Le mot Branches du quatrain qui fait suite, évoque le personnage de Branchos, autour de la question des oracles. Mais le quatrain, quant à lui, sous la forme qui est la sienne semble bien être de Crespin et aurait donc servi pour la fabrication du premier groupe de quatrains, dont nous savons (cf l’édition de Rouen 1588) qu’il n’était pas encore classé en centuries et donc pas encore numéroté de la façon qui s’imposera par la suite.

Il ne faut pas oublier que si ce sont de fausses éditions tardives datant de la période « B », elles ont été vraisemblablement réalisées à partir de données empruntées à ce qui tourne autour de Nostradamus, de son temps, notamment en ce qui concerne la dimension matérielle. C’est ce qui vient singulièrement compliquer la recherche.

Bien évidemment, si le chercheur qui ne connaissait que la série A prend connaissance de la série B, d’autres réflexions ne sauraient manquer de se présenter à son esprit, s’il est de bonne foi. En effet, la série B comporte des chaînons manquants dans la série A.

On observe l’existence de chaînons intermédiaires entre 1555 et 1557 :

  • des éditions Paris 1588 qui comportent l’indication d’une addition après le 53e quatrain qui termine l’édition Macé Bonhomme,

  • les mêmes éditions comportent en leur titre, mais pas en leur contenu (ce point ayant été éclairci par nous ailleurs) l’annonce d’une addition pour 1561 de 39 « articles » à une « dernière centurie » qui ne semble pouvoir être autre que la VIe, se terminant par l’avertissement latin : Les Prophéties (..) reveues & additionnées par l’Autheur pour l’an mil cinq cens soixante & un de trente-neuf articles à la dernière centurie.

- l’édition Anvers 1590 qui comporte 35 quatrains à la VIIe et qui semble donc précéder l’édition 1557 à 40 quatrains à la VIIe,

  • tout cela viendrait donc s’intercaler entre l’édition Macé Bonhomme 1555 et l’édition Du Rosne 1557 Utrecht, comportant l’avertissement latin entre la VIe et la VIIe centuries (cette dernière à 42 quatrains à la VIIe), bien entendu, nous simplifions ; mais on observe, sur cette base, qu’étrangement l’édition 1557 serait « postérieure » à l’édition 1561 puisqu’elle comporte déjà les quatrains de la VIIe Centurie. Comment expliquer un tel phénomène ? Un revirement dans la politique des libraires, préférant in fine produire des éditions antidatées abouties et qui l’auraient été dés 1557 voire dès 1555, si l’on en croit les dernières lignes de l’édition 1590 Anvers, à 7 centuries, se référant à une édition 1555 comparable, non retrouvée. Inversement, les éditions antidatées viennent elles-mêmes compléter la chronologie des éditions ligueuses dont elles sont très vraisemblablement issues. Notons l’observation de Patrice Guinard (in « L’appareil iconographique des éditions Macé Bonhomme » (site Espace Nostradamus. N°135) : « L’édition d’Anvers, à sept centuries, ne peut reproduire une édition de 1555 qui n’en contenait que quatre. ». C’est révélateur d’une méthode qui consiste à réduire le corpus nostradamique aux exemplaires qui nous sont parvenus.

Conclusion : de la responsabilité des historiens

On peut raisonnablement se demander si les principaux complices des faussaires ne sont pas les historiens qui reconstituent le cours des choses à leur façon ou plus largement si ce n’est pas le regard rétrospectif qui fausse quelque peu les perspectives. Il est bien probable qu’au départ, et c’est assez flagrant dans le cas de l’astrologie, il ne s’agissait que d’ajustements de l’astrologie à telle ou telle imagerie liée au contexte dans lequel elle était reçue – et l’on sait que l’astrologie a traversé les périodes et les cultures les plus diverses. Mais précisément, en restant par trop marquée par son passé, elle devint de moins en moins capable de s’adapter à de nouvelles époques, c’est probablement cela son drame et la cause de sa marginalisation, du fait de la sclérose de ses emprunts qui n’étaient plus reconnus comme tels. Il suffit d’interroger de nos jours les astrologues pour constater qu’ils sont terriblement attachés à ce qui n’aurait dû faire sens que ponctuellement. Certes, il est des astrologues qui ont tenté de se démarquer, mais ils n’ont fait le travail qu’à moitié, conservant notamment un découpage numérique qui les empêchait de procéder à des emprunts plus modernes, devant ainsi se contenter de demi-mesures. On ne se sert plus du nom des signes ou des planètes mais on garde néanmoins les 12 secteurs et l’on prend en compte toutes les planètes, passées, présentes et à venir. Ce qui est excusable de la part d’astrologues ou de nostradamologues qui ne sont historiens que d’occasion, l’est beaucoup moins, en revanche, chez des historiens «professionnels » qui devraient montrer l’exemple. Or, le problème actuel, dans les domaines en question, c’est de noter à quel point les historiens de métier commettent les mêmes bévues que les apprentis historiens apologètes et somme toute produisent des textes du même ordre, les uns s’accompagnant d’une riche bibliographie, les autres échouant à replacer les choses dans leur contexte ; quitte à se référer à des périodes plus tardives que celles du corpus considéré, dans la mesure même où l’emprunt peut aussi bien viser le passé que le futur quand il est réalisé après coup. Car ce qui est assez étrange, ici, c’est que l’on contracte ainsi des emprunts a posteriori, pour le compte de personnes qui n’en demandaient point tant. Aussi bien l’astrologie que Nostradamus auront souffert, l’un comme l’autre, d’une « modernité » appliquée rétroactivement. Or l’historien tend trop souvent, encore de nos jours, à croire que l’on ne peut emprunter qu’à ce qui existe déjà et non à ce qui est encore à venir. Mais le passé n’est-il pas une reconstruction permanente, qui se nourrit d’un certain anachronisme ? Il y a là, en tout cas, un obstacle épistémologique dont il faut absolument prendre conscience. Si Nostradamus s’est vu ainsi doté d’éléments biographiques fantaisistes et contrefaits qui sont venus éclipser sa vie réelle, au point que certains auteurs6 n’hésitent pas à lui dénier le titre d’astrologue, au vu des seules Centuries, qui sont l’arbre qui empêche de voir la forêt. L’astrologie, quant à elle, n’est plus perceptible sinon à travers le prisme zodiacal, à travers le panthéon mythologique, à travers le thème natal, dont les historiens s’accordent à ce qu’il émerge tardivement dans son « évolution », autant de facteurs qui sont venus se greffer sur elle et qui semblent en être indissociables, au point d’empêcher de saisir l’astrologie en son noyau dure, en son « tronc », ce qui hypothèque son statut scientifique. Dans le cas de Nostradamus, en principe, il semble relativement aisé de faire la part des choses, au vu des documents qui nous sont parvenus, mais il reste que ceux-ci cohabitent avec des contrefaçons comportant les mêmes dates, sur la base notamment des épîtres qui les introduisent (Préface à César, 1555, Adresse à Henri II, 1558). Dans le cas de l’astrologie, les choses sont plus complexes du fait qu’il est plus délicat de dégager le point de départ, sauf à considérer que c’est tout simplement le système solaire. D’aucuns ont cru y trouver la solution à cette problématique des origines, mais la solution semble bien être devenue le problème. Certes, dans l’absolu, l’astrologie est née d’une certaine approche de l’astronomie, on peut même dire qu’elle a « emprunté » à l’astronomie ce dont elle avait besoin mais avant toute chose, l’astrologie est une réflexion sur le cosmos, et plus spécifiquement au départ sur le cycle soleil-lune, connu de très longue date, bien avant que l’on apprenne à distinguer entre planètes et étoiles qui ne faisaient qu’un dans les représentations les plus anciennes. De là est née, selon nous, une numérologie liée à l’écoulement du temps, autour de certains nombres, dont le principal fut probablement le 7 (d’où son importance dans l’Ancien Testament : Sept jours de la Création, respect du repos du septième jour, alternance sept ans et sept ans, etc.). Certaines coïncidences semblent avoir introduit quelque confusion : le découpage du cycle annuel en 4 saisons est-il un fait en soi ou est-il calqué sur les quatre temps du rapport lune-soleil, l’importance du septénaire (luminaires plus cinq planètes) n’est-elle pas tributaire de ce nombre 7, étant donné que les luminaires ne sont pas de même nature que les planètes ? On a vite fait d’inverser les rapports et de placer au départ les saisons et les planètes. Or, il nous semble que c’est là littéralement un contresens. Quand on a compris que le 7 est le paradigme d’une numérologie, l’on comprend alors que l’on soit allé chercher le 7, le moment venu, quand le phénomène planétaire fut mis en évidence, du côté de Saturne, en tentant de faire de cette planète, la plus lointaine connue jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, une sorte de Lune supérieure, parcourant un tapis d’étoiles fixes. Que l’on ait été tenté de « structurer » son parcours en recourant au nombre 12, qui était déjà à la base du rapport lune-soleil, quoi d’étonnant si ce n’est que là n’était pas l’essentiel. En cela, une telle division ne constitue pas une structure matricielle de l’astrologie7 mais un facteur de structuration qui n’existe que par ce à quoi il s’applique, lequel facteur peut être remplacé par d’autres – comme le dispositif des maisons qui n’était pas nécessairement à 12 secteurs mais à 8, surtout lorsqu’il n’est plus maîtrisé au niveau de sa dimension cyclique pour ne plus être qu’une suite de « symbol

2 - La coexistence de centuries d’almanachs et de centuries posthumes sous la Ligue.

Toute publication est une réécriture qui tend à masquer, à refouler son processus de formation. Avec les Centuries, nous avons la chance de pouvoir prendre connaissance d’une complexe série d’états successifs avant que cela ne débouche sur un ensemble définitivement cristallisé. En ce sens, les documents dont nous disposons ou dont nous pouvons raisonnablement supposer l’existence en tant que chaînons manquants constituent un corpus singulièrement intéressant qui dépasse largement le champ considéré au regard de la création littéraire. Comme pour les calculs des astronomes, il arrive que certaines perturbations ne puissent s’expliquer que par la présence d’un objet non encore recensé mais dont on doit supposer l’existence. En l’occurrence, nous serons conduits à admettre l’existence d’un autre jeu de « centuries », ce qui constitue un diptyque, autour de la question : qu’est ce qui est qualifié de « centurie » et là encore on aura à distinguer entre le mot et la chose, le contenant et le contenu.

Dans le présent texte, nous essaierons de suivre l’évolution qui conduisit de la « Prophétie de Nostradamus » - puisque tel est le titre qui fut donné au départ – comme l’atteste le contenu sinon le titre de l’édition de Rouen Raphaël du Petit Val 15888- non encore divisée en centuries à ce qu’on appelle généralement le « premier volet » à sept centuries des Prophéties de M. Michel Nostradamus. Il apparait que l’on aura commencé par la thèse d’une édition posthume de textes encore jamais imprimés –expression qui s’est maintenue dans nombre d’éditions de l’époque, puisque le premier volet porte la mention « dont il y en a (ou dont il en y a ) trois cens qui n’ont encore jamais esté imprimées », ce qui renvoie non pas à des centuries mais à des quatrains, point important puisqu’au départ l’ensemble n’était pas encore réparti en centuries, ce qui explique que l’on n’ait pas un compte rond et que des centuries soient « incomplètes » ou le soient restées un certain temps. L’expression « non encore imprimé » aurait du, d’ailleurs, empêcher de se développer la thèse de la réédition. 9. Nous montrerons notamment que le mot « centurie » ne fut pas initialement employé pour désigner les centuries que désormais nous appellerons « posthumes » mais bien pour les almanachs parus du vivant de Nostradamus. De même, le terme « prophétie » s’il renvoie à des quatrains ne concerne pas nécessairement les quatrains posthumes.

Au départ, les quatrains posthumes n’auraient pas été rangés en centuries. Toujours est-il que l’on finit par passer à une centurisation des quatrains, comme en témoigne la même édition de Rouen 1588, où on nous parle d’une division en quatre centuries, sans que le contenu corresponde. A partir de là, selon la thèse posthume en vigueur alors, on allait rajouter des quatrains et des centuries encore non imprimés – ce qui rend fort improbable la possibilité qu’une édition à 10 centuries ait pu exister dès 1568 car pourquoi, dans ce cas, n’y aurait-on pas eu recours, au moins pour le premier volet ?

Comment fut réalisée cette augmentation du « capital » centurique ? En « terminant » la centurie IV, qui passerait ainsi comme cela ressort des marques additionnelles des éditions parisiennes de la Ligue, de 53 à 100 quatrains et, pour faire bonne mesure, en ajoutant encore une centurie qui serait la cinquième. Il est difficile de savoir si le stade d’’une édition à 5 centuries a existé ou bien si l’on débordé, dans la foulée, sur une sixième centurie « incomplète ».

Ce que l’on sait, par le contenu des éditions parisiennes datées de 1588-1589, c’est que la centurie VI ne parut pas d’entrée de jeu sous une forme « pleine ». Le seuil de 71 quatrains fut certainement un stade qui fut atteint. On ne le connait cependant que par une édition présentant déjà un supplément aux dits 71 quatrains, et qui, fort maladroitement, s’intitule septième centurie, alors même que la numérotation des quatrains est continue, jusqu’au 83 e quatrain. C’est donc une fausse septième centurie. Les 12 quatrains ajoutés vont d’ailleurs faire long feu, ce qui indique une certaine vigilance de la part des éditeurs et constatant qu’ils avaient été empruntés aux quatrains des almanachs de Nostradamus pour l’an 1561, ce qui était évidemment un moyen commode pour faire du vrai Nostradamus et ce qui est un aveu d’imposture. Le procédé avait été utilisé par Barbe Regnault, dans ses faux almanachs de Nostradamus, qui recyclaient des quatrains des années précédentes.

  1. Comment avait-on retrouvé les quatrains de l’almanach pour 1561 et comment avait-on dans un deuxième temps détecté le procédé ? Vu que les almanachs étaient depuis le temps devenus introuvables, d’autant qu’il s’agissait de textes que l’on ne conservait pas forcément du fait de leur caractère ponctuel ? Il faut rappeler qu’avait été constitué un Recueil des Présages Prosaïques, que Chavigny avait envisagé de publier dès 1589 et qui, malgré son titre, comportait également les quatrains, classés année par année. Les éditeurs troyens du siècle suivant placeront les dits quatrains en annexe sous le titre suivant : « Autres quatrains tirez de 12 soubz la Centurie septiesme dont en ont esté rejectez 8 qui se sont trouvez es Centuries precedentes », en fait il ne s’agit pas de « centuries « mais d’almanachs à moins que les quatrains des almanachs aient été eux-mêmes classés en « centuries », ne contenant chacun que 12 ou 13 quatrains. Cela permettrait d’expliquer une formule de Du Verdier dans sa Bibliothèque (Lyon, Honorat, 1585) : « Dix centuries de prophéties par Quatrains ». En fait paradoxalement, il semblerait que l’on se soit d’abord servi du terme « centurie » pour les quatrains prophétiques des almanachs avant de s’en servir pour les quatrains posthumes non connectés systématiquement à des dates, qui seront par la suite connus sous le nom de « Centuries ». ...On peut penser que c’est « douze » centuries et non pas dix qui aurait convenu, vu que l’année 1556 n’est pas représentée, ce qui correspond aux années à quatrains de 1555 à 1567. L’alternative, c’est bien entendu l’édition 1568 à dix centuries, dont nous avons dit que son existence même aurait rendu tout le processus que nous décrivons parfaitement inconcevable.. Par la suite, d’ailleurs, les présages seront bel et bien intégrés au sein du canon nostradamique, du moins tout au long du xVIIe siècle sous le titre « Présages tirez de ceux faictz par M. Nostradamus es années 1555 & suivantes iusques en 1567 » et classés selon 12 années. On notera que le mot centurie (qui a donné centurion), dans l’armée romaine a fini par couvrir un nombre très différent des cent éléments qu’il signifie étymologiquement.

  2. L’incident de l’almanach 1561 ayant été résolu, l’on compléta la centurie VI au moyen de 17 quatrains et celle-ci fut même scellée par un avertissement latin. On ne renonça pas pour autant à une VIIe centurie, laquelle vint à son tour s’ajouter, ce qui est mentionné au titre des éditions parisiennes de la Ligue : 39 articles additionnées à la « dernière centurie ».mais auparavant, cette centurie VII avait connu une progression plus modeste, qui est attestée par Rouen Pierre Valentin, non datée et Anvers St Jaure 1590, à 35 quatrains seulement. On peut toujours supposer que des quatrains ont été supprimés mais nous en resterons à l’idée selon laquelle on n’a cessé d’en rajouter, hormis le cas évoqué du « rejet » des quatrains de l’almanach pour 1561. Mais dans ce cas, le titre des éditions parisiennes avec « 39 articles » correspondrait, en dépit de leur date d’édition, à un état postérieur à celui de l’édition Anvers 1590. Cela peut surprendre mais nous avons montré que toute édition centurique doit être décrite d’une part quant à son titre, de l’autre quant à son contenu. On aura donc pu observer que le terme « centurie » ne renvoyait pas nécessairement à 100 quatrains puisque la centurie IV dans l’édition dite à 4 centuries ne comportait que 39 quatrains à la Ive centurie, que la centurie VI n’en comporta un temps que 71 et qu’il y eut même une centurie VII à 12 quatrains, au sein des éditions parisiennes.

Or, ne peut-on penser que cette centurie VII des éditions parisiennes de la Ligue ne correspondait pas peu ou prou à l’une de ces centuries de présages- en l’occurrence pour 1561- dont nous évoquions la probable existence ? Et c’est d’ailleurs pour cela qu’elle fut identifiée comme telle et exclue de la série des centuries « posthumes ».
On s’intéressera donc d’un peu plus près à ces 12 quatrains de la VIIe centurie, mais numérotés de 72 à 83 et donc prolongeant la Vie. Nous suivrons la description présentée par Robert Benazra (RCN, pp. 118 et seq) :

A part le premier quatrain de cette série, soit le 72 e (non numéroté) qui correspond à VI, 31, ce qui semble, selon nous, être une bévue de la part de l’éditeur, mais qui a probablement servi à brouiller les pistes « les autres (quatrains) sont ceux qui devaient être publiés comme Présages pour l’Almanach pour 1561. » Cela va de février 1561 à décembre 1561, pour le mois d’octobre les vers sont dans un ordre différent. On notera que Benazra, à l’époque, n’avait pas accès au Recueil des Présages Prosaïques (cf. sur l’almanach pour 1561 RCN, pp. 42 et seq).

La question qui se pose est la suivante que ne semble pas aborder Benazra : d’où les libraires connaissaient-ils les quatrains de l’almanach pour 1561. Certes, en 1594, Chavigny commentera-t-il huit de ces quatrains dans le Janus Gallicus.(cf RCN, p. 43). Mais la liste n’en est même pas complète et d’où tenait-il ces quatrains d’almanachs sinon du Recueil des Présages Prosaïques ? Est-ce lui qui a fourni aux libraires les quatrains de l’almanach pour 1561, aurait-il participé à la composition de certaines éditions. Ou bien l’information était elle accessible du fait d’une récente édition des dits quatrains, comme semble l’indiquer la notice de Du Verdier ? Est-ce que cette diffusion ne faisait pas partie de l’orchestration du revival nostradamique ? Rappelons en tout cas que le manuscrit du dit Recueil se présentait comme prêt à l’impression, avec une date et un lieu d’édition. Mais ce manuscrit n’était-il pas plutôt la copie d’un imprimé non retrouvé ? On aurait donc un diptyque constitué d’une part de « centuries » de 12/13 quatrains d’almanachs de 155510 à 1567 et de l’autre de ce qui sera par la suite « divisé » en centuries, d’abord quatre, puis six, puis sept, voire huit (cf RCN, pp. 119-120). Ce diptyque de quatrains sera commenté par Chavigny comme un tout. Il se perpétuera au xVIIE siècle et on l’ a vu il se manifeste déjà dans les éditions ligueuses de Paris.. Mais est-ce bien du Recueil des Présages Prosaïques qu’il s’agit ou bien des seuls quatrains, rangés en 12 centuries car, après tout, les quatrains ne sauraient être qualifiés de « présages prosaîques ». Peut être a-t-il existé face aux « présages prosaïques », un recueil de quatrains des almanachs, ce qui serait d’autant plus logique que dans les almanachs, on a affaire à ces deux catégories, la série versifiée dérivant, selon nous, de la série « prosaïque ».

Avec ce diptyque s’instaurait de facto une dialectique entre la production des années 1550-1560, autour d’un premier volet et celle, posthume, des années 1580 et suivantes, autour d’un second volet. Par un processus de contamination, le second volet va se retrouver décrit comme contemporain du premier, par le jeu des éditions antidatées, ce qui allait casser la dualité. Qui sait si le maintien de deux volets dans les éditions centuriques ne réfère pas quelque part à ce diptyque ? Tout se passe comme si la production posthume avait été scindée en deux pour maintenir la mémoire du diptyque car lors de l’intégration des centuries VIII-X, on aurait fort bien pu éviter de produire deux volumes séparés.

3 - Le lancinant problème des pièces manquantes du corpus nostradamique

La plupart des nostradamologues privilégient les pièces accessibles, disponibles par rapport aux pièces manquantes. Cela peut sembler le propre d’une attitude raisonnable mais cela risque fort de conférer une importance disproportionnée aux pièces qu’un certain concours de circonstance a fait parvenir jusqu’à nous, et c’est l’expression d’un rapport assez aléatoire à l’information au risque d’erreurs de perspective..

Nous aborderons d’une part la question des pièces manquantes parues du vivant de Nostradamus et de l’autre celle des éditions perdues qui engagèrent le processus du revival nostradamique au cours des années 1580, les deux catégories de pièces pouvant d’ailleurs être en interaction.

I Les pièces manquantes des années 1550

Depuis longtemps, nous avions émis l’hypothèse selon laquelle on ne disposait pas de l’ensemble de la production propre à Michel de Nostredame. Nous avions notamment signalé le cas des Vaticinations perpétuelles auxquelles il est fait référence dans la préface à César en rapport avec l’an 3797.

Récemment, certaines études nous rappelèrent que la mention de l’an en question était reprise par des adversaires de Nostradamus le prenant à parti, à savoir dans les Prophéties du Seigneur du Pavillon (1556) et la Déclaration des abus, ignorances et séditions de Michel Nostradamus (1558)

Bien entendu, la Préface à César comportait également, en toutes ses éditions, et en dépit de variantes secondaires (chez le libraire Antoine Besson, vers 1691) une référence à l’an 3797 et aux vaticinations perpétuelles.

Mais n’existait-il pas une autre pièce de la plume de Nostradamus, en dehors de la dite Préface, qui aurait comporté mention d’une telle échéance ?

La thèse classique tend à être celle-ci : il est reproché à Nostradamus d’avoir annoncé dans son épître à son fils que selon des « vaticinations perpétuelles », l’Humanité suivrait sa route jusqu’en l’an 3797. Mais, à y regarder de plus près, la référence de Nostradamus à de telles » vaticinations » dans la Préface à César est des plus brèves.

Préface : « Et sont perpétuelles vaticinations pour d’icy à l’année 3797 »

Nous avions, à un certain moment, soutenu l’idée selon laquelle la préface à César aurait initialement introduit les dites « prophéties perpétuelles » puis aurait resservi pour présenter les centuries. Ce qui aurait impliqué une pièce manquante, à savoir la préface à César, cette fois suivie de son prolongement initial.

Par ailleurs, nous avions signalé, dès notre thèse d’Etat (Le texte prophétique en France, formation et fortune, Ed. du Septentrion, 1999) que l’édition Besson (c 1691) ne comportait pas certains développements, que nous identifiâmes par la suite comme, entre autres, empruntés au Livre de l’Estat et Mutation des Temps de Richard Roussat lesquels figuraient dans les autres éditions connues de la Préface.

Or, Videl et Couillard semblaient se référer à un texte de la Préface à César plus riche, plus « complet » si l’on veut pour parler comme certains nostradamologues qui n’acceptent pas qu’un texte puisse s’amplifier d’une édition à l’autre - et notamment concernant des emprunts à Roussat. que celui de Besson, lequel selon nous correspondait à son état premier.

C’est ainsi qu’il nous paraissait de plus en plus évident que les adversaires de Nostradamus en avaient à un texte plus ample que celui de la Préface à César et que ce texte n’avait été qu’ultérieurement inscrit au sein de la dite Préface.

Mais, comme par ailleurs, nous notions qu’à une seule exception près (Les Prophéties du Sgr du Pavillon, 1556) aucun des dits adversaires ne mentionnait le nom de César, pourtant récurrent tout au long de l’épître. C’est ainsi que dans la seule version courte de Besson, l’on recense successivement :

1 Préface ‘(…) adressée à son fils

2 César Nostradamus mon fils

3 Encore bien , mon fils, que j’ay inséré à ce mien reliquat héréditaire

4 Car, Prophète, mon fils, est celuy qui voit

5 Je ne dis pas, mon fils, que par naturelle intelligence

6Par quoi, mon fils, tu ne peux nonobstant ton tendre cerveau

7 Sus, mon fils, t’amoneste (sic pour admoneste) que si tu vis l’aage naturel

8 Viens donc de mesthui mon fils César entendre que je trouve par mes revolues calculations

9 La miséricorde du grand Dieu ne sera point dispergée (sic) en un temps, mon fils

10 Prends donc mon fils César ce don de ton progéniteur

Tout cela en 9 pages !

Dès lors, le témoignage de Couillard Du Pavillon nous apparaissait comme suspect, lui qui était le seul à s’être arrêté sur César. N’était-ce pas plutôt là une interpolation effectuée au sein de la Déclaration de Videl en vue d’accréditer l’existence d’une épître de Nostradamus à s,on fils, dès 1555 ?

Mais, dans ce cas, il fallait bien que Videl ait eu un autre document de Nostradamus auquel s’en prendre et qui traitât des Perpétuelles Vaticinations, de l’an 3797 et d’autres considérations sur les cycles/âges des planètes tels que figurant, entre autres, chez Roussat et qui ne serait aucunement adressé à César.

Et ne serait-ce pas précisément cet ouvrage, appelé Prophéties, dont Gérard Morisse aurait suivi la trace dans les catalogues de libraires ? Et ne serait-ce pas en raison de ces Prophéties que les centuries auraient pris ce titre en recourant à Videl pour composer une préface qui s’y référait et en reprenait des éléments ?

Cela supposait que la préface ait été constituée en deux temps : un premier temps (cf Ed. Besson) n’empruntant qu’une partie des développements disponibles chez Videl et un second temps empruntant d’autres développements à partir de la même source.(Ed canonique de la Préface) à moins de supposer que les deux versions aient cohabité plutôt que se soient succédées, étant l’œuvre de deux « ateliers » travaillant sur les mêmes bases mais chacun à sa façon..

Avant donc que le texte apparaisse en tête des éditions ligueuses, celui –ci aura existé dans un autre contexte sans nécessairement qu’il ait été initialement adressé à César tout en mentionnant, en passant, sa naissance et son nom. Le fait est que seul Couillard cite ce nom, nous conduit, finalement, à lui accorder un caractère d’authenticité. Nous ne disposons pas de la pièce dont Couillard fait le commentaire mais uniquement d’états ultérieurs au sein du recueil centurique, à partir de 1588, plus de 30 ans plus tard.

Une pièce manquante peut ne pas être perçue comme telle, lorsque le titre de cette pièce recouvre un autre document que celui d’origine. Si le type de l’almanach et celui de la pronostication semblent assez bien définis et circonscrits, l’un étant plus proche des données strictement astronomiques et hémérologiques, l’autre s’articulant sur les 4 saisons, l’un paraissant à la fin de l’année et l’autre à l’approche du printemps- du moins jusqu’en1562, il n’en est pas de même de tout ce qui est désigné sous le nom de présage, de prophétie, de prédiction, de pronostiques, termes qui semblent assez interchangeables. Les privilèges désignent ainsi trois catégories : almanachs, présages, pronostications.(cf nos Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, p. 201) mais, comme on l’a dit, on ne sait pas exactement ce que désigne le terme « présages ». Un texte peut se retrouver dans un contexte qui n’était pas le sien à l’origine, notamment quand il sert d’épître à une pièce nouvelle, au prix de quelques retouches annonçant celle-ci.

Dans les Significations de l’Eclipse qui sera le 16 septembre 1559, autre document à l’authenticité douteuse, un passage repris d’un adversaire vise ‘ » tes pronostique (sic) que tu dis estre merveilleux» mais que contient ce type d’ouvrage ? On sait cependant par les attaques d’un Videl, dans sa Déclaration des abus, ignorances et séditions de Michel Nostradamus, texte repris dans les Prophéties du Seigneur du Pavillon et dans la Préface à César, qu’il est question de vaticinations perpétuelles, de l’an 3797 et que ce contenu ne correspond à aucune des pièces que nous connaissons. Signalons l’emploi du mot « merveilleux » dans certaines publications nostradamiques : comme ces Prophéties ou Revolution merveilleuse des quatre saisons de l’an (…) par M. de Nostradamus, Lyon, 1565, Benoist Rigaud (cf. RCN, p. 71) dont on n’a pas conservé d’exemplaire. En 1590, le libraire Pierre Ménier, qui venait de faire paraitre des Centuries, sortira d’Antoine Crespin, selon nous personnage servant la cause ennemie, celle d’Henri de Navarre, une Prophétie merveilleuse. (BNF), favorable à Charles X Bourbon, en recyclant des textes du dit Crespin conçus initialement pour des années antérieures. Rappelons le propos de Daniel Ruzo au sujet des Grandes et Merveilleuses Prédictions : (cf. le Testament de Nostradamus, pp ; 279 et seq) concernant des éditions d’Avignon portant ce titre.

« Les éditions d’Avignon ont paru parallèlement à celles de Lyon avec un titre différent. Malheureusement, la totalité des exemplaires de ces éditions, publiées du vivant de Nostradamus a disparu. Nous sommes obligés d’en chercher les traces dans des éditions très postérieures à leur première publication » En fait, Ruzo s’appuie sur un passage de l’édition d’Anvers, François de St Jaure, 1590, qui renvoie à une édition d’Avignon, chez Pierre Roux mais il omet de préciser que cette édition est signalée en 1590 sous le nom de « Professies » (sic) bien que le titre de l’édition d’Anvers soit Grandes et merveilleuses prédictions. Ce scenario d’éditions parallèles des centuries, pour 1555, est irrecevable pour diverses raisons que nous évoquons dans le présent travail mais il reste que le recours à deux intitulés différents –Prophéties d’une part, Grandes et Merveilleuses Prédictions de l’autre, pour désigner des contenus globalement du même ordre peut interpeller. Mais Ruzo lui-même dans sa description de l’édition de Rouen 1588 des Grandes et Merveilleuses Prédictions (p. 282) note que le titre intérieur est « La Prophétie de Nostradamus ». Selon nous, ce titre est nouveau sous la Ligue et prend la place, un moment , de celui de Prophéties- le contenu de ces éditions (hormis celle de 1588) est plus tardif que celui des éditions parisiennes mais il emprunte probablement à une tradition nostradamique ancienne, associée, probablement, au genre des prophéties perpétuelles..

II Les pièces manquantes des années 1580

Comme nous l’indiquions, les deux décennies 1550-1580 entretiennent entre elles des relations complexes puisque la préface à César n’apparaitrait finalement dans le champ nostradamique que dans les années 1580 sans que l’on comprenne très bien les raisons d’un tel scénario si ce n’est dans la logique d’un testament, d’un mémoire laissé par Nostradamus à son aîné.

En 1585, on trouve dans la Bibliothèque de Du Verdier, parue à Lyon, chez Honorat, mention, dans une des multiples « entrées », au sujet de Nostradamus, de « dix Centuries de Prophéties par Quatrains (...) imprimées à Lyon, par Benoist Rigaud, 1568".

On peut réagir de diverses manières à ce bref passage d’une très lourde Bibliothèque parue 16 ans plus tard. Soit, on y verra la « preuve » qu’une édition à dix centuries est bien parue chez Benoist Rigaud, en 1568, telle qu’elle nous est conservée par un grand nombre d’exemplaires, classés par Patrice Guinard, soit, il s’agit d’un document auquel on aura substitué ultérieurement la dite édition des Centuries, approchant la « miliade » de quatrains, avec ses deux épitres à César et à Henri II. Si la dite Bibliothèque était parue quelques années plus tard, à la fin des années 1590, on aurait conclu qu’elle se référait à une édition antidatée. Mais en 1584, cela ne fait guère sens, étant donné que l’on en est, au mieux, qu’au tout début du processus qui conduira à cet état à dix centuries..Il est par ailleurs étrange que La Croix du Maine, un an plus tôt n’en fasse pas mention à moins qu’il ne s’agisse, comme nous le pensons, d’une très récente publication parue entre temps.

Nous pensons qu’il faut y voir de la part du libraire lyonnais Benoist Rigaud qui jusqu’alors avait surtout publié du néo-Nostradamus11 une contribution à ce que nous avons appelé le ‘revival » nostradamique des années 1580, autour de Michel de Nostredame en personne, cette fois : il vaut mieux finalement s’adresser à Dieu qu’à ses saints. Il s’agit, selon n, de la réédition des quatrains-présages des almanachs, depuis 1555 jusqu’à 1567, d’où le choix de la date de 1568.. C’est dans ce recueil que viendront puiser ceux qui reprirent les quatrains de l’année 1561 pour constituer la centurie septiesme des éditions parisiennes de 1588-1589.(cf RCN pp.118-119)/ L’existence même d’une « centurie septiesme » à 12 quatrains s’explique précisément par le fait que chaque « centurie », dans la dite édition Rigaud, avait un tel format. On nous objectera qu’il y avait 12 années de présages et non 10. Il s’agit selon nous d’une erreur. D’ailleurs dans la Vie de Nostradamus, il est fait référence à 12 centuries : « Entre autres enfantements de son esprit fécond (..) il a escrit 12 centuries de prédictions, comprises brièvement par quatrains que du mot grec il a intitulé Prophéties. (…) Nous avons de lui d’autres présages en prose , faits depuis l’an 1550 jusques à 67 qui colligez par moi, la pluspart & redigez en douze livres sont dignes d’estre recommandez à la postérité ». On aura compris qu’il est fait allusion à deux ouvrages, l’un constitué de quatrains et l’autre de « présages prosaïques ». Le fait que dans le manuscrit du Recueil de Présages Prosaïques, on trouve les quatrains mensuels comme interpolés dans la prose ne saurait nous faire perdre de vue l’existence, au départ, de deux pièces, l’une déjà parue, celle des quatrains et l’autre à venir et chaque fois autour d’une division en 12 : 12 « centuries » dans un cas, 12 « livres » dans l’autre. On peut donc considérer que le Recueil des Présages Prosaïques n’était pas encore paru lors de la rédaction de la Vie, du moins sous la forme qui figure en tête du Janus Gallicus mais qu’en revanche circulait- et cela est attesté par les éditions ligueuses, un recueil de centuries de quatrains-présages, comme on les désignera dans les éditions du XVIIe siècle, et comme le désigne Du Verdier en 1585.

Comment est-on passé des centuries de quatrains d’almanachs à des centuries comportant, chacune, un bien plus grand nombre quatrains ? Il semble qu’il y ait eu, à un certain stade, substitution et que le cadre établi par Rigaud de 12 centuries de quatrains d’almanachs ait été repris pour d’autres affectations, en conservant bien entendu et le mot « centurie » et la forme du quatrain. Le fait est que, pour quelque raison, l’on ait renoncé à atteindre les 12 centuries, le travail de remplissage restant inachevé. On notera cependant que les 58 sixains ont été présentés dans certaines éditions comme constituant une onzième centurie, comme dans l’édition « 1611 »Chevillot. (cf RCN, p. 171) qui comportent quelques quatrains sous les centuries XI et XII. En revanche, l’édition 1605, s.d.et sans mention de libraire (attribuée à Pierre du Ruau), les sixains ne sont pas situés au sein d’une centurie XI mais on y trouve bien 12 centuries à partir de ce qui est commenté dans le Janus Gallicus.On notera que la vignette de l’édition 1605, fréquemment utilisée dans les années 1640- ce qui en trahit la provenance - est reprise de publications néonostradamiques, ce qui indique une tendance à ne pas distinguer aisément au sein des bibliothèques de nostradamica les publications authentiques et celles qui ne le sont pas.

En fait, quand on étudie de près la Vie, l’on peut percevoir un glissement :

« Il a escrit 12 centuries de prédictions comprises brièvement par quatrains (..) dont trois se trouvent imparfaites VII, XI (et non IX, du fait d’une permutation, comme dans les éditions du XVIIe siècle) et XII. Ces dernières ont longtemps tenu prison (…) Nous avons de lui d’autres présages en prose faits depuis l’an 1550 jusques à 67 »

En fait, l’on est passé de trois catégories à deux. Car si on lit la Vie, il n’est plus du tout question, à cet endroit, de quatrains d’almanachs, ce qui est absurde puisqu’au début de la dite Vie, on trouve qu’il « se mit à escrire ses Centuries & autres présages commençant ainsi «  D’esprit divin etc », ce qui correspond à un quatrain de la Pronostication pour 1555. Il y a eu un télescopage entre 1 centuries de quatrains d’almanachs, 2 centuries de prédictions non datées et 3 « présages en prose(Prosaïques) » Sur ce point, Besson ne nous est d’aucun secours car il reprend la Vie telle quelle sans même corriger IX en XII et en mettant « de 1550 iusques à 17 » au lieu de 57, ce qui montre bien que Besson n’a pas de lui-même réécrit ou fait réécrire les textes car il l’aurait fait pour l’ensemble..

On peut tenter de reconstituer l’état initial du document ainsi  autour de trois séries de douze pièces:

« Il a escrit 12 centuries de prédictions comprises briefvement par quatrains

Ce qui correspond aux Dix/douze centuries imprimées par Benoist Rigaud et antidatés à 1568, date à laquelle d’ailleurs, elles auraient pu bel et bien paraitre mais dans ce cas La Croix du Maine les aurait signalées en 1584, à l’article Nostradamus de sa Bibliothèque. Ces centuries ne sont pas « incomplètes », elles comportent les quatrains correspondant aux années. On peut cependant se demander d’où Rigaud tenait-il cette collection de textes déjà anciens. Toujours est-il que l’existence de cette collection, dans les années 1580, est attestée par l’existence même du Recueil des Présages Prosaïques qui les comporte et par les éditions ligueuses pour l’année 1561. Le mot « briefvement » conviendrait, au demeurant, assez mal pour décrire une centaine de quatrains par centurie.

2 [Nous avons également de lui 12 livres de centuries prophétiques] dont trois se trouvent imparfaites, la VII, la XI, la XII

Nous reprenons là une formule de l’Epître à Larcher (en tête de l’Androgyn, 1570), signée Jean de Chevigny :

« duquel (Nostradamus) j’ay encores riere (sic, derrière) moy tous (sic) les œuvres tant en oraison prose que tournee, que bien tost je mettray en lumière (voici) le quatrain quarante cinquiesme de sa seconde Centurie prophétique »

3 «  Nous avons de lui d’autres présages en prose (…) redigez en douze livres ». »

Elles sont conservées, en 12 regroupements, dans le manuscrit du Recueil des Présages Prosaïques. Chavigny y insérera les quatrains des almanachs repris dans le Janus Gallicus, mais ne commentera la prose que dans les Pléiades (1603). Ses lecteurs pouvaient se référer à l’édition Rigaud des centuries tirées des almanachs comme des éditions centuriques. En fait, Chavigny, pour arriver à 12, recourt à un expédient en rassemblant en un seul « extrait » les années 1550, 1552, 1553, 1554 et 1555 (cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus, pp. 193 et seq) puis en un deuxième 1556 et 1557, ce qui donne bien 12, puisqu’ensuite on a 1558, 1559, 1560, 1561, 1562, 1563, 1564 ; 1565, 1566, et 1567.

Mais à quoi ressemblaient les toutes premières éditions qui apparaissent au milieu des années 1580 ? Nous disposons in extremis d’une édition très ancienne, grâce à l’édition de 1588, du libraire rouennais Raphaël du Petit Val. In extremis car il s’agit là d’un unicum et que celui-ci n’est pas actuellement, à notre connaissance, accessible. Heureusement, son ancien possesseur Daniel Ruzo l’a décrit assez précisément dans le Testament de Nostradamus (Le Rocher, 1982). In extremis aussi parce que le contenu de cet exemplaire ne correspond pas au titre qui est celui d’une édition plus tardive. Il n’est pas contrairement à son titre divisé en 4 centuries mais se présente d’un seul tenant, avec ses 349 (et non 353) quatrains.

Une autre importante lacune de notre documentation concerne les premières éditions des centuries VIII-X. Il apparait en effet que nous ne disposons que d’éditions retouchées, cela ressort de la juxtaposition dans l’Epitre à Henri II de l’année 1585 et de l’année 1606, notamment dans l’édition Cahors Jaques Rousseau 1590. Il nous manque une édition sans la mention 1606 surajoutée. Certains quatrains vont dans le même sens d’additions tardives, comme le quatrain appartenant à la « queue » des trois dernières centuries, X, 91 qui mentionne en clair l’année mille six cents neuf. C’est à la fois une date trop proche et trop tardive : trop proche pour relever d’une computation cyclique à très long terme et trop tardive pour correspondre à des enjeux immédiats, si l’on ne se place pas dans une antériorité bréve de quelques années au plus. L’Epitre à Henri II a d’ailleurs certainement été réactualisée pour être en prise sur le début du XVIIe siècle puisque l’on y trouve- sans que ce soit d’ailleurs explicité dans le texte - les positions planétaires de l’année 1606 qui ne font sens que pour les contemporains. Autrement dit, aucune première édition Rigaud néo-centurique « 1585 » ne nous serait parvenue et ce que nous connaissons- type « 1606 »- appartient à une période correspondant aux dix dernières années du régne d’Henrti IV . Il nous apparait que ce temps fut particulièrement propice au nostradamisme si l’on en croit le nombre d’éditions ayant ce profil, cela correspond d’ailleurs à l’émergence des sixains morgardiens qui seront ensuite intégrés dans le canon centurique, lesquels sont truffés de dates appartenant à la première décennie du dit XVIIe siècle. En ne replaçant point cette série d’éditions au début du XVIIe siècle, l’on risque fort de commettre une grave erreur de perspective, d’autant que c’est dans ce contexte politique que nombre de quatrains font sens. Nous ajouterons que lorsque l’on examine les échéances figurant dans la production de Nostradamus, celles-ci touchent –pour ce qui est des échéances pour la fin du siècle, plus aux années 1570 qu’aux années 1580. Il faudra attendre le néo-nostradamisme pour que la décennie suivante soit en ligne de mire, ce qui correspond à un nécessaire recyclage de tout texte prophétique.(cf notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France) s’opérant souvent à l’économie par un simple changement de chiffre. Cela ressort notamment des différentes moutures d’épitres de Nostradamus au Pape Pie IV, au début des années 1560 (cf notre Post Doctorat).12 .

Nous sommes là confrontés au probléme des rééditions qui ne se présentent pas comme telles. On comprend ainsi pourquoi les éditions Rigaud 1568 ne se présentent pas comme posthumes et ne comportent pas un appareil nécrologique car elles ne seraient que des rééditions de parutions du vivant de Nostradamus, et notamment du diptyque Antoine du Rosne, dont manque le second volet.(VIII-X). L’absence aléatoire du second volet aura conduit les nostradamologues à privilégier la thèse d’une parution d’abord posthume mais cela ne vaut, en fait, que pour le recueil évoqué par Du Verdier, en 1585, dans sa Bibliothèque réunissant tous les quatrains récupérés dans les divers almanachs et pronostications( dans le cas de l’année 1555). Il semble que l’on ait oscillé entre les deux thèses et l’on trouve ainsi des arguments dans les deux sens.

. Dans les années 1590, à commencer par le Janus Gallicus de Chavigny, la présentation posthume est exposée :  »M. Michel de Nostredame jadis conseiller & médecin des rois Tres Chrestiens etc ». Qui plus est, on y trouve un « Brief Discours sur la vie de M. Michel de Nostradame etc « ainsi que des exemples de la valeur prophétique des quatrains. On notera que dans ce texte nécrologique, il est fait référence à César de Nostredame et il semble pour la première fois en dehors de la préface qui lui est adressée et des Prophéties du Seigneur du Pavillon Les Lorriz.

Comment peut-il se faire qu’une telle présentation ne soit apparue qu’en 1594 alors que des éditions des centuries circulent depuis au moins 1588 ? Nous pensons, d’ailleurs, raisonnable de supposer que le « Brief Discours » a du figurer au sein de la réédition en un seul volume de ses quatrains mensuels puis intégrée, au prix de quelques retouches, dans une perspective néo-centurique.

On notera que la fausse édition Pierre Rigaud 1566, fabriquée à Avignon vers 1716, comporte la reproduction de la pierre tombale de Nostradamus, ce qui n’est pas le cas des éditions Benoist Rigaud 1568 qui sont marquées par l’absence totale de référence au décès du dit Nostradamus.

D’ailleurs, toutes les éditions qui portent le titre « Prophéties » ont en commun l’absence de tout appareil nécrologique, biographique, méthodologique (mode d’emploi), exégétique alors que les éditions dotées d’autres titres en comportent un. Les Vrayes centuries et prophéties (…) avec la vie de l’autheur (..) et plusieurs de ses Centuries expliquées…. 

Les éditions troyennes – que nous situons à la fin des années 1630, qui paraissent sous le nom de Prophéties ne comportent un élément posthume que dans le troisième volet, avec l’Epitre à Henri IV, datée de 1605, introduisant les sixains en s’intitulant « Prédictions admirables (…) recueillies des mémoires de feu M. Michel Nostradamus (de son) vivant médecin du Roy Charles Ix etc ».

Nous sommes donc en présence de deux écoles qui se perpétuent parallèlement. Etrangement, il semble que ce clivage se soit maintenu jusqu’à nos jours, parmi les nostradamologues, entre tenants d’éditions du vivant de Nostradamus et tenants d’éditions parues bien après sa mort.

L’étude des éditions centuriques existantes fait apparaitre des divergences majeures : d’une part des éditions qui se succèdent par des additions successives, arguant du fait que tout n’est pas divulgué d’une seule traite et d’autre part, des éditions antidatées qui se présentent comme d’un seul tenant et qui effacent toute marque interne d’addition, et dont une des pièces majeures semble être une édition disparue, celle du second volet introduit par l’Epitre à Henri II et qui serait parue dès 1558, à la veille de la mort du dit Henri, en 1559. Cette pièce a d’ailleurs due être bel et bien fabriquée et adjointe au premier volet, dès 1557 ou 1558 venant compléter le premier volet de 7 centuries censé être paru dès 1555. Mais là encore l’édition 1555 à 7 centuries a disparu..On aurait pu se rabattre sur une édition à deux volets, chez Antoine du Rosne, 1557, mais comme on l’a dit, le second volet de l’exemplaire Utrecht a disparu. Force est donc de s’en tenir à l’édition Benoist Rigaud 1568, donc posthume sans l’être, puisque supposée copie de la dite édition Antoine du Rosne Utrecht.. Cette édition Rigaud ne porte en effet aucune marque propre à une édition posthume.

Parmi les pièces manquantes, ajoutons le cas des premières éditions séparées des centuries VIII-X, dont l’orientation politique est assez incompatibles avec les centuries I à VII.. Or, on ne les connait que dans le cadre de volumes à 10 centuries. Il est plus que probable que le canon centurique, à différentes époques, a consisté à rassembler des pièces séparées.

Dès lors que chaque camp peut profiter indéfiniment des carences du corpus de l’autre camp, il semblerait que les uns et les autres restent sur leurs positions respectives ; dans une sorte d’équilibre qui peut cependant être rompu par l’émergence d’un nouveau facteu

4 - De la détérioration à la formation du corpus centurique

Nous observons que ce qui nous apparait comme les étapes d’une formation est perçu par d’autres comme le signe d’une détérioration, d’une déperdition. Comment deux processus aussi différents peuvent-ils se confondre ? Est-ce que sous la Ligue, nous assistons à un démembrement d’un corpus constitué dans les années 1550-1560 ou au contraire à la formation du dit corpus, dont les données relatives aux dites années seraient contrefaites ? Il est vrai qu’il existe quelque ressemblance entre un phénomène qui se déploie, souvent par à coups, par bonds successifs et un autre qui serait en pleine déliquescence, tel un édifice tombant en ruines.

Il est certes recommandé de comparer un maximum de documents entre eux pour les ordonner de façon rationnelle mais il n’est pas interdit de signaler des manques, des corruptions et d’en tirer certaines conclusions, cela peut jouer un rôle complémentaire dès lors que l’on sait que le passé ne nous parvient jamais que par bribes, la carte n’étant pas le territoire, comme on dit en sémantique générale. Au XVIIe siècle, le dominicain Giffré de Réchac, dans son Eclaircissement13 de 1656, expose une méthodologie qui passe par ce qu’on peut appeler la critique interne, étant donné qu’il ne disposait que d’une documentation extrêmement limitée, par comparaison avec celle dont nous disposons de nos jours. C’est ainsi que le dominicain avait proposé, entre autres, de corriger estang par estaing, au quatrain I, 16, donc un des premiers quatrains d’une longue série car il est clair qu’il est fait référence ici à Jupiter, dont c’est le métal, au sein d’un quatrain marqué par les données astronomiques , empruntées au Livre de l’Estat et Mutations des temps de Richard Roussat, Lyon, 1550: Or, cette « faute » s’est maintenue des siècles durant. Peut-on supposer que la première édition de la première centurie comportait bien « estaing » ou doit-on concevoir que l’erreur aurait été commise dès la première impression ? Mais cela n’expliquerait pas pourquoi il n’y a pas eu correction, par la suite.

Parmi les corrections qui semblent être intervenues, comptons, en tout cas, celles qui concernent le titre du premier volet centurique « dont il en y a trois cens » (Raphael Du Petit Val, Rouen, 1589, François de St Jaure, Anvers, 1590, Antoine du Rosne, Lyon 1557) corrigé en « dont il y en a trois cens (« éditions parisiennes 1588-1589, -Benoist Rigaud 1568, Cahors 1590). Le cas des éditions parisiennes est assez paradoxal : elles ont un contenu très « primitif », antérieur à la formation de la centurie VII, canonique mais par leur titre, elles apparaissent comme des éditions à sept centuries, avec 39 quatrains à la VII, ce qui les place après Anvers 1590, avec la suppression, en outre du « il en y a » qui affecte jusqu’aux éditions antidatées 1557.

Un autre cas, assez bien connu, est celui de l’avertissement latin, placé entre la Vie et la VIIe centurie. P. Brind’amour (Nostradamus astrophile) a montré que Legis Cantio devait être au départ Legis Cautio. Les éditions Rigaud ont « Cantio » tout comme le troyen Chevillot ou Antoine du Rosne 1557 Utrecht, alors que Pierre Du Ruau, autre libraire troyen a bien Cautio, tout comme Besson (c 1691) ou Garancières (1672). Cela peut servir de critère de datation. On notera en tout cas que les éditions du XVIIe siècle ont souvent « Cautio ». Il semblerait que les éditions Rigaud ou Du Rosne Utrecht aient été réalisées à partir de Chevillot lequel n’avait pas comme Du Ruau procédé à diverses corrections critiques.

Quand il y a une série de noms de lieux, on peut corriger un lieu qui ne correspond pas, alors que tous les autres constituent un ensemble géographiquement homogène. On pense à IX 86, où l’on trouve Chartres au milieu de villes de la banlieue parisienne. Or, il existe une petite ville nommée Chastres et qui correspondrait mieux. Cette approche est validée par la Guide des Chemins de France qui a servi aux rédacteurs du second volet de centuries. A la centurie VIII, le quatrain 52 comporte plusieurs villes proches de la Loire comme Blois, Amboise, Poitiers, Saintes ainsi qu’un fleuve, l’Indre. Mais on peut corriger un verset tronqué  qui comporte « Boni », pour Bonny sur Loire. La présence d’Avignon, dans ce quatrain est insolite. 14, elle ne justifierait donc pas Bonnieux, près d’Avignon. En revanche, «Seme » pourrait être une corruption de Saumur, Ongle d’Orléans. Dans IX, 86 et VIII 52, les décalages sont vraisemblablement dus à des retouches qui ont pu sembler indécelables, faute d’observer que tout le quatrain est centré sur une certaine aire géographique de par la structure même de sa source ainsi constituée.

Sur un plan technique, il semble qu’il soit légitime de corriger dans I, 54 un chiffre dont l’écriture est proche  deux et dix : :

Deux revolts faictz du malin falcigere

De régne & siecles faict permutation

D’aucuns ont remarqué qu’il faudrait mettre Dix à la place de Deux, car il existe un cycle bien connu formé par dix révolutions de Saturne(le porteur de faux, le falcigere) ; en astrologie médiévale.


 

Si l’on passe aux épîtres en prose, une lecture attentive est susceptible de relever des lacunes dans le texte, sans lesquelles le texte devient à peu près incompréhensible. Quand on lit, par exemple, « que tu ne sois venu », ne fait pas sens si l’on n’ajoute « que tardivement ». ou « il n’est possible te laisser par escrit » alors que précisément il est question d’un « mémoire », si l’on ne précise « pat trop clair ». Et c’est précisément ce à quoi correspond l’édition Besson (c 1691). Ou dans l’Epitre à Henri II « qu’il n’estoit nullement permis d’aller à eux ny moins s’en approcher’ où il manque « sans quelque offrande » (en l’occurrence, « sans mains garnies de riches offrandes » (Besson c. 191). Des formules restrictives (ne…que, nullement… si ce n’est, etc) deviennent ainsi à tort des formule négatives.

Jean Céard, dans sa préface au Répertoire Chronologique Nostradamus, préconise une « étude littéraire des Centuries »-(p. VIII), notamment au regard de la versification, des vers faux. Les coquilles doivent être repérées et corrigées. « Ainsi va son chemin un texte de plus en plus défiguré ». Céard prend le cas du quatrain II 47 :

Les souverains par infinis subjuguez

« ce qui fait un vers faux. Ne peut-on lire

Les souverains par infims subjuguez ?

« Ce latinisme (infimi, les plus humbles, les plus petits ) aura été mal lu par le typographe qui lui a substitué le plus commun (infinis). (ce qui a ) fait commettre à Nostradamus une grossière erreur de versification et détruit une opposition très nette entre souverains et infims »

Mais, hâtons-nous d’ajouter qu’il en faut en tirer les implications au niveau de la datation et de la chronologie des éditions. Mais l’abord des textes en prose reste prioritaire – on y a en principe plus « pied » - par rapport à celui des quatrains d’autant que comme nous l’avons dit ailleurs, les quatrains dérivent largement des textes en prose introductifs. Le quatrain à l’origine a-t-il d’ailleurs vocation à faire sens, dès lors qu’il déconstruit délibérément le texte en prose ? Ce n’est que dans un deuxième temps que le quatrain nostradamique devient l’élément de référence, accédant au statut de principal porteur du message, l’arbre du quatrain cachant la forêt de l’épître. Travailler sur un quatrain isolé, détaché du reste des quatrains d’une même centurie est tâche plus aisée encore. On assiste à un démembrement de l’édifice nostradamique, chaque pierre du  « mur » devenant un tout de façon fractale.

Prenons cependant le quatrain X, 91, un des derniers donc de l’ensemble de dix centuries :

Clergé Romain l’an mil six cens & neuf

Au chef de l’an feras election

D’un gris & noir de la Compagnie yssu

Qui onc ne feut si maling

En parcourant récemment, en vue de ce texte, toute la série des quatrains, nous nous sommes arrêtés sur un quatrain atypique en rapport avec le pape, lequel quatrain semblait ne pas respecter la rime. A partir de là, nous avons comparé diverses éditions et avons trouvé la solution en l’une d’entre elles, où le quatrième vers, comportait un mot de plus, à savoir « compagnon », ce qui fait pendant à « Compagnie » au troisième verset. Or, quelle était cette édition ? Comme par hasard, l’édition d’Antoine Besson. La lacune figurant partout ailleurs, que ce soit chez Garencières, Rigaud, Du Ruau, Chevillot. On peut en tout cas considérer que Besson correspond à un nouveau stade de l’édition centurique, prenant la suite du stade troyen, par son recours à des sources restées largement occultées. Toutefois, cette édition n’exercera guère d’influence sur le cours de la production centurique qui en reviendra, au xVIIIE siècle, à des éditions de type Rigaud-Chevillot.

Jusqu’à quel point peut-on se permettre de corriger un texte, sans l’appui d’une version existante ? Il est des cas où la correction est légitime : ainsi pour un nom de lieu écorché, dès lors que le contexte impose cette solution, quand il s’agit d’une série dont les facteurs se suivent normalement selon un ordre immuable15.

Nous avons déjà noté à quel point les éditions de Londres-Garencières et Besson se détachaient du lot. Elles ont un point commun qui n’est probablement qu’anecdotique : il s’agit du chevalier Jacques de Jant (1626-1676), intendant et garde du Cabinet des raretés de Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV. En effet, au moment où Théophile de Garencières publie sa traduction, à partir de documents jamais parus en français, autant qu’on le sache, Jant se faisait connaitre, en cette même année 1672 par des Prédictions tirées des Centuries de Nostradamus (cf RCN, pp. 247 et seq). Or, les textes de Jant reparaitront après sa mort survenue en 1676, à Rouen, en 168916 (puis en 1691 et 1710 (cf RCN, p. 291) chez Jean Baptiste Besongne dans le cadre de Vrayes Centuries et Prophéties (…) Avec la vie de l’autheur et plusieurs de ses Centuries expliquées par un Scavant de ce temps (cf RCN, p. 261), ce qui est le même titre que l’édition Besson, non datée. En fait, Besson, se sert du cadre et du titre rouennais mais y apporte des modifications considérables, introduisant d’autres versions des épîtres ainsi que des corrections concernant certains quatrains comme IX 91. Etant donné que cette présentation rouennaise augmentée d’un commentaire datant des années 1670, date de 1689, cela constitue un terminus pour l’édition lyonnaise. Sous couvert des éditions rouennaises, Besson introduit subrepticement de nouveaux éléments. Il revient à Robert Benazra d’avoir signalé- certaines particularités de cette édition : « Lettre modifiée et tronquée » pour la préface à César et «  Lettre considérablement réduite » pour l’épître à Henri II (p. 266)

Tout le débat est là : les nostradamologues des trente dernières années n’ont –ils pas quelque peu abusé de cette thèse selon laquelle les éditions non conformes au canon seraient ipso facto étiquetées comme « tronquées », « lacunaires », avec des quatrains « manquants » ? Chez Benazra, c’est devenu comme un leit motiv, notamment en ce qui concerne les éditions des années 1588-1590 qui ont le grand tort de ne pas correspondre à l’édition Benoist Rigaud de référence. C’est ainsi que Benazra juge que dans l’édition de Rouen 1588, certains quatrains de la Ive centurie auraient en quelque sorte « sauté » puisque l’on n’arrive pas à 53 quatrains. De même pour l’édition d’Anvers dont la centurie VII ne « fait » pas ses 40 quatrains réglementaires (RCN, pp. 122-127). Au lieu de voir se construire, progressivement un corpus, d’aucuns ne veulent parler que d’une détérioration, ce qui s’explique par le fait, selon nous, que les éditions les plus achevées auront servi de modèle pour les éditions antidatées. Une seule exception, toutefois, celui des éditions centuriques antidatées, se présentant comme parues en 1560/1561 (type Veuve N. Buffet, exemplaire actuellement conservé à la librairie Thomas Scheler), qui sont conformes aux éditions ligueuses parisiennes.(cf. RCN, pp. 51 et seq).. R Benazra écrit à ce sujet : « si cette édition a réellement vu le jour, il apparait que l’éditeur parisien (c’est une femme, Barbe Regnault) n’a point connu l’édition lyonnaise d’Antoine du Rosne(1557) puisque les copies de 1588 et 1589 ne nous donnent que 74 quatrains à la Vie centurie. De là à penser qu’il n’a point connu l’édition lyonnaise de 1558 avec la préface à Henri II - que les copies (sic) de 1588 et & 1589 ne reproduisent pas –il n’y a qu’un pas que nous sommes tenus de franchir ». Benazra s’explique par ailleurs (cf RCN, pp. 35 et seq).sur l’existence de la dite Préface dont les éditions ligueuses n’auraient pas tenu compte : «  Il n’aurait servi à rien que Nostradamus écrivît une préface adressée à un certain « Henri Second », s’il ne la faisait pas publier avant la mort  en juillet 1559 du souverain (…) Et il n’est guère probable qu’un imprimeur aurait osé éditer après le décès du roi (..) un livre qui s’ouvre sur une longue dédicace adressée au Roi » .

Nous observons donc que d’une part, nous trouvons des épîtres qui visiblement sont lacunaires ainsi que quelques quatrains qui ont perdu quelque mot en cours de route –ce qui ne semble pas préoccuper outre mesure les nostradamistes - et de l’autre, on nous parle d’éditions dramatiquement lacunaires, qui auraient été délestées de nombre de quatrains voire de centuries entières.

Mais il convient de signaler aussi la corruption de la Vie de Nostradamus, ce qui ressort, une fois de plus, de la lecture de la « traduction » anglaise et cela affecte également le Janus Gallicus dont le « Brief Discours » nous apparait dès lors comme défectueux, ce qui souligne le caractère de « recueil » du dit Janus avec une transmission pas trop regardante quant au contenu. Au cas de figure de l’interpolation vient faire pendant une « extrapolation » au sens d’un passage qui disparait. Cela d’ailleurs avait été remarqué pour l’épitaphe si on la compare au document authentique tel qu’il figure gravé sur la pierre à Salon de Provence. Mais abordons, dans le texte anglais, le récit même de la biographie de Nostradamus, tel que rendu dans la Vie. On nous parle de la venue à la Cour de Nostradamus. Mais le texte est confus puisque cohabitent les années 1556 et 1555 comme si l’on avait mis bout à bout deux versions : « And Henry the II King of France, who sent for him in the year 1556 (…) He went from Salon to the Court the 14th of July in the year 1555 and came to Paris upon the 15th of August”

Que nous dit le texte français tel qu’il sera véhiculé tout au long du xVIIe siècle et déjà dans le Janus Gallicus:” “Henry UU Roy de France l’envoya quérir pour venir en Cour l’an de grace 1556 & ayant avec iceluy communiqué de choses grandes le renvoya avec présens. Quelques ans après (sic) Charles IX son fils visitant ses provinces (que fut 1564) (..) ne voulut faillir de visiter ce Prophéte »

Joli raccourci d’une dizaine d’années qui certes évite le doublon 1556/1555. Le texte anglais nous restitue le passage manquant et que nous résumerons ici : il y est notamment question de la venue, par la suite, de Nostradamus à Blois pour y observer les princes. Il retourna ensuite à Salon où il mit la dernière main à ses dernières Centuries. (last centuries) qu’il dédia à Henri II en 1557, « two years later » (deux ans après le voyage de 1555). Visiblement, l’on veut nous faire croire que c’est cette épitre qui figure en tête des Centuries. A Salon, Nostradamus reçut successivement la visite du Duc de Savoie(en octobre) et de Marguerite de France (en décembre), dont le mariage avait été décidé au Traité du Cateau Cambrésis. Et l’on passe à Charles IX, dont le voyage de 1564 figure dans toutes les versions. On notera que Crespin Archidamus se présente comme l’astrologue du Roi de France et de la duchesse de Savoie.

Il est assez étrange que la partie ainsi supprimée concerne la composition des Centuries. Mais le texte anglais est également assez confus à ce propos ; on nous dit que ce sont ses almanachs qui firent sa réputation et le firent venir à la Cour et il est même signalé les attaques du « Lord Pavillon » – le Seigneur du Pavillon (alias Couillard)- il semble qu’il s’agisse des Contreditz.- mais aussi celles de Jodelle. Et on nous parle ensuite de ses Centuries qu’il va compléter alors que l’on ne nous avait pas signalé leur existence précédemment.

Quant à la fin de la Vie, narrée dans le texte anglais, cela diffère sensiblement du texte du Janus Gallicus, fort pauvre sur le plan bibliographique, sans que l’on puisse déterminer s’il ne s’agirait pas cette fois d’un ajout de Théophile de Garencières. On y trouve en tout cas des données bibliographiques supplémentaires, sensiblement plus précises d’ailleurs que celles qui précédaient et qui ne donnaient pas les noms des libraires. :

  • A Book of recepts for the preservation of health, “printed at Poitiers in the year 1556”

  • Another concerning the means of beautifying the Face and the Body , Anvers, Plantin, 1557; dédié à son frère Jean, “attorney at the Parliament of Aix”

  • Une traduction du latin au français de la Paraphrase de Galien sur l’Exortation de Ménédote, Lyon, Antoine du Rosne, 1557

  • Inversement, dans le texte français, il est question de César qui n’est pas mentionné dans le texte anglais et pas davantage de l’épitre qui lui aurait été adressée par son père. Chavigny semble avoir rajouté tout un programme de publications à venir. Concernant cette « Vie », Besson nous est d’aucun secours, ce qui montre bien qu’il n’a pas lu l’édition anglaise de 1672. Quand parut un tel texte tel que restitué par Garencières  aussi tard que 1672 ? Très vraisemblablement avant son occurrence dans le Janus Gallicus. (1594). On peut le situer dans les années 1590, puisqu’il parle de l’Epitre à Henri II et des « dernières Centuries ».

  • Les lacunes biographiques seront comblées au début du XVIIIe siècle.(cf R. Benazra, Abrégé de la vie et de l’Histoire de Michel Nostradamus, par Palamède Tronc du Coudoulet, Ed. Ramkat 2001) et le passage coupé dans le Janus Gallicus sera ainsi restitué mais ne modifiera pas pour autant l’appareil des éditions néo-centuriques. En revanche, outre Manche, la version anglaise sera diffusée à partir de 1672 sous une forme non expurgée. Paradoxalement, le texte français de la version anglaise de la Vie de Nostradamus ne nous est connu que par une édition datant du tout début du XVIIIe siècle- Aix, Adibert, 1701, Abrégé de la Vie de Michel Nostradamus (cf RCN, pp. 282 et seq)- tout comme le texte de l’épitre à César ne nous est connu, pour sa partie la plus ancienne, que par une édition de la fin du XVIIe siècle (cf R. Benazra, Abrégé de la vie etc, pp. 37 et seq). En fait, cette impression de 1701 est très lacunaire par rapport à la version de 1672 mais pas de la même façon que le « Brief Discours » dans le Janus de 1594. L’ordre de certains paragraphes est permuté. C’est ainsi que l’on connait ainsi la date de la visite du Duc de Savoie et de Marguerite de France : Le texte anglais nous donnait les mois mais point l’année, 1553, donc avant et non après l’invitation à la Cour, comme indiqué dans la Vie... En revanche, le manuscrit jamais imprimé de la Bibliothèque Méjanes, à Aix en Provence que transcrit Benazra est plus ample et plus précis que la version anglaise si ce n’est sur certains points comme la parution chez Antoine du Rosne de la Paraphrase de Galien, point qui n’est pas indiqué. Mais dans le manuscrit, il est indiqué en tête de la série de ses œuvres « Outre les centuries de Nostradamus on a de lui etc. », ce qui ne figure pas dans la version anglaise mais comme l’on ne cite pas les almanachs, on peut se demander à quoi renvoie ici le mot « centuries ». . Le commentaire de certains quatrains resta donc inédit comme cela avait été le cas pour Giffré de Réchac dont le commentaire (Eclaircissement, 1656) est pour l’essentiel resté manuscrit (cf notre post doctorat) En bref, la Vie de Nostradamus comporte diverses versions comme pour les épitres centuriques.

  • Si les nostradamologues sont disposés à admettre que des quatrains voire des centuries ont pu être ajoutées, ce qui ressort notamment de la chronologie ordinaire et consensuelle à trois étages : 4 centuries en 1555, 7 centuries en 1557, 10 centuries en 1568, fondée, articulée sur les éditions conservées,- en revanche, il semble que l’idée d’épîtres augmentées, interpolées, leur apparaisse comme une incongruité. En revanche, ils sont toujours prêts à admettre que pour quelque raison, on aurait pu tronquer des textes, supprimer des quatrains. Ce n’est en effet pas, on s’en doute, la même démarche.

Ce qui vient évidemment compliquer les choses et les perspectives, c’est le fait que ce que l’on peut appeler le « système centurique » a mis en place toute une série de défenses qui conduisent à un certain renversement de la chronologie, ce qui est à la fin d’un processus étant alors censé se placer en son début. Si d’une part, ce système peut être perturbé par la multiplicité des documents exhumés, à différents moments, il a su, d’autre part, fabriquer ses propres documents antidatés. D’où un accueil qui diffère selon que l’on découvre un des dits documents antidatés, comme les exemplaires Macé Bonhomme, Antoine du Rosne, mais aussi les Prophéties de Couillard, les Significations de l’éclipse de 1559, l’Androgyn de 1570, le Recueil des présages prosaïques voire des Prophéties d’Antoine Crespin, truffées d’extraits de quatrains, qui sont autant de « garants » des Centuries, ou, a contrario, que l’on signale des éditions comme celle d’Antoine Besson ou les particularités de la traduction anglaise de 1672 voire les éditions ligueuses (Paris, Rouen, Anvers) qui, somme toute, sont bien embarrassantes et dont on cherche souvent à minimiser l’importance. Quant à la recherche des sources, il n’est pas certain que les liens entre les quatrains et la Guide des Chemins de France aient été si bien accueillies que cela pas plus d’ailleurs que la mise en évidence d’emprunts à Roussat et à son Livre de l’Estat et Mutation du Ciel, tant pour telle épître que pour tel quatrain. Signalons le sous titre de cet ouvrage : « prouvant par authoritez de l’Escriture Saincte & par raisons astrologales la fin du Monde estre prochaine », ce qui correspond à un dosage qui correspond assez bien à celui que l’on préte à Nostradamus au vu de ses épitres centuriques.

Pour employer une image appartenant au langage de la finance, le système centurique a mis en place un processus de cavalerie en ce sens que les garants qu’il signale pour valider les éditions antidatées ont été générés par le dit système et qu’inversement les garants eux –mêmes sont « couverts » par les dites éditions. Robert Benazra a rédigé un texte intitulé : « Les premiers garants de la publication des Centuries de Nostradamus etc » (site ramkat.free.fr). Il écrit ; « Il y a, en effet, une toute petite phrase dans les Prophéties de Couillard que personne n'avait relevé jusqu'à présent et qui va apporter une éclatante confirmation de ce que nous avons toujours pensé. Lorsque le Seigneur du Pavillon lez Lorriz écrit à propos de l'auteur dont il paraphrase le texte (celui de César), qu'il a "avec labeur merveilleux faict trois ou quatre cens carmes de diverses ténébrositez" (fol. E2v), il ne fait nul doute que nous avons là une allusion très claire aux quatrains qui suivent la Préface à César, ces "fantasticques compositions" (fol. A4v et D3v), "dictions tenebreuses & ... fabuleuses" (fol. E2v) ou encore ces "carmes tenebreux et obscurs" (fol. B1r) , pour employer des expressions du Seigneur du Pavillon. ». Pourquoi pas puisque telle est, précisément, la raison d’être de ces Prophéties du Seigneur du Pavillon que de valider celles de Nostradamus ?

5 - La place des textes antinostradamiques dans la fabrication de faux centuriques.

Notre travail de reconstitution et de mise en ordre du corpus nostradamique ne serait pas achevé si nous n’abordions pas, si nous laissions derrière nous, les dernières citadelles construites par les architectes du « centurisme ». Nous n’avons guère jusqu’ici traité de la littérature anti-nostradamienne censée parue dans les années 1556-1560, période singulièrement riche, sur le plan polémique, par rapport aux années qui suivront, jusqu’à la mort de Nostradamus en 1566 et au-delà. Certes, à partir de 1560, avec l’édit d’Orléans sur les almanachs, des contraintes de plus en plus lourdes vont peser sur la production de ces prédictions annuelles mais cela n’empêchera pas la production nostradamienne et pseudo-nostradamienne de continuer sur sa lancée, avec notamment les faux almanachs produits à Paris par la veuve Barbe Regnault et par la veuve Nicolas Buffet, et dont le premier numéro concerne l’année 1561.17 Dans sa « Biblio-iconographie du corpus Nostradamus »,Patrice Guinard reproduit les pages de titre de deux almanachs de ce type pour cette année, auxquels il convient d’ajouter toute une série pour 1562 (Prognostication, Bib. Munich) et 1563 (Almanach, Bib. Municipale Lille) notamment, marquée par l’usage de vignettes particulières que l’on retrouvera sur les fausses éditions 1555 Macé Bonhomme et 1557 Antoine du Rosne (y compris pour la Paraphrase de Galien) alors même que les vignettes des vrais almanachs sont d’un autre type et portent le nom de M.de Nostredame) Or, tout se passe comme si les attaques avaient cessé après 1560 et les Contreditz du Seigneur du Pavillon Les Lorriz à savoir ’Antoine Couillard (Paris, L’Angelier)

Etrangement donc, comme un fait exprès, l’environnement des fausses éditions centuriques des années 1550 est encombré par toutes sortes d’attaques contre Nostradamus visant d’ailleurs essentiellement ses publications annuelles mais peut être surtout les épîtres qui figurent en tête des dites éditions centuriques, les Prophéties du Seigneur du Pavillon pour la préface à César, parue (janvier 1555, c'est-à-dire 1556) juste après l’épître à César (1555) en tête du premier volet et le Monstre d’abus de La Daguenière pour l’Epitre à Henri II, daté de l’année même de la dite Epitre..

Non pas certes que Nostradamus n’ait été en butte à certaines critiques par lesquelles nous commencerons mais il semble bien que cette production critique authentique, qui tourne surtout autour de Laurent Videl, ait été instrumentalisée pour les besoins du centurisme.

I Les attaques de Laurent Videl

On dresse généralement un profil selon nous assez peu correct de Videl, l’auteur de la Déclaration18 mais aussi probablement de la Première Invective, signée, in fine, des initiales L.V. C.M., où nous voulons voir les initiales de Laurent Videl19.

Dans un des pamphlets le nom de Nostradamus est donné en clair, dans le second, il se change en Monstradamus mais cela ne suffit pas à conclure qu’il s’agit de deux auteurs distincts. Ces documents paraissent en 1557-1558, si l’on admet que la Première Invective commence à paraitre en 1557 suivie de plusieurs autres éditions.

Videl était-il astrologue comme on le lit fréquemment, était-il un avocat de l’Astrologie Judiciaire comme le dit Olivier Millet (« Feux croisés sur Nostradamus », 1986/198720) ? A partir d’une telle représentation que nous pensons erronée, les nostradamologues se sont demandés ce que Videl pouvait donc reprocher à son confrère Michel de Nostredame. On y a vu la manifestation d’une querelle, d’une jalousie. Tout cela parce que l’on n’a pas compris que pour Videl, le mot Astrologie n’impliquait pas – et c’est précisément ce sur quoi il s’insurge- une pratique « judiciaire ». Videl restreint le champ de l’astrologie qu’il juge légitime à la portion congrue, et lui destine notamment la météorologie, ce qui relève de ce qu’on appelle alors l’Astrologie Naturelle et le mot abus est récurrent, c'est-à-dire le fait d’outrepasser les limites autorisées, permises. On est très loin de ce que proposent les traités astrologiques des années 1550 comme celui du toulousain Auger Ferrier. Videl s’en prend à Nostradamus mais c’est en réalité à l’ensemble de la production astrologique qu’il en a. De Nostradamus, il veut faire un exemple pour recommander- et il sera bientôt suivi dans ce sens, du moins au niveau des textes officiels, une surveillance par l’Eglise de ces livres suspects qui polluent le peuple, Videl le fait au nom du « bien public », on dirait pour des raisons d’hygiène. Que l’astrologie, qui est ici en fait synonyme d’astronomie – le traité de Ferrier s’intitule Jugements astronomiques sur les nativités (Lyon, Jean de Tournes, 1550), maintes fois réédité jusqu’au début du XVIIe siècle et traduit en anglais- se contente d’observer les astres et d’en étudier les effets non sur les hommes mais sur les températures. C’est bel et bien ce mot de « jugement » qui désigne la déviance de l’Astrologie judiciaire et le traité contemporain d’astrologie horaire de Claude Dariot, Introduction au jugement des astres, va dans le même sens.

« Je prie Messieurs les prélats, pasteurs & autres qui ont charge en l’Eglise y vouloir adviser en donnant ordre que telles resveries qui ne peuvent que troubler les pauvres consciences debiles ne se viennent ainsi publier car à eux appartient de chasser toutes folles curiositez qui se veulent pas trop enquérir des mystères que Dieu seul s’est réservés »

Les conseils qu’il donne à Nostradamus confirment tout à fait notre description.

«  Suffise toy que l’on admette tes almanachz & pronostiques pour le changement de saison, la variété du temps, le mouvement des planètes selon leur cours naturel «  ou encore :

« Ainsi par ceste science jugerons que la conjonction de Mars à Saturne au signe du lyon nous vient causer chaleur & siccité & Jupiter conjoinct à la Lune au signe du cancer nous vient faire croistre & augmenter les humeurs et ainsi de semblables en nous gardant. »

On trouve une phrase construite étrangement  mais qui signifie que c’est à tort que l’on méprise l’astrologie : « Plusieurs tiennent cette science superstitieuse & reprouvée laquelle est louable ». Il faut comprendre, d’après le contexte, « cette science est tenue pour superstitieuse et réprouvée alors qu’elle est louable », ce qui n’est pas pour autant une défense de l’astrologie judiciaire car c’est justement l’enseignement de tels « jugements » qui conduit à ce qu’on la réprouve.

En bref, Nostradamus n’était pas en butte à des attaques de la part d’astrologues, au sens « moderne » du terme mais surtout d’anti-astrologues comme Videl, et, sur le marché astrologique, d’imitateurs, ce qui est une toute autre affaire. Il est clair que l’édit de 1560 ne visait pas le seul Nostradamus  même si un Couillard, dans ses Contreditz (1560) met son nom en avant, au point que le titre interne porte simplement « Contreditz à Nostradamus ».

En ce qui concerne l’attribution des deux pamphlets au même auteur, notons que le nom même de « première invective » annonce une suite qui est probablement constituée par la Déclaration, surtout s’il est confirmé que le premier texte aurait connu une première publication en 1557. On notera en tout cas cette même épithète employée dans l’un et l’autre texte pour désigner Nostradamus : « fanatique », écrit diversement. Le premier texte parait anonymement avec les seules initiales, le second comporte le nom complet ainsi d’ailleurs que celui de Nostradamus.

Première Invective du Seigneur Hercules le François contre Monstradamus, Paris et Lyon

Déclaration des abus, ignorances et séditions de Michel Nostradamus, Avignon, Pierre Roux et Jean Tramblay, 1558 (BNF)

On notera que le nom de ce libraire servira en 1590 (Anvers, Sainct Jaure), pour désigner le lieu d’édition des Centuries de 1555. On a là peut être un exemple de l’utilisation par les faussaires des éditions centuriques du corpus anti-nostradamique. D’autres exemples pourraient être signalés comme pour le libraire lyonnais Michel Jove qui publie l’Invective de 1558 mais aussi, l’Androgyn de 1570, qui est selon nous une contrefaçon centurique puisque comportant un quatrain se référant explicitement aux centuries. L’inverse cependant pourrait être observé avec Barbe Regnault, qui met sur le marché de faux almanachs mais qui est aussi créditée du Monstre d’abus de La Daguenière, 1558, qui évoque un tel texte qui, si le Monstre d’abus, censé paru chez Barbe Regnault, est un faux pourrait bien être un « garant » de l’épitre au roi de cette même année 1558/

D’ailleurs Olivier Millet rapproche (« Feux croisés sur Nostradamus », p. 112) ces deux documents « que par ailleurs tout sépare sur le plan du style » : « dans leur façon de s’adresser à Nostradamus ». Millet remarque «  Videl a peut être ainsi puisé l’inspiration de son avis au lecteur dans la Première Invective ». Cela dit, nous ne suivrons pas son analyse quand il écrit à propos de Videl : « Il dénonce en Nostradamus un charlatan qui ne connait rien à l’astrologie ». Encore une fois, l’on ne peut se contenter de restituer le propos de Videl sans le situer : ce que Videl appelle ici Astrologie n’est nullement l’Astrologie Judiciaire qu’au contraire il connait trop bien et ses critiques au niveau des calculs sont typiquement celles d’un astronome. Une autre formule qui prête à confusion si on n’y prête point garde est celle-ci  à propos de la Première Invective. Videl, selon Millet, accuse Nostradamus de faire « accroire au monde que ‘astrologie , science de soy mesme estimable » serait condamnable. Mais accroire ici signifie donner crédit, conforter la thèse du caractère condamnable de l’Astrologie, de cette astrologie-astronomique que Videl défend et qui souffre d’une telle promiscuité. Débat qui se poursuivra jusqu’à la création de l’Académie des Sciences par Colbert, et la fondation de l’Observatoire, un siècle plus tard, en 1666, lorsque, enfin, le mot astrologie ne désignera plus que les tenants de l’astrologie judiciaire.

Videl ne s’en prend pas seulement, comme on pourrait le croire en lisant certains passages du texte de Millet, aux pratiques divinatoires que même les astrologues jugent extérieures à leur domaine (comme la géomancie et autres mantiques) mais bel et bien au cœur même du savoir astrologique. Videl n’est certainement pas favorable à la Tétrabible de Ptolémée et les mises en garde de Ptolémée dans son Prologue, -même si Videl s’y réfère probablement, sont décalées – et bien modestes - par rapport aux siennes propres, bien plus draconiennes et qui veulent ramener l’Astrologie-Astronomie à la portion congrue.-

Cela dit, comme le note à juste titre Benazra (« Les garants « ), Videl cite bel et bien des passages que l’on retrouve dans l’Epitre à César sous ses formes interpolées mais il ne fait aucune allusion à César, à la différence de Couillard qui ne dit nullement qu’un texte a été dédié au dit César, ce qui montre que les deux textes ne se recoupent pas sur ce point essentiel, à savoir l’existence d’une épître à César, peu après la naissance de ce dernier. D’ailleurs, il ne nous semble pas, sauf erreur de notre part, que Nostradamus se référe à son fils dans ses différents écrits, imprimés ou manuscrits. Videl réagit à un texte de Nostradamus mais duquel s’agit-il, peut être d’un texte qui n’a pas été conservé, notamment ce qui a pu paraitre sous le nom de Perpétuelles vaticinations, qui parurent probablement sous le nom de Prophéties et dont la trace a été retrouvée par Gérard Morisse, sans que l’on sache précisément quel était leur contenu.. On n’exclura nullement la possibilité que l’on se soit servi de Videl, comme on l’a fait pour le Monstre d’Abus, pour reconstituer des textes de Nostradamus, en l’occurrence sous la forme d’une épître à César (cf infra):

Videl, donc, selon nous, nous fournirait bel et bien des extraits d’une œuvre autrement perdue de Nostradamus. Il fait, notamment, état d’un intérêt de Nostradamus pour Roussat et son Livre de l’Estat et Mutation des Temps, paru à Lyon en 1550 :

“Encores tu te demonstre plus asne quant tu veux parler des sciences (…), quant tu dis que combien que Mars paracheve son siecle, a la fin de son dernier periode, si le reprendra il : il y ha ja trante deux ans passez que mars a parachevé, & alors la lune print le gouvernement”

Or, ce passage se retrouve bel et bien dans la Préface à César sous sa forme interpolée et augmentée, alors que ce matériau astrologique est absent dans la version Besson :

Préface à César :

Car encores que la planette de Mars paracheve son siecle, & à la fin de son dernier periode, si le reprendra il” (fol. B3r)
Cela laisserait entendre que les ajouts à la Préface auraient pu venir du texte perdu de Nostradamus ainsi commenté par Videl ou du texte même de Videl. On retrouve d’ailleurs chez Couillard un passage relatif à une « anaragonique révolution », ce qui reléve de la même source Roussat. Comme on ne saurait concevoir que Videl prête à Nostradamus des développements qui n’auraient pas existé, force est de constater que les ajouts concernant Roussat dans la Préface à César ont leur justification au regard de la production de Nostradamus et par voie de conséquence les quatrains qui dérivent de la prose du Livre du dit Richard Roussat, chanoine de Langres.

II Les épîtres centuriques « authentifiées » par la critique.

Nous montrerons que si l’épitre au Roi de 1556 est authentique et authentifiée par l’almanach pour 1556, la version 1558 ne l’est que par Antoine Crespin, dans les années 1570 qui s’y référe. Quant à la préface à César, nous pensons qu’elle n’a jamais existé avant les années 1580.

A à César

Pour ce qui est de la Préface à César, l’on sait qu’un adversaire de Nostradamus sert de « garant » – pour employer l’expression de Robert Benazra), il s’agit d’Antoine Couillard, seigneur du Pavillon Les Lorriz, auteur de Prophéties, parues, selon le titre, en 1556, en fait moins d’un an après la dite Préface ouvrant le premier volet des Centuries. On nous présente ce texte comme une sorte de pastiche ou de satire de l’Epitre de Michel de Nostredame à son très jeune fils, César et de fait Couillard mentionne le nom de César dans son texte. D’aucuns ont cru que cela suffisait à prouver carrément que les Centuries étaient parues à cette date puisqu’elles étaient introduites par la dite Préface.

Arrêtons-nous sur le privilège accordé au libraire, figurant en tête du texte de Couillard de 1556 :

A monsieur le Prevost de Paris ou son Lieutenant Civil

Recouvert certaine copie cy attachée intitulée Les Prophéties du Seigneur du Pavillon les Lorriz

4 mai 1556

Et comparons –le à celui figurant en tête du volume qu’il est censé commenter :

« recouvert certain livre intitulé Les Propheties de Michel Nostradamus

30 avril 1555

Nous trouvons là, on nous l’accordera quelque similitude entre ces deux documents dont on peut douter de l’authenticité, d’autant que tous deux comportent, en bas de la page de titre ‘Avec privilége ». Signalons que la présence de privilèges dans la production centurique est rarissime. On trouve souvent « avec permission » mais cela ne correspond à rien, comme dans le cas des éditions Benoist Rigaud 1568. Pour les éditions Antoine du Rosne 1557, on ne prend même pas la peine de l’annoncer..

Autre parallèle ; le jour et le mois du privilège Couillard , 4 mai 1556 correspondent à l’achevé d’imprimer Macé Bonhomme, au 4 mai 1555..

Cette formule utilisée dans les privilèges nous semble assez insolite et encore plus si l’on rapproche les deux passages. Le parallèle est en tout cas saisissant comme si les deux formules avaient été comme réalisées conjointement, en quelque sorte comme les deux volets d’un seul et même diptyque.

Rappelons que Couillard est, par ailleurs, l’auteur de « Contreditz à Nostradamus » (Paris, 1560) dont les Prophéties se présentent comme une sorte de prologue. Est-ce que cela n’aura pas contribué à choisir le dit Couillard pour servir de garant pour la Préface à César ? Il suffisait pour cela d’imaginer qu’il réagissait, avec plus ou moins de virulence, à quelque publication de Nostradamus, ce qui avait été avéré. Le critique n’est-il pas le témoin idéal ?

On notera d’ailleurs la similitude des constructions au titre

  1. Les Contreditz du Seigneur du Pavillon lez Lorriz en Gastinois aux faulses & abusives prophéties de Nostradamus & autres astrologues, Paris, Charles L’Angelier (BNF)

1556 : Les Prophéties du Seigneur du Pavillon Lez Lorriz , Paris, (BNF).

Le nom du Sgr du Pavillon est donc tronqué puisque la formue « en Gastinois » manque.

On notera que le nom d’Antoine Couillard ne figure pas au titre. Mais dans les Contreditz, le nom de Couillard figure dans une épître. Il ne figure nulle part dans les Prophétie21s, ce qui explique qu’elles ne furent pas associées au nom de Couillard dans le catalogue de la BNF et de ce fait non signalées par Michel Chomarat dans sa Bibliographie Nostradamus/

Si l’on étudie le contenu des Prophéties du Sgr du Pavillon Lez Lorriz (sic), à la lumière de nos travaux sur les versions successives de la Préface à César, que le dit Couillard appelle Epitre, nous observons que Couillard mentionne un passage emprunté à Roussat à propos de l’anaragonique révolution. Or, ce passage appartient à la partie interpolée de l’épître, celle qui ne figure pas dans la version Besson. De la même façon, la référence à « Martial », censée faire écho, par transposition, aux « mois martiaulx » ne figure même pas dans la traduction anglaise de 1672 qui correspond à un premier état interpolé. Nous en déduisons que la version que Couillard accrédite n’a pas été heureusement choisie et enlève beaucoup de vraisemblance à l’opération de montage.

Benazra (in « Les garants ») fait d’ailleurs une remarque assez édifiante à propos de la formule «"par amphibologies obstrusement, profondement & par figure nubileuse perplexes sentences", en observant une même formulation dans la Lettre à Henry Second. Nous y voyons plutôt l’indication de ce que la rédaction de cette contrefaçon s’effectua à une époque, où l’on connaissait la dite Epitre au Roi, c'est-à-dire dans les années 1590..

Nous avons déjà mentionné, en suivant les propos de R. Benazra, l’importance des informations figurant dans la Déclaration des abus , ignorances et séditions de Michel Nostradamus, Avignon, chez Pierre Roux, de Laurent Videl pour les fabrication de la Préface à César et dans la foulée pour celle des Prophéties de Couillard qui sont censées en être une sorte de commentaire. Videl nous donne des extraits d’un ouvrage de Nostradamus mais il ne s’agit pas de la Préface à César comme on voudrait nous le faire accroire et d’ailleurs Videl ne cite même pas le nom de César. Il aura semblé aux faussaires, de construire la Préface à partir de la Déclaration de Videl s’en prenant à un texte qui semble bien consister en des Prophéties Perpétuelles. Grâce aux extraits de Videl, l’on pourrait reconstituer du moins en partie ces Prophéties de Nostradamus qui n’ont rien à voir avec la forme des Centuries. Mais les dits extraits se retrouvent en revanche dans la Préface, même celle, si bréve, parue chez le libraire Antoine Besson.

Nous proposons donc le scénario suivant. A partir du texte de Videl, se réalise une première mouture de l’Epitre centurique à César :

Déclaration de Videl :   "Tu donc Michel as composé (comme tu dis) livres de prophéties & les as rabotez obscurement, & sont perpetuelles vaticinations (...) O grand abuseur de peuple, tu dis que tu as faict de perpetuelles vaticinations, & apres tu dis qu'elles sont pour d'icy a l'an 3797. Qui t'a assuré que le monde doyve tant durer ? N'est tu pas un assuré menteur ? Car les anges mesmes n'en scavent rien" (fol. D4v - E1r). 

Cela devient dans la version bréve de la Préface à César, recueillie par Besson. On passe du « tu » au « je » :

« J’ay composé Livres de prophéties , lesquels j’ay voulu labourer (sic) un peu obscurément  contenant chacun cent quatrains astronomiques qui enveloppent (sic) perpétuelles vaticinations pour d’icy es années 1767 (sic, pour 3797) »

Que l’on comparera à la version longue de l’Epitre à César telle qu’elle figure dans les diverses éditions des centuries :

« J’ay composé Livres de Prophéties contenant chacun cent quatrains astronomiques de prophéties ,lesquelles j’ay un peu voulu raboter obscurément & sont perpétuelles vaticinations pour d’icy à l’année 3797 »

On notera que la version Besson comporte des variantes plus importantes que la version « canonique » par rapport à la source Videl, outre le changement d’année. Sur des points de détail, la version Besson comporte en effet certaines variantes- y compris dans la construction de la phrase - qui lui sont propres. C’est sans importance par rapport à notre propos ici. Ce qui est frappant c’est le passage de « Tu donc Michel as composé livres de prophéties » à « J’ay composé Livres de prophéties », de « les as rabotez obsvurément » à « J’ay voulu un peu raboter obscurément » etc. La transposition est assez flagrante. Et l’interpolation également ;

« Livres de prophéties contenant chacun cent quatrains astronomiques de prophéties » - le terme centurique n’est pas employé. En effet, Videl n’évoque pas le contenu des dits « livres de prophéties » et cela est bien fâcheux pour ceux qui voudraient que Videl ait eu sous les yeux l’Epitre à César, dont d’ailleurs, il ne prononce pas le nom.

Ensuite, l’on créer le texte de Couillard qui est censé dérivé de l’Epitre à César :


- Prophéties de Couillard :   "Non pas que j'entende & veuille parler de perpetuelles vaticinations pour d'ici à l'an 3797" (fol. D4v)

.Mais Couillard est en quelque sorte mieux informé – et pour cause- de la Préface à César et il en donne cet extrait

- Prophéties de Couillard :   "puisque noz nouveaux prophetes nous menassent que le monde s'aproche d'une anaragonicque revolution, & qu'il perira si tost" (fol. D4v)

- - Lettre canonique à César :   "Car selon les signes celestes le regne de Saturne sera de retour, que le tout calculé, le monde s'approche, d'une anaragonique revolution" (fol. B3v)


 

Or ce passage, fait partie de ce qui sera interpolé – pris de Roussat- dans la dite Epitre et ne figure pas dans la version Besson.

Il en est de même de la forme « mois martiaulx » qui est répercutée, nous dit-on, chez Couillard par « mon fils Martial »- ce qui est au demeurant assez incongru- laquelle forme est tardive, puisque non attestée par la version anglaise Garencières – mais ce point n’est pas déterminant car la version anglaise peut être lacunaire sur ce point - qui s’appuie sur un état plus ancien et moins corrompu de la version longue de la Préface. Là encore Videl ne fournit pas cette donnée sur les « mois martiaulx » et ne fait pas la moindre allusion à l’enfant confronté à un savoir qui ne peut que le dépasser.

Besson : « Et que tes ans jouvenceaux incapables à recevoir »

Version canonique : « mais tes mois Martiaux incapables à recevoir »

Version Garencières : But thy months are incapable to receive »

On voit donc l’usage qui aura été fait –et d’ailleurs au départ à juste titre- des attaques contre Nostradamus, lesquelles restituent par ailleurs en partie les Présages Merveilleux pour 1557, au sein du Recueil des Présages Prosaïques, grâce au Monstre d’abus de La Daguenière. L’interpolation dans le texte de Videl de la référence à César pour produire les Prophéties du Seigneur du Pavilon et la préface à César, est assez manifeste et ressort du travail comparatif de R. Benazra :

Videl -:
« Tu dis que prophete veut dire prevoyant pource qu’en Samuel est escrit celuy qui s’apelle aujourdhuy prophete s’apelloit jadis voyant : mais il est certain qu’ilz voyaient ce que Dieu leur revelloit par son esprit” (fol. D3v - D4r)

Préface à César  avec passage à nouveau du « tu » au « je »  et la mention « mon fils » répétée dans une seule et même phrase :

« Encores mon filz que j’ay inséré le nom de prophete, je ne me veux atribuer tiltre de si haulte sublimité pour le temps present : car qui propheta dicitur hodie, olim vocabatur videns : car prophete proprement mon filz est celuy qui voit choses loingtaines de la cognoissance naturelle «

On pourrait compter le nombre de fois où l’on aura placé « mon fils » dans la Préface :

  1. Ton tard advenement César Nostradamus mon fils

  2. Mais mon fils je te parle icy un peu trop obstrusément (sic pour abstrusément)

  3. Je ne dis pas mon fils afin que bien l’entendes

  4. entendant universellement par toute la terre mon fils

  5. Mais à celle fin mon fils que je ne vague

  6. Viens à ceste heure entendre, mon fils

  7. Faisant fin, mon fils, prends donc ce don

En fait, ce ne sont pas nécessairement les documents qui constituent des faux mais l’usage ultérieur qui en est fait par les commentateurs, jusqu’à nos jours. En réalité, tout repose sur le fait que Couillard cite le nom de César au détour d’une phrase sans indiquer aucunement que le dit César est le dédicataire d’une quelconque Epitre. De là à conclure que Couillard atteste de l’existence et de la Préface à César et des premières éditions des « Centuries », cela reléve du roman historique.


 

B Au roi Henri II

Dans le Recueil des Présages Prosaïques, Chavigny reconnait s’être servi du pamphlet de La Daguenière pour reconstituer partiellement un texte qui aurait disparu de sa collection. L’affaire est assez obscure, quand on y réfléchit. :

1557 :; « D’un autre présage sur la mesme année qui ne se trouve point, dédié à la Magesté du Roy Tres Chrestien. Passages sugillez et calomniez par un des haineux de l’auteur pour ne les avoir entendus, et retirez d’un sien livre imprimé à Paris 1558. (B. Chevignard, Présages de Nostradamus, op cit. p. 283). ? Ne s’agit-il pas d’une volonté d’authenfier la fausse Epitre à Henri II, de la même année 1558. ?

Autrement dit, il s’agirait d’un ouvrage dont on n’aurait eu connaissance que par la lecture du Monstre d’abus de La Daguenière, Paris, Barbe Regnault, 1558. Ce qui témoigne, en tout état de cause, d’un examen fort attentif par Chavigny et probablement par d’autres de la production tournant, de près ou de loin , autour de Nostradamus, et ce qui signifie que l’accès à la dite production pouvait se faire, ce qui implique l’existence, déjà à l’époque, de bibliothèques spécialisées dans les nostradamica..

Ce texte est important puisqu’il concerne une Epitre à Henri II, qui ne nous est pas restituée du fait qu’elle ne figure pas dans le Monstre d’abus, mais il s’y réfère cependant pour se gausser d’une telle impertinence. Si cela n’avait pas été le cas, Chavigny ne mentionnerait pas ce point. .Mais le lecteur du second volet des Centuries sait que celui-ci est introduit par une telle épître, datée de juin 1558. mais qui renvoie à 1557 : « accomençant par le temps présent qui est le 14 de mars 1557 ». Rappelons qu’à cette époque, le changement d’année s’opérait autour du mois de mars et d’ailleurs la Préface à César est datée du Ier Mars 1555. Mais si elle avait été datée de février 1555, elle aurait été, pour notre calendrier actuel, de 1556, comme dans le cas des Prophéties de Couillard (cf infra) dont les épîtres sont datées de janvier 1555, qu’il faut évidemment lire 1556, comme le note d’ailleurs Olivier Millet.. En ce qui concerne les épîtres de l’almanach et de la pronostication pour 1557, la mention « janvier 1556 » doit être comprise « 1557 », donc peu avant le 14 mars 1557 qui est le point de départ annoncé de l’Epitre au Roi. Mais il n’est pas dit ici, dans le Recueil, que la dite Epitre au Roi introduisait des Centuries et les extraits qui sont donnés ne recoupent nullement les quatrains du second volet ni d’ailleurs du premier. Tel n’était probablement pas le propos car le phénomène centurique, à partir des années 1590 est compilatoire, il ne prétend nullement restituer un ensemble qui aurait été pensé comme d’un seul tenant dès le départ. Il s’agit de recueillir les pièces les plus diverses. Certes, par la suite, probablement du fait de retouches, l’on aura introduit ponctuellement, dans l’Epitre centurique à Henri II une référence aux centuries, mais cela se sera fait après coup lorsque l’on sera passé, comme cela s’observe de façon cyclique, par une phase de toilettage qui alterne avec une phase de récupération et d’addition, alternance qui peut parfois déconcerter et égarer mais qui s’observe dans bien des domaines, hors du champ centurique..

En tout état de cause, la thèse selon laquelle il aurait existé deux moutures successives de l’Epitre à Henri II, diversement datées semble difficile à tenir du moins dans l’esprit des agents concernés, d’autant que la seconde ne renvoie pas à la première alors qu’elle renvoie à la Préface à César de 1555. Il semble bien que l’on cherche ici à accréditer la thèse d’une Epître au Roi qui aurait bel et bien été écrite par Nostradamus de son vivant et bien entendu avant la mort tragique du souverain en 1559.

Un autre lien entre le Monstre d’Abus et le second volet des éditions centuriques tient au fait- signalé par Pierre Brind’amour (Nostradamus astrophile) que le titre complet, à commencer par La Daguenière, qui est un nom de lieu, emprunte assez massivement à la Guide des Chemins de France de Charles Estienne, qui est, comme on le sait, une des sources connues et reconnues de quatrains appartenant au dit volet, introduit par la dite Epître.

Que conclure de ces remarques ? A comparer l’Epistre au Roi des Présages à celle des Centuries, on reconnait un schéma introductif semblable 

« vous consacrer les présages de l’an mil cinq cens cinquante et sept »

Je voudrais consacrer ces miennes premières (sic) prophéties et divinations parachevant la miliade

Mais même si l’on compare avec le texte le plus dépouillé, celui de l’édition Besson, force est de constater que le texte a été largement réécrit.

C’est en tout cas le seul exemple sur l’ensemble des pièces nostradamiques du XVIe siècle où mention est faite au titre d’une dédicace au Roi. Elle ne figure en aucune façon sur l’une ou l’autre des pages de titre des éditions à dix centuries. Un des rares exemples au XVIIe siècle est en 1603, à Paris, chez Sylvestre Moreau, celui de la Nouvelle Prophétie de M. Michel Nostradamus (…) Dédié au Roy, sans autre précision. Etrangement, si Benazra ou Chomarat mentionnent dans leurs bibliographies, pour l’année 1557, les Présages Merveilleux pour 1557, il ne semble pas qu’ils aient eu conscience que cela comportât une épître au Roi à confronter avec celle des Centuries.(voir Benazra, RCN, pp. 35 et seq). Pourtant le début de l’épître est reproduit, en fac simile, dans le Testament de Nostradamus de D. Ruzo. Le débat n’est pas tant, à ce stade, en quelle année réellement fut publiée une édition comportant cette épître mais de quelle année elle était datée, au départ. Car s’il peut exister plusieurs éditions d’un même texte, il est moins commun qu’un texte porte deux dates distantes de plus d’un an.

Pourquoi aura-t-on éprouvé lé besoin non seulement d’amplifier, de remanier le texte, de le faire introduire des centuries - ce qui se conçoit selon une certaine logique – mais de changer la date de l’Epitre, de la décaler de plus d’un an. ? Nous pensons que cela pourrait tenir à la Vie de Nostradamus qui situe par erreur le voyage de Nostradamus en 1556 et non en 1555. Dès lors, l’épitre de janvier 1556 pouvait sembler suspecte pour des faussaires ignorant que janvier 1556 doit se lire janvier 1557. Mais à la fin du siècle, ce genre de subtilité était déjà de l’histoire ancienne, le changement de pratique datant de 1564. En fait, l’épitre au roi aurait bel et bien pu rester datée de « janvier 1556 », sans cet excès de zèle ou de scrupule qui dénote en tout cas une certaine conscience professionnelle.

. Ce serait en tout cas une erreur de considérer l’entreprise nostradamique comme n’obéissant qu’à une seule et même logique. Plusieurs initiatives auront ainsi cohabité et se seront croisées et à un certain stade, comme lorsque se constitue un canon –comme le canon biblique- des choix sont faits de ce que l’on garde ou ne garde pas, des arbitrages rendus quand il y a des doubles emplois trop évidents. Nous avons évoqué la possibilité selon laquelle l’Epitre à Henri II n’avait peut être même pas été la seule option, qu’une autre épître avait pu être en lice, celle qui nous est connue sous le nom de Significations de l’Eclipse pour 1559.

Quant à l’ouvrage cité dans le Recueil (cf B. Chevignard, Présages, p. 283), du Monstre d’abus de La Daguenière, pour ses passages repris des Présages Merveilleux, il a été noté par P. Brind’amour qu’il avait puisé à la même source que divers quatrains du second volet (centuries VIII, IX, X). L’utilisation d’Estienne peut avoir daté de la fin du XVIe siècle : précisons, en effet, que si l’ouvrage est d’abord paru en 1552, on le trouve, par exemple, en 1600, ce qui est assez proche de la date qui nous semble probable, en version augmentée, à Rouen, chez T. Daré sous le titre :  La grand Guide des chemins pour aller et venir par tout le royaume de France, avec les noms des fleuves et rivières qui courent parmy lesdicts pays, augmenté du voyage de S. Jaques, de Rome et Venise (BNF Res. L 25-82). Or, nous avons montré22 que les quatrains empruntés à Estienne ne concernaient pas uniquement les itinéraires français mais aussi ceux situés au-delà des frontières du Royaume, tant en Espagne qu’en Italie.. D’ailleurs, la date de parution du Monstre d’abus - 1558- est bien tardive pour réagir aux Présages Merveilleux paru au début de 1557. Ne s’agirait-il pas là avec le Monstre d’abus de la fabrication d’un garant de l’épître à Henri datée du mois de juin de cette même année 1558 ? Nous pensons que la rédaction même du Monstre d’Abus pourrait dater de la fin du XVIe siècle. Ce serait donc vers 1600 que l’on aurait composé et l’Epitre à Henri II 1558 ; et le Monstre d’Abus ainsi qu’un certain nombre de quatrains centuriques du second volet.

En 2002, nous avions signalé 23qu’Antoine Crespin mentionnait, à deux reprises, bel et bien une épitre au Roi datant de 1558 – c’était la première fois que l’on trouvait un « garant », en dehors des éditions centuriques, pour ce texte. « Regarde une prophétie qui est faite le 27 jour de Iuing 1558 à Lion, dédiée au feu Henry grand Roy & Empereur de France, l’autheur de laquelle prophétie est mort & décédé’: Epître envoyée à M. Crespin Nostradamus (..) par les six philosophes d’Egipte & l’astrologue du grand seigneur de Constantinople, 1573, Vienne, chez Nicolas Martin et Epistre à la Royne Mère du Roy, Lyon, Benoist Rigaud, 1573, donc à la veuve d’Henri II, Catherine de Médicis. C’est l’occasion de rappeler ce que nous avions développé dans notre post-doctorat ( 2007) le rôle que joua le libraire Rigaud dans la diffusion de l’entreprise crespinienne sinon dans celle de Michel de Nostredame. C’est en fait, probablement, cet engagement dans le processus néo et pseudo nostradamique qui aura abouti à conférer au dit Rigaud la place qu’on lui connait. Cela dit, nous pensons que cette production est plus tardive que nous l’indiquent les pages de titre. Elle place Rigaud au service non pas de la Ligue mais du parti d’Henri de Bourbon, dont on sait que l’épitre à Henri II 1558 ouvre des centuries qui clament haut et fort la victoire du dit prince. Soulignons aussi le fait que le même Crespin truffe ses publications d’éléments que l’on retrouvera dans les centuries. C’est manifestement le cas des Prophéties dédiées à la puissance divine & à la nation française, Lyon, chez François Arnoullet., 1572.Nous avions d’ailleurs en 2002 émis l’hypothèse selon laquelle certains textes de Crespin auraient été récupérés pour contribuer à la réalisation de certaines centuries. Mais la présence dans les dites Prophéties de quatrains appartenant aux dix centuries ne place-t-elle pas, ipso facto, une telle production dans les années 1594, date à laquelle des ensembles rassemblant toutes les centuries paraissent et sont commentées par un Jean Aimé de Chavigny, dans le Janus Gallicus à moins cependant que Crespin n’ait inspiré les rédacteurs des deux volets ? . En 2005, dans une communication à Jérusalem, au Congrès Mondial des études juives, nous avions traité de Crespin en rapport avec la question de la papauté, notamment autour du verset « Roy de Bloys en Avignon régner », qui semble bel et bien relever d’une sensibilité réformée.

Dans cette même édition de 2002, nous avions déjà noté la présence de l’an 1585 chez Crespin : (p/ ;83) : « Crespin accordait la plus grande importance à l’an 1585, en relation avec une grande conjonction » Rappelons ce passage de l’Epitre à Henri II : »mesmes de l’année 1585 & de l’année 1606 » (mention absentes dans la version Besson).

On relèvera dans la production néo-nostradamique prétendument des années 1570 le nombre de cas qui renvoient aux années 1584-1585 : cela tient au processus de ces prophéties à long terme qui entendent couvrir de nombreuses années – jusqu’à 20 ans - et qui généralement commencent vaguement par « à partir de la présente année » avec point d’arrivée la décennie suivante :

Rouen, Pierre Brenouzer, 1568 : « Prédictions pour vint (sic) ans, continuant d’an en an iusques en l’An mil cinq cens quatre vingt trois (…) par Mi. De Nostradamus le Jeune. (BNF, RCN, p. 90)

Troyes, Claude Garnier, sans date : «  Prédictions (…) depuis cette présente année iusques à l’An mil cinq cens quatre vingt & cinq (..) par M. Nostradamus le Jeune (BNF)

Paris, Nicolas du Mont, 1571, Présages pour treize ans, continuant d’an en an iusques à celuy de mil cinq cens quatre vingt trois (..) par M. Nostradamus le Jeune (Bib. Ste Geneviève)

Paris, Martin le Jeune, Epistre dédiée (à) Charles IX, par Antoine Crespin (…) iusques en l’année 1584 »

(BNF)

Lyon, Benoist Rigaud,1573  : Epistre à la Royne Mère du Roy (..) par Antoine Crespin (..) d’un déluge (..) qui doit venir l’an 1583 (BNF)

Vienne, Nicolas Martin, idem (BNF)

Lyon Benoist Rigaud : Prédictions des choses plus mémorables (..) jusques à l’an 1585 (..) par M.Mich. Nostradamus le Jeune

De là à conclure que nous sommes là encore en face d’éditions qui se veulent plus anciennes qu’elles ne le sont réellement, il n’y a qu’un pas que nous serions tentés de franchir. Le stratagème est simple : sous prétexte de présenter une suite de pronostications sur toute une série d’années, seules les années finales sont à lire. Il en est de même d’ailleurs pour les centuries, où les quatrains les plus significatifs étaient les derniers, d’où l’augmentation incessante du nombre de quatrains de la Ive centurie puis de la VIIe centurie. On nous fera remarquer qu’il y a comme une progression : on commence avec pour terme 1583, puis l’on passe à 1584 et 1585. Cela tendrait à montrer que ce n’est pas la mort du duc d’Alençon qui est ici déterminante car celui-ci était porteur d’espérances de réconciliation. Il serait mort au mauvais moment, c'est-à-dire à l’époque où le mouvement prophétique voulait le mettre en orbite. C’est en surfant sur ce phénoméne que vraisemblablement Benoist Rigaud aura entamé le revival salué par Du Verdier dans sa Bibliothèque de 1585. Il nous semble que l’on aura ajouté 1606 à côté de 1585 quand l’an 1585 ne fut plus d’actualité, en faisant ainsi non point une année d’arrivée mais une date de départ. Cela implique que l épitre à Henri II ainsi retouchée est postérieure à 1585. Il existe d’ailleurs des versions de la dite épitre où l’interpolation d’une date supplémentaire est particulièrement manifeste, les deux années se jouxtant, avant que l’on ait trouvé une présentation plus acceptable. C’est le cas du second volet, daté de 1590, de l’édition parue à Caors (sic), chez Jaques sic) Rousseau et conservée à Rodez. (RCN, p 126 et seq). Cette édition parue sous le titre de Prophéties de M. Michel Nostradamus pourrait être la plus ancienne parmi les éditions dix centuries conservées, ‘elle est fort proche dans sa présentation du titre placé en tête du premier volet mais renvoyant au second « adioustées de nouveau par le dict autheur », de l’édition Antoine du Rosne, 1557 Utrecht, dont manque le second volet.

L’année 1606 coïncide peu ou prou avec la date de l’Epitre à Henri IV de 1605, en tête du troisième volet troyen. Le basculement d’une vingtaine d’années – 1583/4/5 vers 1605/1606 nous apparait comme marquant un nouveau stade dans le développement du corpus centurique.

III La composition des Significations

L’année 1605 -« adviendra l’an 1605 que combien le terme soit fort long « - figure dans l’épitre à Jacques-Maria Sala qui nous est parvenue sous le titre de Significations de l’Éclipse qui sera le 16 septembre 1559 (de) laquelle sera sa maligne extension inclusivement iusques à l’an 1560, diligemment observées par Maistre Michel Nostradamus docteur en médecine (..) avec une sommaire responce à ses détracteurs 24, Paris, Guillaume Le Noir, et datée de 1558 comme l’Epitre à Henri II renvoie elle aussi au début du XVIIe siècle : 1605 au lieu de 1606..

Nous avons montré qu’outre une interpolation, résultat d’un emprunt à l’Eclipsium de Leovitius, pouvant être considéré comme ayant annoncé la menace par une blessure à l’œil de quelque prince, du fait des effets de l’étoile fixe Antarès, l’on y avait placé un texte anti-nostradamique que nous n’avons pu retrouver ailleurs, lequel texte s’en prend précisément aux Présages Merveilleux de 1557. La date du 16 septembre 1559 qui figura au titre relève d’un procédé tout à fait inhabituel dans la production de Nostradamus, du moins telle qu’elle nous est parvenue. En réglé générale, une année est avancée au titre et non pas un jour précis. Or, ce jour est proche de celui de la mort d’Henri II  laquelle était survenue deux mois plus tôt, en juillet 1559.

. Nous avons émis l’hypothèse selon laquelle cette Epître aurait pu servir à introduire certaines centuries du second volet avant d’être remplacée par l’Epitre à Henri II, les deux textes étant datés de 1558, à quelques semaines d’intervalle.

Le procédé est assez étonnant vu qu’on attribue dans les Significations cette diatribe à Nostradamus, qui en était en fait la cible. Dès le titre, on annonce que Nostradamus va répondre à ses détracteurs et pour ce faire on n’aura rien trouvé de mieux que de recycler une attaque dont il avait été l’objet. En fait, à la lecture de ce passage, on s’aperçoit assez vite de la supercherie à moins d’imaginer qu’il s’en prenne à d’autres astrologues, ce qui va accréditer la thèse selon laquelle certains textes dirigés contre lui seraient le fait de confrères.

Or, le passage en question pourrait correspondre en effet à une véritable attaque contre Nostradamus et ses Présages Merveilleux dont aurait pu s’inspirer le rédacteur du Monstre d’abus signé Jean de La Daguenière. Ce qui est clair, en tout cas, c’est que les faussaires avaient une pratique de cette littérature de « haineux » de Nostradamus. Mais ne serait-ce pas plutôt une allusion aux Grandes et Merveilleuses Prédictions, titre qui sera utilisé à Rouen et à Anvers, entre 1588 et 1590, pour désigner les quatrains centuriques ? Le titre Présages Merveilleux associé à une épître à Henri II n’est pas sans évoquer le second volet introduit par la dite Epitre. Ne pourrait-on considérer que cet intitulé était utilisé par le camp d’Henri IV alors que Prophéties l’était par le camp ligueur  mais qu’à un certain stade, le titre aurait été repris, pour créer quelque confusion, à Rouen et à Anvers, avec un contenu tout autre ?

Mais quelle est la place de la polémique dans la production du dit Nostradamus ? Dans les Significations, justement, figure au sous titre la mention : Avec une sommaire responce à ses détracteurs. Or cette réponse consiste en grande partie dans ce texte emprunté à l’un d’entre eux:

« O la grosse bestiasse , tu ne saurais contredire que tu ne le sois & bien gros pour avoir inséré en tes ignares & sans savoir avoir advertissement que tu as pris de Boccace dans la généalogie des dieux ou il parle des poétiques narrations (…) Tu veux aussi estre cornu au principe, comme tu es à la fin du sac mais scais tu que tu seras philosophe avec tes pronostiques que tu dis estre merveilleux ( …) comme tu es loing de bon sens & de foi chrestienne  (…) » C’est ensuite Nostradamus qui poursuit, apparemment, visant l’Hercule François ; «  Or je suis prédestiné en cet estre que tous ceux qui à l’encontre de moy escrivent sont totalement «bestes brutes, asnes hebetés & déceuz grandement de toute leur voye (…) comme il a esté si outrecuidé desoy attribuer le surnom d’un si vaillant personnage comme Hercules Galleus » 25» . Il s’en prendrait donc ici à Videl.

Mais dans la Grande Pronostication Nouvelle pour 1557, l’on trouve au titre «  Contre toux ceux qui tant de fois m’ont fait mort. »

Cette pièce reprend le motif des Pronostications de Nostradamus telles qu’elles nous sont connues pour les années 1555,(collection Ruzo, page de titre in Testament de Nostradamus) 1557(Musée Arbaud, Aix en Provence), 1558 (Bib. La Haye) et 1562 (Vente Ruzo, Catalogue Swann n°18), ce qui fait quatre occurrences. En ce qui concerne la pronostication pour 1559, nous ignorons son apparence. Au delà, seuls des almanachs de Nostradamus, donc sans vignette, nous sont connus, si ce n’est les almanachs pirates de Barbe Regnault qui comportent un autre type de vignette.. La formule de la Pronostication paraissant parallèlement à l’almanach est abandonnée, l’une étant organisée selon les saisons, du printemps jusqu’à l’hiver et l’autre de janvier à décembre.

Pourquoi, dans ce cas, les Significations comporteraient-elles la vignette réservée aux Pronostications ? Il nous semble en effet qu’il ait existé un cloisonnement assez strict. Pour le public, les Pronostications constituaient probablement le fer de lance de la production nostradamique et d’ailleurs la partie la plus susceptible d’attaques de la part des gardiens du « bien public », comme Videl alors que l’almanach avait pour lui la tradition du calendrier et du cycle soli-lunaire, même si les quatrains lui étaient réservés, les pronostications en étant totalement dépourvues.

Comme pour les Présages Merveilleux qui s’alignent sur la production du libraire parisien Jacques Kerver, les Significations s’en tiennent à la présentation propre à Guillaume Le Noir, et la Pronostication nouvelle pour l’an 1558, parue chez ce même libraire, pourrait bien avoir servi de modèle, vu que nous ne disposons pas de la Pronostication pour 1559. La partie inférieure de la page de titre est inchangée mais l’une a un privilège comme indiqué en bas de la page de titre alors que l’autre n’en a pas, et ce en dépit de la même annonce. Cela dit, en raison de la lourdeur du titre complet des Significations, les caractères en sont sensiblement plus petits.

On nous objectera que le public n’avait que faire d’un texte concernant les années 1559 et 1560. L’on pourrait aussi dire qu’il n’avait que faire d’épîtres datées de 1555 ou de 1558. Et c’est pourquoi certains ont prétendu que de tels textes avaient du, pour le moins, commencé à paraitre au moment de leur rédaction. Or, toute l’entreprise centurique est fondée sur un tel anachronisme, et cela vaut plus généralement pour le prophétisme qui tend à s’articuler sur des textes aussi anciens que possible.

Selon nous, la seule justification des Significations fut qu’à un certain stade, l’on pensait les intégrer au sein du canon centurique. Or, pour quelque raison, tel ne fut pas le cas. Ce texte fut basculé du côté des Pronostications et almanachs en prose et seules deux épîtres – centuriques - échappèrent à une telle relégation. Le cas des Significations est d’ailleurs très particulier puisqu’elles ne s’apparentent pas à la catégorie des publications annuelles. Alors que les Présages Merveilleux ont au moins le mérite de comporter une Epitre au Roi, en dépit de leur caractère également atypique, les Significations consistent en une épître au vice-légat d’Avignon ? Jacques Maria Sala. En fait, les Significations ont le même statut additionnel parmi les productions pour l’an 1559 que les Présages Merveilleux pour l’an 155726.

On fera quelques observations supplémentaires concernant ce titre alambiqué et en soi assez atypique. D’ abord, le mot même de Significations, qui est ici synonyme de « Commentaires », terme qui lui est préféré et qui sera largement utilisé en 1594-1596 par Jean Aimé de Chavigny. Nostradamus est présenté comme « commentateur » des données astronomiques et nullement comme prophète et d’ailleurs son épitaphe le présente comme le plus « digne de tracer et rapporter aux humains selon l’influence des astres les événements avenir par dessus tout le ronde de la Terre » ( Vie de Nostradamus) Tout l’appareil astronomique- on l’ a vu à propos du Recueil de Présages Prosaïques – nous apparaît comme surajouté au texte proprement dit de Nostradamus qui semble être, à la base, une combinatoire de courts oracles, figurant dans le calendrier de ses almanachs , jour par jour et qui importait plus que les quatrains mensuels, de telles formules lapidaires étant par ailleurs typiques des Vaticinations Perpétuelles, genre que fleurira encore au XVIIIe siècle, notamment sous le nom de Moult27, et souvent associé à celui de Nostradamus. Insister sur la référence astronomique permet au discours prophétique de mieux passer.28. Notons cette publication « crespinienne » :Lyon Jean Patrasson, 1576 (BNF) : Pronostication generale du ciecle Solaire qui se faict en XXVIII ans & dure perpétuellement ( BNF, RCN, p. 113)

Ensuite, nous nous arrêterons sur la façon dont Nostradamus est introduit au titre : Significations de l’Éclipse (…), diligemment observées par Maistre Michel Nostradamus docteur en médecine (..) avec une sommaire responce à ses détracteurs29, Que signifie ce pluriel : « observées » ?. Ce ne sont pas les significations qui le sont mais bien l’éclipse qui est un singulier. Quant à « diligemment », il nous évoque la littérature néo-nostradamique des années 1570 : en 1571, le libraire parisien Nicolas du Mont publie des Prédictions des choses plus memorables qui sont à advenir depuis cette présente année iusques à l’An 1584 (..) suyvant la planéte qui gouverne chacune année prinse (sic) tant des éclipses de soleil et de la Lune que du livre merveilleux de Cyprian Leovitie (..) lesquelles ont esté avec grande d’illigence (sic) mise en lumière par M. Michel de Nostradamus le jeune, Docteur en médecine (BNF cf RCN, p. 97)). Ce même Leovitius qui est utilisé dans les Significations.

On trouve, dans le même style, en 1572, chez le même libraire des Présages pour treize ans continuant d’an en an (…) lesquelles à la supplication de plusieurs ont esté à grande diligence reveues & mises en lumière par M. de Nostradamus le Jeune (Bib. Ste Geneviéve)

Nous pensons que les faussaires ont été influencés, du fait qu’ils disposaient dans leur bibliothèque de cette production néo-nostradamique ou pseudo-nostrdamique, au sein de laquelle ils étaient mal préparés à distinguer le bon grain de l’ivraie- par ce type de présentation, fabriquant du faux avec ce qu’ils croyaient être du vrai.

On est là dans un genre qui est fondé sur une attribution d’une planète à une année - et qui diffère sensiblement de par ses fondements astronomiques fictifs (du type planètes et jours de la semaine)- du travail réalisé pour les publications paraissant chaque année - et non par séries d’années - qui n’est pas attesté dans la production nostradamienne conservée mais qui a du en faire partie du fait même de la fortune qu’il connaitra chez ses imitateurs et ce dès la fin des années 1560. Cette formule « d’an en an » « suivant la planète qui gouverne chacune année », fait écho pour nous à celle que l’on trouve à la fin de la Préface à César : « Prends donc ce don de ton père (..) espérant toy déclarer une chascune prophétie des quatrains ici mis », comme si on avait remplacé « année » par « prophétie ».. A ce propos, la leçon de la version Besson de la conclusion de la dite Préface semble meilleure : « espérant à toy declarer une chascune des Prophéties & quatrains cy-mis ». Or cette expression incongrue «  prophétie des quatrains » est reprise dans toutes les versions de la Préface, à l’exception de Besson. Même dans la traduction anglaise de 1672, c’est cette nouvelle forme qui figure : « hoping to expound to thee every Prophecy of these Stanza’s » comme si chaque quatrain impliquait plusieurs prophéties.

. Il reste que, pour quelque raison, ces contrefaçons ne mentionnent pas de quatrains centuriques alors que cela aurait pu être le cas. Elles semblent ne viser que les épîtres, ce qui, selon nous, plaide en faveur de l’importance, du moins à un certain stade du processus canonique, des dites épîtres. Le seul exemple que nous connaissions d’une contrefaçon se référant explicitement à un quatrain dument cité intégralement avec mention de son positionnement, est celui de l’Androgyn, censé paru chez Michel Jove, à Lyon, en 1570, un des éditeurs par ailleurs de la Première Invective.

. Même les épîtres centuriques ne citent pas explicitement de quatrains mais comme nous l’avons montré ailleurs, nombre de quatrains dérivent des dites épîtres, dont elles sont les matrices.

Certains historiens ont quand même été surpris par ce silence des adversaires de Nostradamus concernant les centuries. C’est ainsi qu’Olivier Millet écrit : «  Videl s’en prend non pas aux Prophéties déjà anciennes de 1555 ni à celles de 1558, pas encore publiées mais aux almanachs et pronostications des dernières années »(« Feux Croisés », p. 107). En fait, Videl, un des rares adversaires de Nostradamus dont nous ne discutons pas l’authenticité de certaines œuvres en rapport avec Nostradamus, ne se référe pas, en 1558, aux « Prophéties », tout simplement parce que celles-ci ne sont pas encore parues.

 

6 - Les centuries ou le passage de l’astrologie à l’onomancie
 

Il est un point sur lequel buttent nos recherches et nos réflexions, c’est la question de l’usage que l’on était censé faire des quatrains prophétiques. Est-ce que les épîtres placées en tête des quatrains nous expliquent le mode d’interprétation proposé ? Mais qu’en était-il déjà pour les almanachs et les pronostications que Nostradamus fit paraitre de son vivant, pourquoi se les procurait-on ? Plus largement, qu’attendaient les clients de Nostradamus avec lesquels il correspondait, puisque un volume fut constitué de ses lettres (édité par Jean Dupébe, Lettres inédites, Droz, Genève, 1983) Mais comment donc, dans les années 1580 lisait-on les Centuries, comment choisissait-on les quatrains signifiants parmi tant de possibilités? Serait-on passé d’une lecture prospective à une lecture rétrospective ?

Nous partirons d’une expérience personnelle : deux moments clef de notre recherche pour déterminer la date de certains quatrains et donc, indirectement, fixer un terminus à certaines éditions comportant les dits quatrains, ont concerné deux quatrains comportant un nom de ville, Tours pour IV, 46 et Chartres pour IX. 85. Si ces noms n’avaient pas figuré, nous n’aurions pas jugé que notre analyse aurait été convaincante. Or, il est probable qu’il dut en être ainsi pour les premières lecteurs des Centuries avant que ne se mette en place un lourd appareil exégétique, une littérature spécifique dont le Janus Gallicus est la première manifestation, suivi en 1656 par le Dominicain Giffré de Réchac, avec l’Eclaircissement des véritables quatrains, paru anonymement et qui plus est très partiellement. La comparaison entre la production centurique sous la Ligue et celle sous la Fronde est frappante. Dans le premier cas, pas de commentaire, dans le second, des pamphlets se servant de quelques quatrains triés sur le volet et ne laissant plus au public une quelconque liberté de se promener à travers les rangées de quatrains, jusqu’à ce que l’œil soit attiré par quelque bosquet de mots...

Selon nous, une loi non écrite, accordait la plus grande importance aux noms propres et cela s’exprimera de façon exacerbée et caricaturale avec ces quatrains tirés de la Guide des Chemins de France de Charles Estienne, ce qu’a relevé heureusement Chantal Liaroutzos30, sans en tirer cependant toutes les implications. C’est ainsi d’ailleurs que le nom de Varennes a connu la fortune que l’on sait, par sa présence au quatrain IX 20. Pour s’intéresser à un quatrain porteur d’un nom de lieu ou de personne, il importe d’avoir quelques rudiments d’histoire ou de se situer dans une actualité immédiate. Dans les deux cas que nous avons évoqués, le quatrain Tours et le quatrain Chartres, il est clair que cela ne fait plus guère sens de nos jours, si l’on ignore ce que ces deux villes ont pu signifier dans les années 1589-1594 mais rien n’interdit de penser qu’ils pourraient à nouveau frapper les esprits s’il se passait quelque chose, un beau jour, dans ces villes.

On nous objectera qu’il est des quatrains célèbres qui ne comportent pas de nom propre. On pense à celui relatif à la mort d’Henri II  dont tant de biographes nous disent qu’il défraya la chronique, au lendemain de ce tragique événement :



 

I 35

Le lyon jeune le vieux surmontera

En champ bellique par singulier duelle

Dans caige d’or les yeux luy crevera

Deux classes une puis mourir mort cruelle.

Rien en apparence ne contraint le lecteur à associer ce quatrain, avec quelque conviction, à un tel quatrain, de toute façon composé post eventum –dès lors que l’on rejette la thèse d’une parution des Centuries du temps de Nostradamus. Mais si l’on connait le nom du malheureux adversaire, Gabriel de Lorges, comte de Montgomery, on remarque alors l’anagramme assez transparent, caige d’or, pour Orge. Le jeu de mots est assez transparent bien qu’à notre connaissance, personne ne l’ait à ce jour signalé. D’autres quatrains avec le mot « grain »- parfois changé en « grand » 31- peuvent aussi se référer à l’orge et dans ce cas, un nom commun, voire un adjectif, peut devenir un nom propre...

Citons le cas du quatrain 100 de la Vie centurie, absent de toutes les éditions antidatées (1557, 1568)

Fille de l’Aure, asyle du mal sain

Où jusqu’au ciel se void l’amphithéâtre

Prodige veu, ton mal est fort prochain

Sera captive & deux fois plus de quatre

Nous y voyons une allusion à Catherine de Médicis, fille de Laurent, d’où le jeu de mots : fille de l’Aure, la reine mère du roi Henri III meurt en janvier 1589..Ce quatrain reparait dans le Janus Gallicus et dans nombre d’éditions du siècle suivant y compris dans la traduction anglaise de 1672.

Nous avions également signalé le cas de VI, 85, donc parmi les apports les plus tardifs au premier volet puisque se situant au-delà du 83 e quatrain, qui clôturait la centurie VI des éditions parisiennes :

Premier d’esté le jour de sacre Urban.

Allusion au règne très bref d’Urbain VII, au cours du mois de septembre 1590- débutant en Eté - mais peut être paru avant sa mort de malaria. Dans ce cas, l’on aurait là une date assez nette, celle de son élection, le sacre n’ayant pu avoir lieu à temps.
 

La question des anagrammes est bien connue dans le second volet : Mendosus pour Vendôme et Norlaris pour Lorraine, si bien que tel mot incompréhensible peut se révéler renvoyer à un nom propre. Mais ces noms figurent également en clair, au sein du même second volet, à l’intention probablement des lecteurs les moins perspicaces pour lesquels il faut mettre les points sur les i.. N’oublions pas Chyren, anagramme récurrent d’Henri. A VIII, 67, c’est Nersaf pour France, qui renvoie au cardinal de France. PAR. CAR NERSAF à ruine grand discorde. Mais en VIII, 4, le quatrain est en clair : « Le Cardinal de France apparaitra. »32

On pourrait aussi citer le quatrain évoquant le Marquis de Pont à Mousson, fils du duc de Lorraine et prétendant au trône de France, lors des événements qui suivirent l’assassinat d’Henri III.

VII, 24

Grand de Lorraine par le Marquis du Pont

Cette centurie VII qui est la plus tardive du premier volet et qui est une pièce rapportée, au-delà de la centurie VI se terminant par un avertissement conclusif latin Ce quatrain figure dans l’édition d’Anvers 1590 à 35 quatrains à la VII..

On n’a pas de mal évidemment à s’intéresser aux quatrains comportant le nom de Guise : toujours dans cette centurie VII additionnelle (annoncée dans les éditions parisiennes 1588, par ses « 39 articles ») :

VII 29 le Grand de Guise se viendra debeller

Nous signalions plus haut le recours à des mines de noms de lieux, puisés dans les itinéraires élaborés par Charles Estienne. Mais ces noms peuvent être modifiés pour la circonstance. C’est ainsi que l’un de ces quatrains, IX, 86, comportant le nom de Chastres aura été retouché pour faire apparaitre celui de Chartres, cathédrale du couronnement d’Henri IV, en janvier 1594/ Mais nous sommes là au sein du second volet, lequel d’ailleurs est le seul à emprunter à Estienne, ce qui est, selon nous, révélateur de l’existence d’une certaine tradition de recours aux noms propres.

Il y a ainsi tout un codage de noms propres, comme ce verset répété ;

IX 41 Le Grand Chyren se saisir d’Avignon

Ou encore Roy de Bloys en Avignon régner.(VIII, 38 et VIII, 52)

Le cas des sixains confirme toute l’importance des noms propres : on y trouve des allusions assez transparentes à Concini, Marquis d’Ancre (sixain n°1), mais celui –ci ne devint Marquis qu’en 1613, l’anagramme de Biron en Robin (sixain 6), lequel fut exécuté en 1602, mais il est à souligner que ce texte comportait des clefs qui figurait in fine mais qui n’ont pas été reprises dans les éditions centuriques33, ôtant une partie de son intérêt au texte mais lui ouvrant de nouvelles perspectives tout au long de sa longue carrière dans le XVIIe siècle, notamment dans les interprétations du chevalier de Jant, dans les années 1670. Un cas extrême est celui du 52e sixain : « Encor un coup la sainct Berthelemy » Quant au « suc d’orange »(sixain 5), il renvoie à Guillaume d’Orange.

L’on voit ainsi que le lecteur avait quand même sur quoi accrocher son regard. Cela présente un grand intérêt pour celui qui veut dater les éditions car ces noms propres peuvent, dans nombre de cas, difficilement être mis sur le compte du hasard ou de quelque inspiration prophétique. Ces quatrains ou sixains portent en eux-mêmes leur terminus. Le cas de Concini est assez remarquable car il ne devient Marquis qu’en 1613 et il n’émerge aux côtés de Marie de Médicis, sa compatriote italienne, qu’à la mort d’Henri IV en 1610. Comment pourrait-on dès lors dater de 1605 des éditions des Centuries comportant des allusions à Concini ? C’est pour cette raison, probablement, que l’on a supprimé les clefs y faisant référence et qui accompagnaient l’édition Morgard (cf. nos Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, op. cit.). Le fait que les sixains soient précédés d’une Epitre à Henri IV datée de 1605 aura induit en erreur nombre de bibliographes. Il convient probablement de situer une telle production sous la régence de Marie de Médicis et autour de 1614, période marquée par de nombreux pamphlets anti-Conchine. Concini, comte de la Penna, est d’ailleurs probablement aussi brocardé quand il s’agit de plume (penne) Sixain VI, la plume au vent.

On nous objectera que dans nombre de cas, un nom peut valoir pour divers événements. Un prénom vaut pour plusieurs rois (Henri) ou papes (Urbain), telle ville a été au cours de son histoire le théâtre de diverses actions surtout si l’on prend en considération l’histoire antérieure à Nostradamus, sous prétexte que les centuries recyclent des chroniques des siècles passés (cf les travaux de Peter Lemesurier et l’ »effet Janus » qui associe passé et futur). Mais pour en revenir aux six exemples de lecture des quatrains que nous avons revendiqués personnellement I, 35, IV 46, VI, 100, VI, 85, VII 24, IX 86 (cf supra), nous dirons que ce que nous retenons c’est la coïncidence entre la date de publication et l’événement concerné, ce qui implique évidemment de déterminer cette date. C’est évidemment hors de question pour celui qui utilise des éditions d’un seul tenant, où l’on a fait disparaitre toute indication d’addition, ce qui est le cas des éditions Antoine du Rosne 1557, qui n’offrent aucune prise et qui de ce fait sont plus « modernes », plus achevées que les éditions que d’aucuns voudraient nous convaincre qu’elles les précédent. Il n’est évidemment pas question d’associer ici des quatrains à des événements se situant avant 1559(mort d’Henri II) ou après 1617 (assassinat de Concini)

Mais quand on nous explique qu’en 1588, le quatrain IV 46 « manque » et qu’on le retrouve dans les autres éditions, on a quand même le droit de penser que l’addition de ce quatrain coïncide étrangement avec le statut de Tours, comme rivalisant avec Paris contrôle par les Ligueurs. Quand on sait que la centurie VII se situe en fin de processus, en tant qu’addition à la centurie VI, on peut légitimement noter que le Marquis du Pont -associé dans le même verset à Lorraine- est en piste, du fait de son ascendance carolingienne prétendue- dans la course dynastique qui se joue à la fin des années 1580. Quant à l’éphémère règne d’Urbain VII, qui ne dura que quelques jours du mois de septembre 1590, il apparait dans un quatrain des ultimes ajouts complétant la centurie VI et il permet donc une très grande précision dans la datation des quatrains 84 à 100 de la dite centurie, tout comme d’ailleurs IX, 86, à propos du couronnement de Chartres, figurant dans une centurie hostile à la Ligue. Il fait d’ailleurs pendant à IV, 86, quatrain qui appartient à la partie additionnelle aux 53 quatrains qui constituèrent un temps la dite centurie et qui annonce un sacre à Reims et à Aix la Chapelle, ce qui renvoie aux prétentions lorraines, réveillées à la mort du duc d’Alençon, en 1584, ouvrant une crise dynastique, du fait de l’absence d’héritiers directs de la maison de Valois...

Avecq Sol, le Roy fort & puissant

A Reims & Aix sera receu & oingt. :

En ce qui concerne les emprunts à la Guide des Chemins de France, Pierre Brind’amour avait fait remarquer que les attaques d’un dénommé La Daguenière en étaient inspirées. Le nom même de La Daguenière jouxte même celui de Varennes34.

Ces arguments, on l’aura compris, viennent compléter notre dossier fondé par ailleurs sur divers critères parfois plus complexes à intégrer. Mais précisément, on se sert ainsi de ce qui a certainement fait le succès des dites Centuries.

Tout se passe ainsi, comme si l’on était passé des almanachs qui s’articulent sur des dates, des semaines, des mois, des années vers des centuries qui s’appuient sur des noms propres ou du moins qui doivent être lus dans ce sens, quitte à trouver des allusions au travers d’une expression apparemment insignifiante. Le nom remplace la date comme donnée prophétique majeure et l’on pourrait parler d’onomancie se substituant à l’astrologie, c’est-à-dire, ici, une divination capable d’annoncer des noms, ce qui doit être distingué de ce que l’on entendra au XIXe siècle, à savoir une façon à partir du nom de connaitre l’avenir de quelqu’un, voire de dresser son thème.35. Cette rivalité entre astrologie et onomancie est toujours d’actualité, avec l’émergence d’une numérologie. Mais, comme on l’a dit, les Centuries relèvent d’un autre type d’onomancie qui ne se maintient plus de nos jours que dans les cabinets de voyance. Un voyant est souvent admiré parce qu’il a su donner un nom propre. C’est cela qui lui confère du crédit. L’astrologue, quant à lui, ne saurait prétendre à une telle performance, du moins avec les outils dont il dispose. Au départ, il n’était peut être question que d’allusions à mots couverts à l’encontre ou en faveur de certains personnages, mais il devint commode de passer par le mode prophétique pour ce faire. Le fonds de commerce du centurisme est assurément son capital de noms propres et de tout ce qui peut être assimilé à un nom propre.

Disons un mot du cryptogramme (« adiousté depuis l’impression de 1568 ») figurant à la fin de la Xe centurie et qui se référe à l’an 1660 :

Quand le fourchu sera soustenu de deux paux (M)

Avec six demi-corps (CCCCCC) & six ciseaux ouverts (XXXXXX)

Le très puissant Seigneur , héritier des crapaux

Alors subjuguera sous soy tout l’univers

On trouve ce quatrain dès l’édition 1605. Cette date semble- on l’ a vu- très improbable en raison de la présence des sixains et des références à Concini. Mais elle l’est également par ce quatrain chiffré. Selon nous, elle serait au plus tôt à dater de la naissance « miraculeuse » du futur Louis XIV, en 1638 voire de la mort de Louis XIII en 1643, vu que l’année 1642 figure dans toutes les éditions datées de 1611, au sein du Recueil des Prophéties et Révélations, qui constitue un diptyque avec les Centuries.. Car en 1660, il aurait une vingtaine d’années, ce qui est une très jolie échéance prophétique pour un prince français36. On situe d’ailleurs la production de Pierre du Ruau dans les années 1630 (cf RCN, pp. 191 et seq) et à notre avis il conviendrait de considérer plutôt la fin de la dite décennie. De fait, le dit quatrain supplémentaire (souvent désigné comme X, 101) figure dans la dite production troyenne.

Nous ne suivrons donc pas Patrice Guinard dans son « Historique des éditions des Prophétie de Nostradamus (1555-1615) », quand il situe les éditions Chevillot au début du XVIIe siècle. (p. 116) ; « Le quatrain annonce pour 1660 (..) la suprématie de l’héritier du trône , le futur Louis XIII qui n’avait que neuf ans à la mort de son père. Mais Louis XIII décédera en 1643 bien avant la date prescrite ». Les spécialistes du prophétisme du XVIIe siècle37 savent pertinemment que les échéances données à Louis XIII étaient pour les années 1630 et certainement pas pour les années 1660. Il faut donc bien parler d’éditions troyennes antidatées – ce qui était de bonne guerre, mais il n’y a aucune bonne raison de limiter une chronologie du corpus néo-centurique à la date de 1615.

En fait, comme le note R. Benazra, à propos de l’année 1644 (RCN, pp. 198 et seq « Nous avons rappelé la mort de Louis XIII en 1643. L’année suivante, sous le régne de Louis XIV et de l’impopulaire Mazarin , commence à circuler la première édition des Prophéties d’une longue série qui se poursuivra jusqu’en 1665. Toutes ces éditions reproduisent (sic) (..) le quatrain supplémentaire (X, 101) » L’édition de Cologne, chez Jean Volcker, 1689 se référe en son titre Les Vrayes Centuries et Prophéties, aux «éditions imprimées à Lyon l’an 1644 & à Amsterdam l’an 1668 ». Il semble donc bien que la naissance tardive – ce qui n’est pas sans faire écho à la Préface à César- du Dauphin conjuguée avec les morts de Richelieu et de Louis XIII vont générer un nouvel élan centurique, dont le quatrain cryptogramme est emblématique. Il est fort improbable qu’un tel élément ait pu paraître avant cette période qui produira à son tour des éditions antidatées.(1605, 1611, 1627 et bien entendu 1568), qui émaneront notamment des ateliers troyens.

 

7 - Le revival nostradamique dans les années 1580

 

En 1653, paraissait un Dariotus Redivivus, traduction anglaise d’un traité d’astrologie paru en français et en latin, à Lyon dans les années 1550.38 On pourrait parler dans les années 1580, d’un Nostradamus redivivus. Cette notion de « revival » ne doit pas être confondue avec l’idée d’édition posthume et encore moins, on s’en doute, avec celle d’édition »du vivant » de l’auteur. Ce sont trois cas de figure bien distincts mais que l’on tend, chez la plupart des nostradamologues, à confondre. Une édition posthume est réalisée généralement au lendemain de la mort d’un auteur, elle n’implique pas que cet auteur ait été peu ou prou oublié. Mais toute édition, a priori, comporte des textes d’un auteur donné et donc rédigés sinon parus, par la force des choses, de son vivant. Une édition postérieure à la mort d’un auteur comportera donc des textes datés du temps où cet auteur était encore en vie. Ces prolégomènes peuvent sembler superfétatoires mais, dans le domaine qui nous occupe, il est toujours bon de préciser les choses.

Selon nous, au milieu des années 1580 fut orchestré un « retour » de Nostradamus, personnage qui avait été quelque peu oublié et qui avait connu un certain prestige dans les années 1550, sous Henri II. Rien n’était paru sous son nom depuis une vingtaine d’années, mais divers astrologues se revendiquaient de sa filiation, réelle ou intellectuelle. Mais un auteur qui a vécu il y a plusieurs décennies a une aura particulière, dans le champ prophétique. Une épître datée de 1555, adressée par Nostradamus à son fils César permettait de créer cet effet de perspective en ces années 1580. Mais allait-on ressortir des textes parus de son vivant ou à sa mort survenue en 1566 ? La plupart de tels textes étaient révolus, dédiés à des périodes qui n’étaient plus en prise sur l’époque. Il fallait donc à la fois faire revivre un auteur ancien tout en lui faisant tenir un discours qui ne « date » pas trop ou mieux qui soit intemporel. Le fait que l’intervalle de temps restait relativement modéré présentait un certain avantage : d’une part, on pouvait encore assez bien situer son temps et d’autre part, l’on était en mesure de produire des contrefaçons passables, en recyclant des matériaux encore disponibles notamment toutes sortes d’ouvrages parus dans les années 1550, permettant de recréer un contexte crédible, une reconstitution vraisemblable, en raison de tel ou tel détail apportant un semblant d’authenticité.

Le revival aurait certes pu en rester à la mise en circulation de textes posthumes mais jamais parus, retrouvés dans quelque bibliothèque- scénario classique que l’on retrouvera en plein milieu du XIXe siècle avec la Prophétie d’Orval.39 Mais nous verrons que le zèle de certains conduisit à exhumer de prétendues éditions d’époque qui n’étaient que des duplications, quelque peu patinées, de la production propre au dit revival. D’où cette confusion que nous évoquions plus haut entre les trois types de situations éditoriales.

Mais si l’on se situe au milieu des années 1580, à la mort du duc d’Alençon pour situer une date clef par rapport au déclenchement de la crise et de la guerre dynastiques, ce qui paraissait alors sous le nom de ce Nostradamus était totalement inédit sinon inouï.

Il nous apparait que ce revival s’effectua en plusieurs temps, même si cela se place sur une période assez brève : rappelons que tout au long des années 1570 l’on a vu apparaitre toutes sortes d’émules de Nostradamus, et Benoist Rigaud aura contribué à ce processus. Et puis revirement stratégique oblige, il est question d’en revenir à la source dans une sorte de surenchère. Et, en 1584-1585, Rigaud lui-même va publier un document qui n’était jamais paru, sous cette forme auparavant, à savoir la collection complète des quatrains des almanachs qu’il aura pu obtenir de Chevigny/Chavigny. Il juge bon, tant qu’à faire, de le dater de 1568, chez lui-même. Antoine du Verdier se hâte, dans sa Bibliothèque (Lyon Honorat, 1585), en concurrence avec celle de La Croix du Maine, de saluer cet événement dans un article sur Nostradamus et mentionne l’existence de «dix centuries de prédictions comprises briefvement par quatrains , Lyon, Benoist Rigaud, 1568 », se trompant sur le nombre, dix au lieu de douze (1555 à 1567, moins l’an 1556 année dont on ignore les quatrains si tant est qu’il y en eut. Précisons que ce n’est qu’à partir de l’almanach pour 1557 que les quatrains se situent dans l’almanach et non dans la pronostication comme pour 1555. On peut donc comprendre que la première expérience pour 1555 n’ait pas été poursuivie immédiatement. Ce n’est donc que dans un deuxième temps que l’on sera passé à publier des textes jamais parus, inédits, et considérés comme posthumes, tout en suivant le moule centurique mais en prenant cette fois le mot dans son acception étymologique : cent.. Par la suite, cette première supercherie assez bénigne consistant à laisser croire que Rigaud avait bien publié ces quatrains d’almanachs dès 1568 allait déboucher carrément sur la production plus insidieuse de « centuries prophétiques » chez le même libraire, comme indiqué au titre de l’édition non datée (attribuée à Du Ruau) et comportant une épitre à Henri IV datée de 1605.(cf RCN, p.p. 156 et seq). Nous proposons, dès lors, de parler d’un néo-centurisme pour désigner les nouveaux quatrains qui constitueront ce qu’on appelle « Centuries » et qui, structurellement et stylistiquement, auraient pour matrice le premier centurisme établi par Benoist Rigaud dans son édition, perdue, mais signalée par Du Verdier, des « centuries » de présages mensuels, chaque quatrain étant associé à un mois et à une année à la différence des quatrains néo-centuriques.

En vérité, nous n’avons pas conservé les premières éditions concernées par ce grand retour de Nostradamus. Si l’on laisse de côté les éditions antidatées, censées parues du vivant de Nostradamus ou peu après sa mort (entre 1555 et 1568), nous trouvons les premières éditions de ses « centuries » -puisque ce sont elles qui sont au cœur du revival nostradamique- portant la date de 1588. Mais plusieurs éléments nous conduisent à situer l’émergence du phénomène centurique – ou pré-centurique (cf infra) quelques années plus tôt. D’une part, le contenu des dites éditions 1588 et de l’autre l’émergence,certes tardive, dans la seconde partie du XVIIe siècle, tant en France qu’en Angleterre, d’éditions comportant des pièces qui pourraient bien correspondre à un état antérieur aux pièces figurant dans les éditions datées de 1588.

I Le contenu des éditions datées de 1588

Nous avons de cette année 1588, du moins si l’on s’en tient aux pages de titre- deux éditions très différentes, par leur titre d’une part, par leur contenu de l’autre.

Par leur titre d’abord puisque l’une, parue à Rouen, chez Raphaël du PetitVal, se présente comme divisée en 4 centuries et s’intitule Grandes et Merveilleuses Prédictions tandis que l’autre parue à Paris, chez la Veuve Nicolas Roffet s’intitule Prophéties et signale une addition de 39 articles (ou quatrains), correspondant à la centurie VII, additionnelle, à une précédente édition de 1557, qui serait donc à six centuries, effectuée en 1561.40 Toutes deux, cependant, sont introduites par la même Préface adressée par Nostradamus à son fils. Donc dès 1588, il aurait été question, à Paris, ville marquée par la Ligue, d’une édition effectuée du vivant de Nostradamus et dont la dite édition parisienne serait une réédition. Mais cela ne signifie pas que le contenu de ces éditions n’était point, quant à lui, à caractère posthume ou plutôt pseudo-posthume.

Le problème, c’est que le contenu de cette édition parisienne de 1588 ne correspond pas à son titre. On n’y trouve pas une annexe de 39 quatrains. Quant à la centurie VI, elle n’atteint que 83 quatrains, ce qu’on appelle dans cette édition centurie VII n’étant que la suite de la centurie VI, qui n’allait pas au-delà du 71e quatrain. De deux choses, l’une : ou bien le contenu de cette édition est antérieur à toutes les éditions comportant six centuries pleines et d’un seul tenant, outre qu’elle comporte une marque additionnelle après le 53e quatrain de la IV ou bien, comme le soutiennent encore une grande partie des nostradamologues, des quatrains se seront perdus en route. Pour notre part, nous nous en tenons à la première position.

Quant à l’édition rouennaise de 1588, elle a beau se présenter en son titre comme étant divisée en 4 centuries, Ruzo précise – point négligé par la plupart des bibliographes, y compris Patrice Guinard, qu’elle n’est pas encore divisée en centuries et qu’elle ne comporte pas 353 quatrains mais seulement 349.

Nous avons donc quatre états successifs pour le prix de deux  éditions datées de 1588:

1 une édition à 349 quatrains sans répartition centurique

2 une édition à 4 centuries

3 une édition augmentée, complétant la centurie IV (entre temps passée à 53 quatrains) et comportant une centurie V suivie d’une addition de 71 quatrains à la VI, suivie encore d’une addition de 12 quatrains supplémentaires qui prend même le nom de centurie VII, par inadvertance.

4 Une édition à sept centuries, dont la VIIe est à 39 quatrains.

Il est clair que ces différents états ne se situent pas en la même année 1588 et nous invitent à les échelonner sur les années précédentes, et au moins pour 1587.

 

II Le contenu des épîtres des résurgences du XVIIe siècle

Mais d’autres données viennent confirmer la nécessité de repousser encore plus en amont l’apparition du phénomène centurique ou pré-centurique (dans le cas d’éditions dont les quatrains ne sont pas encore divisés en centuries. En effet, les éditions 1588 comportent une préface à César qui est grosso modo du même type que celles qui figurent en tête de toutes les éditions connues des Centuries. Le seul cas qui n’est pas résolu, dans le dit corpus 1588 est celui de Rouen 1588, qui reste inacessible bien que décrit trop rapidement par Ruzo. Mais l’on connait la Préface de l’édition du même libraire rouennais, pour l’année suivante 1589 et qui est « conforme » encore qu’elle comporte sept centuries mais avec une centurie VII dont on ignore le nombre de quatrains, vu que la fin en est tronquée et que l’on n’a qu’un seul exemplaire (dont nous avons copie à la Bibliotheca Astrologica), si ce n’est que l’édition d’Anvers de l’année suivante, qui semble en être le prolongement, n’a que 35 quatrains à la VII, ce qui la placerait avant l’édition à 39 quatrains(cf supra) Il convient donc de manier les données chronologiques avec la plus extrême prudence, en tenant compte notamment des rééditions et des postdatations qui en découlent.

Que nous apportent ces éditions de la seconde moitié du XVIIe siècle ? La conviction que l’état des deux épîtres centuriques, à César et à Henri II, sous sa forme « canonique » est marqué par deux problèmes : la corruption du texte et les interpolations. Or, si déjà nous avons opté pour l’année 1587 pour avoir assez d’espace pour déployer toute une série d’états successifs, il va nous falloir ménager encore un peu plus de place pour accueillit des éditions comportant des épîtres non corrompues et non interpolées.

La traduction anglaise de 1672, due à Théophile de Garencières, dont on ignore d’ailleurs l’original français correspondant, est interpolée (cf infra) mais bien moins abimée que les autres versions des Epitres centuriques, toutes années et générations confondues. Nous ne reviendrons pas ici sur les avantages du dit texte anglais mais ils sont suffisamment patents pour ne laisser guère de doute et nous rendre exigeants quant à la cohérence rédactionnelle propre, a priori, à la prose sinon aux vers. On ne tiendra pas compte ici des centuries qui suivent la dite épître car visiblement, il s’agit d’un recueil de pièces dépareillées et hétérogènes. Il nous semble assez évident que l’on dispose avec le texte londonien de 1672 d’un état antérieur à celui des éditions abordées plus haut.

Mais c’est aussi-et bien plus nettement encore - le cas de l’édition lyonnaise Antoine Besson- dont le titre reprend celui des éditions de Rouen 1689 et 1691 mais avec un contenu sensiblement différent quant aux épîtres mais aussi quant à certains quatrains- - que l’on doit dater des années 1690, sur la base de certains événements qu’il mentionne dans son commentaire, in fine- qui ne correspond pas à l’original français ayant servi à la traduction anglaise si ce n’est qu’il offre la même cohérence d’écriture que le texte anglais, pour les parties qui leur sont communes. En effet, ce qui caractérise la dite édition Besson, c’est qu’elle ne comporte pas les emprunts à Savonarole et à Roussat observés par différents chercheurs au sein de la Préface à César, lesquels nous considérons comme des interpolations forcément postérieures aux éditions sans les dites interpolations. Pour l’épître à Henri II, il en est de même, de longs développements centraux sont absents du corpus centurique Besson, à savoir les chronologies bibliques, mais aussi des emprunts à d’autres chapitres du Livre de l’Estat et Mutation de l’Univers, notamment le passage sur 1792 qui ne s’y trouve point. On peut évidemment tenir un discours affirmant que Besson a passé par-dessus bord toute une partie des deux épîtres centuriques mais nous préférerons, à tort ou à raison, l’autre analyse à savoir que nous sommes, en quelque sorte de façon inespérée pour l’historien des textes, en présence des états premiers du revival nostradamique et qu’il fat bien remonter encore un peu plus haut dans le temps, autour de 1586 du moins pour le premier volet. Car notre travail ici concerne surtout la genèse des sept premières centuries. Celle des centuries VIII à X exige une autre approche du fait qu’aucune édition de ces centuries ne nous est parvenue, isolément avant 1603.(chez Sylvestre Moreau) et que les éditions à 10 centuries sont selon nous à dater autour de 1600, au lendemain de l’édit de Nantes (1598), qui instaure un certain mode de coexistence entre les camps religieux. Or, les centuries vIII à X sont l’œuvre du camp réformé. Elles apparaissent vraisemblablement après les centuries I- VII mais probablement sans référence à celles-ci. En 1594, le quatrain IX, 86 a certainement été porté par une édition VIII-X, pour conforter le sacre d’Henri IV mais cela ne signifie nullement qu’il était ainsi numéroté et encore moins qu’il existait déjà une édition à 10 centurie, même lors de la parution du Janus Gallicus, en cette même année 1594, qui marque en tout cas l’émergence de ce groupe de centuries alors que l’autre groupe est déjà constitué à 7 centuries, dont 42 à la VII.(cf Ed. Cahors, J. Rousseau, 1590, RCN, pp. 126 et seq, Bib de la Société des Lettres de Rodez), nombre que l’on retrouve dans l’édition Antoine du Rosne 1557 ( Bib. Utrecht). On aura remarqué que nous ne tenons absolument pas compte des éditions datées des années 1555 à 1568 qui ne sont que la réplique- et non l’inverse- des éditions des années 1580 et suivantes.

On pourrait donc proposer la chronologie suivante qui ne saurait selon nous débuter avant 1584, quand La Croix Du Maine consacre une notice à Nostradamus sans mentionner un quelconque revival s’étant récemment produit. Du Verdier, pas davantage, dans sa Bibliothèque, en 1585, ne semble avoir été le témoin d’une quelconque résurgence et ses références s’entendent du temps de Nostradamus et doivent être situées dans ce seul contexte. Notre terminus sera donc 1586, ce qui nous laisse une marge de temps raisonnable pour échelonner une série d’éditions avant la date de 1588 qui, comme on a pu s’en rendre compte, n’a nullement le profil d’un point de départ du processus.

Récapitulons en conclusion quelle pourrait avoir été le premier temps du revival.

1 Une édition comportant une préface à César (type Besson, Lyon) sans les quatrains « Roussat »

Le texte n’évoque pas des centuries : il se termine ainsi « espérant à toy déclarer une chacune des Prophéties & quatrains cy mis ». Il ne s’agit nullement, on s’en doute, de laisser entendre que cette préface est authentique du moins en ce qui concerne son utilisation pour introduire un tel corpus. Les quatrains en question n’étaient pas issus des textes de Roussat, absents de cette version de la préface, ce qui nous conduit à éliminer les quatrains correspondants. On ignore combien il y a avait de quatrains, probablement 300 si l’on s’en tient à une certaine norme qui va prévaloir tout au long du processus centurique.

  1. Une édition comportant une préface augmentée mais non corrompue (type Garencières 1672) et les quatrains ‘Roussat » avec un ensemble de quatrains non encore répartis en centuries et augmenté tout au plus jusqu’à 349 (comme dans Rouen 1588, au contenu)

  2. Une édition à 4 centuries dont la IV à 49 quatrains (comme Rouen 1588, au titre)

  3. Une édition à 4 centuries dont la IV à 53 quatrains (comme Macé Bonhomme 1555, on la connait par les marques d’addition Paris 1588)

  4. Une édition augmentée à 5 centuries pleines.(on ne la connait que par les indications du n°5)

  5. Une édition à 5 centuries augmentée d’une sixième à 71 quatrains (cf le contenu des éditions parisiennes 1588-1589)

  6. Une édition augmentée d’un supplément à la VI à 71 quatrains constitué d’une « suite » à 12 quatrains (reprise des quatrains de l’almanach pour 1561)

  7. Une édition à 6 centuries pleines (ne prenant pas en compte certaines additions à la VI, cf n°7). On ne la connait que par les éditions augmentées (n°9) ayant conservé l’avertissement latin

  8. Une édition à 6 centuries augmentée d’une septième d’un certain nombre d’ articles (entre 30 et 40), avec maintien de l’avertissement latin (cf n°8) (Benoist Rigaud, 1568, Antoine du Rosne,1557 Utrecht)

  9. Une édition à 6 centuries augmentée d’une septième sans l’avertissement latin entre la VI et la VII. (cf Anvers 1590, Antoine du Rosne 1557 Budapest).

 

Nous avons donc une suite de dix états successifs entre 1586 et 1590, ce qui permet de resituer la production antidatée à la place restreinte qui est la sienne, ce qui est logique puisque tout emprunt est partiel par rapport à son modèle surtout s’il s’agit d’un processus évolutif :

1 édition avec préface à César interpolée et quatrains «Roussat », à 4 Centuries et 353 quatrains (Macé Bonhomme 1555) Type 4 de la série ci-dessus

2 édition avec préface (état corrompu) à César interpolée à 7 centuries dont 40 à la VII ( type 9 de la série ci-dessus), avec maintien de l’avertissement latin. Antoine du Rosne 1557, Bibl Utrecht (à 42 quatrains à la VII)

.3 édition avec préface (état corrompu) à César interpolée, à 7 centuries, dont 40 à la VII, sans maintien de l’avertissement latin (type 10 de la série ci-dessus) Antoine du Rosne 1557 Bibl. Budapest.,

Cet ordre ne préjuge pas de l’ordre de parution des dites éditions antidatées. En fait, la première parue des trois fut Antoine du Rosne, 1557. Bibl. Budapest. Les deux autres sont le fruit d’une entreprise rétrospective et rétroactive du début du XVIIe siècle.

Reste un point aveugle qui est celui de l’interprétation des textes nostradamiques et que nous aborderons plus loin. Que pouvait y trouver le lecteur des années 1580, lorsque les dits textes n’étaient accompagnés d’aucun commentaire, d’aucun mode d’emploi ? Est-ce que la Préface à César suffisait à éclairer l’éventuel interpréte ? Pour notre part, nous avons mis en exergue certains quatrains qui selon nous durent frapper l’imagination du public : IV, 46 dans le premier volet, IX, 85 dans le second. L’un hostile au camp d’Henri de Navarre, l’autre qui lui est favorable. Dans les deux cas, un nom de ville, Tours et Chartres, respectivement. La présence, au sein d’un quatrain, d’un nom propre – soit dans sa formulation claire, soit sous celle d’une anagramme - est plus frappante qu’une suite de noms « communs ». On sait à quel point, sous la Révolution, le nom de Varennes dans un quatrain frappa les esprits, ce qui par la suite interpellera jusqu’à un Dumézil. Sans cet élément nominal, l’impact d’un texte prophétique est limité. Mais il appartient au commentaire de souligner celui-ci, quitte à modifier certains mots, à l’occasion d’une traduction comme ne se prive pas le faire Jean Aimé de Chavigny lors de sa traduction-interprétation des quatrains nostradamiques. ( Janus Gallicus, 1594). On peut penser que les traductions anglaises des centuries auront généré divers infléchissements du texte français d’origine.

En fait, le nom de Nostradamus avait été entretenu depuis sa mort par tout un ensemble de publications se référant peu ou prou à son héritage mais quelque part occultant son oeuvre. Dans notre post-doctorat de 2007 (téléchargeable à partir du site propheties. it), nous avons ainsi signalé une contribution passée inaperçue de Jean Aimé de Chavigny à ce mouvement : c’est ainsi que l’on trouve une adresse signée I. A. CH adressée à un certain astrologue du nom de Cormopéde dont l’œuvre serait prétendument traduite de l’allemand, dans laquelle le nom de Janus figure déjà. Il s’agit de l’Almanach des almanachs le plus certain pour l'an 1592, Lyon, Jean Pillehotte. Benazra reproduit en partie cette courte adresse mais ne relève pas les initiales. ( Bibl. Lyon La Part Dieu, cf RCN, p. 128 -130). En revanche, il note que cet almanach qui parait pendant plusieurs années comporte des quatrains « mensuels » en réalité issus des centuries prophétiques ( à partir des deux volets) sans les désigner toutefois comme tels. On peut y voir, nous semble-t-il, un premier travail de compilation dû à Chavigny et qui montre qu’il disposait déjà au début des années 1590 du matériau qu’il commentera un peu plus tard dans son Janus François, ce qui ne signifie pas qu’il ait déjà existé dès ce temps là une édition à 10 centuries, ce qui semble n’avoir été le cas qu’à partir de 1594, chez Benoist Rigaud,  avec lequel il est fort probable qu’il ait collaboré.. Mais il existe une autre hypothèse que nous avions largement développée dans notre thèse d’Etat de 1999, à savoir que ce matériau ne serait pas issu des Centuries mais en serait tout au contraire une des sources. Reprenons en effet la description de R. Benazra-lequel n’avait pas identifié un tel matériau chez Crespin- « La plupart des quatrains-présages de l’année (1592 /1593) sont textuellement empruntés aux Centuries ». Il est bien dit « la plupart », ce qui signifie que d’autres quatrains présages ne se retrouveront pas dans les dites Centuries. Il n’est pas non plus indiqué que ces quatrains sont référencés selon le code « centurique », ils se présentent en fait comme des quatrains mensuels, sur le modèle et dans le style des quatrains de Nostradamus, dont selon nous une réédition venait d’être effectuée par Benoist Rigaud. Et dès lors, il pouvait être tentant de les utiliser comme étant de Nostradamus. C’est peut-être ainsi que le processus néo-centurique aurait été enclenché : « néo-centurique » dans la mesure où les quatrains des almanachs de Nostradamus seraient parus sous le nom de « centuries », comme l’atteste Antoine Du Verdier dans sa Bibliothèque. Cela pourrait valoir, d’ailleurs, tant pour les quatrains du second que du premier volet puisque l’on n’a pas la preuve qu’aucune édition centurique ne parut avant la sortie du recueil Rigaud des centuries de quatrains mensuels. Le cas Crespin est emblématique : la présence, comme chez Cormopéde – mais chez Crespin, ce ne sont pas le plus souvent des quatrains- d’un important matériau néo-centurique, toutes centuries confondues, va dans le même sens d’autant qu’il est des éléments crespiniens qui ne seront pas repris, non plus, dans le corpus néo-centurique. Dans le cas de Noël Léon Morgard, on dispose d’un manuscrit (à la BNF) portant le nom de Nostradamus et comportant outre les sixains « morgardiens » des sixains qui ne figurent ni chez Morgard ni dans les éditions néo-centuriques ; ce manuscrit pourrait être la source à laquelle aurait puisé Morgard, le dit Morgard étant à son tour récupéré pour la formation du troisiéme volet néo-centurique, comportant d’ailleurs les quatrains « centuriques » des almanachs sous le nom de « présages », lequel volet ne commence pas par l’épitre à Henri IV mais dès la fin de la centurie X. En fait, il est constitué de toutes les additions à la version Rigaud.


 

8 Matrices de la versification nostradamique

En 2007, dans notre post-doctorat41, nous avons montré que les vers des almanachs de Nostradamus, placé dans le premier volet correspondant au calendrier, étaient constitués d’éléments extraits des développements en prose proprement prédictifs qui constituaient le second volet des dits almanachs, allant même jusqu’à laisser entendre que Nostradamus ne serait pas l’auteur des quatrains de ses almanachs, si ce n’est indirectement du fait des extraits ainsi réalisés. Le passage de la prose aux vers perpétue un certain nombre de mots mais les agence différemment. La prose est la source et c’est en amont que le discours nostradamien fait sens, non pas en aval, par le truchement de sa versification. Or, force est de constater que la prose nostradamienne a fini par passer au second plan, comme il ressort de l’Histoire de l’exégèse des textes qui ne prend en compte que les quatrains. Dans le cas de Jean Aimé de Chavigny, il faut reconnaitre que les Pléiades, parues, une première fois, en 1603, après le Janus Gallicus, commentaire axé sur les seuls quatrains (des almanachs et des centuries, tout ensemble) accordent de l’importance aux « présages prosaïques » (cf RCN, pp. 154 et seq). De nos jours, les deux épîtres centuriques constituent à peu près tout ce que le public connait de la prose de Nostradamus. Une thèse de doctorat a été consacrée, en 2005, en Suéde à La poésie oraculaire de Nostradamus : langue, style et genre des Centuries, par Anna Carlstedt et qui tendent à camper Nostradamus comme l’auteur de centaines de quatrains. Notre position est différente : non seulement, nous pensons que c’était là initialement un exercice assez subalterne mais en outre, nous ne pensons pas que Nostradamus y ait directement contribué si ce n’est en produisant du texte en prose. On ne peut donc parler de la « poésie oraculaire de Nostradamus », y compris pour les quatrains d’almanachs. Par la suite, la source liée à la prose de Nostradamus étant tarie de par la mort de l’auteur, des substituts furent trouvés, qui furent, dans plusieurs cas, interpolés au sein de textes du dit auteur, un tel effort d’interpolation soulignant, nous semble-t-il, que pendant toute une période, c’est bien le texte en prose qui faisait référence, sinon l’on se serait contenté de produire directement des quatrains sans passer par cette phase d’interpolation.

I La production des quatrains des almanachs

Nous nous intéresserons à l’almanach pour 1557 dont nous disposons du texte complet.42 . Mais le Recueil de Présages Prosaïques dans son ensemble permettrait de mener à bien ce travail d’aller-retour entre prose et quatrains. Il ne semble pas que Bernard Chevignard, ait abordé une telle problématique dans son édition- qui en est resté au tome premier et aux années 1550 - de ce manuscrit (Présages de Nostradamus, Paris, Seuil,1999). Le dit Recueil replace en effet le quatrain présage dans son contexte prosaïque d’origine. Mais par la suite, au XVIIe siècle, le dit quatrain se retrouvera isolé de sa source et ce type de quatrains se retrouvera regroupé au sein d’une rubrique spécifique, intitulée « Présages ». Or le titre même du dit Recueil renvoie à la prose. Les quatrains y sont comme une pièce rapportée puisque dans les almanachs, les quatrains ne se placent pas dans le même volet que la partie « prosaïque » et que l’on pouvait ne pas en prendre connaissance et vice versa, selon que l’on parcourait ou non le calendrier lequel ne fournissait que des informations brutes sur le cycle soli-lunaire dont on notera qu’il ne coïncide ni avec le zodiaque, ni avec les mois de l’année.

Exemples de mots passés du texte en prose au quatrain dans les almanachs : il ne faut pas s’attendre à ce que cela fonctionne, mois par mois et que les mots du quatrain de tel mois se limitent aux mots concernant la prédiction du même mois : c’est plutôt au niveau de toute l’année qu’il faut se placer pour considérer la composition des 12 ou 13 quatrains de telle année.

Mars 1557

Fort à craindre est celle expédition

Célèbres morts le fuitif est repris

Ne sera vaine la grande émotion

Point n’entrera qui doubtoit d’estre prix.

Avril 1557

Recueil de Présages Prosaïques,  : (n°207-208, B. Chevignard, Présages de Nostradamus, p. 272)

On trouve deux phrases consécutives :

« Expeditions despeschées tant par mer que par terre

Quelques émotions des Orientaux contre l’isle Croisée

Comparons avec le texte original de l’almanach pour 1557 qui est plus complexe :

« LE soleil en Taurus chaud, humide, expéditions despeschées tant par mer que par terre (…)

«  Les révolution faisaient quelques émotions des Orientaux contre l’Isle croisée

En fait dans l’almanach, les deux phrases sont nettement séparées (cf iconographie) par plusieurs lignes de textes tandis que dans le Recueil elles se suivent. L’on peut penser que le Recueil ait pu servir carrément à composer les quatrains et correspondait déjà à un certain niveau de traitement.

Pour mener à bien, de bout en bout, une telle entreprise, il faudrait saisir informatiquement la totalité du Recueil des Présages Prosaïques ; comme nous l’avions fait, en son temps, pour Crespin pour ses Prophéties .43, au regard des Centuries (cf. notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France, site propheties.it et Ed. du Septentrion)

Comment en est-on arrivé à évacuer la matrice pour ne garder que son dérivé versifié déconnecté ? Nous pensons – et cela vaut surtout pour les quatrains « prophétiques », c'est-à-dire non issus des almanachs mais des épîtres – on pourrait parler de quatrains « épistolaires », que l’on aura voulu évacuer le contexte proprement astronomique, assez laborieux et minutieux, qui constitue comme une sorte de gangue assez indigeste, la chenille devenant papillon.

On peut regretter que Bernard Chevignard, dans son édition du Recueil des Présages Prosaïques (ed. Seuil, 1999, année de la fameuse éclipse) n’ait donné en fac similis que des pronostications (1557et 1558) et des « significations » (pour l’éclipse de 1559), aucun de ces textes ne comportant de quatrains. Il est vrai que l’on n’en trouvait, alors, que très peu d’exemplaires (la collection Ruzo n’étant pas alors accessible) mais il aurait pu, au moins, reproduire, par exemple, l’almanach nouveau pour 1562, signalé à Bruxelles, à la Bibliothèque Royale, par M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, op. cit., p. 36, notice 48), celui pour 1561 (Bib. Sainte Geneviève) ayant déjà été reproduit par Catherine Amadou.

Pierre Brind’amour avait déjà commencé (in Nostradamus, astrophile, pp.501-502)) à décrire le manuscrit du dit Recueil (désormais conservé à la Bibliothèque de Lyon-La Part Dieu) mais il l’avait fait imparfaitement : « l’ouvrage est une suite d’extraits nostradamiens en prose portant chacun un numéro d’ordre » écrivait-il. En fait, ces numéros d’ordre servent uniquement, comme dans la Bible, à situer les documents mais ils ne correspondent pas à des extraits distincts qui auraient été juxtaposés, même si –comme on le verra- il est des décalages remarquables entre le Recueil et les almanachs dont nous disposons. Cela ressort de la confrontation avec les almanachs, c’est ce point que nous avions exposé à B. Chevignard lors d’une entrevue avec M. Pierre Guinard, le directeur du département de la Réserve (à ne pas confondre avec Patrice Guinard), à la Bibliothèque La Part Dieu, avant la sortie de son travail, en leur présentant des copies d’almanachs dont nous disposions et en comparant avec le manuscrit. Cela dit, le texte des documents d’origine a été considérablement élagué et parfois déplacé.

C’est ainsi que si l’on prend l’almanach pour 1557 et qu’on le confronte avec le Recueil, le passage consacré à Henri II ne figure pas au même endroit :

Almanach : « La première constitution de ce present moy sera pluvieuse & glaciale des autres adventures par figures dressées à longues revolutions,  le tout est plus amplement manifesté en noz présages qu’avons dediez au tres chrestien roy. Toutesfoys le commencement & la fin du présent sera pluvieux etc » »

Recueil : placé tout à la fin du mois de janvier : « Les autres aventures par figures dressées à longues révolutions sont plus amplement manifestées en nos Présages qu’avons défiez au tres chrestien Roy »–(cf B. Chevignard, Présages, op. cit. p. 269)

Or, force est de constater que c’est bien ici l’almanach qui a fait l’objet d’une interpolation fort gauche. Ce qui devait être placé tout en bas de la page (la page suivante débutant pour février) se retrouve tout en haut, en plein milieu de l’exposé. Tout se passe comme si le secrétaire chargé de rajouter certaines données (cf infra) avait mal appliqué les directives et que cette information avait été transmise tardivement.. Il reste que le Recueil ne saurait dès lors être considéré comme une simple copie, peu ou prou élaguée des imprimés.

De même, le début de janvier, le premier mois, est-il dans le Recueil précédé par un texte introductif général qui ne figure pas dans l’almanach pour 1557, ce que ne signale évidemment pas Chevignard qui ne dispose pas du dit almanach :

« Je trouve que d’icy à l’an 1559 les astres font indication de tant & si divers troubles que la charte ne seroit suffisante pour en recevoir les discours qui s’en peuvent faire mais ce sera pour un autre temps & loisir. (160). Outre la presente année ces présages contiennent une partie de ceux qui appartiennent à celle qui suit & encores quelque chose de 1559, qui sera l’année de la paix universelle par la grâce de celuy qui par son éternelle providence fait mouvoir les astres »(161) En fait, la comparaison entre les deux documents nous éclairent sur les méthodes de travail de Michel de Nostredame/. En effet, on ne trouve pas dans le Recueil de développements astronomiques, alors que ceux-ci figurent au début de chaque mois. Notre avis est le suivant : quelqu’un relisait le texte de Nostradamus et lui ajoutait des explications techniques :

En voici un exemple assez caractéristique toujours pris dans l’almanach pour 1557, pour février :

Recueil :

N° 188 : Les maladies feront grand empeschement & plus la mort de plusieurs.

N°189 Je laisse à mettre un cas estrange & jamais veu.

Almanach :

« Les maladies feront grand empeschement & plus la mort de plusieurs. Vénus, Mercure & la queue du dragon au mesme lieu que dessus. Je laisse à mettre un cas étrange etc

On note que le développement astronomique a été rajouté et interpolé et cela peut s’observer de façon assez systématique. Or si l’on sépare le texte du Recueil des données astronomiques, fournies par l’almanach, l’on sort en quelque sorte du champ de l’astrologie pour glisser vers une forme d’entreprise oraculaire. En ce sens, l’almanach de Nostradamus lui-même nous apparait comme une œuvre collective, constituée en au moins deux étapes, au-delà de la matrice initiale fournie par Nostradamus et conservée dans le Recueil des Présages Prosaïques : d’une part une réduction versifiée qui aboutit aux quatrains mensuels, de l’autre une addition fondée sur les données du calendrier et des tables astronomiques.

II La production des quatrains de prophéties.
 

Il ne semble pas que l’on soit parvenu, jusqu’ici, à déterminer le lien entre les épîtres et les quatrains centuriques. Notre travail consistera précisément à montrer à quel point la Préface à César est une clef pour cerner la genèse des quatrains des premières centuries. De même que quatrains et centuries augmentaient en nombre, il apparait que les épîtres, elles aussi, grossissaient, s’amplifiaient et accueillaient de nouveaux apports en prose voués à nourrir, à leur tour, la composition de nouveaux quatrains. Mais un tel système a fini par laisser la place à une dialectique du quatrain et de son commentaire en prose, non plus interne au corpus mais externe, comme en produira tant le XVIIe siècle, au-delà du travail de pionnier de Jean Aimé de Chavigny : renversement donc du processus : la prose n’est plus à la source mais à l’arrivée. Le terme « commentaire » que Chavigny utilise notamment en 1596 dans ses Commentaires du Sr de Chavigny sur les Centuries et pronostications, qui est une reprise du Janus François-sans la partie latine, couvrant, par son titre dédoublé centurie n’est pas ici synonyme de pronostication( « et » n’est point « ou »)- les deux catégories de quatrains, ceux des Centuries et ceux des almanachs, référés comme « pronostications ».—Mais dans le Janus François, deux ans plus tôt, le terme «commentaire » concernait Nostradamus et non Chavigny : « Centuries et autres commentaires de M. Michel de Nostredame ». Ici « commentaire » désigne les quatrains des almanachs qui sont en effet une glose versifiée et dérivée de textes en prose, un « commentaire sous forme de quatrains » des prédictions en prose qui constituent le cœur de l’entreprise nostradamienne, à partir des données astronomiques dont elles sont elle-même un commentaire. Trois couches de commentaires se superposent ainsi : commentaire en prose des rapports lune soleil, fournis sur la forme lapidaire de l’astronomie- sur une base hebdomadaire, mois par mois, commentaire versifié réduisant la prose à des quatrains, dont on ré-agence les principaux signifiants, et enfin commentaire des quatrains que l’on va associer à toutes sortes d’événements, en perdant plus ou moins de vue les premières couches. Cela pour le corpus non centurique, issu des almanachs. Mais par la suite, un autre processus se développe, non plus à partir des données astronomiques brutes mais à partir de divers textes récupérés ici et là, notamment le Livre de l’Estat et Mutation des Temps de Richard Roussat – mais qui se retrouve aussi largement, et quasiment à l’identique, dans le Période de Pierre Turrel.(Bib. Ste Geneviève), ce qui va également donner des quatrains, cette fois en quantité autrement importante, puisque chaque épître va introduire plusieurs centaines de quatrains. Encore convient-il de préciser que ce ne sont pas les épîtres, dans leur état d’origine, qui contribue à ce résultat mais les interpolations qui vont se glisser au milieu des dites épîtres- ce qui ressort de la remarquable édition Antoine Besson (c 1691) et qui ne sont pas, quant à elles, le fait de Michel de Nostredame.

Le décrochage entre épîtres et quatrains tient probablement au fait que l’on ne pouvait augmenter indéfiniment la taille des épîtres tandis qu’il semblait relativement aisé d’accroitre le nombre des centuries.

Mais dans un premier temps, les épîtres ont bel et bien connu des ajouts, comme il ressort de notre comparaison entre l’édition Besson de la Préface à César (c. 1691) et l’édition « canonique », singulièrement plus étoffée. Et cela vaut aussi dans le cas de l’Epitre à Henri II, si ce n’est que les rapprochements entre épître et quatrains dans le second volet restent à investiguer. On peut dire que les documents Besson sont aux épitres centuriques ce que le Recueil des Présages Prosaïques est aux publications annuelles de Nostradamus, à cela près que Nostradamus n’en est pas l’auteur et qu’elles appartiennent à une époque plus tardive. Notons toutefois que les documents Besson eux-mêmes sont greffés, d’une façon ou d’une autre, respectivement sur l’Epitre à Henri II, placée en tête des Présages Merveilleux pour 1557 et sur la Déclaration des abus, ignorances & séditions de Michel Nostradamus, Avignon, Pierre Roux, de Laurent Videl de 1558, à partir de laquelle les Prophéties du Seigneur du Pavillon furent établies..

On peut penser raisonnablement que nombre de lecteurs de la Préface à César doivent avoir songé de temps à autre à tel ou tel quatrain et vice versa, à commencer par « flamme exiguë » que l’on trouve dans les deux documents

Exiguë flamme,(Préface) I, 1 : Flambe exiguë sortant de solitude

Nous avons notamment montré que les interpolations (extraites de Richard Roussat) et qui ne figurent pas dans la Préface à César- Besson, ont alimenté nombre de quatrains parmi les premières centuries. Parfois on trouve d’ailleurs un mélange des parties seconde et tierce du Livre de l’Estat et Mutations du Monde, Lyon, 155044, ce qui constitue un amalgame des plus hétérogènes, étant donné que ces deux parties du dit Livre exposent des techniques prévisionnelles aux fondements et aux formulations des plus différents.

I, 26

Faulx à l’estang ioinct vers le Sagittaire

En son hault auge de l’exaltation

Peste, famine, mort de main militaire

Le siecle approche de renovation

Les deux premiers vers sont inspirés de la tierce partie et les deux derniers de la seconde partie et donc des interpolations de la Préface à César. Est-ce assez démontré le caractère tout à fait fantaisiste de la composition des quatrains centuriques ? Vouloir considérer un tel quatrain comme étant d’un seul tenant nous semble bien vain.

Roussat : tierce partie :

« Saturne et Jupiter en Sagittaire (…) Saturne en signe de feu sera en son auge ». Ici l’estang, c’est l’étain, le métal de Jupiter comme l’argent est celui qui représente la Lune. Le second verset ne comporte même pas mention de Saturne. Si le texte en prose est cohérent, nous dirons que les vers peuvent tout au plus y renvoyer mais ne sauraient, a priori, une base de travail, sauf en l’absence – et faute de mieux- de la source en prose. Il nous apparait que dans le champ nostradamique, l’élément versifié n’est jamais – du moins durant toute une période- qu’un sous-produit de l’élément en prose.

Or, si nous considérons ces additions en prose – absentes, répétons-le, de la version de la Préface à César Besson- comme des apports relativement tardifs, il semble exclus de devoir les attribuer à Nostradamus, tant au niveau de la prose que des vers qui en dérivent.

Dans le cas de l’Epitre à Henri II, une des sources des quatrains ne se trouve pas interpolée dans l’Epitre à Henri II, il s’agit de la Guide des Chemins de France et des Saints Voyages, par Charles Estienne. En revanche, nous avons montré que l’Epitre à Henri II Besson correspondait à un état avant interpolation, laquelle, fortement marqué par la littérature apocalyptique, a probablement été exploitée pour forger des quatrains.

Il nous semble que le matériau des quatrains centuriques devrait être cherché sous la forme d’un pillage de certains textes astrologiques ou prophétiques en prose, de Nostradamus, mais pas forcément. Il doit être assez rare qu’un quatrain ait été composé directement sans passer par la prose, ce qui ne correspond pas à la pratique moderne de la prophétie. A noter que Richard Roussat, chanoine de Langres est également auteur de quatrains, au sein de son Livre de l’Estat et Mutation du Monde. Dans la tierce partie (p. 121) : « Toutefoys me semble bon & m’est advis qu’il ne se trouvera de mauvais goût ny fascheux , pour gens qui apperent scavoir , aulsi pour sur ce certiorer messieurs les lecteurs, présentement r’amener & inscrire aulcuns Quatrains sur l’antiquité & fondation de ladicte cité de Langres qui sont tels …. » Suivent 24 quatrains.

Il semble que l’Epitre à Henri II, dans sa partie additionnelle interpolée – ait également emprunté au même ouvrage de Roussat. C’est le fameux passage sur la fin du XVIIIe siècle, absent de l’édition Besson

« & commençant icelle année sera faicte plus grande persecution à l’église chrestienne (…) & durera celle-cy iusques en l’an mil sept cens nonante deux que l’on cuydera este une renovation de siecle. On est là cette fois dans la quatriesme partie du « Livre de l’Estat & mutation du monde »  (p. 162) :

« Venons à parler de la grande & merveilleuse conjonction que Messieurs les Astrologues disent estre à venir environ (…) mil sept cens nonante neuf avec dix révolutions saturnales »

Le décalage entre 1789 et 1792 n’empêche aucunement le rapprochement.

Ce qui serait à rapprocher du quatrain I, 54  si, comme le propose Yves Lenoble45, on remplace deux par dix.

Deux revolts faits du malin falcigère (Saturne)

De regne & siecles faict permutation

Rappelons notre étude sur les Significations de l’ Eclipse de 1559, nom donné à l’épître de Nostradamus à J-M Sala et dont nous pensons qu’elle a pu figurer en tête des centuries favorables au parti d’Henri de Navarre avant de laisser la place à l’Epître remaniée à Henri II. Nous avons déjà montré en quoi ces deux Epitres étaient en concurrence quant au statut d’épître centurique. Signalons ce passage, marqué par une corruption : « Et en résultera grande jacture pour l’Eclipse Chrestienne », lire Eglise Chrétienne. (fac simile, in B. Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, p 449). Cela fait écho à ce passage de l’Epitre à Henri II relative à l’an 1792, la formule pouvant concerner éventuellement les Protestants – l’épitre à Henri II introduisant les centuries favorables à Henri de Navarre- mais ayant été interprétée sous la Révolution comme visant l’Eglise romaine.Nous avons publié en1991 ( « Une attaque réformée oubliée contre Nostradamus (1561) »RHR, n°33) un texte réformé de 1561 se référant à Nostradamus : « Contreprognostication à celle de Nostradamus de Pie quatriesme’ , reprochant à Nostradamus ses publications adressées au pape Pie IV. Il semble que par la suite, les Protestants aient décidé de produire un Nostradamus favorable à leur cause.

Saturne est un personnage récurrent  comme en témoigne encore ce quatrain qui ne se comprend que dans le cade de l’une des parties de Roussat consacré à la succession des âges planétaires, dont chacun couvre 354 ans (transposition un jour pour un an, de l’année lunaire de 354 jours):

II 92 Le monde proche du dernier periode

Saturne encore tard sera de retour

Tout se passe comme si l’Epitre à Henri II, littéralement truffée d’anciennes chronologies commençant à la période biblique, trouvait davantage écho dans les premières centuries que dans le second volet auquel elle est adjointe.

Mais il y a bien un quatrain du second volet traitant de l’Antéchrist – souvent associé chez les Protestants au Pape ou à la Papauté -comme il existe un passage de l’Epitre à Henri II

Epître à Henri II

« en après l’Antechrist sera le prince infernal’

Quatrain VIII, 77

L’Antechrist trois bien tost annichilez

Vingt & sept ans durera sa guerre

D’ailleurs, l’Epitre à Henri II (juin 1558) se réfère bel et bien aux quatrains :

« Comme plus à plain par aulcuns quadrins l’on pourra veoir »

Formule à mettre en parallèle avec celle de l’autre épître, tout aussi factice, de l’Eté 1558, connue sous le nom de Significations de l’Eclipse de 1559 ;

« Comme plus amplement est déclaré à l’interprétation de la seconde Centurie de mes Prophéties »

On trouve toutefois dans la centurie VIII, 48-49 deux quatrains truffés de données astronomiques- assez isolés au sein du dernier volet et qui nous semblent inspirés d’un passage de l’Epitre à Henri II à moins que cela ne le soit de l’Epître à J-M.Sala, riche en données célestes

Saturne en Cancer, Iupiter avec Mars

Dedans Février Chaldondon salvaterte

et

« Satur (sic) au bœuf Iove en l’eau, Mars en fleiche

Six de Février mortalité donra. »

Relevons aussi deux quatrains successifs comportant quasiment le même verset,  :

III, 4 Quand seront proches le défaut des lunaires (sic)

III, 5 Pres, loing defaut de deux grands luminaires

Le défaut des luminaires, c’est une éclipse.46

 

Chantal Liaroutzos a montré (RHR, 1986) que nombre de quatrains des centuries du second volet étaient construits à partir des ouvrages de Charles Estienne. Il est clair que dans ce cas, cet emprunt aura été direct et n’aura pas exigé d’interpolation au sein d’un document intermédiaire comme dans le cas du Livre de l’Estat et Mutation des Temps, à partir duquel les quatrains sont composés.

La réalisation des quatrains exige une certaine matière première en prose. Il ne s’agit en fait que d’un exercice de versification sans grand intérêt et auquel selon nous Michel de Nostredame s’est soustrait. Ce n’est qu’anachroniquement, sous l’influence de l’évolution du statut de la poésie, notamment au XIX e siècle, que l’on imagine un auteur produisant directement des vers. Nous sommes ici plutôt avec le corpus de quatrains dans un processus de translation, de traduction, assez mécanique- au mot à mot. On a quelque mal à percevoir l’intérêt d’un tel exercice apparemment assez insignifiant et à caractère ornemental, le quatrain étant une sorte de « bouquet » de mots, et qui s’apparente à un jeu de salon ou à quelque pratique pédagogique. D’un texte on en fait un autre qui en dérive. Jeu de devinettes consistant à retrouver une information à partir d’une allusion, d’un indice.

Dans le champ astro-prophétique qui est celui de notre compétence d’historien, la mis en évidence d’une dialectique entre deux corpus, dont l’un dériverait de l’autre constitue un enjeu épistémologique majeur et c’est probablement un manque dans ce domaine qui aura pesé sur l’état de la recherche universitaire, en ce domaine, depuis un demi-siècle.

Un cas remarquable et qui ne nous éloigne guère des almanachs est celui de la formation des symboles zodiacaux. Ces 12 symboles, d’où sont-ils issus ? La question n’est pas celle de signaler leurs premières occurrences en tant que série ni les lieux où celles-ci sont attestées mais bien de déterminer de quel corpus ces éléments dérivent, sont extraits, point qui a été fort peu traité jusqu’à présent. Pourtant, la réponse est assez simple : la source du système symbolique zodiacal est à chercher dans l’iconographie, la représentation des mois de l’année, telle qu’elle figure dans certains livres d’heures (comme les Très Riches Heures du Duc de Berry (Musée Condé de Chantilly) et certains calendriers (comme le Kalendrier des Bergères (sic), celui des Bergers ne comportant le plus souvent que l’image du mois de janvier). Cela dit, les cas pour lesquels le rapprochement est frappant sont relativement peu nombreux, en raison des interpolations subies au cours de sa genèse, par la dite série. On a notamment le verseau, qui est un motif parmi d’autres, une « citation », pris d’une scène plus large campant un groupe de personnes attablées non loin d’une cheminée – on est en hiver. Dans cette scéne, des serviteurs, des échansons. La mythologie gréco-latine emprunte à une telle série iconographique, comme avec Ganymède, l’ »échanson des dieux »,  ou avec la Toison d’Or. Autrement dit, les « signes » ne feraient que désigner des scènes, se suivant selon la logique des saisons alors que pris hors contexte, ils n’offrent pas de continuité, de contigüité sinon du fait de commentaires qui constituent de véritables interpolations.

On pourrait élargir le champ de nos réflexions au domaine linguistique : c’est ainsi que la langue anglaise a emprunté massivement à la langue française en termes de signifiants et qu’on ne peut suivre son évolution qu’en tenant compte de ce fait matriciel.

8 - La résurgence des premiers états des épîtres néo-centuriques au milieu du XVIIe siècle


 

Nous d’adhérons pas au point de vue de Patrice Guinard (in « Historique des éditions des Prophéties de Nostradamus (1555-1615), lequel affirme (pp. 94 et seq) dans son «épilogue » : « Les éditions (…) du XVIIe siècle n’ont plus guère d’intérêt quant à la connaissance du texte authentique des Prophéties (..) Ces éditions seront de plus en plus corrompues, soit par négligence, soit par maladresse ou volonté de rendre le texte originel de Nostradamus plus lisible ou plus abordable ». Il ne s’agit évidemment pas ici d’un quelconque « texte originel » mais bien des premières moutures de ce que nous avons appelé le néo-centurisme, c'est-à-dire d’une imitation des « centuries » de quatrains mensuels dont nous pensons qu’un recueil parut au début des années 1580, lequel est signalé en cette année par Du Verdier dans sa Bibliothèque (Lyon, 1585). C’est d’ailleurs le point de vue de P. Guinard pour tout ce qui paraît à partir des années 1580, étant donné qu’il refuse la possibilité d’éditions antidatées produites alors. Etrangement, les éditions des années 1550-1560 présentent deux anomalies : d’une part, elles ressemblent terriblement à celles des années 1580 alors que le processus néo-centurique est progressif et additionnel et d’autre part, elles ne sont suivies d’aucune nouvelle édition jusque dans les années 1580, ce qui trahit le fait d’opérations ponctuelles de duplication. A contrario, à partir de cette décennie 80, les éditions néo-centuriques – et les commentaires qui les accompagnent, en annexe ou en paralléle47, ne cesseront de paraitre jusqu’au début du XVIIIe siècle.

Nos travaux ont conduit, en effet, à la prise en compte de deux éditions des Centuries parues en 1672 et vers 1691 lesquelles comportent des versions atypiques des épîtres centuriques. R. Benazra écrit à propos de la Préface à César de l’édition Besson (c 1691)  (RCN, pp 265 et seq) : »Lettre modifiée et tronquée » et à propos de l’épître à Henri II, « lettre considérablement réduite ». Nous montrerons que ces « lettres » ne sont pas « réduites » ou « tronquées » mais qu’elles correspondent à des états plus anciens que celles figurant dans le « canon » centurique. C’est un thème récurrent chez les bibliographes comme Chomarat et Benazra et qui s’applique également au contenu des centuries que de laisser entendre qu’il « manque » des quatrains voir des centuries, comme si le corpus centurique, ayant atteint un stade final vers 1568 avait par la suite connu une dégradation progressive de son état – durant plus de vingt ans - jusqu’à ce que celui-ci soit restauré, dans les années 1590.

La mise en évidence (cf infra) d’états antérieurs à ceux correspondant à de prétendues premières éditions est susceptible de conduire à l’existence d’éditions plus anciennes mais non conservées, du moins dans leur état originel. Nous verrons notamment que les documents Besson (c 1690) et Garencières (en anglais, 1672) correspondent à des versions successives, toutes deux antérieures, ne serait-ce que de quelques années voire de quelques mois aux versions actuellement considérées comme « princeps ». Le présent travail sur le contenu même des épîtres vient compléter celui que nous avons déjà accompli sur l’enchainement des éditions, au regard des phénomènes d’anti et de postdatation.

Nous aborderons enfin deux textes « programmatiques » en prose, figurant dans la plupart des éditions du XVIIE siècle, à savoir la Vie de Nostradamus et l’Epître à Henri IV datée de 1605.

I Le premier état de la « Préface à César au Mémoire des singularitez & absconses evenemens par calcul & astronomiques revolutions »

Quand on demande quelle est la première édition des Centuries, on entend généralement qu’il s’agit de celle parue chez Macé Bonhomme, à Lyon, en 1555. Si l’on s’en tient au titre, cela se pourrait mais le contenu, l’organisation interne ne correspondent pas au premier état centurique connue sous nom de La Prophétie de Nostradamus, comme cela est attesté dans les Grandes et Merveilleuses Prédictions de Nostradamus, Rouen, 1588.

De quels éléments disposons-nous pour aborder la question des épîtres/préface de Nostradamus à son fils (né en 1553) ? et à son souverain (mort en 1559) ? A la différence des Centuries, dont on peut suivre la formation à travers les multiples éditions, les textes en prose que sont les épîtres semblent s’être figées dès leurs premières occurrences. Il y aurait fort peu de variantes, comme cela ressort de l’édition critique (Macé Bonhomme 1555) de Pierre Brind’amour (Droz, 1996). Au moins, pour l’Epitre à Henri II, dispose-t-on désormais du texte de l’épître de 1556, en tête des Présages Merveilleux pour 1557. (cf nos Documents, pp. 195 et seq), ouvrage ayant appartenu à Daniel Ruzo, désormais conservé à la Maison de Nostradamus (Salon de Provence) mais ce texte a été tellement augmenté que l’on ne peut guère le relier au nouveau texte, si ce n’est dans un certain cadre, celui de la rencontre de Nostradamus avec Henri II..Toutefois, nous avons a priori un avantage par rapport aux quatrains à savoir que nous sommes censés comprendre ce qui nous est exposé et donc percevoir plus certainement les anomalies, ce qui relève plus de la gageure pour ce qui est des Centuries. La question qui se posera à nous, par delà l’existence ou non de documents, est celle du sens ou de l’absence de sens des textes.

En ce qui concerne la préface à César, peut-on se fier à la succession des éditions et considérer que les éditions les plus anciennes, au regard de la date indiquée, correspondent à l’état le plus primitif de la dite Préface ? On se heurte immédiatement à l’obstacle des éditions antidatées, qui rompent ipso facto toute chaîne chronologique. A cette difficulté vient s’en ajouter une autre, celle de la résurgence tardive d’éditions anciennes, en plein milieu du XVIIe siècle, ce qui relativise d’autant les repères chronologiques les plus communs. Une telle recherche ne sera pas sans incidence en effet sur notre représentation de la succession des éditions et sur la prise de conscience de certains « trous » dans la bibliographie, notamment en ce qui concerne les toutes premières éditions.

On sait, en effet, que parfois des états très anciens d’un document n’émergent qu’avec un certain retard et parfois par le biais de traductions ou d’attaques ou au sein de recueils qui sont conservées alors que l’original ne l’est pas nécessairement sous sa forme initiale. Le cas de la première traduction anglaise des Centuries- qui ne date que de 1672- est typique de l’incidence possible de tels décalages sur la recherche/. Il se trouve que l’on ignore où a pu paraitre un original français de la dite traduction. Mais l’on sait en revanche que le commentaire adjoint aux quatrains est emprunté à Giffré de Réchac (cf notre post doctorat, EPHE Ve section), auteur (sous l’anonymat) d’un Eclaircissement (1656). Paradoxe de la chronologie, nous avons découvert le texte français dans une édition centurique datant au plus tôt de 1691, due à Antoine Besson, libraire lyonnais(cf Chomarat, Bibliographie Nostradamus, n° 303, p. 166), de par les événements dont elle se fait l’écho dans la partie consacrée aux commentaires, le XVIIe siècle semblant mieux apprécier les commentaires des Centuries que le XVIe,  notamment sous la Ligue Certes, l’on peut toujours soupçonner qu’il y ait eu réécriture de l’original par quelque lecteur un peu trop zélé pratiquant l’hyper-correction ou tout simplement corrigeant, de son propre chef le texte d’une manière qui semblerait aller de soi. Mais commençons par comparer les textes et demandons-nous, le cas échéant, pourquoi le texte n’a pas été amendé, tout au long de carrière- de façon à devenir un peu plus compréhensible, ce qui pourrait quand même nous aider à comprendre les intentions sinon de l’auteur du moins de ceux qui le mettent en avant. C’est notamment, on va le voir, la question du ou de la « mémoire »..

Il est fort peu probable que la première édition, non encore divisée en 4 centuries- le mot « centurie’ ne serait donc pas approprié pour la circonstance- mais répartie en quatrains non numérotés, comme la décrit Ruzo sans se douter qu’il décrit ainsi la première édition laquelle il situe en 1555 ne comportait vraisemblablement pas 353 quatrains. On note d’ailleurs que la Préface à César ne se réfère pas, in fine, à des centuries mais à « chacune des Prophéties & quatrains icy mis », ce qui la rend compatible avec une première édition non encore divisée en centuries/ Mais plus haut, il est bien question de « cent quatrains astronomiques » ; (Bonhomme comporte en sus « de prophéties », ce qui fait écho au titre du « Mémoire »

On comprend mieux pourquoi le mot Centurie n’est pas utilisée dans le premier volet, du moins au titre alors qu’il l’est à celui du second volet.

I Les prophéties de M. Michel Nostradamus Dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées

Par 300 « prophéties », on raisonne en termes de quatrains, pas de centuries.

II Les prophéties de M. Michel Nostradamus. Centuries VIII. IX.X. qui n’ont encores iamais est imprimées.

Cette fois, le terme Centurie est employé au titre.

Le cas de l’édition Pierre Valentin, Rouen, sans date, est révélateur de la coexistence de ces deux présentations :

Les Centuries et merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus. Contenant sept centuries dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées.

Titre interpolé, l’on voit bien que la formue « contenant sept centuries » a été surajouté maladroitement puisqu’elle est suivie de « dont il y en a 300 » ; ce qui concerne un nombre de quatrains et évidemment pas de centuries (de 100 quatrains)

On notera que l’édition de Rouen 1588- non découpée en centuries malgré son titre extérieur - ne comporte pas certains quatrains et n’arrive pas à 353 (cf. Benazra, RCN, pp.122 et seq) puisqu’elle ne dépasse pas 349 quatrains, tout en se terminant par le même quatrain que Macé Bonhomme 1555. Un des quatrains manquants est IV, 4648 qui est fortement marqué par les enjeux dynastiques de la période ligueuse, « Garde toi, Tours, de ta prochaine ruine ». On ne saurait qualifier ces quatrains de manquants. Nous préférons dire qu’ils n’avaient pas encore été intégrés voire pas encore composés. Patrice Guinard se référé à notre analyse dans son « Historique » (2008) : « Les quatre quatrains manquants on été écartés pour des raisons de mise en page car ils sont reproduits dans l’édition de 1589. Ce fait prouve que l’on n’attachait pas une si grande importance à ces vers, ni en particulier au quatrain IV, 46 ou en tour cas qu’on était loin de les interpréter à la lumière du contexte politique de la fin des années 1580, contrairement aux affirmations de certains spéculateurs (sic) puisqu’un éditeur rouennais , en principe favorable à la ligue n’hésite pas à les supprimer de son édition (..) La suppresssion de quatre quatrains afin de respecter la mise en page est une nouvelle preuve en faveur de l’authenticité de l’édition Bonhomme de 1555 qui comprenait 353 quatrains » (p.84). Selon nous, ces quatrains n’ont nullement été écartés car ils n’existaient pas encore en tout cas pas dans le cadre centurique. Ils sont apparus pour marquer davantage l’hostilité du parti ligueur réagissant au fait qu’en 1589 Henri III fait de Tours la capitale du royaume, Paris étant aux mains des ligeurs. Elle gardera ce statut jusqu’au couronnement de Chartres. Le 30 avril 1589, au château du Plessis, eut lieu la réconciliation entre Henri III et le Bourbon réformé. Nous dirons donc que le fait que IV 46 figure dans l’édition Macé Bonhomme 1555 montre que cette édition est marquée par les événements de 1589, ce qui la disqualifié en tant que pouvant réellement dater de 1555. Le nombre de 353 quatrains ne correspond pas à la donne de départ..

En revanche, en ce qui concerne le contenu en nombre de quatrains, nous savons que cette édition est plus tardive que celle de Rouen, Raphaël du Petitval, 1588 dont le contenu n’est, comme le note Ruzo l’ancien propriétaire de la dite édition ‘(cf. Testament de Nostradamus, op. cit. p, 282) pas divisé en centuries mais se présente d’un seul tenant. On est donc légitimé à rechercher une édition ayant le titre Macé Bonhomme 1555 et le contenu Rouen Du Petit Val 1588. La préface à César figurant en tête de cette édition « princeps » que l’on risque fort de ne jamais retrouver telle quelle, pourrait, selon nos recherches, différer des versions ultérieures (‘cf. infra).

D’aucuns n’en seront pas moins tentés de préférer la thèse d’une correction tardive- une sorte de contrefaçon en quelque sorte, ce qui éviterait d’avoir à supposer un état antérieur imprimé à celui de la Préface en tête de Macé Bonhomme 1555, qui reste, dans la tête de la plupart des nostradamologues la toute première édition non seulement conservée mais ayant jamais existé. Comment départager entre les deux positions ? Pour ces chercheurs, la traduction anglaise de 1672 aurait été réalisée à partir d’une fausse édition de la Préface à César, quand bien même les retouches auraient-elles été justifiées. Il convient de noter que le problème se pose également en ce qui concerne l’identification des sources de certains quatrains : on ne peut préjuger de ce que l’état initial d’un quatrain soit absolument conforme à celui de sa source. On peut toujours soutenir que dès la première impression, la source avait été retouchée ou en tout cas corrompue. Nous avons le cas de IX 86, qui nous a permis, au regard de la source, à savoir un paragraphe de la Guide des Chemins de France, de montrer que le nom de la petite ville de Chastres, dans la banlieue parisienne, que l’on traverse quand on part pour la province, avait été changé en celui de Chartres, ville du couronnement d’Henri IV, en 1594

Passons à présent à l’analyse des différences entre la version Besson (parue au plus tôt en 1691) qui correspond à l’original français de la traduction anglaise de 1672. à moins qu’il ne s’agisse- qui sait ?- d’une traduction française du texte anglais. Mais nous verrons qu’en fait l’édition Besson est plus complète et plus fiable que l’anglaise de Théophile de Garencières.

C’est ainsi que la dite édition Besson (Bib Méjanes (Aix en Provence) et Lyon La Part Dieu) ne nous fournit pas moins que le titre du document censé être introduit par la Préface, à savoir le Mémoire des singularitez & absconses événements. Dans les autres éditions, le titre est tronqué : il n’est plus que « Mémoire ». Il faut avouer que le titre est quelque peu noyé dans des circonvolutions et que la ponctuation est faible : « un mémoire après la corporelle extinction de ton progéniteur au commun profit des humains, des singularitez & absconses évenemens, dont la divine Essence m’a donné connoissance, par calcul & astronomiques revolutions. »

Pierre Brind’amour (Les premières centuries ou Prophéties (édition Macé Bonhomme de 1555), Genève Droz, 1996, p. 2) traduit ainsi le passage à partir de la version classique ; « laisser le souvenir après ma mort au commun profit des hommes de ce que la divinité, grâce aux Astronomiques révolutions a porté à ma connaissance ». Il n’a pas compris que le mot « mémoire » renvoyait à un document. En anglais, on distingue entre memory, memorial et memoir. 

Besson : « Ton tard avenement en ce monde terrien, César Nostradamus mon fils, m’a fait mettre mon long loisir à continuelles vigilations nocturnes pour référer par écrit & à toy laisser un mémoire après la corporelle extinction de ton progéniteur au commun profit des humains des singularitez & absconses évenemens, dont la divine Essence m’a donné connoissance, par calcul & astronomiques revolutions.

Macé Bonhomme :

« Ton tard advenement ; César Nostradamus, mon filz m’a fait mettre mon long temps par continuelles vigilations nocturnes référer par escrit toy délaisser mémoire après la corporelle extinction de ton progéniteur , au commun profit des humains de ce que la Divine Essence par astronomiques revolutions m’ont donné cognoissance. - « que tardivement »

  • « mémoire des singularités & abscons evenemens dont la divine Essence m’a donné connoissance, par calcul & astronomiques revolutions

  • -« mémoire de ce que la divine essence par astronomiques révolutions m’a donne cognoissance.

« Memorial of me after my death to the common benefit of Mankind, concerning the things which the Divine Essence hath revealed to me by Astronomical revolutions »

Poursuivons notre lecture :

Macé Bonhomme

Et depuis qu’il a pleu à Dieu immortel que tu ne sois venu en nouvelle lumière dans cette terreine plaige, je ne veux dire tes ans qui ne sont encore accompagnez mais tes mois martiaulx incapables à recevoir dans ton débile entendement ce que je seray contraint , apres mes jours desiner, veu qu’il n’est possible te laisser par escrit ce que seroit par l’injure du temps oblitere car la parole héréditaire de l’occulte prédiction sera dans mon estomac intercluse.

Antoine Besson

Et puisqu’il a plû à Dieu immortel que tu ne sois venu en naturelle lumière dans cette terrienne plaige que tardivement et que tes ans jouvenceaux incapables à recevoir dans ton débile entendement ce que je seray contraint avant ma mortelle extinction designer obstrusément, vu qu’il n’est loisible te laisser par trop clair escrit ce qui seroit par envie des temps oblitéré aux oreilles de plusieurs car la parole hereditaire à toy délaissée de l’occulte prédiction demeurera intercluse dans mon intellect »

Nous retiendrons que chez Besson- et chez lui seul (outre la version anglaise qui confirme « late into this World ») on trouve « ne sois venu (….) que tardivement » qui fait d’ailleurs écho à la première phrase « Ton tard avénement ». Cela vient heureusement compléter la phrase : ce n’est pas de la naissance du fils en soi qu’il s’agit mais bien plus spécifiquement de son caractère tardif. Et c’est ce retard qui complique tout aux yeux de Nostradamus. Là encore, on a une phrase entrecoupée de circonlocutions.

Autre élément manquant qui redonne du sens à la phrase : « te laisser par trop clair escrit » (Besson) qui en ne comportant pas « par trop clair » devient carrément un contresens. Il ne s’agit pas de ne pas laisser par écrit puisque le but est de transmettre un mémoire mais bien de préciser dans quelles conditions, sous quelles formes, cela se fera.

:On notera en outre toujours filant le même thème du trop jeune âge du fils par rapport à celui du père :

Besson : « Et puisque (…) tes ans jouvenceaux (sont) incapables à recevoir dans ton débile entendement ce que je seray contraint (après ma mort .de) désigner obstrusément (lire abstrusément) »

Pseudo Macé Bonhomme : , Depuis (puisque) que ( ….) je ne veux dire tes ans qui ne sont encore accompagnez mais tes mois martiaulx incapables à recevoir dans ton débile entendement ce que je seray contraint (à ma mort) desiner ».

Le mot obstrusément (pour abstrusément) manque chez Besson. Or, le rôle de l’adverbe est ici, une fois de plus, déterminant pour faire sens.

Notons que l’adjectif « obstrus/abstrus » figure dans le titre des Singularitez (cf supra)

Reproduisons le paralléle établi par P. Guinard, concernant ce passage : à gauche, la Préface, à droite les allusions de Couillard : Est-on certain que Martial chez Couillard renvoie aux « moys Martiaulx » de la dite Préface ? Le fils supposé Martial de Couillard face au fils de Nostradamus, César…Il y a là comme une transposition assez libre, où les mots changent de fonction. Nous avons envisagé que ce texte des Prophéties du Seigneur du Pavillon aurait été fait de toutes pièces pour accréditer l’idée d’une Epitre à César.


 

[2] Et depuis qu'il a pleu au Dieu immortel que tu ne soys venu en naturelle lumiere dans ceste terrene plaige, & ne veulx dire tes ans qui ne sont encores accompaignés, mais tes moys Martiaulx incapables à recepvoir dans ton debile entendement ce que je seray contrainct apres mes jours definer :

"Non seulement pour servir à Martial mon filz, l'aage duquel ne te veux celer, comme nostre maistre Nostradamus grand philosophe et prophete, veult en son epistre tant espoventable taire les ans de Cesar son filz." (III, f.D4v

Allons voir le texte anglais à ce propos :

« And canst not say that thy years that are but few but thy Months (which) are incapable to receive into thy weak understanding” what I am forced to define of futurity”

La traduction anglaise ne mentionne pas l’adjectif « martiaulx :

L’anglais ne donne pas « je ne veux dire tes ans «  mais « tu (toi César qui ) ne peux dire que tes ans etc sont incapables »

Reconnaissons que le texte de Besson est ici plus simple

Revenons quelques instants sur le cas des Prophéties d’Antoine Couillard, seigneur du Pavillon. Si l’on admet qu’il avait sous les yeux une certaine version de la Préface à César, laquelle était-ce, de quand date-t-elle ?

Rappelons une fois de plus la version « canonique » de la Préface à César :

«&ne veux dire tes ans qui ne sont encore accompagnés mais tes mois Martiaulx incapables etc » La présentation en est strictement identique à celle que l’on trouve chez Couillard.(cf supra). Or, la version anglaise ne comporte pas « martiaulx » mais simplement « mois »/. Chez Besson, il n’est même pas questions de mois

Que conclure sur ce point ? Que Couillard –ou plutôt le faussaire qui se sert de son nom- avait en main une version « classique » de la Préface, donc relativement tardive. De nombreuses études ont été consacrées, notamment par Robert Benazra (voir sur Espace Nostradamus, site Internet) Pierre Brind’amour ( Ed. Droz, 1996)et Patrice Guinard (« Corpus Nostradamus » n°49), à la comparaison de la Préface et de la « satire » du pseudo Sgr Du Pavillon alias Couillard. Ayant défini au moins trois états de la Préface, il ressort que les Prophéties de Couillard s’apparentent au dernier état, celui comportant une interpolation issue de Roussat et la mention de Martial49, absente de la version anglaise de 1672..

On aurait donc trois états de l’adresse à César  que nous présentons selon l’ordre de progression et non pas selon celui des datations complaisamment fournies par les libraires.

-celle restituée par Antoine Besson, la plus ancienne (dans un texte non interpolé par des apports de Savonarole et de Roussat) Vers 1584-1585, en tête de la Prophétie de Nostradamus. On ne connait pas le contenu de la Préface à César placée en tête de l’édition à 4 centuries (Rouen, 1588)

- celle rendue par l’anglais 1672, proche de Besson mais avec les interpolations signalées, vers 1586-1587.

-celle du canon centurique, attestée, tant à Paris qu’à Rouen en 1588-1589 (productions ligueuses), à partir de laquelle ont été fabriquées les éditions antidatées (1555, 1557, 1568), correspond à Couillard qui cite notamment « Martial » terme absent de la version anglaise et donc probablement rajouté par la suite.

Sur les dates , Besson et le pseudo-Macé Bonhomme diffèrent : 1767 chez l’un 3797 chez l’autre. Mais dans le texte anglais, c’est bien 3797 qui figure, ce qui indiquerait une coquille du texte Besson. Ce passage est important car il est associé aux « perpétuelles vaticinations ».

Besson

« J’ay composé Livres de Prophéties (…) contenant chacun Cent quatrains astronomiques qui enveloppent perpétuelles vaticinations pour d’icy es années 1767 »

Pseudo-Bonhomme

« J’ ay composé livres de propheties contenant chascun cent quatrains astronomiques de propheties (…) & sont perpétuelles vaticinations pour d’icy à l’an 3797 »

Dans le texte Bonhomme, la formule «  prophéties (redoublée) est séparée par quelques mots de « perpétuelles vaticinations ». Chez Besson, il est clair que les « quatrains astronomiques » s’articulent sur des « prophéties perpétuelles », ce qui ne correspond guère, à quelques exceptions près, au profil des 4 premières centuries. Cela ouvre le champ à l’hypothèse de « prophéties » associées systématiquement à des années, selon un systéme que l’on retrouve chez Moult, au XVIIIe siècle, ouvrage qui en 1866 sera joint aux Centuries (Ed. Chevillot) et au Recueil des Prophéties anciennes et modernes, dans l’édition parisienne Delerue.

Mais l’observation la plus remarquable quand on compare ces deux moutures est ailleurs, elle tient à une interpolation, d’autant que la fin des deux épîtres est identique.

En quoi consiste ce long développement ajouté ou supprimé ? A quel endroit s’inscrit-il ? Nostradamus est en train de s’adresser directement à son fils en se référant à son thème natal. »au propre ciel de ta nativité » et ensuite, chez Besson, Nostradamus poursuit à propos d’un « mortel glaive », ce qui correspond à une représentation de comète. Puis en conclusion, il est question des prophéties qui s’accompliront « ainsi que j’ay rédigé par escrit aux miennes Prophéties (..) prends donc, mon fils César, ce don de ton progéniteur Michel Nostradamus ». Chez Bonhomme, on trouve « aux miennes autres Prophéties . C’est une allusion à un autre « train » de prophéties qui n’était peut être pas envisagé initialement.

Mais abordons donc toute la partie figurant en sus dans la mouture « classique ». De quoi s’agit-il ?.

Brind’amour note (p.27), dans son édition critique : « Les paragraphes 37, 38 et 39 (selon sa division de la Préface) s’inspirent largement mais confusément d’une discussion de Savonarole sur les futurs contingents » Or, cela correspond exactement au début du décrochage entre Besson et Bonhomme.

A partir des paragraphes ( toujours selon la division Brind’amour) 42, 43-44-45-46, on emprunte à Richard Roussat, à son Livre de Etat et Mutation des Temps, Lyon, Guillaume Cavellat, 1550 ( Gutenberg reprint, 1981, intr. J. P. Brach) :

« Bien que Mars achève son cycle et se trouve à la fin de sa dernière période, l'on peut douter qu'il en engage un autre, car (bien avant son retour) les uns auront péri dans des explosions durant plusieurs années, et d'autres dans des inondations pendant plus longtemps encore ».

. Cet exposé repris de Roussat, très technique, fondé sur une astrologie décalée par rapport à la réalité astronomique, détone, d’ailleurs, par rapport aux considérations générales du reste de la Préface, commun entre Bonhomme et Besson. Ajoutons que l’on trouve un écho à ces développements dans certains quatrains des premières centuries mais que nombreux sont les quatrains astronomiques qui ne renvoient pas à cette astrologie que l’on voit exposée chez Trithème. Chaque planéte a un cycle de 354 ans (calqué sur l’année lunaire de 353 jours) et ensuite, lui succéde une autre planéte. Dans ce systéme, jamais une planéte n’en rencontre une autre, elles se succédent mais ne se conjoignent pas tel un jour de la semaine succédant à un autre. Or, nombre de quatrains appartiennent plutôt à une astrologie combinatoire ( comme I, 17 : Faux à l’estang etc)

La concordance entre les deux textes reprend au paragraphe 51. L’interpolation s’étend ainsi du Paragraphe 37 au paragraphe 50. Sur 55 paragraphes de la Préface, un quart correspondrait à une interpolation à base de Savonarole et de Roussat.

Robert Benazra50 a relevé un passage des Prophéties de Couillard qui recoupe le texte de Roussat :

Préface à César : "Car selon les signes celestes le regne de Saturne sera de retour, que le tout calculé, le monde s'approche, d'une anaragonique revolution" (fol. B3v)
- Prophéties du Sgr du Pavillon :   "puisque noz nouveaux prophetes nous menassent que le monde s'aproche d'une anaragonicque revolution, & qu'il perira si tost" (fol. D4v). Ce pluriel semble ne pas pouvoir viser le seul Nostradamus.

Cela nous conduit donc à faire de Couillard le commentateur d’un texte déjà tardif, interpolé et donc ne pouvant avoir été réalisé à partir de la première édition des Centuries. En revanche, il reste à déterminer s’il est plus proche de la version anglaise ou de la version canonique, ce qui est difficile à mettre en évidence, vu qu’il s’agit d’un texte qui ne restitue pas strictement le document dont il s’inspire. Or, Couillard fait allusion à « Martial », certes de façon quelque peu décalée, comme le montre ci –après R. Benazra, ce qui ne figure pas dans la version anglaise :

Lettre à César :   "& ne veulx dire tes ans qui ne sont encores accompaignés, mais tes moys Martiaulx incapables à recevoir dans ton debile entendement" (fol.A2v)
- Prophéties de Couillard :   "Non seulement pour servir à Martial mon filz, l'aage duquel ne te veux celer, comme nostre maistre Nostradamus grand philosophe & prophete, veult en son epistre tant espoventable taire les ans de César son filz" (fol. D4v)

Si Couillard s’inspire de la Préface, nous montrerons que les rédacteurs des quatrains des premières centuries s’en inspirent également, y compris de la partie interpolée. Mais, nous penchons plutôt pour une source commune aux deux documents, notamment la Déclaration de Videl.

Revenons sur les emprunts à Richard Roussat, en distinguant la partie II et la partie III de son Livre de l’Estat et Mutation du Monde, Lyon, 1552



 

I Seconde partie

Nous avons remarqué tout particulièrement trois quatrains  au sein des trois premières centuries: I, 48 mais surtout III, 92  et 1, 16:

I 48 « Vingt ans du regne de la lune passés

Sept Mil ans autres tiendra sa monarchie

Quand le soleil prendra ses jours lassés

Lors accomplir & mine ma prophétie »

Dans ce systéme qui n’a rien d’astronomique ou qui correspond à une astronomie fictive, on nous signale qu’au régne de la Lune suivra celui du Soleil.

III 92 les deux premiers versets

« Le monde proche du dernier période

Saturne encore tard sera de retour »

I 16, le troisiéme verset

Peste, famine, mort de main militaire
Le siecle approche de renovation.

"Car selon les signes celestes le regne de Saturne sera de retour, que le tout calculé, le monde s'approche, d'une anaragonique revolution" (Préface, fol. B3v)

« par pestilence, longue famine & guerres » (Préface)

Donnons d’autres exemples d’emprunts de versets, dans les premières centuries, au texte en prose de la Préface à César

« Et maintenant que sommes conduits par la Lune (…) que avant qu’elle ayt parachevé son total circuit, le Soleil viendra « 

I 48 « Vingt ans du regne de la lune passés /…/ Quand le soleil prendra ses jours lassés

 

II Tierce Partie

 

La plupart de mes prophéties seront accomplies (Préface): I, 48 Lors accomplir & mine ma prophétie 

- Comme nous l’avions montré, dans notre post-doctorat, les quatrains des almanachs reprennent des pans des textes en prose des Prédictions. Nous avons ici, pour les Centuries un cas semblable  où le quatrain reprend quasiment toute une phrase en deux versets de la partie interpolée, empruntée à Roussat. Il faut noter le nombre de mots communs,- sans tenir compte des synonymes- sans trop se soucier du sens 51:

Monde

Prophétie

accomplir

Proche/approche Saturne

Retour

Peste

Famine

Lune

Soleil

On nous objectera peut etre que nous ne considérons pas systématiquement un quatrain dans son intégralité. De fait, il nous est apparu qu’au sein d’un même quatrain des éléments très divers pouvaient cohabiter, qu’il ne convenait de chercher à tout prix à considérer un quatrain comme une entité d’un seul tenant.

Une des sources oubliées des Centuries, serait ainsi à rechercher dans les épîtres en prose les introduisant, elles mêmes fruit d’emprunts et d’interpolations. Mais en est-il ainsi pour les épîtres associées au second volet. ?
 

II Plagiats et interpolations dans le corpus nostradamique. Le cas de l’Epitre à Henri II

Deux thèses sont en présence concernant la question des emprunts voire des plagiats dans le corpus nostradamique. La plus en vogue, actuellement, tend à considérer que Nostradamus a récupéré et retranscrit des documents mais qu’il les a situés dans un nouveau contexte, ce qui le dédouanerait et en tout cas éviterait la seconde thèse selon laquelle ces emprunts, dans certains textes, seraient la preuve que les dits textes auraient été complétés par la suite par d’autres acteurs. C’est cette seconde thèse qui est actuellement renforcée à la suite de nos travaux concernant les différentes versions de la Préface à César. Jusque là, à quelques variantes près, toutes les éditions reprenaient à 99% les mêmes données. Or, ce n’était plus le cas dès lors que l’on introduisait des versions « atypiques » - et certes tardives – comme la traduction anglaise de 1672 et l’édition, une vingtaine d’années plus tard, réalisée par le libraire lyonnais Antoine Besson, dont les bibliographes comme Chomarat ou Benazra ne signalèrent pas, voici 20 ans, les particularités concernant les épîtres centuriques.

Un autre cas, assez célébre, de plagiat nostradamique – quelles qu’en puissent être les justifications, lors du passage du signifiant au signifié- a été fourni en 1986 par Chantal Liaroutzos, laquelle d’ailleurs n’hésite pas à tenter de justifier un tel emprunt par le traitement qui en est fait et qui est forcément créatif. Il s’agit de tous ces quatrains du second volet recyclant des séries de noms de lieux, repris des publications de Charles Estienne, et nous avons d’ailleurs élargi son travail à d’autres textes du même Estienne en montrant que cela incluait aussi des lieux hors du royaume (Voyages). Nous avons, à ce propos, dans nos textes, employé le terme de « remplissage » et étions fort réticents à attribuer à Michel de Nostredame de telles pratiques bien peu compatibles, paradoxalement, nous semblait-il, avec une certaine image de « prophéte » que d’aucuns tenaient, par ailleurs, à lui accoler. Bien plus, ces mêmes quatrains issus d’un pillage d’itinéraires, avaient eux-mêmes été retouchés, des versets remplacés, des noms de lieux corrompus ou délibérément modifiés.(IX, 86) mais cela ne changeait rien au processus initial de l’emprunt, quelles qu’aient pu en être la finalité ou l’évolution subséquente. Il se trouve que nous avons consacré un certain temps, dans un tout autre domaine, au rôle d’un célébre plagiat, celui du Dialogue52 de Maurice Joly qui servit comme substance à la composition des Protocoles des Sages de Sion mais l’on pourrait aussi aborder la génése de la prophétie des papes de Saint Malachie.53. Faire un faux, c’est souvent recourir au plagiat, ne serait-ce que pour gagner du temps, les faussaires n’ayant pas les mêmes valeurs et les mêmes priorités que les auteurs authentiques. Autrement dit, chaque fois que l’on découvrait une « source » d’un texte attribué ou associé à Nostradamus, se poserait la question de la contrefaçon, non pas seulement du fait du plagiat en tant que tel mais de l’usage qui en était fait pour réaliser la dite contrefaçon. Or, jusque là, on tendait à découpler les deux aspects : plagiat oui, mais pas pour autant faux, dès lors que ce plagiat était le fait de Nostradamus lui-même. On peut d’ailleurs également parler d’un plagiat à l’encontre de Nostradamus quand on peut observer que certains quatrains des almanachs ou des centuries sont issus de textes en prose du dit Nostradamus. Plagiat éventuellement accepté par l’auteur lui-même, peut-on raisonnablement supposer, dans le cas des quatrains des almanachs, dont nous avons montré qu’il s’agissait de compilation assez fantaisiste de « présages prosaïques ». Signalons le travail de Pierre Brin d’amour, de Roger Prévost ou de Peter Lemesurier repérant les sources de certains quatrains – ou de l’avertissement latin (placé entre les centuries VI et VII). On peut en effet être surpris de noter que des chroniques historiques sensiblement antérieures au temps de Nostradamus puissent avoir servi pour la composition de quatrains centuriques. Qu’est-ce qu’une prophétie qui se nourrit d’événements passés ? Pour justifier une telle pratique, Lemesurier introduit le principe de « Janus » fondé sur l’idée d’une certaine cyclicité évenementielle, à caractère astrologique. On parlerait du passé pour explorer le futur.

Un cas intéressant, faisant pendant à notre travail sur les préfaces à César est celui des épîtres à Henri II. Nous prendrons d’une par le cas du texte figurant en tête des Présages Merveilleux pour 1557 et de l’autre le même corpus que pour César : Garencières et Beson, confrontés aux versions canoniques de la dite Epitre au Roi, étant entendu que ce n’est pas parce qu’il y a eu interpolation dans un texte que le texte débarrassé des éléments rajoutés devient, ipso facto, authentique, si au départ c’est déjà un faux, ce qui est évidemment le cas pour la génése de la dite Epitres. Il peut y avoir, en effet, plusieurs couches d’additions, en une sorte de mille feuilles.

Dans le cas de l’épître à Henri II, la vente de la collection Ruzo – et l’acquisition des Présages par la Maison de Nostradamus (Salon de Provence) – a mis ce texte à la disposition des chercheurs – mais dès 2002 nous avions publié un reprint de la dite Epitre de 155654, grâce à la veuve de Ruzo. Mais cela n’a guère influencé, à notre connaissance, le discours des nostradamologues sur la question de l’authenticité de l’Epitre de 1558 comme s’il était normal qu’à deux ans d’intervalle, Nostradamus eut pu produire deux épîtres au Roi, dont la seconde en partie calquée sur la première quant aux circonstances de l’entrevue, et sans se référer à la précédente. Mais désormais, nous penchons pour la thèse de l’inexistence d’épîtres au Roi par Nostradamus tout comme de l’improbabilité d’une quelconque épître à César, dans les années 1550..

I le passage de 1556/7 à 1558

La comparaison entre les deux épîtres est déjà quantitative. Le texte de 1556/7 est bien plus bref. Mais le scénario d’une récente rencontre avec le souverain est maintenu si ce n’est que dans la lettre de 1556, Nostradamus évoque un certain retard qu’il a pris, du fait que ses Présages pour l’année précédente, c'est-à-dire pour 1556, ne sont point parus. Or, au vu du Recueil des présages prosaïques, il y eut bel et bien des publications55 et d’ailleurs, il sera souvent fait référence à une édition centurique datée de 1556 (Ed. Amsterdam, 1668) et La Croix Du Maine, dans sa Bibliothèque (1584) renvoie à des publications de 1556, à Paris, chez Sixte Denyse- En revanche, et c’est ce qui a du inspirer un tel argument, il n’y a pas de quatrains-présages pour 1556 dans la collection qui figure dans les recueils centuriques, c'est-à-dire en fait pas d’almanach, ce qui a du induire en erreur le faussaire. Etant donné que l’épître de 1556 pour 1557 est datée de janvier 1556 (style de Pâques) en fait janvier 1557 ), l’on est conduit à penser que la rencontre avec le roi eut lieu, comme cela est généralement admis par les biographes, en 1555, ce qui aurait conduit, s’il n’y avait pas eu de report, une épître datée de janvier 1555 (c'est-à-dire 1556). Entre les deux épîtres, il n’y a donc que 18 mois d’écart : janvier 1557-juin 1558. Il est possible que l’on se soit dit : puisque déjà Nostradamus avait un an de retard, pourquoi pas deux ? Mais Nostradamus, dans l’épître centurique à Henri II n’évoque aucunement en juin 1558 un quelconque retard d’environ 3 ans entre la date de l’entrevue et celle de l’Epître. Si en 1557, Nostradamus s’excuse de son retard, qu’est-ce que cela aurait du être en juin 1558 ? Selon nous, à un certain stade, il y eut une confusion dans les dates mais il semble exclu qu’initialement l’épître au Roi ait pu être datée de 1558. Dès lors, dans le second volet qui serait paru à la suite du premier, chez Antoine du Rosne (Utrecht), il est possible que la date de l’édition contrefaite ait été janvier1556, c'est-à-dire début 1557, d’autant que le second volet n’est coutumièrement, jamais daté.

Par ailleurs, on voit très bien que l’épître placée en tête des Présages a été interpolée pour y annoncer, à la place, les Centuries. »ces trois centuries du restant de mes Prophéties » La comparaison avec l’épître 1558 fait ressortir un ajout considérable largement inspiré de la littérature apocalyptique, notamment les anagrammes de Gog et Magog (Dog et Dogam). Mais on notera aussi la mention, dans l’épître 1558, des années 1585 à 1606, cette année 1585, faisant suite à 1584, année de la mort du duc d’Alençon, dernier fils de Catherine de Médicis, ouvrant la succession en direction des Bourbons. Dans les additions, nous trouvons la célébre annonce de l’année 1792. Ajoutons un intérêt particulier pour l’an 1606, dont on nous fournit en vrac les positions planétaires, sans précision de date à moins que celle-ci n’ait été supprimée par la suite , ce qui tend à nous situer sur le début du XVIIe siècle et la production troyenne.

II l’apport rétrospectif de l’édition Besson (c 1691)

En réalité entre ces deux épîtres, il y en a une autre qui vient s’intercaler, c’est celle de l’édition Besson qui est datée de 1558 mais qui, selon nous, aura correspondu à son premier état. La dite édition ne comporte pas encore, en effet, les développements bibliques dont il vient d’être question. Elle nous offre un cas de figure très proche de celui que nous avions pu observer pour la Préface à César, ce qui fait ressortir l’interpolation propre à la version « canonique » de l’Epitre. Entendons par interpolation non pas seulement un ajout mais une insertion d’un texte au milieu d’un autre, ce qui préserve une apparence de similarité au début et à la fin du texte et peut ainsi ne pas être remarqué.

Le texte Besson s’inscrit parfaitement entre les deux autres, en ce qu’il comporte des éléments nouveaux par rapport à l’épître de 1556/1557 et qu’il ne comporte pas les longs développements empruntés aux « Saintes Ecritures » de l’épître de 1558. On notera une formule qui avait déjà été signalée au début de la Préface Besson à César : « pour les évenements et singularitez obstruses (sic)», dont nous avions dit qu’il qualifiait le « Mémoire » que Nostradamus léguait – dont il faisait « don »- à son fils  si ce n’est que le mot « obstrus » est remplacé par « abscons ». On notera que ce n’est pas, ici, le texte qui est « abscons » ou « abstrus »- « obstrus, dans le texte, est une coquille - mais bien ce qui se passe dans le monde. Ces deux adjectifs, considérés comme des synonymes interchangeables, signifiant ce qui est obscur, compliqué. L’étymologie d’abscons, pourrait signifier ce qui est caché (espagnol : escondido)

Nous trouvons une formule quasi identique dans la version Besson – très bréve comparée aux autres versions- de l’épître à Henri II «prophétiques supputations astronomiques correspondant aux ans, mois, semaines & jours comme aussi aux diverses régions , contrées et villes, tant de notre Europe que des autres parties du monde pour les événements & singularités obstruses (lire abstruses)  qui écloront dans leur temps fixé»

Cette formule est absente de l’épître canonique à Henri II alors même, comme on vient de le noter, elle apparait dans les premiers intitulés du premier volet.

Mettons en évidence l’interpolation scripturaire en restituant le document avant que la dite interpolation ait pu s’effectuer. Il nous suffira pour ce faire de signaler à quel endroit, à quel moment de l’Epitre Besson, l’on aura inséré ces développements comme on l’a fait pour la Préface à César :

Fin de la Partie initiale commune à l’édition Besson et à l’édition « canonique » :

« Besson :

« Et non comme jadis on soulait de faire pour les Roys de Perse qu’il n’était aucunement permis d’aller à eux, ni moins s’en approcher sans mains garnies de riches offrandes. Ains comme à un très bénévole & tres sage Prince, j’ay consacré le chetif présent de mes nocturnes & prophétiques supputations nocturnes (…)correspondant aux ans, aux mois, semaines & jours , comme aussi aux diverses régions , contrées & villes , tant de notre Europe que des autres parties de ce bas monde terien(sic) pour les événements & singularitez obstruses (sic, lire abstruses) qui écloront dans leur tems fixé, au détriment ou profit de plusieurs mortels qui en seront moult lezez ou gaillardement gratifiez. Le tout composé d’une naturelle miennne propension & grand désir qui m’a porté à ne me pas voir totalement debiteur insolvable envers vostre Royale magnanimité pour tant de tesmoignages qu’en ay reçu »

Canonique

« non comme les Rois de Perse qu’il n’était nullement permis d’aller à eux, n’y (sic) moins s’en approcher [ sans mains garnies de riches offrandes ] Mais à un tres prudent , à un tressage Prince j’ay consacré[le chétif présent de ] mes nocturnes et prophétiques supputations ( composées plustost d’un naturel instinct, accompagné d’une fureur poétique que par régle de poésie & la plupart composé & accordé à la calculation astronomoque) correspondant aux ans, aux mois, semaines des régions, contrées & de la plupart des villes & citez de toute l’ Europe comprenant

On notera que la langue de l’édition Besson comporte des archaismes appartenant à l’ancien français, qui ne figurent pas dans l’édition canonique, tel ce « ains » (Besson) rendu par ‘mais » (canonique). C’est là un signe de l’ancienneté de la mouture. Besson. On a là, par ailleurs, un exemple de phrase tronquée : la question n’était pas que l’on ne pouvait s’approcher de ces Rois mais qu’il ne fallait pas s’adresser à eux les mains vides puisque tout tourne ici autour du présent, du cadeau, de l’offrande que l’on peut/doit offrir aux rois..

On trouve « ains » dans deux quatrains de la première centurie (I, 10, I, 25)

I 10 Ains mourir voir de fruict mort & crys

I 25 Ains que la Lune achéve son grand siecle

Il semble bien dès lors que la langue des épîtres a pu être modernisée, d’où ce remplacement de ‘ains » par « mais ».

Partie conclusive :

Besson

Mais tant seulement je vous requiers ô mon roy tres magnanime d’avoir de plus benins regards pour mon cœur & bon courage en l’acceptation de cette mienne chetive offrande que pour son peu de valeur & ferez en cela une bénigne gratification »

.Version canonique :

«  Mais tant seulement je vous requiers, ô Roy tres clément par icelle vostre singulière & prudente humanité, d’entendre plutôt le désir de mon courage et le souverain estude (lire ; désir) que j’ay d’obéir à vostre Sérenissime Majesté, depuis que mes yeux furent si proches de vostre splendeur solaire, que la grandeur de mon labeur n’atteint ne requiert

Contenu de l’interpolation dans l’Epître au Roi 1558

Début ; « Et pour ce, ô tres humanissime Roy, la plupart des quatrains prophétiques sont tellement scabreux que l’on n’y saurait donner voye ny moins aucuns interpréter , toutefois espérant de laisser par escrit les ans, villes, citez , régions ou la plupart adviendra, mesmes de l’année 1585 etc

Fin de l’interpolation : longue citation latine.il n’y a pas de latin dans les épîtres Besson.

Il nous faut corriger ce dernier texte par la traduction anglaise de 1672. Car celle-ci ne correspond pas avec le texte de Besson de l’Epitre à Henri II mais n’en représente pas moins un état de la dite épître moins corrompu que celui de la version canonique. Il faut lire « le souverain désir » et non le souverain « estude » : the desire of my Heart and the earnest desire I have » . Ainsi toutes les éditions centuriques du second volet comportent-elles estude. Nul doute que la forme « souverain désir «  soit celle d’origine, du moins sous sa forme interpolée. De même la version anglaise Garencières de la Préface à César correspond-elle à un état plus ancien de la mouture interpolée. Il ressort que le texte centurique n’a que fort peu de potentialités pour relever et corriger ses dysfonctionnements, il en est quitte pour compter sur l’exégése pour se payer une nouvelle cohérence.

 

10 - L’étude négligée des épîtres centuriques en prose

Il nous apparait que l’on se doit d’être très exigeant par rapport à la compréhension des textes en prose alors même que les quatrains ne sauraient être considérés que comme un assemblage assez imprévisible. Etrangement, on a parfois l’impression que certains commentateurs cherchent plus à donner sens aux quatrains qu’aux épîtres.

. Nous avons montré pour la partie introductive de la Préface, la version Besson ne souffrait pas de cette construction étrange que note P. Guinard56. Ci-dessous sa « traduction » et son commentaire :

« Ton arrivée tardive, César Nostradame mon fils, m'a laissé beaucoup de temps, passé en veillées nocturnes, pour transmettre par l'écriture ce que l'essence divine m'a permis de connaître au moyen des révolutions astronomiques, afin de t'en laisser la trace après ma mort et pour le commun profit des hommes. » Et Guinard d’ajouter pour expliquer qu’il ne s’en tient pas à la lettre du texte :
« Cette entrée en matière, alambiquée pour l'œil moderne, est caractéristique du style du provençal ; l'ordre des compléments est parfois aléatoire, et la multitude des compléments et des éléments de la phrase atteint parfois une complexité inextricable : autrement dit, c'est le style d'un énoncé latin, transposé au français

On note que ce faisant Guinard passe à côté du titre du Mémoire et mêle du mot « Mémoire » lui-même, que nous avons pu restituer grâce notamment à la présentation plus cohérente de Besson. :Mémoire des singularitez & absconses evenemens par calcul & astronomiques revolutions  La fin de la Préface, faisant suite à l’interpolation, recoupe un tel titre ;

« Viens asture mon fils que je trouve par mes revolutions (…) Il y aura mille evenements qui surviendront »

On retrouve cette expression dans le titre d’un ouvrage de Pierre Belon (1517 -1564), paru à Paris en 1553, chez G. Corrozet : Les observations de plusieurs singularitez et choses mémorables trouvées en Grèce, Asie, Judée, Égypte, Arabie et autres pays estranges, rédigées en trois livres, réédité et augmenté à Anvers en 1555, chez Jean Steelsius. On est loin de l’interprétation qui voudrait que mémoire ne signifie que souvenir, comme chez P.Brind’amour (Droz, 1996), ne renvoyant donc pas à un document spécifique.

Ce qui n’est pas sans évoquer les sous titres de certaines éditions centuriques, et ce dès le titre de l’édition de Rouen à 4 centuries (1588) : Grandes et Merveilleuses Prédictions (…)esquelles se voit représenté une partie de ce qui se passe dans le monde tant en France, Espaigne, Angleterre que autres parties du monde ».

Mais nous trouvons une formule quasi identique dans la version Besson – très bréve comparée aux autres versions- de l’épître à Henri II «prophétiques supputations astronomiques correspondant aux ans, mois, semaines & jours comme aussi aux diverses régions , contrées et villes, tant de notre Europe que des autres parties du monde pour les événements & singularités obstruses (lire abstruses)  qui écloront dans leur temps fixé». On trouve plus loin dans la Préface «  déclarant pour le commun advenement par  obstruses (sic) & perplexes sentences les causes futures, mesmes(surtout) les plus urgentes) « 

Pour en revenir aux soupçons que l’on ne se privera pas d’exprimer vis-à-vis de la version française de la traduction anglaise voire vis-à-vis de la version anglaise elle-même – corpus largement ignoré des nostradamologues francophones et a contrario devenu classique dans les pays de langue anglaise- et il y a là apparemment un manque de concertation entre les uns et les autres-il nous semble tout à fait hors de question que l’on ait supprimé des passage de la Préface à César et que ces suppressions, survenues dans le courant du xVIIe siècle, aient précisément affecté des passages relevant d’une certaine forme de plagiat. On est bien là devant un cas exemplaire d’interpolation qui n’est pas sans évoquer celui des Significations de l’Eclipse de 1559, dont l’emprunt à l’Eclipsium de Leovitius reléve lui aussi d’un certain collage, d’un texte interpolé, un tel phénoméne caractérisant les épîtres centuriques (à César comme à Henri II). Notons que tous ces emprunts sont bien connus mais qu’ils n’ont pas conduit, pour autant, à la thèse de l’interpolation, comme s’ils avaient fait partie du texte dès sa conception. Pour renforcer et étayer celle-ci- dossier qui vient s’ajouter à la question des éditions antidatées et postdatées ainsi notamment que du décalage entre titre et contenu- ce qui n’est pas sans faire songer aux mœurs du coucou- il fallait la possibilité de comparer un texte avec et un texte sans ces additions., c’’est précisément ce que nous fournit la comparaison des versions de la Préface à César. Précisons que la traduction anglaise correspond à un état plus tardif du texte français que la version Besson, puisqu’elle comporte des interpolations absentes dans la dite version et ce, pour les deux épîtres centuriques..

Nous ajouterons qu’il est deux maux dont auront souffert, entre autres, les études nostradamologiques : une certaine incurie à l’endroit des textes en prose, dispensant de rétablir un sens obvie et une certaine désinvolture au regard de l’argument post eventum comme permettant de rétablir une chronologie des versions et des variantes. Nous pronons, d’une part l’’idée selon laquelle quand un texte semblait tronqué, il importe de rechercher des éditions ou des documents dans lesquels le texte était plus cohérent et de l’autre, le refus d’ignorer l’adéquation par trop évidente entre un texte et un événement, ce qui est le fondement de tout processus de re-datation par rapport à l’antidatation comme par rapport à la post-datation.
 


 

III La vie de Nostradamus

Nous avons insisté sur la mission de récupération systématique –incluant la production de documents d’époque par-dessus le marché- et notamment signalé la dette des éditions du XVIIe siècle à l’égard du Janus Gallicus (1594). Cela vaut aussi pour un document qui est intégré parmi les textes en prose de ce corpus nostradamique extensif qui va marquer le siècle, à savoir le Brief Discours sur la vie de M. Michel de Nostredame ; iadis conseiller et médecin ordinaire des rois treschrestiens Henry II (lire second) du nom, François II (lire second), et Charles IX (lire neuviéme) qui va reparaitre peu après, au sein des éditions centuriques sous le titre suivant « La vie de Maistre Michel Nostradamus, Médecin ordinaire du Roy Henry II. Roi de France », lequel est tronqué puisqu’il ne signale qu’Henri II et non deux de ses fils . Apparemment absente de toute la première moitié du siècle, elle reparait en 1649, dans une édition rouennaise, due à un collectif de libraire sous le titre de Vrayes Centuries (cf RCN, p. 206). A partir de là , elle figurera dans nombre d’éditions de la seconde moitié du siècle, notamment en Hollande mais aussi dans l’édition Antoine Besson (c. 1691)

Ce qui est remarquable, c’est que cette notice nécrologique ne soit pas parue au lendemain de la mort de Nostradamus. Rappelons que les prétendues éditions Benoist Rigaud ne signalent même pas son tout récent décés. On peut d’ailleurs se demander si lors des vraies premières éditions, dans les années 1580, une telle notice ne serait pas parue, pour resituer un personnage déjà un peu ancien et peu ou prou oublié, encore que ses imitateurs aient pris le relais souvent en son nom. De même, il faudra attendre la seconce moitié du siècle pour que des éditions centuriques paraissent accompagnées d’une liste de prévisions réussies, alors que cela aurait du être le cas dès l’origine. Comment expliquer ce « mystère » ? Avant 1594, aucun commentaire ne parut, même pas d’ailleurs de pseudo-édition de commentaires qui aurait été antidaté. Il faudra encore attendre la période de la Fronde, jusqu’à l’entreprise avortée du dominicain Giffré de Réchac (Eclaircissement, 1656) et surtout la décennie 1660, à Amsterdam, pour que le processsus exégétique se mettre véritablement en place.57  Initialement, à partir donc des années 1580, le systéme fonctionnait autrement, par un apport de nouveaux quatrains/sixains et par des retouches des documents, d’une édition à l’autre. On dira, que l’on est passé de la phase du signifiant à celle du signifié. Quand le signifiant, c'est-à-dire, le texte n’a plus pu être chartraugmenté, on bacsula vers le recours à la glose. Il y eut certes une première tentative au début des années 1590 avec Jean-Aimé de Chavigny –avec une réédition parisienne en 1596- mais cela fit long feu et il fallut attendre une nouvelle période de troubles, à partir de 1649, pour que le commentaire devienne la voie royale du nostradamisme.

Il est clair que la Vita, insérée dans le Janus Gallicus puis dans le Janus François- nous verrons que les deux éditions datées de 1594 qui nous sont parvenues différent - est le prototype des biographies de Nostradamus qui suivront jusqu’à nos jours. Nostradamus « se mit à escrire ses Centuries & autres présages commençant ainsi (D’esprit divin etc ) lesquelles il garda long temps sans les vouloir publier (…) A la fin (il) les mit en lumière » et sur ces entrefaites Henri II « l’envoya quèrir pour venir en Cour l’an de grâce 1556 »

Il pourrait y avoir eu une interpolation avec « & autres présages » vu que la phrase est assez bancale avec l’usage du féminin pluriel (lesquelles) faisant suite à un masculin pluriel (Présages) : «  Centuries  & autres présages  lesquelles il garda «  à moins que cela ne soit – ce qui nous semble plus probable, l’inverse : il « se mit à escrire ses présages commençant ainsi « D’esprit divin etc », premier quatrain de la série des Présages, mais aussi du Janus Gallicus, le terme renvoyant ici à des quatrains. Selon nous, il est possible que le rédacteur des « quatrains » des almanachs ait pu être Jean de Chevigny.. Si Henri II invita Nostradamus à la Cour, c’est du fait de ses présages et non de ses centuries, et pour cause et ce ne fut pas en 1556 mais en 1555, ce point étant largement admis par les biographes. Mais comme c’est 1556 qui figure dans le « Brief Discours », l’on peut se demander si ce n’est pas cette erreur qui aura conduit à (re)dater l’Epitre au Roi, écrite au retour de la Cour, pour juin 1558, ce qui décidément était bien tardif, mais moins pour 1556 que pour 1555..

Le Recueil des Présages Prosaïques ne comporte pas le texte intégral des Présages Merveilleux mais uniquement des éléments ayant été retrouvés dans une attaque (cf B. Chevignard, Présages, pp. 281 et seq) : « D’un autre présage sur la mesme année qui ne se trouve point, dédié à la Magesté du Roy Tres Chrestien. Passages sugillez et calomniez par un des haineux de l’auteur pour ne les avoir entendus et retirez d’un sien livre imprimé à Paris 1558 ». Il s’agit du Monstre d’Abus, Paris, Barbe Regnault, 1558 qui vient servir de « garant » à l’Epitre au Roi qu’il mentionne.. On peut d’ailleurs penser que si ce texte avait figuré dans le Recueil, il différerait quelque peu de l’imprimé, la version imprimée du dit Recueil étant amplifiée, ce qui ressort de la comparaison avec la production conservée, comme nous l’avons montré en ce qui concerne l’almanach pour la même année 1557.

L’auteur de cette « vie » mentionne César « auquel il a dédié ses Centuries premières » et fait référence aux « Commentaires de son dit Père » :

« duquel (César) nous devons esperer de grandes choses si vray est ce que j’en ay trouvé en plusieurs lieux des Commentaires de son dit père, notamment sur l’an 1559 & mois de iuillet où je renvoye le lecteur ». Or, comment le lecteur auquel on s’adresse ainsi pourrait-il aller consulter deux quatrains de l’an 1559 ? Certes le Janus Gallicus comporte-t-il ça et là, en ordre dispersé, quelques quatrains des almanachs mais cela nous semble bien plutôt introduire le Recueil des Présages Prosaïques, lequel présente les quatrains d’almanachs dans l’ordre chronologique, que le Janus Gallicus. Notons que le Janus François- il y a une édition avec un titre latin et une autre avec un titre français- porte comme sous titre « extraite et coligée des centuries et autres commentaires de M. Michel Nostradamus.  ²Mais le titre de l’édition latine ne parle que des tetrastichis, c'est-à-dire des quatrains.

En ce qui concerne les informations sur le corpus centurique, nous lisons que Nostradamus ‘ » a escrit XII centuries de prédictions comprises briefvement par quatrains, que du mot Grec il a intitulé Prophéties, dont trois se trouvent imparfaites, la VII, XI & XII. Ces deux dernières ont long temps tenu prison & tiennent encore pour la malice du temps, en fin nous leur ouvrirons la porte ». Il y a là une erreur, les trois centuries en question sont la VII, la XI et la XII.

Chavigny se référe explicitement au Recueil de Présages Prosaïques Rappelons que le nom de Chavigny figure sur la page de titre d’un manuscrit de cet ouvrage (Bibl. Lyon La Part Dieu) rassemblant la production en prose mais aussi les quatrains des almanachs, sans aucune mention des centuries, également absentes de son volume de correspondance: « Nous avons de luy d’autres présages en prose, faits puis (depuis) l’an 1550 iusques à 67 qui colligez par moiy la plupart & rédigez en XII livres sont dignes d’estre recommandés à la postérité »

Chavigny distingue à la fin du « Brief Discours » deux types de textes de Nostradamus  d’une part les quatrains des Centuries, de l’autre les » présages en prose » (parus entre 1550 et 1567) : lesquels « comprennent nostre histoire d’environ 100 ans & tous nos troubles, guerres & menées dez un bout jusques à l’autre », alors que les « centuries » « s’estendent en beaucoup de longs siècles ». Mais il semble qu’initialement, Chavigny n’ait pas eu l’intention de regrouper et de combiner au sein d’un seul volume, les deux types de travaux puisqu’il écrit au sujet des Centuries : «  dont nous avons parlé plus amplement en un autre discours sur la vie de ce mesme Autheur qui bien tost verra la lumière où nous remettons le Lecteur, ensemble au dialogue Latin qui cy après sera rapporté ». Quel est ce dialogue latin auquel il est fait allusion ? Il s’agit de l’auteur débattant avec Jean Dorat , comme il est indiqué explicitement dans la version latine de la Vita.». «in ea quoque dialogo, quem ad Ioan. Auratum aliquot ante annos destinavimus & huic opusculo attexuimus » Et de fait, l’on trouve dans l’édition au titre français Janus François, le texte de Dorat, mais-ce qui est exceptionnel, seulement en latin. : Ad Io Auratum poetam et interpretem (….) Epistola. C’est un dialogue entre Auratus (Dorat) et Collector (Chavigny, il se présente au titre sous ce nom). Rappelons que selon Dorat avait servi pour produire un faux daté de 1570, consacré à la naissance d’un Androgyn, et dont la Préface était due à Jean de Chevigny, traducteur vers le français du latin du poéte de la Pléiade.

Rappelons l’existence d’un livret intitulé L’ Androgyn58 né à Paris le XXI. Iuillet MDLXX illustré des vers latins de Iean Dorat,Poété du Roy Treschrestien, contenans l’interprétation de ce monstre. Avec la traduction d’iceux en nosre vulgaire François, dédiéeà Monseigneur le Président l’Archer, Lyon, Michel Jove. L’Epitre à Michel Larcher, signée I. de Chevigny, est du 19 août 1570. On a là un autre exemple de texte bilingue comportant un Carmen Ioan. Aurati poetae Regii De monstro Androgyno Lutetiae nato annon Domini 1570.21. Iulii. Elle est suivie d’une traduction du latin de Jean Dorat. Cette épître est remarquable par un passage qu’elle comporte-et que nous avons été le premier à signaler :

« Pour ce donc que luy mesme (Dorat) confesse qu’il a profité et allégué les carmes d’un Prophéte qui fut Monsieur de Nostradame (auquel en son vivant ay esté fort familier et amy & duquel j’ay encores rière moy tous les œuvres tant en oraison prose que tournée, que bientost je mettray en lumière) je vous en ay bien voulu donner ce contentement. C’est la quatrain quarante cinquiiéme de sa seconde Centurie prophétique, ou il (Nostradamus) dit ainsi

Trop le ciel pleure, Androgyn procrée

Près de ce ciel sang humain respandu

Par mors trop tarde grand peuple recrée

Tard & tost vient le secours attendu

Il s’agit d’une pièce essentielle du dossier en ce qu’elle semblerait au moins valider la préexistence d’une édition déjà totalement structurée en centuries et quatrains en cette année 1570. Or, il semble bien que la première édition des prophéties de quatrains n’était pas encore « divisée » en centuries, comme en témoigne l’édition Rouen 1588 Raphaël du Petit Val, décrite par Daniel Ruzo (Testament, op. cit., p 282) Selon nous, Chavigny se sera contenté – signant Jean de Chevigny- de récupérer dans les œuvres latines complétes de Dorat, parues en 1586, le dit texte latin. De monstro Androgyno Lutetiae nato anno Domini 1570.21. Iulii. L’intitulé lui-même a un caractère rétrospectif. Ce qui repose la question des recoupements entre Jean de Chevigny et Jean Aimé de Chavigny et l’on peut se demander, en effet, non pas si tant si les deux personnages ne faisaient qu’un mais bien plutôt si Chavigny n’a pas produit sous le nom de Chevigny,.59 D’ailleurs, dans le Recueil de Présages Prosaïques (cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus, op cit.  p. 283), Chavigny se compte parmi ceux qui écrivirent à son sujet, sans toutefois préciser à quelle date il l’aurait fait. En tout cas, l’acquaintance entre Chavigny/Chevigny et Dorat est doublement attestée. Le paralléle pourrait d’ailleurs être aussi validé pour le cas Benoist Rigaud, quant à ce lien entre les années 1560-1570 et les années 1590. Dans le cas Rigaud, il ne s’agit pas d’une imposture quant à la personne puisque le dit Rigaud exerçait déjà en 1566-1568 mais d’une imposture quant à son activité centurique..

Mais pourquoi la version française de la Vita du Janus Gallicus ne mentionne-t-elle plus nommément Dorat tout en annonçant un Dialogue ? Cela nous conduit à penser que la version latine aura précédé la version française et qu’ayant décidé de ne pas fournir en français, pour quelque raison, le texte de l’épître à Dorat, on n’aura pas pour autant supprimé la référence à un dialogue.

Robert Benazra, RCN, pp. 130 et seq) place, à tort, l’édition au titre français avant celle au titre latin. Il est vrai que la présentation de ces deux éditions peut déconcerter : on pourrait croire, au premier abord, que les deux volumes ne différent que par leur page de titre, puisque les textes qui s’y trouvent yont, dans un cas comme dans l’autre, rendus tant en français qu’en latin. Mais à y regarder de plus près, comme on vient de le voir pour la fin de la Vita, Dorat est mentionné dans la version latine de cette biographie et supprimé dans la version française qui lui fait pendant, ce qui n’empêche pas d’ailleurs que le dit dialogue est bel et bien maintenu, mais seulement en latin (pp. 31-34 ,titre français). On est là placé devant un volume à plusieurs niveaux de lecture

Nous sommes là dans une problématique complexe qui est celle des recueils de pièces60. Dans le cas du Janus Gallicus, il nous semble que la Vita a du paraitre avec le dialogue avec Dorat ; peu avant d’être intégrée dans le dit recueil. Elle le fut d’abord dans le volume au titre latin « Janus Gallicus » puis reprise dans le volume au titre françois « Janus François ». Le dialogue avec Dorat ne fait d’ailleurs pas suite à sa mention dans la Vita laquelle se termine en p. 12 alors que le dialogue débute en p. 31. On a l’impression que de ce dialogue a du faire probléme mais que l’on ne l’a pas totalement supprimé, non sans quelque peu tenter de brouiller les pistes. Rappelons le cas de la Prognostication de l’advénement à la couronne de France de tres illuste (…)Prince Henry de Bourbon (..) le tout tiré des Centuries & autres commentaires de M. Michel de Nostradamus (..) par Jean Aimes de Chavigny, Paris, Pierre Sevestre (Bibl. Mazaine, Paris) que l’on retrouve au sein du Janus Gallicus sous le titre de De l’avenement à la Couronne de France, tant en français qu’en latin.

Relevons une erreur dans la récupération du « Brief Discours » sera repris au XVIIe siècle dans les recueils centuriques. Les centuries incomplétes sont la VII, la XI et la XII et non comme on lira dans les diverses éditions, la VII, la IX et la XI. Cette coquille ne sera jamais corrigée, ce qui indique une transmission non critique, même de la part de certains libraires relativement attentifs comme un Pierre du Ruau, au début du XVIIe siècle alors même que ce point ne fait guè_re débat.

Par ailleurs, Antoine Besson ne conservera pas les dernières lignes de la Vi de Nostradamus, dont il vient d’être question en rapport avec un dialogue qui devrait faire suivre. La dite Vie se termine alors ainsi : « Il avoit un autre frère nommé jean Nostradamus qui estoit Procureur au Parlement d’Aix, il composa l’Histoire de Provence & la Vie des Poétes du même Païs. »
 

En 1789, parait La Vie et le Testament de Michel Nostradamus, Paris, Gattey (BNF). Dans l’Avertisssement, note R. Benazra (RCN, p. 330), il est indiqué que le texte est tiré d’ »un manuscrit fait par Edme Chavigny, connu par différents bons ouvrages sous le nom de Janus Gallicus.(p.2), ce qui a pu faire croire, selon le dit Benazra « à certains auteurs pressés que l’ouvrage a esté composé par Jean-Aimé de Chavigny ». En fait, l’ouvrage emprunte à une biographie du début du XVIIIe siècle laquelle,elle-même, recourt partiellement au « Brief Discours de la Vie » ou à la « Vie de Nostradamus » issue du dit JanusGallicus.


 

IV L’Epître à Henri IV

Ce que nous retiendrons de ce document, c’est qu’il correspond à une tentative de constituer un troisiéme volet, introduisant une nouvelle série de « prophéties ou pronostications » -notons la synonymie des termes reprise dans l’édition anglaise de 1672 cette fois sous la forme de 58 sixains : ce «livret non moins digne et admirable que les autres deux Livres qu’il fit dont le dernier finit en l’an 1597, traictant de ce qui arrivera en ce siècle ». On apprend, dans cette épître datée de 1605, que le second volet est censé ne couvrir les événements que jusqu’à la fin du siècle.

Etrangement, la pièce se référé à un Nostradamus ayant exercé auprès du seul Charles IX :

Prédictions admirables pour les ans courans de ce siecle. Recueiillies des Mémoires de feu M. Michel Nostradamus, (de son) vivant Médecin du Roy Charles IX et l’un des plus excellens astronomes qui furent jamais

L’usage du mot « Mémoires » nous intéresse au regard de ce que nous avons noté pour la Préface à César.

L’imitation du ton de l’Epître à Henri II est assez flagrante : « j’ay pris la hardiesse (moy indigne) de vous les présenter transcrit en ce petit livret

Cette épître est dans le droit fil d’un scénario selon lequel un flux continu de prophéties de Nostradamus va se déverser, ce qui exclut, ipso facto, que tout soit paru dès l’origine, c'est-à-dire du vivant de Nostradamus.

Cette position est d’ailleurs celle du Brief Discours de la Vie de Nostradamus :

Brief Discours

« Ces dernières (centuries XI et 12) ont long temps tenu prison & tiennent encore pour la malice du temps, enfin nous leur ouvrirons la porte »


 

Epitre de 1605 à Henri le Grand.

« Ayant (il y a quelques années) recouvert certaines Prophéties ou Pronostications des mains d’un nommé Henry Nostradamus (…) qu’il me donna avant de mourir & par moy tenues en secret jusques à présent »

 

On a là l’exposé d’un scénario qui a du se répéter à plusieurs reprises. C’est ainsi que nous pensons vraisemblable que cela s’applique à César de Nostredame qui aurait ainsi transmis le texte d’une épître datée de 1555 à lui destinée. Mais est-ce que cette épître exista réellement ou s’agit-il d’une fiction ? Est-ce que César joua réellement un rôle dans une certaine entreprise de mystification ? Ce qui est sûr, c’est que Chavigny cite son nom favorablement dans le « Brief Discours de la Vie de Nostradamus ».

Rappelons que dès 1568, il était déjà question de documents retrouvés  mais cela visait alors des textes en prose, comme en témoigne cette édition rouennaise:

« Prédictions pour 20 ans (…) extraictes de divers auteurs trouvée en la Bibliothèque de nostre défunct dernier décédé (…) Maistre Michel de nostre Dame (…) par Mi. De Nostradamus le Jeune, Rouen, Pierre Brenouzet (BNF),

Un détail cependant à ne pas négliger : il est question non pas d’un ouvrage dû à Nostradamus mais d’une compilation de textes trouvés dans sa bibliothèque, à sa mort. Ce glissement est remarquable et il apparait, nous semble-t-il, dans les diverses versions du commentaire de Jean-Aimé de Chavigny, avec le passage de l’éditeur, du Collector, du collectionneur – ce qui est aussi le cas pour une bibliothèque qui est une collection, vers le statut d’auteur :

Jani Gallici facies prior (…) breviter complectens (…) redditus atque explicatus per Io. Amatum Chavigneum

La Première face du Janus François (…) extraicte et colligée des Centuries et autres commentaires de M. Michel de Nostredame (…) par Jean Aimes de Chavigny, Lyon Heritiers de Pierre Roussin

Chavigny, dans la version au titre français n’est plus celui qui explique mais seulement celui qui extrait et collige.

En 1596, dans la nouvellle édition, parisienne, exclusivement en français, cette fois, le titre est le suivant, la présentation varie encore : :

« Commentaires du Sr de Chavigny beaunois sur les Centuries et Prognostications de feu M. Michel de Nostradamus, Paris , Gilles Robinot/ autre édition Antoine du Breuil.(cf RCN, pp. 142-143). Chavigny retrouve un statut de commentateur/ Rappelons que le terme associé à Nostradamus concerne simplement l’interprétation des données astronomiques/

Rappelons que nous avons retrouvé une édition des sixains, non pas parue sous le nom de Nostradamus mais sous celui de Noel Léon Morgard (Bibl. Mazarine) et qui sera donc par la suite incluse au sein des éditions à trois volets, précédée de la dite Epitre de 1605 à Henri IV.
 

On soulignera l’existence des doubles dénominations, à partir de la version au titre français du Janus François ;.

  1. Centuries et autres commentaires

1596 Centuries et pronostications

Puis

Sans date  Les centuries et merveilleuses prédictions Rouen, P. Valentin

Faisant suite aux Grandes et merveilleuses prédictions. Ce cas n’est probablement pas significatif.

1650 Les vrayes centuries et prophéties, Leyde,

1667 Les vrayes centuries et prophéties, Amsterdam

1672 The true propheties or Prognostications, Londres.

La formule s’imposera dès lors, du moins jusqu’au début du XVIIIe siècle. On la trouve ainsi encore chez le lyonnais Antoine Besson (c 1691) puis en 1710, dans une édition rouennaise, chez Jean B. Besongne (cf RCN, pp 290 et seq)

Parfois, les deux mots sont reliés par la conjonction « est », parfois par un « ou/or », ce qui crée une impression de synonymie, de redondance.

Mais, selon nous, l’origine de ce « doublon » est liée à l’existence, au départ, d’un double corpus comme cela est assez manifeste chez Jean Aimé de Chavigny : Il s’agit bien évidemment d’une part de la production des almanachs et pronostications, dont la matrice est le Recueil des Présages Prosaïques, de l’autre des Centuries. Chez Chavigny, les deux ensembles vont finir par fusionner tant et si bien que son commentaire de 1594 les traite indifféremment, comme un seul et même matériau. Les éditions qui englobent les deux corpus sont justement celles qui comportent un double intitulé. En revanche, les éditions sans date ou du XVIIe siècle, ne prenant pas en compte les « Présages », portent un intitulé unique, Prophéties. En fait, on assiste à l’éviction progressive du premier ensemble comme si la mauvaise monnaie chassait la bonne. Giffré de Réchac, dans son Eclaircissement (1656), exprime nettement sa préférence pour les dix centuries et semble sérieusement douter de l’authenticité des dits Présages.


0 Notamment au cours de la précédente décennie, sur cura.free.fr, ramkat.free.fr, sur grande-conjonction.org et sur
editionsgrandeconjonction.blogspot.com. En passant par google, on trouvera aisément les articles concernés par tel ou tel point.et que nous n’avons pas jugé bon de recenser. On en trouvera cependant une liste assez compléte jusqu’en 2007 dans la biibliographie de notre postdoctorat, en ligne sur propheties.it., pp. 954-958

1 Voir notre ouvrage Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Éd. Ramkat, 2002.

2 Voir notre post-doctorat sur la Naissance de la critique nostradamique au XVIIe siècle, EPHE, Ve section, 2007, accessible sur le site propheties.it/Halbronn/ (cf. note 5).

3 E.-P.-E. Lhez, « Aperçu d’un fragment de la correspondancce de Michel de Nostredame », Provence historique, 1961, p.117 et ss. – Jean Dupèbe (éd.), Lettres inédites, Genève, Droz, 1983.

4 Cf . nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Feyzin, Éd. Ramkat, 2002.

5 Les centuries de Nostradamus: ou, Le dixième livre sibyllin Par Raoul Auclair

6 Voir Anne Barbault, Introduction à l’astrologie, Paris, Albin Michel, 1985, p. 39.

7 Cf. Patrice Guinard, Le Manifeste, site Cura.free.fr

8 Cf D. Ruzo , Le testament de Nostradamus, ed. Rocher, 1982, p. 282, ouvrage paru l’année qui suivit le succés du livre de Jean-Charles de FOntbrune, chez les mêmes éditeurs., Nostradamus historien et prophéte.

9 On connait une édition des Prophéties par le libraire troyen Pierre chevillot, portant la mention « trouvez en une Bibliothèque délaissez par l’Autheur »,(BNF 7365, RCN, pp. 172-173)

10 Les quatrains pour 1555 paraissent dans la Pronostication pour 1555, ils n’apparaissent dans les almanachs qu’à partir de 1557.

11 Cf notre post doctorat, sur prophéties.it.

12 Reproduction très fiféle d’un manuscrit inédit de M. de Nostredame Dédié à S.S. le Pape Pie IV, Mariebourg, 1926, voir aussi n « Une attaque réformée oubliée contre Nostradamus (1561) »RHR, n°33, 1991

13 Voir notre post doctorat, sur propheties.it

14 Voir P. Guinard, Nostradamus et l’éclat des empires, Ed BoD, p. 94

15 J. Halbronn « Le manuscrit latin 7321A (2-3) de la Bibliothèque Nationale de France (Paris) et les traductions françaises ptolémaïques et hippocratiques », in Bulletin de Philosophie Médiévale, 38, 1996, pp. 23-39

16 Voit fac simile sur site propheties.it.

17 C’est un des apports de la colection Ruzo que de cpmpléter sur ce point les bibliographies de Chomarat et de Benazra.

18 A consulter sur le site numérique Gallica de la BNF

19 Voir sur ces initiales, O.. Millet, « Feux croisés sur Nostradamus », p. 119

20 Divination et controverse religieuse en France au XVIe siècle, Cahiers V L Saulnier, Paris, 1987

21 Nous avons fourni la localisation des Prophéties à Olivier Millet pour ses Feux Croisés sur Nostradamus.

22 Espace Nostradamus n° 144 « Evaluation de la clef géographique des Centuries «  2005.

23 Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, op. cit. pp. 49 et seq.

24 Michel Nostredamus, Les significations de l’éclipse qui se fera le 16 septembre 1559, Paris, Guillaume le Noir, [1558].

25 Cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus, fac simile p. 457-459

26 O. Millet place à tort l’Epitre à Henri II dans l’Almanach pour 1557 (cf Feux croisés, p. 115)

27 Cf notre étude sur le site du CURA.

28 Cf notre thèse d’Etat. Le texte prophétique en France. Formation et Fortune, Ed. du Septentrion.

29 Michel Nostredamus, Les significations de l’éclipse qui se fera le 16 septembre 1559, Paris, Guillaume le Noir, [1558].

30 Revue RHR 1986

31 Voir P. Guinard, sur la pronostication pour 1552, tlelle que rapportée par Chavigny dans le Recueil de Présages Prosaïques,.

32 Ce point n’a pas été explicité par P. Guinard dans son étude de la Centurie VIII, au centre de son Nostradamus et l’éclat des royaumes, BoD,2011

33 Cf notre fac simile in Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, op. cit.

34 Voir P.Guinard, CORPUS NOSTRADAMUS 76 --

35 Cf notre posface à L’Astrologie du Livre de Toth d’Etteila, Paris, Trédaniel, 1993

36 Cf Le Texte prophétique en France. Op. cit.

37 Cf. Alexandre Yali Haran, Le Lys et le globe, Éditions Champ Vallon, 2000,

38 Cf notre postface à l’Introduction au jugement des astres de Claude Dariot, Ed. Pardés, Puiseaux, 1990

39 Cf Le texte prophétique en France, formation et fortune, Paris X, 1999

40 Voir P.. Guinard, « Historique des éditions des Prophéties de Nostradamus (1555-1615) », Revue française d’histoire du lvre, n° 129, 2008,p.67

41 Le dominicain Giffré de Réchac et la naissance de la critique nostradamique au XV IIe siècle, EPHE Ve sectiion, site propheties.it

42 Cf sur cette année 1557, nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus.

43 Cf Le texte prophétique en France, formation et fortune

44 Cf reprint avec postface de J. P. Brach

45 Article in The Astrological Journal.

46 Cf Brind’amour, Les premières centuries, pp. 342-343

47 Voir notre post-doctorat Le dominicain Jean Giffré de Réchac et la naissance de la critique nostradamique, sur propheties.it.

48 Voir notre étude dans les Actes Du colloque Verdun Saulnier, 1997.

49 Sur l’explication de « martiaulx » voir P. Brind’amour, Les premières centuries ou prophéties, Genève, Droz, 1996, p. 3

50 Les premiers garants de la publication des Centuries de Nostradamus ou la Lettre à César reconstituée

51 Cf le commentaire de P. Brind’amour, Les premières prophéties, op. cit, pp. 454-455

52 Voir Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002

53 Cf nos Papes et prophéties,, Boulogne. Ed. Axiome, 2005

54 Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, op cit

55 Cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus, pp. 252 et seq

56 CORPUS NOSTRADAMUS 33 -- par Patrice Guinard - La lettre de Nostradamus à César (transcription, traduction, explication)

57 Voir notre post doctorat sur Giffré de Réchac. EPHE 2007, en ligne sur propheties.it

58 Et non l’Endrogyn comme dans le RCN, p. 95

59 Cf sur ce débat, B. Chevignard, Présages de Nostradamus, op.. cit.

60 Cf notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France,. Formation et fortune, 1999. site propheties.it.

 

 

 

Read my blog below, or check it online at: 

Mario Freedom's Space

 

Note: All reasonable attempts have been made to contact the copyright
holders of any images that are not either the author's own, kindly made available to him or already in the public domain.

We would be grateful if any whom we have been unable to contact would get in touch with us.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Updated Tuesday, 07 April 2015

© All Rights Reserved 2009 - Designed by Mario Gregorio